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Les versets 19-20 du chapitre 7 de Qohélet n’ont guère fait l’objet d’analyses approfondies. En effet, mis à part les commentaires, aucun article n’a encore été publié sur ces deux versets. Pour bien en cerner le sens, j’exposerai les résultats de mon enquête en quatre parties de longueur inégale. Je proposerai d’abord une traduction de Qo 7,19-20, qui sera accompagnée de quelques notes de critique textuelle. Puis, je confronterai les principaux résultats issus de l’approche diachronique et de l’hypothèse des citations à une critique structurelle. Je terminerai mon enquête par une critique littéraire du texte, c’est-à-dire une analyse philologique et sémantique de chacun des deux versets. L’application de ces diverses méthodes me permettra non seulement de valider et d’infirmer certaines interprétations existantes, mais aussi d’en proposer de nouvelles qui sont tantôt complémentaires, tantôt en contradiction avec celles déjà défendues par mes prédécesseurs.

I. Traduction

V. 19 : La sagesse rend fort le sage plus que dix potentats qui sont dans la ville.

V. 20 : Assurément, un être humain, il n’en est pas de juste sur la terre, qui fasse le bien et ne commette pas d’erreur.

II. Critique textuelle

Au v. 19, le texte massorétique[1] a le verbe ‘zz, qui connote l’idée de force, mais la Septante suppose le verbe ‘zr, « aider » : hē sophia boēthēsei tō sophō[2], « la sagesse aidera le sage ». Dans son commentaire, Jérôme semble connaître cette variante puisqu’il signale aussi un autre sens (aliter) : les dix qui détiennent le pouvoir sont des anges qui viennent secourir (auxiliantur) le genre humain ; le secours le plus grand, conclut-il, est celui de la sagesse (maius est auxilium sapientiae)[3]. Cette leçon de la Septante, qui est connue de Jérôme, n’est pas sans intérêt puisqu’elle est également attestée dans un fragment de Qumrân : h[kmh ]t‘zōr (4QQoha)[4], « la sagesse aide le sage ». Qui plus est, le targum présuppose, lui aussi, l’existence du verbe ‘zr, puisqu’il contient le verbe siyyē‘, « aider », « assister » : wkmt ysp br y‘qb ’styy‘’ lyh lkmtyh[5], « la sagesse de Joseph, fils de Jacob, l’aida pour le rendre sage ». Par conséquent, il n’est pas étonnant de constater que certains exégètes croient que le verbe ‘zr correspond à la leçon originale, laquelle se lit comme suit : « la sagesse aide le sage[6] ». À cette première correction, Weeks en ajoute une seconde puisqu’il suppose que le h devant le mot kmh qui ouvre le v. 19 doit être vocalisé non pas comme un article, mais comme une interrogation : « Est-ce que la sagesse vient en aide au sage plus que dix hommes puissants dans la cité[7] ? » Bien entendu, la lecture interrogative du v. 19 est sans fondement, car elle n’a aucun appui textuel en sa faveur. Quant à l’emploi du verbe « aider », qui suppose la leçon t‘zr, il vise à atténuer la connotation de « force » impliquée par le verbe ‘zz. Autrement dit, la leçon t‘zr ne mérite pas d’être retenue, car elle ne correspond pas à la lectio difficilior.

Dans la BHQ, Goldman est également d’avis que la Septante et 4QQoha présentent des textes corrigés. Il juge que ces corrections visent à protéger la valeur de la sagesse[8]. Il garde donc les consonnes du verbe t‘z, mais rejette la vocalisation des massorètes, car il estime que le verbe au qal ne peut avoir qu’un sens intransitif : « la sagesse est forte pour le sage ». Or, selon lui, une telle affirmation est insatisfaisante, forcée et incompatible avec le message du contexte immédiat (Qo 7,16-18a), voire avec l’intention de Qohélet. En outre, il est d’avis que la vocalisation au qal proposée par les massorètes vise à adoucir l’avertissement trop tranchant du v. 19a à propos de la sagesse. Cet avertissement tranchant du v. 19a est restitué en vocalisant le verbe ‘zz au hiphil (tā‘ēz), qui signifie habituellement « se rendre dur », « se fermer » (Pr 21,29), « prendre un air de défi, d’insolence » (Pr 7,13). Selon Goldman, la traduction suivante est donc celle qui correspond au texte original et qui convient le mieux au contexte immédiat : « La sagesse rend plus présomptueux le sage que dix gouverneurs dans la ville ».

Il est vrai que cette reconstitution du texte original n’exige qu’une correction des voyelles, mais elle me semble néanmoins bien fragile, et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, dans la Bible hébraïque, le verbe ‘zz au hiphil n’est utilisé qu’avec le mot pnym comme complément (Pr 7,13 ; 21,29 ; voir aussi l’expression ‘z pnym en Qo 8,1). Or, ce complément est absent en Qo 7,19a. Deuxièmement, lors de mon analyse littéraire, j’aurai l’occasion de montrer que le verbe ‘zz, au qal, peut également avoir un sens transitif et que ce sens transitif est confirmé par maintes versions anciennes. Troisièmement, j’aurai également l’occasion de montrer que la leçon du texte massorétique ne vise aucunement à protéger le sage dans sa relation avec la sagesse. En somme, il m’apparaît plus prudent de maintenir le texte massorétique.

Au lieu du pronom relatif ’šr du texte massorétique, un manuscrit de Qumrân (4QQoha) a le pronom š devant le verbe hyw. Cette même variante apparaît aussi au v. 20 devant le verbe y‘śh. Il est bien connu que Qohélet emploie les deux formes de ce pronom. En effet, on trouve 68 fois le pronom š et 89 fois le pronom ’šr. En outre, les deux formes précèdent aussi bien le verbe hyh (par exemple, comparer Qo 1,9.11 et 1,10.16) que le verbe ‘śh (par exemple, comparer Qo 1,9.14 et 1,13 ; 2,3). Par conséquent, il vaut mieux garder le pronom ’šr du texte massorétique.

III. De l’approche diachronique à l’hypothèse des citations

Au début du 20e siècle, il était commun d’attribuer Qo 7,19-20, mais aussi plusieurs autres passages du livre de Qohélet, à un glossateur quelconque[9]. Par la suite, surtout à partir des années 1960, ce genre d’hypothèse a été progressivement délaissé. En effet, entre 1960 et 1990, seuls quelques auteurs ont identifié le v. 19 ou les v. 19-20 comme des ajouts d’un rédacteur quelconque[10]. Par ailleurs, en 1999, deux auteurs ont renoué avec l’idée que le livre de Qohélet aurait été rédigé par plus d’un rédacteur et en plusieurs étapes. Très imaginative, Brandscheidt, qui retrace quatre étapes rédactionnelles dans le livre de Qohélet, attribue les v. 19-20 à la main du premier rédacteur et les v. 14-18 à la main du deuxième rédacteur[11]. Tout aussi enclin à la spéculation, Rose, qui retrace trois grandes étapes rédactionnelles dans le livre de Qohélet, attribue les v. 15-22 au responsable de la seconde relecture, donc au Théologien-rédacteur[12] qui est qualifié de pieux, d’orthodoxe, de conservateur et de traditionaliste[13].

Tout aussi fantaisiste, Coppens est d’avis qu’il n’y a qu’un seul auteur derrière le livre de Qohélet, mais il précise que celui-ci a entrepris la rédaction de son oeuvre en quatre étapes bien distinctes qui correspondent à quatre moments précis de sa vie. Au sujet des v. 19-20, ils seraient des logia d’inspiration sapientiale qui viennent interrompre la pensée de Qohélet et qui n’ont que de vagues relations avec le livret sur la vanité universelle[14] !

Au nom d’une logique bien cartésienne, d’aucuns se contentent de réorganiser le texte. Par exemple, Lamparter déplace les v. 19-20 après Qo 8,1[15], tandis que Ginsberg déplace le v. 19 après les v. 11-12 — lesquels sont placés entre le v. 6a et 6b ! — et le v. 20 après le v. 16[16]. D’autres déplacent le seul v. 19 après 7,12[17]. L’interprétation de Perry est tout aussi inutilement alambiquée, voire arbitraire, puisqu’il imagine que le livre est un dialogue entre Qohélet, le sage et le roi (Qo 7,20), et son présentateur plus orthodoxe et tolérant (Qo 7,19)[18]. Bien entendu, rien ne nous autorise à voir un dialogue dans ces versets. Il suffit de comparer le livre de Job avec le livre de Qohélet pour se rendre à l’évidence que ce dernier n’a rien de commun avec un dialogue entre deux interlocuteurs.

Depuis déjà plusieurs années, l’interprétation selon laquelle le livre de Qohélet serait truffé de citations a pris le relais de l’hypothèse des sources. Autrement dit, le mot glose a été remplacé par le mot citation. Toutefois, le problème posé par cette nouvelle hypothèse est le même que celui de la critique des sources, c’est-à-dire celui de la délimitation et de la fonction des citations. En effet, d’aucuns voient dans les v. 19-20 des « citations contrastées[19] ». Ogden est plutôt d’avis que les v. 19-20 sont deux citations indépendantes suivies de deux avertissements[20]. Certains limitent la citation au v. 19[21] ou au v. 20[22]. À l’exception de Lauha, ceux qui limitent la citation au v. 19 interprètent le v. 20 comme un commentaire critique du v. 19. Au contraire, D’Alario croit qu’il est inutile de chercher un lien entre les v. 19 et 20 puisque ces deux versets présentent des réflexions indépendantes qui rappellent une pensée traditionnelle[23]. Enfin, Maussion est d’avis que Qohélet, au v. 20, commente la citation qu’il a reprise au v. 16[24]. Que conclure de ce bilan qui ne prétend pas à l’exhaustivité sinon que l’identification et la fonction des citations comme celles des gloses dépendent du genre de message que l’on veut bien voir dans ce texte.

IV. Critique structurelle

La délimitation de la péricope ne fait pas l’unanimité. Par exemple, du point de vue de la macrostructure, Faessler est d’avis que Qo 7,1-15 et 7,16-22 constituent deux unités indépendantes, lesquelles font partie de deux ensembles qui vont de 4,1-7,15 et 7,16-9,12[25]. Au contraire, Birnbaum et Schwienhorst-Schönberger affirment que Qo 7,15-20 constitue une petite unité qui fait partie d’une section plus vaste qui va de 6,10-7,22, laquelle est construite de manière similaire à la section qui va de 7,23-8,17[26]. Tout autre est la délimitation de Willmes : Qo 7,11-18 et 7,19-24 constituent selon lui deux unités, la première étant intitulée « La crainte de Dieu est plus importante que la connaissance » et la seconde « Limite de la sagesse[27] ». Du point de vue de la microstructure, Gordis, qui délimite la péricope entre les v. 15 et 25, propose de manière totalement arbitraire de voir dans les v. 16-17 et 19-20 une structure chiastique, le v. 19 expliquant le v. 17 et le v. 20 expliquant le v. 16[28]. De son côté, Asurmendi divise vaguement Qo 7,15-20 en deux parties : 15-18a et 18b-20[29]. Reinert, qui délimite plutôt la péricope entre les v. 15 et 22, propose une division en quatre parties : une observation (v. 15a) est suivie de l’objet de l’observation (v. 15b) ; les v. 16-17 décrivent ensuite les conséquences de cette observation, tandis que les v. 18-22 fournissent des explications[30]. Toutefois, il ne dit rien quant à la façon dont les explications des v. 18-22 sont rattachées à ce qui précède. La délimitation proposée par Lauha est la même, mais sa division est différente : il affirme que Qo 7,15-22 est une péricope constituée de deux parties (v. 15-18.20-22) séparées par une citation (v. 19)[31]. Towner juge également que 7,15-18 forme une petite unité, mais il affirme que Qo 7,19-8,1 constitue une autre unité bien délimitée par une inclusion entre Qo 7,19 et 8,1. En outre, il précise que le v. 20 ne répond en rien au v. 19[32]. Pour des raisons différentes, Figueras et Whybray excluent également la possibilité d’un lien entre les v. 16-18 et les v. 19-22[33]. Ne faisant pas davantage de lien entre les v. 19-20 et ce qui précède, Garrett affirme que Qo 7,19-22 constitue une unité structurée autour de deux enseignements (v. 19 et 21) qui sont chacun liés à une explication (v. 20 et 22)[34]. Pour sa part, Lange comprend plutôt les v. 21-22 comme des exemples concrets qui illustrent l’affirmation du v. 20[35].

Suite à ce bilan qui ne prétend pas être exhaustif, deux conclusions s’imposent. Premièrement, il n’y a aucun consensus quant à la délimitation de la péricope. Deuxièmement, à l’instar des exégètes qui cherchent à retracer le texte originel ou qui travaillent avec l’hypothèse des citations, ceux qui s’intéressent à la critique structurelle peinent à identifier le rapport, d’une part, entre les v. 19 et 20 et, d’autre part, entre les v. 19-20 et ce qui précède.

À mon avis, les v. 15-20 forment une petite unité dans laquelle les v. 19-20 ne sont pas totalement sans lien avec ce qui précède. D’abord, il convient de noter que le v. 15 est bien construit. Après une phrase d’introduction où le verbe « voir » introduit l’absolu dans le discours, le texte se présente sous la forme d’un parallélisme antithétique entre juste et méchant :

A

phrase introduite par

   B

dyq + verbe + bdqh

A'

phrase introduite par wyš

   B'

rš‘ + verbe + br‘h

Puis, les v. 16-17 sont, eux aussi, construits sous la forme d’un parallélisme, avec une antithèse entre, d’une part, juste et méchant et, d’autre part, sage et insensé :

A

négation (’l) + verbe + hrbh (16a)

   B

phrase introduite par w’l (16b)

      C

question introduite par lmh (16c)

A'

négation (’l) + verbe + hrbh (17a)

   B'

phrase introduite par w’l (17b)

      C'

question introduite par lmh (17c)

Quant au v. 18, il forme une conclusion introduite par le mot wb qui signale la préférence de Qohélet. Cette conclusion, qui fait référence à ce qui précède à l’aide du double emploi du pronom démonstratif zh, est suivie d’une justification introduite par ky. Par ailleurs, on peut observer une double inclusion, d’une part, entre l’expression ’t hkl qui ouvre le v. 15 et l’expression ’t klm qui clôt le v. 18 et, d’autre part, entre l’expression dyq au v. 15 et l’expression ’yn dyq au v. 20. Les v. 15 et 20 contiennent aussi deux affirmations qui prétendent à l’universalité, la première du point de vue temporel (avec le mot « tout ») et la seconde du point de vue spatial (avec le mot « aucun »), toutes deux accompagnées de la préposition : « j’ai tout vu dans les jours de (bymy) » et « aucun juste sur la terre (b’r) ».

En ce qui concerne les v. 19 et 20, ils font respectivement écho au verset le plus énigmatique de la péricope, c’est-à-dire le v. 16, le v. 19 en reprenant la racine km et le v. 20 en reprenant la racine dq. Les v. 19 et 20 ont aussi en commun deux termes qui réfèrent à l’espace, tous deux introduits par la préposition : dans la ville (b‘yr) et sur la terre (b’r). En somme, la comparaison du v. 19 porte sur deux figures majeures de la société (km et šlyym) et un lieu précis (b‘yr), tandis que la déclaration du v. 20 porte sur une seule figure (dyq) et a plutôt une connotation universelle (’dm, ’yn et b’r). Bien entendu, seule une analyse littéraire permettra de clarifier plus en profondeur la relation du v. 20 avec le v. 19.

Quant aux v. 21-22, ils sont écrits en grande partie à la deuxième personne, comme les v. 16-18. Par contre, ils ne sont pas sans lien thématique avec le v. 20, puisqu’ils illustrent à l’aide de deux exemples concrets le caractère faillible de tout être humain. Ces deux versets sont structurés comme suit : les v. 21b-22 constituent deux raisons qui motivent l’exhortation du v. 21a.

En résumé, cette critique structurelle a plusieurs mérites. Premièrement, elle prouve que les v. 19-20 constituent une petite unité autonome, entre les v. 15-18 et 21-22. Deuxièmement, elle montre que le v. 20 est en relation avec le v. 19. C’est ce qu’indiquent maints éléments qui rattachent le v. 20 au v. 19 : le mot ky, la reprise d’un vocabulaire qui fait référence à l’espace (b‘yr et b’r) et l’emploi des mots clés km et dyq qu’on rencontre déjà en 7,16. Troisièmement, elle met en évidence que ces v. 19-20 ne sont pas totalement isolés de ce qui précède, puisque le v. 20 forme une inclusion avec le v. 15 et que les v. 19-20 font respectivement écho au v. 16. Bien entendu, cette critique structurelle est loin de résoudre toutes les difficultés que posent ces deux versets. C’est pourquoi elle doit être complétée par une critique littéraire.

V. Critique littéraire

Ma critique textuelle permet de lire le texte massorétique tel quel, sans lui imposer aucune correction, tandis que ma critique structurelle permet de comprendre le texte tel qu’il se donne à lire maintenant, sans avoir à imaginer l’intervention d’un rédacteur quelconque. En outre, ma critique structurelle indique bien que les v. 19-20 forment une petite unité, mais qui n’est pas sans lien avec les versets qui précèdent. En toute rigueur de méthode, il me faut maintenant analyser chacun des mots de ces deux versets afin de mieux exposer leur signification.

1. Verset 19

Du point de vue de la forme, le v. 19 est une comparaison. La première partie de la comparaison est constituée de trois mots : hkmh t‘z lkm. La racine km est commune dans le livre de Qohélet, car elle revient 53 fois, dont quatre fois comme verbe, 28 fois comme substantif et 21 fois comme adjectif. La plus grande concentration d’emplois de cette racine se trouve au chapitre 7 (verbe : 7,16.23 ; substantif : 7,10.11.12[2x].19.23.25 ; adjectif : 7,4.5.7.19).

Comme la racine km ne pose aucun problème particulier de traduction, le mot clé de cette première partie du v. 19 est le verbe tā‘ōz, un verbe au qal, qui dérive de la racine ‘zz. Ce verbe n’apparaît qu’onze fois dans la Bible hébraïque, dont neuf fois au qal (Jg 3,10 ; 6,2 ; Ps 9.20 ; 52,9 ; 68,29 ; 89,14 ; Pr 8,28 ; Qo 7,19 ; Dn 11,12) et deux fois au hiphil (Pr 7,13 et 21,29). Comme le verbe ‘zz au qal est habituellement un verbe intransitif — ce qui ne fait aucun doute pour les passages suivants : Jg 3,10 ; 6,2 ; Ps 9,20 ; 52,9 ; 89,14 ; Dn 11,12 —, de nombreux exégètes estiment qu’il ne peut avoir ici qu’un sens intransitif [36]. La seule traduction possible du v. 19a est alors la suivante : « La sagesse est forte pour le sage ».

Estimant que cette traduction ne fait aucun sens, Seow propose de traduire le v. 19 comme suit : « La sagesse est plus chère au sage que la richesse des propriétaires qui sont dans la cité ». Pour justifier sa traduction du verbe t‘z par « est chère », il évoque deux séries d’arguments[37]. Premièrement, il rappelle que le mot ‘ōz, qui a habituellement le sens de « force », est fréquemment utilisé avec des mots qui font référence à la majesté, l’honneur ou la gloire. Il ajoute que l’adjectif ‘izzûz, « fort », peut aussi signifier ce qui est majestueux ou glorieux (Ps 24,8 ; B Ber 33b) et il donne au verbe ‘zz au Ps 52,9 le sens d’« estimer ». Deuxièmement, il rappelle que ce verbe en arabe signifie non seulement « être fort », « fortifier », mais aussi « être élevé », « être estimé », « être grandement apprécié ». Il en déduit que le verbe ‘zz peut signifier non seulement « être fort », mais aussi « être cher », « être honoré », « être chéri ». Il est vrai que le substantif ‘ōz se trouve parfois en parallèle avec les mots signifiant « gloire » (Ps 29,1 ; 63,3 ; 96,7), « majesté » (Ps 68,35), « honneur » (Ps 78,61 ; 89,18 ; 96,6) ou « magnificence » (Ps 93,1). Toutefois, l’adjectif ‘izzûz au Ps 24,8 est plutôt mis en parallèle avec le mot gibôr, au sens de « vaillant », « guerrier », et le verbe ‘zz au Ps 52,9 signifie bel et bien « être fort ». En effet, le sens d’« estimer » qu’il donne au verbe ‘zz au Ps 52,9 n’est rendu possible qu’au prix d’une correction injustifiée du texte hébreu. La même critique s’impose pour Qo 7,19, puisque Seow corrige de manière complètement arbitraire l’expression mē‘ašārāh šallîîm, « plus que dix šallîîm », en mē‘ōšer haššallîîm, « plus que la richesse des propriétaires[38] ». Cette correction n’a en effet aucun fondement textuel[39] ; en outre, j’y reviendrai, la traduction du mot šallîîm par « propriétaires » est injustifiée. En somme, la traduction de Seow est sans fondement puisqu’aucun texte de la Bible hébraïque, de Ben Sira (voir Si 10,12.18 ; 45,18), de Qumrân[40] ou du Talmud[41] n’atteste le verbe ‘zz au sens d’« être cher », « être estimé ».

Faut-il alors traduire le verbe tā‘ōz en Qo 7,19 par « fortifie », « rendre fort » ou « donne la force », comme s’il allait de soi que ce verbe était transitif ? C’est ce que font certains exégètes qui ne donnent aucune justification à l’appui de leur traduction[42]. Gordis, qui estime que la traduction du verbe ‘zz comme un intransitif force le sens du passage, est l’un des rares exégètes à présenter deux arguments en faveur de la traduction du verbe tā‘ōz dans un sens transitif. Premièrement, il est d’avis que la Vulgate et la version syriaque reconnaissent le sens transitif du verbe ‘zz. Deuxièmement, il évoque deux textes où le verbe ‘zz au qal a également un sens transitif (Ps 68,29 et Pr 8,28)[43]. Que penser de ces deux arguments ? Seow ignore le premier argument et réfute le second, d’une part, parce qu’il estime que l’emploi du verbe ‘zz au Ps 68,29 pose des difficultés au niveau morphologique et sémantique et, d’autre part, parce qu’il rappelle que la majorité des exégètes corrige le texte massorétique de Pr 8,28. En outre, il précise que, dans aucun de ces deux passages, le verbe ‘zz n’est suivi de la préposition l, comme c’est le cas en Qo 7,19[44].

Un examen des deux arguments présentés par Gordis m’incite à une conclusion beaucoup plus nuancée que celle de Seow. Je commencerai par le second argument puisque c’est le seul que Seow critique. Au Ps 68,29b, c’est sans aucune hésitation que de nombreux exégètes donnent un sens transitif au verbe ‘zz, qui est au qal impératif : « “parfais”/“renforce”/“confirme”/“fortifie[45]”, Dieu, ce que tu as fait pour nous ». En ce qui concerne Pr 8,28, le verbe ‘zz, qui apparaît dans l’expression ba‘azôz, est un qal infinitif qui a été compris de diverses façons : « quand furent fortes les sources de l’abîme » ou « quand il fortifia les sources de l’abîme ». La seconde lecture, qui suppose que le verbe ‘zz a un sens transitif, est celle qui est adoptée par la Septante : kai ōs asphaleis etithei pēgas tēs hup ouranon, littéralement « et comme inébranlables il plaçait les sources de sous le ciel ». Il est vrai que certains exégètes qui optent pour la seconde traduction corrigent l’expression ba‘azôz du texte massorétique par ba‘azzezô, un piel infinitif avec suffixe[46]. Toutefois, d’autres exégètes maintiennent le texte massorétique et reconnaissent que le verbe ‘zz a un sens transitif. C’est, par exemple, le cas de Rashi qui donne au verbe ‘zz le sens de « fortifier » (hgbyr)[47]. Telle est aussi l’interprétation de Lelièvre et Maillot qui traduisent le verbe ‘zz par « maîtriser[48] ». À mon avis, on peut très bien maintenir le texte massorétique qui a le verbe ‘zz au qal et lui donner un sens transitif. Cette interprétation est en effet justifiée par le contexte immédiat (le v. 28a qui constitue un parallèle au v. 28b) et le contexte plus large (les v. 27-30a), qui portent clairement sur l’activité créatrice de Dieu.

Il convient maintenant d’examiner l’autre argument évoqué par Gordis en faveur du verbe ‘zz au sens transitif, à savoir la traduction des versions latine et syriaque. Il est vrai que Jérôme, dans la Vulgate aussi bien que dans son commentaire, suppose que le verbe ‘zz a un sens transitif puisqu’il rend le v. 19a comme suit : sapientia confortabit sapientem, « la sagesse confortera le sage ». La version syriaque confirme également que le verbe ‘zz du texte massorétique a un sens transitif : kmt’ m‘šn’ lkym’, « [la] sagesse fortifie/rend fort les sages ». En effet, le l qui suit le participe du verbe ‘šn a la valeur d’un accusatif [49]. À ces deux versions, on peut ajouter celle dite d’Aquila : enischusei ton sophon[50], « il fortifiera la sagesse ». Cette traduction ne fait aucun doute, puisque le mot sage à l’accusatif indique clairement que le verbe enischuō a le sens transitif de « fortifier ». Enfin, la version arabe dite de Sa‘adya Gaon — ignorée par Seow qui, on l’a vu, fait pourtant appel à l’arabe pour justifier une traduction inadmissible — confirme le sens transitif du verbe ‘zz au qal : ’lkmt t‘z ’lkym ’ktr mn ‘dt s’lyn ’d’ k’nw’ fy ’lmdynt[51], « la sagesse fortifie le sage encore plus que de nombreux souverains s’ils étaient dans la cité ».

Bien entendu, la préposition l qui suit est traduite différemment selon que l’on donne un sens transitif ou intransitif au verbe ‘zz. Par exemple, Dahood lui donne un sens comparatif : « la sagesse est plus forte que le sage[52] ». Cette interprétation est injustifiée, car ce serait le seul cas, dans tout le livre de Qohélet, où la préposition l aurait cette signification. En outre, le v. 19b indique clairement que la comparaison est plutôt indiquée à l’aide de la préposition mn (voir aussi Qo 7,1[2x].2.3.5.8[2x] ; etc.). De son côté, Krüger, qui donne aussi un sens intransitif au verbe ‘zz, se demande si la préposition l ne pourrait pas aussi avoir le sens de « contre[53] » : « la sagesse est plus forte contre le sage ». Cette interprétation me semble invraisemblable du point de vue grammatical, car ce serait là un cas unique dans le livre de Qohélet, voire dans la Bible hébraïque. Bien sûr, ceux qui donnent un sens intransitif au verbe ‘zz jugent que la préposition l a le sens de « pour ». Par contre, si l’on donne un sens transitif au verbe ‘zz, la préposition l indique l’accusatif, le mot km étant alors le complément d’objet direct du verbe. Ce sens est tout aussi légitime, car il est bien connu que la préposition l est souvent employée comme exposant de l’accusatif, notamment dans les textes qui, comme c’est le cas du livre de Qohélet, datent de la période du second Temple et sont influencés par l’araméen[54]. Cette dernière interprétation a même l’avantage de mieux respecter la comparaison du v. 19. En effet, lorsque l’on donne un sens intransitif au verbe ‘zz, c’est la sagesse (une abstraction) qui est comparée aux šylym (des êtres humains concrets) ; par contre, lorsque l’on donne un sens transitif au verbe ‘zz, ce sont des êtres concrets qui sont comparés, c’est-à-dire un sage et dix šylym. En somme, la meilleure traduction du v. 19a est la suivante : la sagesse rend fort le sage plus que…

Par ailleurs, quelle que soit la traduction que l’on retienne, la signification accordée à la « force » ne fait pas davantage l’unanimité. En effet, certains estiment que cette force fait référence à ce qui est avantageux[55] ou « rentable[56] ». Longman affirme que cette force est ce qui rend le sage à la fois plus efficace et plus capable[57], tandis que Ravasi écrit qu’elle est ce qui rend la personnalité plus confiante et mature[58]. D’aucuns croient qu’il s’agit d’une « force d’âme[59] », d’une force intérieure, d’une sagesse fondée sur la crainte de Dieu[60], d’une force « intérieure », « vulnérable », précaire, mais « indéracinable[61] » ou d’un courage[62]. D’autres sont plutôt d’avis que la force renvoie à l’avantage de la connaissance, laquelle assure la meilleure des protections[63].

À mon avis, la force accordée par la sagesse est une force offensive. En effet, les exégètes n’ont pas remarqué que, dans le reste de la Bible, le verbe ‘zz, peu importe qu’il soit transitif ou intransitif, apparaît soit dans un contexte de guerre ou de violence meurtrière (Jg 3,10 ; 6,2 ; Ps 9,20 ; 52,9 ; 68,29 ; Dn 11,12), soit dans un contexte où il est question de combattre ou de maîtriser les forces du chaos (Ps 89,14 ; Pr 8,28). En outre, dans tous les textes où le verbe fait référence à une force humaine, comme c’est le cas en Qo 7,19, le contexte indique clairement qu’il s’agit d’une force militaire qui est destructrice et meurtrière (Jg 6,2 ; Ps 9,20 ; 52,9 ; Dn 11,12)[64]. En somme, à l’instar de tous les autres emplois au qal, le verbe ‘zz en Qo 7,19 fait donc référence à une force offensive et destructrice. Autrement dit, la sagesse transforme le sage en un redoutable combattant.

La comparaison du v. 19 (m) précise que cette force combattive et dévastatrice est supérieure à celle de dix šlyym. L’identité de ces dix šlyym est loin de faire l’unanimité. Selon Seow, la racine šl signifie « avoir un droit légal de possession » ; en Qo 7,19, ce terme signifierait donc « propriétaires ». En outre, il est d’avis que c’est le monde perse qui est à l’arrière-plan de l’emploi de la racine šl dans le livre de Qohélet[65]. Cette dernière interprétation a été vivement contestée[66]. Les commentateurs sont plutôt d’avis que les šlyym en Qo 7,19 évoquent une autorité politique. En effet, le seul autre emploi du mot šly en dehors du livre de Qohélet se trouve en Gn 42,6 et fait clairement référence à une autorité politique : Joseph y est présenté comme le šly ‘l-h’r, « le souverain sur le pays ». Toutefois, les exégètes ne s’entendent pas sur le type d’autorité dont il est question en Qo 7,19 et c’est pourquoi le mot šlyym est traduit de diverses manières : magnats[67], magistrats[68], gouverneurs[69], dirigeants[70], chefs[71], dominateurs[72], etc.

Comme le mot šlyym est mis en relation avec la ville, certains pensent qu’il s’agit d’autorités municipales. Plus précisément, on a vu dans les dix šlyym une référence à l’institution des deka prōtoi qui gouvernaient une ville hellénistique (voir Flavius Josèphe, Antiquités juives, XX,8,11)[73]. De son côté, Dahood, qui traduit le mot šlyym par « princes », rapproche plutôt l’expression dix šlyym du mode de gouvernance phénicien. À l’appui de son interprétation, il cite un texte de l’historien Justin, un autre de Tite Live ainsi qu’une inscription de Carthage qui évoque dix magistrats en charge d’un sanctuaire. Ces deux interprétations ne méritent pas d’être retenues, la première parce que l’institution des deka prōtoi n’est pas mentionnée avant l’an 66 de l’ère chrétienne[74] et la seconde parce que les témoignages sont tardifs et concernent la cité de Carthage qui est géographiquement très éloignée de la Judée. En outre, le texte ne dit pas que les dix šlyym gouvernent une ville, mais qu’ils sont dans la ville (’šr hyw b‘yr)[75]. Autrement dit, la ville est simplement le lieu où résident les dix šlyym. Le choix de ce lieu n’est pas pour autant anodin, car il permet d’établir un parallèle entre un espace bien circonscrit (v. 19 : b‘yr) et un espace universel (v. 20 : b’r), comme je l’ai déjà montré. Faut-il alors endosser l’hypothèse de Galling selon laquelle les dix šlyym correspondraient aux « chrématistes » signalés dans la Lettre d’Aristée (VII,111)[76] ? Cette interprétation n’est guère plus crédible, d’une part, parce que le texte d’Aristée est tardif et, d’autre part, parce que ces « chrématistes » ne formaient pas des groupes de dix ; en effet, ils semblent plutôt avoir formé « une commission ambulante de trois juges de cour d’assise[77] ».

À mon avis, le chiffre dix a plutôt une valeur hyperbolique : il vise à accentuer le contraste entre l’unique sage et les nombreux šlyym. Ce n’est d’ailleurs pas la seule fois où Qohélet emploie un chiffre dans un but hyperbolique (avec le chiffre cent, voir Qo 6,3 et 8,12 ; avec le chiffre mille, voir 6,6 et 7,28) et qu’il cherche à accentuer un contraste en opposant un individu à plusieurs autres individus (voir, par exemple, Qo 5,7 ; 7,5.28 ; 12,11). En somme, le chiffre dix est un simple chiffre rond, comme cent et mille, qui a le sens de « beaucoup » (voir aussi 1 S 1,8 ; Jb 19,3 ; etc.).

Dans le livre de Qohélet, la racine šl apparaît neuf fois (verbe šl : 2,19 ; 5,18 ; 6,2 et 8,9 ; substantif šly : 7,19 ; 8,8 ; 10,5 ; substantif šlwn : 8,4.8). Le verbe šl a indéniablement le sens d’« être maître » ou « avoir le pouvoir » (au qal : 2,19 ; 8,9) et « donner le pouvoir » ou « laisser maître » (au hiphil : 5,18 ; 6,2). Quant aux mots dérivés de la racine šl, ils font référence à la parole souveraine du roi (8,4) et à celui qui est au sommet d’une organisation hiérarchique (10,5). En outre, ce pouvoir de domination est tantôt arbitraire (2,19 ; 5,18 ; 6,2, dans les deux derniers passages, avec Dieu pour sujet !), tantôt maléfique (8,9). Dans ce dernier texte, le verbe šl — d’où dérive le mot sultan — semble déjà avoir le double sens qu’il a en syriaque, à savoir « dominer » et « opprimer[78] ». Ce pouvoir est également négatif et destructeur en maints autres passages de la Bible (verbe šl : Ne 5,15 ; Est 9,1[2x] ; Ps 119,133 ; Dn 2,39 ; 3,27 ; 6,25). Dans le livre de Dn, la racine šl sert à indiquer le pouvoir absolu et universel qu’ont certains êtres humains (verbe šl : 2,38-39 ; 4,19), mais qui le perdent (substantif šl: Dn 7,6.12.26-27) parce que Dieu est la seule autorité absolue (substantif šl: 3,33 ; 4,31 ; 6,27). Dahood souligne une relation possible entre cette racine šl et le qualificatif šly attribué au monstre ougaritique destructeur[79]. Il est vrai que ce lien reste hypothétique, mais l’ensemble des autres emplois dans la Bible et surtout dans le livre de Qohélet m’incite à identifier le šl avec un potentat, un despote ou un tyran, c’est-à-dire celui qui détient le pouvoir absolu et qui règne de manière arbitraire. Jumelé avec le chiffre dix, le mot šlyym fait donc référence au summum du pouvoir tyrannique.

En résumé, Qo 7,19 compare deux formes de pouvoir extrême, et ce, afin de souligner la supériorité du premier pouvoir sur le second. La force du sage est plus grande que le summum du pouvoir tyrannique, parce que c’est une force combattive, destructrice et meurtrière. Faut-il donc croire, à l’instar de ceux qui voient dans ce v. 19 une citation, que Qohélet fait l’éloge de la vertu de la sagesse en reprenant à son compte la sagesse traditionnelle telle qu’elle s’exprime en Pr 21,22 et 24,5-6 ? Je ne le crois pas, et ce, pour deux raisons. Premièrement, la comparaison sage — potentat du v. 19 est unique dans les livres de sagesse. Deuxièmement, c’est en raison de sa stratégie et non de sa force meurtrière (‘zz) que le sage est valorisé en Pr 21,22 : « Un sage a pris d’assaut la ville des guerriers et a abattu le fort dans lequel elle se confiait ». De même, en Pr 24,5-6, ce qui assure la victoire militaire, ce n’est pas la force meurtrière (‘zz), mais ce sont plutôt la connaissance ou l’expérience (d‘t), les délibérations (tblwt) et le grand nombre de conseillers (yw‘).

Ainsi, loin d’être une banale citation d’une soi-disant sagesse traditionnelle, le v. 19 est plutôt un proverbe empreint d’ironie, car le verbe ‘zz exprime non seulement la supériorité du sage sur les potentats, mais aussi et surtout le caractère excessif d’une sagesse qui conduit à la destruction et que Qo 7,16 vient de dénoncer. Cette interprétation a le mérite, d’une part, d’être bien fondée du point de vue philologique et sémantique et, d’autre part, d’éclairer le lien entre les v. 16 et 19, mis en évidence par la reprise de la racine km. En outre, elle est conforme à trois autres passages du livre qui ont également une connotation antimilitaire et qui relativisent la valeur de la sagesse. Le premier de ces passages est Qo 9,13-16 qui a une pointe à la fois antimilitaire et antimonarchique. En outre, dans ce passage, la supériorité de la sagesse sur le pouvoir militaire et royal est bien relative, car elle ne suscite qu’oubli, mépris et ingratitude[80]. Le deuxième passage antimilitaire se trouve en Qo 9,18a : « mieux vaut la sagesse que les armes de guerre ». À l’instar de Qo 9,13-16, le contexte immédiat de ce deuxième passage montre que la valorisation de la sagesse est aussitôt relativisée et critiquée (9,18b-10,1a)[81]. Le troisième passage est Qo 7,29, qui rappelle que Dieu a fait l’être humain (’dm, un singulier collectif) droit, mais que ceux-ci (un pluriel) ont cherché beaucoup de šbnwt. Ce dernier mot témoigne aussi d’une pointe antimilitaire, car il n’apparaît ailleurs dans la Bible qu’en 2 Ch 26,15, pour désigner des machines de guerre. Qui plus est, Qo 7,29 n’est pas sans lien avec Qo 7,20, puisqu’il souligne, lui aussi, le caractère universel (’dm) de l’imperfection humaine. Enfin, j’estime que l’argumentation de Qo 7,19-20 est similaire à celle de Qo 9,13-16 et 9,18-10,1, dans ce sens que la reconnaissance de la supériorité de la sagesse est aussitôt suivie d’une critique : le sage a beau être plus fort que dix potentats (7,19), en tant qu’être humain, il n’échappe pas à l’imperfection (7,20). Bien plus, la force meurtrière du sage illustre elle-même cette imperfection humaine. C’est ce que souligne justement le v. 20 qu’il convient d’examiner à présent.

2. Verset 20

On a déjà vu que de nombreux exégètes ont évoqué des arguments émanant de la critique des sources, de l’hypothèse des citations ou de l’analyse structurelle pour réfuter tout lien entre le v. 19 et le v. 20. Doit-on en déduire que le mot ky, qui ouvre le v. 20, ne rattache aucunement les deux versets ? Bien entendu, la réponse à cette question dépend en partie de la traduction que l’on donne à ce mot. D’aucuns omettent simplement de le traduire, évitant ainsi de spécifier tout lien entre les v. 19 et 20[82]. D’autres traduisent le mot ky par « car », mais sans pour autant partager la même interprétation. Par exemple, ayant déplacé le v. 19 pour le situer après le v. 12, Fox rattache le ky explicatif du v. 20 au v. 18[83]. De son côté, Garrett rattache bel et bien le v. 20 au v. 19, mais son interprétation va nettement au-delà de ce que dit le texte : il soutient que le sage est nécessaire dans la société (v. 19), parce que le péché humain est universel (v. 20)[84]. Ellul et Davis ne respectent pas davantage le texte lorsqu’ils affirment que le sage est plus fort que dix autorités (v. 19) parce qu’il sait que tout homme est injuste (v. 20)[85]. En effet, aucun des deux versets ne fait du mot « sage » le sujet du verbe « savoir ». Sans totalement exclure que le v. 20 puisse motiver les affirmations des v. 16-18, D’Alario refuse de chercher un lien entre le v. 20 et le v. 19 et explique autrement la présence du ky : celui-ci pourrait être dû au fait que le v. 20 est une allusion à des textes traditionnels, comme par exemple le Ps 143,2 : ky l’ ydq lpnyk kl y[86]. Cette explication n’est guère crédible, car même si l’on admet que le v. 20 est un rappel implicite du Ps 143,2, il faut prendre en considération la nouvelle fonction que l’énoncé répété — en l’occurrence le ky qui ouvre le v. 20 — vient occuper dans le nouvel ensemble textuel. Par ailleurs, certains exégètes donnent au mot ky un sens adversatif : « mais », « pourtant », « toutefois[87] ». Cette traduction est difficile à défendre, et ce, pour deux raisons. Premièrement, il est vrai que le mot ky peut avoir un sens adversatif, mais seulement après une négation[88]. Or, la formulation du v. 19 n’est pas négative. Deuxièmement, ce serait le seul cas dans le livre de Qohélet où le mot ky aurait ce sens.

À mon avis, le mot ky au v. 20 a une double fonction : il renforce la déclaration qui va suivre tout en la rattachant à l’affirmation précédente (v. 19). On peut donc le traduire par « assurément ». Cette traduction a de bons arguments en sa faveur. Premièrement, ce ky d’affirmation n’est pas rare dans le livre de Qohélet (voir 2,21.22.23.26 ; 4,14 ; 5,6 ; 6,8 ; etc.). Deuxièmement, sachant que le v. 20 forme une inclusion avec le v. 15 et qu’il constitue le point culminant de la péricope, il n’est pas étonnant qu’il soit introduit par un ky qui vise à souligner l’importance de la déclaration finale. Troisièmement, il est bien connu que l’emploi du mot ky au début d’un verset, précisément lorsqu’il s’agit d’un ky d’affirmation, sert aussi à rattacher l’affirmation qu’il introduit au verset précédent (voir Qo 2,21.22.23.26 ; etc.). C’est d’autant plus vrai du ky qui se trouve au début du v. 20 que j’ai déjà montré que 7,19-20 constitue une petite unité.

Le mot ’dm, qui revient 49 fois dans le livre de Qohélet, a un sens universel : il ne désigne donc pas l’homme (’yš), mot utilisé dix fois dans le livre de Qohélet, mais bel et bien l’être humain[89]. Sa place en tête de la phrase vise ici à souligner son importance[90]. Le début de ce v. 20 annonce donc une déclaration qui caractérise l’humanité en général. C’est aussi ce qu’indique le mot ’r qui désigne non pas un pays[91], mais bien la terre, c’est-à-dire l’ensemble du territoire habité par les êtres humains (voir aussi Qo 1,4 ; 5,1 ; 8,14.16 ; 10,7 ; 11,2.3).

Cette déclaration qui a une portée universelle commence par la négation ’yn. C’est la sixième négation de la péricope (voir les cinq emplois de ’l en 7,16[2x].17[2x].18), suivie d’une septième au v. 20b, avec l’emploi du mot l’. Ces sept négations donnent un ton négatif à l’ensemble de la péricope. Toutefois, le ton négatif n’est pas propre à cette péricope, car ce petit livre de 222 versets contient un total de 130 négations : 65 emplois de l’, 21 emplois de ’l et 44 emplois de ’yn.

La négation porte ici sur le dyq qui qualifie le mot ’dm : ’yn dyq, littéralement « aucun juste ». D’aucuns estiment que le juste ici est celui qui est respectueux de la loi[92]. Cette interprétation suppose que Qohélet provient du même environnement socioreligieux que Ben Sira où Loi et sagesse sont identifiées (Si 24). Or, rien dans le livre ne permet de justifier un tel présupposé. Premièrement, le livre de Qohélet est bien antérieur à celui de Ben Sira. Deuxièmement, Qohélet n’utilise pas une seule fois le mot twrh et il n’emploie qu’à deux reprises le mot mwh, « commandement », et ce, dans des textes dont l’interprétation est très controversée (8,5 et 12,13). Troisièmement, pour Qohélet, le juste est plutôt celui qui est l’opposé du méchant (3,17 ; 7,15.16 ; 8,14[2x] ; 9,2). Le mot a donc une connotation morale, mais il n’est jamais directement en lien avec la Loi ou l’observance quelconque de lois. Pour Qohélet, le juste, c’est aussi l’équivalent du sage (7,16 ; 9,1). Cette équivalence entre juste et sage souligne bien le caractère relatif de la supériorité du sage soulignée au v. 19. C’est ce qu’indique clairement la négation ’yn qui précède le mot dyq.

La négation ’yn dyq ne signifie pas qu’il n’y a aucun juste. Autrement, elle contredirait l’observation de Qohélet, selon laquelle un juste peut périr dans sa justice (7,15). La suite de la phrase indique que cette négation vise plutôt à souligner qu’il n’y a pas d’être humain totalement ou parfaitement juste. Autrement dit, il n’y a pas d’être humain juste ou sage, à savoir (’šr) d’être humain ne faisant que du bien. L’expression ’šr y‘śh wb, « qui fait du bien » revêt ici un sens moral, comme c’est le cas dans les autres textes où le verbe ‘śh est suivi du mot wb (Gn 26,29 ; 2 S 2,6 ; Ps 14,1.3 ; 34,15). C’est aussi ce que confirme son antonyme « faire du mal » (‘śh + r‘ : Qo 4,17 ; 8,11.12 ; Gn 26,29 ; Ps 34,17). Toutefois, sachant que le mot wb est associé au verbe ‘śh à deux autres reprises pour désigner le bonheur (Qo 2,3 et 3,12), on peut en déduire que faire du bien (wb) c’est aussi avoir une conduite qui génère du bonheur (wb).

Le v. 19 se termine en opposant (wl’) l’expression « faire le bien » non pas à l’expression « faire le mal », mais au verbe t’. Il est notoire que les exégètes ne s’entendent pas sur la façon de traduire ce verbe qui revient sept fois dans le livre de Qohélet, dont six fois au qal (2,26 ; 7,20.26 ; 8,12 ; 9,2.18) et une fois au hiphil (5,5). En ce qui concerne le v. 19, certains le rendent par « pécher », estimant que le verbe a une connotation religieuse puisqu’il vise le rapport de l’être humain avec Dieu[93]. Bien qu’il traduise t’ par « pécher », Enns précise que ce verbe n’a pas de lien avec la désobéissance des lois de Dieu ; il signifie simplement que l’être humain est imparfait[94]. Ne donnant pas de connotation religieuse au verbe t’, d’autres le rendent par « errer[95] ». Il est bien connu que le sens ancien du verbe t’ est « manquer le but » (Pr 19,2 ; Jg 20,16) et que ce verbe a plus d’une fois chez les sages un sens non religieux ; par exemple, il peut être rendu par « échec » ou « gâchis » (Pr 10,16), « risquer » (Pr 20,2), « manquer » (Jb 5,24 ; Is 65,20). En Qo 7,19, le verbe t’ est opposé au mot wb, comme en Qo 2,26 ; 7,26 ; 9,2.18. Toutefois, ces textes, dont l’interprétation ne fait pas l’unanimité, n’éclairent pas forcément le sens du v. 19. En effet, en Qo 2,26 et 7,26, le mot wb désigne celui qui plaît à Dieu, tandis que le verbe t’ fait référence à celui qui lui déplaît. En 9,18, l’opposition se joue plutôt entre le gaffeur ou le maladroit et le bonheur ou le bien. Enfin, en 9,2, l’opposition entre t’ et wb a bien une connotation éthique. En 7,20, c’est également la connotation éthique qui s’impose : commettre une erreur (t’), c’est ne pas faire du bien, c’est ne pas être parfaitement juste ou parfaitement sage.

Sachant que les v. 19-20 constituent une petite unité, que le mot ky rattache les deux versets, que les mots sage (v. 19) et juste (v. 20) sont synonymes et que le v. 19 souligne la supériorité d’une force destructrice (‘zz) sur le pouvoir politique injuste et tyrannique (šlyym), il est permis d’affirmer que le proverbe du v. 19 illustre, à l’aide d’un exemple bien particulier, la vérité universelle du v. 20. Il est vrai que quelques exégètes ont signalé qu’une déclaration semblable sur l’imperfection humaine se retrouve ailleurs dans la Bible ainsi que dans la littérature ancienne du Proche-Orient et de la Grèce[96]. Toutefois, aucun exégète n’a remarqué que Qo 7,19-20 n’est pas le seul passage de la Bible où l’on trouve un lien entre une force meurtrière et une déclaration sur l’universalité de l’imperfection humaine. J’ai montré ci-dessus que ce lien se laisse entrevoir dans l’emploi du mot šbnwt en Qo 7,29. Par ailleurs, ce lien se trouve aussi explicitement dans d’autres textes bibliques : Is 59,4 (avec le mot dq), Ps 51,7 (avec le verbe t’), Gn 6,5 ; 8,21 (avec le mot r‘ / r‘h), Jr 5,1 (avec le mot mšp) et Mi 7,2 (avec le mot yšr). À ces textes s’en ajoutent deux autres qui méritent une attention encore plus particulière.

Le premier texte est le Ps 143,2 : ky l’ ydq lpnyk kl y, « car aucun vivant n’est juste en face de toi ». Ce texte — rapidement évoqué par D’Alario dans le seul but de justifier la présence du ky au v. 19 (voir supra, note 86) — a deux points communs avec Qo 7,20. Le premier, c’est l’emploi de la racine dq précédée d’une négation. Le second, c’est le lien entre une telle déclaration sur l’imperfection de l’être humain et la force meurtrière, plus précisément celle exercée par les ennemis du psalmiste (Ps 143,3-6). Le rapprochement avec le pouvoir meurtrier signalé en Qo 7,19 est d’autant plus intéressant ici que le verbe utilisé par le psalmiste pour décrire l’effet destructeur que l’ennemi a sur lui est le verbe šmm, à la forme très rare hitpalel, également employé en Qo 7,16.

Le deuxième texte est 1 R 8,46a qui est repris textuellement en 2 Ch 6,36a. Sachant, par exemple, que Qo 1,12ss pastiche en grande partie les textes des Rois et des Chroniques portant sur le règne de Salomon[97] et que la mention du chiffre « mille » en Qo 7,28 peut également être vue comme une allusion à 1 R 11,3, il n’est pas interdit de penser que Qo 7,20 fait allusion[98] à ce texte : ky yt’w lk ky ’yn ’dm ’šr l’ yt’, « quand ils auront péché contre toi — car il n’y a aucun être humain qui ne pèche » (1 R 8,46a = 2 Ch 6,36a). En effet, une comparaison des deux textes indique qu’ils ont trois points en commun. Premièrement, ils partagent le même vocabulaire (ky, ’yn, ’dm, t’) et visent la même déclaration anthropologique : nul n’est parfait. Deuxièmement, les mots ‘yr et ’r sont mentionnés aussi bien en Qo 7,19-20 que dans le récit relatif à Salomon (1 R 8,45.46 ; 2 Ch 6,34.36). Troisièmement, tout comme en Qo 7,19-20, la déclaration de l’universalité de la faute humaine est directement liée à la guerre meurtrière (1 R 8,45,46b-47 = 2 Ch 6,34-35.36b-37 ; voir aussi 1 R 8,33 = 2 Ch 6,24).

En résumé, force est de constater que Qohélet n’est pas le premier à souligner le lien entre la force meurtrière (v. 19) et l’universalité de l’imperfection humaine (v. 20).

Par contre, il y a deux différences importantes entre, d’une part, Qo 7,19-20 et, d’autre part, 1 R 8,46 ; 2 Ch 6,36 et Ps 143,2, et ces différences ont un caractère théologique.

Le psalmiste et les auteurs des livres des Rois et des Chroniques situent l’imperfection humaine en face d’un « toi » et contre un « toi » qui font référence à Dieu. De son côté, Qohélet ne fait aucune référence à un Dieu, ni au v. 20, ni dans les exemples qui suivent aux v. 21-22. Pour Qohélet, d’ailleurs, Dieu est trop transcendant pour qu’il puisse être tutoyé (5,1). En outre, contrairement au psalmiste et aux auteurs des livres des Rois et des Chroniques, qui se servent de cette déclaration sur l’universalité de l’imperfection humaine pour faire appel à la miséricorde divine, Qohélet s’en sert, non sans ironie, dans le simple but de modérer les attentes que l’on pourrait avoir à l’égard de la sagesse et de la justice des êtres humains (voir 7,16).

Conclusion

Qo 7,19-20 est un passage énigmatique qui pose des difficultés du point de vue textuel, structurel, grammatical, sémantique et référentiel. Du point de vue textuel, j’ai montré que le texte massorétique de ces deux versets ne nécessite aucune correction même si de vieux manuscrits comportent des variantes et d’anciennes versions témoignent de diverses traductions. Du point de vue structurel, j’ai relevé de solides indices qui révèlent que ces deux versets ne sont pas sans lien avec ce qui précède et ce qui suit, mais qu’ils forment néanmoins une petite unité autonome insérée dans une péricope qui va du v. 15 au v. 20. Pour bien comprendre ces v. 19-20, il est donc inutile d’imaginer l’intervention d’un réacteur quelconque ou de conjecturer la présence d’une ou de plusieurs citations. En effet, le v. 19 n’est en rien une citation de Pr 21,22 et 24,5-6, et le v. 20 est tout au plus une allusion à 1 R 8,46a (= 2 Ch 6,36a) et peut-être aussi au Ps 143,2.

Du point de vue grammatical et sémantique, j’ai rappelé les diverses interprétations proposées par les exégètes et j’ai toujours pris soin de justifier mes interprétations en prenant d’abord en considération le contexte immédiat (7,15-20), puis l’ensemble du livre et enfin le contexte biblique en général. En ce qui concerne le v. 19, j’ai réussi à montrer, d’une part, que le verbe ‘zz a un sens transitif et qu’il fait référence à une force meurtrière et, d’autre part, que le mot šlyym désigne des potentats. En outre, du point de vue référentiel, j’ai présenté quelques solides arguments qui permettent de conclure que les dix potentats ne font aucune allusion à un système politique quelconque. Le chiffre dix symbolise plutôt un nombre élevé de potentats et a donc une valeur hyperbolique. En somme, si un seul sage est plus fort que dix potentats dans une ville, c’est que sa force est présentée comme une force offensive et meurtrière. Autrement dit, le v. 19 apparaît comme un exemple concret d’une forme de sagesse excessive qui conduit à la destruction et que le v. 16 vient de dénoncer. Soulignant ensuite les liens entre les v. 19 et 20 — avec l’emploi du mot ky au début du v. 20, la double mention d’un lieu précédé de la préposition b (b‘yr et b’r) et la synonymie entre les mots sage et juste —, j’ai montré que le v. 19 peut être lu comme une illustration qui confirme la déclaration anthropologique du v. 20. Quant à cette déclaration du v. 20, j’ai mis en évidence qu’elle a une signification morale (‘śh wb et t’) et qu’elle vise l’ensemble de l’humanité (’dm et b’r). Enfin, une comparaison avec quelques textes où l’on trouve une déclaration anthropologique semblable, notamment 1 R 8,46a (= 2 Ch 6,36a) et Ps 143,2, m’a permis de comprendre que le lien entre la force meurtrière (Qo 7,19) et l’affirmation de l’universalité de l’imperfection humaine (Qo 7,20) n’est aucunement propre à Qohélet. Cependant, contrairement au psalmiste et aux auteurs des livres des Rois et des Chroniques qui se servent de cette déclaration sur l’universalité de l’imperfection humaine pour faire appel à la miséricorde divine, Qohélet, comme je l’ai bien souligné, s’en sert simplement dans le but de modérer les attentes que l’on pourrait avoir à l’égard de la sagesse et de la justice des êtres humains (voir 7,16 qui trouve un écho en 7,19-20). Cette invitation à la modération est d’autant plus ironique qu’elle est proposée par celui-là même qui prétend avoir surpassé en sagesse tous ceux qui ont existé avant lui à Jérusalem (1,16) et qui a vécu dans la plus complète démesure (2,1-11) ! Quant à Dieu, Qohélet n’en souffle mot aux v. 19-20 ; par conséquent, il n’attend aucune intervention de sa part. Par ailleurs, sachant très bien que nul ne peut prétendre infléchir sa volonté par un excès de sagesse ou de justice (7,16), Qohélet invite tout au plus à le craindre, c’est-à-dire à reconnaître sa transcendance (7,18).