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Cette contribution participe des recherches que je mène dans le cadre d’un projet centré sur les fonctions de la religion chrétienne dans la tradition du catholicisme. La problématique investie dans ce projet discute les stéréotypes de la religion comme vecteur de changement social et politique. Elle saisit les dynamiques politiques de la religion à travers l’engagement sociopolitique de l’Église catholique au Congo et revisite son offre normative de sens ainsi que son leadership organisationnel.

L’horizon épistémologique du projet de recherche ainsi présenté propose un rapprochement méthodologique entre les sciences des religions et l’analyse du discours. Il permet d’une part, d’approcher la religion comme une variable active des dynamiques sociales susceptibles de générer des comportements politiques[1]. D’autre part, il met en perspective une pragmatique de la parole épiscopale appliquée à la trame des relations de la religion avec la société globale. Il construit enfin une théorie du discours produit en contexte autoritaire par une institution hiérarchique qui exerce le contrôle et la contrainte sur l’énonciation, et entend réguler les pratiques ecclésiales en vue d’un changement sociopolitique.

Dans une perspective exploratoire, cette contribution a pour objet le Message de l’épiscopat congolais aux fidèles catholiques et à l’ensemble du peuple congolais : « Le peuple congolais a faim et soif de justice et de paix. Le courage de la vérité (cf. 2 Cor 7,14)[2] ». Publié suite à la crise née des élections présidentielles et législatives de novembre 2011, ce Message est une parole d’institution qui donne une visibilité et une lisibilité à l’institution Église. En mettant en évidence sa visée persuasive, ses modes d’argumentation et de légitimation des énoncés, je voudrais vérifier la plausibilité sociale et politique du discours des évêques. Ci-après, je me limite à la manière dont les évêques construisent leur identité et celle de leur auditoire ainsi qu’à la façon dont ils incitent ce dernier à l’action.

La première partie de cette contribution porte sur le cadre théorique et méthodologique des analyses. La deuxième partie présente la construction discursive des identités dans la parole épiscopale congolaise. La troisième partie dégage les caractéristiques de ladite parole épiscopale. L’article s’achève par une conclusion sous forme de perspectives.

I. Éléments théoriques et choix méthodologique

L’analyse du discours ne constitue pas une discipline homogène faisant l’objet d’une définition consensuelle. Multidimensionnelle, elle se retrouve au carrefour de plusieurs disciplines et donne lieu à plusieurs approches : énonciative, communicationnelle et sociolinguistique[3]. Elle offre plusieurs ressources : analyse critique du discours (Critical Discourse Analysis), sociolinguistique interactionnelle, analyse des récits et analyse du corpus informatisée. C’est non sans raison que R. Amossy insiste : « Toute étude se réclamant de l’analyse de discours se doit de préciser, ou tout au moins de manifester clairement, ce qu’elle entend par cette désignation[4] ». Je vais m’atteler à cette tâche en deux moments : circonscrire d’abord le cadre théorique de mes analyses et ensuite préciser ma méthode d’investigation.

1. Une recherche à l’aune de l’argumentation dans le discours

Mon analyse se nourrit des perspectives ouvertes par la Nouvelle Rhétorique telle que développée par C. Perelman et L. Olbrechts-Tydeca[5] au sens de l’étude des discours qui circulent dans la société sous l’angle de l’argumentation. J’inscris ma recherche dans la ligne de la théorie de l’argumentation dans le discours de R. Amossy[6]. De la rhétorique, R. Amossy retient un cadre de réflexion attentif aux moyens verbaux relatifs au logos, à l’ethos et au pathos tels que conçus par Aristote. Sans enclore le discours dans la tripartition aristotélicienne, à savoir le judiciaire, le délibératif et l’épidictique, elle l’ouvre à la diversification des discours grâce à la linguistique, à la pragmatique et à l’étude des interactions verbales. Aussi, la théorie de l’argumentation dans le discours cherche-t-elle à « décrire un fonctionnement discursif […] à montrer comment se construit une logique d’ensemble et comment elle se déploie dans la communication[7] ». Elle appréhende « les moyens verbaux qu’une instance de locution met en oeuvre pour agir sur ses allocutaires en tentant de les faire adhérer à une thèse, de modifier ou de renforcer les représentations et les opinions qu’elle leur prête, ou simplement de susciter leur réflexion sur un problème donné[8] ».

L’intérêt pour la visée d’influence du discours[9] m’amène à compléter les élaborations de R. Amossy par la théorie de l’argumentation de P. Charaudeau[10]. J’emprunte aux deux auteurs trois notions opératoires : l’ethos, l’agentivité rhétorique et le dialogisme. Ces notions présupposent celles de la doxa et de l’auditoire. Une présentation synthétique de ces notions éclaire la suite de l’analyse.

2. Les notions opératoires

La doxa ou opinion commune est « le savoir partagé d’une communauté à une époque donnée[11] ». C’est « l’espace du plausible tel que l’appréhende le sens commun[12] ». En tant que savoir collectif, la doxa regroupe « tous les préconstruits argumentatifs plus ou moins étoffés sémantiquement qui forment le répertoire du probable[13] ». Elle occupe donc une place importante dans le discours à visée persuasive et requiert que l’orateur s’adapte à l’auditoire, mise sur des points d’accord et des prémisses entérinées. L’espace doxique avec ses représentations et ses évidences modèle le discours et détermine la situation de discours. À cet égard, il importe pour moi de dégager le fondement « doxique » du discours épiscopal et de comprendre comment ce discours prend en compte la doxa de son auditoire.

C. Perelman définit l’auditoire comme « l’ensemble de ceux sur lesquels l’orateur veut influer par son argumentation[14] ». Il constitue un point central dans le discours argumentatif, car, précise-t-il, « c’est en fonction d’un auditoire que se développe toute argumentation[15] ». R. Amossy affirme que l’auditoire est une construction consciente ou inconsciente, volontaire ou involontaire de l’orateur. Il peut être homogène ou composite[16]. Il est homogène lorsqu’il est constitué d’un public qui partage une vision du monde, une doctrine, un programme avec l’orateur. Il est dit composite lorsqu’il est constitué de groupes très différents, voire concurrents, différenciés par leur caractère, leurs attaches ou leurs fonctions[17].

La construction de l’auditoire par les évêques paraît déjà dans l’adresse liminale. Celle-ci indique qu’on est en présence d’un auditoire composite[18] dont les destinataires nominaux[19] sont deux acteurs sociaux humains : les fidèles catholiques et l’ensemble du peuple congolais. Ce sont des acteurs génériques spécifiques[20] dont la présentation renvoie à des collectifs d’appartenance qui sont porteurs des valeurs. Ils constituent les groupes de référence. Les destinataires latéraux incluent des destinataires précis dont certains sont évoqués comme un tiers dans le discours et d’autres désignés explicitement dans les recommandations[21]. Le stéréotypage de l’auditoire, les évidences et les présuppositions partagées qui les concernent retiennent mon attention dans la mesure où les évêques s’adressent à un public divisé par les résultats des élections. S’adresser simultanément aux partisans du président sortant et à ceux du candidat de l’opposition requiert des évêques de jouer sur les valeurs, attentes, opinions et représentations du réel des uns et des autres, et donc, de construire un ethos assorti.

L’ethos est une stratégie de présentation de soi articulée autour du discours. R. Amossy l’approche comme l’image persuasive construite par l’orateur pour contribuer à l’efficacité de son discours et emporter l’adhésion de son auditoire[22]. Elle souligne que cette présentation de soi est une stratégie élaborée ou non, qui, en fonction des buts poursuivis, permet au locuteur de se construire une certaine scène d’énonciation dans laquelle il inscrit son discours pour rendre ses propos légitimes et crédibles. Le statut social participe aussi à la construction de l’ethos. R. Amossy parle en ce sens de l’ethos préalable. C’est « la représentation sociale qui catégorise le locuteur, sa réputation individuelle, l’image de sa personne qui dérive d’une histoire conversationnelle ou textuelle, son statut institutionnel et social[23] ». La notion d’ethos est opératoire dans l’analyse de la parole épiscopale. Elle permet de saisir les stéréotypes qui circulent sur les évêques, les images qu’ils se font de leurs destinataires, et comment ils modulent leur ethos discursif au regard de l’ethos préalable.

Je rejoins P. Charaudeau qui corrèle l’ethos avec la question de l’identité et le met en rapport avec des représentations sociales configurées en imaginaires sociodiscursifs[24]. Le déploiement des figures identitaires du discours politique se regroupe selon lui en deux catégories d’ethos : les ethos de crédibilité et les ethos d’identification[25]. L’ethos de crédibilité est le résultat d’une construction de l’identité discursive par le locuteur de telle sorte qu’il soit jugé digne de crédit par les autres. Il se déploie en ethos de « sérieux », « de vertu » et « de compétence[26] ». L’ethos d’identification puise ses images dans l’affect social : « […] le citoyen, au travers d’un processus d’identification irrationnel, fond son identité dans celle de l’homme politique[27] ». Les images qui caractérisent l’ethos d’identification du discours politique sont variées : l’ethos de « puissance », l’ethos de « caractère », l’ethos d’« intelligence », l’ethos « d’humanité », l’ethos « de chef » et l’ethos « de solidarité[28] ». L’analyse de ces ethos couplée à celle des images des destinataires dans le discours permet d’illustrer comment par la mise en place de l’ethos, les évêques construisent leur argumentation.

La désignation de l’auditoire répond au souci pragmatique des effets escomptés du message. L’influence sur l’auditoire est une incitation à le faire agir ou réagir. Le discours vise à influencer le savoir ou le comportement de l’auditoire. M. Leff articule l’agentivité autour du postulat que les locuteurs sont capables d’initiative et d’action, donc d’une responsabilité et d’une liberté d’influer sur le réel[29]. Comme le souligne R. Amossy, « le discours en situation comporte en soi une tentative de faire voir les choses d’une certaine façon et d’agir sur l’autre[30] ». C’est cette influence que j’appelle agentivité rhétorique au sens de « la capacité du sujet parlant à agir, c’est-àdire à user de la parole pour exercer une action et assumer des responsabilités dans la sphère publique[31] ». La notion d’agentivité sous-entend que « la parole est action et que l’orateur est un individu qui utilise délibérément les possibilités du discours pour exercer une influence sur le réel et intervenir sur le réel[32] ». Je la saisis autant du point de vue du locuteur que de l’auditoire auquel il s’adresse. Dans la ligne de D. Maingueneau, je considère le discours comme une « forme d’action sur autrui[33] » qui s’exerce sur trois plans : locutoire, illocutoire et perlocutoire[34].

La notion de dialogisme, importante par sa richesse dénotative et la complexité des sens qu’elle recouvre, a été un des concepts fondamentaux des travaux de M. Bakhtine. Elle renvoie aux relations que tout énoncé entretient avec les énoncés antérieurs qui circulent ainsi qu’avec les énoncés postérieurs que pourraient produire les destinataires. Les travaux entrepris à la suite de M. Bakhtine distinguent le dialogisme interdiscursif du dialogisme interlocutif. Le premier se rapporte aux relations entre les énoncés produits par un locuteur et ceux produits par un autre locuteur sur le même objet[35]. Le second concerne les anticipations par le locuteur des questions, réponses et objections des destinataires[36]. À la lumière des travaux sur l’interdiscours, il est intéressant de saisir la parole des évêques dans la circulation des discours dont elle participe en montrant comment, en fonction d’autres paroles, elle se construit, convoque des énoncés préalables et se tisse dans la trame du déjà dit.

3. Choix méthodologique

Pour rendre compte de la manière dont les évêques construisent leur image et celle de leur auditoire, l’analyse va porter exclusivement sur l’opérationnalité des concepts empruntés aux auteurs de référence ainsi qu’aux indices énonciatifs (déictiques, les verbes et les modalisateurs), référentiels (l’analyse des champs sémantiques, la nature des arguments, les modalisateurs) et organisationnels (les connecteurs et la progression thématique). Pour cette étude exploratoire, je fais le choix méthodologique de ne pas recourir à l’analyse lexicométrique ni aux logiciels d’exploitation documentaire.

II. La construction discursive des identités

Étudier le Message de l’épiscopat du point de vue des identités discursives, revient à mettre en lumière l’image que les évêques construisent d’eux-mêmes et celle qu’ils se font de leur auditoire. C’est aussi préciser la nature des relations que les évêques entretiennent avec leurs destinataires. Les évêques ont une identité sociale au nom de laquelle ils prennent la parole. Selon P. Charaudeau, l’identité sociale est « ce qui donne au sujet son “droit de parole”, ce qui le fonde en légitimité[37] ». Reconnue par les autres, elle est un « attribué-reconnu », un « construit par avance[38] » qui, s’agissant des évêques, résulte d’une position de pouvoir reconnu par institutionnalisation. La légitimité extratextuelle (identité sociale) se double d’une autre intratextuelle (identité discursive). Celle-ci correspond à un double enjeu de « crédibilité et de captation[39] ». L’enjeu de crédibilité concerne la sincérité et la vérité des propos du locuteur. Il amène les évêques à se construire une image pour être cru. Dans cette ligne, ils prennent plusieurs attitudes discursives, allant de la neutralité (absence de toute marque de jugement et d’évaluation personnelle dans le discours), la distanciation (adoption de l’attitude froide et contrôlée du spécialiste exempt de toute passion), l’engagement (prise de position ou évaluation personnelle) à une attitude démonstrative (imposition de leurs arguments)[40]. Tenant compte de l’enjeu de captation, les évêques tentent de persuader leur auditoire en prenant des attitudes discursives qui vont de la polémique (mise en cause des valeurs de l’auditoire), la séduction (proposer à l’auditoire un imaginaire qui le valorise) à la dramatisation (susciter les émotions de l’auditoire)[41]. C’est ce que laisse apparaître le choix des arguments et des mots, les valeurs argumentatives des connecteurs, des marqueurs, les indices énonciatifs, référentiels et organisationnels. Ceci m’amène à proposer une analyse énonciative, référentielle et argumentative. Mais il faut d’abord présenter brièvement le contexte d’émergence du Message que j’analyse.

1. Situation et cadre d’énonciation[42]

Il importe pour une meilleure intelligence du Message des évêques congolais de rappeler les circonstances sociohistoriques qui l’ont occasionné et de préciser ses coordonnées spatiotemporelles. Il convient, dans cette ligne, d’articuler les formes discursives et les lieux socio-institutionnels dans lesquels elles s’élaborent à un moment historique précis[43]. Je vais fixer le contexte énonciatif et, donc dans la ligne des travaux de D. Maingueneau, « lier une organisation textuelle et un lieu social donné[44] ».

Outre l’insécurité à l’est du pays, les élections présidentielles et législatives se sont déroulées dans un contexte marqué par une violence multiforme. Caractéristique de la période pré-électorale, cette dernière a émaillé la période électorale et s’est prolongée après les élections. En amont de l’acte opérationnel du vote, se dispensant d’une large consultation, dans une parodie de consultation parlementaire, après avoir institué la dépendance du pouvoir judiciaire à l’égard de l’exécutif, non sans avoir évacué tout débat public sur la question, et à coup sûr, la corruption rampante déployant ses effets nocifs, le pouvoir en place avait révisé la Constitution. De deux tours, l’élection présidentielle avait été ramenée à un tour[45]. La nouvelle loi électorale a été un leurre accompagné d’une instrumentalisation de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) dont les membres, de même que ceux de la Cour suprême de justice, étaient nommés par le pouvoir en place et lui étaient redevables.

  1. Les accommodements choisis par le pouvoir en place n’ayant reçu qu’une dénonciation molle de l’épiscopat[46] et une réaction feutrée de l’opposition, la dépendance du mode de scrutin présidentiel aux opportunités et manoeuvres de la Majorité présidentielle était une évidence inéluctable. Le dévoiement du vote libre et de la loyauté électorale amorcé par la Majorité présidentielle a fait le lit du brouillage des élections. Il a consolidé des dynamiques sociales et politiques du clientélisme, du corporatisme, de la corruption et de l’impunité. Serveurs inaccessibles à l’opposition, monopolisation des fonds publics et des médias au profit de la campagne du président sortant, attaques contre la liberté d’expression et d’association, coercition et répressions ouvertes, achats de vote, monopole et utilisation impudente de la radio et de la télévision nationales, délire verbal et surenchère démagogique avec des émissions publiques qui annulent tout débat possible, intimidation des leaders de l’opposition, administration électorale partiale, procès-verbaux contradictoires, manipulation et impossibilité de vérifier les résultats[47]. Autant dire que la stratégie de la Majorité présidentielle et de ses courants politiques avait réduit de bout en bout les élections en une négation de la souveraineté populaire, bref, un expédient technique dont la finalité était la réélection du président sortant.

  2. En recourant au mensonge organisé, à une tricherie moins subtile, mais planifiée, le pouvoir en place s’est livré à une violence sociopolitique multiforme : institutionnelle, verbale et physique. Cette violence récurrente aux limites de la délinquance a dépassé les bornes après la publication, le 9 décembre 2011, des résultats provisoires des présidentielles.

  3. À titre personnel, l’archevêque de Kinshasa a le 12 décembre 2011 fustigé la vérité officielle de la CENI et récusé la débâcle électorale. En proférant une parole publique sur les antennes de la Radio Télévision Belge Francophone, il avait reconnu E. Tshisekedi vainqueur des élections présidentielles[48]. Il s’en est suivi une série de réactions controversées dans l’espace public allant de la colère et de l’indignation aux menaces, sur fond d’une crise ouverte entre le cardinal L. Monsengwo et le pouvoir en place.

  4. Plusieurs partis politiques formèrent une coalition autour d’E. Tshisekedi qui, dans une sorte de sanction funèbre, était assigné à résidence par le pouvoir en place. Mais à dire vrai, cette privation de liberté ne l’empêcha pas de s’autoproclamer président légitimement élu. D’autres partis politiques virent leurs ressources fluctuer au gré des opportunités du marché politique[49]. En tout état de cause, on était dans une conjoncture politique fluide[50]. Cette conjoncture historique marquée par le dévoiement du processus électoral constituait une hypothèque grave à la consolidation de la démocratie. La dérive autoritaire a engendré une crise entraînant un déplacement du rôle joué par les évêques dans l’espace public. D’observateurs de la crise post-électorale, ils sont devenus producteurs d’une parole de décision. Au terme d’une session extraordinaire tenue du 9 au 11 janvier 2012 au siège de la Conférence épiscopale nationale du Congo (CENCO) à Kinshasa, le corps épiscopal dans son ensemble s’était prononcé sur la crise post-électorale dans le Message que j’analyse.

2. L’organisation du Message

« On ne peut persuader sans ordre, sans un arrangement qui plaise au coeur et à l’esprit[51] », aime à souligner A. Kibédi Varga. La trame première de tout discours est la distribution, la division et le classement des arguments. C’est ce que les traités de rhétorique appellent la Disposition.

L’arrangement de la structure du Message sur la crise électorale correspond à la forme canonique des Messages de l’épiscopat congolais. Cette forme s’inspire de celle des discours antiques et procède par l’exorde, la narration, la confirmation et la péroraison. Elle norme une disposition textuelle obéissant à une « grammaire » relativement rigoureuse qui suit un schéma formalisable et récurrent dont elle observe les contraintes : un titre avec un sous-titre tiré de la Bible[52], suivent la mention des destinataires et le Message proprement dit, organisé, en paragraphes de longueur inégale. Ces derniers sont numérotés et regroupés en unités sous un titre (introduction, acquis du processus électoral, défaillances, notre mission prophétique, la paix dans la vérité, atteinte à l’intégrité et à la dignité des personnes, recommandations, conclusion).

L’exorde comprend l’introduction qui consiste en des souhaits adressés au peuple congolais (§ 1), la cible[53] dont les évêques veulent concilier la bienveillance (§ 2). Vient ensuite la problématisation au § 2 qui s’ouvre par le cadrage de la situation. C’est ici que les évêques construisent leur compétence à s’exprimer dans l’espace public. Ils précisent sur quoi a porté leur travail concerté et le pourquoi de ce travail : « Tirer les leçons du processus électoral en cours ». Cette thématique tient aussi lieu de fait discursif problématique. L’exorde s’achève au § 3 par une série de louanges adressées à l’auditoire.

La narration couvre les § 4 à 6 et déploie des propositions constatives. Elle développe la séquence problématique à travers des propositions constatives et verdictives[54]. Les propositions constatives donnent aux destinataires des informations indispensables basées sur une présentation objective des faits. Elles sont verdictives[55] au sens d’énoncés performatifs qui portent un jugement éthique. Ces énoncés se rapportent à ce qui, du point de vue de l’épiscopat, est perçu comme négatif et non recommandable (§ 4). Les « irrégularités et faiblesses inquiétantes » du § 4 sont reprises respectivement au § 5 (défaillances) et au § 6 (irrégularités).

La confirmation (argumentation selon certains auteurs) s’étend du § 7 au § 13. Le § 7 est une réfutation construite autour du noyau doctrinal qui est développé dans la ligne de l’orthodoxie selon une structure redondante. Dans cette ligne, les évêques disposent leurs arguments en invoquant d’abord l’autorité du pape Benoît XVI (§ 7), ensuite celle des valeurs (§ 8). Combinant enfin les deux autorités précitées, ils précisent la mission de leur Église (§ 9). Les § 10 et 11 constituent une récapitulation qui explicite les § 4 à 6 et livre des propositions constatives relatives à la violence. Le § 12 est une proposition normative-résolutoire qui pose en creux le pôle que les évêques condamnent : la violence. Au § 13[56], une série de propositions normatives-délibératives propose des normes et des références pour l’action en déterminant les orientations et les engagements en vue du changement sociopolitique.

La péroraison s’étend du § 14 au § 15. Elle reprend le cadrage de la situation : « Un temps d’incertitude et d’angoisse » et condense les valeurs phares pour la reconstruction du Congo (§ 14). Le message qui s’est ouvert par des souhaits de bénédiction forme une inclusion avec le dernier paragraphe et s’achève par une prière à la Très Sainte Vierge Marie, Reine de la paix et Notre-Dame du Congo (§ 15).

3. Les marques énonciatives de l’identité discursive des évêques

L’organisation énonciative du discours épiscopal construit une image des évêques et de leur auditoire qui puise aux valeurs, attitudes, évidences partagées et aux soubassements doxiques. Les représentations sociales qui circulent dans l’espace public congolais sur l’Église catholique voient en elle un protagoniste de la justice et de la paix sociales. En un temps où d’autres confessions chrétiennes se fourvoient dans le soutien tacite ou explicite du pouvoir en place, l’Église catholique demeure le seul contre-pouvoir capable de remettre en cause la légitimité du régime tant dans son rapport à la légalité (légitimité dite rationnelle ou positive) que dans son rapport aux valeurs (valeurs chrétiennes et démocratiques notamment le respect des droits de l’homme). Qui plus est, les évêques se sont investis dans la préparation des Congolais aux élections et se sont engagés à exercer une expertise électorale en déléguant 30 000 observateurs catholiques. Ces représentations communes se nourrissent de la position institutionnelle des évêques et de leur Église. Elles participent à l’ethos préalable de l’épiscopat, mais ne sont pas ne varietur.

En effet, avec la crise électorale, elles ont connu quelques érosions qui déteignent sur la neutralité politique supposée des évêques. C’est dire combien les rumeurs sur l’allégeance d’une partie de l’épiscopat au projet politique du pouvoir et sa caution tacite à la fiction de la réélection du président sortant ont saturé l’espace public. De fait, divisé par des disparités d’appartenance entre l’est et l’ouest, affaibli par l’inconstance de ses prises de position, l’épiscopat congolais est considéré comme partisan et partial. Cette représentation lui assigne une image négative sur fond du reproche de légitimer un pouvoir contesté par une bonne partie de la population congolaise. Cet ethos préalable va être retravaillé par l’épiscopat à travers la reconstruction d’un ethos qui confère à son discours la force de persuasion.

L’indexation de l’identité des évêques se fait à travers l’énonciation des signataires et la mention explicite de leurs titres (Cardinal, Archevêques et Évêques)[57] ainsi que le rappel du statut social et institutionnel de l’épiscopat (membres de la Conférence épiscopale nationale du Congo). Le caractère fortement institutionnel des évêques est décliné dans l’introduction (§ 2). L’instance de locution du Message épiscopal ne constitue pas une réunion d’évêques indifférenciés, mais un bloc uni. Elle se désigne de manière générique par l’acronyme « CENCO ». Il s’agit des « individus sociaux généraux » ayant « une oeuvre commune à accomplir et notamment une oeuvre discursive[58] ». L’institution qui s’exprime à travers eux se construit une image positive d’unité (ce qui corrige l’image d’un épiscopat désunie face à la crise électorale).

Dès l’abord, l’attitude discursive que les évêques adoptent réactive leur identité sociale et fonde leur légitimité à s’exprimer. Elle leur permet d’attester leur compétence et crédibilité à travers l’évocation du travail concerté sur des données objectives et la mention de la prière (§ 2)[59]. Lecteurs autorisés de la parole de Dieu, les évêques s’identifient comme « des guetteurs pour le peuple de Dieu » (Ez 3,17), « des veilleurs » (Is 21,11) (§ 7). Ils s’attribuent un ethos[60] qui les légitime à produire une parole religieuse d’institution et fonde la confiance de l’auditoire en l’institution. Leur auto-compréhension comme instance dirigeante et lieu légitime de production des normes et d’attestation des pratiques s’accompagne d’un mouvement justificatif de leur désengagement. Il s’agit de rassurer les partisans du président « réélu ». Leur mission ne les engage pas « à prendre en main la bataille politique pour édifier une société la plus juste possible » (§ 7). Elle n’entame pas leur impartialité : « Nous ne plaidons pas pour un parti politique », poursuivent-ils (§ 7). Au demeurant, l’accomplissement de leur mission prophétique (§ 7) et de leur mission de vérité (§ 9) ne les sépare pas du peuple congolais ni avec les compatriotes vivant à l’étranger (§ 12). Avec les premiers, ils établissent une relation de solidarité, car comme d’aucuns parmi les paisibles citoyens, ils ont eux aussi été victimes de la violence gratuite du pouvoir en place (§ 11). Avec les seconds, ils partagent le souci pour un Congo nouveau (§ 12).

Les évêques recourent plusieurs fois au pronom personnel « nous ». Avec 31 occurrences[61], ce désignant signale la trace du sujet énonciateur. L’usage massif de « nous » énonciateur s’adosse à 28 emplois explicitement personnels accompagnés des verbes actifs et des expressions performatives. Le « nous » exprimant une énonciation collective renvoie à un corps constitué et demeure « la marque d’une parole plurielle renvoyant à un ensemble de signataires[62] ». Comme le note si bien R. Amossy, il alterne avec la désignation de l’entité qu’il recouvre, en l’occurrence la Conférence Épiscopale nationale du Congo (CENCO)[63]. On dénombre seulement 3 emplois inclusifs de « nous » qui opère comme une instance patriotique au service de la construction du pays. Les deux premiers emplois incluent le peuple, le Gouvernement et les évêques (§ 3). Le troisième inclut les évêques et les compatriotes vivant à l’étranger (§ 12).

La configuration auto-énonciative du « nous » révèle que les évêques assument leur discours, affichent l’unité de l’épiscopat et projettent l’image d’un corps mu par un ethos de légitimité (§ 2), de probité morale (§ 2), de responsabilité (§ 6), de compétence politique (§ 7), mais aussi de vulnérabilité (§ 11). Ce faisant, l’épiscopat construit une image de soi, un ethos collectif [64] qui, à plus d’un titre, s’adapte à la doxa d’un auditoire composite. Ils accordent enfin une valeur inclusive au désignant « notre » appliqué respectivement à l’Église (§ 2), au pays (§ 2, 3, 4, 5, 13 et 14), au peuple (§ 3), à leur message (§ 4), à la mission (§ 7), à la jeunesse (§ 9), au divin maître (§ 12), à la foi et à la confiance (§ 14). Ils appliquent le désignant « nos » aux fidèles (§ 2 et 12) et aux compatriotes (§ 13).

Cependant, les évêques effacent aussi la marque de leur subjectivité en recourant au pronom indéfini « on » (§ 5, 6, 8 et 9). Ce choix de stratégie discursive ne leur permet pas d’assumer explicitement leur identité. Je vais y revenir.

L’autoreprésentation des évêques est une voix collective, qui projette une image de soi d’hommes experts et unis, intègres et impartiaux, fiables et idoines, patriotiques et compétents, responsables et légitimes, véridiques et objectifs, crédibles et par ailleurs vulnérables, qui travaillent de manière concertée. Cette autoreprésentation des évêques participe à la force de la persuasion de leur Message. Elle est une construction qui suppose une approche de l’identité de l’auditoire. Comment les évêques l’inscrivent-ils dans leur discours ?

4. Trois champs sémantiques du Message

Les paramètres linguistiques qui servent de dispositifs représentatifs des acteurs sociaux renseignent sur les références identitaires des évêques. Ils rendent compte de la manière dont les identités collectives sont construites dans leur discours. Pour dégager l’identité des destinataires du Message épiscopal, j’explore son champ sémantique en limitant l’investigation à trois termes : « Peuple congolais », « fidèles » et « compatriotes ».

Tel que libellé dans le titre du Message de l’épiscopat, le syntagme « Le peuple congolais » indique d’entrée de jeu un acteur social par excellence qui constitue un des groupes de référence (9 occurrences). Comme repère de sens, il joue un rôle agentif exprimé par la quête de la justice et de la paix.

C’est par le syntagme « ensemble du peuple congolais » que les évêques réfèrent les destinataires préposés à l’action[65]. Sa construction est intéressante. En effet, ensemble est une valeur agrégative, globalisante qui est corrélée à une notion sociologique : « Congolais ». Le syntagme renvoie à la communauté politique historique qui constitue la Nation congolaise référée aux valeurs chrétiennes et démocratiques (§ 13a). « Ensemble du peuple congolais » fonctionne donc comme une catégorie politique et morale plutôt que démographique. À ce titre, il n’est pas une abstraction, mais une unité de sens importante qui englobe tant les partisans du président « réélu » que ceux du candidat malheureux. C’est ce « peuple congolais tout entier » que les évêques convient à « s’unir autour des valeurs chrétiennes et démocratiques de justice et de vérité, de croître dans la conscience de son unité nationale » (§ 13a).

Les représentations de la vie collective que le message des évêques charrie se rapportent à la maturité et au civisme du peuple (§ 3), à son pouvoir de souverain primaire, à son auto-détermination et à l’unité nationale (§ 13a). La représentation identitaire que les évêques se font du peuple congolais se structure autour de la construction du pays (§ 3), de la consolidation de la culture démocratique et de la pacification du pays (§ 9) et de son inscription dans le registre des nations respectables et dignes (§ 4). L’identité donnée à l’auditoire étant plurielle et construite sur le mode collectif plutôt qu’individuel, les évêques conceptualisent la catégorie « peuple congolais » comme un principe de l’identité communautaire. Ils lui donnent une connotation idéologique dont le but est d’amener l’ensemble de la population à « s’unir autour des valeurs chrétiennes et démocratiques » (§ 13a).

Quel degré d’agentivité lui reconnaissent-ils ? Comment les évêques manifestent-ils leur volonté de l’inciter à agir ? Peuple congolais a une agentivité faible. L’examen de ses occurrences révèle qu’une seule lui impute le rôle d’agent (au § 13a, le peuple est invité à s’unir), les autres lui appliquent des verbes passifs et aucun énoncé performatif. Son statut est celui de bénéficiaire, les évêques seuls étant les agents.

Le deuxième champ sémantique du Message concerne le lexème « fidèles » (4 occurrences). Ce lexème désigne des destinataires nominaux et/ou naturels situés dans un réseau relationnel. Ils sont présentés d’un ton affectueux (§ 2 et 12) comme sensibles et choqués par le déferlement de la violence envers leurs pasteurs (§ 10). Ils sont invités à la non-violence (§ 12). Leur évocation s’accompagne d’un relent de paternalisme de la part des évêques qui, au demeurant, ne leur réservent aucune action.

Le troisième champ sémantique, le lexème « compatriotes », revient une seule fois au § 12 pour désigner les Congolais vivant à l’étranger. Les évêques les désignent d’une manière affective (nos compatriotes). Ils partagent avec eux le même souci d’un Congo nouveau, reconnaissent leurs sacrifices et les invitent à la non-violence.

III. Les composantes rhétoriques et le cadre générique de la parole épiscopale

En m’inspirant de la distinction établie par bon nombre de traités de rhétorique, je dégage dans les lignes qui suivent l’ordonnancement des parties de la rhétorique dans le Message. Sans les analyser toutes, j’examine celles qui éclairent mon propos et qui correspondent à l’inventio et à l’elocutio. La dispositio ayant été analysée supra, je ne la reprends pas ici. Je laisse aussi de côté la prununtiatio et la memoria. L’attention sera portée aux composantes éthiques (ethos), argumentatives (logos) et pathétiques (pathos). Il me restera encore à développer de quelle manière ces différentes composantes sont normées par le genre.

1. De quelques agencements rhétoriques

De manière générale, on constate que le Message de l’épiscopat congolais a comme présupposé que les élections se sont déroulées dans un climat de cafouillage qui déteint sur les résultats officiels. Il est construit autour d’un topos doxique : la vérité des urnes. À ce titre, il rejoint une partie de l’opinion commune : les résultats publiés ne reflètent pas la réalité ni ne sont conformes à la vérité des urnes. Mais, il y a aussi une autre opinion dont il faut tenir compte et qui, en dépit de quelques irrégularités qu’elle banalise, revendique la validité des résultats publiés. Pour construire un ethos approprié et tenir un discours consensuel, les évêques tiennent compte du savoir partagé et s’appuient sur l’expertise des observateurs catholiques et donc, sur des données chiffrées et objectives. Ils mobilisent comme sources les textes du magistère, des principes moraux et des référents normatifs. Ils recourent aux voies argumentatives du logos, de l’ethos et du pathos qu’ils articulent au noyau doctrinal et au savoir du sens commun.

Le cadre de référence du discours épiscopal est la mémoire collective de l’Église (Écriture et Tradition). Les évêques recourent à un locuteur qui fait autorité : le pape Benoît XVI. C’est lui qui fait office de lecteur de la mémoire collective. L’appropriation par l’épiscopat de sa lecture aboutit à une réécriture qui retient comme passages de l’Écriture Is 21,11 ; 1 P 3,15 ; Ap 22. Les extraits retenus sont connus des fidèles catholiques. Ils se rapportent respectivement au rôle prophétique de l’Église et à son espérance. Ils justifient sa prise de parole publique. L’appel à une autorité légitimée et autorisée[66] a valeur de caution et valide l’initiative des évêques de s’exprimer sur une question aux enjeux sociopolitiques importants. Il renforce leurs arguments, garantit la validité et l’orthodoxie de leur énonciation tout en confirmant leur souci de s’inscrire dans la continuité de la Tradition d’une Église qui, depuis toujours se fait « l’écho du cri silencieux des innocents persécutés, ou des peuples dont les gouvernements hypothèquent le présent et l’avenir au nom d’intérêts personnels » (§ 7). Cette continuité se vérifie, pour l’épiscopat congolais, tant dans le recours au magistère pontifical dont deux documents sont cités[67] que dans le renvoi aux discours antérieurs des évêques congolais[68]. Le noyau doctrinal se ressource donc dans une tradition qui garde une filiation argumentative avec d’une part, l’enseignement du pape et d’autre part, une « tradition particulière » : l’enseignement des évêques congolais. Cette ordonnance des arguments de façon endogène (rappel des écrits précédents, inscription dans une tradition) est complétée par une ordonnance de façon exogène, articulée essentiellement autour des propositions implicites. On peut dire à la suite de R. Amossy qu’il y a « mémoire générique » dans la mesure où les évêques développent un dialogisme interdiscursif avec la plus haute autorité de l’Église.

Les évêques s’adressent à un tiers dont ils réfutent les requêtes appuyées qui sont audibles dans l’espace public. Intégrant le dialogisme interlocutif, ils prévoient les objections, accusations implicites et y répondent (§ 4, 7, 9). Bien que n’étant pas nommés, les auteurs des énoncés antérieurs ici réfutés ne sont pas inconnus des destinataires nominaux[69]. L’argumentation des évêques au § 7 s’appuie sur l’évocation de leur communauté de pensée avec le chef suprême, la plus haute autorité de l’Église catholique, le pape Benoît XVI[70]. Ce renvoi suffit, d’après les règles du genre, pour rendre l’accusation nulle et sans objet.

Les évêques développent aussi une interaction argumentative avec les destinataires de leur Message en recourant à des propositions implicites à valeur doxique. Les destinataires qui ont adhéré à la thèse du Message articulé qu’il est autour du « courage de la vérité » sont conviés, à partir de la doxa commune, à reconstruire et à compléter leurs propositions[71]. Ainsi au § 4, le souhait d’« inscrire le pays dans le registre des nations respectables et dignes » implique le raisonnement implicite suivant : le Congo n’est pas une nation respectable ni digne. Au § 5, avec l’allusion à « ce qui se passe présentement au niveau de la compilation des résultats des élections législatives[72] », l’implicite doxique renforce les réserves sur la crédibilité du processus électoral et fustige l’incompétence ainsi que la probité des organisateurs des élections. Il ne laisse aucun doute sur leur amateurisme doublé d’une incompétence crasse[73].

Au même § 5, l’usage d’un verbe constatif standard qui a une valeur évidentielle ressource le Message dans l’observation objective des faits[74]. En effet, le verbe « noter » livre les faits qui fondent l’assertion relative au processus électoral et précise son déroulement. Il renseigne aussi sur la manière dont les faits ont été obtenus : co-observation d’éléments de preuves (rapport final de la mission d’observation et témoignages de divers diocèses et d’autres sources). En activant une doxa qui discrédite les organisateurs des élections, le lexique évaluatif participe à la stratégie de persuasion des évêques et s’achève par une émotion intense. Les évêques l’expriment en recourant au présentatif « objectif » impersonnel « c’est » : « C’est une honte pour notre pays » (§ 5).

Le recours à l’impersonnel fait partie des stratégies discursives de l’épiscopat. Les évêques emploient souvent une modalité impersonnelle (« on » anaphorique) qui leur confère la neutralité et l’objectivité. Ce qui leur interdit aux § 6 et 8 de nommer leur cible (les gouvernants). Cela dit, au § 9, le « on » est couvert d’un flou référentiel. Il renvoie soit aux évêques, à l’auditoire ou à un tiers ou encore aux trois référents à la fois. Au § 14, les pistes pour la recherche des voies pour bâtir la paix sont exprimées par l’impersonnel « il faut ». On retrouve la même quête d’objectivité au § 6 avec l’usage de trois différentes tournures impersonnelles : « Si l’on prend », « il est donc indiqué », « c’est l’heure ».

Les évêques recourent à l’enthymème au § 5 pour qualifier le processus électoral en cours. L’implicite mobilisé ici croise la connaissance préalable d’une partie de l’auditoire avec laquelle les évêques partagent la même doxa. La proposition implicite à reconstruire disqualifie la CENI. Ce qui leur permet au § 6 de renchérir : « Le processus électoral a été entaché de graves irrégularités qui remettent en question la crédibilité des résultats publiés ». Les évêques sous-entendent que les résultats proclamés ne sont pas crédibles[75]. Les éléments manquants de leur proposition infèrent l’illégitimité du président « réélu ». Le jeu de l’implicite caractéristique de ce paragraphe se retrouve aussi dans l’argumentation du § 8 dont l’affirmation qui est sous-entendue est qu’il n’y a pas de démocratie au Congo. L’impensé du discours épiscopal laisse aux destinataires attentifs l’opportunité de compléter et de reconstruire leurs affirmations importantes.

Devant consolider l’unité de l’ensemble du peuple congolais et réaffirmer son identité au regard d’une crise électorale qui déconstruit le système des valeurs et promeut des antivaleurs, les évêques ne s’empêchent pas de recourir à des substantifs axiologiques : maturité et civisme (§ 3), courage et honnêteté (§ 6), culture de tricherie, de mensonge et de terreur, de militarisation (§ 8), non-violence (§ 12) ; et aux adjectifs évaluatifs axiologiques : respectables et dignes (§ 4), inacceptable (§ 5), graves, grandeur (§ 6), flagrante (§ 8), égoïstes (§ 14). En recourant à l’énumération, ils insistent sur la débâcle électorale qui déteint sur la probité morale des organisateurs. Ce ressourcement dans l’axiologique sociale suscite chez une partie de l’auditoire un sentiment de rejet et une disqualification des organisateurs. En rejoignant par ce biais leur doxa, les évêques livrent les causes de leur fierté et de leur indignation. Ils saluent la détermination du peuple (§ 3) félicitent le gouvernement, les observateurs et les témoins électoraux (§ 3). Ils font une complainte sur le peuple (§ 8) et sollicitent les sentiments de l’auditoire (§ 10 et 11). Ils valorisent les compatriotes vivant à l’étranger et reconnaissent leurs sacrifices (§ 12). La violence manifestée à l’égard des autorités religieuses, des ecclésiastiques et des paisibles citoyens est reprise sous une forme amplifiée au § 11. Cette dramatisation légitime l’engagement des évêques (§ 8) et justifie celui du peuple congolais (§ 12). Après avoir suscité l’émotion d’un auditoire habitué au respect de la vie et des autorités religieuses (§ 10 et 11), les évêques invitent le peuple à l’optimisme, à contrôler ses émotions et ses sentiments (§ 13a).

En tant que pasteurs, forts de leur ethos, les évêques assument pleinement leur discours. Ils recourent au présent des verbes illocutoires qui ont une dimension argumentative. Ils sont de type assertif (louer, désapprouver, estimer, dénoncer), directif (inviter, recommander, demander), déclaratif (bénir, condamner), expressif (féliciter) et engageant (offrir)[76]. Le passé composé est utilisé pour introduire une visée rétrospective et rappeler des discours antérieurs dans le but de conforter leur prise de position en vue d’éclairer la situation. Ainsi en est-il au § 4. Cette manière de procéder permet aux évêques au § 5 de mettre en regard le présent et le passé. De cette manière, l’auditoire n’a pas de peine de conclure à leur suite qu’il y a eu débâcle électorale.

Sous le mode promissif, les évêques usent des verbes pronominaux d’engagement suivis d’un infinitif. Le recours au futur dans le premier usage exprime la détermination des évêques que vient renforcer l’infinitif dénoncer, un verbe illocutoire assertif. Leur détermination entend conjurer « la mise en péril de l’édification d’un État démocratique » (§ 8). Elle est porteuse implicitement de la modalité devoir. « Nous ne nous lasserons pas de dénoncer » (§ 8) peut se lire donc comme « nous devons dénoncer », c’est-à-dire rendre public cela même qui hypothèque la construction d’un État démocratique. La temporalité projective sous-entend un rôle déjà accompli dans le passé et que les évêques viennent d’actualiser. C’est le même rôle qu’ils décident de reconduire à l’avenir. Le deuxième usage recourt de manière explicite à la modalité pouvoir : « Nous ne pouvons pas nous taire » (§ 11). La détermination proclamée des évêques s’accommode aussi des modalités volitives adossées à la paix : « Nous voulons la paix », « la paix que nous voulons » (§ 9 et 14). Elle décline un ethos d’autorité. L’intention des évêques est claire : persuader l’auditoire que leur engagement est résolu et que les actions qu’ils annoncent seront réalisées.

C’est par ailleurs ce que confirme le choix des indicateurs temporels : aujourd’hui, présentement (§ 5), dans le contexte actuel (§ 8), l’heure actuelle (§ 14). Il en est de même de l’emploi récurrent des locutions adverbiales ayant un statut illocutoire : souverainement (§ 3), impérativement (§ 4), vivement (§ 4 et 13), réellement (§ 12). Ce sont autant d’indices qui illustrent l’urgence certaine de l’engagement des évêques.

La structure argumentative du Message des évêques s’articule autour des connecteurs argumentatifs : par ailleurs (§ 4), car (§ 6, 12, 13g, 14), c’est pourquoi (§ 7), de même (§ 10) ; consécutifs : donc (§ 6), à cet effet (§ 8) ; et des marqueurs d’opposition : cependant (§ 4), mais (§ 4, 6, 7, 9, 13a, 14)[77]. Elle renforce le pôle de la persuasion par le logos et l’ethos et laisse une place au pathos. Le Message est un discours dominé par un genre rhétorique hybride. Il relève à la fois du délibératif et de l’épidictique.

2. La parole épiscopale au prisme du genre

Le Message que je viens d’analyser est un discours sur des questions sociales, politiques, morales et spirituelles. Sa visée est d’inspirer, inciter ou accompagner les pratiques ecclésiales dans l’espace public. Tel qu’élaboré par l’épiscopat congolais, ce discours ne vise pas seulement la transmission d’un savoir, mais mobilise aussi un agir. Il fait agir et réagir l’auditoire. À ce titre, il définit dans l’espace social une certaine identité énonciative historiquement circonscriptible[78]. Je préfère désigner le « magistère social » de l’épiscopat par l’expression parole épiscopale. La construction du terme parole épiscopale comme objet de recherche théorisé dans l’analyse du discours nécessite une clarification.

En effet, la parole épiscopale fait partie de ce que M. Foucault appelle une formation discursive[79]. Le discours épiscopal sur les questions de société relève de la doctrine sociale de l’Église et appartient au champ religieux. Sa structuration interne se décline en une grande variété regroupée par « airs de famille » à travers une dénomination stabilisée : Déclaration, Message, Mémorandum, Exhortation, Communication, Mise au point, Point de presse. À chaque dénomination correspond un locuteur qui, pour certaines est individuel (Conférence de presse, Point de presse) et, pour d’autres, collectif (Mémorandum, Déclaration, Exhortation, Message). Suivant les contextes, chaque dénomination mobilise un dispositif de communication, oral ou écrit, et s’adresse à un auditoire varié (fidèles catholiques, peuple congolais, hommes de bonne volonté, président de la République, Secrétaire de l’ONU). Avec certaines régularités internes, chaque dénomination constitue un genre de discours qui se comprend mieux dans le cadre de la situation de communication.

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De ce point de vue, « La situation de communication surdétermine en partie les acteurs, leur donne des instructions de production et d’interprétation des actes langagiers “et est donc” constructrice de sens[80] ». S’il est vrai comme l’établissent F. Rastier et B. Pincemin que les genres sont déterminés par les pratiques sociales, ils sont reconnus et décrits par la linguistique, mais c’est une réalité intertextuelle, par laquelle peuvent s’expliquer certaines affinités et certaines régularités entre des textes, on peut, s’agissant du Message ici à l’étude, parler en termes de « genres de la parole épiscopale » et désigner par là des modèles discursifs ayant des caractéristiques textuelles propres, dont les lexiques sont dépendants des normativités théologiques[81].

L’on peut donc dire que la parole épiscopale recouvre des genres particuliers qui norment la stratégie persuasive (éthique, argumentative et pathétique)[82]. De par son encadrement institutionnel contraignant, elle constitue un discours médiatisé dont l’autorité est tributaire du rôle ou d’un faisceau de rôles joués par les évêques[83]. Puisqu’il est un discours institutionnel stabilisé, ce que la parole épiscopale profère correspond à la place occupée par les évêques dans la formation discursive. Aussi, les contours du statut d’énonciateur des évêques sont donnés d’avance. On doit donc dire que les évêques ont une place d’énonciation qui fixe les contours de leur fonction énonciative, définit leur statut et celui de l’auditoire, et les types de contenu dicible ou scriptible[84].

En effet, la parole épiscopale a ses attributs formels et ses marques constitutives, ses obligatoires discursifs, ses cheminements argumentatifs et un « déjà là » discursif argumentatif et interprétatif (doctrine sociale de l’Église, documents du Magistère pontifical et épiscopal). Il est certain, en tout cas que, ce modèle discursif, avec ses règles de fonctionnement et de contraintes discursives[85] trace les limites convenues du dicible et du scriptible. Il charrie des genres qui préexistent aux discours des évêques, les pré-organisent et gardent un aspect prescriptif et une valeur normative[86].

Les contraintes du genre rejoignent de manière frappante les élaborations sociologiques sur la notion de « champ ». D’inspiration bourdieusienne, cette notion renvoie à un espace structuré dans lequel les participants accomplissent leurs fonctions[87]. Les évêques par exemple, occupent diverses positions dans le champ. Ces positions influent sur l’exercice de la parole. Qui plus est, les évêques ont été socialisés d’une manière qui leur inculque une illusio[88]. Intériorisée comme croyance collective dans le jeu, l’illusio « marque les limites assignées aux variations ou infractions, en conditionnant leur force persuasive[89] ». Investis socialement dans un rôle, les évêques intègrent un code institutionnel d’appartenance, intériorisent un habitus institutionnel, les valeurs de l’institution au nom de laquelle ils s’expriment. En conséquence, leur parole se déploie dans le cadre d’une « conventionalité » tacite, un « surmoi » ecclésial dont les déterminations sociales et institutionnelles, les dominances et récurrences, les invariants et « lieux communs » marquent le travail discursif du sceau du régulé. De fait, le discours épiscopal est régulé par les rôles qui, depuis Rome, sont prescrits aux évêques[90]. Qui plus est, il est normalisé par des interdits discursifs qui fonctionnent comme des balises de l’orthodoxie et enjoignent les évêques à observer certaines contraintes sociales avec quelques argumentaires récurrents qui délimitent l’énonçable, le dicible et le scriptible.

Certes, il faut convenir que la reconnaissance des limites du pensable, du dicible et du scriptible au sein d’une formation sociodiscursive donnée ne supprime pas la liberté des locuteurs. J’entends bien à la suite de P. Charaudeau que « tout acte de langage se trouve sous la responsabilité d’un sujet qui est à la fois contraint par la situation et libre de procéder à la mise en discours qu’il jugera adéquate à son projet de parole[91] ». J.-M. Adam, pour sa part, évoque la possibilité pour les locuteurs d’introduire « plus ou moins de variations novatrices, de décalages en jouant tant avec la langue qu’avec le système de genres disponibles[92] ». À cet égard, il convient de s’interroger sur la place de la novation et de l’invention dans un discours institutionnel, censé manifester la cohérence doctrinale et la cohésion affective, et ce dans un contexte hiérarchique[93].

Perspective : vers une théorie de la régulation religieuse du politique

À ce terme, je voudrais simplement rappeler que cette contribution faisait état d’une recherche en cours. Elle aboutit à des résultats provisoires qui ne prétendent pas à la généralisation. L’évaluation de la valeur de l’argumentation n’étant pas du ressort de l’analyse du discours, j’ai adopté une posture d’ethnographe[94] qui interdit à mon approche le recours à une taximonie préalable. Ce travail exploratoire m’a néanmoins permis de noter les lignes maîtresses du fonctionnement discursif et la dynamique persuasive de la parole épiscopale congolaise. Du point de vue méthodologique, il aura vérifié la fécondité d’une approche qui tient compte de la situation de discours, de l’articulation d’une organisation formelle et d’un lieu sociopolitique, de l’interrelation locuteur/auditoire, des contraintes et de la variété des genres de discours[95]. Du point de vue épistémologique, ce travail appelle un autre qui devra analyser l’effacement énonciatif des évêques dans les autres genres de la parole épiscopale afin de mieux cerner les effets de neutralité et d’objectivité sur la persuasion. Au moment de conclure, je reviens sur l’image que les évêques construisent d’eux-mêmes et sur celle de leur auditoire.

Les évêques construisent une image qui tient compte de la doxa partagée par un auditoire composite. J’avance l’hypothèse qu’en s’y adaptant, leur performance réactive les possibles actanciels de l’auditoire et construit un ethos qui, non seulement participe de leur force de persuasion, mais survit aussi à la crise électorale : celui d’interlocuteurs impartiaux et d’arbitres objectifs, de négociateurs véridiques et de conciliateurs privilégiés[96]. Un des enjeux sociopolitiques de l’image de soi que les évêques construisent est de servir de médiateurs dans le règlement du contentieux post-électoral et de la crise de confiance entre la Majorité présidentielle et l’opposition.

Les analyses jettent quelques lumières sur l’intervention des évêques dans l’espace public où les représentations sociales sur la vérité et la justice sont en conflit. Intervenant sur un problème politique et juridique, les évêques s’en tiennent à la compétence qui leur est socialement reconnue. En apportant de la sorte la voix autorisée de l’Église catholique, ils ne vont pas au-delà de l’univers normatif et des impératifs moraux. Aussi interprètent-ils la crise électorale comme une crise de valeurs et de légitimité démocratique. Leur Message met en lumière le mode nocif et malsain qui normalise les antivaleurs et s’accommode d’une « culture de tricherie, de mensonge et de terreur, de militarisation et d’atteinte flagrante à la liberté d’expression » (§ 8). C’est dire combien, le pouvoir en place dévalorise le vrai et le juste en bafouant la dignité humaine et en enfreignant les droits et libertés des citoyens (§ 11). Au regard de la profusion d’antivaleurs et de la violence récurrente qui hypothèquent « la construction d’un Congo réellement démocratique » (§ 12), les évêques gardent l’éthique chrétienne comme principe organisateur de leur discours. Portée par le genre des Messages, l’éthique assure la cohérence à leur discours et donne un nouvel horizon à l’engagement politique : l’avènement d’un État de droit au Congo. Les évêques prônent la non-violence et mobilisent des axiologiques qui condamnent la violence. Leur Message est construit autour d’un principe normatif : « C’est l’amour et le courage de la vérité qui tracent le chemin de la justice et de la paix véritables » (§ 14). L’articulation du sens opère un rapprochement entre la paix et la justice. Le lien qui est récurrent dans l’enseignement de l’épiscopat congolais se double ici de l’ajout circonstancié de deux termes distincts que les évêques accolent (amour et vérité) pour en faire une expression : « amour de la vérité[97] ». En faisant du « courage de la vérité[98] » une priorité axiologique, les évêques se recommandent de l’ethos de sincérité et d’authenticité. Ils donnent un surcroît de sens à la paix qui s’enrichit de la charge éthique véhiculée par la valeur de vérité. Il s’agit désormais de chercher « la paix dans la vérité » (§ 9).

Le Message des évêques congolais participe à une forme de régulation des rapports sociaux et du politique fondée sur un système des valeurs et des croyances : valeurs chrétiennes et démocratiques (§ 13a). Il donne une cohérence axiologique à l’engagement politique et vise la moralisation de l’espace public. Cette dernière requiert des actions qui engagent la responsabilité des différents protagonistes de la reconstruction du Congo. C’est dans cette ligne qu’au § 13, partageant les préoccupations d’ordre pratique et de l’action de beaucoup de Congolais, les évêques donnent des conseils. Sans recourir à l’impératif, ils projettent chacun des destinataires dans le futur face à la reconstruction d’un Congo nouveau[99]. Ils leur indiquent la bonne manière, la manière exemplaire d’agir. Moulées sous la forme d’un acte prédictif, les recommandations qu’ils font aux acteurs de la scène politique congolaise usent toutes des verbes actifs. Certaines emploient des adverbes de renforcement (13b, c) et un recours à la négation (13a). Placées sous le label de la vérité et ouvertes à des actions diversifiées, toutes ces propositions énoncent la position d’autorités et de responsables des évêques. Sans méconnaître l’analyse juridique ni disqualifier l’explication politique, elles privilégient la perspective éthique.

L’introduction de « l’aléthique » dans l’espace public entend engendrer chez l’auditoire une éthique de la responsabilité. Adossée aux valeurs chrétiennes et démocratiques de justice et de vérité, une telle éthique requiert des protagonistes de la crise électorale « un changement de coeur, de mentalité et de pratiques » (§ 14). En amont du nouveau régime institutionnel de la pratique de la justice et de la production de la vérité, les évêques instituent un nouveau style de vie[100] qui donne au peuple congolais de disposer du « pouvoir de souverain primaire » (§ 13a) et de devenir sujet de sa propre histoire.

Il est bien certain que l’expertise électorale de l’épiscopat confère aux évêques une position discursive de jugement. Elle donne à l’institution « Église catholique » une lisibilité et une visibilité dans l’espace public. Elle exerce une certaine normativité en politique congolaise et constitue une socialisation politique des chrétiens, une régulation religieuse du politique, une participation à la perception et à la formulation du politique. La question reste de savoir si la situation de communication et les jeux de pouvoir, les contraintes institutionnelles et génériques, les pesanteurs doxiques et idéologiques peuvent s’accommoder d’une poïétique de la parole épiscopale en contexte autoritaire. Dans le droit fil des élaborations de N. Luhmann sur la différenciation fonctionnelle entre la politique et la religion, une réflexion reste à mener sur la performance de l’Église catholique, ainsi que sur les ressources dont dispose la religion pour aider le sous-système « politique » à résoudre des problèmes qui le dépassent.