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Instrumenta studiorum

1. Hans-Josef Klauck, Volker Leppin, Bernard McGinn, Choon-Leong Seow, Hermann Spieckermann, Barry Dov Walfish, Eric Ziolkowski, éd., Encyclopedia of the Bible and its Reception. 3. Athena-Birkat ha-Minim et 4. Birsha-Chariot of Fire. Berlin, Boston, Walter de Gruyter, 2011, xxviii-1 224 col. et 2012, xxviii-1 198 col.

2. Dale C. Allison, Jr., Hans-Josef Klauck, Volker Leppin, Bernard McGinn, Choon-Leong Seow, Hermann Spieckermann, Barry Dov Walfish, Eric Ziolkowski, éd., Encyclopedia of the Bible and its Reception. 5. Charisma-Czaczkes et 6. Dabbesheth-Dreams and Dream Interpretation. Berlin, Boston, Walter de Gruyter, 2012, xxvii-1 230 col. et 2013, xxvii-1 230 col.

Avec ces quatre nouveaux volumes, l’éditeur allemand Walter de Gruyter poursuit, à bon rythme, la publication de son « Encyclopédie de la Bible et de sa réception » (Encyclopedia of the Bible and its Reception ; ci-après EBR). Amorcée en 2009, rappelons que l’objectif de l’EBR est de publier, en trente volumes, des articles relatifs aux bibles chrétienne et juive ainsi qu’à leur réception, de leurs origines jusqu’aujourd’hui[1]. Avant les articles proprement dit, le lecteur trouvera une liste détaillée des figures, planches et cartes présentes dans le volume, dont certaines sont en couleurs, une liste des abréviations de même qu’une liste des corrigenda apportées aux volumes précédents.

Parmi les articles à souligner dans le volume 3, notons ceux relatifs aux figures d’Augustin, de l’Empereur Auguste, de Baal, de Jean-Sébastien Bach, de Balaam, de Barnabé, de Bartholomée, de Baruch, de Bethsabée, de Walter Bauer, de Belzébul et de Benjamin (fils de Jacob) ; ceux portant sur des lieux géographiques tels qu’Athènes, Babylone, la Babylonie et Bethléem ; ou bien ceux se penchant sur la nature et la réception de divers attributs, concepts, pratiques, doctrines, oeuvres littéraires, etc., comme l’Expiation (Atonement), l’Audition et les Expériences auditives, le concept d’Auteur, l’Autobiographie, la Calvitie (Baldness), le Banquet, le Baptême, l’Ours (Bear), la Barbe, la Bête, les Béatitudes, la Beauté, la Bestialité, Trahir et la Trahison (Betray/Betrayal), la Critique biblique, la Théologie biblique et les Oiseaux (Birds).

Pour ce qui est des articles du volume 4, signalons, parmi les plus importants et intéressants, ceux sur Caïphe, Caïn, Jean Calvin et les Chaldéens ; ceux sur Césarée, Cana, Canaan, la Cappadoce et Carthage ; enfin ceux sur la Naissance (Birth), l’Évêque (Bishop), le Blasphème, la Bénédiction, la Cécité (Blindness), le Sang (Blood), les Bateaux et les Navires, le Corps (Body), le Livre (Book), la Fête des tentes (Booths, Feast of), le Pain (Bread), l’Épouse et l’Époux (Bride/Bridegroom), le Frère et la Fraternité (Brother/Brotherhood), le Bouddhisme, l’Enterrement ou la Sépulture (Burial), le Buisson ardent, l’Époque byzantine, les Calendriers, le Chameau, le Cannibalisme, le Canon, la Peine capitale (Capital Punishment), la Captive et la Captivité, les Dessins animés (Cartoons), les Catacombes, la Catéchèse, les Grottes (Caves), le Célibat, les Céramiques, le concile de Chalcédoine, le Chaos et le Char de feu.

Au volume 5 sont traités les Chérubins, Cicéron, Constantin, Cyprien, Cyril d’Alexandrie, Cyril de Jérusalem et Cyrus ; les lieux géographiques de Constantinople, du Couchant ou de Cyrène ; ainsi que, de manière plus générale, le Charisme, la Charité, les Enfants (Child/Children), Noël (Christmas), la Christologie, la Chronologie, l’Église (Church), la Circoncision, le Cirque, le Clerc et le Clergé, le Nuage (Cloud), la Couleur, la Comédie, le Commandement, le genre du Commentaire, les Repas pris en commun (Communal Meals), la Confession, la Conscience, la Conversion, le Christianisme copte, le Codex, le Cosmos et la Cosmologie, l’Alliance (Convenant), la Convoitise et le Désir, la Création et la Cosmogonie, la Croix, la Couronne, la Crucifixion, les Croisades, le Culte, les Études culturelles et la Bible de même que la Malédiction (Curse).

Le sixième volume renferme lui aussi plusieurs articles fondamentaux ou de qualité, notamment ceux sur Salvador Dalí, Daniel, Charles Darwin, David, Deborah, Dalila et le Diable ; ou encore ceux portant sur Damas, la Damnation, la Danse, la Fille (Daughter/Daughters), le Jour du jugement (Day of Judgement), le Jour du Seigneur (Day of the Lord), le Diacre et la diaconesse, les Manuscrits de la mer Morte (Dead Sea Scrolls), la Surdité (Deafness), la Mort (Death/Dying), la Dette, la Décapitation, la Déification, la Délivrance, les Démons et la Démonologie, le motif de la Descente aux Enfers, le Désert, le Désespoir, le Deutéronome, le Dialogue, la Diaspora, le Diatessaron, les Prescriptions alimentaires (Dietary Laws), l’Invalidité et les Invalides (Disability/Disabilities), le Disciple, la Divination, le Divorce, le Docétisme, le Chien (Dog), la Dormition, la Colombe (Dove), le Dragon, le Drame ainsi que les Rêves et leur interprétation (Dream and Dream Interpretations).

Notons encore une fois la grande qualité des volumes, tout comme celle de leurs articles et des spécialistes appelés à contribuer. La seule critique que l’on pourrait formuler est la présence d’articles annoncés, mais apparemment oubliés par les éditeurs. En l’occurrence, le volume 4 offre aux lecteurs une rubrique sous « Brucianus » (col. 571) qui se contente de renvoyer à « Codex ». Or, sous « Codex », au volume 5 (col. 459-460), on ne trouve aucune description de ce codex gnostique copte. Nous ignorons cependant la fréquence précise du phénomène.

Eric Crégheur

3. Christian-Bernard Amphoux, dir., Manuel de critique textuelle du Nouveau Testament. Introduction générale. Bruxelles, Éditions Safran (coll. « Langues et cultures anciennes », 22), 2014, xiv-400 p.

En 1934, Léon Vaganay (1882-1969), professeur à la Faculté de théologie de Lyon, publiait une Initiation à la critique textuelle néotestamentaire[2], un petit livre de moins de 200 pages dans lequel l’auteur présentait de façon claire et précise les sources de la critique textuelle, sa méthode, l’histoire du texte manuscrit du Nouveau Testament, l’histoire et l’avenir du texte imprimé, et terminait par une « initiation pratique » sur Mt 27,16-17, Mc 1,6a et 1 Th 3,2a. Le disciple et successeur de L. Vaganay, Jean Duplacy († 1983) avait rassemblé des matériaux pour la rédaction d’un nouveau manuel de critique textuelle du Nouveau Testament, mais il ne lui fut pas donné de mener à bien le projet. C’est ce que fit d’une certaine manière son élève Christian-Bernard Amphoux, chercheur au CNRS, qui publia en 1986, une « 2e édition, entièrement revue et actualisée », de l’Initiation de Vaganay, dans laquelle le texte original était repris, mis à jour et surtout fortement augmenté de sections et de paragraphes nouveaux marqués par un astérisque[3]. Mais, comme l’écrivait Vaganay dans l’Avant-propos de l’édition de 1934 (p. 6), « il n’est pas de sujet qui vieillisse aussi vite » que la critique textuelle du Nouveau Testament. Voilà pourquoi, moins de vingt ans après la refonte de 1986, il s’est avéré nécessaire de réécrire l’Initiation mais, cette fois, sous un titre nouveau et une forme plus ample, avec le concours d’une dizaine de spécialistes qui ont produit ce qui n’est encore que l’introduction générale de ce Manuel dont le maître d’oeuvre demeure C.-B. Amphoux. Ce qui n’était que « langage informe […] riche d’espérance », pour reprendre les termes de Vaganay (p. 6), est devenu une science pleinement constituée et complexe, « une véritable discipline philologique, indépendante des théories littéraires enseignées et pratiquées par l’exégèse », une discipline aussi « qui dérange » (p. viii), dans la mesure où elle montre, contre tous les fondamentalismes scripturaires et théologiques, l’instabilité, la diversité mais aussi la richesse du texte néotestamentaire.

Le premier volume de ce Manuel, introduction générale à un deuxième volume qui présentera les principaux lieux variant de chaque livre du Nouveau Testament, s’ouvre par une brève introduction signée par l’éditeur, intitulée « Qu’est-ce que la critique textuelle ? », qui rappelle la nature de la discipline (philologique), son champ d’application (la transmission des textes écrits) et les principales étapes de sa longue histoire, de l’Antiquité à nos jours. Le corps de l’ouvrage est divisé en trois parties : les sources, les méthodes, l’histoire du texte.

La première partie comporte les chapitres suivants. I. Les manuscrits grecs (C.-B. Amphoux) : la notion de manuscrits, le répertoire et la liste des manuscrits grecs néotestamentaires, le classement par type de texte. II. Les versions anciennes (Jean-Claude Haelewyck) : latines (Vetus latina et Vulgate), syriaques, christo-palestinienne, coptes, arméniennes, géorgiennes et autres (gothique, arabes, éthiopienne). III. Les citations patristiques (Jean Reynard) : chez les auteurs grecs et latins, syriaques (avec Dominique Gonnet) et coptes (par Anne Boud’hors). IV. L’Ancien Testament du Nouveau Testament (Gilles Dorival) : essentiellement le texte de la Septante dans le Nouveau Testament.

La deuxième partie, consacrée à la méthode, couvre en un seul chapitre (V), rédigé par David Pastorelli, le traitement des variantes sur le triple plan de la critique verbale, externe et interne, et se termine sur une présentation de la méthode dite « éclectique », ses options et les approches selon lesquelles elle se décline aujourd’hui. Deux annexes illustrent la façon de faire, « Le traitement d’un lieu variant », par C.-B. Amphoux (à propos de l’épisode de la femme adultère, de la doxologie du Notre-Père de Matthieu, des six formes du Notre-Père chez Luc et de la variante « Dalmanoutha » de Mc 8,10), et une « Application à Marc 1, 40-45 », par J.-C. Haelewyck.

La troisième et dernière partie de l’ouvrage porte sur l’histoire du texte, tout d’abord celle du texte grec manuscrit, présentée par C.-B. Amphoux, qui aborde les hypothèses historiques, la question du « texte occidental », la période primitive, le texte alexandrin et le texte byzantin, puis l’histoire du texte imprimé, par James Keith Elliott, avec la collaboration de C.-B. Amphoux et de Didier Lafleur. Deux annexes donnent la liste des manuscrits utilisés pour les éditions de John Mill (1707) et Johann Jakob Wettstein (1751-1752), et le répertoire des manuscrits grecs du Nouveau Testament (il s’agit en fait d’un répertoire bibliographique des listes publiées de 1900 à 2003). Des index scripturaire, des textes et auteurs anciens, des auteurs modernes et des manuscrits terminent l’ouvrage.

Même s’il introduit à une discipline plutôt austère, ce Manuel se distingue par sa clarté et sa grande lisibilité. La documentation bibliographique est pour ainsi dire exhaustive, aussi bien pour les publications anciennes que pour les plus récentes[4]. Même si on sent ici et là une volonté appuyée de réhabiliter le texte dit occidental, les A. de l’ouvrage ont voulu offrir la présentation la plus factuelle possible des problèmes, méthodes et solutions envisageables. Il s’agit là d’une belle réussite !

Paul-Hubert Poirier

4. Michael Sokoloff, A Dictionary of Christian Palestinian Aramaic. Leuven, Paris, Walpole, Mass., Peeters Publishers (coll. « Orientalia Lovaniensia Analecta », 234), 2014, xlii-466 p.

5. Michael Sokoloff, Texts of Various Contents in Christian Palestinian Aramaic. Leuven, Paris, Walpole, Mass., Peeters Publishers (coll. « Orientalia Lovaniensia Analecta », 235), 2014, x-247 p.

Ce que l’on appelle l’araméen palestinien chrétien (nous utilisons ci-après l’acronyme anglais CPA = Christian Palestinian Aramaic), connu aussi comme le christo-palestinien, est le dialecte araméen utilisé par la communauté melkite ou chalcédonienne de Palestine durant les périodes byzantine et islamique. Attesté par un certain nombre de manuscrits et de fragments, dont des palimpsestes, ce dialecte est moins richement documenté que d’autres formes de l’araméen, comme le syriaque. Il a néanmoins fait l’objet de nombreux travaux importants — éditoriaux, lexicographiques et grammaticaux — depuis la première publication d’un témoin de ce dialecte en 1861 (G.H. Gwilliam, 1893 et 1896 ; A. Smith Lewis, 1897, 1899 et 1900 ; F. Schulthess, 1903, 1905, 1906 et 1923 ; H. Duensing, 1906 ; M. Black 1938 et 1954). À une époque plus récente, les recherches sur le CPA ont été relancées par les travaux d’Alain Desreumaux (1997) et surtout par ceux de Christa Müller-Kessler. Celle-ci a publié en 1991 une nouvelle grammaire de ce dialecte et à partir de 1997, en collaboration avec Michael Sokoloff, un Corpus of Christian Palestinian Aramaic, dont quatre volumes ont paru (I, IIA, IIB, III et V). M. Sokoloff, quant à lui, s’est fait connaître par la publication de plusieurs dictionnaires de l’araméen : araméen palestinien juif de l’époque byzantine (1990, 20022), babylonien juif (2002), judéen (2003) et syriaque (2009 ; une refonte et une adaptation anglaise du lexique syriaque-latin de Carl Brockelmann [1928]). Il nous offre maintenant deux publications jumelles : un dictionnaire du CPA et un companion-volume qui rassemble certains des matériaux ayant servi à la constitution du dictionnaire.

Le premier des deux ouvrages se veut un « comprehensive dictionary of the Aramaic literary dialect used by the Melkite community in Palestine » (p. vi), destiné à remplacer le Lexicon syropalaestinum de Friedrich Schulthess publié en 1903 (Berlin, G. Reimer). Il tient compte de l’ensemble de la documentation textuelle aujourd’hui accessible, dont une bonne partie l’est devenue seulement après la parution du lexique de Schulthess, notamment les palimpsestes témoignant de la période la plus ancienne (cinquième-huitième siècles). Le dictionnaire inclut en effet les textes de l’Ancien et du Nouveau Testament de l’époque ancienne, les textes de l’Ancien Testament de l’époque tardive (onzième-treizième siècles), les Évangiles, les Actes et les Épîtres de l’époque tardive, les sources patristiques et les textes liturgiques, ainsi que les inscriptions. L’introduction de l’ouvrage fournit des indications sommaires mais précises sur la périodisation du CPA, les sources et l’histoire de la lexicographie consacrée à ce dialecte, et l’organisation du dictionnaire. Suit une liste d’abréviations qui constitue la bibliographie de l’ouvrage et à laquelle il faut constamment se reporter pour s’y retrouver dans les références et renvois figurant dans le corps du dictionnaire. On trouve ensuite une très précieuse liste des textes en CPA, référencés en fonction de la liste d’abréviations et du volume de textes que nous présentons également ici. Les entrées du dictionnaire et les citations en CPA sont données dans l’alphabet propre à ce dialecte[5], une innovation par rapport à la pratique ancienne qui, jusqu’en 1991, imprimait le CPA en caractère syriaque. Le classement des entrées est conforme à la logique propre à la lexicographie sémitique. Les textes cités à titre d’exemples dans chacune des entrées sont donnés sans traduction, dans l’écriture originale pour le CPA, les autres dialectes araméens et le syriaque, sauf pour le samaritain et le mandéen, reproduits avec l’alphabet hébraïque.

Le deuxième volume, Texts of Various Contents in Christian Palestinian Aramaic (TOVC), rassemble les textes qui devaient figurer dans le quatrième volume : A Collection of Christian Palestinian Lives of Saints, Homelies and Other Religious Texts, du Corpus of Christian Palestinian Aramaic, lequel n’a jamais paru. On y a ajouté les textes en CPA nouvellement découverts au monastère de Sainte-Catherine du mont Sinaï en mai 1975. Après une très brève préface, l’ouvrage donne à la suite les textes retenus dans l’écriture originale dans la partie supérieure de chaque page et en traduction anglaise dans la partie inférieure. Suivent cinq appendices : le premier reproduit sans traduction vingt-quatre textes épigraphiques provenant d’Israël et de Jordanie ; le deuxième enregistre des corrections à apporter aux volumes parus du Corpus of Christian Palestinian Aramaic ; le troisième et le quatrième présentent des traductions anglaises révisées des Quarante martyrs du désert du Sinaï (Corpus, vol. III) et de la Vie d’Eulogios, le tailleur de pierre (ibid.) ; le cinquième donne les références des passages cités dans la syntaxe de la grammaire de Schulthess de 1924. L’identification des textes inclus dans ce deuxième volume n’est pas des plus faciles, du moins à première vue. Pour chacun, il faut prendre l’abréviation qui suit le titre et qui figure entre crochets carrés, au coin droit supérieur de chaque page (par exemple : Acts of St. Adrian [ActAdr 1]) et se reporter aux pages xxxiv-xli de la « List of CPA Texts » du dictionnaire, où, sous l’abréviation en question, on trouvera le numéro du texte dans le volume de textes (sous le sigle TOVC) et une abréviation identifiant l’endroit où le texte a été originellement édité, abréviation dont on aura la résolution dans les « Abbreviations » du même dictionnaire. Et pour compliquer encore les choses, les numéros des textes inclus dans le TOVC ne figurent que dans la « Table of Contents » initiale de ce volume sans avoir été repris dans le corps de l’ouvrage comme titre courant. On aurait pu souhaiter une présentation un peu plus user friendly ! Malgré cet inconvénient et une fois repérée la logique du système, on apprécie la complémentarité des deux ouvrages ainsi que l’abondance des données et des informations qui y sont consignées. Ils fournissent aux spécialistes l’instrument lexicographique indispensable à l’étude des textes araméens des chrétiens melkites de Palestine.

Paul-Hubert Poirier

Jésus et les origines chrétiennes

6. Christopher Tuckett, From the Sayings to the Gospels. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 328), 2014, xxi-642 p.

Christopher Mark Tuckett, professeur émérite de Nouveau Testament à l’Université d’Oxford, a consacré l’essentiel de ses activités scientifiques à l’étude des Évangiles synoptiques, du Jésus historique et des questions de critique textuelle. Il a publié sur ces sujets une quinzaine d’ouvrages et un grand nombre d’articles. On lui doit également une édition de l’Évangile selon Marie[6], de la Deuxième lettre de Clément de Rome[7] et plusieurs contributions sur l’Évangile selon Thomas. Le présent ouvrage rassemble vingt-huit articles publiés par C.M. Tuckett entre 1982 et 2011, qui ont été réparties en six sections : le problème synoptique ; la source des dits (Q) ; Paul et la tradition synoptique ; l’Évangile selon Thomas ; le Jésus historique ; les Évangiles canoniques.

La première section présente quatre articles sur la question synoptique, à portée largement méthodologique : I. « Arguments from Order. Definition and Evaluation » ; II. « Mark and Q » (Marc et la source Q représentent des versions indépendantes de traditions communes) ; III. « The Existence of Q » (excellente synthèse sur la source Q et les théories concurrentes) ; IV. « The Current State of the Synoptic Problem » (présentation de l’hypothèse des deux sources, Q et Marc, et des autres hypothèses).

La deuxième section de l’ouvrage, la plus étoffée, est nommément consacrée à la source des dits, la Quelle ou « Sayings Source Q ». On y trouve les textes suivants : V. « A Cynic Q ? » (revue critique des thèses avancées en faveur de l’origine ou du caractère cynique de la collection des dits ; à compléter maintenant par la monographie de Marie-Odile Goulet-Cazé, qui reprend la question du point de vue de l’histoire de la philosophie[8]) ; VI. « On the Stratification of Q » (les difficultés méthodologiques posées par les tentatives d’histoire du développement de Q ; à propos, notamment, des thèses de J.S. Kloppenborg) ; VII. « The Temptation Narrative in Q » (le récit de la triple tentation de Jésus au désert comme introduction aux thèmes — attitude face à l’argent, au pouvoir et aux miracles — développés dans la source Q) ; VIII. « Feminine Wisdom in Q » (le fait que le nom de la sagesse en grec, σοφία, soit du féminin n’entraîne pas une lecture féminine ou féministe de Q) ; IX. « Scripture and Q » (sur la manière dont les textes vétérotestamentaires et, en particulier, Isaïe, interviennent dans la source Q, à un niveau plus profond que ce qui a parfois été estimé) ; X. « Q and the “Church”. The Role of the Christian Community within Jewish according to Q » (la source Q refléterait une étape ancienne du processus de séparation des communautés chrétiennes de leurs voisines juives) ; XI. « Q 12.8 Once Again — “Son of Man” or “I” » (retour sur la question fort débattue du sens à donner à l’expression υἱὸς τοῦ ἀνθρώπου — bar (a)nash(a), à propos de sa présence en Lc/Q 12,8) ; XII. « Q 22,28-30 » ; XIII. « The Son of Man and Daniel 7. Q and Jesus » (sens à la fois spécifique et très général de l’expression bar (a)nash(a), que Jésus a pu utiliser pour se désigner lui-même et pour évoquer la figure daniélique du Fils de l’homme) ; XIV. « Q, Jesus and Aramaic. Some Methodological Reflections » (à propos de Maurice Casey, An Aramaic Approach to Q[9], sur la difficulté de passer du grec de nos sources à l’araméen de Jésus).

Consacrée à Paul et à la tradition synoptique, la troisième section de l’ouvrage regroupe trois contributions : XV. « Paul and the Synoptic Mission Discourse ? » (sur la continuité entre Paul et la tradition des dits de Jésus : la théorie selon laquelle Paul aurait connu le discours de mission, en Mt 10 et Lc 10, ne convainc pas ; tout au plus a-t-il pu connaître le dit sur l’ouvrier qui mérite son salaire) ; XVI. « Synoptic Tradition in 1 Thessalonicians » (l’hypothèse d’une utilisation par Paul d’un ensemble de traditions sur Jésus n’est pas recevable) ; XVII. « Paul and Jesus Tradition. The Evidence of 1 Corinthians 2.9 and Gospel of Thomas 17 » (sur le fameux agraphon « Ce que l’oeil n’a pas vu […] », cité par Paul comme « écriture » et par Thomas comme parole de Jésus ; rien n’indique que Paul connaissait ce dit comme une parole de Jésus, ce qui suggère que la version de Thomas 17 pourrait être un développement secondaire par rapport à celle de 1 Corinthiens).

Les deux textes de la quatrième section du livre portent spécifiquement sur l’Évangile selon Thomas : XVIII. « Thomas and the Synoptics » (reconsidération de la quaestio vexata de la dépendance ou de l’indépendance de Thomas par rapport aux synoptiques ; revue de la littérature et examen des logia 5, 9, 16, 20 et 55 ; l’A. conclut à la dépendance, dans une certaine mesure, de Thomas par rapport aux synoptiques) ; XIX. « Q and Thomas — Evidence of a Primitive “Wisdom Gospel” ? » (critique des thèses de Helmut Koester, selon lequel les dits apocalyptiques sur le Fils de l’homme, absents de Thomas, seraient des ajouts secondaires dans Q ; Tuckett estime que l’hypothèse de Koester d’un lien entre Thomas et une étape pré-Q de la tradition synoptique n’est pas établie par les arguments qu’il avance).

La cinquième partie de l’ouvrage porte sur le Jésus historique. On y trouve les essais suivants : XX. « The Gospel of Thomas — Evidence for Jesus ? » (plaidoyer pour une lecture de Thomas dans son contexte historique, qui serait plus proche de celui des écrits gnostiques qu’il avoisine dans le corpus de Nag Hammadi que de celui du Jésus historique) ; XXI. « The Historical Jesus, Crossan and Methodology » (critique de l’approche de J.D. Crossan, dont le recours à des chiffres et des statistiques, en ce qui concerne les dits de Jésus, donne une fausse impression de sécurité et de facticité) ; XXII. « Q and Historical Jesus » (sur J.S. Kloppenborg et la valeur des dits de la source Q pour l’étude du Jésus historique).

Les textes de la sixième et dernière partie de l’ouvrage portent sur différents aspects des Évangiles synoptiques : XXIII. « Matthew. The Social and Historical Context — Jewish Christian and/or Gentile ? » (sur la distance que prend Matthieu par rapport aux pratiques et à la loi juives) ; XXIV. « The Present Son of Man » (l’idée d’un Fils de l’homme rejeté et souffrant n’est pas confinée à un courant de la tradition : elle apparaît aussi bien dans Q que dans Marc) ; XXV. « The Disciples and the Messianic Secret of Mark » (à propos du livre de H. Räisänen, The “Messianic Secret” in Mark’s Gospel, 1990) ; XXVI. « Gospels and Communities. Was Mark Written for a Suffering Community ? » (les références à la persécution dans Marc se comprennent mieux si elles visent une situation où les auditeurs n’étaient pas à ce moment-là confrontés à la persécution) ; XXVII. « The Lukan Son of Man » (Luc essaie de rester fidèle au sens de l’expression « Fils de l’homme » telle qu’il la reçoit de ses deux sources principales, Q et Marc) ; XXVIII. « The Christology of Luke-Acts » (un aspect important de la christologie de Luc est de montrer que Jésus correspond à la figure du Messie attendue par les Juifs, mais d’une manière qui lui était propre).

Des index des sources et des auteurs modernes terminent l’ouvrage et permettront d’en tirer le meilleur parti. Plusieurs des essais qu’il contient, en particulier sur la source Q et le problème synoptique, sont de véritables mises au point sur ces questions, dont la lecture est recommandée à tous les étudiants dans le domaine du Nouveau Testament.

Paul-Hubert Poirier

7. Randall Buth, R. Steven Notley, éd., The Language Environment of First Century Judaea. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Jerusalem Studies in the Synoptic Gospels », 2 ; « Jewish and Christian Perspectives Series », 26), 2014, vi-457 p.

Les études sur l’environnement linguistique de la Judée au premier siècle de notre ère ou sur la (ou les) langue(s) que parlait Jésus ne manquent pas. On s’y est intéressé depuis le dix-neuvième siècle. C’est un fait que la Palestine du début de notre ère était une région où plusieurs langues étaient d’usage plus ou moins courant : l’araméen et le grec au premier chef, mais aussi l’hébreu et le latin. En ce qui concerne l’hébreu, une opinio communis s’est en quelque sorte imposée, selon laquelle l’hébreu n’était plus, du temps de Jésus, qu’une langue utilisée pour la liturgie ou par des érudits, une « langue sacrée », et que l’araméen était la seule langue vernaculaire de la population[10]. Le but des contributions rassemblées dans ce collectif est précisément de réévaluer et même de contredire cette façon de voir les choses. Comme l’écrit Randall Buth dans l’introduction, cet ouvrage se veut une invitation à adopter une « Hebrew-Aramaic-Greek Trilingual Perspective » (p. 4).

La première partie de l’ouvrage, intitulée « Sociolinguistic Issues in a Trilingual Framework », comprend cinq contributions : Guido Baltes, « The Origin of the “Exclusive Aramaic Model” in the Nineteenth Century : Methodological Fallacies and Subtle Motives » (analyse historiographique et idéologique des motifs avoués ou non qui ont conduit des savants à affirmer la prépondérance de l’araméen sur l’hébreu) ; G. Baltes, « The Use of Hebrew and Aramaic in Epigraphic Sources of the New Testament Era » (la documentation épigraphique ne plaide pas en faveur de la disparition de l’hébreu ou de son confinement à la sphère du culte ou de l’érudition) ; R. Buth et Chad Pierce, « Hebraisti in Ancient Texts : Does Ἑβραϊστί Ever Mean “Aramaic” ? » (contrairement à ce qu’on trouve dans les lexiques, l’usage de Ἑβραΐς/Ἑβραϊστί pour désigner la langue hébraïque est bien attesté dans les littératures judéo-hellénistique et chrétienne) ; Marc Turnage, « The Linguistic Ethos of the Galilee in the First Century C.E. » (en dépit de l’absence de témoignages galiléens directs, aucun vestige épigraphique ou littéraire n’appuie le consensus d’une Galilée bilingue — araméen et grec — d’où l’hébreu serait absent) ; Serge Ruzer, « Hebrew versus Aramaic as Jesus’ Language : Notes on Early Opinions by Syriac Authors » (les sources syriaques invoquées — essentiellement les évangiles vieux-syriaques et la Caverne des Trésors — ne contiennent rien qui indiquerait que l’araméen et non l’hébreu fut la langue du message chrétien à ses origines ou celle de la communauté juive du premier siècle de notre ère en Palestine).

La deuxième partie, « Literary Issues in a Trilingual Framework », aborde les thèmes suivants : Daniel A. Machiela, « Hebrew, Aramaic, and the Differing Phenomena of Targum and Translation in the Second Temple Period and Post-Second Temple Period » (si l’on exclut les « Targumim classiques » — qui seraient postérieurs à l’époque du Second Temple —, on a peu de preuves décisives de l’existence de traductions de l’hébreu en araméen produites en Israël pendant cette période) ; R. Buth, « Distinguishing Hebrew from Aramaic in Semitized Greek Texts, with an Application for the Gospels and Pseudepigrapha » (sur la base de deux critères — les occurrences du « τότε narratif » et de « l’hébreu impersonnel ἐγένετο » —, l’A. conclut que les traits sémitiques qui apparaissent dans les évangiles canoniques indiquent un arrière-plan hébraïque plutôt qu’araméen) ; R. Steven Notley, « Non-Septuagintal Hebraisms in the Third Gospel : An Inconvenient Truth » (l’Évangile de Luc contiendrait plusieurs « hébraïsmes non septantistes », dont la présence s’expliquerait par le fait que Luc aurait eu accès à des sources non canoniques caractérisées par un « grec fortement hébraïsé »).

La dernière partie de l’ouvrage, « Reading Gospel Texts in a Trilingual Framework », regroupe trois articles : R.S. Notley et Jeffrey P. Garcia, « Hebrew-Only Exegesis : A Philological Approach to Jesus’ Use of the Hebrew Bible » (cinq péricopes évangéliques — la prédication dans la synagogue de Nazareth, le témoignage de Jésus sur Jean Baptiste, le « Grand Commandement », la purification du Temple, Jésus et Caïphe — témoigneraient d’un « style exégétique » rivalisant de virtuosité avec celui des Sages d’Israël et de l’importance de la langue originale, en l’occurrence l’hébreu, des références scripturaires invoquées dans ces épisodes) ; David N. Bivin, « Jesus’ Petros-petra Wordplay (Matthew 16:18) : Is It Greek, Aramaic, or Hebrew ? » (le « Tu es Pierre et sur cette pierre […] » reposerait sur un jeu de mot hébraïque plutôt que grec ou araméen parce qu’il existe des attestations d’une « rabbinic interpretation that contains the Greek loanword petra ») ; R. Buth, « The Riddle of Jesus’ Cry from the Cross : The Meaning of ηλι ηλι λαμα σαβαχθανι (Matthew 27:46) and the Literary Function of ελωι ελωι λειμα σαβαχθανι (Mark 15:46) » (l’énigmatique cri de Jésus agonisant sur la croix serait, chez Matthieu, une référence hébraïque au Psaume 22 dans une perspective midrashique, et chez Marc, la réécriture en araméen d’une tradition présynoptique, traitée comme une bat qol, une « voix du ciel », qui renverrait, par inclusio, à la scène du baptême en Mc 1,11).

Les études rassemblées dans cet ouvrage apportent sans contredit un éclairage nouveau sur la question débattue de la place de l’hébreu dans la Palestine du premier siècle de notre ère. Cependant tous les arguments avancés sont loin d’avoir le même poids et elles ne remettent pas en question de façon définitive le consensus que nous évoquions au début de ce compte rendu. Elles invitent néanmoins à la prudence, car la cause est loin d’être entendue et on ne peut tout de go affirmer que l’hébreu n’était plus, à l’époque de Jésus, qu’une langue morte inintelligible pour la plupart.

Paul-Hubert Poirier

8. Thierry Murcia, Jésus dans le Talmud et la littérature rabbinique ancienne. Turnhout, Éditions Brepols (coll. « Judaïsme ancien et origines du christianisme », 2), 2014, 810 p.

Depuis le dix-huitième siècle, plusieurs ouvrages ont été consacrés au thème abordé par Thierry Murcia dans celui-ci. Pour ne mentionner que des publications récentes, signalons Jesus von Nazareth in der talmudischen Überlieferung de Johann Maier et Jesus in the Talmud de Peter Schäfer[11]. C’est dire que les huit cents pages de T. Murcia n’ajoutent rien sur le plan factuel : les textes rabbiniques qui peuvent ou qui ont pu être invoqués à propos de Jésus de Nazareth ou du christianisme sont connus depuis longtemps et ont fait l’objet d’interprétations diverses. Ce qui ne signifie pas que cette publication récente n’apporte rien de neuf. Comme il s’agit de textes souvent elliptiques, relevant de genres littéraires avec lesquels la plupart d’entre nous ne sont pas familiers, on appréciera le traitement explicite et exhaustif auquel l’A. soumet sa documentation. Soixante-dix-neuf extraits, tirés des sources rabbiniques, midrashiques ou talmudiques sont présentés et commentés ; ces extraits ont été numérotés de façon suivie et sont donnés en traduction dans le corps de l’ouvrage alors qu’une annexe en reproduit le texte original en indiquant les manuscrits ou éditions utilisés. Le lecteur peut ainsi apprécier par lui-même la base documentaire de l’ouvrage. Plusieurs des chapitres du livre ont déjà paru sous forme d’article ; ils sont repris ici, mis à jour et augmentés.

L’ouvrage s’ouvre par une introduction dont on appréciera la clarté et l’efficacité, notamment pour la présentation générale des sources et leur caractérisation (Mishna, Gemara et Talmud), et pour le rapport du Talmud à l’histoire et les contraintes que pose son utilisation comme source historique. Sur la question de savoir si ces sources sont susceptibles ou non d’enrichir notre connaissance du Jésus historique, l’A. reconnaît d’emblée que la moisson est plutôt maigre et qu’il vaut mieux s’intéresser à l’image de Jésus que les Sages du Talmud ont pu en avoir : « […] une “perception” donc plutôt qu’une “réalité”, et une image qui renvoie sans doute davantage au “Jésus de la foi” — le Christ des chrétiens qu’ils côtoyaient — qu’au prédicateur galiléen, homme parmi les hommes » (p. 47).

L’ouvrage comprend quinze chapitres regroupés en quatre parties. La première, « Yeshua Ben Panthera Guérisseur », concerne principalement les sources palestiniennes et surtout tannaïtiques (celles des Sages de la Mishna), et le fameux nom donné à Jésus (Panthera/Pandera) par celles-ci mais aussi par le Juif de Celse (Πανθήρα). Il s’agit du nom le plus ancien par lequel Jésus est connu dans la littérature rabbinique. Le premier chapitre, « Yeshua Ben Panthera : le nom », répertorie les hypothèses avancées pour en expliquer l’origine, dont on a fait celui d’un ancêtre de Jésus ou d’un soldat romain responsable de la grossesse de Marie. L’hypothèse que défend Murcia est que l’accusation de naissance illégitime n’était pas une réponse aux croyances chrétiennes sur la naissance virginale et l’ascendance davidique de Jésus mais visait à remettre en question la légitimité de son enseignement. Pour Murcia, le personnage de Panthera n’est pas une pure invention : « Panthera devait être le nom d’une personne, voire un “nom de famille” […], le nom — ou éventuellement le surnom — du père de Jésus » (p. 92). Les trois chapitres qui suivent ont un lien assez lâche avec le thème annoncé pour cette première partie, même s’ils exploitent des textes où le nom de Panthera apparaît. Il s’agit dans tous les cas de discussions sur des activités de guérison et leur légitimité. On y lit en filigrane la conviction de l’A. que « Jésus, ses disciples et les tout premiers chrétiens, avaient des connaissances en médecine » (p. 99, citant une publication de 2006) et que, « dans le premier tiers du iie siècle, des Juifs chrétiens de Galilée continuaient à guérir des malades au nom de Jésus, dans la plus pure tradition évangélique [et que] malgré la birkat ha-minim — qui est censé avoir été prononcée à la fin du ier siècle — Juifs chrétiens (plutôt que “Judéo-chrétiens”) et Juifs non-chrétiens, rabbins compris, continuaient donc à avoir des relations entre eux » (p. 125-126).

La deuxième partie de l’ouvrage, « Paroles d’Évangile ? », veut faire le point sur le degré de connaissance que les rabbins avaient de l’enseignement de Jésus et, plus précisément, des livrets évangéliques. Le chap. V, premier de cette partie, sur « Jacob le min et Rabbi Éliézer », porte sur trois versions d’une même histoire, celle du procès intenté à Rabbi Éliézer pour minut, c’est-à-dire hérésie. Les deux chapitres suivants (VI. « Des allusions au mot “évangile” dans la Mishna et la Tosefta » ; VII. « Rabban Gamaliel, Imma Shalom, et le philosophe : Une citation des évangiles dans le Talmud ? ») visent plus directement la question à laquelle est censée répondre la deuxième partie de l’ouvrage. Le chap. VI porte essentiellement sur les gilyonim (sg. gillayon) dont il est question dans la littérature rabbinique et dont plusieurs critiques considèrent qu’ils désignent les évangiles. D’après Murcia, la réponse doit être plus nuancée étant donné l’évolution sémantique du terme gillayon que l’on observe depuis Isaïe jusqu’à la Tosefta, Si les scribes du Talmud de Babylone ont apparemment ignoré le sens du mot euangelion, ils connaissaient fort bien en revanche ce qu’étaient les gilyonim, à savoir « l’essence même de la révélation (gillayon) chrétienne » (p. 240). Le chap. VII commente un passage du Talmud de Babylone qui met en scène Rabban Gamaliel, l’épouse de R. Éliézer, Imma Shalom, et un « philosophe » chrétien réputé — mais à tort — être un juge intègre, à propos d’une question d’héritage. Dans ce débat halakhique, est mentionné à trois reprises le terme ‘avon gillayon, dans lequel on discerne une transcription du grec εὐαγγέλιον. Le philosophe cite également une parole proche de Mt 5,17-18 (« Je ne suis pas venu abolir la loi […] »). D’après Murcia, cet épisode est un récit fictif de composition tardive appartenant à la dernière couche rédactionnelle du Talmud de Babylone (vers 650), qui laisse néanmoins transparaître une connaissance directe des Évangiles ou, à tout le moins, d’un logion évangélique. Il ne peut donc servir à évaluer la familiarité que les Sages auraient eue avec les Évangiles chrétiens au début du deuxième siècle.

Intitulée « De Ben Strada à Ben Pandera », la troisième partie du livre porte sur « le mystérieux personnage de Ben Strada, inconnu en dehors des sources rabbiniques » (p. 321). Le chap. VIII examine les sources le concernant et les hypothèses avancées pour expliquer son nom. Murcia renonce à identifier le personnage tout en affirmant qu’il ne doit en aucun cas être confondu avec Jésus. Les chapitres suivants abordent trois textes du Talmud de Babylone mettant en scène Jésus ou ses disciples, qui ont été par ailleurs largement cités ou commentés (chap. IX. « Jésus en Égypte » ; X. « L’exécution de Jésus » ; XI. « Le procès des disciples »). Dans les trois cas et contrairement à des critiques récents, Murcia montre que ces textes ne concernent pas « le Jésus historique ni même, à proprement parler, celui des Évangiles » (p. 422), pas plus qu’un procès réel fait aux disciples. Il faut plutôt les interpréter en fonction du contexte rédactionnel du Babli.

La dernière partie de l’ouvrage, « De Balaam à Jésus », s’intéresse à des textes rabbiniques — une dizaine au total — concernant Balaam, dans lesquels on a cru trouver des allusions à Jésus. Un chapitre préliminaire (XII) présente les pièces du dossier Balaam et le chapitre suivant, les traditions tannaïtiques et leurs prolongements. Pour les tannaïm, « Balaam est l’antithèse d’Abraham. C’est le type même du méchant, de l’Impie » (p. 574). Même si le mystérieux devin a pu être identifié à d’autres personnages par la tradition rabbinique, il ne l’a jamais été avec Jésus. Cependant, dans la littérature post-tannaïtique, dans le Talmud de Babylone, il se trouvera associé à Jésus au point d’en devenir une figure, comme dans le récit où celui-ci se retrouve dans la Géhenne en compagnie de l’empereur Titus et de Balaam (chap. XIV). « Le cycle de Balaam en B. Sanhédrin 105a-106b » (chap. XV) illustre bien l’attitude des Sages du Talmud vis-à-vis de Balaam, l’ennemi de l’extérieur qui a échoué dans sa tentative d’anéantir Israël. Quant à Jésus, « l’ennemi de l’intérieur », il « fait figure de néo-Balaam », un « Balaam redivivus » (p. 664).

La conclusion générale de l’ouvrage revient d’abord sur « la question initiale de savoir si les sources talmudiques sont réellement susceptibles de nous apprendre quelque chose sur le Jésus historique » (p. 671). D’après Murcia, il est possible d’apporter à cette question une réponse définitive : « À deux détails près, soit ces documents n’apportent rien de plus, soit ils ne font que confirmer de façon indirecte ce que nous avions déjà » (ibid.). Ces « détails » sont, d’une part, Ben Panthera : le nom utilisé par les rédacteurs des sources tannaïtiques pour désigner Jésus, n’est pas une pure invention ; d’autre part, l’activité thérapeutique : dans les sources les plus anciennes, Jésus et ses disciples ne sont pas considérés comme des sorciers mais comme des guérisseurs aux techniques efficaces. « Pour le reste, continue l’A., tous les textes de la littérature talmudique sont d’abord des témoins de leur propre époque : ils en sont les miroirs. Ils ne nous renseignent pas sur ce que fut réellement Jésus mais sur la façon dont les rédacteurs de cette littérature le percevaient » (ibid.). Quant aux Évangiles, les Sages n’en auraient eu, sauf exception, qu’une connaissance indirecte, tirée des contacts inévitables qu’ils avaient avec les chrétiens.

Ce livre imposant et touffu se recommande par la richesse des dossiers qu’il exploite, aussi bien en ce qui concerne les sources directes que la documentation érudite ancienne et récente. Les lecteurs y trouveront une masse considérable d’informations et non seulement sur la thématique qu’annonce l’intitulé de l’ouvrage. La lecture de ces quelque sept cents pages de texte n’est cependant pas facile. Cela n’est sans doute pas étranger à la façon dont l’ouvrage a été élaboré, par l’intégration d’un certain nombre d’articles préalablement rédigés. Les différents chapitres constituent autant de micro-monographies qui méritent d’être lues pour elles-mêmes. L’exploitation des données qu’ils contiennent sera rendue plus commode par les dix tableaux que l’on trouve au fil du texte. Ajoutons enfin que la polémique est constamment présente tout au long de ces pages, à l’endroit surtout de Johann Maier et de Peter Schäfer, et prend parfois l’allure d’un procès d’intention (voir notamment aux pages 286-287 et 291). Ceci dit, le livre de Thierry Murcia constitue une contribution notable à l’étude de « Jésus dans le Talmud », qui mérite amplement de figurer en bonne place à côté de ceux de ses devanciers.

Paul-Hubert Poirier

Histoire littéraire et doctrinale

9. Franciszek Szulc, Le Fils de Dieu pour les judéo-chrétiens dans Le Pasteur d’Hermas. Traduction du polonais par Anna Latka, avec la collaboration de soeur Marie et de soeur Myriam, moniales dominicaines de Langeac. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Théologies »), 2011, 288 p.

Ce livre est la traduction française de Syn Boży w Pasterzu Hermasa. Świadectwo chrystologii judeochrześcijańskiej, publié en 2006 dans la collection « Studia Antiquitatis Christianae, Series Nova ». Le titre original suggère que le sujet principal est le Fils de Dieu dans le Pasteur d’Hermas et que ce texte est l’un des témoins de la christologie judéo-chrétienne. Cela correspond très bien au développement contenu dans ce livre. Or le titre en français suggère plutôt que l’on a affaire à un livre qui s’intéresse à la christologie dans un corpus de textes judéo-chrétiens, ce qui n’est pas le cas. Le sujet est plutôt la judéo-chrétienté de la théologie du Fils de Dieu dans le Pasteur d’Hermas. Dans son introduction, l’A. indique très clairement la visée de son ouvrage : montrer que l’originalité du Pasteur est de formuler un enseignement pouvant être reçu autant par les chrétiens de la gentilité que par les Juifs et les judéo-chrétiens.

Le premier chapitre, intitulé « Le Pasteur à la lumière de la critique historico-littéraire », est en fait un état de la question sur la recherche moderne concernant le Pasteur. L’A. commence par un tour d’horizon de la tradition manuscrite et des éditions critiques du texte. Il passe par la suite en revue la question du genre littéraire pour conclure que le Pasteur est un « amalgame de différentes formes littéraires » (p. 39). Même s’il souligne les problèmes entourant le genre apocalyptique, il mentionne qu’il est impossible de l’exclure : il définit ce texte comme un sous-genre de l’apocalypse chrétienne primitive en raison de son caractère complexe. Il remet aussi en question l’idée selon laquelle le sujet principal de l’écrit est la « pénitence ». Il propose de renverser cette idée et nous présente un autre thème tout aussi important selon lui : la théologie du Fils de Dieu. Il termine ce survol de la critique moderne par la question de la paternité de l’oeuvre. Il réfute la théorie des trois auteurs et conclut qu’il n’y en a qu’un seul.

Même si cet état de la question est complet, on regrette toutefois sa longueur : il constitue le tiers de l’ouvrage. De plus, certains éléments plus développés ne contribuent pas aux propos dans le reste du livre. C’est le cas des discussions sur le genre littéraire, une question qui ne revient plus lors de l’analyse des passages. Aucune référence n’a été ajoutée lors de la traduction en français et l’on comprend aisément que la nouvelle édition de 2007 du Pasteur d’Hermas par M.W. Holmes n’a pas été prise en compte, mais on remarque également que l’édition de 2003 de B.D. Ehrmann a été omise sans explication.

Au deuxième chapitre, intitulé « Le Serviteur élevé à la dignité du Fils de Dieu », l’A. propose d’éviter d’utiliser les termes « Christ » et « christologie », qui sont reliés à la messianologie, un concept qu’Hermas élimine par ailleurs. Introduire le terme « Christ » dans les interprétations modernes du Pasteur ne peut qu’entraîner une déformation de la théologie de son auteur. Selon Szulc, on doit replacer Hermas dans l’effort théologique de son époque, qui est de préciser la notion du Fils de Dieu, une notion grecque qui était une pierre d’achoppement pour les Juifs. Hermas développe dès lors une théologie du Fils de Dieu qui pourrait être acceptée par ses coreligionnaires.

Dans le troisième chapitre, intitulé « Le Fils de Dieu sous la forme d’un ange », Szulc expose clairement que le Fils de Dieu n’est pas un ange. Pour l’A., on ne peut pas parler de christologie angélique et il suit en cela l’opinion déjà exprimée par N. Brox. L’originalité de ce chapitre réside plutôt dans le fait qu’il explique que le Fils de Dieu n’est jamais ouvertement appelé ange, mais les explications données par Hermas relèvent du langage angélologique. Toujours selon l’A., pour le « lecteur appartenant au monde de la culture gréco-romaine, ignorant le judaïsme, c’était un langage clair, celui des révélations surnaturelles » (p. 228). Ce langage théophanique apparaissait également très familier aux Juifs et aux judéo-chrétiens. L’A. fait aussi une distinction claire entre l’ange Michel et le Fils de Dieu qui sont deux personnages différents selon lui.

Intitulé « Le Nom du Fils de Dieu », le dernier chapitre indique qu’Hermas crée sa propre théologie du Nom du Fils de Dieu. L’A. montre qu’Hermas emploie « Nom de Dieu » et « Nom du Seigneur » dans un sens juif, mais qu’il donne une signification bien à lui des formules « Nom du Fils de Dieu » ou « Nom ».

L’une des conclusions principales de cet ouvrage est la pluralité des destinataires. Selon lui, le titre messianique soulevait des controverses parmi les Juifs, provoquait les autorités romaines et était enfin incompris de la gentilité. Szulc pense dès lors que l’auteur du Pasteur s’est éloigné volontairement de la messianologie et a choisi à dessein le terme « Fils de Dieu » plutôt que la terminologie reliée au Christ. Il préfère davantage parler de théologie judéo-chrétienne du Fils de Dieu. Il conclut donc qu’Hermas développa un enseignement sur le Fils de Dieu afin d’être compris autant des chrétiens issus du monde gréco-romain, que des Juifs et des judéo-chrétiens. Il mentionne aussi que le Pasteur possède un caractère proprement judéo-chrétien et souhaite que cette idée soit maintenant solidement établie et acceptée : mais ne l’était-elle pas déjà depuis J. Daniélou et A. Grillmeier ? L’A. ne nous renseigne pas sur ce qu’il entend par « judéo-christianisme ». Bien entendu, on comprend que ses travaux s’insèrent à la suite de ceux de J. Daniélou et sous-entendent donc une approche théologique. Mais comme l’une des idées principales de l’A. concerne les destinataires du Pasteur, c’est-à-dire les chrétiens, les Juifs et les judéo-chrétiens, où trace-t-il la démarcation entre ces groupes ? Les limites sont parfois floues et une précision aurait été appréciée.

Ce livre constitue néanmoins une référence à consulter pour tout travail sur Hermas. Même si l’A. revisite plusieurs discussions et controverses sans pourtant y ajouter des éléments qui soient tout à fait nouveaux, il prend néanmoins position en apportant des arguments convaincants.

Jeffery Aubin

10. John Wijngaards, Women Deacons in the Early Church. Historical Texts and Contemporary Debates. New York, The Crossroad Publishing Company, 2006, ix-226 p.

This book was first published in the U.K. in 2002. The 2006 edition is the American edition to this work. The author of this book claims his purpose is to report on the state of the discussion concerning women deacons in the first millennium, namely, were they real deacons, or not ? He lays the starting scene with “the Olympias enigma”. The real issue at stake he contends is if the deaconate of women was a true diaconate, and “if it was one valid expression of the sacrament of holy orders, then women did in fact receive holy orders and the priesthood too is open to them” (p. 8). He contends that the Vatican’s International Theological Commission reaffirmed that the diaconate belongs to the sacrament of orders ; since the Church imparted to women full and equivalent sacramental diaconate, it follows that it has the power to ordain them. He posits the logic of ex facto sequitur posse (it follows from the fact that) to bolster his argument. His thesis is that for almost a millennium, women in the Eastern Church were ordained to the deaconate, but that shortly before the end of the first millennium the practice disappeared. It’s not a new fact that women were called “deaconesses” in the early Church, the argument here is whether or not deaconesses were ordained in the sacramental sense of the term.

The structure of the book is quite simple ; it consists of two parts, chapters and texts. In the former, he outlines his presentation in chapters 1 to 5, then addresses the debate in chapters 6 to 12, and delivers his final assessment in chapters 13 to 15. In the later, primary source texts are presented to bolster his argument.

In the first five chapters of his presentation, he discusses the enigma at Constantinople, presents evidence for women deacons, highlights the manuscripts that preserved the rite, discusses the actual rite of ordaining a woman deacon, and concludes this section with a comparison of ritual between men and women. In the chapters concerning the debate, he brings up numerous questions : Is talk of sacrament an anachronism ? Were women excluded from any sacred service ? Did they play only a minor role at baptism ? Did they anoint the sick ? Were they merely nuns and not true deacons ? If they were ordained deacons, was this just a rare and local phenomenon ? Finally, did the bishops have any intention to ordain real deacons ? In the assessment chapters he tackles the underlying assumptions, questions the certainty of his conclusions and concludes with the importance of reconciling the true facts from past for the sake of the future.

The text part of his book is the evidentiary portion that underpins his thesis : He offers original source texts and where possible, illustrations of original manuscripts such as the Codex Barberini gr. 336 in the Vatican Library in archaic Greek majuscule characters ; Rom 16:1-2 ; 1Tim 3:8-13 ; Letter of Pliny the Younger ; Clement of Alexandria commentary on 1Cor 9:5 ; Origen’s commentary on Rom 16:1-2 ; Ecclesiastical Canons of the Apostles (Canon 21, 24-28) ; The Didascalia (9 1-3 ; 16 1-8) ; Council of Nicea (Canon 19) ; Epiphanius of Salamis (Against Heresies, Summary of Faith, Letter to Bishop John) ; Basil of Caesarea (Canon 44) ; John Chrysostom (Homily 11.1) ; Gregory of Nyssa (On the life of St. Macrina) ; Apostolic Constitutions (II, 26, 5-7 ; II, 57, 10 ; II, 58, 1-6 ; III, 16, 1-2 ; III, 16, 4 ; III, 19, 1-2 ; VII, 17, 4 ; VII, 27) ; Ordination rite in the Apostolic Constitutions (VIII, 17-18 ; VIII, 19-20) ; Emperor Theodosius (Law XVI, 2, 27) ; Pelagius (1Tim 3:11 ; 1Tim 5:9-11 ; Rom 16:1) ; Theodore of Mopsuestia (1Tim 3:11 ; 1Tim 5:9) ; Sozomenos (Book 8, chapter 9 and 24) ; Pseudo-Ignatius ; Theodoret of Cyrrhus (1Tim 3:11) ; Council of Chalcedon (Canon 15) ; First Synod of Dvin in Armenia (Canon 17) ; Severus of Antioch (Letters 49 ; Letter 62 ; Canon 9 ; Canon 11) ; Code of Emperor Justinian (Novella 6, 6 § 1-10 ; Novella 131, 23 line 23ff. ; Novella 123, 30) ; John Moschos ; The Council of Trullo (Canon 14 ; Canon 48) ; Sinai Codex gr. 956 (Prayer for the ordination of a deaconess) ; Codex Grottaferrata Γβ 1 (Prayer for the ordination of a deaconess) ; Coislin Codex gr. 213 (The order for the ordination of a deaconess) ; Bodleian Codex E.5.13 (Prayer for the ordination of a deaconess) ; Codex Vaticanus gr. 1872 (Prayer for the ordination of a deaconess) ; Cairo Codex gr. 149-104 (The order for the ordination of a deaconess) ; Xenophon Codex gr. 163 (Prayer for the ordination of a deaconess).

In summary, while the thesis at face value seems cogent, one can’t help but get the feeling that much is being conflated both chronologically and geographically and at times the argument is a fallacy of question framing. In addition, since the history of the Church spans almost two millennia, circumstances, tradition, rites, prayers, etc., were in flux ; and any attempt at connecting a reading of an isolated event in the past to Canon, is akin to pinning down a molecule in a Brownian Motion experiment — it is an ever elusive task. A church in Paul’s day would have merely been a home that hosted a small number of followers, a far cry from the towering Norman façades that would dot Europe a thousand years later. While Wijngaards presents us with a host of ancient documents, these do not make for a flowing narrative that address different Christian sects, expansion, persecution, ultimate triumph of being the official religion of the empire, the constant shift of power between Caesaropapists and the Theocrats, etc. Therefore, to ponder why the practice of ordaining deaconesses suddenly ceased in the Eastern Church is to ignore change both subtle and radical throughout History.

Dianne M. Cole

11. Stephen Emmel, Shenoute’s Literary Corpus. Leuven, Peeters Publishers (coll. « Corpus Scriptorum Christianorum Orientalium », 599-600, « Subsidia », 111-112), 2004, 2 vol., xxvi-1 006 p. en pagination continue.

Professeur à l’Institut d’égyptologie et de coptologie à l’Université de Münster en Allemagne, Stephen Emmel s’est imposé parmi les plus grands spécialistes de Chénouté d’Atripe, abbé du Monastère Blanc en Haute-Égypte de 385 jusqu’à sa mort, en 465/466. Quasiment inconnu en Occident, Chénouté est néanmoins une des plus importantes figures du christianisme égyptien ancien, avec Antoine et Pachôme, et est considéré comme l’auteur copte par excellence.

Ce livre est la publication, longuement attendue, de la thèse de doctorat de l’A., déposé à l’Université de Yale en 1993. Emmel y fait la reconstruction codicologique de l’imposant corpus littéraire de Chénouté, étape préalable, et nécessaire, à la préparation d’une édition critique des oeuvres de l’abbé du Monastère Blanc. Les deux volumes se divisent en quatre parties. La première, « The Reconstruction of Shenoute’s Literary Corpus », compte 8 chapitres. Dans le premier, « The Bibliographical Structure of Shenoute’s Literary Corpus », l’A. traite brièvement des indices nous laissant croire que les oeuvres de Chénouté ont été transmises de manière ordonnée, du moins en partie, à l’aide d’un système de numérotation. Le corpus littéraire de Chénouté se subdivise en deux : on trouve d’abord les « Canons », transmis en neuf volumes, puis les « Discours », en huit. Avant d’aborder en détail la reconstruction codicologique du corpus de Chénouté, Emmel fait préalablement, au chapitre 2, un survol de la vie de Chénouté et de l’histoire du Monastère Blanc (« The History of the White Monastery Manuscripts of Shenoute’s Corpus »). L’A. y passe en revue ce qu’on connaît de la vie de Chénouté, non sans traiter également de la redécouverte de Chénouté par les chercheurs européens au seizième siècle, de la dispersion des manuscrits du Monastère Blanc dans diverses collections et des efforts pour reconstruire le corpus de Chénouté, du dix-neuvième siècle jusqu’au présent ouvrage. Le chapitre 3 se consacre aux témoins codicologiques du corpus (« The Codicological Evidence for the Corpus »). Aucun codex du Monastère Blanc n’ayant survécu intact ou complet, l’A. laisse volontairement tomber les attributions basées sur une analyse du style ou de la grammaire, pour ne retenir que les oeuvres explicitement transmises sous le nom de Chénouté. Suit alors une description très détaillée expliquant la sélection des fragments retenus (désignation des références, principes de reconstruction, critères pour le placement d’un fragment dans un codex, problèmes rencontrés, liste des fragments examinés). Le chapitre 4 porte pour sa part sur les autres témoins du corpus littéraire de Chénouté (« Other Kinds of Evidence for the Corpus »), c’est-à-dire autres que les fragments des oeuvres elles-mêmes : la liste des incipit de Vienne, les typica liturgiques (livre renfermant une liste des lectures pour le service, arrangées selon le calendrier liturgique), les lectionnaires, le florilegium Sinuthianum (un manuscrit du Monastère Blanc ayant préservé plusieurs extraits d’oeuvres d’un même auteur, très vraisemblablement Chénouté), les ostraca, les témoignages d’autres auteurs et les anciennes listes de livres. Le chapitre se clôt sur une liste des incipit qu’il est possible d’attribuer à Chénouté. Le chapitre 5, « Descriptive Method », présente brièvement chacun des éléments qui font partie des reconstructions codicologiques des manuscrits décrites aux chapitres 6 à 8 : noyau (core), fragments liés au noyau, matériau et nombre de feuillets, folio(s) contigu(s), disposition du texte, réglure, écriture et décoration, marginalia, colophon, texte(s) parallèle(s), bibliographie codicologique, discussion sur des éléments singuliers, et enfin contenu du codex. Les chapitres 6 à 8 constituent le coeur de l’ouvrage. En fonction des éléments présentés au chapitre 5, l’A. consacre le chapitre 6 à la reconstruction des manuscrits ayant préservé les 9 volumes de Canons, et le chapitre 7 à la reconstruction codicologique des manuscrits témoins des volumes 4, 5, 7 et 8 des Discours. Le chapitre 8 traite pour sa part des autres manuscrits ayant préservé des oeuvres de Chénouté, qu’il s’agisse de témoins potentiels des trois premiers volumes des Discours, de combinaisons d’oeuvres tirées des Discours ou des Canons ou de lectionnaires puisant leurs textes à des oeuvres de Chénouté. Une dernière section du chapitre 8 décrit pour sa part les trois textes de Chénouté ne provenant pas de manuscrits du Monastère Blanc. Le chapitre 9 (« Tables of the Individual Manuscripts as Reconstructed from their Constituent Fragments ») est le dernier du premier volume et le seul figurant dans la deuxième partie de l’ouvrage. Faisant la synthèse de ce qui précède, l’A. y présente, sous forme de tableaux, les codex tels que reconstruits aux chapitres 6-8. Les 88 tableaux comptent chacun cinq colonnes : feuillets, signatures, pages, manuscrits et éditions.

Le deuxième volume s’ouvre avec la troisième partie, intitulé « A Catalogue of Shenoute’s Work ». Après avoir explicité les six critères retenus pour attribuer une oeuvre à Chénouté (chapitre 10) et expliqué sa méthode pour décrire ces dernières (chapitre 11), Emmel se penche sur le contenu des neuf volumes de Canons (chapitre 12), des huit volumes de Discours (chapitre 13), et sur les autres ouvrages attribués à Chénouté (chapitre 14). La quatrième et dernière partie, « Synoptic Tables of the Individual Works of Shenoute as Reconstructed from their Manuscript Witnesses », dans laquelle se trouve le chapitre 15, est essentiellement constituée de tableaux qui mettent en parallèles les témoins manuscrits de chacune des oeuvres de Chénouté (par Canons, par Discours et par textes « autres »). Le second volume se clôt sur deux annexes : d’abord, sur une liste des ouvrages dont la paternité chénoutienne est soit fausse, soit douteuse, soit incertaine ; puis sur une concordance entre la nouvelle classification par Emmel et les inventaires et publications antérieurs des oeuvres de Chénouté. Le lecteur trouvera enfin une bibliographie et une concordance des fragments de manuscrits, présentés par collection et numéro.

Certes très technique et s’adressant avant tout aux spécialistes, Shenoute’s Literary Corpus n’en est pas moins un tour de force et un modèle à suivre du point de vue méthodologique. À partir de près de deux milles fragments répartis dans une douzaine de collections, rappelons que Stephen Emmel réussit à reconstruire une centaine de manuscrits de parchemins tirés de la bibliothèque du Monastère Blanc, recensant par le fait même près de 150 oeuvres distinctes attribuées à Chénouté. La clarté des tableaux, des listes et des descriptions codicologiques font de ces deux volumes une référence indispensable pour tous ceux qui s’intéressent à Chénouté et au christianisme égyptien ancien, tant du point de vue philologique, historique que théologique. Il ne fait aucun doute que la parution de ces deux volumes marque le début d’une nouvelle ère dans les études chénoutiennes.

Eric Crégheur

12. Vicente Dobroruka, Second Temple Pseudepigraphy. A Cross-Cultural Comparison of Apocalyptic Texts and Related Jewish Literature. Berlin, Boston, Walter de Gruyter (coll. « Ekstasis : Religious Experience from Antiquity to the Middle Ages », 4), 2014, xviii-193 p.

Ce volume fait partie d’une collection appelée « Ekstasis », qui publie des monographies et des recueils d’articles sur les expériences religieuses dans l’Antiquité et le Moyen Âge. Par « expériences religieuses », on entend des extases, expériences visionnaires, prophéties, magie, etc. L’A., Vicente Dobroruka, est professeur d’histoire ancienne à l’Université de Brasilia et s’intéresse beaucoup à la littérature apocalyptique et aux religions de l’Orient. Il a notamment publié sur les mouvements millénaristes brésiliens du dix-neuvième siècle et sur les techniques d’induction à des expériences visionnaires dans les textes apocalyptiques juifs, surtout dans 4 Esdras. Le livre est une version révisée de sa thèse de doctorat, présentée à la Faculté de théologie de l’Université d’Oxford en 2005.

L’idée du volume est de fournir une nouvelle approche pour l’analyse des textes pseudépigraphiques juifs de la période du Second Temple, notamment les apocalypses. Il s’agit d’une comparaison interculturelle entre deux phénomènes très distants du point de vue temporel : la pseudépigraphie juive de la période du Second Temple et ce qu’il appelle « l’écriture automatique du spiritisme brésilien ». Son corpus comprend des textes juifs produits pendant la période du Second Temple, tel que 4 Esdras et 2 Baruch, et les ouvrages supposément psychographiés par le célèbre médium brésilien Chico Xavier. Selon lui, une telle comparaison est valable parce que la recherche moderne sur la littérature apocalyptique a tendance à démontrer que les textes pseudépigraphiques juifs qui nous sont parvenus ne sont pas nécessairement issus de la simple volonté d’accorder autorité à un message quelconque. Au lieu de penser simplement que le fait d’attribuer un ouvrage à Esdras ou à Baruch est une fraude (pia fraus), on considère maintenant la possibilité qu’un auteur ait pu vivre une véritable expérience religieuse, croyant avoir reçu une révélation au nom d’un personnage célèbre (Énoch, Esdras, etc.), ou bien avoir été « possédé » par ce même personnage.

Cette position récente sur la pseudépigraphie juive est appuyée par une histoire de la recherche, dans laquelle l’A. commente les travaux des scientifiques les plus connus dans le domaine, tels que Collins, Russel, Himmelfarb, Rowland, etc. Pour justifier une telle comparaison, il évoque le fait que, tant pour la pseudépigraphie que pour la psychographie, le phénomène religieux est très souvent lié aux états altérés de conscience (EAC). Dans les deux cas, une préparation est en effet requise (jeunes, prières, une vie vertueuse, etc.), et c’est cette préparation qui va, selon les visionnaires, rendre possible le contact avec le monde surnaturel. Dans le cas spécifique des apocalypses juives, certains chercheurs ont suggéré que la description des préparations requises pour atteindre un EAC, ainsi que les visions fantastiques et les expériences supposément vécues par le visionnaire, n’étaient que des topoi. Dobroruka, argumente cependant qu’un tel raisonnement ne peut s’appliquer à des textes « fondateurs » comme 1 Enoch et Daniel, par exemple, car ils n’avaient pas de modèles sur lesquels se baser. Selon Dobroruka, une telle comparaison peut nous donner beaucoup de pistes sur les circonstances, très peu connues, entourant la composition des textes pseudépigraphiques juifs de la période du Second Temple.

Or, les conditions de composition des textes psychographiés par des médiums brésiliens sont, pour leur part, très bien connues. Des centaines de livres ont été publiés sur le phénomène (17 ouvrages de Chico Xavier ont été traduits en français, par exemple) et des milliers de personnes ont pu en être témoins, certains à plusieurs reprises. Il s’agit donc d’un phénomène largement documenté, qui, dans certains cas, a même été filmé. Le volume se clôt sur un index des textes cités, qu’ils soient bibliques, pseudépigraphiques ou classiques, ainsi que sur un index général.

Le livre est très bien fait et l’approche est à la fois nouvelle et vraiment intéressante. Chaque chapitre se termine par un résumé, ce qui aide le lecteur à suivre la démarche de Dobroruka. Dans le même sens, Dobroruka explique très bien et d’une façon accessible le phénomène religieux en question, c’est-à-dire, le « Kardecisme brésilien » ou le « spiritisme brésilien ». Il s’agit là d’un détail important, car un tel phénomène n’est pas nécessairement connu des chercheurs oeuvrant dans le domaine du judaïsme ou des religions anciennes en général, surtout pour ceux qui ne sont pas brésiliens.

Julio Cesar Dias Chaves

13. Volker Gäckle, Allgemeines Priestertum. Zur Metaphorisierung des Priestertitels im Frühjudentum und Neuen Testament. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 331), 2014, xx-769 p.

Ce gros ouvrage, remaniement d’une thèse soutenue en décembre 2013 devant l’Université de Zurich sous la direction de Jörg Frey, est consacré à ce que l’on appelle en français le « sacerdoce commun » (ici : « sacerdoce universel » ou « général »). Le sous-titre en précise l’objet : la métaphorisation — ou l’emploi métaphorique — du titre de prêtre dans le judaïsme primitif (Frühjudentum, c’est-à-dire le judaïsme du second Temple ou postexilique) et dans le Nouveau Testament. Le concept de « sacerdoce universel » n’apparaît nulle part dans l’Ancien ou le Nouveau Testament, comme l’A. le reconnaît d’emblée (p. 1), mais il trouve son expression dans des textes comme 1 Pierre 2,9 (qui reprend Exode 19,6 LXX) et Apocalypse 1,6 et 5,10. D’une manière plus générale et au-delà de ces textes-clés, l’A. part du fait que les tout premiers regroupements de disciples de Jésus furent, dans un contexte où les appareils cultuels et sacerdotaux étaient omniprésents, des « communautés sans prêtre ». De là, l’A. cherche à rendre compte de l’évolution qui a conduit à une (ré)appropriation des catégories et du vocabulaire sacerdotaux par les premiers chrétiens et surtout à un recours métaphorique — ou métaphorisé — à ceux-ci. Que pouvait signifier, se demande Gäckle, pour des chrétiens d’Asie mineure de la seconde moitié du premier siècle (les destinataires de la Prima Petri) de s’entendre désigner comme un « sacerdoce royal » (βασίλειον ἱεράτευμα) ? Cette question a d’ores et déjà suscité de nombreuses recherches (dont on a un aperçu aux p. 9-13) mais l’A. entend l’aborder à nouveau sous l’angle de la « métaphorisation des concepts cultuels », phénomène qu’il distingue de la spiritualisation ou de la substitution. Il entend en effet se situer dans le cadre des nouvelles théories de la métaphore qui se sont mises en place dans la foulée des linguistic turns du vingtième siècle et qui voient dans celle-ci autre chose qu’un ornement du discours, ce qu’elle était pour les anciens, mais plutôt un outil de création et d’innovation conceptuelles et langagières par la réappropriation d’une réalité préexistante. C’est dans cette perspective que l’A. entend aborder la reprise, dans la première littérature chrétienne, du vocabulaire du sacrifice, du temple, du culte et du sacerdoce, et la façon dont les communautés primitives ont pu se voir, se décrire et se comprendre comme le Temple de Dieu, un sacerdoce saint et des « prêtres pour Dieu » (Ap 1,6).

Par rapport aux publications consacrées à ce thème, le travail de Gäckle se distingue par son ampleur et son exhaustivité. Il comprend sept chapitres. Le premier est consacré aux prêtres et aux sacerdoces dans l’Antiquité gréco-romaine et le deuxième, au sacerdoce juif à l’époque postexilique. Le troisième chapitre porte sur les débats entourant le sacerdoce et le Temple dans le judaïsme postexilique, vus à travers des textes comme le Testament de Lévi, les écrits de Qumran, les Psaumes de Salomon et l’Assomption de Moïse, le livre de Tobie, les Jubilées ou les Oracles sibyllins ; les représentations du Temple sont également considérées, tout comme les « alternatives » qu’étaient le temple du mont Garizim ou celui des Oniades à Léontopolis en Égypte. Le culte sacerdotal dans les divers courants du Frühjudentum fait l’objet du quatrième chapitre, chez les Sadducéens, les Qumraniens et les Pharisiens, dans les traditions autour de Lévi et les mouvements prophétiques de renouveau dans les décennies qui ont précédé la guerre juive, chez Flavius Josèphe et dans la diaspora. Le cinquième chapitre, « Jésus, le Temple et le sacerdoce de Jérusalem dans les Évangiles synoptiques », culmine avec la scène de la rupture du rideau du Sanctuaire. Les chapitres suivants abordent plus directement la thématique de l’enquête : « La métaphorisation cultuelle chez Paul » (VI) ; « La communauté comme sacerdoce royal d’après 1 Pierre 2, 4-10 » (VII) ; « Les prêtres-rois (die herrschenden Priester) dans l’Apocalypse de Jean » (VIII). Dans un dernier chapitre, « Rétrospective et perspective », l’A. résume les acquis de la recherche et rappelle que les prodromes d’une métaphorisation ou d’une relativisation des concepts et institutions cultuels sont observables dans l’Ancien Testament et déjà dans la formule d’Exode 19,5-6, mais que ce phénomène n’apparut en pleine lumière qu’au tournant de l’ère chrétienne, aussi bien à Qumran que chez Philon d’Alexandrie, dans les Lettres de Paul, la Prima Petri et l’Apocalypse de Jean. Dès lors, l’expression « sacerdoce universel » est-elle toujours appropriée pour désigner le résultat de cette évolution ? Volker Gäckle conclut que la dynamique qui a conduit la Prima Petri et l’Apocalypse à appliquer à la communauté et à l’ensemble des croyants le titre de prêtre est totalement différente de celle qui fut à l’oeuvre dans l’Église ancienne ou à l’époque de la Réforme. Ce qui signifie que le concept de « sacerdoce universel », surtout si, comme c’est le cas dans la perspective catholique romaine, on l’oppose à celui de « sacerdoce ministériel », ne saurait se réclamer de textes comme 1 Pierre 2,4-10 ou Apocalypse 1,6 ; 5,10 et 20,6, même si le recours à ces textes a été instrumental dans la construction de ce concept. Dans le cas de l’Église ancienne (c’est-à-dire à partir du deuxième siècle), la réappropriation des catégories sacerdotales traduit une « israélitisation » (Israelisierung) ou une « templification » (Templisierung) de l’Église et du culte chrétien. Depuis la Réforme, la notion de « sacerdoce universel », revendiquée par les protestants et redécouverte par les catholiques, demeure néanmoins une pomme de discorde en ce qui concerne son extension. L’ouvrage de Volker Gäckle invite plutôt à dépasser ces débats pour redécouvrir une appellation qui voulait exprimer la noblesse et la dignité de l’existence chrétienne.

Paul-Hubert Poirier

14. James A. Kelhoffer, Conceptions of « Gospel » and Legitimacy in Early Christianity. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 324), 2014, xxiii-400 p.

James A. Kelhoffer est professeur d’exégèse du Nouveau Testament à l’Université d’Uppsala (Suède), depuis 2010, après avoir enseigné à l’Université de Saint-Louis, Missouri. Il a abondamment publié dans le domaine des études néotestamentaires et notamment trois ouvrages importants : Miracle and Mission. The Authentification of Missionnaries and Their Message in the Longer Ending of Mark[12], The Diet of John the Baptist. « Locust and Wild Honey » in Synoptic and Patristic Interpretation[13], et Persecution. Persuasion and Power[14]. Le présent ouvrage regroupe seize articles ou chapitres de livre parus entre 1998 et 2013, légèrement mis à jour et répartis en quatre sections. Dans une brève préface, « On Method, “Gospel” and Legitimacy », l’A. donne d’abord un aperçu du contenu du livre et de ses thèmes. La première section, « Methodological Observations », s’ouvre par la version anglaise de la leçon inaugurale de la chaire de Kelhoffer à Uppsala, prononcée en 2011. Dans ce texte intitulé « New Testament Exegesis as an Academic Discipline with Relevance for Other Disciplines » (2013), l’A. défend la place de cette discipline à l’université. Tout en reconnaissant la diversité des approches et des méthodes, il insiste sur la nécessité de pratiquer une exégèse qui demeure historique et critique. Le deuxième chapitre de la première section, « Early Christian Studies among the Academic Disciplines : Reflections on John the Baptist’s “Locust and Wild Honey” » (2007), revient sur le thème de l’ouvrage de 2005 en insistant sur des aspects méthodologiques. Suit « The Significance of the Earthly Jesus in Matthew : A Response to Jack Dean Kingsbury », court essai dans lequel l’A. montre qu’une approche narratologique doit aller de pair avec la critique de la rédaction.

La deuxième partie de l’ouvrage, autour des « Conceptions of “Gospel” in Early Christianity » est celle qui présente la plus forte cohérence. Le chapitre 4 reprend le titre d’un article de Robert Horton Gundry de 1996[15] : « “How soon a Book” revisited : ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ as a Reference to “Gospel” Materials in the First Half of the Second Century » (2004). Kelhoffer y conteste l’idée reçue selon laquelle Marcion aurait été le premier à utiliser le terme εὐαγγέλιον pour désigner un écrit ; il pense plutôt que le recours à ce terme comme un titre se situerait quelque part entre la composition de Matthieu et celle de la Didachè. Dans « Basilides’s Gospel and Exegetica (Treatises) » (chap. 5 ; 2005), Kelhoffer formule l’hypothèse que le titre Ἐξηγητικά (sc. βιβλία) ne désigne pas un commentaire « exégétique » ou scripturaire, mais plutôt des explications du système théologique de Basilide. Dans « The Struggle to Define Heilsgeschichte : Paul on the Origins of the Christian Tradition » (chap. 6 ; 2003), Kelhoffer montre que le témoignage de Paul, dans ses lettres, s’appuie déjà sur un récit des origines du mouvement chrétien, qui anticipe celui des Actes. Le chapitre 7, « The Witness of Eusebius’s ad Marinum and Other Christian Writings to Text-Critical Debates concerning the Original Conclusion to Mark’s Gospel » (2005), porte sur un ouvrage peu connu d’Eusèbe de Césarée, les Questions à Marinos, conservé dans une « sélection en abrégé » (ἐκλογὴ ἐν συντόμῳ) et dans la chaîne de Nicétas d’Héraclée sur Luc. Kelhoffer réédite, traduit et commente le début de l’ouvrage (I, 1-II, 1), qui concerne la contradiction entre Matthieu et Marc sur le moment de la résurrection de Jésus : « le soir du sabbat » (Mt 28,1) ou « le matin, le premier jour de la semaine » (Mc 16,2 ; cf. 16,9). Mentionnons qu’en 2008, Claudio Zamagni a donné une édition critique de ce qui reste des Questions dans l’Eklogè[16].

La troisième section de l’ouvrage, « Struggles for Legitimacy », commence (chap. 8) par un essai intitulé « The Maccabees at Prayer : Pro- and Anti-Hasmonean Tendencies in the Prayers of First and Second Maccabees » (2001), dans lequel est examinée l’opposition entre 1 et 3 Maccabées, le premier, pro-hasmonéen, et le second, deutéronomiste et anti-hasmonéen. Dans « Suffering as Defense of Paul’s Apostolic Authority in Galatians and 2 Corinthians 11 » (chap. 9 ; 2009), l’A. met en lumière le contexte polémique de la valorisation de la souffrance chez Paul, dans une perspective de légitimation. Le chapitre 10, « The Apostle Paul and Justin Martyr on the Miraculous : A Comparison of Appeals to Authority » (2001), est une étude comparative de textes de Paul qui illustre le déplacement des perspectives de l’un à l’autre, de l’autojustification à l’apologétique. Le chapitre 11, « The Gradual Disclosure of Paul’s Violence against Christians in the Acts of the Apostles as an Apology for the Standing of the Lukan Paul » (2009), analyse la stratégie de l’auteur des Actes dans les passages sur Paul persécuteur (Ac 8,3 ; 9,1-2 ; 22,4 ; 26,9-11). Le chapitre 12, « The Relevance of Revelation’s Date and the Imperial Cult for John’s Appraisal of the Value of Christians’ Suffering in Revelation 1-3 » (2012), discute notamment le témoignage de Tacite, en Annales 14, 27, 1, sur le tremblement de terre de 60/61, parfois invoqué, à tort d’après Kelhoffer, pour justifier une datation haute de l’Apocalypse de Jean. « Hippolytus and Magic : An Examination of Elenchos IV.28-42 and Related Passages in light of the Greek Magical Papyri » (chap. 13 ; 2007-2008) porte sur la longue notice que le Pseudo-Hippolyte consacre aux magiciens et à leurs supercheries, ainsi que sur les références à la magie dans d’autres oeuvres attribuées à Hippolyte de Rome, y compris la Tradition apostolique. L’A. souligne les rapprochements entre le développement de l’Elenchos et les papyri magiques grecs. Le chapitre 15, « The Search for Confessors and the Council of Nicaea » (2011), nous déplace au quatrième siècle pour critiquer la thèse de Timothy Barnes, selon laquelle les évêques-confesseurs qui portaient les marques des tortures qu’ils avaient subies, auraient joui de ce seul fait d’une autorité considérable au Concile.

La quatrième et dernière partie de l’ouvrage, « Early Christian Virtues in Practice », comporte deux chapitres. Dans « Suppressing Anger in Early Christianity : Examples from the Pauline Tradition » (chap. 15 ; 2007), Kelhoffer montre que la perception de la colère varie en passant des lettres authentiques de Paul aux deutéro-pauliniennes, et qu’on ne peut, de ce point de vue, traiter le corpus paulinien comme un tout. Dans le dernier chapitre, « Early Christian Ascetic Practices and Biblical Interpretation : The Witnesses of Galen and Tatian » (2006), l’A. rapproche, à la lumière du témoignage favorable de Galien sur la maîtrise dont font preuve les chrétiens et de celui de Tatien, les pratiques ascétiques des chrétiens de celles des philosophes, même s’il faut tenir compte, pour Tatien, de l’influence de modèles bibliques, comme Jean Baptiste.

Une bibliographie générale termine l’ouvrage, suivie d’un index des textes anciens et des auteurs modernes. Comme on le voit, les thèmes abordés dans ces seize contributions débordent ce qu’annonce le titre de l’ouvrage, ce qui en fait d’autant un recueil de grand intérêt pour l’étude du Nouveau Testament et du christianisme ancien.

Paul-Hubert Poirier

15. Adrien Lecerf, Lucia Saudelli, Helmut Seng, dir., Oracles chaldaïques : fragments et philosophie. Heidelberg, Universitätsverlag Winter (coll. « Bibliotheca Chaldaica », 4), 2014, 319 p.

Cet ouvrage réunit les exposés présentés lors de deux journées d’études consacrées aux Oracles chaldaïques, tenues à Paris les 27 juin 2009 et 2 octobre 2010, et organisées par Lucia Saudelli et Adrien Lecerf. Comme on le sait, les Oracles chaldaïques (Χαλδαϊκὰ λόγια) sont une collection d’oracles philosophiques que des théurges vivant au deuxième siècle de notre ère — Julien dit le Chaldéen et son fils Julien le Théurge — auraient reçus des dieux eux-mêmes. Ces Oracles, dont nous ne possédons plus que des fragments, ont été considérés par les philosophes platoniciens des siècles suivants comme inspirés et comme définitoires d’une philosophie d’obédience platonicienne portant sur la triade divine (Père, Puissance et Intellect), les êtres intermédiaires (les démons et les anges), l’âme et le cosmos. Dans les dix communications réunies dans ce volume, les éditeurs ont souhaité aborder quatre questions, ainsi qu’ils s’en expliquent dans l’introduction : 1) considérant que les Oracles chaldaïques se rattachent au courant de la philosophie ancienne qu’on appelle moyen-platonisme, qui s’est développé entre la disparition de l’Académie platonicienne en 86 avant notre ère et l’entrée en scène de Plotin, à partir de 244, les A. ont voulu réexaminer la terminologie technique et les doctrines philosophiques présentes dans les Oracles ; 2) même si le Dieu chaldaïque, un et trine, se distingue de celui du christianisme, les spécialistes ont toutefois avancé des hypothèses sur une possible influence juive ou chrétienne sur les Oracles et ont signalé des parallèles avec la tradition gnostique, deux thèmes sur lesquels il convenait de revenir ; 3) les Oracles chaldaïques ne sont connues que par les citations et les exégèses des philosophes néoplatoniciens, d’où l’attention qui doit être accordée aux contextes dans lesquels les Oracles sont cités ou commentés et à la tradition dans laquelle ils s’inscrivent ; 4) la nécessité, enfin, d’une nouvelle édition des Oracles chaldaïques dans laquelle les fragments et les témoignages ou comptes rendus indirects seraient accompagnés des contextes de citation et d’une étude de leur transmission et de leur réception.

Dans « Le paradis chaldaïque (fr. 107 et 165) », Michel Tardieu étudie deux fragments qui mentionnent le paradis, dont il fait l’exégèse en montrant qu’il faut comprendre l’expression « non plus au sens religieux et théologique du terme, mais uniquement par rapport à son sens premier pour désigner une réalité matérielle vérifiable dans l’histoire et la géographie du Proche-Orient à l’époque hellénistique » (p. 22), « établissements de luxe et de richesse économique » (p. 26), qui n’ont rien à voir avec « le paradis “véritable”, celui de la piété, autrement dit de la philosophie » (ibid.).

Helmut Seng s’intéresse pour sa part à deux formules exprimant l’au-delà du Bien dans la philosophie platonicienne, ἅπαξ ἐπέκεινα et δὶς ἐπέκεινα, dont il montre l’origine chaldaïque. Il reconnaît que la signification exacte de ces expressions demeure problématique tout en proposant en conclusion de les comprendre en fonction des identifications suivantes : 1) le Père — l’Intellect de l’intellect, ἐπέκεινα τοῦ ἐπέκεινα — δὶς ἐπέκεινα, et 2) le Second Intellect — l’Intellect, ἐπέκεινα — ἅπαξ ἐπέκεινα.

Dans « Monde, abîme, corps : le fragment 163 des Places (p. 62 Kroll) des Oracles chaldaïques », Lucia Saudelli présente une analyse et un commentaire de ce fragment préservé par Damascius et cité par Synésius. Ce dernier invoque l’oracle pour montrer comment les dieux mettent en garde la partie intellective de notre âme contre la descente dans le monde terrestre et dans l’abîme souterrain qui est « dépourvu d’intellect ». L. Saudelli conclut que, « par-delà les diverses interprétations néoplatoniciennes de la fin de l’Antiquité, notre fragment des Oracles chaldaïques représente une soi-disant révélation divine, inspirée du platonisme syncrétiste du deuxième siècle de notre ère, sur ce mal qu’est pour l’âme la chute dans le monde sublunaire des corps et de la matière » (p. 60).

La communication d’Adrien Lecerf, « L’empereur Julien entre culte d’Attis, Oracles et théologie solaire », porte sur le discours À la Mère des Dieux, qui constitue « l’exégèse ancienne la plus développée du mythe et des festivités rituelles liées au dieu phrygien Attis et la Mère des Dieux, Cybèle » (p. 61). A. Lecerf fournit des éléments d’interprétation de ce discours hymnique et s’interroge sur ses sources, Porphyre (allégorie à dominante physique) et Jamblique (allégorie à dominante théologique). La structure conceptuelle du discours est presque exclusivement due à Jamblique et les parallèles porphyriens repérables chez Julien lui sont venus par la médiation de Jamblique.

Dans « Φάος et τόπος : le fragment 51 (v. 3) des Places (p. 28 Kroll) des Oracles chaldaïques selon Proclus et Simplicius (Corollarium de loco) », Philippe Hoffmann offre une traduction commentée des sept premières pages de la longue digression (45 dans l’édition de Diels) introduite par Simplicius dans son commentaire sur la Physique d’Aristote et consacrée à la notion de « lieu ». Simplicius y invoque, à titre de confirmation, le témoignage du fragment 51, qui énonce que l’Âme du Monde, « anime de fond en comble lumière (φάος), feu, éther, monde ». D’après Simplicius et à l’encontre de Proclus, l’oracle fait de la lumière non un corps mais une réalité qui transcende le monde. Dans son analyse du v. 3 de l’oracle, P. Hoffmann met en lumière « l’osmose entre la démarche proprement philosophique de Simplicius (et de Proclus), qui correspond à une recherche de Physique, et l’opération herméneutique appliquée à une parole oraculaire, laquelle est une πίστις, au double sens du terme : la confirmation d’une expérience de Foi puisque cette parole divine porte sur un objet divin » (p. 105).

« Les apparitions divines dans les Oracles chaldaïques et selon Proclus » ont retenu l’attention de Fârès Gillon. La possibilité de bénéficier d’apparitions divines est affirmée par les Oracles chaldaïques et elle est admise par Proclus. Les apparitions ou « autophanies » des dieux constituent donc un postulat appuyé sur l’expérience et la tradition, et sur les paroles mêmes des dieux. Ce n’est pas la doctrine philosophique qui amène Proclus à reconnaître la possibilité des apparitions, mais il y souscrit comme à un postulat religieux, « assez semblable à celui que l’on trouve chez les théologiens juifs, chrétiens, musulmans et autres, qui pose d’abord la vérité d’une révélation, qu’il s’agit ensuite de comprendre avec des outils philosophiques ou non » (p. 167). Mais, dans la mesure où l’apparition divine est « une image de la procession ontologique » (ibid.), elle garde une dimension philosophique.

La contribution en italien de Chiara O. Tommasi Moreschini sur les Oracles chaldaïques comme support de l’exégèse virgilienne tardo-antique, chez Favonius Eulogius et d’autres néoplatoniciens latins, attire l’attention sur un auteur peu connu, rhéteur de Carthage, disciple et compagnon d’Augustin, et auteur d’une Disputatio de Somno Scipionis. Sa connaissance des Oracles chaldaïques dérive des sources latines qui reprennent l’exégèse porphyrienne. Favonius constitue à ce titre, nonobstant la brièveté de son oeuvre, un maillon dans l’histoire du platonisme latin et des courants « ésotériques » qui s’y rattachent.

« Pour un index des références latines aux Oracles. Les exemples de Marius Victorinus et de Martianus Capella » : par cet article commun, Min-Jun Huh et Jordi Pià veulent contribuer à une étude systématique de la réception latine des Oracles chaldaïques en analysant, en guise d’introduction, deux cas, ceux de Marius Victorinus et de Martianus Capella. Le premier exploite uniquement le système théologique des Oracles, alors que le second aborde non seulement la doctrine chaldaïque mais aussi ses pratiques théurgiques et l’expressivité poétique de ses images dans la perspective d’une défense du paganisme. Cette contribution, dense et précise, augure bien du projet que se proposent de réaliser les A. Dans les deux exemples considérés, ils montrent la malléabilité des Oracles chaldaïques, mis au service de « deux situations idéologiques et programmatiques différentes » (p. 230) : d’un côté, celle d’un chrétien qui considère les Oracles comme un moyen de résoudre les difficultés liées à la consubstantialité et aux distinctions hypostatiques, de l’autre, celle d’un païen pour qui l’aspect rituel des Oracles aide à l’élaboration d’un système des arts libéraux, conçu « selon un mouvement anagogique qui accompagne l’âme vers les réalités intelligibles » (p. 230).

Également en italien, la contribution de Claudio Moreschini illustre la survie des Oracles chaldaïques chez Hermias d’Alexandrie, philosophe néoplatonicien, condisciple de Proclus à Athènes (m. en 437), Michel Psellus, savant et polymathe byzantin (m. après 1081) et Francesco Zorzi, théologien et expert de la Cabbale, qui a vécu à Venise entre 1460 et 1540. La majeure partie de l’article est consacrée à Psellus, à propos de l’antiquité des Oracles chaldaïques, de l’origine de la théologie chaldaïque et de la supériorité de la religion chrétienne en regard du paganisme des Oracles.

L’ouvrage se referme sur la contribution de Brigitte Tambrun-Krasker : « Les Oracles chaldaïques entre idéologie et critique (xve-xviie s.) ». Elle montre comment, à partir du quinzième siècle, les Oracles chaldaïques sont souvent mis au service d’une idéologie, pour soutenir les thèses contestataires des idées ou des stratégies dominantes. Si les Oracles chaldaïques ont ainsi été appelés à étayer des visions théologiques variées, voire opposées, c’est en raison de leur « extrême plasticité ». B. Tambrun-Krasker retient quelques exemples significatifs de l’utilisation des Oracles, depuis Georges Gémiste Pléthon (v. 1360-1452), dont elle est spécialiste[17], Agostino Steuco (1497/1498-1548), Thomas Stanley (1625-1678) Jean Le Clerc (1657-1736), Pierre-Daniel Huet (1630-1721) jusqu’à Pierre Jurieu (1637-1713).

Ce recueil d’articles paraît dans la « Bibliotheca chaldaica », une collection vouée à l’étude des Oracles chaldaïques et créée à l’initiative d’Helmut Seng et de Michel Tardieu. Elle témoigne de l’intérêt que suscitent les Oracles, suite, notamment, aux travaux de Pierre Hadot et à l’édition non encore remplacée d’Édouard des Places, mais aussi à la double réédition (1978 et 2011), accompagnée d’un index systématique rédigé par Michel Tardieu, des Chaldaean Oracles and Theurgy (Le Caire, 1956) de Hans Lewy. Il est à souhaiter que les recherches actuellement consacrées aux Oracles chaldaïques aboutissent finalement à une nouvelle édition.

Paul-Hubert Poirier

16. Markus Vinzent, Marcion and the Dating of the Synoptic Gospels. Leuven, Paris, Walpole, Mass., Peeters Publishers (coll. « Studia Patristica - Supplement », 2), 2014, xi-353 p.

L’art de faire du neuf avec du vieux : c’est ainsi qu’on pourrait qualifier en quelques mots cet ouvrage. En effet, la thèse centrale qu’y développe Markus Vinzent et dont il a donné un avant-goût dans un ouvrage paru en 2011 (Christ’s Resurrection in Early Christianity and the Making of the New Testament, Farnham, Ashgate) a été avancée à de multiples reprises depuis la fin du dix-huitième siècle. Dès 1767, Johann Salomo Semler affirmait déjà l’originalité et l’antériorité de la recension évangélique marcionite par rapport à l’évangile canonique de Luc[18]. Comme on le sait, Marcion, qui fut actif à Rome dans la seconde moitié du deuxième siècle, où il proposa une réinterprétation radicale du christianisme, a constitué, sans doute pour la première fois, un corpus bipartite d’écritures chrétiennes composé d’un (seul) évangile et d’un recueil apostolique (apostolikon) rassemblant neuf (ou dix, si on y ajoute celle aux Laodicéens) lettres de Paul (Galates, 1 et 2 Corinthiens, Romains, 1 et 2 Thessaloniciens, Colossiens, Philippiens, Philémon). Quant à l’évangile (evangelion), la polémique antimarcionite depuis Irénée de Lyon (Adv. haer. I, 27, 4) et Tertullien (Adv. Marc. IV, 2, 4) a accusé Marcion d’avoir, pour sa composition, utilisé l’évangile de Luc en y enlevant ce qui concernait la généalogie du Seigneur et tous les passages dans lesquels le Christ reconnaissait le Père comme le créateur de l’univers ; Marcion aurait ainsi « fait choix de Luc pour le mettre en pièce » (Tertullien). Une simple lecture en parallèle montre effectivement que l’évangile de Marcion, tel que les sources disponibles permettent de le reconstituer[19], apparaît comme une version abrégée de la trame narrative que l’on trouve dans le Luc canonique. Dès que les hérésiologues eurent remarqué la parenté des deux écrits, ils n’ont pas tardé à accuser Marcion d’avoir mutilé Luc pour le conformer à sa vision d’un christianisme ultra-paulinien coupé de ses racines juives. Cette thèse, qui a largement prévalu, sera contestée, comme nous venons de le dire, avec l’avènement de la théologie libérale. C’est cette voie qu’emprunte à son tour Markus Vinzent, professeur d’histoire de la théologie au King’s College London et spécialiste de patristique mais aussi de la mystique rhénane et de Maître Eckart. Dans la foulée d’un certain nombre d’auteurs[20] et, plus récemment, de Matthias Klinghardt[21], Vinzent propose d’inverser la pyramide : l’evangelion de Marcion ne serait pas une révision ou une édition de Luc, mais ce serait plutôt le contraire qui se serait produit. Marcion aurait été le premier à rédiger un « évangile », dont il serait l’inventeur du genre, en quelque sorte, et, en réaction à cet évangile, les quatre évangiles devenus plus tard canoniques auraient été composés dans la seconde moitié du deuxième siècle. L’idée n’est pas neuve mais Vinzent la présente de la façon la plus claire et la plus affirmée. Les arguments sur lesquels il se fonde sont de divers ordres mais ressortissent pour beaucoup à l’argumentum e silentio. Il est vrai que l’on n’a aucune attestation ferme, sur le plan documentaire, de l’existence d’évangiles narratifs du genre des canoniques avant la seconde moitié du deuxième siècle, et que les citations ou réminiscences évangéliques dans la littérature chrétienne antérieure à 150 sont difficiles à interpréter. Par ailleurs, les témoins papyrologiques des évangiles, souvent invoqués pour fonder leur ancienneté — jusqu’au début du deuxième siècle — ne peuvent guère être datés d’une manière précise et incontestable. Mais il y a un grand pas à franchir entre ces constatations et l’affirmation que les évangiles de Matthieu, Marc, Luc et Jean n’auraient pas existé avant le milieu du deuxième siècle.

L’ouvrage de Vinzent comporte quatre chapitres de dimension variable. Dans le premier, « Marcion, his Gospel and the Gospels in the Sources », l’A. passe en revue et analyse en profondeur, sur presque 150 pages, tous les témoignages relatifs à l’évangile marcionite, depuis Justin jusqu’au fragment de Muratori, en passant par Rhodon, le presbytre asiate dont se réclame Irénée de Lyon, Denys de Corinthe, Théophile d’Antioche, Irénée lui-même, Tertullien, Celse et Origène. À chaque fois, les sources sont abondamment citées, reproduites et commentées. Dans l’ensemble, l’interprétation proposée par Vinzent ne pose pas (trop) de difficulté, mais, dans un cas ou l’autre, on relève des traductions forcées qui vont dans le sens de la thèse qu’il défend. Ainsi, p. 15-16, il m’apparaît difficile de voir dans l’adjectif neutre pluriel contraria le titre des Antithèses de Marcion ; de même, prétendre que le πρὸς Μαρκίωνα perdu de Justin et mentionné par Irénée (Adv. haer. IV, 6, 2 : ad Marcionem) aurait été, non un écrit contre Marcion, mais une « “conversation with” Marcion » (p. 10) est pour le moins hypothétique. Ce chapitre se termine par une section sur « Marcion’s Gospel in the History of Research on the Synoptic Question » (p. 145-158), dans laquelle Vinzent inventorie les appréciations dont l’évangile de Marcion a fait l’objet depuis la fin du dix-huitième siècle ; au fil de cette énumération des auteurs qui ont affirmé ou nié la priorité de Marcion sur Luc, on a nettement l’impression que Vinzent recourt également à l’argument d’autorité pour conforter sa thèse centrale, qu’il résume ainsi : « So, even if we reckon (with Lieu and others) that Marcion is not “unique” in a 20th century sense, it will be shown that he does not belong “alongside other second-century Gospel traditions and traditions about gospels” but that he marks the transition from an oral memory of Jesus’ oracles and perhaps some “retelling of inherited narratives” of Jesus of Nazareth, to the written combination of oracles and similes of the Lord, and, in this sense, became the author of his Gospel, which was the first Gospel of its kind » (p. 158).

Le deuxième chapitre, « Dating the Synoptic Gospels — the Status quaestionis », avec ses quelque 50 pages, fait un peu figure d’excursus dans l’ensemble de l’ouvrage. L’A. y passe en revue les modèles avancés pour rendre compte du problème synoptique : dater les évangiles et expliquer leur interdépendance. L’orientation de ce chapitre touffu est clairement énoncée dès les premières lignes : « Looking through shelves of introductions to and commentaries on the canonical Gospels […] one is surprised by the small basis of evidence for the dating of these Gospels » (p. 159). L’impression que l’on retire de ces pages, informatives au demeurant, est que les différentes hypothèses échafaudées depuis deux siècles — et, au premier chef, la théorie des deux sources —, aboutissent à une impasse et ouvrent comme tout naturellement la voie à la solution marcionite : « This short [!] look into the history of the Synoptic hypotheses reveals how much factuality [?] has been read into the various solutions, although finally, “the Synoptic Problem is still openly discussed” [citant M. Goodacre]. How shall we respond ? Should we make the maze more complex by adding Marcion as it is suggested by Klinghardt, with the Synoptics being dated to the time of Marcion ? » (p. 214).

Avant de proposer une réponse, Vinzent revient, dans le troisième chapitre, « Pre-dating the Gospels », sur la délicate question de la datation des papyri évangéliques. Le lecteur tirera profit de la lecture et de l’utilisation de ces pages riches en informations et en analyses. Vinzent y traite également de la réception des évangiles canoniques par rapport à celle des lettres de Paul. Là encore, il ouvre son exposé en recourant à l’argument du silence : « As we have seen above, in the absence of firm internal grounds, the evidence most often adduced for dating our Gospels has been their early reception in other early Christian writings. Turning to this, does the history of reception favour a pre-Marcion dating, or rather a dating to the time of Marcion, by whom the Gospels are known ? » (p. 224). Cette question rhétorique donne nettement l’impression que la cause est entendue d’avance. Il en va de même pour l’examen de ce que Vinzent appelle « internal evidence » (p. 255), c’est-à-dire la comparaison entre Marcion et les synoptiques, qui montrerait que « Marcion was the foundation of the later Synoptic Gospels and not only the basis for the fourfold Gospel concept » (p. 259). Cette conclusion se base sur une « règle générale » que Vinzent formule ainsi : lorsque les synoptiques sont parallèles au texte évangélique de Marcion, ils concordent — « following Marcion word by word, sometimes only with minimal, theological corrections » (p. 263) —, mais, dès que le texte de Marcion s’arrête, ils divergent à nouveau. Quoi qu’il en soit de l’exactitude de cette observation, il est clair qu’elle peut être invoquée aussi bien en faveur de la priorité de l’évangile marcionite que contre celle-ci.

Dans le très bref dernier chapitre (p. 277-282), « Marcion’s Gospel — An Inspirational New Literary Genre », Vinzent plaide en faveur d’une intégration de Marcion « into the question of the making of the New Testament » et il conclut : « Marcion, who created the new literary genre of the “Gospel” and also gave his work this title, had no historical precedent in the combination of Christ’s sayings and narratives. That he created his draft Gospel without adding an author’s name to it is further support for the priority of this text against the copies » (p. 277).

James Carleton Paget ouvrait la longue recension qu’il a consacrée au précédent ouvrage de Vinzent (Christ’s Resurrection), en écrivant que, si celui-ci a raison, « then the history of early Christianity will have to be substantially rewritten[22] ». Mais là est la question : Vinzent a-t-il raison ? Parmi les arguments que Vinzent avance en faveur de sa thèse, ceux qui apparaissent les plus solides reposent sur les lacunes de notre documentation : c’est un fait qu’avant 150, nous n’avons guère d’attestations claires — matérielles ou littéraires — de l’existence d’évangiles narratifs du genre de ceux qui seront plus tard « canonisés ». Mais une telle absence est loin d’être aussi totale que le prétend Vinzent, comme le rappelle Paul Himes dans sa recension du présent ouvrage, en notant très justement que « at the heart of the matter lies the very nature of citation, both that of the reconstructed Marcionite Gospel and that of citations of the four orthodox Gospels within patristic literature [“prior to Marcion”][23] ».

Mais, peu importe l’existence ou non, ou encore la situation des quatre évangiles avant Marcion, l’objection la plus forte, à mon sens, que l’on peut formuler à l’encontre de la thèse de Vinzent — une objection à vrai dire dirimante — tient à la vraisemblance historique. S’il est vrai, comme il le prétend, que les quatre évangiles ont été rédigés après la composition par Marcion de son propre evangelion et en réaction à celui-ci, donc, grosso modo, après 150, comment expliquer qu’à l’époque d’Irénée, vers 180, ils étaient considérés par tous comme appartenant au bien commun des communautés chrétiennes ? À moins de supposer une conspiration — efficace et réussie — des autorités épiscopales, on ne peut imaginer que le tétraévangile se soit aussi rapidement et aussi universellement imposé. Les objections formulées par Vinzent méritent certes d’être prises en compte, mais, dans le domaine historique comme ailleurs, il faut néanmoins raison garder !

Ceci dit, l’ouvrage de Markus Vinzent montre qu’on ne peut réduire Marcion à la caricature qu’en ont faite les hérésiologues[24] ni faire abstraction de son rôle dans la constitution des écritures chrétiennes ; il est en effet nécessaire d’en tenir compte pour une histoire du texte évangélique qui se veut complète. Mais ce n’est là qu’un bénéfice marginal du livre de Vinzent, dont la thèse centrale a peu de chance de s’imposer, du moins sur la base de l’argumentation qu’il déploie, comme l’ont souligné les comptes rendus parus avant le nôtre[25].

Paul-Hubert Poirier

17. Ariane Magny, Porphyry in Fragments. Reception of an Anti-Christian Text in Late Antiquity. Burlington, Farnham, Ashgate Publishing (coll. « Ashgate Studies in Philosophy & Theology in Late Antiquity »), 2014, xviii-183 p.

L’une des plus grandes pertes pour notre connaissance des débats qui opposèrent chrétiens et païens est sans conteste le soi-disant Contra Christianos de Porphyre, dont les fragments et témoignages furent rassemblés et édités par A. v. Harnack en 1916 et en 1921. Depuis une dizaine d’années, ce traité perdu suscite un regain d’intérêt dont témoigne la publication, entre autres, de trois collections de fragments depuis 2005, du volume Le traité de Porphyre contre les chrétiens. Un siècle de recherches, nouvelles questions édité par S. Morlet en 2012, et de l’ouvrage que nous présente maintenant Ariane Magny de la Thompson Rivers University. Après une introduction et un chapitre méthodologique, cet ouvrage étudie la réception du Contra Christianos chez Eusèbe, Jérôme et Augustin, les trois principales sources — à l’exception de Macaire de Magnésie[26] — de fragments de ce traité. Une conclusion, une bibliographie et un index général clôturent l’ensemble.

Le premier chapitre pose les fondements méthodologiques de la recherche. En s’appuyant surtout sur les travaux de Schepens, de Laks et d’Inowlocki, l’A. insiste sur la nécessité de connaître le contexte littéraire et historique de l’oeuvre dans laquelle se trouvent les fragments, et d’identifier les visées et méthodes (processus citationnel, procédés rhétoriques, etc.) des auteurs qui citent le Contra Christianos ou qui lui font allusion. Le chapitre 2 applique cette méthode à Eusèbe, le seul auteur étudié qui écrivit dans un contexte apologétique. Comme Eusèbe, dans les ouvrages à nous être parvenus, réplique ponctuellement à Porphyre sans d’ordinaire le citer textuellement ni viser une réfutation exhaustive — ce qu’il devait faire dans les 25 livres perdus de son Contre Porphyre —, l’A. considère qu’il est impossible de se faire une idée générale du Contra Christianos à partir d’Eusèbe. Une conclusion similaire se dégage du chapitre 3, où les fragments du Contra Christianos préservés par Jérôme sont discutés, d’abord ceux relatifs au Nouveau Testament puis ceux relatifs à l’Ancien Testament (tout particulièrement au livre de Daniel). Dans ce cas-ci, comme le remarque l’A., la démarche adoptée nous renseigne davantage sur Jérôme — ses motivations, qui ne relèvent plus de l’apologétique, et ses intérêts surtout philologiques et textuels — que sur Porphyre.

Les deux derniers chapitres de l’ouvrage portent sur Augustin, qui appela Porphyre le doctissimus philosophorum. Le chapitre 4 aborde la Lettre 102, au sujet de laquelle les spécialistes ne s’entendent pas à savoir si certaines des questions qu’elle contient proviennent ultimement de Porphyre. En étudiant le genre des quaestiones dans l’Antiquité et sa pratique chez Augustin, l’A. fait l’hypothèse d’une importante refonte des questions par Augustin ; tout en encourageant à la prudence au sujet de leur lien avec Porphyre, elle considère que ces questions pourraient refléter en partie le contenu du traité et devraient donc figurer dans une collection de fragments du Contra Christianos. Il n’en va pas de même pour le De consensu evangelistarum, qui est discuté dans le dernier chapitre, et dont des passages furent intégrés par Berchman (2005) à sa collection de fragments du Contra Christianos. Selon l’A., cette intégration aurait été faite « in a very arbitrary manner » (p. 122) et avec des arguments non convaincants (p. 147) ; elle milite donc en défaveur de la prise en compte du De consensu dans une future édition des fragments.

Avec cet ouvrage, Ariane Magny réévalue à la baisse ce que nous pouvons savoir du Contra Christianos de Porphyre, autant en limitant le nombre de fragments qu’en critiquant leur qualité. Une telle posture est bienvenue à une époque où l’attribution des fragments est de plus en plus maximaliste. L’A. pose aussi un regard neuf sur certaines questions : notons par exemple, au sujet d’Eusèbe, les nuances qu’elle apporte à la récente hypothèse voulant que les fragments 1 et 73 ne reflètent pas les idées de Porphyre (p. 36-40). Si le refus de considérer le De consensu d’Augustin comme une source de fragments (chap. 5) nous a semblé trop catégorique, on peut toutefois espérer qu’il relancera le débat sur cette question complexe, et sur cet autre problème délicat et intimement lié, celui de la relation entre le Contra Christianos et la Philosophie des oracles[27].

Martin Voyer

Gnose et manichéisme

18. Dylan M. Burns, Apocalypse of the Alien God. Platonism and the Exile of Sethian Gnosticism. Philadelphie, University of Pennsylvania Press (coll. « Divinations : Rereading Late Ancient Religion »), 2014, xx-321 p.

Actuellement attaché de recherche à la Freie Universität de Berlin, Dylan Burns est un jeune chercheur déjà réputé par ses travaux sur le néoplatonisme et les apocalypses séthiennes à contenu philosophique. Dans ce volume au titre accrocheur, l’A. nous offre une analyse détaillée et convaincante de la nature des quatre traités séthiens platonisants qui font partie des codices de Nag Hammadi : L’Allogène (NH XI, 3), Zostrien (NH VIII, 1), Marsanès (NH X, 1) et Les Trois Stèles de Seth (NH VII, 5) ; à la fois érudit et bien fondé, l’ouvrage pourrait intéresser tant les spécialistes du christianisme ancien, de la gnose et de Nag Hammadi que les chercheurs oeuvrant dans le domaine de la philosophie ancienne qui ne sont pas nécessairement familiers avec la littérature gnostique. Le côté très technique des discussions ne rend cependant pas le livre attirant pour le grand public ; l’ouvrage s’adresse avant tout aux chercheurs.

Le fait que les liens entre ces textes et la philosophie médio- et néoplatonicienne soient bien connus des chercheurs n’empêche pas Burns de nous offrir un examen inédit et concluant du dossier. Or, l’A. souligne également le fait que ces sources ne sont pas seulement rattachées aux traditions philosophiques et gnostiques anciennes, mais aussi aux traditions apocalyptiques juives et chrétiennes, telles qu’exprimées dans des traités pseudépigraphiques des deuxième et troisième siècles, sans lesquels il est impossible de peindre un portrait clair de la question.

Ainsi, selon Burns lui-même : « The Sethian evidence from Nag Hammadi is thus indispensable for scholars trying to understand the negotiation and mutual permeation of the boundaries between emerging Christianity and Judaism » (p. 4). En rejetant donc un certain consensus des chercheurs, Burns défend la thèse que les traités séthiens platonisants auraient été produits par des judéo-chrétiens, même si ces textes ne mentionnent ni Jésus ni les Écritures. Ils sont ainsi indispensables pour la compréhension des relations entre judaïsme, christianisme et philosophie dans l’Antiquité.

Le livre est divisé en une introduction, sept chapitres et un appendice, qui sont suivis de notes, d’une bibliographie et d’index. Le premier chapitre, « Culture Wars », discute de la présence des gnostiques dans le contexte social d’un groupe d’étude philosophique, ce qui nous est confirmé par Porphyre lui-même ; selon Burns : « The chapter thus explores the context of such groups in the Hellenic culture wars of the second and third centuries ce, where the Second Sophistic movement developed a Hellenophile ideology permeating educational life and was countered by a spike of interest in “Oriental” sages like those invoked by Plotinus’s Christian Gnostic opponents » (p. 5), c’est-à-dire, des personnages tels quels Zostrien et l’Allogène, par exemple. Le chapitre deux, « Plotinus Against His Gnostic Friends », fait une analyse minutieuse des écrits de Plotin sur les gnostiques. Dans les chapitres 3 à 6 (« Other Ways of Writing », « The Descent », « The Ascent » et « The Crown »), Burns introduit et fait l’analyse des traités séthiens platonisants eux-mêmes ; parmi ces chapitres, l’on pourrait souligner le troisième — « Other Ways of Writing » — dans lequel Burns explore les différentes façons de décrire les mythes adoptés par les philosophes et les séthiens.

Au chapitre 7, « Between Judaism, Christianity, and Neoplatonism », Burns fait un résumé de ses conclusions, nous offrant un portrait des auteurs des textes en question, leurs fonctions ainsi que leur relation avec les gnostiques qui fréquentaient les cours de Plotin. Il discute également de la relation entre ces textes et le judaïsme, le manichéisme et le judéo-christianisme. Le livre se clôt par un appendice intitulé « Reading Porphyry on the Gnostic Heretics and Their Apocalypses », où Burns fait une brève analyse des difficultés philologiques du célèbre passage de la Vita Plotini 16 où il est question des chrétiens qui produisaient des révélations, à savoir celles de Zoroastre, Zostrien, Nicothée, Allogène et Messos.

Julio Cesar Dias Chaves

19. Birger A. Pearson, Ancient Gnosticism. Traditions and Literature. Minneapolis, Fortress Press, 2007, xvi-362 p.

This book is quite the extensive romp through the centuries and is meant for anyone interested in the subject. It reads and flows very well as only an expert familiar with the field can relate, masterfully weaving through the intricacies of power politics ; the struggles between the so-called orthodox and those labeled heterodox Christian sects ; the emerging, defining and eventual official theology of the Roman Empire and its various manifestations after its breakup ; the shifting demography ; and a host of other factors, none the least being the very region of this geographic epicenter which served as the confluence of cultures, religions, trade and clash of rival empires.

The book is not weighed down by footnotes and the usual scholarly apparatus, and rightfully so, readers new to this topic are amply provided with succinct explanations and a riveting read. If someone is interested in delving further into one of the many topics discussed, they will be well-served by this book to confidently proceed methodically and judiciously.

It begins with the role of ancient Jewish writings and ancient Platonist philosophy leading to the formation of the first Gnostic systems. The provenance of Gnosticism was not Christian heresy but rather sectarian Jewish thinking. Evidence of this Jewish influence abounds in the pagan work from a first or second-century Alexandrian text, Thrice Greatest Hermes.

While the earliest Gnostics were not Christian, Pearson states that Christian teachers such as Valentinus and Basilides of Alexandria made ample use of Classical Gnosticism to advance their own brand of Christianity. However central to most, Jesus Christ was the revealer of this gnosis as seen even with the Manichaeans whose founder Mani regarded himself as the apostle of Jesus Christ. Pearson proceeds to show there are two types Gnostic dualism ; the monistic (Classic or Sethian Gnosticism ; Basilidian and Valentinian gnosis ; a few Mandaean texts ; and Coptic Gnostic texts whose provenance have not been established), and dualistic (especially in Manichaeism ; some Mandaean texts ; and in a few three-principle systems). In all cases, the problem of evil in this world is resolved in the eschaton. He has excluded the Gospel of Thomas from the category of Gnosticism, because, in his opinion, it lacks the cosmic dualism prevalent in Gnostic texts ; this in spite of the fact that some scholars do think it to be a Gnostic text owing to the recurring emphasis on self-knowledge. He makes the case that through knowledge of the divine within ; the Thomas Christian, the Hermetist, and the Gnostic may all come to God.

After conducting an exhaustive and impressive survey of the Gnostic texts and systems, he discusses possible reasons for the rise in popularity of Gnosticism and why some groups survived and others simply disappeared. He posits challenging questions that allows the now more familiar reader, to take into consideration factors such as the Jewish Diaspora translating its traditions into Greek ; the Greco-Romans interest in new forms of religion ; influence of Platonist philosophy on Philo of Alexandria who read the Torah allegorically and suggested salvation of the soul is linked to the quest of wisdom ; the spread of eclecticism, in particular Posidonius of Apamea, a Stoic philosopher who adapted Platonist metaphysics — this same philosopher would one day be the teacher of the great Roman orator Cicero.

The book ends with a discussion on the persistence of Gnosticism into the present day, albeit none of the present day churches have anything in common with those from the past ; there are numerous paths to “knowing yourself”, the ancient paths have long been buried, however, according to modern day Gnostics, the possibility of enlightenment is always present, if you know where and how to look.

The one disappointing fact is that there’s no mention in his list of suggestions for further readings, the monumental work undertaken by Université Laval’s Bibliothèque copte de Nag Hammadi (BCNH) under the direction of professors Louis Painchaud, Wolf-Peter Funk, and Paul-Hubert Poirier.[28] If Pearson’s book is an introduction to Gnosticism as he states in his preface, it may prove to be very valuable to draw attention to French scholarship in this field for interested students.

Jonathan I. von Kodar

20. Jason BeDuhn, Paul Dilley, Iain Gardner, Mani at the Court of the Persian Kings. Studies on the Chester Beatty Kephalaia Codex. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. “Nag Hammadi and Manichaean Studies,” 87), 2015, viii-320 p.

This latest volume in Brill’s on-going Nag Hammadi and Manichaean Studies series provides a fascinating preview of the work currently being undertaken by the authors to finally edit and publish the second volume of Manichaean Kephalaia discovered in 1929 at Medinet Madi, Egypt. Volume one of the Kephalaia (the Berlin Codex) has been the subject of magisterial work by Polotsky (1940), Böhlig (1940, 1966) and Funk (1999, 2000), while volume two (the Dublin codex) has long languished in obscurity. Part of the problem lies in the fact that the text preserved on the papyrus is largely illegible, making reading and reconstruction of the manuscript incredibly difficult. With the exception of some articles by Funk (1990, 1997) and Tardieu (1988), almost no use has been made of this material. Nonetheless, Gardner, BeDuhn, and Dilley have persevered and as a prelude to the forthcoming publication of their edition of the codex, they have offered some of the first fruits of their study in the current collection of studies.

The Manichaean Kephalaia represent a collection of “question-and-answer” literature in which Mani addresses doctrinal questions posed by various interlocutors. One of the most remarkable aspects of the Dublin Kephalaia, however, is its decidedly “Iranian” character. This is explored in several chapters of the book : chapter 3 “Parallels between Coptic and Iranian Kephalaia : Goundesh and the King of Touran” (BeDuhn) ; chapter 5 “Also Schrieb Zarathustra ? Mani as Interpreter of the ‘Law of Zarades’” (Dilley) ; chapter 6 “Iranian Epic in the Cheaster Beatty Kephalaia” (BeDuhn) ; and chapter 8 “‘Hell Exists, and We have Seen the Place Where It Is’ : Rapture and Religious Competition in Sasanian Iran” (Dilley). Much of the exchanges and discussions in the Dublin codex take place at the Sasanian court and Mani’s interlocutors include a number of prominent Iranian personages (p. 16-17). These discussions, the authors suggest, fit into a larger context of court disputations between rival religious factions (p. 50-51) and indicate an interest in apocalyptic visions by the ruling elite (p. 214). Moreover, the Dublin Kephalaia contain a number of references to Iranian epic and religious tradition, which is somewhat startling given the text’s provenance in a Coptic manuscript from Roman Egypt. In fact, this means that Manichaeans can be seen as key transmitters of Iranian traditions from Persian to Roman territory. For those interested in cross-cultural transmission in Late Antiquity, these chapters will be of particular interest.

Also of interest, perhaps more to Manichaean scholars specifically, is the information contained in the Dublin Kephalaia about the “Last Days” of Mani. In chapter 7, with the help of the newly analyzed Dublin material, Gardner attempts to make sense of the various textual fragments relating to the end of Mani’s life. As such, he offers the intriguing suggesting that Mani might have spent time exiled in Armenia before being put on trial. Hopefully, the publication of the edition of the text will help resolve some of the vexing questions relating to the chronology of Mani’s life.

Finally, Mani at the Court of the Persian Kings will also be useful to those with more theoretical interests related to the academic study of religion, particularly chapter 9 “Mani and the Crystallization of the Concept of ‘Religion’ in Third Century Iran” (BeDuhn). In this very insightful chapter BeDuhn undermines the “tautological” truism, so commonplace in academic seminars lately, that “religion” is a purely modern construct. BeDuhn makes a persuasive argument that the idea of religion as system of beliefs and practices detached from culture and ethnicity, to which one may voluntarily adhere, reaches its full expression with the dēn founded by Mani himself… in antiquity ! BeDuhn suggests that “Manichaean texts consistently and exclusively employ […] terms to refer to entities recognizable as ‘religions’ rather than ethnic or political institutions” and that with “Mani, a ‘religion’ category has displaced ethnicity as the primary marker of identity” (p. 270). This, in turn, established a paradigm employed by early Islamic scholars (p. 274). What is so refreshing about this discussion is that it is based on actual historical and textual evidence, as opposed to being simply reflecting on the concept of “religion” in a theoretical vacuum.

In general, Mani at the Court of the Persian Kings is a well-written and solidly researched set of studies that raise important historical, cultural, and theoretical questions for specialists and non-specialists alike. It is highly recommended.

Timothy Pettipiece

21. Charles Horton, Klaus Ohlhafer, Siegfried G. Richter, ed., Mani in Dublin. Selected Papers from the Seventh International Conference of the International Association of Manichaean Studies in the Chester Beatty Library, Dublin, 8-12 September 2009. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. “Nag Hammadi and Manichaean Studies,” 88), 2015, xvii-459 p.

This volume gathers together a collection of twenty-two papers from the 2009 meeting of the International Association of Manichaean Studies in Dublin. The contributions cover a wide range of topics along the gamut of specialized subfields in Manichaean scholarship.

The largest and strongest group of contributions relate to aspects of Manichaean art, particularly in the east Asian context (Ebert, chapter 9 ; Gulácsi, chapter 11 ; Kósa, chapter 12 ; Yoshida, chapter 22). It is refreshing to see so much attention being paid to visual rather than just textual evidence. Another important group of papers look more broadly at Manichaean activity in China, especially in terms of material culture (Ma, chapter 13 ; Mikkelsen, chapter 14 ; Wang and Lin, chapter 21). This remains one of the most important and promising subfields of Manichaean Studies. Clearly there is much more research to be done in this area. A third group looks at Coptic (Oerter, chapter 15 ; Theodorou, chapter 19 ; Le Tiec, chapter 20) and Syriac (Pedersen, chapter 16 ; Ruani, chapter 18) texts, whereas a fourth deals with Iranian material (Durkin-Meisterernst, chapter 8 ; Reck, chapter 17). What remains is a selection of chapters on largely “western” Manichaean topics such as Augustine (Arnoldi, chapter 2), Byzantine polemics (Bennett, chapter 3), Manichaean women (Franzmann, chapter 10), and pseudepigrapha (Coyle, chapter 6).

While a volume such as this ought to represent a cross section of studies reflecting the state of the art of Manichaean Studies, there are number of issues that fall short of such an expectation. Some problems are on the surface level and have to do with the structure and format of the volume. For example, given the range and diversity of topics, I have to wonder why the volume was not arranged thematically rather than alphabetically by author. Moreover, the formatting is somewhat inconsistent with only some contributions followed by a bibliography of works cited. A deeper problem relates to the quality of a number of the contributions. Some of the papers read more like annotated lists or inventories of passages rather than fully developed chapters. In fact, some papers seem more like papers-in-progress or incomplete drafts. I can’t help but suspect that some of the contributions to this volume were never reworked after being presented at the conference. At the same time, and this speaks to the state of Manichaean Studies as a whole, there is a certain lack of depth in a number of contributions. Many of the papers are philological and/or historical studies that pay little attention to larger methodological or theoretical issues. Such studies have been the typical focus in Manichaean scholarship over the years, but new approaches need to be taken, particularly in the context of the academic study of religion. Finally, there is a noticeable preoccupation with Jesus (chapters 4, 7, 11, 19). This, in itself, is not necessarily a problem, but it indicates the continued dominance that the canonical Christian paradigm exercises on the study of Manichaean traditions. Instead, shouldn’t Manichaeism be studied as a religion in its own right, with its own intrinsic interest ? In fact, some of the deeply rooted prejudices that afflict the field are anecdotally mentioned in Horton’s introductory chapter, in which he relates that the display of so-called “heretical” material by the Chester Beatty Library was met with scorn by local clergy (p. 3). Such negative attitudes are all too common, even in the twenty-first century. As such, Manichaean scholars need to do more to highlight the importance and relevance of their field.

In the end, Mani in Dublin is important in that it documents the on-going development of Manichaean Studies as a field, although perhaps more could have been done by the authors and editors to shape the material in ways that will continue to push the field out of its comfort zones.

Timothy Pettipiece

22. James M. Robinson, The Nag Hammadi Story. Volume 1. The Discovery and Monopoly. Volume 2. The Publication. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Nag Hammadi and Manichaean Studies », 86), 2014, xxvii-1 216 p. en pagination continue.

La publication par James M. Robinson (décédé le 22 mars 2016), professeur émérite de la Claremont Graduate University, de cette monumentale, sinon exhaustive, « histoire de Nag Hammadi » en deux volets : « la découverte et le monopole » et « la publication », est sans aucun doute un événement marquant de l’historiographie consacrée à l’une des plus importantes découvertes de textes anciens du vingtième siècle, dont on a célébré le 70e anniversaire en 2015[29]. Comme l’écrit James Robinson dans la préface du premier volume, il considère la publication de cette histoire comme la mise en oeuvre d’un des accords passés en décembre 1970, lors de la première réunion, au Caire, du Comité international pour les codices de Nag Hammadi, aux termes duquel « une histoire de la découverte de Nag Hammadi et de la recherche subséquente devait être faite » (p. xiii). Même si ces deux volumes sont davantage une histoire — ou un récit (story) — de la découverte plutôt que de la recherche qu’elle a occasionnée — pour citer l’A. : « not a history of research in the usual sense of a Forschungsbericht » (ibid.) —, ils représentent néanmoins une réalisation qui mérite d’être soulignée.

L’ouvrage se compose de douze chapitres substantiels disposés selon un ordre plus ou moins chronologique : I. La découverte des manuscrits de Nag Hammadi et le commerce (trafficking) dont ils ont fait l’objet ; II. Le leadership français au tout début de la recherche sur les manuscrits, de 1946 à 1953 ; III. Le codex Eid ou Jung Codex, c’est-à-dire le Codex I ; IV. Le leadership suisse ; V. Le leadership néerlandais ; VI. Le Comité international de publication des papyri de Nag Hammadi de 1956 ; VII. L’Évangile selon Thomas ; VIII. Le leadership allemand ; IX. Le rôle de l’UNESCO sous responsabilité française, de 1960 à 1970 ; X. Le projet de la Coptic Gnostic Library ; XI. Le Comité international pour les Codices de Nag Hammadi ; XII. Les fouilles archéologiques menées à Nag Hammadi.

Sauf pour le premier, tous ces chapitres se fondent sur les archives et la documentation que J. Robinson a patiemment et méthodiquement rassemblées au fil des ans, surtout en sa qualité de secrétaire du Comité international pour les Codices de Nag Hammadi. Quant au premier chapitre, consacré à la découverte et à la « commercialisation » des manuscrits, il s’appuie, d’une part, sur des comptes rendus anciens, notamment celui que rédigea Jean Doresse de sa visite du site de Nag Hammadi, en janvier 1950, et, d’autre part, sur des interviews réalisées par J. Robinson, plusieurs années après la découverte, avec les protagonistes locaux des événements (« the Dramatis Personae of the Discovery and Trafficking »). La méthodologie de ces interviews et le contenu des comptes rendus qui en ont résulté ont fait l’objet de critiques soutenues, de 1984 à 1991, de la part de Rodolphe Kasser, Martin Krause et Jean Doresse. Plus récemment, trois articles ont remis en cause la fiabilité de l’histoire de la découverte reconstruite par J. Robinson et invité à repenser les origines mêmes des manuscrits de Nag Hammadi[30]. Comme leurs auteurs n’ont eu accès à aucune information ou donnée factuelle nouvelle, ils s’exposent aux mêmes critiques que celles qu’ils adressent à J. Robinson, tout en courant le risque de dénoncer une idéologie colonialiste au nom d’une idéologie post-colonialiste. Seul l’article de Nicola Denzey Lewis et de Justine Arial Blount apporte du neuf dans la mesure où ses auteures avancent une explication inédite des origines et de l’enfouissement des manuscrits de Nag Hammadi. Rejetant la thèse d’une origine monastique des manuscrits (qu’elles présentent curieusement comme la thèse dominante, ce qui est loin d’être le cas), elles pensent, reprenant une idée avancée par M. Krause en 1978, que « the Nag Hammadi codices could just as plausibly have been private productions commissioned by late ancient Egyptian Christians with antiquarian interests » (p. 400) et que « [they] were intentionally deposited in a grave or graves rather than buried for “posterity” » (p. 414). Les manuscrits de Nag Hammadi seraient ainsi ni plus ni moins que de « nouveaux Livres des Morts, chrétiens » (p. 418). S’il est vrai que l’hypothèse d’une origine monastique des manuscrits de Nag Hammadi est hautement spéculative, la contre-proposition de N. Denzey Lewis et J. Ariel Blount ne l’est pas moins. L’explication qui m’apparaît toujours la plus raisonnable, compte tenu de la nature des manuscrits, est que leurs « propriétaires privés » étaient des chrétiens gnostiques ou des chrétiens entretenant des sympathies gnosticisantes.

Le fait que la Story de J. Robinson se fonde sur une documentation archivistique lui confère une solidité certaine et elle pourra difficilement être contredite. Certes, on pourra contester la façon dont les documents sont présentés ou mis en récit par l’A., mais on ne pourra pour autant se dispenser de recourir à une telle masse d’informations. Ce qui ne signifie pas pour autant que la documentation de J. Robinson soit complète ou qu’elle lui soit propre, en particulier en ce qui concerne les chapitres II (« The French Leadership »), V (« The Dutch Leadership ») et VII (« The Gospel of Thomas »). Un retour en arrière s’impose ici. Lors du huitième congrès international d’études coptes tenu à Paris du 28 juin au 3 juillet 2004, J. Robinson présenta, dans la matinée du lundi, 28 juin, une communication intitulée « Le rôle des savants français dans la première période des recherches sur Nag Hammadi », largement basée sur les lettres d’Henri-Charles Puech destinées à Doresse qui étaient en la possession de J. Robinson[31]. Intervenant après cette communication, le professeur Michel Tardieu fit remarquer que J. Robinson n’avait pu reconstituer qu’une partie de l’histoire puisque lui-même détenait les lettres de Doresse reçues par Puech. C’est alors que j’ai proposé à J. Robinson et à M. Tardieu la publication conjointe des deux volets de la correspondance dans la section « Études » de la collection « Bibliothèque copte de Nag Hammadi ». L’un et l’autre donnèrent d’emblée leur accord à ce projet. Le 12 octobre 2005, M. Tardieu, accompagné par Anne Boud’hors et Marie-Pierre Costet-Tardieu, rencontra Jean Doresse chez lui, avec qui il réalisa une entrevue enregistrée destinée à éclairer le contenu des lettres. Il fut alors convenu, à la demande de J. Doresse, qu’aucun matériel ou extrait des lettres de Doresse à Puech ne pourrait être rendu public avant l’édition de l’ensemble de la correspondance dans la « Bibliothèque copte de Nag Hammadi » et que l’édition, dans sa forme finale, lui serait soumise avant publication, ce qu’évidemment, le décès de Doresse, survenu le 24 mai 2007, n’a pas permis. La réalisation de l’édition fut confiée à Eric Crégheur, alors étudiant à l’Université Laval et assistant de recherche, qui y travailla de l’automne 2004 à l’été 2006 sur la base des originaux des archives de J. Robinson et de photocopies mises à notre disposition par M. Tardieu. À la demande de J. Robinson, je lui ai transmis en juillet 2007 la dernière version de l’édition établie par E. Crégheur. En juillet 2014, lorsque je reçus la copie pour recension de The Nag Hammadi Story, je constatai que J. Robinson avait reproduit telle quelle, pour les chapitres II et VII de son ouvrage, l’édition par E. Crégheur de la correspondance Doresse-Puech, sans mentionner son éditeur ni sa provenance, pas plus que le fait que plus de la moitié de la correspondance provenait des archives de M. Tardieu. En effet, pour 89 de 132 lettres qui sont reproduites en tout ou en partie dans The Nag Hammadi Story, 46 proviennent des archives de M. Tardieu et 43 de celles de J. Robinson. Pour apprécier à sa juste mesure le rôle joué par J. Doresse et H.-C. Puech dans les vingt-cinq premières années de la Nag Hammadi Story, il faut donc se reporter à l’édition intégrale de leur correspondance et surtout aux « positionnements socio-culturels » et à la prosopographie dont l’a fait précéder M. Tardieu, indispensables à la saisie des enjeux de cette période cruciale de la recherche et de la (non-)diffusion des manuscrits de Nag Hammadi.

Le chapitre V de The Nag Hammadi Story, consacré au rôle joué par les acteurs néerlandais, appelle aussi quelques remarques. Basé sur les archives de J. Robinson, ce chapitre présente cependant des lacunes importantes du fait que, là aussi, l’A. n’a eu accès qu’à la moitié de la documentation. En effet, lorsque, le 29 octobre 2015, je rendis visite à Michel Tardieu, à Joigny, il me montra un épais cartable dans lequel étaient classées les nombreuses lettres de Gilles Quispel à H.C. Puech, ainsi que d’autres lettres adressées à ce dernier et provenant de Willem Cornelis van Unnik et de Walter Till, auxquelles J. Robinson n’a pas eu accès, ce qui rend son « Histoire » d’autant moins complète.

Malgré ces réserves, on ne peut que saluer la parution de la Nag Hammadi Story et être reconnaissant à James Robinson de l’avoir aussi scrupuleusement documentée.

Paul-Hubert Poirier

23. Simon Gathercole, The Gospel of Thomas. Introduction and Commentary. Leiden, Boston, Koninklijke Brill NV (coll. « Texts and Editions for New Testament Study », 11), 2014, xii-723 p.

Simon Gathercole, qui enseigne le Nouveau Testament à l’Université de Cambridge, a déjà à son crédit plusieurs articles importants sur l’Évangile selon Thomas et une monographie intitulée The Composition of the Gospel of Thomas. Original Language and Influences[32]. Il nous offre maintenant ce qui peut être considéré jusqu’à ce jour comme le plus ambitieux commentaire de cet évangile. Un certain nombre de commentaires ont paru ces dernières années[33], mais aucun d’entre eux n’a l’ampleur ou l’exhaustivité de celui de S. Gathercole. Bien sûr, ce n’est pas le definitive Commentary, pour reprendre les termes d’une certaine rhétorique, et son A. n’affiche nullement cette prétention. Mais il s’agit sans aucun doute de l’ouvrage qui présente le meilleur état des lieux de la recherche consacrée à Thomas. En témoigne la richesse de la bibliographie qui prend en compte sinon la totalité — c’eût été impossible et inutile — de ce qui s’est publié sur Thomas, du moins toutes les publications significatives, quelle que soit leur orientation.

Si ce commentaire peut être qualifié d’exhaustif, il n’est pas pour autant encyclopédique ou neutre. Les positions de S. Gathercole sur l’Évangile selon Thomas sont bien connues, notamment en ce qui concerne la dépendance de cet évangile par rapport aux synoptiques ou à Paul et l’existence d’un hypothétique arrière-plan sémitique[34]. Les mêmes positions informent le commentaire mais pas au point d’en faire un plaidoyer pro domo. L’A. sait faire place aux interprétations concurrentes, dont il rend compte et qu’il discute.

L’ouvrage comporte deux grandes parties : une introduction à Thomas qui totalise près de 200 pages et le commentaire proprement dit, suivies de la bibliographie générale et de trois index (locorum, y compris Thomas ; auteurs modernes ; sujets). L’introduction compte douze chapitres. Le premier est consacré aux manuscrits, les trois papyri d’Oxyrhynque (1, 654 et 655) et le codex II de Nag Hammadi, seul témoin complet de l’évangile. L’A. souligne le fait que tous ces manuscrits sont de provenance égyptienne ; en ce qui concerne le codex II, il affiche son scepticisme face aux tentatives d’identifier un « particular theological impulse » qui aurait présidé à l’assemblage des textes qu’on y trouve réunis. Le deuxième chapitre, « A Comparison of the Greek and Coptic Texts », procure un aperçu des ressemblances et des différences que présentent le texte des papyri grecs et celui du codex II. On y trouve (p. 20-21) un relevé des termes communs (grecs et gréco-coptes) aux fragments grecs et au manuscrit copte, ce qui amène l’A. à conclure que, s’il y a des différences textuelles notables entre les deux, celles-ci ne doivent pas être exagérées, ce qui signifie, pour le commentaire, qu’il n’est pas nécessaire d’expliquer (exegete) séparément les témoins grec et copte, et qu’il faut les considérer comme des témoins d’un même texte. Une « Appended Note : Thomas as a “Rolling Corpus” ? » vise certaines interprétations de l’évangile (A. DeConick à la suite de R.M. Wilson) qui cherchent à rendre compte de sa composition par un effet boule de neige, c’est-à-dire comme le résultat d’ajouts successifs à un noyau araméen du milieu du premier siècle. Il critique en particulier la méthode de DeConick, « in practice remarkably similar to Crossan’s » (p. 33). Le chapitre 3, « Named Testimonia to Thomas », reprend un article du même titre publié par l’A. en 2012 dans lequel il répertoriait 44 témoignages mentionnant soit l’Évangile selon Thomas, soit l’apôtre Thomas[35] ; il y ajoute ici quatre nouveaux témoignages (les nos 22, 30, 39 et 46, pour un total de 48), ce qui en fait, après celui de H.W. Attridge[36], l’inventaire le plus complet des attestations de Thomas dans la littérature ancienne et médiévale[37]. Le chapitre 4 complète le précédent en inventoriant les « Early References to the Contents of Thomas », c’est-àdire, en premier lieu, les passages de la littérature ancienne qui, sans mentionner explicitement l’Évangile selon Thomas, en citent des logia ou font allusion à leur contenu. Sont invoqués les témoignages d’Hippolyte (log. 11), Origène, Didyme l’Aveugle et Éphrem le Syrien (log. 82), le Pseudo-Macaire (log. 24, 87, 112, 113), le Livre des degrés (log. 3), la Didascalie des apôtres (log. 48). Est ensuite considérée la réception de Thomas dans les textes de Nag Hammadi et les écrits apparentés, dans les Actes apocryphes des apôtres, dans la littérature manichéenne et mandéenne, dans quelques textes médiévaux et sur un artéfact, la bandelette funéraire (log. 5) publiée par H.-C. Puech en 1955. Le chapitre 5, sur la langue originale de Thomas, repose sur la monographie de 2012 de Gathercole, citée ci-dessus, et conclut que « a Greek Vorlage to the Coptic version is a virtual certainty, with proposals for a translation into Coptic from another language being highly speculative » (p. 102), ce avec quoi je suis tout à fait d’accord. Le bref chapitre 6, sur la provenance de Thomas, présente les deux hypothèses les plus couramment avancées, Syrie ou Égypte, sans trancher dans un sens ou l’autre. La question de la date de Thomas, sûrement l’une des plus débattues, fait l’objet, avec celle de l’auteur de l’écrit, du septième chapitre. Si le terminus ante quem peut facilement être déterminé, sur la base des données papyrologiques : début ou première moitié du iiie siècle, il en va autrement du terminus a quo, dont la fixation dépend largement de la manière dont la relation de Thomas aux synoptiques est considérée. Gathercole opte, en se fondant sur les influences littéraires qui ont pu s’exercer sur Thomas et sur la certitude relative à la non-reconstruction du Temple exprimée par le logion 71, pour une fourchette assez large, « some time after 135 and some time before 200 ce » (p. 124), datation qui exclue un « authorship » manichéen quelque fois évoqué par les témoignages patristiques ou hérésiologiques. Un très utile tableau des datations avancées pour Thomas figure à la fin de ce chapitre (p. 125-127). Gathercole considère ensuite la structure de Thomas (chap. 8), en affirmant d’entrée de jeu que « the general view that Thomas is not a particularly carefully ordered collection or list is correct » (p. 128). Ceci dit, il présente quelques essais d’explication de l’organisation de Thomas qui ont été tentés (Janssens, Tripp, Davies, Nordsieck) et propose, après d’autres, dont S. Patterson, une liste des logia en montrant les liens qui les unissent par le biais de mots-crochets (« catchwords »), d’une thématique (« Thematic connection ») ou d’une forme (« Form in common : parable, impossibile ») communes, ce qui montre que, pour l’interprétation de certains logia, le contexte peut être pertinent. Les différentes hypothèses avancées à propos du genre de Thomas (liste, logoi sophôn, anthologie, évangile, collection de chries) sont répertoriées dans le chapitre 9. Même s’il relève de la catégorie « évangile », Thomas reflète la tendance, observable au deuxième siècle, de considérer Jésus comme un maître, d’où l’importance accordée aux dits qui lui sont attribués, non seulement dans Thomas mais aussi dans tous les écrits et les auteurs qui ont transmis des paroles de Jésus. Le chapitre 10, le plus développé de l’introduction, est consacré à la perspective (« outlook ») religieuse de Thomas : le cadre théologique de l’évangile, ce qu’il dit du statut de disciple, sa perception des adversaires. Si cette perspective n’est pas systématique, elle est néanmoins « raisonnablement cohérente » (p. 167). Une « Appended Note » soulève la quaestio vexata : « Is Thomas “Gnostic” ? ». Après avoir évoqué et critiqué à juste titre la position de ceux qui veulent évacuer à tout prix l’appellation « gnostique », Gathercole conclut qu’il serait difficile de plaider pour le caractère gnostique de Thomas, « principally because it does not have a clearly demiurgic account of creation » (p. 173), tout en reconnaissant que l’écrit a été effectivement utilisé par des gnostiques (les naassènes du Pseudo-Hippolyte) et qu’il a pu se prêter à une lecture valentinienne. Si, par-delà ses liens potentiels avec la gnose, Thomas a autant attiré l’attention, c’est parce qu’on a voulu y voir une source nouvelle pour la reconstitution du Jésus historique, dans la mesure où cet évangile aurait recueilli des paroles de Jésus distinctes ou indépendantes de celles de la tradition synoptique. Sur ce point (chap. 11), Gathercole pense que Thomas peut difficilement être considéré comme une source valable pour l’étude du Jésus historique. Le dernier chapitre de l’introduction présente le plan du commentaire de Thomas, qualifié de « fascinating artefact from the second century » (p. 185). Pour chacun des logia, le commentaire comprend, à la suite du texte copte et, le cas échéant, grec, et de leur traduction, trois sections : 1) commentaire textuel — comparaison du texte copte et du texte grec, lorsque celui-ci est attesté, discussion des reconstitutions et des difficultés grammaticales ; 2) interprétation du logion, essentiellement dans le contexte du deuxième siècle, en évitant les « anachronistically Derridean appeals » que font certains commentateurs récents ; 3) des notes sur des questions linguistiques, les mots-crochets ou des parallèles, et cela, dans la mesure où ils peuvent corroborer l’interprétation retenue.

Ainsi organisé, le commentaire se déploie sur près de 430 pages. Pour chaque logion, une première note bibliographique signale les publications pertinentes. Les commentaires suivants sont régulièrement utilisés : DeConick (2006), Grant & Freedman (1960), Grosso (2011), Hedrick (2010), Ménard (1975), Nordsieck (2006), Plisch (2007 et 2008), Pokorný (2009) et Valantasis (1997).

Quoi qu’il en soit de la réception des thèses de Gathercole sur Thomas, cet imposant commentaire marque sans aucun doute une étape importante dans la recherche sur ce texte toujours énigmatique et il demeurera un instrument de travail auquel spécialistes comme simples lecteurs de Thomas recourront avec profit.

Paul-Hubert Poirier

24. Desmond Durkin-Meisterernst, dir., Miscellaneous Manichaean Hymns. Middle Persian and Parthian Hymns in the Turfan Collection. Turnhout, Éditions Brepols (coll. « Berliner Turfantexte », 31), 2014, 442 p., 12 planches.

Desmond Durkin-Meisterernst, spécialiste du moyen-perse et du parthe, est professeur honoraire à l’Institut d’études iraniennes de l’Université libre de Berlin. Il dirige également le programme « Turfanforschung » de l’Académie des sciences de Berlin-Brandenburg, instance responsable de la publication des quelque 40 000 fragments de textes surtout manichéens ramenés d’Asie centrale (Tourfan et Turkestan chinois) par quatre expéditions allemandes (1902-1914). Entreprise dès 1904, l’édition de ces textes se poursuit depuis 1971 dans la collection des « Berliner Turfantexte » (BTT). En plus de l’ouvrage que nous présentons ici, le professeur Durkin-Meisterernst a publié dans les BTT deux volumes, les Hymnes à l’Âme vivante (24, 2006) et, en collaboration avec Enrico Morano, les Psaumes de Mani en moyen-perse, parthe et sogdien (27, 2010). On lui doit également un Dictionary of Manichaean Middle Persian and Parthian[38] paru en 2004 et une Grammatik des Westmitteliranischen (Partisch und Mittelpersisch)[39] publiée en 2008.

Le présent ouvrage édite ou réédite un ensemble d’hymnes variés en moyen-perse et en parthe de la collection berlinoise du Tourfan. Il s’agit des hymnes ou des fragments d’hymne que Mary Boyce a rassemblés dans les groupes suivants de son Catalogue of the Iranian Manuscripts in Manichaean Script in the German Turfan Collection[40] : groupe 44, hymnes au Troisième Messager ; 53, hymnes au Moi vivant ; 54, hymnes perses en couplets ; 58, hymnes parthes en couplets, « unclassified » ; 81, hymnes « unclassified, including poems ».

L’introduction donne la liste des fragments répartis par groupe, accompagnée d’indications codicologiques et éditoriales, suivie d’un index complet de tous les fragments selon leurs numéros d’ordre (412 nos sous la cote M et un sous la cote IB), avec la mention du groupe auquel ils appartiennent et la page où ils sont édités dans l’ouvrage (pour ceux qui le sont, car l’index signale également les fragments déjà publiés ailleurs). Cet index permettra de repérer rapidement tel ou tel fragment et il complète utilement le « Working Catalogue of Published Manichaean Texts » de Samuel Lieu[41].

L’édition des textes des groupes 44, 54 (incluant 53), 58 et 81 totalise 4 945 lignes. L’édition est double : sur la page de gauche, on trouve, en numérotation continue, l’édition proprement dite avec l’indication des lignes originales des fragments et des notes paléographiques et codicologiques, et sur la page de droite, une édition arrangée selon la forme littéraire des textes, accompagnée d’une traduction anglaise et de notes. L’ouvrage se termine par la bibliographie, un glossaire qui fait presque office de concordance et qui complète le dictionnaire paru en 2004, et douze planches photographiques.

Malgré l’état très fragmentaire de la plupart des textes, cette édition met à la disposition des spécialistes une nouvelle moisson de documents qui enrichissent notre documentation directe sur le manichéisme et qui sont désormais aisément repérables et accessibles.

Paul-Hubert Poirier

Éditions et traductions

25. Katell Berthelot, Michaël Langlois, Thierry Legrand, dir., La Bibliothèque de Qumrân. 3a. Deutéronome et Pentateuque dans son ensemble. Édition et traduction des manuscrits hébreux, araméens et grecs. Paris, Les Éditions du Cerf, 2013, xxxiv-1 013 p.

Ce livre est le troisième volume des neuf prévus dont l’objectif est de présenter au lectorat francophone une édition et une traduction des textes préservés par les manuscrits de la mer Morte. Rappelons que les directeurs de la collection ont réparti tous les écrits de la mer Morte dans trois grands ensembles : 1) la Loi (Torah), qui renferme la Genèse (volume 1)[42], le trio Exode-Lévitique-Nombres (volume 2)[43], de même que le Deutéronome et le Pentateuque dans son ensemble (volumes 3a et 3b) ; 2) les écrits prophétiques ; 3) et les autres écrits, parmi lesquels figureront notamment les Psaumes. Le volume que nous présentons, qui contient les fragments du Deutéronome présentant des variantes significatives par rapport au texte massorétique, ainsi que tout autre écrit en lien avec le Deutéronome ou le Pentateuque en général, est donc le troisième volume du premier ensemble de textes, divisé pour des raisons matérielles en 3a et 3b. Outre les fragments du Deutéronome proprement dit, ce volume offre aux lecteurs une édition et une traduction de textes en rapport avec le Deutéronome et le Pentateuque, notamment le Rouleau du Temple, une Interprétation des lois de l’Alliance, des Ordonnances sacerdotales, un Commentaire du Livre de Moïse, nombre de manuscrits calendaires ainsi que quelques « Apocryphes », tel que des Dires, un Apocryphe, une Intercession et un Éloge de Moïse.

Comme pour les volumes précédents, le lecteur trouvera une courte introduction aux textes présents dans le volume, une brève section sur les manuscrits traduits, une liste des références, des sigles et des abréviations de même qu’une notice sur la transcription de l’hébreu, de l’araméen et du grec. L’édition des textes (hébreu, araméen ou grec) et leur traduction française, présentées en regard, sont accompagnées de notes très informatives, tantôt portant sur le texte original et la manière dont celui-ci se présente dans le manuscrit, tantôt offrant des traductions alternatives ou justifiant celles retenues. Le volume se conclut sur un index exhaustif des sources anciennes, un glossaire des termes techniques et un index des manuscrits édités et traduits.

L’équipe responsable de cette vaste entreprise éditoriale nous livre, encore une fois, un volume d’une grande qualité, qui rassemble et rend accessible tous les manuscrits pertinents relatifs à un texte précis de la Torah (dans ce cas, le Deutéronome) ou aux traditions s’y rapportant. Les chercheurs francophones oeuvrant dans les domaines du judaïsme et du christianisme anciens disposent d’un outil de travail indispensable à leurs travaux dont nous ne saurions qu’encourager l’utilisation.

Eric Crégheur

26. Jean Moschos, Fioretti des moines d’Orient. Le pré spirituel. Introduction, notes et glossaire par Vincent Déroche, traduction par Christian Bouchet, index par Marie-Hélène Congourdeau et Vincent Déroche. Paris, Migne (coll. “Les Pères dans la Foi,” 94-95), 2006, 308 p.

This fascinating book, also known as Pratum Spirituale or Spiritual Meadow, offers a rare glimpse into a time when conflicting Christian theologies were being hotly contested between the Chalcedonians and Monophysites all the while Islam begins its expansion. Little is known about Moschos except what comes to us from Photius (Bibliotheca),[44] from an anonymous biography,[45] as well as what we are able to glean from his own writings. There is suggestion that he hailed from Damascus, born sometime between 527-565 during the reign of Justinian I[46] and his remains are said to have been brought to the Saint-Theodosius coenobium in Judea close to Jerusalem by Sophronios ; he brought the body from Rome sometime between 619 and 634, at the beginning of the eighth Indiction.[47] Moschos is known as “Εὐκρατᾶς”[48] a designation argued fervently by scholars as perhaps an allusion to his affinity to Chalcedonian Christianity. Moschos travelled extensively with Sophronius and both were known to have been “ξενιτειά”,[49] the practice of being “constantly on the road to avoid creating any strong human bonds […] living as complete strangers to the world.”[50] Moschos and Sophronios commenced their southward journey during the reign of Tiberius II Constantius (578 to 582) and eventually settled at Mt. Sinai “[…] dans cette même laure des Éliotes. J’y suis en effet resté dix ans”.[51] They made their way back to Palestine, and after the invasion of the Byzantine Empire by the Persians, they travelled north to Antioch, a very dangerous city for any Chalcedonian as it was not only a strong Monophysite enclave, but it was the very same Christian sect that welcomed the Persians. It wouldn’t be long before Moschos and Sophronius would quickly embark on a final journey to Rome.

Structurally it would be a daunting task to ascertain from the 245 chapters what the underlying theme is. However we get a hint from the very title and introduction to his work — Moschos paints a vivid picture of a “Pré spirituel” from which he plucks roses, lilies and violets to be offered as a bouquet to his disciple Sophronius. These metaphorical flowers serve as examples to imitate in life’s journey since traditional biographies from antiquity, such as the “Vies” (Vitae parallelae) of Plutarch, did not have the intention to give a precise or exhaustive description of the past, from which moral examples may be furnished to follow in the present.

The short chapters are really apophthegms, a fragmented collection of stories and sayings attributed to various monks who did not write these or whose stories have not been passed down through a fixed written tradition ; these were clearly meant for personal edification to aid the soul in achieving “γεροντικόν,” the technical term designated for ascetics who attain the state of perfection. Moschos functions as the compiler. Some of stories do not identify an author ; in such cases, even though Moschos presents himself as the compiler, the text is a work he had actually written. The apophthegms have no chronological relevance and follow only two principles : collect all the stories related to a person, the narrator or the hero of the story as in apophthegm 95 Conduite de l’ancien Patrikios du monastère de Scopélos and apophthegm 96 Au sujet du même ancien, et de Julien l’Arabe, aveugle, or to a monastery (see apophthegms 62 to 68 on Laure des Éliotes), or as stated in the prologue and dedication, reconcile stories with comparable themes as in apophthegms 165 Conduite d’un brigand nommé Kyriakos and 166 Conduite d’un voleur devenu moine et ensuite décapité dans son habit laïque.

The Pratum in appearance contains details and stories that seem to span two generations of monks that Moschos would have crossed paths with during his lifetime and these stories have the authenticity of eye-witness accounts, as in Abbot John the Persian who tells of his own interview with Gregory the Great in Rome, apophthegm 151 Récit d’abba Jean le Perse au sujet du très heureux Grégoire, évêque de la ville de Rome. Often however the accounts Moschos receives are second-hand at best, tales recounted to him that have in turn been passed down by someone else ; increasing the probability of error. A case in point, apophthegm 150 Conduite et sainteté de l’évêque de la cité de Romilla is suspect because it has two doublets both in apophthegm 108 Conduite d’un prêtre vierge et de son épouse, également vierge and in La Vie de Basile de Césarée du pseudo Amphiloque, a well-known legendary text and because the pontificate of the Pope held in two years (535-536) ; the story recounted at Samos about the merchant of Nisibis (apophthegm 185 Conduite d’une fidèle qui, par son admirable sagesse, convertit à la foi son mari païen) similarly has all the characters from the legend. In some instances, Moschos states that the story recounted was taken from a written source, such as Rufinus Aquileiensis’ translation of Ἐκκλησιαστικὴ ἱστορία by Eusebius in apophthegm 197 Récit de Rufin au sujet de saint Athanase et d’enfants qui l’accompagnaient.

There are numerous warnings against various sins peppered throughout the collection. Just to name a few, avarice in apophthegm 152 “Fuyons la mère de tous les maux, l’avarice” ; sloth in apophthegm 142 “[…] je souffre d’acédie” and negligence (ὀλιγωπία or cowardice) in apophthegm 164 “[…] je suis dominé par la maladie du découragement” ; carelessness in apophthegm 44 “le frère avait quitté ce monde-ci dans une grande insouciance et négligence” ; sorrow in apophthegm 110 “Voici le propre des démons : après avoir jeté notre âme dans le péché, ils nous précipitant dans le désespoir, afin de nous perdre complètement” ; lust in apophthegm 19 “Vaincu et incapable de supporter la flamme du désir” ; slander in apophthegm 114 “Certains, ne craignant pas Dieu, se mirent à calomnier l’ancien et à dire […]” ; defilement (μύσος) in apophthegm 165 “il décapita les auteurs de cette abomination […]” ; lust (ἐπιθυμία) in apophthegm 159 demonstrates a demonic desire “Il inspira en effet à un jeune homme un désir satanique pour elle”. Moschos masterfully weaves these subtle themes into his stories, always with an eye for salvation through vigilance and the examination of conscience in a prayerful self-reflection of words and deeds.

Jonathan I. von Kodar

27. Titi Bostrensis, Contra Manichaeos. Libri IV. Graece et Syriace. Textum Graecum librorum I-III, 30a edidit, Agathe Roman, adiuuante Thomas S. Schmidt, textum Syriacum ediderunt Paul-Hubert Poirier et Eric Crégheur, excerpta e sacris parallelis Iohanni Damasceno attributis edidit José Declerck. Turnout, Éditions Brepols (coll. « Corpus Christianorum - Series Graeca », 82), 2013, clv-427 p.

Cet ouvrage est la première édition grecque et syriaque du traité Contre les manichéens de Titus de Bostra, auteur qui nous est connu par une lettre datant de 362 de l’empereur Julien invitant les habitants de Bostra à expulser de leur ville l’évêque qui se trouve être précisément Titus. Ce dernier est également un des signataires du Synode d’Antioche de 363. En dehors de ces deux mentions, nous ne disposons pas d’autres informations biographiques. Pour ce qui est de l’oeuvre de Titus, à part les fragments caténiques de ses Homélies sur Luc, seul le traité Contre les manichéens subsiste. Il s’agit d’un ouvrage, vraisemblablement composé en 363, qui est fondamental pour notre connaissance du manichéisme, puisqu’il comporte passablement de citations de Mani — qui vécut de 216 à 274 ou 277 — et des résumés de ses doctrines que notre auteur se propose de réfuter.

L’édition complète du texte est une prouesse, tentée à plusieurs reprises par le passé (cf. les p. lxxxii-lxxxvii de l’introduction), mais qui échoua à cause de l’ampleur et de la difficulté de la tâche. Le texte connut de fait une circulation extrêmement réduite, et ceci surtout après la disparition des doctrines que le traité entendait réfuter. Ceci eut aussi la conséquence qu’une partie du grec se perdit : le livre IV en entier et la majeure partie du livre III ne survécurent que dans un manuscrit syriaque complet du début du cinquième siècle qui est de surcroît le plus ancien témoin du texte de Titus. L’édition, qui présente en vis-à-vis les textes syriaque et grec, se fonde principalement, pour le grec, sur le manuscrit V du Mont Athos, daté au onzième siècle (Athonensis Vatopedinus 236) et, pour le syriaque, sur le manuscrit, déjà évoqué, datant de 411, de la British Library de Londres (Add. 12150). L’entreprise ne pouvait cependant se passer de l’édition des neuf citations du Contre les manichéens, tirées des Sacra parallela (septième-huitième siècle) — attribués probablement à tort à Jean Damascène —, qui figurent intégralement en annexe à l’introduction.

En plus des indications utiles sur l’auteur et l’oeuvre, l’introduction relate très clairement les péripéties de la survie grecque et syriaque du traité. La description de la tradition manuscrite dans les deux langues est précise, exhaustive et limpide. Suit une somme d’informations sur la syntaxe et le grec de Titus qui seront fort utiles aux lecteurs et éditeurs de textes contemporains, car un ouvrage systématique sur les règles et l’évolution de la langue grecque pendant les premiers siècles de l’ère chrétienne fait cruellement défaut. L’introduction comporte également un résumé qui met en lumière le plan de l’ouvrage en exposant les thèmes des différents chapitres.

Le traité, aspirant à réfuter les thèses de Mani comprend un intérêt double puisque l’ouvrage est fondamental à la fois pour la connaissance du manichéisme et du point de vue de l’histoire du christianisme, pour la réfutation qui en est faite. Titus livre une restitution honnête de ce qu’il nomme l’« Espérance » de Mani et de ses adeptes. Il fait de plus une large place aux citations et à l’exposé des doctrines auxquelles il s’oppose. Les thèmes connus de la place et des causes du mal dans le monde, de l’existence d’un second principe en plus de Dieu, du rejet de l’Ancien Testament, de la place du soleil dans ces théories, des âmes, de la chair, des interprétations de Mani de l’Ancien Testament et des Évangiles, notamment par rapport à la naissance du Christ et de Mani comme paraclet, sont tous exposés de manière complète.

L’autre apport de cette publication remarquable réside dans la réfutation des thèses de Mani qui se traduit principalement de deux manières. La première cherche à démontrer de manière rationnelle que la théorie des deux principes éternels, le bien et le mal qui se concrétisent sous différentes formes, comme la lumière et l’obscurité ou la matière et la pensée, aboutit à des résultats bien plus absurdes que celle qui attribue le mal au libre arbitre de l’homme. Dans un deuxième grand pan de l’ouvrage, Titus s’applique à démontrer point par point, en se référant aux textes sacrés, la cohérence entre l’Ancien et le Nouveau Testament de manière à prouver que Mani et ses adeptes errent en soulignant les contradictions des Écritures. L’étendue et la précision des réfutations, par exemple au sujet des plantes vénéneuses (II,44-45), de l’âme dans les pierres (II,60) ou de la polygamie dans l’Ancien Testament (III,63) mettent en lumière la complexité des théories manichéennes, la stratégie rhétorique déployée pour les contrer et le public visé. L’ensemble livre ainsi une image vivante d’un débat intellectuel et religieux au coeur des préoccupations du quatrième siècle.

En conclusion, ce livre important figurera dans toute bibliothèque spécialisée. La parution prochaine de traductions permettra en outre de rendre ce chapitre de l’histoire religieuse tardo-antique accessible à un public plus large.

Anne-France Morand

28. Évagre le Scholastique, Histoire ecclésiastique. Livres IV-VI. Texte grec de l’édition J. Bidez et L. Parmentier, introduction par Guy Sabbah, annotations par Laurent Angliviel de la Beaumelle et Guy Sabbah, traduction par A.-J. Festugière, o.p., Bernard Grillet et Guy Sabbah. Paris, Les Éditions du Cerf (coll. « Sources Chrétiennes », 566), 2014, 424 p.

« À l’extrême fin du vie siècle, Évagre conclut le cycle brillant des historiens ecclésiastiques grecs qu’avait ouvert, trois siècles plus tôt, l’oeuvre d’Eusèbe de Césarée, matrice de toute l’historiographie de l’Église ». C’est ainsi que Guy Sabbah présentait Évagre en inaugurant l’édition de l’Histoire ecclésiastique dans les « Sources Chrétiennes » (vol. 542, p. 7). Né entre 532 et 537, et disparu vers la fin du sixième siècle, Évagre dit « le scholastique », c’est-à-dire « le juriste », était un laïc qui exerça les fonctions d’avocat à Antioche, en particulier auprès du patriarche de la ville, Grégoire (571-594), qu’il eut à défendre dans différentes affaires. Dans la préface de son Histoire, Évagre situe son entreprise historiographique dans le sillage de celles d’Eusèbe, Sozomène, Théodoret et Socrate, en se proposant de prendre le relais à partir du règne de Théodose II (408-450), plus précisément à partir de Nestorius, « cette langue ennemie de Dieu, ce deuxième sanhédrin de Caïphe, cet atelier de blasphème » (I, 2). Chalcédonien convaincu, Évagre traite, dans la première moitié de son ouvrage, des trois conciles oecuméniques du cinquième siècle, Éphèse I (431), Éphèse II (449), passé à l’histoire sous l’appellation de « brigandage d’Éphèse », et Chalcédoine (451), sous les règnes de Théodose II et Marcien (450-457), et de ce qui s’ensuivra jusqu’à la fin du règne d’Anastase (491-518). Dans les livres IV à VI, Évagre poursuivra son récit depuis la mort d’Anastase jusqu’à la douzième année de Maurice (593-594), englobant ainsi les règnes de Justin Ier, Justinien, Justin II et Tibère Constantin. Si, pour ce trois-quarts de siècle, l’Histoire demeure « ecclésiastique », l’auteur accorde néanmoins une grande place à l’actualité politique, militaire et diplomatique, les Perses et les « barbares » n’étant jamais très loin, sans parler des malheurs du temps, l’épidémie chronique de peste et les catastrophes naturelles qui ont frappé l’Empire d’Orient. Le livre IV est consacré aux règnes de Justin Ier et de Justinien (de 518 à 565), le livre V, à ceux de Justin II (dont l’historien donne une image très négative) et de Tibère, le livre VI, à celui de Maurice (jusqu’en 594). Sur le plan ecclésial, la période couverte par ces trois livres est dominée par les controverses sur la nature — ou les natures — du Christ qui font suite au concile de Chalcédoine et qui opposent dyophysites et monophysites. Évagre ne peut éviter d’en traiter mais il le fait presque en passant, sans doute par conviction personnelle ou irénisme, pour ne pas donner la première place à ces divisions au sein de ce qui devrait être l’unique Église du Christ. Malgré le goût de l’auteur pour les anecdotes et pour les « micro-narrations » (p. 38), l’Histoire demeure une chronique précieuse et vivante du sixième siècle, dont l’information complète ce que nous apprennent les autres historiens de l’époque.

Comme pour le premier tome, celui-ci reprend le texte critique de l’édition de Joseph Bidez et Léon Parmentier[52]. On a également repris à cette édition le tableau synoptique des empereurs et patriarches de 518 à 602. L’édition Bidez-Parmentier demeure utile pour l’édition des scholies et surtout pour ses index (nominum et graecitatis). La traduction française est basée sur celle publiée par le Père Festugière en 1975[53]. Cette traduction est accompagnée d’une annotation extrêmement riche qui fournit toutes les précisions nécessaires sur les personnages et les événements mentionnés au fil du récit, et qui équivaut à un véritable commentaire. Quatre index permettront de tirer le meilleur parti de l’édition : scripturaire, des noms de personnes, des noms de lieux et des notabilia christiana. Soulignons également la qualité des cartes et des plans.

Par cette édition d’Évagre le Scholastique, la collection des « Sources Chrétiennes » achève de rendre disponibles en français les historiens anciens de l’Église, après Eusèbe de Césarée, Socrate et Sozomène de Constantinople, Théodoret de Cyr, Philostorge et Bède le Vénérable.

Paul-Hubert Poirier

29. Peter Nagel, Codex apocryphus gnosticus Novi Testamenti. Band 1 : Evangelien und Apostelgeschichten aus den Schriften von Nag Hammadi und verwandten Kodizes. Tübingen, Mohr Siebeck (coll. « Wissenschaftliche Untersuchungen zum Neuen Testament », 326), 2014, xvii-397 p.

Sous le titre un peu étonnant de « Codex apocryphe gnostique du Nouveau Testament », ce recueil entend se distinguer des autres ouvrages qui rassemblent des textes gnostiques ou apocryphes dans la mesure où il propose non seulement des traductions de ces écrits mais aussi le texte original établi à nouveaux frais. Quoi qu’il en soit du titre ou de la conception de l’ouvrage, ces rééditions, signées par un éminent coptologue et orientaliste, garantissent déjà la nouveauté de l’ouvrage. Ce Codex comportera à terme deux volets. Le premier, qui fait l’objet de cette note, regroupe les évangiles et les actes des apôtres transmis par les « écrits » de Nag Hammadi et par des « manuscrits apparentés ». On y retrouve l’Évangile selon Marie (Berolinensis gnosticus 8502), l’Évangile de la Vérité (Nag Hammadi I, 3), l’Évangile selon Thomas (NH II, 2), l’Évangile selon Philippe (NH II, 3), l’Évangile de Judas (Codex Tchacos), un des Psaumes manichéens d’Héraclide portant sur la rencontre de Marie-Madeleine avec le Ressuscité, et présenté comme un « Jeu (ou : Mystère) de Pâques » (Osterspiel), l’Acte de Pierre (Berolinensis), les Actes de Pierre et des Douze Apôtres (NH VI, 1) et un autre extrait du Psautier manichéen, tiré des Psaumes des errants (forme: 5033652n.jpg forme: 5033653n.jpg), qui célèbre la patience ou la constance des disciples, hommes et femmes. Il en résulte un ensemble d’une grande richesse et diversité mais aussi, jusqu’à un certain point, disparate. Car tout n’est pas pareillement gnostique ou apocryphe dans ce Codex. Si on prend le terme apocryphe au sens de pseudépigraphique, il ne s’applique à vrai dire qu’à six des neuf textes qu’il contient ; quant au qualificatif de gnostique, on peut se demander s’il est approprié de l’appliquer à l’Évangile selon Thomas, aux deux « actes », de Pierre et de Pierre et des Douze Apôtres, et il est abusif de l’utiliser pour les deux psaumes manichéens. Le titre Codex apocryphus gnosticus Novi Testamenti a sans doute été retenu pour son efficacité sur le plan du marketing plus que pour son exactitude. Ceci dit, cela n’enlève rien à la valeur de l’ouvrage dans la mesure où celui-ci met à la disposition des spécialistes et des chercheurs de nouvelles moutures de textes souvent obscurs et difficiles, sur lesquels Peter Nagel a longuement réfléchi et travaillé. On lui sera donc reconnaissant de nous livrer ainsi le résultat de ses recherches.

Les écrits regroupés dans le premier volume du Codex constituent autant de chapitres, tous conçus de la même manière, en deux volets : (1) une introduction plus ou moins développée, accompagnée de la bibliographie ; (2) en regard, le texte copte et la traduction allemande avec des notes portant sur l’établissement du texte et son contenu. Pour quatre textes (chap. I, II, IV, V), ces deux sections sont suivies de compléments et, dans le cas de l’Évangile selon Thomas, de deux appendices donnant les parallèles synoptiques aux logia thomasiens et les renvois aux fragments grecs des papyri d’Oxyrhynque 1, 654 et 655 qui ne sont pas réédités dans le présent ouvrage. Trois index figurent à la fin : des noms propres, des citations bibliques et de quelques mots ou expressions notables (5 au total : ἀντικείμενος, εὐχαριστεῖν/εὐχαριστία, forme: 5033654n.jpg, σταυροῦν, forme: 5033655n.jpg).

Même s’il ne fait pas connaître des textes inconnus à ce jour, cet ouvrage constitue une contribution neuve à l’étude de ces évangiles, actes ou textes apparentés. En maints endroits où les manuscrits sont lacunaires ou d’interprétation discutée, Peter Nagel propose des lectures originales dont on devra tenir compte. Une publication comme celle-là ne pouvait rendre compte de toute la recherche consacrée à ces neuf « apocryphes gnostiques ». Les choix faits par P. Nagel sont généralement équilibrés et représentatifs de l’état de la recherche. En ce qui concerne l’Évangile de Judas, par exemple, l’A. refuse de se laisser enfermer dans le dilemme d’un Judas héros ou crapule (Held oder Schurke, p. 267) et renonce à percer le secret du proditionis mysterium (« mystère de la trahison ») qu’évoque Irénée de Lyon (Adversus haereses I, 31, 1) à propos du Iudae evangelium qu’il ne fait que mentionner (ibid.).

Paul-Hubert Poirier

30. Martin Bergermann, Christian-Friedrich Collatz, Karl Holl, Epiphanius I. Ancoratus und Panarion haer. 1-33. Teilband I/1. Text ; Teilband I/2. Addenda & Corrigenda. Berlin, Boston, Walter de Gruyter (coll. « Die Griechischen Christlichen Schriftsteller der ersten Jahrhunderte - Neue Folge », 10/1-2), 2013, 2 vol., xix-823 p. en pagination continue.

L’ouvrage d’Épiphane de Salamine (v. 315-403) intitulé Boîte à remèdes ou Petit coffre (πανάριον εἴτουν κιβώτιον), c’est-à-dire « pharmacie contre le poison des hérésies », est une composition d’une ampleur quasi démesurée, qui se déploie en quatre-vingts hérésies dûment numérotées, présentées et réfutées. Le nombre de quatre-vingt est tout à fait artificiel puisqu’il est emprunté au Cantique des Cantiques dans lequel sont évoquées les quatre-vingts concubines opposées à l’unique colombe (6,8-9), c’est-à-dire l’ensemble des hérésies face à l’unique Église véritable. Le Panarion obéit aux règles et aux conventions de l’hérésiologie ou de l’hérésiographie, fixées depuis Justin, au milieu du deuxième siècle, selon lesquelles il fallait, avant même de la réfuter, présenter l’hérésie de manière à la dénoncer et à faire apparaître sa malice, d’où un programme en deux volets qui est explicitement formulé par le titre du grand oeuvre d’Irénée de Lyon : Dénonciation (ἔλεγχος) et renversement (ἀνατροπή) de la prétendue gnose. Le Panarion est donc une entreprise de démolition de ce que l’auteur et l’Église de son temps considéraient comme des doctrines et des pratiques déviantes et dangereuses, et non un manuel d’histoire des doctrines. Mais il n’en a pas moins une valeur historique indéniable, tout d’abord pour l’étude de la perspective théologique d’Épiphane, ensuite et surtout, pour la connaissance des groupes ou des idées qu’il combat. Il faut bien sûr tenir compte du caractère polémique et artificiel de l’exposé d’Épiphane, aussi bien dans le découpage qu’il fait des « sectes » pour aboutir au chiffre voulu, que dans la présentation des pratiques et des thèses des adversaires, dont il s’agit avant tout de faire voir le côté haïssable, ridicule et barbare, entendons, irrationnel. Ceci dit, ce qui a été conçu comme une boîte à remèdes est un véritable coffre aux trésors pour l’historien du christianisme ancien car, si Épiphane ne dresse jamais un portrait favorable de ses hérétiques, il est néanmoins solidement documenté. Il cite expressis verbis quantité d’écrits qui sont autrement perdus, il résume ou paraphrase les propos de ses adversaires et nous donne ainsi accès à une documentation exceptionnelle. Les découvertes de textes manichéens (Medinet Madi, 1929) ou gnostiques (Nag Hammadi, 1945) faites au vingtième siècle ont d’ailleurs permis de mieux apprécier l’importance des informations transmises par Épiphane, en même temps qu’elles ont fourni les moyens d’en contrôler la valeur. L’accès au Panarion est néanmoins toujours demeuré difficile en raison de l’ampleur de l’oeuvre (l’édition de Berlin totalise 1 544 pages de grec en typographie serrée), de la langue d’Épiphane et du manque de traductions dans des langues modernes[54]. Il n’existe à ce jour, si l’on excepte la traduction latine de la Patrologia graeca (vol. 41-42), qu’une traduction complète du Panarion, en anglais[55]. En revanche, on dispose, depuis 1933, d’une édition critique de l’oeuvre, dans laquelle le Panarion est précédé d’un traité doctrinal intitulé Ancoratus (« le bien ancré ») et suivi d’un De fide. Cette édition, chef-d’oeuvre de l’érudition allemande de la première moitié du vingtième siècle, a été réalisée par Karl Holl à la demande de la Commission des Pères de l’Église de l’Académie prussienne des sciences. Achevée après la disparition de Holl, survenue en 1926, et complétée par un volume d’index paru en 2006 seulement[56], cette édition comprenait trois forts volumes (I, 1915 : haereses 1-33 ; II, 1922 : haereses 34-64 ; III, 1933 : haereses 65-80). L’épuisement de l’édition originale ainsi que le progrès des connaissances et la découverte de nouvelles sources ont obligé la Commission à envisager une réimpression accompagnée d’Addenda & Corrigenda. Cela fut réalisé, pour les deux derniers volumes, par Jürgen Dummer (vol. II, 1980 ; vol. III, 1985). Pour le premier volume, il faudra attendre 2013 pour que les successeurs de J. Dummer, Marc Bergermann et Christian-Friedrich Collatz en livrent la réédition attendue, que nous présentons ici.

Comme pour les volumes II et III, cette réédition reproduit à l’identique le texte de Holl, mais, contrairement aux précédentes, elle se présente en deux volets. Le premier, Text, s’ouvre par un Geleitwort de Christoph Markschies, responsable de la Commission des Griechische Christliche Schriftsteller auprès de la Berlin-Brandenburgische Akademie der Wissenschaften. C. Markschies y rappelle l’histoire de l’édition de Holl ainsi que les différentes initiatives prises dès son achèvement en vue de sa mise à jour. Le second volet, en pagination continue avec le premier (465-823), s’ouvre, après une brève introduction-mode d’emploi, par une liste des abréviations qui fait office de bibliographie pour la suite. Les Addenda & Corrigenda occupent l’essentiel de l’espace, sur plus de 200 pages. Ils portent à la fois sur l’Ancoratus et sur le premier livre du Panarion. Pour s’y retrouver dans ces ajouts et corrections, il faut savoir que l’édition de Holl comporte, au bas de chaque page, jusqu’à trois registres : le premier indique les citations par Épiphane de textes bibliques ou autres (appelé ici, p. 467, Sachapparat), le deuxième (Textzeugenapparat) signale les témoins manuscrits et les parallèles, principalement chez Épiphane, le troisième (l’apparat critique proprement, textkritischer Apparat) recense les variantes. Les Addenda & Corrigenda sont référencées aux pages et lignes de l’édition. Pour chaque page concernée, on trouve tout d’abord les données nouvelles, s’il en est, le plus souvent l’indication de lieux parallèles, ou des compléments bibliographiques. Viennent ensuite des ajouts et corrections aux apparats. D’après ce qu’on lit dans l’introduction (p. 467), les nouvelles informations peuvent être introduites de quatre façons différentes : 1) ergänze : une entrée de Holl est complétée ; 2) ersetze : une donnée fautive est remplacée ; 3) korrigiere : une donnée fautive est corrigée ; 4) aktualisiere : les renvois de Holl aux éditions accessibles à son époque sont mis à jour lorsque de nouvelles éditions ont paru[57]. Cependant, bien des ajouts ou corrections ne sont pas précédés de l’une ou l’autre de ces indications (d’où le kann de la p. 467). D’autre part, l’abréviation App., lorsqu’elle est utilisée, renvoie le plus souvent au Sachapparat (le premier dans l’édition), mais parfois aussi au textkritischer Apparat. Les entrées qui concernent cet apparat figurent dans les Addenda & Corrigenda après un filet court qui les sépare des entrées qui précèdent pour une même page ; la fonction de ce filet n’est toutefois précisée nulle part dans l’introduction. Même s’il n’existe pas une parfaite correspondance entre la rédaction des Addenda & Corrigenda et la présentation qui en est donnée dans l’introduction, on s’y retrouve tout de même assez facilement grâce au référencement par les pages et lignes de l’édition originale. Quoi qu’il en soit de ce léger désagrément, il faut souligner la richesse des Addenda & Corrigenda tant sur le plan factuel (corrections, compléments et précisions apportés au texte et aux apparats de Holl) que sur celui de l’information bibliographique. Certaines entrées constituent de véritables notices qui éclairent le texte d’Épiphane.

Les Addenda & Corrigenda sont suivis de deux index, des lieux cités et des mots grecs, qui portent non sur le texte de Holl mais sur les matériaux réunis les Addenda & Corrigenda. Ces index complètent ceux qui figurent dans Epiphanius IV. On a eu l’heureuse idée de faire suivre les index d’un appendice dans lequel est reproduit le mémoire de Holl de 1910, qui portait sur la tradition manuscrite de l’Ancoratus et du Panarion. Cette centaine de pages constitue l’introduction critique qui manquait au premier volume de son édition. Le même appendice contient aussi une contribution nouvelle de J. Dummer et de C. Markschies, l’édition des annotations marginales (Randbemerkungen) apportées par Philippe Melanchton au manuscrit Jenensis Bos. f. 1. Ces annotations n’ajoutent rien à la compréhension du texte d’Épiphane mais elles représentent un intéressant témoignage sur la réception humaniste des Pères de l’Église, dans le contexte de la Réforme naissante. Le deuxième volet de cet Epiphanius I se termine par cinq planches : une note manuscrite d’Erich Klostermann du 24 avril 1941 et la reproduction de quatre folios du manuscrit de Jena.

Malgré les critiques qui ont pu lui être adressées, en raison surtout de son recours à la Konjekturalkritik (voir ce qu’en dit C. Markschies, p. ix-xiii), on reste saisi d’admiration devant le travail de Holl. Cette réédition et le volume qui l’accompagne, tout en donnant à nouveau accès à l’Ancoratus et au premier livre du Panarion, rendent pleinement justice à la valeur pérenne de son oeuvre tout en lui apportant les compléments nécessaires.

Paul-Hubert Poirier

31. Grant Macaskill, The Slavonic Texts of 2 Enoch. Leiden, Koninklijke Brill NV (coll. « Studia Judaeoslavica », 6), 2013, xii-329 p.

L’écrit intitulé Le Livre des secrets d’Hénoch fait partie d’un ensemble de textes consacrés au patriarche antédiluvien Hénoch, fils de Yéred et père de Mathusalem, dont la Genèse raconte (5,18-24) qu’il vécut trois cent soixante-cinq ans et qu’après avoir « marché avec Dieu », il disparut, « car Dieu l’avait pris ». La justice attribuée au personnage et surtout le fait que, comme plus tard Élie, il fut enlevé auprès de Dieu sans avoir à éprouver la mort ont contribué à lui accorder un statut de visionnaire et de révélateur. Au sein du corpus hénochien, la première place revient au Livre d’Hénoch, dit également Hénoch éthiopien, parce que la version éthiopienne (en guèze [ge’ez]) est la seule complète, ou encore 1 Hénoch, pour le distinguer de deux autres écrits, 2 Hénoch ou Hénoch slave, car il ne subsiste que dans cette langue, et 3 Hénoch ou Hénoch hébreu, c’est-à-dire le Livre d’Hénoch par Rabbi Ishmaël le grand-prêtre, un texte tardif de mystique juive datant des cinquième-sixième siècles de notre ère. L’Hénoch slave, connu sous le titre conventionnel de Livre des secrets d’Hénoch, a été transmis en deux versions, une longue ou amplifiée et une brève. Il se compose de deux parties d’inégale longueur, la vie d’Hénoch (chap. 1-68), depuis son voyage à travers les sept cieux, après son enlèvement, jusqu’à son retour sur terre et son second enlèvement, et les événements qui ont suivi sa disparition finale (chap. 69-73), de Mathusalem au déluge[58]. Aucun consensus ne s’est imposé quant à la date de composition ou à l’origine de 2 Hénoch, même si l’on s’accorde pour reconnaître que la langue originale a dû en être le grec et que le noyau de l’oeuvre pourrait dater du premier siècle de notre ère. Rien n’a subsisté de cet hypothétique original grec mais, fort heureusement, l’écrit a trouvé refuge dans les chrétientés slaves où il fut traduit aux dixième et onzième siècles. Cette traduction nous est parvenue dans des manuscrits tous tardifs, du quatorzième au dix-huitième siècle, qui présentent des variations notables les uns par rapport aux autres, ce qui a amené à reconnaître deux et même trois recensions du texte : longue, brève et très brève. Aux dix-huit manuscrits répertoriés s’ajoute une suite d’extraits de 2 Hénoch conservés dans un recueil juridique slave intitulé La Balance juste (Merilo pravednoe), qui furent les premiers à faire connaître l’apocryphe en 1859. Malgré d’importants travaux réalisés au dix-neuvième siècle, dont ceux de M.I. Sokolov, et l’édition critique d’André Vaillant, parue en 1952, l’étude de l’Hénoch slave a été rendue difficile par l’absence d’une édition qui aurait donné une image relativement précise et claire de la situation textuelle de l’oeuvre. La traduction anglaise de Francis I. Andersen, parue en 1983, a constitué une avancée notable pour pallier cette lacune[59], et l’édition que nous présentons maintenant, mettant à profit toutes les recherches antérieures, est une réalisation majeure. L’ouvrage de Grant Macaskill est en effet la première édition complète et synoptique des deux recensions, longue et brève, de l’Hénoch slave. L’édition proprement dite est précédée d’une introduction dans laquelle on trouvera d’abord une présentation de l’ouvrage et des principes sur lesquels il repose, suivie d’un aperçu des manuscrits. Dix-huit manuscrits sont mentionnés, auxquels s’ajoute la réécriture de 2 Hénoch du Merilo pravednoe. La troisième partie de l’introduction est consacrée aux recensions et familles, et au stemma des manuscrits. Un tableau (p. 20) présente les matériaux propres à la version longue. L’A. revient également sur la question de la priorité d’une version — longue ou brève — par rapport à l’autre. Contrairement à l’opinion reçue depuis A. Vaillant, qui privilégiait la version brève, G. Macaskill est d’avis que la version longue peut donner accès à une forme ancienne du texte, du moins pour certaines parties de celui-ci. L’édition synoptique présente en page impaire la version longue, et en page paire, la version brève. Pour chacune, l’édition reproduit le texte d’un seul manuscrit, le BAN 13.3é25 (J) de la bibliothèque de l’Académie des sciences de Saint Pétersbourg, pour la version longue, et le BAN 43.13.4 (A) de la même bibliothèque, pour la version brève. Les leçons des autres manuscrits sont indiquées dans les apparats critiques de chacune des versions. La numérotation et l’intitulé des chapitres du manuscrit P (collection Hludov, Musée historique d’état [GIM] de Moscou), lorsqu’ils sont attestés, sont reproduits en traduction avec le texte original dans l’apparat. Quatre appendices suivent l’édition. Le premier fournit l’édition de textes supplémentaires dont des extraits sont cités dans le Merilo pravednoe. Le deuxième reproduit le texte des chapitres 36 à 40 dans l’ordre propre à la version brève (36-39-37-40, le chap. 38 ne figurant pas dans cette version). Le troisième appendice présente une nouvelle traduction de 2 Hénoch établie sur le manuscrit B (Musée historique d’état de Moscou, collection Barsov), dont le texte se distingue de celui des autres témoins de la recension brève. Une bibliographie sélective figure à la fin de l’ouvrage, dans le quatrième appendice.

L’édition de Macaskill témoigne de la vitalité de la recherche récente consacrée à l’Hénoch slave. Déjà, en 2012, la parution des actes du cinquième « Enoch Seminar » (Naples, 2009) avait ouvert des perspectives nouvelles sur 2 Hénoch[60]. Parmi les communications présentées à ce séminaire, l’une avait particulièrement retenu l’attention au point de fournir le sous-titre de l’édition des actes du colloque. Il s’agit de celle de Joost L. Hagen, intitulée : « No Longer “Slavonic” only : 2 Henoch Attested in Coptic from Nubia[61] ». Dans cette communication, J. Hagen révélait l’existence de quatre fragments découverts à Qasr Ibrim en 1963, restés inédits mais dont le coptologue J.M. Plumley avait consigné une transcription dans l’un de ses cahiers de notes. Ces fragments, très lacunaires, donnent ce qui semble être le texte de 2 Hénoch 36, 3-42, 3, mais dans une séquence des chapitres qui s’apparente à celle de la version brève (36-39-37-40-[41]-42) ; ils représenteraient donc un témoin de la version brève plus ancien que tous les manuscrits slaves, ce qui fournirait un argument supplémentaire en faveur de l’antériorité de la forme brève par rapport à la longue. Mais cette découverte n’est pas sans soulever des questions, tout d’abord parce que les fragments ont apparemment disparu et ne sont plus documentés que par la transcription de Plumley et par des photographies partielles, et aussi en raison de leur mauvais état de préservation, ce qui a obligé leur inventeur à reconstituer une bonne partie du texte qu’il édite. Pour ces raisons et pour d’autres que Christfried Böttrich a avancées[62], la prudence s’impose avant d’en tirer des conclusions sur l’histoire textuelle de 2 Hénoch et de clamer qu’il est « no longer “Slavonic” » (cf. p. 20-21 et 292, n. 176, de l’édition de Macaskill). Quoi qu’il en soit de la valeur réelle de cette découverte, l’Hénoch slave demeure un témoin important des traditions hénochiennes, auquel l’édition de G. Macaskill, utilisée de pair avec la traduction de J.L. Andersen, procure désormais un accès plus facile et surtout plus sûr