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L’année 2015 a marqué le 400e anniversaire de l’arrivée en Nouvelle-France des premiers hommes de foi : quatre frères récollets débarqués à Québec en juin 1615. Pour souligner cet événement, un colloque international fut organisé à l’Université Laval par Paul-André Dubois, professeur d’histoire, spécialiste de la Nouvelle-France. L’événement se tint symboliquement du 11 au 13 juin 2015 à l’École d’architecture, en plein coeur du Québec historique. Un des traits originaux de ce colloque est d’avoir réuni autour du sujet récollet des chercheurs chevronnés et débutants, issus de différents parcours académiques et professionnels — histoire, littérature, science des religions, histoire de l’art, archivistique, sociologie, musicologie, architecture — et venus de différents coins du monde — Canada, France, Royaume-Uni, Italie et États-Unis d’Amérique.

Issu de cette rencontre — dont il garde certaines traces (mention d’un concert d’orgue, d’un discours prononcé devant le monument de la foi, etc.) —, le présent volume ne se résume toutefois pas aux actes du colloque, puisqu’un certain nombre d’autres contributions, qui ne figuraient au programme original, s’ajoutent à l’ensemble. Ainsi en est-il, par exemple, de la remarquable édition critique de l’Oraison funèbre du comte de Frontenac préparée par É. Van der Schueren. L’ouvrage est de bonne facture, comme cette collection nous y a habitués, et regroupe 28 articles, rédigés en français ou en anglais, accompagnés pour la plupart d’illustrations en couleur destinées à appuyer les textes ; dans certains cas, elles s’avèrent même essentielles pour comprendre le propos. La mise en page est élégante et épurée, mais malheureusement, de ce fait, les notes de lecture se trouvent reléguées à la fin de chaque contribution, écrites en petits caractères, ce qui les rend plus difficiles d’accès. Les contributions, dont la longueur varie d’une dizaine à une quarantaine de pages, sont réparties en quatre sections : « Les hommes, les idéaux et les oeuvres », « Le monde, la pensée et les écrits », « Les mots, les sons et les couleurs » et « Les lieux, les objets et les souvenirs ». Les raisons qui ont mené à la répartition des textes dans l’une ou l’autre de ces sections ne se laissent pas toujours aisément deviner.

Après une rapide introduction bilingue qui jette les grandes lignes de l’aventure récollette en Nouvelle-France et souligne le renouveau de l’historiographie sur ce sujet (p. 1-11), une première contribution, signée P.-A. Dubois et D. Kaupp (p. 15-59), propose une approche originale de l’histoire de cet ordre au Canada par le biais des représentations figurées des récollets, un défi audacieux pour un ordre mendiant ayant laissé peu de témoignages picturaux. Cette approche est essentiellement un prétexte pour présenter l’histoire de l’ordre, mais permet également un excursus sur la récupération de cette histoire par les franciscains lors de leur retour au Canada au tournant du xxe siècle. La deuxième contribution, écrite par un des plus grands spécialistes de l’histoire des Frères mineurs, B. Dompnier (p. 61-97), élargit la présentation historique à l’ensemble du mouvement franciscain à l’époque moderne en se concentrant sur les défis auxquels ont dû faire face les différentes branches de cet ordre à l’époque moderne, tant en Europe que dans leur apostolat. La contribution suivante de F. Lestringuant (p. 99-107), plus brève, répertorie la présence franciscaine dans l’oeuvre-phare de la Contre-Réforme, le Theatre des Cruautez des Herectiques de nostre temps ; il suggère que cette oeuvre ait pu servir de modèle à l’entreprise missionnaire des franciscains au Nouveau Monde. Le reste des textes de cette première section est consacré aux modalités des missions en Nouvelle-France, avec une attention particulière portée à l’Acadie. D. Deslandres (p. 109-122) étudie ainsi les raisons et les modalités de la coopération des Récollets avec les pères jésuites durant les premières années de leur installation. L. Codignola (p. 123-138) situe la mission des Capucins en Acadie dans le contexte politique international de l’époque, révélant ainsi le peu d’importance qui était accordé globalement à ce projet. A.J.B. Johnston (p. 139-150) documente la présence récollette sur l’Île Royale, en particulier des Récollets de la province de Bretagne, et le contexte dans lequel ils devaient accomplir leur ministère. R. Lessard (p. 151-171) s’intéresse au rôle des Récollets en tant qu’aumôniers militaires, dont il brosse un portrait très détaillé en Nouvelle-France. L’article est suivi d’extraits du récit viatique du père Emmanuel Crespel (p. 167-169). Finalement, M. Morin (p. 173-190) met en lumière les implications politiques des missions récollettes en Acadie auprès des Micmacs dans le cadre de la rivalité franco-anglaise. Cette première section, la plus longue, présente essentiellement des exposés de nature historique, ce qui lui confère une certaine homogénéité.

La seconde partie est consacrée principalement aux résultats de ces missions tels que présentés dans les textes des auteurs récollets. Les deux premières contributions dressent d’ailleurs un constat plutôt critique du travail accompli par les Récollets lors de leur premier séjour. J. McCafferty (p. 193-206) révèle ainsi comment les écrits de Gabriel Sagard font entendre les échos des échecs et des déceptions de ses frères. E. Anderson (p. 207-224) propose pour sa part une analyse contrefactuelle (une approche plus populaire du côté anglophone) de l’histoire tragique du premier catéchumène autochtone, Pastedechouan, afin de mettre en lumière l’impact que ce dernier a eu sur l’histoire coloniale de la Nouvelle-France et les leçons qui n’ont pas été tirées de cette expérience. J. Kellman (p. 225-238) retrace l’influence de la pensée franciscaine dans les descriptions de la nature qui accompagnent les récits des pères récollets et l’apport de cette pensée sur le développement de l’histoire naturelle au xviie siècle. L. Berry (p. 239-251) démontre pour sa part comment le court traité d’histoire naturelle publié par Sagard à la suite de son Grand Voyage du pays des Hurons fut construit selon les modèles de son époque afin de servir les objectifs des Récollets. Dans une perspective similaire, M.-C. Pioffet (p. 253-266) analyse comment le processus d’écriture, ou de réécriture, de l’Histoire du Canada de Sagard, avait pour but d’en faire une oeuvre polémique, apologétique et édifiante au service de l’ordre. R. Ouellet (p. 267-277) documente l’usage extrême du pathétique dans la Nouvelle Relation de la Gaspésie de Chrétien Le Clercq, tandis que C. Broué (p. 279-297) propose une audacieuse clé de lecture pour décoder les incohérences dans l’oeuvre de Louis Hennepin : l’existence d’un complot auquel le récollet aurait contribué et dont il aurait laissé des traces dans ses écrits. De manière plus générale, P. Berthiaume (p. 299-315) met en lumière les stratégies communes déployées par les auteurs récollets dans leurs récits pour défendre leur travail apostolique en Nouvelle-France, fustiger leurs détracteurs et convaincre les lecteurs de la nécessité de leur présence.

La troisième section s’intéresse à la présence récollette dans le paysage sonore et visuel de la Nouvelle-France. É. Van der Schueren (p. 319-341) propose ainsi une analyse littéraire approfondie de l’oraison funèbre prononcée par le père récollet Oliver Goyet en mémoire du comte Louis de Frontenac, gouverneur du Canada, analyse qu’il fait suivre d’une nouvelle édition critique annotée (p. 343-362). Comme annexe à cette contribution, P.-A. Dubois (p. 363-367) propose une courte note de recherche sur le tableau Saint Louis tenant la couronne d’épine, qui se trouve à l’église Saint-Louis-de Lotbinière et dont la paternité a été attribuée, sans réelle justification, au récollet François Brekenmacher. J.-F. Plante (p. 369-378) étudie d’un point de vue ethnologique la « guerre du clocher » qui opposa les Récollets à Monseigneur de Laval, en abordant la question de la portée symbolique du son de la cloche dans l’identité récollette. Poursuivant sur le paysage sonore de la colonie, É. Gallat-Morin (p. 379-388) examine les témoignages attestant l’existence d’orgues en Nouvelle-France dès 1657 et relate les étapes ayant mené à la reconstruction en 2009 de l’orgue installé à la cathédrale de Québec en 1753. Finalement, J.-J. Danel (p. 389-417) propose une ébauche de catalogue raisonné des oeuvres peintes par ou attribuées à frère Luc présentes en sol canadien, la plupart pouvant être associées à son court séjour en Nouvelle-France. Il fournit également en annexe (p. 414-415) un index de localisation des oeuvres de frère Luc en France et au Canada.

La quatrième et dernière section de l’ouvrage s’intéresse finalement aux traces matérielles et immatérielles laissées par les Récollets, traces qui s’avèrent en réalité assez minces. A. Laberge (p. 421-434) étudie ainsi les propriétés foncières de cet ordre mendiant, pourtant voué à la pauvreté, en se demandant comment les Récollets ont résolu en Nouvelle-France ce dilemme inhérent à leur ordre. Les architectes F. Dufaux et M. Lachance (p. 435-466) proposent des modélisations des trois grands monastères récollets de la Nouvelle-France, aujourd’hui disparus ou profondément modifiés, afin de comprendre comment les Récollets s’inscrivent dans l’architecture locale. Dans un ordre de grandeur plus petit, S. Doyon (p. 467-485) procède à une analyse approfondie du tabernacle des Récollets de Montréal, retrouvé au xxe siècle, dont il étudie la commande, la composition, les méthodes de fabrication, ainsi que l’histoire. R. Derome (p. 489-520) commente en détail une médaille de dévotion trouvée dans la crypte de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-secours à Montréal, pour laquelle il soupçonne une contribution du frère Luc. D. Prioul (p. 521-536) corrige la date et le sujet du tableau erronément appelé L’ermitage des Récollets et la chapelle de Saint-Roch, et s’intéresse à sa position dans le programme iconographique de la chapelle de l’Hôpital général de Québec. Finalement, G. Laperrière (p. 537-551) documente le retour des Franciscains au Canada à la fin du xixe siècle et les commémorations organisées pour célébrer le tricentenaire de l’établissement de la foi au pays. En guise de conclusion, l’ouvrage rapporte le discours qui fut prononcé par Bruno Hébert, c.s.v., devant le Monument de la Foi, sur la Place d’Armes à Québec, dans le cadre du colloque à l’origine du projet.

Considérant le récent regain d’intérêt pour l’histoire des Récollets en Nouvelle-France, cet ouvrage représente un ajout non négligeable et attendu à l’historiographie sur le sujet. Il n’échappe toutefois pas totalement au piège de son contexte de production, malgré la tentative d’E. Anderson de présenter l’histoire de Pastedechouan comme « the antidote to the false and easy triumphalism, which so often accompanies big historical anniversaries » (p. 207). Le recueil recèle en effet peu de voix dissonantes ou critiques concernant les actions accomplies par les Récollets au Nouveau Monde. Le ton général y est plutôt positif : il s’agit de montrer les réalisations accomplies par ces hommes et l’empreinte, même si elle est parfois minime, qu’ils ont laissée au pays. Faisant appel à un large éventail de spécialistes issus d’horizons variés, l’ouvrage propose des sujets et des approches inédites de ce pan de notre histoire, mais, en contrepartie, la qualité des contributions y est très inégale. Certains articles présentent un survol très rapide de sujets qui auraient pu être davantage développés alors que d’autres se perdent dans des considérations discutables. Heureusement, le recueil contient également nombre d’excellents travaux d’analyse qui constituent un apport significatif à la recherche.

En somme, il s’agit d’un ouvrage destiné, dans son ensemble, à devenir un incontournable dans le domaine de l’historiographie religieuse de la Nouvelle-France. Par la qualité de sa présentation et la présence des deux premiers articles qui retracent l’histoire du mouvement récollet, il peut également prétendre à un plus large public de lecteurs avertis.