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Ce numéro de META se veut le reflet d’un ensemble de préoccupations fondamentales qui touchent à la problématique de la traduction des séquences figées (SF). Avec les grands développements connus dans les sciences du langage, on mesure à juste titre la grande part du figement dans la structuration des langues et par conséquent une couverture avoisinant le cinquième des discours réalisés. Les travaux qui portent sur ce phénomène, qu’il s’agisse de figement (M. Gross 1982 ; G. Gross 1996 ; Mejri 1997 ; 2003a et b), de phraséologie (Gréciano 1983, 1992, 2003) ou de collocation (Grossmann et Tutin 2003) ou de semi-figement (Balibar-Mrabti et Vaguer (dir.) 2006) s’articulent autour des constats suivants :

  • le figement est loin d’être marginal dans les langues. Sa centralité n’est plus à démontrer ;

  • le figement n’est réductible ni à un type particulier de séquences ni à un niveau de langue précis ;

  • ce phénomène concerne aussi bien la langue générale que les langues dites spécialisées ;

  • il transcende tous les aspects de la langue, qu’il s’agisse de la structuration interne des mécanismes fondamentaux comme la syntaxe, le lexique, la sémantique, la prosodie ou des contraintes pragmatiques que connaissent les différents emplois des SF ;

  • il est de nature scalaire, ce qui complique énormément sa description.

Si, en plus de ces caractéristiques, on sait que le figement est le lieu privilégié de l’idiomaticité (Mejri 2003), on saisit mieux la pertinence de la problématique énoncée et développée dans ce numéro. La complexité de l’opération de traduction peut être formulée comme suit : comment procéder pour transférer les contenus sémantiques véhiculés par les SF tout en respectant la configuration idiomatique dans le cadre de laquelle ils sont coulés ?

Les réponses fournies par les auteurs de ce numéro tentent de couvrir les points suivants :

  • la problématique générale de la traduction du figement (S. Mejri) ;

  • le traitement lexicographique bilingue ou trilingue des SF (Anscombre, Petit, Said et Zouogbo) ;

  • la traduction spécifique à certaines catégories de SF (Durieux) et leur traitement automatique (Buvet, Gavriilidou, Mogorron et Ouerhani) ;

  • la traduction des collocations dans les langues spécialisées (Greciano, Lerat) ;

  • la traduction du défigement (Ben Amor).

S. Mejri défend l’idée selon laquelle la traduction ne peut pas se concevoir indépendamment des systèmes linguistiques concernés par l’opération traduisante. Pour appuyer une telle position, il fait appel à la structuration inférentielle du lexique, dont le choix n’implique pas uniquement ce qui est dit, mais également ce qui est inféré. La tâche du traducteur se complique davantage avec les séquences figées, avec tout ce qu’elles impliquent comme degré de figement, opacité sémantique et connotations de toutes sortes. La solution préconisée par S. Mejri consiste à effectuer un travail descriptif des équivalences entre les unités mono- et polylexicales des langues en vue d’en dégager des matériaux qui soient de nature à apporter des solutions probantes dans la traduction. Si le jeu des équivalences et des correspondances ne permet pas de trouver la traduction adéquate, il faut exploiter les possibilités offertes par la conceptualisation au moyen du discours. Le tout est conçu par l’auteur dans une perspective qui cherche à gérer de la meilleure manière qui soit le déficit de la traduction.

Pour ce qui est du traitement lexicographique de la traduction, il a fait l’objet de quatre contributions, celle de J. C. Anscombre, J. P. Zougbo, M. Said et G. Petit et E. Liberopoulou. Les premières portent sur les proverbes. La dernière sur « les stratégies d’appropriation linguistiques et culturelles à l’oeuvre dans la lexicographie bilingue ». Dans le cadre de l’élaboration d’un dictionnaire bilingue français-espagnol des formes sentencieuses, J. C. Anscombre, après avoir dressé une typologie des phrases sentencieuses, a procédé à l’analyse des différentes équivalences, en opérant une distinction très nette entre l’équivalence catégorielle qui « signifie qu’à une forme sentencieuse d’une certaine catégorie, on doit s’efforcer de faire correspondre une forme sentencieuse de la même catégorie » (tautologie, adage, dicton, proverbe, etc.), l’équivalence lexicologique « qui a trait au problème du figement dans le monde parémique », l’équivalence stylistique qui concerne le niveau de langue et les variantes régionales, et l’équivalence rythmique qui touche à l’un des traits parémiques les plus saillants. Zougbo, quant à lui, pose la problématique de la constitution d’un corpus parallèle de proverbes en français, en allemand et en bété ; ce qui implique un ensemble de difficultés liées au passage de la tradition orale à la tradition écrite. L’enjeu est de « contribuer à une lecture correcte des proverbes en répercutant d’une manière idoine le contenu conceptuel de ces formules sans trahir la fonction symbolique des images présentes ». La même question est évoquée par M. Said sous l’angle de la stéréotypie telle qu’elle se dégage des traitements lexicographiques des énoncés proverbiaux dans les dictionnaires bilingues français-arabe. Parmi les conclusions retenues, il y a lieu de mentionner les aspects relatifs à l’inférence du proverbe et à un type particulier qui relève de la situation à laquelle réfère l’énoncé parémique. G. Petit et E. Liberopoulou s’intéressent aux stratégies adoptées par les dictionnaires bilingues (français-grec) face aux séquences figées. Ils analysent cette question tant au niveau de la nomenclature comme reflet culturel d’une des langues en place qu’à celui de la microstructure. Ils montrent entre autres que « les stratégies en place dans les dictionnaires bilingues français-grec reposent sur [un] double mouvement de proximité et d’éloignement de la sémiotique lexicographique par rapport à des règles ou du moins de grandes tendances entre langues opposées ».

La traduction automatique a fait l’objet de deux contributions, celle de B. Ouerhani et celle de P.-A. Buvet. Le premier part de la description systématique des constructions à verbes supports en arabe et en français en vue de montrer que l’uniformisation de la description linguistique fournirait un outil précieux à la traduction automatique. Partant d’un échantillon arabe, il établit les différents champs de descriptions pertinents pour une meilleure traduction. P.-A. Buvet, pour sa part, insiste sur les descriptions formalisées des données linguistiques. Il choisit comme exemple les déterminants dont il donne une typologie formelle et qu’il analyse du point de vue du figement. S’agissant de la détermination figée, il passe en revue les prédéterminants associés à un modifieur et les prédéterminants composés figés avant de proposer un système modulaire pour la traduction automatique dans le cadre de langues proches comme le français et l’anglais.

Si Ouerhani et Buvet se sont intéressés respectivement à la prédication nominale et à la détermination, P. Mogorron a privilégié les locutions verbales. Il procède à la description d’une base de données de séquences verbales figées en espagnol et en français, où il fait figurer tous les éléments qui seraient susceptibles d’en faire un bon outil pour le traducteur. De son côté, Z. Gavriilidou a traité de l’intensité en grec moderne. Après avoir passé en revue les procédés intensificatoires en grec moderne, elle a mis l’accent sur les expressions figées intensives (les déterminants, les suites NN et les locutions verbales). En optant pour le formalisme proposé par Buvet, elle propose une méthode pour la traduction des séquences étudiées.

Les langues de spécialité ont également fait l’objet de deux contributions, celle de G. Greciano et celle de P. Lerat. Greciano a procédé à la description du glossaire des collocations « riscologiques » conçu dans le cadre d’un projet européen. Elle en décrit la macrostructure et insiste sur les priorités traductologiques tout en montrant le rôle très important des unités syntagmatiques dans ce domaine. P. Lerat a choisi des corpus juridiques et vinicoles pour dégager les deux concepts qui rendent compte des « restrictions paradigmatiques au niveau du schéma d’arguments : [la] collocation conceptuelle […] et le paradigme phraséologique […] ». Il en montre l’impact sur la qualité de la traduction.

Pour finir, Th. Ben Amor fait du défigement un élément qui favorise le « dire autrement », que cet autrement dit soit conçu dans un cadre intra- ou interlingual. Elle en vérifie l’application à travers l’étymologie populaire, la paraphrase et les jeux de mots.

En passant en revue les différentes contributions à ce numéro, on ne peut pas s’empêcher de remarquer l’extrême diversité des champs touchés par le figement et la grande variété des propositions faites pour améliorer la traduction. Que les langues impliquées dans la traduction soient apparentées ou pas, l’idiomaticité, cette fille rebelle des langues, demeure problématique dans la traduction. Le figement, son terrain de prédilection, n’échappe pas à cette règle. C’est pourquoi nous pensons que le noyau dur des problèmes de traduction se concentre dans ce point central qu’est l’idiomaticité figée ; ce qui justifie notre choix et ce qui attire l’attention des linguistes et des traducteurs pour qu’ils y accordent plus de place dans leurs recherches.