Article body

Le monde ne cesse de se globaliser chaque jour davantage (Holt, Quesh et Taylor, 2004). Les mouvements de capitaux, les transports, les moyens de communication favorisent l’émergence de ce phénomène (Ozsomer et Simonin, 2004). Pourtant, la mondialisation n’est pas sans conséquences sur les populations locales qui perçoivent cette évolution comme une menace…

Menace identitaire et menace pour les cultures locales : nous nous attacherons, dans la première partie de cet article, à démontrer que la mondialisation est souvent perçue par les différentes populations locales comme une américanisation des économies, une homogénéisation de la consommation, une disparition de leur culture et de leurs traditions. En réaction, nous assistons désormais à des phénomènes de réarmements identitaires, à travers la création ou la résurgence d’un certain nombre de produits alimentaires et notamment une offre très variée de colas. Boisson emblématique, le cola est en effet devenu le symbole des sociétés occidentales, et en particulier des Etats-Unis avec le Coca Cola, boisson Totem. La simple présence de Coca Cola sur un territoire suffit à symboliser l’ouverture des marchés, à l’avantage de la culture américaine. Les colas, utilisés comme supports de narration, expriment ainsi le refus de la coca-colanisation, le rejet de la mondialisation et symbolisent l’entrée en résistance des consommateurs. C’est la raison pour laquelle nous avons choisi d’analyser ces représentations négatives des colas.

Dans ce cadre, les résultats d’une étude empirique menée sur plusieurs années, de nature qualitative, portant sur le marché des altercolas, sont rapportés en seconde partie. Un grand nombre de colas apparus sur le marché y sont analysés, portant chacun un discours différenciateur et un positionnement propre à l’idéologie prônée : celle-ci est tantôt religieuse, tantôt politique et majoritairement identitaire.

Enfin, la troisième partie est focalisée sur l’analyse du succès commercial de cette offre de colas. Celle-ci révèle différentes dimensions – parfois ambivalentes - liées à la consommation des altercolas. A la fois source d’homogénéisation et d’hétérogénéisation, répondant aussi à un besoin de communalisation et d’éthique, cette démarche de consommation rappelle aussi que la volonté de nuire peut être appréhendée comme une motivation d’achat des consommateurs.

L’émergence de phénomènes de résistance à la mondialisation dans la sphère marchande

Vers un réarmement identitaire

« L’herméneutique de la mondialisation », suivant l’expression de Zaiki (1998), révèle des représentations principalement articulées autour d’une thématique de l’effacement - désertant ainsi « la dimension symbolique et affective nécessaire à la construction d’un imaginaire positif  » (Grenade & Jacquemain, 2005) et amorçant un processus de victimisation. La mondialisation est ainsi, souvent, vécue comme un processus, violent, d’uniformisation culturelle, comme un « nouvel impérialisme » culturel (Smith, 1990), comme une « occidentalisation du monde » (Latouche, 2005) – une « globalisation du localisme occidental », suivant l’expression de Boaventura de Sousa Santos (2001), ou encore une « américanisation du monde » (Rydell & Kroes, 2005), agressive, privative d’identité, dépossessive des repères existentiels traditionnels.

Les résistances à ce processus que l’on voit à présent émerger, résistances d’ordre “alter-mondialiste” ou “anti-mondialiste”, ne sont pas seulement “positives”, tenant alors en l’affirmation d’une originalité, d’une spécificité fortement revendiquée, mais sont également “négatives”, consistant en un refus éventuellement violent de la mondialisation - pour la défense des particularismes régionaux, contre toute altération des référentiels axiologiques. L’anti-impérialisme (glissant volontiers vers l’anti-colonialisme) s’impose alors comme grille de lecture idéologique de ces mouvements. Au plan psychologique, ceux-ci peuvent être appréhendés comme des mécanismes adaptatifs, ayant pour vertu d’aider les individus à s’ajuster aux changements, à maintenir leur identité face aux transitions et perturbations majeures les affectant (Robert-Demontrond, 2001). Les affects nostalgiques contribuent de fait à compenser les difficultés liées à ces transitions, et s’apparentent en conséquence à des réactions défensives contre le changement, visant à l’affaiblissement des blessures affectives, narcissiques, que celui-ci provoque. Prévaut alors l’impression d’une restauration de soi, d’une affirmation de l’ipséité individuelle contre les changements ou les altérations du monde. Et il en va très exactement du corps social comme des individus qui le constituent et l’instituent : chaque société assure son identité dans l’intégration de son passé, de la même façon exactement que la conscience de soi-même est conscience de son passé. De là l’engagement, actuellement, au plan mondial, d’un processus sociétal de “réarmement identitaire” (Robert-Demontrond, 2002), de “revivalisme culturel” (Badie & Smouts, 1999), processus de “re-triballisation culturelle” (Premdas, 1997), de pluralisation du monde, finalement, signant “la fin de l’occidentalisation” (Panhuys, 2004) en allant à l’encontre d’une modernité vécue très souvent comme génératrice d’exclusions, de frustrations, d’insécurité économique et ontologique. Processus allant à l’encontre de la mondialisation, donc, en ce qu’elle représente de perte de soi ou de risque de perte de soi. Avec, en final, une crispation sur les référentiels axiologiques traditionnels - notamment ceux civilisationnels, entendus ici comme ceux philosophiques et religieux. Les différences ethnoculturelles que l’on avait cru effacées font l’objet de constructions volontaires d’affiliation chez de plus en plus de sujets. Des individus économiquement intégrés aspirent à l’expression, dans l’espace public, d’une identité de type ethnoculturel; des exclus, dont l’exclusion socio-économique a longtemps été légitimée par l’indignité culturelle, s’ethnicisent dans le même mouvement qu’ils sont ethnicisés – les rapports sociaux s’ethnicisent. Pour les “cultures défaites”, comme l’écrit Maalouf (2002), la mondialisation, déclinée en modernisation, impliquant “l’abandon d’une partie de soi-même”, impliquant l’abandon de traditions jusqu’aux plus essentielles - n’est jamais vécue en conséquence sans une certaine amertume, sans un sentiment d’humiliation et de reniement. Sans une interrogation poignante sur les périls de l’assimilation. Sans une profonde crise d’identité. Derrière l’apparent rejet de la mondialisation, comme uniformisation du monde, c’est ainsi souvent le refus du reniement de soi qui, en fait, est à l’oeuvre.

L’offre identitaire comme vecteur de processus d’identification

Par identité, il faut ici entendre identification. Définition nominaliste donc, imposant de ne penser l’identité qu’en termes : i) de processus, de dynamique continue, et non pas de stase; ii) de représentation sociale, et non pas de réalité substantielle; iii) de production, et non pas de reproduction. C’est ainsi, quant à i) qu’il faut penser l’identité comme étant toujours provisoire, et non pas inscrire la réflexion dans les paradigmes substantialistes (Martuccelli, 2002). Quant à ii) : il faut penser l’identité en termes narratifs, dans la perspective de Ricoeur (1990) - tout individu développe, tantôt consciemment et tantôt inconsciemment, un récit sur lui-même - il n’est pas d’identité qui ne s’établisse sans narration. Quant à iii), finalement : cette narration est un programme de transformation (Poirier, 2004); l’identité est une invention continue (Kaufmann, 2004) et l’individu, une production de soi. Son essence est « un travail sur soi » (Dubet, 2005); toute identité relève d’une « création de soi par soi » (Foucault, 1984) – qui trouve appui, et seulement appui, sur des micro-récits. Ce dont les marchés s’avèrent des pourvoyeurs essentiels, selon ce qu’en montrent les théories récemment développées sur les modes de réalisation des projets identitaires des consommateurs (Arnould & Thompson, 2005).

Par offre identitaire, on entend ainsi, ici, toute production marchande portant un imaginaire différentialiste, développant un micro-récit d’affiliation particuliariste. Toute marque est une machine narrative, produisant du sens, ayant pour fonction de produire du sens (Heilbrunn, 2003). Le marché lui-même est ici compris comme un système fournissant aux consommateurs, au travers les offres commerciales qu’il porte, des ressources narratives soutenant la construction d’identités individuelles et collectives (Schau & Gilly, 2003).

Ce cadre d’analyse est ici retenu pour expliquer que les phénomènes liés à la mondialisation de l’économie et à l’uniformisation des modes de consommation – exprimés à travers un certain nombre de produits vendus à l’échelle planétaire (Coca Cola, MC Donald’s), symboles de consommation uniformisée et dépourvue d’identité autre que celle des Etats-Unis - ont eu pour conséquence une résurgence des identités régionales qui, par leurs consommations locales et régionales, ont revendiqué leur identité. On a alors assisté à des comportements de buycott. Il ne s’agit plus de boycotter un produit car il ne convient pas à nos valeurs mais de favoriser la commercialisation d’un produit qui correspond à nos aspirations, qui exprime à la fois nos valeurs, notre identité, qui est fabriqué près de chez nous… un produit hors champ de la mondialisation.

Les différences ethnoculturelles que l’on avait cru effacées font l’objet de constructions volontaires d’affiliation chez de plus en plus de sujets. L’ethnocentrisme étant défini comme une propension de l’individu à prendre son groupe pour le centre du monde et à considérer les autres groupes exclusivement du point de vue de son propre groupe. Dans ce contexte, les symboles deviennent ainsi objet de fierté et d’attachement (Shimp et Sharma, 1987). Les comportements de consommation se trouvent alors conditionnés par l’importance que revêtent ces symboles. Parmi ces derniers, l’alimentation joue un rôle central et est facteur d’affirmation de son identité, de différenciation et d’appartenance au groupe. Les colas, boissons conviviales volontiers consommées entre amis sont un des symboles de ce «  réarmement identitaire  ». L’offre pléthorique de colas régionaux en est la démonstration.

L’offre identitaire des alter-colas (AC désormais)

Méthodologie

Diverses méthodes ont été mobilisées pour la constitution du matériau informatif permettant de dresser la typologie des discours :

  1. études d’archives (intégrant notamment les discours publics des producteurs d’AC lors des campagnes de promotion de leurs nouvelles offres) et des sites internet explicitant à l’intention des consommateurs le projet d’entreprise, les caractéristiques matérielles (intrinsèques) et immatérielles (extrinsèques, symboliques) des AC;

  2. analyse sémiotique des visuels exploités en complément des discours (affiches et packaging des produits);

  3. entretiens centrés, dialogués (enregistrés et retranscrits), conduits auprès de consommateurs d’AC (n = 66)[1] et auprès d’acteurs engagés dans la production et/ou la commercialisation d’AC (n = 12) [2];

  4. investigation de blogs et forums de discussion en ligne, consacrant des débats sur ces produits.

Le monde du commerce alternatif – en particulier des producteurs d’AC - se prête en effet particulièrement bien à ce dernier type d’investigation, du fait du très fort niveau d’implication socio-politique des acteurs, les inclinant au débat public. Concernant les entretiens, le principe de saturation en a déterminé le nombre, conduits par vagues en 2004, 2005, puis 2007 - les deux premières vagues ayant été effectuées peu après le lancement de la plupart des AC. Les entretiens ont été menés à partir d’une grille thématique relativement souple et évolutive, en visant à épouser les formes du dialogue ordinaire, portant toujours sur la perception, par l’enquêté, des formes de commerce alternatif de colas, comme le commerce équitable ou le commerce local, et de ses évolutions. Ainsi quelques thèmes majeurs ont émergé de ces entretiens : la volonté de s’opposer à l’occidentalisation et à l’uniformisation du monde ; l’attachement du consommateur au territoire; le souhait d’appartenir à une communauté avec laquelle le consommateur partage son histoire et sa culture ; le soutien à l’économie locale; la recherche de produits authentiques. L’analyse de l’ensemble de ces données qualitatives a permis de cartographier les représentations sociales d’une part des producteurs / distributeurs de colas – conduisant à la définition de la typologie de leurs positionnements et d’autre part des consommateurs, afin de mieux comprendre leurs motivations d’achat d’AC. La typologie a ainsi été ajustée au fur et à mesure de la collecte des données et de l’analyse des discours.

Typologie des alter-colas

A l’analyse, l’offre identitaire étudiée en ce qui suit à présent se décline, au plan symbolique, dans l’exploitation de systèmes de signifiants se rapportant à quatre types essentiels de référents empiriques : i) la religion et ses corrélats sociaux - essentiellement l’Umma (la communauté des musulmans, trans-régionale et trans-nationale), d’autres tentatives d’indexicalité de l’offre commerciale (notamment judaïques) ayant été sans succès; ii) la région - divers référents topologiques et historiques connotant l’ethnicité, autrement dit renvoyant indirectement, implicitement, subjectivement, à l’ethnicité; iii) la nation ou le peuple (dénotant l’ethnicité autrement dit faisant explicitement référence à l’ethnicité); iv) des caractéristiques intrinsèques de l’offre, finalement, signant sa singularité commerciale, son caractère authentique, et plus encore, son caractère endotique[3].

Micro-récits de piété religieuse

Un premier type d’offres identitaires, parmi les AC, est aujourd’hui développé par des sociétés commerciales composant des micro-récits islamiques, sinon islamistes (au sens où le projet alors défendu est de réactivation socio-politique de l’islam), décliné sur le registre discursif du refus de « l’occidentalisation » – al taghrib. C’est ainsi que, face aux difficultés d’adaptation à la modernité - à la déliquescence du lien social et la désagrégation des structures anciennes, à la profonde érosion des contenus de la tradition, la dissolution des repères hérités du passé -, induisant un fort sentiment d’impuissance et de dévalorisation, le discours islamiste propose aux populations en déshérence, sans claires visions d’avenir, le confort du « retour à l’identité » (Lamchichi, 1993). Retour couplé à la contestation de l’hégémonie politique, économique et culturelle d’un Occident cristallisant toutes les frustrations (Cesari, 2004; Roy, 2002). Retour couplé, finalement, à l’opposition à une domination très explicitement (et massivement) vécue comme une colonisation des imaginaires (Baeck, 2005), comme une invasion culturelle – al gazu taqafi. À son encontre, le retour à la religion est présenté comme un retour à la solution : al islam quwa al hall - l’islam est présenté comme la solution par excellence. Idée qui fonde notamment une contestation académique de la théorie économique et sociologique occidentale du développement, postulant que sécularisation et modernisation sont nécessairement liées. Avec un ensemble de travaux montrant que la sécularisation n’est aucunement une règle universelle, ou un modèle de valeur absolue; que le sécularisme est une idéologie culturelle occidentale - al ru’ya gharbiya; que le développement économique, finalement, implique une renaissance culturelle, un réveil éthique, spirituel - religieux (Al-Qaradawi, 2000; Benzine, 2004; Hashmi, 2002; Miassepassi, 2000). L’opposition de la modernité (al hadata) à l’authenticité (al asala) est dénoncée comme un mythe de l’Occident (Baeck, 2005), mythe du dés-ensencastrement socio-culturel de l’économique. Tandis que le caractère endogène du développement économique est vivement promu - avec une forte insistance sur l’autosuffisance (al-Ítimâd`ala al-dhât).

Dans cette perspective, Coca Cola concrétise pour certains une logique de subversion que l’Occident est présenté suivre - plaçant ses produits et marques au coeur même des sociétés musulmanes, « pour les affaiblir en les pervertissant, en leur faisant perdre leur identité, en les éloignant de leur religion, en les ramenant à l’ère de la jâhiliyya, c’est-à-dire à l’époque de l’ignorance préislamique, donc de l’ignorance de Dieu » (Benchenane, 1997). Contre ces produits occidentaux, il en faudrait ainsi d’autres, locaux – « halal ». Comme ceux de la société Zam Zam. Celle-ci, créée en 1954 en Iran, a été partenaire de Pepsi Co jusqu’à la révolution islamique de 1979. L’interdiction des produits américains précipita alors le développement économique du substitut local, explicitement revendiqué comme « islamique » – tirant d’ailleurs son nom d’une source mecquoise dont l’eau est, selon la tradition, sacrée pour ses vertus miraculeuses. En conséquence de quoi, les pèlerins qui, par millions, se rendent annuellement à La Mecque, la recueillent pieusement, avec dévotion. Ainsi donc, l’appellation « Zam Zam » retenue en nom de marque du concurrent local de Coca Cola est non seulement très largement connue des musulmans mais, qui plus est, sa charge symbolique est forte - ses connotations emportent d’emblée l’idée d’une purification, d’une restauration de soi, dans sa plénitude corporelle et spirituelle. Profitant notamment de ce que, hors d’Iran, Coca et Pepsi ont été déclarés « non-islamiques », et profitant plus largement de ce que les musulmans se sont engagés depuis quelques années dans une logique de boycott des produits américains, les ventes de Zam Zam Cola sont en plein essor (Robert-Demontrond & Joyeau, 2005). D’une situation première d’alternative pratique, répondant au problème, vécu par les consommateurs iraniens, de ne plus pouvoir acheter de Coca ou de Pepsi, la marque Zam Zam Cola s’est ainsi trouvée redéfinie comme une alternative éthique, répondant au devoir ressenti par les consommateurs musulmans, hors d’Iran, de ne plus acheter de Coca ou de Pepsi. En ce sens, le buycott de Zam Zam Cola s’avère correspondre à un acte de résistance passive, visant à saper le pouvoir économique de l’adversaire politique. Selon certains des consommateurs rencontrés, c’est en effet « dire stop un peu à tout ce qui se passe dans le monde » (E2); « c’est un petit, aller, c’est un petit signe rebelle » (E15); « c’est pour ça que les gens ont sorti Mecca-Cola (cf. infra), c’est pour... un geste de sabotage » (Z); « ne serait-ce que pour casser ce monopole, partout dans le monde… Maintenant, Coca a trop de pouvoir et moi je suis contre ça » (E1). Et ce, sans « coût charnel », sans pénalité sur le plan hédonique puisque le renoncement à la consommation de Coca et de Pepsi n’est pas un renoncement à la consommation de cola; avec même un « profit spirituel », défini par l’incidence positive sur l’estime de soi et l’affirmation même de soi que procure le choix du produit « islamique ». Ainsi témoigne ce consommateur musulman interrogé dans le cadre de l’étude, à propos du Zam-Zam Cola : « Donc ils (ceux qui boycottent Coca-Cola) vont changer Coca-cola par ce produit là. Donc en gros, ça va pas les déranger. Ca va être un plus pour eux. En même temps ils ne vont pas se priver d’une boisson qu’ils consommaient assez fréquemment et en même ils auront un produit qui pour eux est marqué hallal. Donc c’est hallal » (E8).

En conséquence de son succès commercial, le détournement sémantique de la consommation de Zam Zam Cola a « fait paradigme » – ayant inspiré le lancement en 2002, en France, de la marque Mecca-Cola. Avec notamment pour répliques, en 2003, celui de Qibla Cola en Grande Bretagne et de Muslim Up en France, d’Al-Aqsa Cola au Danemark puis, en 2004, celui de Salaam Cola, en Californie. En ce dernier cas, une innovation marketing d’importance est introduite : l’offre commerciale n’est plus halal, mais bénéficie d’une certification officielle par l’IFANCA (Islamic Food and Nutrition Council of America) – minimisant explicitement les « risques spirituels » de consommation (Robert-Demontrond, 2007), tout en introduisant simultanément une dissonance cognitive pour tout consommateur musulman d’autres sodas.

Micro-récits à connotations ethniques

La promotion du terme « ethnique » en anthropologie culturelle, pour désigner les différences inter-groupales et construire des référentiels identitaires (Hutchinson & Smith 1996; Cornell & Hartmann, 1998), l’a éloigné de sa vocation première, visant à rendre compte d’un type de configuration sociale existant dans les « sociétés primitives ». Le concept est ainsi devenu d’extension pleinement légitime à toutes autres sociétés – et l’on retient ici, dans cette perspective, la définition qu’en propose Hobsbawm (1993), qualifiant d’ethnique « tout groupe qui, pris comme un tout, se différencie de façon permanente des autres groupes qui vivent ou interviennent sur un certain territoire »[4].

Cette référence au territoire est de première importance. C’est ainsi qu’alors que les sociétés commerciales ayant mis sur le marché les AC islamistes insistent régulièrement dans leur communication sur la dimension agonistique de leur engagement, sur leur combat contre la main visible des politiques, dimension sur laquelle on reviendra plus après, d’autres entreprises ont récemment fait irruption sur le marché des AC qui affichent un autre type de visée polémique – contre, cette fois, la main visible des marchands -, et affirment à cet effet leur ancrage territorial, régional. « La rhétorique de l’uniformisation du monde », comme le note Rautenberg (2002), s’accompagne de fait souvent « d’une inquiétude, parfois vive, devant les effets d’un processus dont on craint (...) qu’il favorise une certaine anomie des relations sociales, en tout cas une mutation profonde des règles du vivre-ensemble. Le « local » peut sembler être un recours rassurant » (ibid.). De nombreux consommateurs ont le sentiment de « connaître la provenance des produits et ça rassure » (I8). Le « local », suggérant le prochain, porte effectivement une promesse implicite de solidarité, de lien communautaire (Appaduraï, 2001) – de sécurité, au final. Le consommateur témoigne par ces achats de son désir « de s’intégrer à la communauté » (I17) et « d’appartenir à la région, sans aller le crier sur les toits, juste comme… mes voisins… mes amis » (I12). Promesse implicite que renforce l’évocation d’une communauté de destin : évocation de ce que le prochain ne l’est pas seulement en termes de proximité physique, géographique, mais l’est aussi en termes d’identité socio-historique, et plus encore, ethnique. Avec, en ce domaine, une exaltation nouvelle des identités minoritaires ayant été longtemps stigmatisées - inversant ainsi les assignations négatives sur le « local ».

En France, de mêmes stratégies individuelles que celles ainsi décrites dans l’encadré 1 ont longtemps caractérisé le vécu ordinaire des gens en Bretagne (Larvor & Chartier, 2002; Le Coadic, 1998, 2002; Simon, 1999) et au Pays Basque (Severiano, 2002; Urteaga, 2004), ou encore en Corse (Culioli, 1999; Dargent, 2001), en Catalogne (O’Brien, 1990), etc. – toutes régions « périphériques » où les identités ethniques ont été soumises à un long processus de stigmatisation (Dupoirier, 1998). Processus d’autant plus accentué ici, que légitimé par la matrice idéologique de la République : les principes, dogmatiques, d’individualité de la citoyenneté et d’égalité inter-individuelle en droits s’y déclinent effectivement en rejet des corps intermédiaires (dont les communautés), et en principe d’uniformité interindividuelle, imposant la stricte séparation des univers public et privé, le dépouillement à l’entrée de l’espace public de tous les caractères identitaires autres que ceux venant de l’appartenance commune à la République. Avec, au final, une stigmatisation si fortement intériorisée de ces caractères, jusqu’à l’identité linguistique – le plus important des signifiants de l’identité ethnique –, qu’en ces régions périphériques, dans la sphère privée même, par honte, les parents ont interdit aux enfants de parler les langues historiques et/ou se sont interdits de les parler devant eux. Les Bretons, comme le note Le Coadic (2001), ont ainsi longtemps été vu comme « des barbares » - ils ont consacré l’essentiel du XXe siècle à effacer leur originalité, en quête de reconnaissance morale et de promotion sociale. Et il en est de même des Corses, des Basques, etc. Pour autant cependant qu’elle a été forte en sa violence, la stigmatisation subie n’a pas entraîné la disparition des signes de ces identités ethniques. Ces signes n’ont été que temporairement dévalorisés, par rapport à ceux de l’identité française; ou encore, ces signes ont été différemment valorisés. L’interprétation menée (dans les années ayant suivies les décolonisations), du processus étatique, multiséculaire, d’uniformisation culturelle de la nation française, s’est inscrite en termes, justement, de colonisation. En réaction à celle-ci, les minorités « absorbées mais non assimilées » (Hsab, 2003), ont entrepris activement la renaissance de leurs identités. Et parce que les stigmatisations subies ont été justement fortes en leur violence, sommant les cultures vaincues de s’anéantir, de s’enfermer dans la seule sphère du privé, la réaction a été vive - s’étirant jusqu’à présent. En nombre, les gens ne se satisfont ainsi plus de l’identité réservée à l’intimité et inclinent à l’affirmation publique de leurs différences ethno-culturelles. Surtout : de stigmate, l’identité ethnique a été transformée en ressource - économique et symbolique, et économique parce que symbolique. L’authenticité, et plus encore, la typicité, sont des caractéristiques d’offre de plus en plus demandées (Camus, 2002), soutenant le développement d’avantages concurrentiels importants, ainsi pour les consommateurs que nous avons interviewés « ce sont de vrais produits avec des recettes traditionnelles, des produits d’ici, des produits authentiques, on sait d’où ils viennent et qui les a fabriqués » (I4).

Cela même fonde le principe du développement d’une « économie identitaire » (Taddéi & Antomarchi, 1997). En Corse, celle-ci est explicitement conçue en refus de la mondialisation, pour la préservation et la promotion des productions locales. La « fierté retrouvée » des acteurs sociaux (Pesteil, 2001a), soutenant la quête de critères distinctifs, fonde ainsi notablement l’insistance de la Collectivité territoriale de Corse, et plus largement les institutions socio-économiques locales, à concilier « identité » et « marché » en prônant un « développement identitaire » : un encastrement ethno-culturel du champ économique, infléchissant les déterminismes du marché, une patrimonialisation des produits, insérant l’offre dans une économie du signe, à forte valeur ajoutée (Pesteil, 2001b). Avec pour assise essentielle un vaste mouvement de riacquistu (réacquisition) de la culture historique que marque la référence continue à « l’ethnie corse » et à un « ethos corse » (Galibert, 2004). En Catalogne également, l’économie identitaire, toujours explicitement conçue comme une alternative à la globalisation des marchés, est vivement soutenue par les institutions socio-économiques locales – la valeur ajoutée de l’identité étant appréhendée comme une opportunité de premier rang pour un territoire en manque d’économie productive. Au Pays Basque encore, si l’expression d’ « économie identitaire » n’est que peu utilisée, sinon en quelques milieux nationalistes (Itçaina, 2005b), la dimension identitaire d’offres commerciales de plus en plus diversifiées transparaît au travers les motivations de leurs concepteurs et dans la genèse idéologique et historique des entreprises (Robert-Demontrond & Joyeau, 2005). Trait des dynamiques commerciales que l’on retrouve en Bretagne, où les initiatives mêlant commerce et culture se multiplient également, donnant notablement naissance au label « Produit en Bretagne », soutenu par le Conseil régional de Bretagne.

En chaque cas, donc, pour ces diverses offres développant des micro-récits à connotations ethniques, la sémiotique du conditionnement marque la réappropriation identitaire du produit : offrant aux consommateurs un produit atypique, différencié et différenciant, avec le sentiment de résister à la mondialisation. Ce qu’illustrent ces témoignages : « j’achète du Breizh Cola parce que c’est breton, et je préfère acheter un produit breton, c’est mon identité aussi…(E14). Ou encore : « Ne serait-ce que le fait que ce soit une boisson anti-américaine, par exemple, bah aujourd’hui, j’achète plus qu’une fois sur deux du Coca-Cola. Maintenant, je préfère acheter du Breizh Cola » (E1). ). D’autres consommateurs mettent, en plus, l’accent sur la volonté de soutenir l’économie régionale « sur la bouteille on voit bien que c’est de Bretagne, le cola du phare ouest avec un phare et tout… il est plus cher mais c’est pas grave, je soutiens l’économie bretonne… le Breizh Cola c’est un peu pour contredire la mondialisation » (I7). L’attachement populaire au produit local peut engendrer des succès marchands tels que les marques mondiales sont contraintes à des concessions d’importance. L’Inca Cola, commercialisé au Pérou depuis 1935, en est un cas exemplaire. Positionné depuis les années 1950 comme une boisson péruvienne traditionnelle (la bebida del Perù), à bas prix (passant couramment pour un complèment alimentaire), l’Inca Kola (suivi par Inti Cola, Perú Cola, Kola Real, etc.), domine le marché local en exploitant les symboles iconographiques des peuples indigènes d’Amérique. Dans ses caractéristiques intrinsèques, le produit se différencie fortement du Coca Cola en présentant une couleur jaune fluo et un goût prononcé de Malabar, en se buvant également souvent à température ambiante, et non pas glacé. Son attractivité commerciale l’a un temps imposé en produit de substitution de Coca Cola dans les divers établissements de la chaîne nationale de restauration rapide Bembos, concurrente de McDonald’s – contraignant en réaction celle-ci à également offrir Inca Kola. Scénario reproduit en Ecosse, où l’ouverture de restaurants McDonald’s ne proposant pas le soda local, Irn-Bru, fit scandale. Ce produit, commercialisé depuis 1901 sous l’appelation Iron Brew, celtisée en 1946, dispose aujourd’hui de parts de marché équivalentes à celles de Coca-Cola. Sous la pression consumériste, très vive, McDonalds a également été contraint de servir l’Irn-Bru dans ses points de vente.

Micro-récits à dénotation ethnique

Dans le prolongement immédiat du précédent axe de positionnement, et en radicalisation de sa logique, un autre type d’offres, également développé sur le registre discursif de l’opposition à la main visible des marchands, caractérise explicitement ses produits comme ethniques.

Il en est ainsi du « Cola Turka », lancé en 2003 en Turquie par le géant de l’agroalimentaire Ülker avec pour objectif - accompli - de prendre 25 % du marché. Ceci, en réponse à une forte demande du marché local : les consommateurs turcs manifestent effectivement des revendications identitaires marquées, ne se reconnaissent pas, entre autres, dans les différents types ethniques retenus dans les films publicitaires de Coca Cola, contraignant ainsi la firme à adapter en la matière une communication fortement particularisée. L’axe de communication retenu par Ülker est très explicitement identitaire, mettant en scène la métamorphose des buveurs de Cola Turka, occidentalisés et retrouvant immédiatement les habitudes traditionnelles turques - jusqu’à l’apparition d’une moustache archétypique. Mise en récit réussie de cette pensée magique, révélée en anthropologie (Fischer, 2001), selon laquelle l’alimentation est ontologiquement à risque : on est, ou on devient, ce que l’on absorbe. Le succès commercial du produit a été fulgurant, amenant au développement d’exportations vers la diaspora turque en Allemagne – population la plus exposée au questionnement identitaire, au besoin de réassurance ontologique. Les résidents d’origine turque en Allemagne sont d’ailleurs aussi la cible privilégiée du Zelal Cola, lancé par une société allemande. Ce même positionnement nationaliste a également été adopté (sans succès cette fois, pour des raisons essentiellement opérationnelles) par Russian Cola produit lancé en 2004 en Russie - où la mondialisation est massivement associée « à la « standardisation », au « nivellement » et à la « destruction » des identités nationales » (Yakovenko, 2004). « Cola russe pour les Russes », l’offre a d’emblée affiché des slogans clairement patriotiques – « notre cola pour notre peuple », « à ceux qui aiment notre pays et croient en son avenir » -, retenant pour élément central de sa communication visuelle l’étoile rouge à cinq branche : symbole de la résistance armée du pays à l’invasion.

D’autres offres ethniques ont encore suivi : ainsi notamment d’Arab Cola, lancé en France en 2002 à l’adresse d’ « un peuple responsable et fier de son identité ». Avec, en ce cas, une préoccupation d’affirmation de soi sans exclusion du non-soi, sans rapport conflictuel au non-soi, que marquent en pointillé, dans les discours tenus, de fréquents appels à l’ouverture ethno-culturelle. Idée retrouvant donc la vocation pacifique énoncée d’emblée, par dénotation, par les marques Salam et Salaam, comme l’explique ce consommateur : « Salam Cola, « Salam » ça veut dire bonjour. C’est pas comme Muslim et Mecca, parce que Salam, c’est vraiment de l’arabe. C‘était là avant même la religion musulmane. Ça vise plus la communauté maghrébine qui représente la majorité des musulmans en France mais c’est vraiment la communauté maghrébine qui est visée. (....)Pas forcément tous les musulmans. Salam Coke, c’est de l’arabe. L’Indonésien sait lire l’arabe mais ça s’arrête aux versets du Coran. Il ne saura pas comprendre le concept de Salam Coke » (E4). Moins potentiellement impliqués, quant aux populations ciblées, d’autres AC restreignent leur axe communicationnel à l’utilisation de la boisson comme marqueur identitaire – comme vecteur d’identification. L’affirmation de soi n’emporte alors pas ou peu, contextuellement, une charge d’hostilité potentielle. Il en est ainsi, notamment, d’Afroblack Cola, « le soda du monde black », lancé en France, en 2004, en réponse aux attentes d’un « peuple responsable et fier ne s’identifiant pas aux boissons gazeuses présentes sur le marché (sic) ». Le discours tenu alors insiste sur l’accroissement proposé aux consommateurs de la diversité d’offres, l’augmentation de l’étendu des choix de consommation. Ce que défend également pour partie Imazighen Cola, soda berbère lancé en France, fin 2003. Pour partie : l’offre accroît bien la diversité, mais pas véritablement le choix. L’accroche publicitaire - « la boisson des hommes libres » –, éclaire ainsi le fond communicationnel des produits ethniques : i) en première lecture, la boisson est simplement celle d’un groupe ethnique - ici celle des Imazighen; ii) en seconde lecture, elle est celle des hommes qui se libèrent ou qui affirment leur liberté, celle des hommes qui s’arrachent à l’emprise de la mondialisation ou qui ne s’y soumettent pas – Imazighen signifie de fait « hommes libres », en berbère; iii) le fait d’affirmer qu’il est de tels hommes libres signifie que les autres ne le sont pas, le produit ethnique conforte ainsi l’estime de soi; iv) sous-entendu, la boisson est celle qui libère, qui restaure ou qui entretient l’identité; v) sous-entendu encore, visant à l’introduction d’une dissonance cognitive pour les consommateurs de boissons mondiales, comme Coca : celles-ci sont asservissantes, et privatrices de l’identité vraie. Encore faut-il préciser que ce mot « Imazighen », à très forte charge symbolique, relève d’un discours idéologique exacerbant certains faits historiques pour légitimer des revendications socio-politiques. Pris aux Touaregs qui se désignaient ainsi, ce mot a de fait été arbitrairement choisi, par des militants berbéristes s’opposant à l’arabisation, pour désigner l’ensemble du peuple berbère. Avec l’idée que celui-ci a été, et est encore, discriminé et minorisé, stigmatisé - le particularisme ethnique berbère étant volontiers comparé à celui breton ou corse. Le choix de ce mot, comme le note Hoogeboom (2004), relève ainsi d’une volonté socio-politique de construction identitaire, de production de soi, cherchant impatiemment dans le passé « une espèce d’identité pure », une source historique (mythique) du peuple berbère ». Et ce, contre les auto-dénominations (contre toute authenticité vraie) : les Berbères se nomment eux-mêmes Chleuha, dans le Moyen Atlas, Rif’ia dans le Rif, Souss’ia dans le Souss, etc. et s’étonnent quand ils sont avertis d’un autre nom...

Micro-récits à connotations endotiques

Sans afficher lexicalement (sinon marginalement) leur encastrement local, d’autres colas à positionnement identitaire suggèrent, par leurs caractéristiques intrinsèques, l’authenticité de leur offre. Comme le Nazarbek Cola, en Ouzbekistan; le Sky Cola en Bosnie; le Mélanie Cola et le Viva Cola Izü en Hongrie, etc. : tous produits qui ne font aucune référence explicite, au plan visuel (de l’étiquetage) à un quelconque ancrage géographique ou encore ethnique mais qui, au plan gustatif, évoquent pour ceux en ayant le souvenir les « colas communistes » - ces produits de l’avant-chute du Mur. En cela, ces produits sont fonctionnellement équivalents au Zam Zam Cola : ce sont des ersatz d’un même produit marchand, symbole du capitalisme, issus d’un conflit interétatique, et d’une décision politique de fermeture à la mondialisation. Comme le Vita Cola, produit à partir de 1957 en Allemagne de l’Est, et le Kofola, lancé en 1962 en Tchécoslovaquie : si les marques occidentales l’ont emporté après la chute du Mur, le développement rapide de « l’Ostalgie » (la nostalgie du « temps de l’Est »), a fondé le revivalisme de nombreux produits, dont ceux-ci (avec une extension du marché, en Tchéquie, Pologne, Hongrie, Slovénie et Croatie). Les autres colas sont quant à eux des innovations d’après 2002 - semblant authentiques, sollicitant des représentations nostalgiques en exploitant des signifiants ethno-culturels qui assurent leur reconnaissance comme « produits d’ici » et « produits d’antan » : forme de la bouteille, pour le Nazarbek Cola, rappelant celles des sirops pharmaceutiques de la période communiste; écriture cyrillique du cola ukrainien; goût prononcé d’écorce, pour le Sky Cola; et style désuet des étiquettes pour le Mélanie Cola et le Viva Cola Izü, rappelant à nouveau la période communiste. En chaque cas, il s’agit d’offres relevant d’un « rétro-marketing » (Brown et al., 2003; Brown & Sherry, 2003), innovant en s’appuyant sur une quête nostalgique d’authenticité, quête d’un temps passé, idéalisé, sublimé - dans l’utopie d’une vie communautaire. Offres « rétro », donc, au sens où cette qualification désigne tous produits évoquant typiquement « le bonheur de vivre ensemble dans un espace limité, loin des phénomènes de mondialisation » (Badot et al., 2003), et répondant à des attentes de « marketing pré-moderne » (ibid.). Le fait que ces offres soient ici commercialisées à des niveaux de prix très bas, relativement au concurrent Coca - et ce, à la différence des autres AC, qui affichent un différentiel de prix positif -, participe pleinement du positionnement retenu : les produits s’affirment populaires, et non pas seulement d’enracinement vernaculaire. Cette nouvelle demande des consommateurs implique de ne proposer que des produits dont l’authenticité ne peut pas être remise en cause. Les positionnements sont ainsi travaillés sur toutes les variables du mix marketing. Ainsi, le lieu de production se rapproche des consommateurs, le process de production est présenté comme le plus artisanal possible, l’emballage simple et sobre… Le lieu de vente, également, est parfois sélectionné pour renforcer l’authenticité du produit.

Fondements du succès commercial des alter-colas

Si les colas, nombreux, ainsi identifiés portent et s’inscrivent dans des registres différents, l’analyse de leur succès commercial témoigne de l’ampleur des phénomènes que cette forme de consommation représente.

La mondialisation entre homogénéisation et hétérogénéisation

Le succès commercial des AC témoigne de ce que la mondialisation ne se traduit pas seulement par des tendances à l’homogénéisation, mais aussi par des mouvements de “résistances sociales” (Aubenas & Benasayag, 2002). Lesquels prennent la forme, plus ou moins diffuse, d’une résurgence des particularismes culturels et des revendications identitaires (Castells, 1999) - replis sécuritaires, “réflexes tribaux” (Engelhard, 1996). La mondialisation, en d’autres termes, renforce “l’ancrage dans le local” (Appadurai, 2001), l’ancrage dans les communautés de proximité. La mondialisation, finalement, s’inscrit en tension entre universalisme et particularisme (Robertson, 1995), entre homogénéisation et fragmentation, ou hétérogénéisation (Featherstone & Lash, 1999). Le scénario de l’uniformisation culturelle usuellement dessiné s’avère ainsi pour partie erroné, qui présuppose que les populations se laisseraient passivement submerger par les influences extérieures – cèderaient aux multinationales. Pour partie erroné, seulement : certes, les crispations identitaires s’intensifient - progressant en même temps que la mondialisation (Hsab, 2003), les deux phénomènes étant mutuellement dépendants, et se légitimant l’un par l’autre (Dieckhoff, 2001). Autrement dit, à un premier degré d’analyse, l’homogénéisation se lit ici dans le développement commercial de Coca Cola à l’échelle mondiale; en un deuxième niveau d’analyse, c’est l’hétérogénéisation qui, avec le constat de l’efflorescence des AC, paraît le mieux qualifier les phénomènes observés; en un troisième niveau d’analyse, finalement, c’est l’homogénéisation qui, de nouveau, contre toutes illusions premières, qualifie au mieux ces phénomènes observés. Ainsi les cultures se formulent et reformulent constamment, en procédant à un alliage continu d’altérité et d’identité, d’innovations et de traditions, d’éléments exogènes et endogènes - utilisant ce qui leur est étranger pour mieux devenir elles-mêmes (Sahlins, 2001). Les objets marchands sont devenus des “signifiants planétaires” (Amselle, 2001); mais loin de contrarier la manifestation des différences, le marché est devenu le moyen privilégié de leur expression. Transitant via ce vecteur d’un lieu à un autre, un produit comme le cola est en chaque lieu très diversement approprié, se voit doté de significations très variées.

L’éthique comme motivation d’achat

La dynamique commerciale des AC pointe également l’importance de retrouver ce à quoi les théoriciens de l’homme ont très longtemps été acculturés, pour être oublié, négligé ou occulté : le concept aristotélicien de « zôon politikon”. Concept qui définit l’homme en son essence comme animal politique, unique en son genre, appartenant simultanément à la catégorie des “animaux grégaires” et des “animaux solitaires”. Concept indûment absent des premières théorisations du comportement du consommateur. Les expériences (expérimentations et quasi-expérimentations) menées en théorie des jeux, étudiant le gradient de comportements entre “égoïsme pur” et “altruisme pur” (Robert-Demontrond, 2005), ne trouvent ainsi qu’entre 20 à 30 % d’individus complètement égoïstes (Fehr & Gächter, 2000). Proportion qui déforce le caractère prétendument universel de l’utilitarisme et incline à dessiner le passage de “l’Homo economicus” à “l’Homo politicus”, individu optant, selon les circonstances, pour un point de vue de consommateur ou pour un point de vue de citoyen, moins égoïste, plus soucieux du bien-être collectif (Nyborg, 2000). Ces expériences distinguent encore une forme de réciprocité dénuée de tout égoïsme direct ou indirect (Fehr et al, 2002; Sethi & Somanathan, 2003), et appellée réciprocité dure. Celle-ci caractérise tout individu prêt à : i) sacrifier des ressources pour être agréable à ceux qui sont agréables (réciprocité positive dure); et/ou ii) sacrifier des ressources pour punir ceux qui sont désagréables (réciprocité négative dure) – le fondement essentiel de la réciprocité dure étant la volonté (plus encore que l’acceptation) de sacrifier des ressources afin de récompenser les comportements jugés bienveillants et punir ceux jugés malveillants, lors même que cela ne donne lieu pour le sujet à aucun bénéfice matériel, présent ou futur (Robert-Demontrond, 2005). Contre ce que prédit la théorie de “l’Homo economicus”, individualiste, utilitariste, on observe dans les diverses expériences effectuées une proportion tombant rarement en-dessous de 40 % et s’élevant jusqu’à près de 70 % de sujets manifestant des comportements de réciprocité dure (McCabe et al., 2000; Charness, 2000; Abbink et al., 2000; Gächter & Falk, 2001).

L’homme comme “zôon politikon”, comme “animal grégaire” et non pas seulement “animal solitaire” : l’analyse du discours des AC impose de ré-affirmer l’éthique, longtemps positionnée en situation subalterne, comme élément pouvant être premier dans l’échelle des motivations d’achat ou des logiques de choix. Et plus encore que l’éthique : la morale religieuse s’avère ici déterminante. Le succès commercial des AC développant leur communication sur le registre discursif de la religion illustre ainsi très significativement le fait que les efforts, individuels et/ou collectifs, de reconstruction des identités confisquées, ou perdues, ou devenues incertaines, problématiques, relèvent très largement à présent des religions (Laplantine, 2003; Robert-Demontrond, 2007). Ce succès participe de ces faits et phénomènes contemporains contredisant les diverses prévisions sociologiques qui, dans la continuité de Durkheim, théorisent la sécularisation des sociétés comme processus de désacralisation du monde – imposant dans le champ culturel un référentiel profane –, et qui théorisent, dans la continuité de Schiller et de Weber, le “désenchantement du monde” comme résultat d’une rationalisation grandissante, enlevant aux objets, aux faits et aux phénomènes, leurs parts de mystère, marginalisant la place du mythe et de la magie. Plus précisément : ce succès commercial infirme l’idée que “le processus de subjectivation de l’homme moderne, c’est-à-dire ce en quoi il inscrit sa singularité dans le langage, ce “processus narratif” qui donne lieu à son identité, semble être délié des dimensions religieuses” (Jeffrey, 1999). Et ce, en ce que les dogmes, les conceptions et conventions traditionnelles, doctrinales, des religions (monothéistes), s’actualisant en injonctions d’obéissance et de soumission à des règles comportementales, seraient en rupture avec l’affirmation de l’autonomie du sujet comme principe axiologique premier. Certes, les théoriciens de la post-modernité n’ignorent pas la dimension sacrée de certains comportements de consommation (e.g., Belk, 1988; Jeffrey, 1999) - mais celle-ci n’est guère interprétée que dans le cadre (implicite) d’une idéologie de l’émancipation. La religiosité n’est souvent envisagée que dans le cadre d’une approche gnostique du sacré, privilégiant le concept de spiritualité à celui de religion.

La prégnance nouvelle de ce paradigme incline à la négligence d’un vaste et profond mouvement de désécularisation du monde, infirmant l’idée selon laquelle, nécessairement, la place des religions dans l’espace public et dans l’espace privé ne peut jamais que se restreindre (Robert-Demontrond, 2007). Les AC islamistes relèvent typiquement de ces organisations “de ressourcement spirituel et de solidarité sociale” que décrit Lamchichi (1993). Organisations qui aspirent, par leurs opérations, “à transcender le déracinement, à sublimer les frustrations et à permettre de supporter les coûts d’une modernisation allogène perçue comme destructrice” (ibid.). Ainsi, dans toutes les sociétés soumises à des mutations disruptives, les religions actualisent aujourd’hui leur “fonction protestataire” (Laplantine, 2003). Elles se constituent en réponses contre-acculturatives à des formes de modernité rejetées, appelées à être congédiées. Mecca-Cola, Quibla-Cola, etc. : ces diverses offres participent toutes de ces initiatives islamistes, socio-économiques qui, comme le note Lamchichi (1993) “entendent réactiver les vieilles idéologies solidaristes et communautaristes en les présentant comme une issue possible à l’anomie sociale et à l’individualisme moderne, et comme une réponse miracle à la demande d’intégration sociale et culturelle des couches sociales en détresse, et au désir profond de spiritualisation d’un monde désincarné par l’accumulation systématique des richesses et par la recherche effrénée des biens matériels”.

Une réponse au besoin de communalisation

L’homme comme « zôon politikon”, comme “animal grégaire” et non pas seulement “animal solitaire” : le succès commercial des offres identitaires à connotation ou dénotation ethnique impose encore de penser le besoin d’appartenance à un groupe. Et ce, en tant qu’il participe de cet ensemble de faits et phénomènes contredisant les prévisions sociologiques qui théorisent, dans la continuité de Durkheim, de Tönnies et de Weber, la disparition progressive, avec la modernité, de la solidarité mécanique pour une solidarité organique – la disparition d’un système de rapports sociaux de proximité pour un autre où prédominent des rapports impersonnels, de type contractuel, ou encore l’idée que la communauté de destin relève moins, de moins en moins, d’une relation de “communalisation” (du sentiment d’appartenance à un monde commun, par partage de référentiels culturels reçus en héritage) que d’une relation de “sociation” (d’une entente rationnelle, contractuelle, par engagement mutuel, fondée sur un compromis ou une coordination d’intérêts), relation politique que portent notablement les structures étatiques, juridiquement constituées. La communalisation, ici, relève d’un mouvement de résistance à la mondialisation comme sociation – désaffiliation, dépersonnalisation. La communalisation, ici, correspond à une cristallisation de minorités – de populations se vivant en situation de domination –, sur des appartenances, structurelles et/ou culturelles et/ou cultuelles, sur des parentés, vraies ou imaginaires.

Mouvement qui diffère donc, en ses principes, de ce sur quoi se sont essentiellement focalisés les théoriciens de la postmodernité : la communalisation comme développement spontané d’affinités inventées, disparates et occasionnelles – comme néo-tribalisation (Maffesoli, 1988; Cova ,1997; Muniz & O’Guinn, 2001). Tribus postmodernes : micro-groupes ponctuellement formés, fondés sur une pulsion affective, sur une subjectivité affectuelle – le “feeling” des individus (Maffesoli, 1988). Avec en horizon l’idée, valant ici pleinement, que le marché n’est pas premier, ne se sert pas du lien social, mais est second et au service du lien social (Cova & Cova, 2002) : le bien commercial est un vecteur de lien social, de relations grégaires, et cela prime. Ce n’est pas de telles tribus dont il est question, ici – mais, implicitement ou explicitement, de nations. De communautés imaginées, donc – l’identification nationale participant de ces processus d’identifications collectives qui se réfèrent à des groupes abstraits : “au-delà des villages primordiaux où le face-à-face est la règle (et encore...), il n’est de communautés qu’imaginées” (Anderson, 1996). Communautés imaginées dont l’appartenance ne signifie pas nécessairement, au plan individuel, une identité héritée ou subie, mais peut aussi passer par un choix. Communautés imaginées dont l’historicité est un trait déterminant : les nations sont le lieu par excellence de l’historicité - ce lieu où se développe le récit autoréférentiel d’un collectif, permettant la prise de conscience de l’histoire, de la continuité dans le temps, de la possible survivance à toutes crises. La tribu, la communauté postmoderne, est infiniment plus volatile, plus éphémère. A travers le succès des AC, on voit le marché devenir ici le vecteur de l’historicité.

Les AC participent ainsi à la codification de la richesse sémiologique des ethnies – ce dont les enjeux socio-politiques sont immenses. Comme en témoigne l’histoire de l’Europe de l’Est, sur les dernières décennies : le devenir national des ethnies - la transformation de l’ethnos en demos -, n’a pas commencé, n’a pu commencer par les efforts politiques et juridiques qui lui sont inhérents, mais par la mobilisation de toutes leurs ressources sémiologiques. Ainsi, au final, le devenir national a été, avant tout, “un processus littéraire” (Skourativsky, 2000). Ce à quoi, les micro-récits des AC participent activement. Si la nation repose sur la construction d’une communauté imaginée, celle-ci s’opère à partir de la sélection arbitraire et de la promotion de quelques traits distinctifs par rapport à d’autres communautés. Promotion : le fait que la nation soit une communauté imaginée rend nécessaire sa présence quotidienne en symboles - afin de la rendre d’évidence (naturelle, et non pas arbitraire, artificielle).

L’achat d’un alter-cola en tant que geste maléfique

L’homme comme «  zôon politikon » : c’est aussi la nécessité de prendre en considération la part du dramatique dans l’acte de choix. Et ce, en complément de la rhétorique du “réenchantement” (Firat & Venkatesh, 1995), du “merveilleux” (Sherry & Camargo, 1987), que portent les théoriciens de la post-modernité. Des offres développent, avec succès, une “geste maléfique” – inscrivent leur discours de légitimation dans un registre rhétorique d’agression et de destruction. En frappant la main des marchands, suivant les discours alors tenus, on frapperait la main du marché, et la main des politiques. On saperait un processus et une puissance; on sauverait des identités, des communautés.

La reconnaissance de l’existence de ce type discours (commercial) impose de dépasser les théorisations développées, dans la continuité des travaux d’Hirschman, sur les formes de résistances aux structures de domination (Ritson & Dobscha, 1999), amenant notamment à la distinction entre anti-consommation par non-achat et anti-consommation par refus d’achat, par rejet d’une offre marchande (Zavestoski, 2002). Non seulement l’anti-consommation peut être active, et non pas restrictivement passive, mais encore elle peut s’inscrire dans une volonté de nuire. Il faut ainsi bien considérer l’existence d’une focalisation excessive du marketing sur ce que la psychanalyse, après Freud, nomme “pulsion de vie” - Eros -, refoulant la pensée de l’existence d’une pulsion de mort - Thanatos. Laquelle tend à ramener vers l’inerte ce qui est vivant : pulsion de destruction, de dés-ordre, donc. Opposition entre pulsion de vie et pulsion de mort qui, selon les termes mêmes de Freud (1932), “n’est à vrai dire rien de plus qu’un embellissement théorique de l’opposition bien connue de tous entre l’amour et la haine” - entretenant “peut-être une relation première avec le couple attraction-répulsion”. Rien de plus : l’essentiel, en premier niveau d’analyse, est ainsi de penser l’opposition entre ces pulsions de vie et de mort comme un principe d’organisation-désorganisation régissant le psychisme complémentairement au principe de plaisir–déplaisir. Autrement dit, les premiers investissements ne sont pas simplement orientés vers la fusion (pulsion de vie), mais aussi par la distinction et la séparation (pulsion de mort). Rien de plus : l’essentiel, en second niveau d’analyse, est de penser la difficulté à l’acte même de penser ces termes - de haine, de pulsion de mort - . Ce dont témoigne le fait même que ce concept de pulsion de mort n’a émergé que lentement dans l’oeuvre de Freud - qui a mis longtemps à découvrir que la pulsion de mort n’a pas moins d’importance que la libido, qu’elle double étroitement.

Une fois même développée, d’ailleurs, la théorie de la pulsion de mort n’a encore bénéficié “en aucune façon d’une considération à la hauteur de ce quelle implique” (Freud, 1932). A son encontre, l’esprit se réfugie dans l’ignorance - “utilisant toutes les formes de déni et de désaveu” (Jones, 1997). En conséquence de quoi, l’idée de cette pulsion de mort n’est aucunement devenue lieu commun - comme l’est devenue la libido. Il faut bien pourtant penser la haine et la violence, en réaliser l’existence : “l’homme n’est point cet être débonnaire, au coeur assoiffé d’amour (...) mais un être, au contraire, qui doit porter au compte de ses données instinctives une bonne somme d’agressivité” (Freud, 1929)... En dépit de ces difficultés potentielles, il faut donc aussi penser la haine comme motivation de vente et comme motivation d’achat.

Conclusion

Pour partie, l’offre d’AC vise à répondre au désir des consommateurs d’affermir leur identité - identité revendiquée avec d’autant plus d’énergie qu’elle entre en concurrence avec d’autres identifications possibles (Gilquin, 2003). L’époque voit proliférer les revendications « pour la reconnaissance de modes de vie vernaculaires. Il est devenu impératif de cultiver des marques personnelles qui montrent les multiples appartenances identitaires » (Jeffrey, 1999).

L’offre et la demande de produits, alimentaires ou non, en tant que supports de narration, en tant que soutiens d’une idéologie, ne cessent de s’étendre. Si la mondialisation favorise la consommation de produits identitaires, la demande croissante de produits locaux et régionaux démontre, quant à elle, que le consommateur soutient l’économie locale et régionale face à l’économie mondiale symbolisée par les multinationales. Consommer local c’est également revendiquer sa culture et l’appartenance à sa communauté. C’est se positionner en tant que consommateur citoyen, à la recherche de produits authentiques et de qualité. L’investigation des champs de consommation différents de celui des colas pourrait alors prolonger l’analyse ici menée. Il est en effet possible que les comportements à l’égard du Coca Cola, boisson emblématique, soient en partie conditionnés par son statut.

Reste que si le consommateur s’est longtemps préoccupé, dans son processus d’achat des caractéristiques intrinsèques des produits - seules importaient leur qualité et la satisfaction qu’il pouvait en obtenir (Robert-Demontrond et al., 2006) – il n’en est plus rien et, désormais, un nombre croissant de consommateurs ne se contentent plus de choisir les produits pour leurs seules caractéristiques intrinsèques, mais prennent en considération des critères civiques et éthiques. Les critères d’achat sont plus orientés vers le respect de l’environnement, les comportements civiques des producteurs et le respect des droits sociaux. Le consommateur, devenu moins égoïste, s’inscrit désormais dans une démarche de développement soutenable et de pérennisation de la planète pour les générations futures : la consommation de produits locaux s’inscrit ainsi dans le champ de la consommation socialement responsable (Bougeard-Delfosse, 2009).