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Le sport de haut niveau nécessite de faire appel aux meilleures ressources, qu’elles soient humaines ou matérielles. En regard d’un budget donné, une équipe de haut niveau recherchera les meilleurs athlètes possibles et sera incitée à faire un recrutement international au sein d’un marché mondial (Andreff, 2009). Pourtant, de trop grandes différences culturelles peuvent nuire à la cohésion d’une équipe et l’association des individualités peut s’avérer inférieure à la somme de la valeur de chaque membre de l’équipe (Chevrier, 2004; Harrison et Klein, 2007). Pour certains sports, cette question est d’autant plus cruciale que la présence de sponsors nécessite des sportifs originaires de pays ciblés.

L’intérêt d’étudier le cyclisme de haut niveau est apparent dans la littérature managériale. En mobilisant plusieurs analogies, Brown et Eisenhardt (1998) considèrent que les courses cyclistes peuvent permettre une meilleure compréhension des activités organisationnelles car la collaboration au sein des équipes est un facteur de succès déterminant. Grant (2010) évoque les dimensions stratégiques de ce sport en incluant également les alliances avec les concurrents. L’étude du cyclisme (Desbordes, 2006; Viollet, 2007) indique une internationalisation croissante tant des épreuves (par exemple, le Tour de France) que des équipes. Le cyclisme professionnel de haut niveau, en raison de l’importance des sponsors (le sponsor principal donne le nom à l’équipe et assure la quasi intégralité des revenus de l’équipe (Desbordes, 2006)) et du déroulement des courses dans plusieurs pays, semble soumis à la question de l’internationalisation. Doit-on privilégier, au sein des équipes sportives de haut niveau, des sportifs de cultures proches ou peut-on s’affranchir de cette dimension ? Les équipiers vont devoir collaborer afin de favoriser la réussite d’un membre de leur équipe en affrontant simultanément une multiplicité de concurrents aux intérêts divergents (Calvet, 1981). Une organisation focalisée sur une tâche comme peut l’être une équipe cycliste, composée de ressources complémentaires rares qui doivent se coordonner en situation de compétition intense, ne risque-t-elle pas de souffrir d’une trop grande diversité de ses membres (Harrison et Klein, 2007) ? Ceci va nous entraîner à étudier la question du multiculturalisme au sein des groupes de travail (Chevrier, 2004; Dameron et Joffre, 2007; Stahl et al., 2010) afin de l’appliquer aux logiques sportives.

Après avoir envisagé la diversité dans les équipes multiculturelles nous nous intéresserons au cas particulier du cyclisme professionnel. Nous discuterons des liens possibles entre diversité et performance dans ces équipes en considérant que la qualité de la ressource (le coureur) est un déterminant majeur de la performance minorant l’impact de la diversité culturelle. Ceci nous entraînera à présenter notre méthode de recherche et nos résultats. Nous étudierons le niveau de performance obtenu par des équipes cyclistes professionnelles lors de plusieurs Tours de France (compétition de référence de cette discipline) sur la base de leur diversité nationale (nationalités différentes) et culturelles (distance culturelle mesurée à l’aide des indices de Hofstede (2001) et de Globe (House et al., 2004)).

La diversité culturelle nationale dans les organisations

Une organisation est composée de ressources, notamment humaines, rarement homogènes : sexe, âge, ethnie, expérience, nationalités, salaires… Harrison et Klein (2007) définissent la diversité comme la distribution des différences entre les membres d’une unité en regard d’un attribut commun. L’importance de ces différences peut engendrer des difficultés de compréhension ou d’avis tout en favorisant la créativité. Prat (2002) pense que si la nature des tâches est complexe, l’hétérogénéité sera privilégiée alors que si les tâches s’avèrent simples, standardisées, nécessitant une grande cohésion, l’homogénéité permettra de maximiser la coordination. Pourtant, l’analyse des travaux sur la diversité montre des résultats contradictoires en ce qui concerne l’explication de la performance (Earley et Mosakowski, 2000; Adler, 2002; Kochan et al., 2003; Stahl et al., 2010).

Harrison et Klein (2007) estiment que la raison de ces divergences repose sur une appréhension différente de la diversité. Selon eux, la diversité englobe trois aspects : la séparation (distribution des différences en ce qui concerne les opinions des membres principalement sur les valeurs, les attitudes), la variété (appartenance des individus à une catégorie) et la disparité (possession différente d’une ressource par les membres). Du fait de ces trois types de variétés, des différences existeront tant dans leurs mesures que dans leurs issues (manque de cohésion, plus grande créativité, plus grande compétition à l’intérieur de l’organisation…). De même, Stahl et al. (2010) pensent qu’il peut exister des résultats différents si l’on envisage la diversité en fonction d’un simple niveau (par exemple, la nationalité) ou d’un niveau plus approfondi (par exemple, les valeurs découlant d’une culture nationale).

Notre recherche va se concentrer sur la diversité culturelle liée au pays d’origine (à savoir la différence en termes de cultures nationales au sein d’une organisation) et se réfère au multiculturalisme des équipes (Earley et Mosakowski, 2000; Chevrier, 2004). Le concept de distance culturelle repose sur les différences de cultures nationales entre deux entités (Kogut et Singh, 1988). Selon Hofstede (2001), la culture correspond à la programmation collective de l’esprit qui permet de distinguer les membres d’un groupe humain d’un autre. Lorsque nous parlerons de diversité culturelle, nous entendrons la diversité qui émane de la culture nationale des membres d’une organisation. Toutefois, nous sommes conscients que la diversité culturelle peut également provenir du milieu social d’origine, de l’âge, de l’expérience, de l’ethnie (Harrison et Klein, 2007).

Afin d’identifier cette diversité culturelle liée au pays d’origine, il faut pouvoir qualifier les spécificités des cultures nationales. Ainsi, lorsque des individus ou des entreprises issus de différents pays sont en relation, on parlera de distance culturelle calculée sur la base des caractéristiques de leur pays (Kogut et Singh, 1988). Les travaux reposant sur les cultures nationales mobilisent fréquemment l’approche développée par Geert Hofstede (Mayrhofer, 2002; Kirkman et al., 2006). Hofstede (2001) a établi une classification des cultures nationales à travers quatre dimensions (l’individualisme / collectivisme, la distance hiérarchique, l’aversion pour l’incertitude, la masculinité / féminité). Par la suite, une cinquième dimension (liée à l’orientation temporelle) a été développée (Hofstede et al., 2010). Les impacts potentiels de ces dimensions culturelles sur un groupe sont nombreux : prise de décision, prise de risque, fidélité, coopération, respect des instructions, mode de communication, légitimité du leader…

Plusieurs critiques du travail d’Hofstede ont été émises (Javidan et al., 2006; Kirkman et al., 2006) : une réduction de la notion de culture à quelques dimensions, un échantillon provenant d’une seule entreprise, la non prise en compte de l’évolution des cultures à travers le temps ou l’absence de différences culturelles à l’intérieur d’un même pays. Les scores d’Hofstede ont été contestés lors de validations empiriques (Gerhart, 2008). Quoi qu’il en soit, une quantité importante de recherches mobilise l’approche d’Hofstede (Kirkman et al., 2006). L’étude Globe (House et al., 2004) s’inscrit dans cette voie. Cette recherche prend en compte 62 cultures différentes. En distinguant valeurs et pratiques des individus, l’étude Globe recense neuf attributs : l’orientation future, l’égalitarisme, l’autoritarisme, l’orientation humaine, le collectivisme au sein du groupe, le collectivisme institutionnel, l’orientation vers la performance, la concentration du pouvoir et l’évitement de l’incertitude. Dix-huit dimensions permettent ainsi de positionner 62 cultures nationales et de regrouper des pays selon leur proximité culturelle. Plus récente et plus détaillée que l’étude de Hofstede, l’étude Globe représente un outil complémentaire judicieux dans l’identification de la diversité culturelle d’un groupe. Toutefois, Hofstede et al. (2010) critiquent cette étude notamment en raison du biais lié à la complexité des questions posées.

Les équipes face à la diversité culturelle

Les groupes de travail constitués de différentes nationalités sont de plus en plus courants dans les entreprises mais leur efficacité n’est pas toujours patente (Chevrier, 2004). Les problèmes inhérents aux spécificités des cultures nationales peuvent réduire leur performance (Stahl et al., 2010). Ainsi, les membres d’une équipe multiculturelle auront des perceptions de leur environnement ou des comportements différents (Matveev et Nelson, 2004).

Le lien entre diversité culturelle et performance au sein de petits groupes apparaît complexe (Stahl et al., 2010). Un accroissement de la créativité, une obligation de mieux comprendre les autres, une augmentation de la satisfaction ou une amélioration de la qualité des décisions seront considérés comme des avantages (Adler, 2002; Stahl et al., 2010). Le pendant négatif est lié à une carence de cohésion issue d’un manque de confiance envers l’autre, d’un déficit de communication (discussions dans une langue différente et manque d’assurance) ou de stress. Ces éléments négatifs entraînent l’apparition de conflits et une diminution de l’intégration sociale (Stahl et al., 2010). Chevrier (2004) considère que « les membres de ces équipes sont porteurs, entre autres, de cultures nationales différentes susceptibles d’empêcher une lecture commune des situations de travail rencontrées et dès lors freiner la construction d’accords quant à des manières appropriées d’y agir ». D’autant plus que le type de coopération au sein de l’équipe peut entraîner une vision différente du lien diversité culturelle – performance.

Dameron et Joffre (2007) pensent que dans les groupes projets, il existe deux types de relations de coopération : la coopération complémentaire qui se base sur la différenciation des individus et la recherche de ressources complémentaires et la coopération communautaire qui s’appuie sur une recherche de ressemblances, une construction identitaire. Ceci aura une incidence sur l’impact de la diversité culturelle qui a tendance à engendrer des sous-groupes au sein des équipes. Ainsi, selon le travail de Dameron et Joffre (2007), une trop grande diversité culturelle nuit à l’efficacité de la coopération complémentaire.

La contribution de la diversité culturelle à la performance semble réelle mais cette diversité va entraîner un accroissement de la complexité au sein des groupes de travail. Maznevski (1994) estime que les groupes marqués par une forte diversité sont moins performants dans les processus de prise de décision que les groupes homogènes. Toutefois, si cette diversité est intégrée, cela pourra favoriser la performance. Pour leur part, Milliken et Martins (1996) constatent que si la diversité favorise des décisions plus originales, elle nuit au niveau d’intégration, ce qui entraîne de l’insatisfaction et du turn-over. Watson et al. (1993) vont constater que la performance des groupes hétérogènes va s’améliorer en fonction du temps. Ainsi, pour Knouse et Dansby (1999), deux écoles prônant une part inverse de la diversité existent dans la recherche sur les équipes de travail : soit une grande part de diversité permet d’avoir plus de contacts et d’opportunités, soit une grande part de diversité introduit de nombreux conflits.

La difficile interprétation de la relation diversité culturelle – performance dans les équipes peut s’expliquer par l’existence de facteurs de contingence. Ainsi, Stahl et al., (2010) estiment, à la suite d’une méta-analyse portant sur 108 études empiriques publiées, que les spécificités de l’équipe (taille, dispersion des membres, ancienneté dans l’équipe) et la complexité de la tâche modèrent les effets de la diversité culturelle sur les équipes. Cette recherche met également en avant l’intermédiation de processus internes à l’équipe (créativité, conflits, communication, satisfaction, intégration sociale). Comme ces processus internes jouent différemment sur la performance de l’équipe, l’impact direct de la diversité culturelle s’avère ambiguë.

Les équipes sportives face à la diversité culturelle

Andreff (2009) compare les clubs de football modernes à des firmes multinationales. Selon lui, les équipes utilisent des facteurs de production internationaux (les joueurs, l’encadrement) et produisent un spectacle qui est consommé dans différents pays. Le sponsoring des équipementiers renforce cette internationalisation. La recherche d’une main-d’oeuvre hautement qualifiée absout les frontières traditionnelles. Pourtant, des problèmes peuvent exister comme par exemple ceux qui nuisent à la coordination (Brandes et al., 2009).

Des travaux liant sport et diversité (Cunningham et Sagas, 2004; Cunningham, 2007) ont envisagé la diversité d’un point de vue du sexe, de l’ethnie, de l’âge. Cunningham (2007) constate que dans les équipes où il existe de la diversité, la création d’une identité commune diminue le turn-over et favorise l’efficacité du groupe. Toutefois, peu de recherches se sont intéressées au lien entre diversité culturelle nationale et performance dans les équipes sportives de haut niveau (Brandes et al., 2009). Ryska et al. (1999) considèrent qu’il existe des différences dans le leadership et le coaching des équipes sportives en fonction de paramètres culturels. Ainsi, les entraîneurs australiens, en comparaison des entraîneurs américains, vont accepter plus aisément la diversité entre leurs joueurs. Misumi (1992, cité par Ryska et al. 1999) pense qu’il existera des différences en ce qui concerne les orientations des leaders dans le sport notamment dans la prise en compte de l’obtention de buts communs et les dimensions sociales du groupe. Brandes et al. (2009) se sont questionnés sur l’impact de la présence de différentes nations au sein des équipes de football. Leur résultat indique que la diversité nationale au sein des équipes n’influence pas significativement la performance.

La dimension ambiguë de la diversité semble une constante tant dans les groupes de travail que dans les équipes sportives (Cunningham et Sagas, 2004). La mondialisation est une tendance de fond du cyclisme professionnel (Viollet, 2007) tout comme d’autres sports, par exemple le football (Boniface, 2006; Andreff, 2009). Toutefois, une équipe n’est pas qu’une collection de « talents », d’athlètes aux qualités exceptionnelles. L’intégration au groupe, le partage d’une culture, la poursuite d’objectifs communs semblent nécessaires. Certes, les qualités physiques ou morales des équipiers voire la recherche de nationalités particulières en regard des marchés du sponsor sont des données qui risquent de primer sur le souhait de cohésion culturelle. Encore faut-il s’interroger sur la spécificité du sport étudié.

Équipes cyclistes et internationalisation

Si l’internationalisation du cyclisme était limitée à l’entame des années 80 (Calvet, 1981), elle s’est accentuée en s’ouvrant à de nouveaux pays (Desbordes, 2006; Viollet, 2007). La victoire d’un Australien au Tour de France 2011 peut en témoigner. De ce fait, la question de la gestion de la diversité nationale peut s’avérer judicieuse. C’est ainsi qu’il n’est pas rare de remarquer que le recrutement d’un leader cycliste étranger s’accompagne souvent du recrutement d’un de ses compatriotes afin de favoriser son intégration. De jeunes coureurs étrangers peuvent également entamer leur carrière professionnelle sur le sol européen en étant hébergés au sein de familles d’accueil[1].

Nous pouvons nous demander ce que l’étude des équipes cyclistes peut apporter au domaine du management et, dans notre cas spécifique, au management international. Katzenbach et Smith (1993) définissent, dans le domaine du management, une équipe comme un groupe composé d’un petit nombre de personnes aux compétences complémentaires qui se trouvent engagées dans un but commun avec un ensemble d’objectifs à atteindre et qui sont mutuellement responsables. Le cyclisme, par ses modes de coordination (Gueguen, 2007) ou par ses logiques de répartition des tâches (Calvet, 1981) correspond à cette définition. Un exemple concernant le rôle du coureur Kevin Hulsmans vis-à-vis de son leader, Tom Boonen, nous permettra de nous assurer de l’importance de la complémentarité, de l’objectif commun ou de la responsabilité collective dans les équipes cyclistes : « Une fois le départ donné, j’essaie d’être à ses côtés la plus grande partie de la journée pour le protéger du vent ou l’aider en cas de pépin. Moins il perdra d’énergie en course, plus il sera fort dans le final. Mon travail de préparation du sprint débute en fait à quinze ou dix kilomètres de l’arrivée. (…) Je me place à l’avant du peloton en tâchant de limiter les à-coups car j’ai des coéquipiers dans ma roue. A trois kilomètres de l’arrivée environ, je roule le plus fort et le plus régulier possible. Le but est d’empêcher quiconque de placer un démarrage. » [2]. Les occasions de devoir être coordonné pour favoriser la réussite de son leader sont multiples : contre sur des échappées, train pour revenir sur la tête, aide en cas de problème…

Les épreuves cyclistes se caractérisent par une division du travail précise qui conditionne la réussite afin de favoriser la réussite du leader. Calvet (1981) juge qu’il est « rigoureusement impossible à un coureur isolé de gagner la moindre la course ». De plus, la coopération peut se retrouver entre les équipes avec des ententes qui peuvent être liées aux stratégies des sponsors; toutefois ces collusions doivent être minorées car elles ne bouleversent pas la logique sportive (Calvet, 1981). Les équipes vont se spécialiser pour certains classements et il existera ainsi une division du travail entre les équipes. Les équipes cyclistes par leurs finalités attenantes à une congruence des intérêts individuels (la mutualisation des gains), une interdépendance basée sur la division du travail où la recherche des meilleures ressources (les coureurs engagés au niveau international) s’apparentent à un fonctionnement du type « coopération complémentaire » selon le sens de Dameron et Joffre (2007).

Toutefois, chaque équipe semble développer une culture spécifique. Le sport de haut niveau et particulièrement le cyclisme professionnel (en raison des entraînements au sein de groupes dédiés à certaines courses, des stages à l’étranger, des déplacements, de courses longues de trois semaines, d’une vie incessante dans les hôtels, dans les déplacements, etc.) entraîne la création d’un groupe organisationnel où les membres sont interdépendants et partagent un ensemble de normes (Brissonneau et al., 2008). En effet, le nomadisme inhérent à la participation à des compétitions géographiquement dispersées et éloignées de son lieu de résidence habituel coupe le cycliste de son environnement social non professionnel (familial, amical…) au profit d’une vie en communauté avec ses coéquipiers. Imaginons simplement un Tour de France pour un coureur : il partagera ses repas, ses nuits, ses moments de récupération, ses journées, ses efforts avec les membres de son équipe tous les jours durant trois semaines consécutives. Des rapports sociaux existent au sein des équipes sportives et ceux-ci s’ajoutent aux capacités physiques et psychologiques inhérentes à chaque athlète. Ce constat n’est pas neutre pour notre propos : le nomadisme des équipes cyclistes peut favoriser l’échange et ainsi permettre la création d’une culture spécifique à l’équipe qui transcende les frontières culturelles et ce d’autant plus que l’internationalisation devient une constante dans ces équipes (Desbordes, 2006).

Quels impacts de la diversité internationale sur la performance des équipes cyclistes ?

Afin de conceptualiser notre raisonnement, nous allons mobiliser une analogie tirée de la théorie des ressources et des compétences (Wernerfelt, 1984) comme Gerrard (2005) l’a fait pour comprendre la performance des clubs de football anglais. La diversité culturelle peut être considérée comme la résultante de la recherche de ressources. Un sportif de haut niveau sera recruté sur la qualité de son potentiel, de sa valeur estimée en regard de son coût d’embauche bien que l’asymétrie d’information puisse être forte (Tondani, 2005). La dimension nationale ne sera qu’accessoire; la valeur « brute » sera recherchée. En recherchant les meilleurs potentiels, les équipes s’affranchissent des frontières et recrutent des sportifs de toute nationalité. Toutefois, lorsqu’il s’agit d’un sport à dimension collective ou collaborative comme le cyclisme, cette ressource va être associée à d’autres ressources. Les sportifs de haut niveau vont devoir collaborer avec d’autres, se soumettre à des règles organisationnelles, travailler pour leur leader, accepter de se sacrifier, endosser la responsabilité d’un échec lors des épreuves (Calvet, 1981). Si une équipe se compose de plusieurs cultures, la dimension multiculturelle interviendra. Les problèmes et avantages recensés de la diversité culturelle au sein des équipes de travail (Adler, 2002) pourront se manifester au niveau des équipes sportives : des ressources hétérogènes devront fonctionner ensemble.

Notre recherche repose sur l’idée que, dans le contexte spécifique des équipes de sport de haut niveau, en l’occurrence les équipes cyclistes professionnelles participant au Tour de France, la diversité nationale explique mieux la performance que la diversité culturelle. En effet, la recherche de ressources rares entraîne les équipes à faire participer des coureurs de différentes nationalités sur le critère principal de leur capacité individuelle, de leur performance supposée, de leur spécialisation (Lucia et al., 2003). L’internationalisation croissante du sport (Boniface, 2006; Desbordes, 2006; Andreff, 2009) conduit les équipes à rechercher ces ressources sur un marché mondial en sélectionnant les meilleurs coureurs pour les épreuves les plus importantes. La diversité culturelle, envisagée sous l’angle de la nationalité du coureur, est une conséquence de la diversité nationale (Hofstede, 2001). Dans notre perspective, la diversité culturelle est calculée en fonction de la diversité de la nationalité des coureurs, elle est donc dépendante. De ce fait, nos deux premières hypothèses seront :

H1 : dans le contexte des équipes cyclistes, une plus grande diversité nationale est associée à une meilleure performance.

H2 : dans le contexte des équipes cyclistes, une plus grande diversité culturelle est associée à une meilleure performance.

Toutefois, si nous contenons l’effet inhérent à la diversité nationale, quelle influence aura la diversité culturelle ? Comme la diversité culturelle peut apporter des avantages (ouverture, amélioration de la décision collective, appui avec d’autres concurrents du fait d’une ouverture plus importante…) et des inconvénients (problèmes de communication, biais de confiance…) (Knouse et Dansby, 1999), nous avons tendance à penser que ces effets vont se neutraliser et que la diversité culturelle n’aura pas d’effet. D’autant plus que la spécialisation des tâches au sein des équipes (Calvet, 1981) ou l’utilisation de technologies de communication développées (Gueguen, 2007) conditionne les comportements, facilite la coordination. En d’autres termes, la diversité culturelle n’entraînera pas d’effets négatifs majeurs en regard de l’intérêt d’avoir une équipe composée de coureurs provenant de différents pays. Toutefois, une forte diversité culturelle, envisagée dans une logique de séparation au sens de Harrison et Klein (2007), conduit à une réduction de la cohésion, plus de conflits interpersonnels, un manque de confiance, une diminution de la performance, voire des problèmes de communication (Matveev et Nelson, 2004). La logique des équipes cyclistes s’inscrit dans une perspective de coopération complémentaire et la diversité culturelle tend à réduire l’efficacité de ce type de coopération (Dameron et Joffre, 2007). Prat (2002) considère que les groupes qui recherchent la cohésion vont privilégier l’homogénéité. L’analyse des spécificités de ce sport (Calvet, 1981) laisse penser qu’il s’agit d’équipes aux tâches simples à la recherche de cohésion. De ce fait, notre troisième hypothèse visera à estimer que pour un niveau de diversité nationale équivalent, les équipes ayant une forte diversité culturelle seront moins efficaces :

H3 : en contenant l’effet de la diversité nationale, la diversité culturelle des équipes entraîne une moins bonne performance.

Nous retenons donc la logique de Kochan et al. (2003) ou de Stahl et al. (2010) qui envisagent une dimension fortement contingente de l’étude de la diversité. Dans notre cas, le contexte « équipe cycliste professionnelle » est considéré comme particulier (en termes de tâches, de répartition des rôles, d’agencement des ressources). Par ailleurs, nous adoptons les perspectives de Kirkman et al. (2006) selon lesquelles, la diversité culturelle peut modérer l’influence d’autres variables sur la performance. Notre idée est que la variable principale sera la valeur intrinsèque du sportif qui entraînera une diversité nationale (du fait de la recherche de ressources) qui exprimera à son tour une diversité culturelle.

Méthodes

Nous avons calculé les dimensions culturelles et la performance des équipes pour les Tours de France 1987-2009. Ceci correspond à 487 équipes et 4.375 coureurs. Depuis 1987, les équipes se composent de neuf coureurs. L’évolution des montants distribués et l’émergence d’un cyclisme moderne (notamment lié à une plus grande spécialisation des coureurs dans leurs courses, une technicité du matériel plus importante et à une préparation physique plus rigoureuse (Lucia et al., 2003)) nous a conduit à travailler sur des périodes homogènes.

Pour chaque équipe, nous avons calculé un score d’hétérogénéité (H) (nombre de nationalités différentes / nombre de coureurs dans l’équipe) et un score de concentration (C) (somme, pour chaque équipe, du poids des différentes nationalités au carré; cet indice est inspiré de l’indice de Herfindahl-Hirschmann ou de Blau). Afin de disposer d’un indice synthétique, le rapport H / C sera utilisé pour mesurer l’indice de diversité nationale (IDN). Plus l’IDN sera élevé, plus l’équipe fera preuve d’une forte diversité nationale. Cette mesure semble plus pertinente qu’un comptage des nationalités au sein de l’équipe (Brandes et al., 2009).

En ce qui concerne la diversité culturelle, l’analyse développée par Harrison et Klein (2007) nous conduit à envisager une mesure de la diversité du type « séparation » qui tend à identifier les différences en termes d’opinions, de valeurs, de croyances entre les membres d’une même unité organisationnelle. La mesure adéquate repose sur un calcul de la dispersion du type variance (Harrison et Klein, 2007). La mesure de la distance culturelle développée par Kogut et Singh (1988) repose sur ce type d’opérationnalisation.

Si une telle mesure a largement été mobilisée dans les travaux sur la diversité culturelle (Brouthers et Brouthers, 2001), elle n’est pas sans être critiquée. Ainsi, Shenkar (2001) recense différents problèmes concernant la mesure de la distance culturelle tant en termes de propriétés conceptuelles du construit que méthodologiques. Afin d’être en phase avec ses recommandations, nous nous assurerons que l’agrégation de différentes dimensions culturelles est appropriée et nous utiliserons différentes mesures de la diversité. De ce fait, nous identifierons les dimensions culturelles issues des travaux de Hofstede (2001) et de Globe (House et al., 2004). Notre volonté d’utiliser plusieurs dimensions dans l’analyse des cultures nationales suit les recommandations de Mayrhofer (2002). De plus, nous chercherons à identifier la diversité au sein de chaque équipe en regard de la moyenne de chacune des dimensions et la diversité en regard des différences entre la culture des équipiers et celle du leader (distance au leader). Du fait de la hiérarchisation des rôles au sein des équipes cyclistes (Calvet, 1981), une telle mesure nous semble adaptée au sport cycliste. Nous calculerons une diversité culturelle correspondant à la variance des cultures au sein de chaque équipe et une distance à la culture du leader correspondant à la moyenne des différences au carré entre les cultures des coureurs et celle de leur leader. Le leader a été identifié en regard de son numéro de dossard : sur un Tour de France, les coureurs ont un numéro (dossard). Ainsi, les numéros 21 à 29 correspondent aux dossards des coureurs d’une même équipe et le numéro 21 (le premier de la série) est celui du leader désigné. Soulignons que si le leader provient d’un pays à faible culture cycliste, la distance au leader sera logiquement plus forte car il faudra trouver des équipiers issus d’autres pays.

Nous identifierons les différences culturelles pour chaque nationalité composant une équipe par l’identification des scores concernant les quatre dimensions de Hofstede (DivCH), les neufs dimensions en termes de valeur de l’étude Globe (DivCG1) et en termes de pratiques de l’étude Globe (DivCG2). La distance culturelle au leader se fera selon les mesures de Hofstede (DCLH), de Globe valeurs (DCLG1) et Globe pratiques (DCLG2). Lorsque le score n’était pas disponible dans les études, nous avons identifié le pays disponible qui semblait le plus proche.

La performance a été envisagée en fonction des gains obtenus par chaque coureur pour chaque Tour de France. Elle correspond à notre variable dépendante Score. En fonction de la liste des prix du Tour de France, nous avons retenu certains classements[3] et leur dotation correspondante. Notre relevé correspond à près de 70 % des montants distribués. Précisons que nous n’avons pas pris en compte les résultats des contre la montre individuels car le résultat d’une telle épreuve n’intègre pas la dimension collective de l’équipe. Par ailleurs, nous avons retenu les classements validés par le Tour de France après exclusion des coureurs ayant fraudé. Ces gains ont été sommés pour chaque équipe. L’idée de prendre en compte la ventilation des gains afin de qualifier des Tours de France a déjà été utilisée par Torgler (2007). Cette mesure nous est apparue comme assez objective car les membres d’une équipe cycliste vont traditionnellement mutualiser les différents gains obtenus individuellement (Calvet, 1981). Cette pratique renforce la perspective de coopération complémentaire (Dameron et Joffre, 2007). Afin d’identifier la valeur des ressources composant l’équipe, nous avons calculé la variable Scoret-1 correspondant au résultat obtenus en t-1 par les coureurs composant l’équipe en t. La figure 1 résume notre construction des données.

Figure 1

Représentation des mesures de l’étude

Représentation des mesures de l’étude

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Après avoir décrit notre échantillon, nous identifierons les corrélations entre les variables de notre étude. Nous testerons différents modèles de régression afin de savoir si l’ajout de l’indice de diversité nationale ou des différences culturelles permet une meilleure explication de la variance de la performance. Toutefois, nos mesures des différences culturelles sont nécessairement dépendantes de la diversité nationale du fait de notre méthode de calcul. Afin de contrôler l’effet de la diversité nationale, nous analyserons les coefficients de corrélation issus d’une corrélation partielle où la variable « diversité nationale » sera contrôlée.

Résultats

L’étude des 4.375 coureurs inscrits au sein de 487 équipes lors des Tours de France 1987-2009 permet de remarquer que 43 nationalités différentes sont représentées. Toutefois, il existe une forte disparité. Si la France avec 893 inscrits (soit 20,41 % du total) est la nation la plus présente, le Kenya possède un seul inscrit (soit 0,02 % du total). Ainsi, les cinq nations considérées comme des « terres de cyclisme » (France, Italie, Espagne, Belgique, Pays-Bas) représentent 68,23 % de l’ensemble des inscrits. L’internationalisation des Tours de France connaît une augmentation au fil des années. Si nous scindons nos observations en deux périodes (1987-1998 vs 1999-2009), nous pouvons constater (figure 2) que la part des équipes constituées de une à trois nationalités différentes diminue au profit d’équipes constituées de cinq nationalités différentes ou plus. En termes d’origine, les pays « terres de cyclisme » représentaient 70,42 % des coureurs sur la période 1987-1998 contre 65,65 % sur la période 1999-2009. L’internationalisation des équipes et des coureurs progresse mais reste assez concentrée autour des nations historiques.

Figure 2

Nombre de nationalités par équipes

Nombre de nationalités par équipes

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Avant de construire nos échelles de mesure des diversités culturelles, nous allons nous assurer que les différents items constitutifs sont cohérents entre eux (Shenkar, 2001). Pour chaque échelle de diversité culturelle, les items sont corrélés positivement entre eux et indiquent une forte contribution sur l’axe principal (ACP). Ce constat vaut tant pour la diversité culturelle que pour la distance culturelle au leader. Les mesures des différences culturelles selon les dimensions de Hofstede intégreront donc la distance hiérarchique, l’individualisme / collectivisme, la masculinité et l’aversion pour l’incertitude (alpha de Cronbach de 0,68 pour la diversité et de 0,66 pour la distance). En ce qui concerne les mesures des diversités culturelles selon les dimensions de Globe, nous retiendrons l’orientation future, l’égalitarisme, l’autoritarisme, l’orientation humaine, le collectivisme au sein du groupe, le collectivisme institutionnel, l’orientation vers la performance, la concentration du pouvoir et l’évitement de l’incertitude (alpha de Cronbach de 0,76 pour la diversité et de 0,79 pour la distance en ce qui concerne les valeurs; alpha de Cronbach de 0,85 pour la diversité et de 0,85 pour la distance en ce qui concerne les pratiques).

Le tableau 1 indique que le score moyen d’un leader est plus de 10 fois supérieur à un non leader (36,71 contre 3,22). Cette différence de performance apparaît comme fortement significative (p < 0,001) à l’issue d’un test t. Les perspectives de spécialisation des tâches au service d’un leader se trouvent donc confirmées empiriquement. Comme le soulignait Calvet (1981), la composition des équipes cyclistes « repose sur une hiérarchisation très poussée des tâches au sein des équipes et sur une discipline très stricte. ».

Tableau 1

Performance moyenne selon le statut de leader (n=4.375)

Performance moyenne selon le statut de leader (n=4.375)

*** : p < 0,001

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L’analyse des corrélations de nos variables indique (tableau 2) qu’il existe un fort lien entre la performance de l’équipe et la performance passée des coureurs constituant l’équipe (r : 0,55; p < 0,001). De plus, nous constatons une forte relation entre les différentes diversités et distances mesurées. Comme les diversités culturelles (DivCH, DivCG1 et DivCG2) et les distances au leader (DCLH, DCLG1 et DCLG2) découlent directement de la diversité nationale (IDN), ce constat est logique. Les diversités et les distances culturelles sont liées entre elles. Il apparaît donc que nos mesures présentent une perspective cohérente (Shenkar, 2001) : l’utilisation d’échelles différentes (Hofstede et Globe) n’entraîne pas de résultats opposés. Une relation significative et positive entre les mesures des diversités (IDN, DivCH, DivCG1 et DivCG2) et la performance est à constater. En ce qui concerne la distance vis-à-vis du leader, seule la mesure utilisant les dimensions de Hofstede apparaît en lien avec le score (DCLH).

Tableau 2

Corrélations entre variables (n= 487)

Corrélations entre variables (n= 487)

* : p < 0,05; ** : p < 0,01; *** : p < 0,001

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Il semble donc que plus une équipe est composée de coureurs différents en termes de nationalités avec une bonne répartition de ces nationalités (IDN) et plus elle témoigne d’une importante diversité culturelle, meilleure devrait être sa réussite. En parallèle, la distance culturelle par rapport au leader de l’équipe ne semble pas nuire à l’obtention de la performance sportive. Ces éléments vont dans le sens de nos deux premières hypothèses.

Toutefois, le tableau 3, qui présente les corrélations partielles entre les variables de diversité culturelle et de distance au leader avec le score lorsque la diversité nationale est contrôlée, indique une perte de significativité de toutes les variables de différences culturelles. Ainsi, en comparaison de l’analyse des corrélations de Pearson (tableau 2), le contrôle de la diversité nationale conduit à observer une diminution de la force de l’association entre la performance des équipes et leur degré de différences culturelles. Mais il n’y a pas de relations négatives, ce qui ne va pas dans le sens de notre troisième hypothèse.

Tableau 3

Corrélations partielles entre variables après contrôle de la diversité nationale (n= 487)

Corrélations partielles entre variables après contrôle de la diversité nationale (n= 487)

* : p < 0,05; ** : p < 0,01; *** : p < 0,001

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Le tableau 4 indique huit régressions en retenant comme variable contrôlée Scoret-1. Si la diversité nationale contribue significativement (p < 0,05) et positivement à la performance, l’apport des diversités culturelles et de la distance culturelle au leader est plus réduit. Quatre variables (DivCH, DivCG2, DCLH et DCLG2) ont un apport significatif à un seuil réduit (p < 0,10). La diversité culturelle selon les valeurs de Globe (DivCG1) et la distance culturelle au leader selon les valeurs de Globe (DCLG1) sont jugées comme non significatives (modèles 4 et 7). Mis à part ces deux variables, l’amélioration du R2 ajusté, bien que faible, est significative. Ces premiers résultats permettent de considérer que la diversité n’est pas source de diminution de la performance et qu’en regard de la valeur passée des équipiers (Scoret-1), plus la diversité est forte, meilleure sera la performance de l’équipe. Ces résultats confirment nos deux premières hypothèses.

Tableau 4

Régressions de Score avec contrôle de la performance passée (n=487)

Régressions de Score avec contrôle de la performance passée (n=487)

+ : p < 0,1; * : p < 0,05; ** : p < 0,01; *** : p < 0,001

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Nous pouvons constater que 30 % de la variance s’explique à travers la variable de performance passée des coureurs constituant l’équipe (Scoret-1 dans le modèle 1). Ceci indique donc une qualité prédictive de cette variable satisfaisante. Le cyclisme de haut niveau est un sport qui, sur la base de la valeur passée des coureurs, entraîne une performance reconductible sans pour autant entraîner un déterminisme exacerbé.

Néanmoins, l’apport des diversités nationale et culturelles ainsi que les distances culturelles au leader, bien que significatif, n’améliore que faiblement le modèle de base (modèle 1). Quelle que soit la diversité prise en compte, l’amélioration de l’explication de « Score » est très faible (R² ajusté) en regard de la contribution de la variable de contrôle. Ces résultats semblent aller dans le sens de Kochan et al. (2003) pour qui la diversité explique assez mal la performance. Ce résultat ne nous permet pas de considérer que les diversités, qu’elles soient envisagées sous l’angle de la nationalité ou de la culture, sont des prédicteurs majeurs du résultat d’une équipe. La valeur des équipiers (perspective individuelle) est primordiale en regard des phénomènes organisationnels au sein des équipes cyclistes (perspective collective). L’importance de la performance passée des équipiers mesurée par Scoret-1 permet d’en témoigner.

Les modèles 3a à 8a du tableau 5 indiquent le résultat des régressions de l’apport des diversités culturelles sur la performance en contrôlant la performance passée et la diversité nationale (IDN). Les résultats obtenus dans les trois modèles, en comparaison des modèles 3 à 8 (tableau 4), indiquent que l’introduction de la diversité nationale annule la significativité des différences culturelles. Une régression pas à pas complémentaire nous permet de constater le rejet systématique des diversités culturelles et des distances au leader alors que la diversité nationale est conservée dans le modèle.

Tableau 5

Régressions de Score avec contrôle de la performance passée et de la diversité nationale (n=487)

Régressions de Score avec contrôle de la performance passée et de la diversité nationale (n=487)

+ : p < 0,1; * : p < 0,05; ** : p < 0,01; *** : p < 0,001

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Ainsi, en présence de la diversité nationale, la diversité culturelle des équipes n’est plus significative dans l’explication de la performance. Cela contredit notre troisième hypothèse qui envisageait un impact négatif.

Discussion

La diversité culturelle ne témoigne pas d’effets, qu’ils soient positifs ou négatifs lorsque la diversité nationale est contrôlée. Nos résultats ne permettent pas d’envisager un effet négatif de la multiculturalité comme l’envisageait Harrison et Klein (2007) ou Dameron et Joffre (2007). L’identification des spécificités du cyclisme (Calvet, 1981) laissait supposer que du fait de la standardisation des tâches, les décisions à prendre par les équipiers pouvaient s’avérer simples. Or, Prat (2002) envisage une prime à l’homogénéité dans ce type de contexte.

Une première explication pourrait provenir du concept de mesure de la diversité culturelle recensée à travers les traits caractéristiques d’un pays (Shenkar, 2001). Kirkman et al. (2006) considèrent que plusieurs recherches démontrent la robustesse des dimensions culturelles de Hofstede mais ces variables expliquent peu de variance en ce qui concerne les attitudes et les comportements. Notre volonté de multiplier les mesures a essayé de minimiser ce problème.

Dans une logique d’équipes multiculturelles où la coordination est cruciale, nous pouvons penser que la dimension organisationnelle inhérente au cyclisme (envisagée à travers les effets des différences culturelles) est réduite. Comme la coordination des efforts est supervisée par le directeur sportif (Gueguen, 2007), les rôles de chaque équipier sont bien définis. De plus, la routinisation des tâches, répétées à l’entraînement ou dans d’autres épreuves, est forte (Calvet, 1981). Les inconvénients fonctionnels des différences culturelles s’estompent en raison de la spécificité de ce type d’organisation.

Du fait de la tendance à l’internationalisation des équipes, il peut apparaître également un management transnational. Selon Snow et al. (1996), il est possible que l’équipe s’affranchisse de la dimension « multinationale » pour devenir « transnationale » à savoir une situation où les barrières culturelles disparaissent au profit d’une culture spécifique à l’équipe. Une illustration peut se retrouver dans les propos de Patrick Lefevere, manager d’équipes cyclistes au palmarès important : « Les nationalités ne jouent aucun rôle pour moi. Sur ce point, il y a longtemps que je ne me sens plus belge. Nos sponsors sont internationaux. Quick Step vend dans 110 pays, Davitamon dans un peu moins, Latexco dans une cinquantaine de pays. Nous avons un constructeur de bicyclettes français, les coureurs sont de dix nationalités différentes. Pour moi, il n’y a plus de frontières. Nous sommes allés au Tour avec neuf coureurs de sept nationalités différentes. »[4]. Il existe un développement de la culture transnationale qui permettra de fédérer l’équipe (Chevrier, 2004). Si la diversité est intégrée dans l’équipe, la performance se trouve améliorée (Maznevski, 1994). D’autant plus que les coureurs sélectionnés pour participer à un Tour de France sont souvent expérimentés et ont l’habitude de courir ensemble. Cette perspective rejoint celle de Watson et al. (1993) qui constatent que la performance des groupes hétérogènes s’accroît au fil du temps.

Toutefois, nos résultats doivent être envisagés avec prudence. Nous avons travaillé sur des coureurs qui ont été sélectionnés par leur équipe pour participer à l’épreuve la plus importante de leur domaine. Cette sélection s’est opérée sur plusieurs coureurs (une équipe cycliste se compose d’une trentaine de coureurs qui seront affectés sur certaines épreuves). De ce fait, nous pouvons penser que les sportifs ont été mis en situation à plusieurs reprises afin de s’assurer de la cohésion avec le reste de l’équipe. Par ailleurs, précisons que les changements de nationalité peuvent biaiser notre recensement des cultures nationales. Cette pratique est relativement rare dans le cyclisme[5]. Lorsque nous avons pu identifier ces changements, nous avons conservé la nationalité initiale. Bien que provenant de cultures différentes, les coureurs ont pu intégrer la culture commune de l’équipe. Ainsi, leur culture initiale, au sens de Hofstede (2001), s’avère moins saillante et plus compatible. Notre analyse repose sur la détection d’un effet linéaire selon lequel l’accroissement régulier d’une variable devrait entraîner une modification d’une variable dépendante. Des recherches ont déjà envisagé un effet non linéaire de la diversité dans les équipes (Earley et Mosakowski, 2000). Cependant, en regard de nos résultats, si cette hypothèse s’avérait, il faudrait quand même disposer d’une diversité supérieure à la moyenne.

Conclusion

Nos résultats permettent de prolonger des travaux issus du management des entreprises (Watson et al., 1993; Maznevski 1994; Milliken et Martins, 1996; Earley et Mosakowski, 2000; Brouthers et Brouthers, 2001; Kochan et al., 2003; Harrison et Klein, 2007; Stahl et al., 2010) ou des équipes sportives (Cunningham et Sagas, 2004; Brandes et al., 2009) qui tendent à considérer de façon nuancée la question de la diversité. En exploitant les résultats d’Hofstede (2001) et de House et al. (2004) dans le domaine du sport, nous avons développé une base de données permettant d’appréhender la question des traits culturels et de leur diversité dans le cyclisme de haut niveau. Ceci nous a conduit à constater l’influence réduite des différences culturelles en regard de la diversité nationale. Les managers des équipes cyclistes pourront privilégier la valeur intrinsèque d’un coureur recruté, quelle que soit sa nationalité, sans devoir craindre de façon importante une différence culturelle forte. Ceci n’est pas sans incidence d’un point de vue économique : du fait des sponsors (Desbordes, 2006), certaines nationalités sont recherchées en raison des marchés cibles mais la crainte d’une incompatibilité culturelle pourrait nuire au recrutement. Cependant, il nous semble important de considérer que notre champ d’étude est très spécifique. En effet, notre recherche s’intéresse à une activité où prime la compétence physique et où la routinisation des tâches est cruciale (Calvet, 1981).

Néanmoins, plusieurs limites réduisent la lisibilité de nos résultats. De nombreux autres effets peuvent intervenir (amélioration des communications en course, sélection de l’effectif pour le Tour, qualité de l’encadrement technique, collusion entre équipes, achat de victoire, etc). Par ailleurs, nous n’avons pas pris en compte la dimension temporelle selon laquelle un coureur va intégrer progressivement une autre culture. Toutefois, ce processus peut s’avérer long (Hofstede, 2001). L’introduction d’un effet d’expérience lié à la connaissance de l’épreuve et à l’intégration au sein de l’équipe (Watson et al., 1993; Cunningham, 2006), comme par exemple l’importance de la stabilité de l’effectif (Montanari et al., 2008), peut s’avérer judicieux. Enfin, nous avons envisagé notre problématique en fonction d’une association simple entre différences culturelles et performance censée s’exprimer en toute situation. Il peut s’avérer utile d’appréhender cette association dans une logique plus contingente, en regard du contexte organisationnel, du type de tâches à effectuer (Kochan et al., 2003; Stahl et al., 2010), par exemple en regard de la spécialisation des coureurs (ceux dédiés au travail en plaine vs montagne). Notre souhait serait donc d’identifier, dans le futur, des variables de contingence permettant de mieux envisager cette association. Qui plus est, notre analyse repose sur une observation unique des Tours de France allant de 1987 à 2009. Nous pouvons imaginer que des différences marquent ces années. En effet, avec l’accroissement de l’internationalisation (Desbordes, 2006), le management des diversités culturelles peut s’avérer plus efficace.

La poursuite naturelle de ce travail serait de s’intéresser à la question de la diversité culturelle dans d’autres sports, notamment dans le football où le débat est ouvert du fait de la montée en puissance de la mondialisation (Boniface, 2006; Andreff, 2009). Par ailleurs, afin de valider nos perspectives, une meilleure compréhension de la diversité culturelle dans le cyclisme avec des données primaires issues d’une interrogation des cyclistes professionnels semble souhaitable. Ceci permettrait d’envisager les modes de management interculturels déployés par l’encadrement des équipes. Enfin, une transposition de la méthodologie de cette recherche, pour envisager la diversité culturelle des équipes internationales de management de haut niveau (les « top management teams »; Hambrick et al., 1996), nous semble intéressante.