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La fin du 20ème siècle a été marquée par le passage d’une économie managériale à une économie entrepreneuriale. L’économie managériale est une économie dans laquelle la performance économique est reliée à la taille des entreprises, aux économies d’échelle, à la production routinière et à l’innovation. Au contraire, l’économie entrepreneuriale est définie comme une économie où la performance économique est fondée sur une innovation distribuée et sur l’émergence et la croissance d’entreprises innovantes (Audretsch et Thurik, 2000 et 2001). Cette mutation ne s’observe pas uniquement dans certaines régions ou certains pays, mais à l’échelle de la plupart des pays développés (Baumol, 2002; Baumol et al., 2007; Audretsch, 2007). Les institutions et les politiques conçues pour faciliter la création et la commercialisation de connaissances à travers l’activité entrepreneuriale sont amenées à jouer un rôle majeur dans cette économie moderne. Dans ce contexte, l’accompagnement, qui permettrait aux entreprises accompagnées de bénéficier d’un taux de survie plus important que celles qui ne le sont pas (CSES, 2002), s’impose comme un enjeu de politiques publiques. C’est ainsi qu’au gré des politiques d’aide à la création d’entreprise ou de transfert de technologie, nous avons pu assister au développement d’une industrie de l’accompagnement, marquée par une multiplicité d’acteurs, de structures, voire d’associations professionnelles. Sans surprise, l’essor de l’accompagnement s’est doublé de « l’émergence d’un nouveau champ de recherche » (Chabaud, Messeghem, Sammut, 2010a). Pour autant, que savons-nous de l’accompagnement aujourd’hui ? Quels en sont les enjeux ? Les acteurs et les facteurs clé de succès ?

Ce dossier spécial est l’occasion de faire le point sur les résultats et enjeux de la recherche sur l’accompagnement, presque dix ans après la revue de littérature systématique conduite par Hackett et Dilts (2004). Pour cela, il sera utile de rappeler combien le champ de l’accompagnement s’est transformé ces dernières années, avant de voir sur quels axes de réflexion s’engagent aujourd’hui les travaux de recherche. En la matière, nous verrons combien nos connaissances se sont accrues sur l’objet de recherche, mais aussi combien la littérature sur l’accompagnement est en prise avec les praticiens et les pouvoirs publics : la connaissance en matière d’accompagnement, si elle relève de protocoles d’études scientifiques, a une visée praxéologique, et permet d’aider à l’action des entrepreneurs, des accompagnateurs et structures, ainsi qu’aux pouvoirs publics[1].

1- L’accompagnement entrepreneurial : jalons sur un champ de recherches consacré à une industrie récente

Une industrie récente

Si la National Business Incubation Association (NBIA)[2], qui fédère les acteurs aux Etats-Unis, dénombre aujourd’hui environ 1 250 incubateurs aux Etats-Unis, et 7 000 dans le monde (octobre 2012), il convient d’être conscient que l’industrie de l’accompagnement ne s’est réellement imposée et développée que récemment. En effet, si la première structure d’accompagnement a vu le jour aux Etats-Unis à la fin des années cinquante (avec le Batavia Industrial Center en 1959), il a fallu attendre les années 1980 pour que l’on assiste à un développement de ces structures. Ainsi, la NBIA, qui a été créée seulement en 1985, dénombre-t-elle seulement 12 structures aux Etats-Unis en 1980, toutes localisées dans le nord est du pays « fortement touché par des fermetures d’usines dans la décennie précédente ».

Le développement des incubateurs s’accélère dans les années 1980/1990 avec la montée de l’économie entrepreneuriale. Pour Albert, Bernasconi et Gaynor (2003), qui estiment à environ 3 500 le nombre de structures dans le monde en 2000, ce développement résulte d’abord d’initiatives locales, souvent en réponse à « un problème spécifique de régénération ou d’expansion d’un territoire » (p.15), avant que les politiques – voire des acteurs privés (avec l’épisode de la bulle internet) – ne s’intéressent à ces structures pour favoriser l’innovation et la création d’entreprises innovantes à la fin des années 90.

De fait, dans le cas français, des initiatives qui sont initialement « alternatives », en rupture avec le système économique dominant, se développent et se doublent très vite d’actions des collectivités territoriales visant à développer l’emploi (Duquenne, 2009). La loi Allègre de 1999, qui instaure les incubateurs technologiques, en les articulant au système d’enseignement supérieur – voire en les mettant au coeur – est la marque d’une politique volontariste, et contribue sans doute à un changement de dimension dans le courant des années 2000.

L’univers de l’accompagnement est caractérisé aujourd’hui par une grande hétérogénéité tant au niveau des acteurs que des pratiques (Aaboen, 2009). Il n’y a pas un mais des accompagnements (Hackett et Dilts, 2004). Cela est vrai à l’échelle d’une nation; au niveau international, l’hétérogénéité des pratiques et des conceptions est également manifeste.

Ainsi que le rappellent les textes de Bakkali, Messeghem et Sammut, et celui de Vedel et Gabarret dans ce numéro, l’industrie de l’accompagnement compte une grande diversité d’acteurs. Si l’opposition classique entre acteurs publics et acteurs privés est présente, c’est plus encore par leur diversité d’objectifs que se démarquent les différentes structures d’accompagnement. Une grande diversité d’acteurs existe aujourd’hui, avec des structures dédiées à l’accompagnement (pépinières, incubateurs, couveuses, etc.), mais aussi des programmes d’accompagnement de créateurs ou repreneurs organisés par des fondations, des associations ou des réseaux qui organisent l’accompagnement en dehors de structures d’hébergement. Ainsi peut-on citer, par exemple, le programme de mentorat de la Fondation de l’Entrepreneurship au Québec, ou, en France, les actions du Réseau Entreprendre, des boutiques de gestion, ou de l’ADIE, de France Active, etc.

D’une recherche longtemps embryonnaire à un champ de recherche ?

La recherche, quant à elle, s’est développée tout aussi progressivement. Elle a, historiquement, été fortement ancrée dans une perspective normative d’interrogation sur les facteurs clés de succès et la performance des structures (Smilor, 1987, Mian, 1994, 1997). Autio et Klofsten (1998), et plus généralement les travaux de Storey (Greene et Storey, 2004), marquent les premières tentatives visant à clarifier les sources de performance dans une perspective explicative : la fin des années 90 apparait ainsi comme une période dans laquelle des théorisations partielles sur l’incubation sont réalisées (Hackett et Dilts, 2004).

Les années 2000 marquent sans doute une nouvelle étape dans l’analyse de l’accompagnement. La parution du numéro spécial du Journal of Business Venturing (Phan et al., 2005), sur les incubateurs et parcs scientifiques, marque symboliquement la reconnaissance de la question, en travaillant sur les structures d’accompagnement, tandis que les travaux de Rice (2002), Hackett et Dilts (2004, 2008) ou Bergek et Norrman (2008), permettent à la fois une analyse systématique des thématiques de recherche, mais aussi de rentrer dans la « boîte noire » de l’accompagnement en s’interrogeant sur les facteurs à l’origine de son efficacité.

Parallèlement, si l’analyse peut se focaliser sur le seul accompagnement – ou business support[3], ainsi que le conçoivent généralement les travaux anglo-saxons – il est important d’être attentif que les chercheurs anglo-saxons vont situer ces politiques dans le contexte plus large des politiques publiques visant à favoriser l’entrepreneuriat. Dès lors, la question se pose également d’appréhender les facteurs qui justifieraient des politiques pro-actives en la matière. L’interrogation sur les défaillances de marché (marketfailures) devient alors consubstantielle de la conception des politiques publiques en matière entrepreneuriale (cf. Storey, 2003, ou Audretsch, Grilo and Thurik, 2007, pour une vision d’ensemble).

Cependant, s’ils se multiplient, les travaux sur l’accompagnement dans le contexte anglophone paraissent encore en retrait sur le développement des travaux dans le contexte francophone. Si les travaux réalisés autour de Albert (Albert et alii, 1994, Albert et alii, 2003) permettent d’inscrire la thématique et l’objet de recherche dans l’agenda, c’est sans doute les travaux de Sammut (2003), de Cuzin et Fayolle (2004), puis le numéro spécial de la Revue de l’Entrepreneuriat (2006), qui marquent une première étape de la recherche, en permettant à la fois de dresser des états des lieux sur la diversité des dispositifs ou des structures d’accompagnement, mais aussi de fonder une réflexion sur la relation d’accompagnement.

Par la suite, le foisonnement des travaux réalisés dans la communauté francophone permet une succession de numéros spéciaux (Marché et organisations, 2008, Expansion Entrepreneuriat, 2009, Gestion 2000, 2010, Revue de l’entrepreneuriat, 2010). En cela, un champ de recherche a émergé, dont le dynamisme est certain. Si, dans un premier temps, l’accent est souvent mis sur la diversité des acteurs, des pratiques et des structures d’accompagnement, l’analyse de la relation d’accompagnement s’est renforcée, pour déboucher sur une interrogation quant à la performance de l’accompagnement. Le constat de Hackett et Dilts (2004, p. 74) paraît en phase avec les travaux actuels. Ces auteurs concluaient, en effet, leur revue de littérature en considérant que « While much attention has been devoted to the description of incubator facilities, less attention has been focused on the incubatees, the innovations they seek to diffuse, and the incubation outcomes that have been achieved. As interest in the incubator-incubation phenomenon continues to grow, new research efforts should focus not only on these under-researched units of analysis, but also on the incubation process itself ». Le processus d’incubation est alors au coeur des recherches, et permet de saisir le rôle de l’accompagnement, la diversité des relations (mentorat, coaching, accompagnement par les pairs, etc.), des situations d’accompagnement (création, reprise, aide à la croissance), et la diversité des acteurs (entrepreneurs, accompagnants).

2- L’accompagnement entrepreneurial aujourd’hui : de la cartographie à l’interrogation sur les leviers de la performance

Ce dossier spécial est en phase avec l’évolution annoncée des thématiques de recherche. Si le besoin de cartographie des structures et des relations d’accompagnement est toujours présent, la question des facteurs de performance de la relation d’accompagnement devient centrale.

Sans doute cela est-il réalisé en prenant en compte la singularité des besoins d’accompagnement. Ainsi, en fonction du type d’entrepreneur, de ses besoins, de son expérience et de son contexte personnel et professionnel, mais aussi de ses objectifs – voire de ses choix de vie – on va observer le développement de structures et de modalités d’accompagnement fortement différenciées. Richomme-Huet et d’Andria montrent comment les besoins spécifiques des Mampreneurs[4] – ces femmes qui sont à la fois mères de famille et entrepreneurs – suscitent la création d’une structure ad hoc, tandis que les articles de Allard, Amans, Bravo-Bouyssy et Loup, et de Fabbri et Charue-Duboc soulignent combien l’accompagnement peut s’appuyer sur des démarches communautaires et coopératives.

Dans le même temps, l’analyse de la performance de l’accompagnement s’affine. A la singularité des besoins d’accompagnement répond le besoin d’une notion multiforme de la performance (Bakkali, Messeghem et Sammut), permettant de fonder un outil de gestion, mais aussi l’interrogation sur les leviers de la performance. Celle-ci est-elle due à un effet de la sélection (Vedel et Gabarret), ou bien provient-elle d’un choix judicieux de l’accompagnant (St-Jean et Agy) ?

Des structures adaptées aux besoins d’accompagnement

Il a été de multiples fois écrit sur la diversité de l’accompagnement (Paul, 2002; Sammut, 2003, Chabaud et al. 2010b). Il n’existe pas un mais des accompagnements. La variété des profils des accompagnés implique sans cesse un renouvellement des pratiques. A la singularité des entrepreneurs peut répondre celle des structures d’accompagnement, qui vont chacune développer des pratiques – outils, des méthodologies ou des modes d’interaction, des modes relationnels – permettant de mieux accompagner les entrepreneurs. De fait, les articles de Allard, Amans, Bravo-Bouyssy et Loup, de Fabbri et Charue-Duboc, ou de Richomme-Huet et d’Andria sont marqués par un point commun. Derrière la cartographie, le repérage, de formes d’accompagnement singulières, apparaît la réflexion sur ce qui fonde une relation d’accompagnement réussie.

Le travail effectué par Fabbri et Charue-Duboc dans ce présent dossier intitulé « un modèle d’accompagnement entrepreneurial fondé sur des apprentissages au sein d’un collectif d’entrepreneurs : le cas de La Ruche » est une illustration de ces nouvelles pratiques. Les auteurs questionnent la dynamique d’apprentissage collectif de l’accompagnement dans un contexte très spécifique, celui de La Ruche, espace de travail de 600 m2 aménagé en open space pour entrepreneurs sociaux, à Paris. En se référant aux courants cognitif et socio-constructiviste, les auteurs montrent, certes, l’importance des processus individuels dans l’acquisition, la construction et la transformation de savoirs (Argyris et Schön, 1978; Cook et Brown, 1999; Nonaka et Takeuchi, 1995) mais aussi, et surtout, le caractère collectif et social des apprentissages effectués dans le cadre d’un accompagnement (Teece et al. 2002; Wenger et al. 2002). La dynamique d’apprentissage entre acteurs est ici appréciée comme une ressource au sens de la théorie du même nom. L’esprit collaboratif est au coeur du business modèle de La Ruche : les entrepreneurs sélectionnés pour intégrer cette structure se doivent de « jouer le jeu du partage et de l’échange pour donner corps aux apprentissages collectifs ». Selon cette logique chaque entrepreneur peut être parfois accompagnant parfois accompagné; nous retrouvons là le principe de l’accompagnement par les pairs (Jaouen et al., 2006) en précisant néanmoins que l’on peut ici adopter les deux postures simultanément.

Selon les auteurs, « la dynamique prescriptive de l’accompagnement au sens traditionnel de la relation accompagnateur-accompagné sont renouvelées et évoluent vers un modèle d’accompagnement collectif par les pairs, qui pourrait être qualifié de collaboratif ».

La recherche menée par Frédérique Allard, Amans, Bravo-Bouyssy et Loup intitulée « l’accompagnement entrepreneurial par les coopératives d’activité et d’emploi : des singularités à questionner », souligne également l’importance de valeurs importantes comme la solidarité et le partage dans l’acte d’accompagnement. Mais pas seulement; ce papier est intéressant en ce qu’il permet d’apprécier la singularité multidimensionnelle de l’accompagnement entrepreneurial dans les CAE. Celle-ci se révèle à deux niveaux : « le mix de formation action et d’alternance », dans un premier temps, suivi de « l’effet amplificateur du cadre collectif et coopératif de l’accompagnement ».

Pour étayer leur démonstration, les auteurs ont recours à l’ingénierie des compétences (Le Boterf, 1985) qui trouve notamment sa consistance théorique dans une approche de l’agir projectif (Bréchet et Desreumaux, 2010).

Enfin, le texte de Andria et Richomme-Huet – « L’accompagnement entrepreneurial des mampreneurs par leur propre réseau » – s’interroge sur la pertinence d’un accompagnement entrepreneurial différencié pour les mampreneurs, ces femmes qui sont à la fois maman et entrepreneurs (Cobe et Parlapiano, 2002). A partir d’une étude de cas approfondie portant sur l’unique association française actuellement en activité, la contribution met en avant la structuration et le fonctionnement de cette association qui rassemble des femmes se revendiquant, mères et entrepreneurs. Si la particularité du public accompagné est évidente, le texte nous montre comment le réseau se structure pour parvenir à accompagner les mampreneurs. De fait, un accompagnement entrepreneurial différencié émerge faute de structure appropriée aux besoins et manques – voire aux problèmes d’image et de role models, auxquels sont confrontées les mamans entrepreneures. Derrière la question du public, pointe donc celle du besoin d’un accompagnement différencié : de quels outils les entrepreneurs ont-ils besoin en matière d’accompagnement ? Ici, c’est l’importance du réseau social, et du fait d’interagir avec des personnes qui ont des problèmes similaires (se retrouver entre soi), qui ressort de manière fondamentale. L’accompagnement par les pairs ressort de nouveau comme essentiel, tout comme la nécessité de mettre en place une démarche collective et structurée, qui prend corps dans le réseau des mampreneurs.

Ces trois textes sont ainsi stimulants pour les chercheurs en accompagnement entrepreneurial; ils montrent des voies nouvelles à la fois dans la méthode, dans le construit collectif, et dans la construction du savoir par la maîtrise des compétences, et soulignent combien l’accompagnement peut s’ancrer dans une réelle démarche collective, et une interaction entre les pairs.

Les leviers de la performance

Sans doute ces trois formes d’accompagnement – par une structure collective, des CAE ou un réseau spécifique – ne sont-elles pas étrangères à l’interrogation sur la performance. Les articles montrent, chacun, comment la performance se construit en créant un contexte favorable à certains types d’entrepreneur et/ou au partage des connaissances, compétences et apprentissages. Nous pouvons remarquer que les trois autres textes, de Bakkali, Messeghem et Sammut[5], de St-Jean et El Agy et de Vedel et Gabarret, s’attaquent quant à eux frontalement à la question de la performance des structures et des relations d’accompagnement. Cependant, ils vont le faire de manière complémentaire.

Ainsi, le texte de St-Jean et E Agy, intitulé « La motivation à être bénévole des mentors : un effet auprès des entrepreneurs accompagnés ? » permet d’interroger l’efficacité des structures d’accompagnement, en analysant la motivation d’engagement du mentor. La question est d’importance. Dans le mentorat, en effet, le mentor est généralement engagé dans une relation bénévole. Ceci étant, cela suffit-il à en assurer l’efficacité ? Cherchant à cerner s’il y a une relation entre les déterminants de l’engagement du mentor et la satisfaction du mentoré, St-Jean et El Agy vont utiliser les données d’une enquête en dyade conduite auprès de 78 mentors et mentorés du réseau de mentorat d’affaires (Réseau M) de la Fondation de l’entrepreneurship. Les résultats sont intéressants, en montrant que parmi les sources de motivation à l’engagement comme bénévole, : « celles qui se rapportent à « comprendre et apprendre », à parce que cela « correspond à leurs valeurs » et à « rehausser l’estime de soi » permettent de développer la confiance chez le mentoré à l’égard de son mentor. Lorsque le mentor s’engage par « incitation sociale », le mentoré se déclare moins satisfait de la relation avec son mentor ». Au total, il semble donc judicieux pour la structure d’accompagnement de recruter des mentors en étant attentive aux sources de l’engagement des mentors potentiels. Sans doute n’épuise-t-on pas l’analyse. Il semble, en effet, nécessaire de prendre en compte le métier d’accompagnant – et ses compétences – ainsi que les pratiques de gestion des ressources humaines (voir Aaboen (2009), ou Bakkali, Messeghem et Sammut, 2011, en ce sens). Ceci étant, cette étude nous semble fondamentale, en démontrant que – même au sein d’une relation marquée par le bénévolat– la dimension RH est centrale dans la performance.

Les deux autres textes permettent de compléter l’analyse des leviers de la performance, voire de sa conception même, en ayant une entrée au niveau des structures dans leur ensemble.

Le texte de Vedel et Gabarret intitulé « Création d’emplois ou création de connaissances, quelle mesure de performance pour l’incubateur ? L’influence des caractéristiques des projets sélectionnés dans le processus d’incubation » propose de réaliser une plongée dans le processus d’incubation. Les auteurs s’interrogent sur la performance des incubateurs et ses déterminants. Les mesures classiques en termes de création d’emploi n’apparaissent que comme le reflet d’une performance à court terme. Il convient également d’appréhender la performance à long terme en tenant compte du développement des connaissances de l’incubé. Le processus d’incubation est censé influencer ces différentes formes de performance. Dans cette étude, l’accompagnement renvoie aux conseils reçus par l’incubé et à la fréquence des interactions avec le chargé d’affaires. La relation entre accompagnement et performance est largement influencée par la sélection réalisée par l’incubateur. La nature du projet et les caractéristiques du porteur de projet conditionnent cette relation. Benjamin Vedel et Inès Gabarret proposent de tester cette modélisation à partir d’une étude réalisée auprès de 177 incubés hébergés dans 64 structures françaises. Les résultats de cette étude montrent que certaines caractéristiques des projets sélectionnés, le degré innovant et l’expérience managériale, influencent l’accompagnement reçu pendant le processus d’incubation. Ces caractéristiques influencent également la performance du processus d’incubation. En revanche, le lien entre accompagnement et performance n’est que partiellement validé. Seul l’apprentissage est influencé par les conseils obtenus par les incubés. Ces résultats montrent la difficulté des variables économiques (la taille des entreprises hébergées et la création d’emplois) à saisir l’action de l’incubateur sur le court terme. Les auteurs invitent, pour s’extraire des biais de sélection, à réfléchir à de nouveaux indicateurs de performance davantage orientés vers la contribution réelle de l’incubateur notamment en termes d’apprentissage.

Le texte de Bakkali, Messeghem et Sammut, intitulé « Pour un outil de mesure et de pilotage de la performance des incubateurs » propose d’une certaine façon de relever ce défi en suggérant de retenir une approche multidimensionnelle de la performance. Cet article s’inscrit dans un contexte de remise en question de la légitimité des structures d’accompagnement. Les incubateurs sont soumis aux pressions des financeurs qui sont amenés à repenser leur politique entrepreneuriale dans un contexte de raréfaction des deniers publics. Elles subissent également un renforcement de la concurrence avec le développement continu des structures depuis une trentaine d’années. Les directeurs d’incubateurs doivent donc élaborer des outils de pilotage et de mesure de la performance. En s’appuyant sur le balanced scorecard, Bakkali, Messeghem et Sammut élaborent un outil qui comprend quatre dimensions : l’apprentissage, le processus d’accompagnement, le porteur de projet et le développement économique et social. Cette lecture multidimensionnelle permet d’entrer dans la boîte noire de l’accompagnement en montrant que les dynamiques d’apprentissage et d’innovation propres aux incubateurs conditionnent l’obtention d’une performance fondée sur des mesures économiques comme le nombre d’emplois créés. L’objectif de l’article est de montrer que cette modélisation de la performance des incubateurs est perçue comme pertinente par les directeurs de structure. Pour apprécier la pertinence de ces différentes dimensions et des indicateurs qui leur sont liés, une étude quantitative a été menée auprès de 109 incubateurs situés en France. Cette étude s’inscrit dans un programme de recherche plus large qui a permis à partir d’une approche qualitative d’adapter le balanced scorecard au champ de l’accompagnement et de générer des indicateurs autour des quatre dimensions de la performance. Les résultats montrent que les responsables d’incubateurs perçoivent comme pertinents à la fois les différentes dimensions et les multiples indicateurs proposés. Il ressort notamment que les axes « processus d’incubation » et « apprentissage-innovation » sont perçus comme déterminants pour mesurer la performance des incubateurs.

3- Conclusion et perspectives

Le temps du sous-développement des connaissances sur l’accompagnement entrepreneurial (Autio et Klofsten, 1998, Léger-Jarniou et Saporta, 2006) est sans doute derrière nous. Les études se sont multipliées, qui permettent désormais de disposer d’une meilleure vision d’ensemble de l’accompagnement entrepreneurial, de sa diversité, de ses modalités de fonctionnement, voire de ses leviers de performance. Ceci étant, de nombreuses voies d’approfondissement sont encore présentes et nécessaires. Trois points nous semblent particulièrement importants à renforcer.

  • L’analyse des leviers de l’efficacité des structures d’accompagnement est encore largement incomplète. Si l’on perçoit mieux désormais les différents déterminants – tenant aux politiques de sélection de GRH, aux modalités relationnelles, etc. – approfondir l’analyse comparative de l’efficacité des structures d’accompagnement est nécessaire. Il convient pour cela de « rentrer dans la boîte noire » de l’accompagnement, en étudiant finement les processus et mécanismes. A cette fin, il semble important de comparer précisément les propriétés des diverses relations et processus d’accompagnement. Aaboen (2009), pour expliquer le fonctionnement des incubateurs, propose une analogie avec les entreprises de service à destination des professionnels. Ces entreprises gèrent des processus de gestion de la relation client en s’appuyant sur un personnel qualifié composé de « travailleurs de la connaissance ». La réalisation de leurs missions suppose une réflexion sur le métier d’accompagnant et la gestion des ressources humaines. Quelles sont les pratiques de GRH à développer dans les incubateurs ? Ne faudrait-il pas privilégier des approches configurationnelles en différenciant les pratiques de GRH selon le type de structure (Bakkali, Messeghem et Sammut, 2011) ?

  • L’analyse des relations et processus d’accompagnement doit se doubler d’une interrogation sur les structures d’accompagnement elles-mêmes. L’accompagnement apparaît comme un secteur au sens de Porter, caractérisé par des acteurs différents, marqués par des stratégies et pratiques d’organisation multiples. Quelles connaissances a-t-on aujourd’hui sur la dynamique stratégique de cette industrie ? Plus largement, comment cerner le rôle de la gouvernance et des choix stratégiques des acteurs de l’accompagnement ? Une analyse de l’industrie de l’accompagnement, ou de l’éco-système entrepreneurial, est nécessaire, et seule à même de saisir la diversité des modèles d’affaires, des stratégies, et des réponses aux besoins des entrepreneurs.

  • Comment penser, plus largement, cette industrie, et ce notamment en relation avec les choix de politique publique et les attentes des diverses parties prenantes ? Ces deux aspects semblent indissolublement liés. D’une part, l’éco-système entrepreneurial peut faire débat et, pour l’acteur public, des choix multiples sont possibles pour favoriser et accompagner les actions entrepreneuriales (Barès et Chabaud, 2012). D’autre part, l’accompagnement entrepreneurial n’est qu’un élément des politiques publiques en faveur de l’entrepreneuriat, ce qui rend nécessaire une réflexion sur la justification et les formes de politique publique. Sur ce point, un approfondissement du dialogue avec la communauté anglo-saxonne semble judicieux, tant la connexion entre les choix d’accompagnement et les types de défaillances de marché observables semble nécessaire. Plus généralement, se pose la question de la pertinence et de la cohérence des politiques publiques entrepreneuriales (Stevenson et Lundström, 2007). Dans un contexte de rareté de la ressource publique se pose avec davantage d’acuité la question du retour sur investissement des actions en faveur de l’accompagnement est importante. Comment évaluer ces politiques publiques entrepreneuriales en tenant compte des attentes des multiples parties prenantes ?