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La responsabilité sociale de l’entreprise est un mode de régulation des sociétés qui s’est développée aux Etats-Unis et en Europe. Cette notion trouve donc son origine dans les pays capitalistes démocratiques (Habisch et al., 2005; Carroll, 2008; Moon et al., 2010). Le développement de la responsabilité des entreprises est associé selon les contextes à des pressions de la part de mouvements sociaux ou à la pression d’agences de notation qui agissent via les marchés financiers (voir par exemple Bourque et Gendron, 2003, sur le Québec; Lozano et al., 2006, sur l’Espagne; Sakuma et Louche, 2008 sur le Japon; Déjean et al., 2004; Dejean 2006, ou Gond, 2010, sur la France; Lydenberg et Louche, 2006; Waddock, 2008, sur les USA). Cependant, cette distinction ne doit pas masquer que la responsabilité sociale des entreprises constitue une forme de marché. D’un côté, on trouve les demandeurs que sont la population, de l’autre les offreurs que sont les entreprises, enfin des intermédiaires que sont l’Etat, les mouvements sociaux ou les agences de notation, etc. Les mouvements de responsabilité sociale forment ainsi un marché de la vertu (Vogel, 2005) qui s’articule à deux niveaux. A un premier niveau, les entreprises fournissent une offre de responsabilité pour répondre à la demande sociale. A un second niveau les agences d’évaluation ou les mouvements sociaux jouent un rôle d’intermédiaire fournissant de l’information, mais constituent également un marché de l’information sur la responsabilité des entreprises. Enfin, l’Etat régule ce marché par ses directives. La question qui se pose dans chaque contexte est la structure de ce marché.

Les facteurs contextuels ont en effet de l’importance pour comprendre la mise en oeuvre de la responsabilité des entreprises dans les différents pays. Gjolberg (2009) a par exemple analysé les pratiques et les performances en matière de responsabilité sociale des entreprises dans 20 pays incluant le Canada, les USA, le Japon, et différents pays d’Europe. Sur cette base, il conclut que les pratiques comme les performances sont fortement dépendantes du contexte. De même, des travaux ont commencé à faire valoir le rôle du contexte pour l’analyse de la responsabilité des entreprises dans les pays en développement, par exemple en Amérique Latine (au Costa Rica : Adams and Ghaly, 2006; au Mexique : Weyzig, 2006; au Chili : Beckman et al., 2009) en Afrique (au Nigéria : Ite, 2004; Idemudia et Ite, 2006; au Cameroun : Alemagi et al., 2006; au Ghana : Ofori et Hinson, 2007; au Rwanda : Short, 2008; en Afrique du Sud : Kehbila et al., 2009; Mitchell et Hill, 2009; en Egypte : Wahba, 2010; au Kenya et en Zambie : Kivuitu et al., 2005), en Asie (Chapple et Moon, 2005; en Inde : Sahay, 2004; au Cambodge et en Chine : Frost et Ho, 2005; en Chine : Birkin et al., 2009; au Bangladesh et au Pakistan : Naeem et al., 2009) en Europe de l’est et au moyen orient (au Liban : Jamali et Mirshak, 2007; en Turkie : Küskü, 2007). Dans chacun de ces cas, les relations entre les entreprises, l’Etat, les autres acteurs légaux tels ONGs, les mouvements sociaux plus informels, produisent des configurations organisationnelles du marché de la responsabilité spécifiques.

Or les différentes configurations organisationnelles peuvent avoir des répercussions significatives sur l’efficience de ce type de marché, en particulier via les modes de transmission de l’information. La transparence de l’information constitue en effet un enjeu essentiel de l’efficience de ces marchés (Dubbink et al., 2008).

Notre objectif dans cet article est d’examiner le marché de la responsabilité sociale des entreprises à l’Ile Maurice. En 2010, le PNUD classait l’île Maurice à la 72ème place sur 169 pays selon l’Indice de Développement Humain. Ce classement en fait un pays appartenant à la catégorie de niveau de développement humain élevé. Il n’en reste pas moins que des zones de pauvreté subsistent sur l’île et que la lutte contre la pauvreté est devenue un enjeu primordial pour le gouvernement travailliste mauricien.

Parallèlement, le World Economic Forum (Global Competitiveness Report, 2009-2010) classe l’île en 57ème position parmi 133 pays en termes de compétitivité. Il devenait inconcevable qu’au niveau microéconomique des ménages continuent à vivre en dessous du seuil de pauvreté qui est fixé selon le Bureau de la Statistique Centrale à Rs7320 par ménage.

Pour remédier à la pauvreté, le gouvernement mauricien a ainsi créé une institution chargée de coordonner et de mettre en oeuvre les programmes nationaux de lutte contre la pauvreté, la National Empowerment Foundation (NEF). Parmi ces programmes, le National CSR Committee (NCSRC) est un programme crée en 2009 par le Ministère de l’Economie et des Finances pour financer les projets sociaux par le biais des contributions des entreprises. C’est ce programme qui nous intéressera dans cet article.

Concrètement, cette politique a consisté a créé un marché de la RSE destiné à financer en priorité la lutte contre la pauvreté. L’objectif de cet article est alors d’examiner, d’une part l’organisation de ce nouveau marché, et d’autre part ses limites. Dans une première section nous présentons la méthodologie de collecte de l’information. Dans une seconde section nous détaillons la mise en oeuvre de ce marché à l’Ile Maurice. Dans une troisième section nous en analysons les limites. Enfin, dans une quatrième section nous discutons de l’efficience de ce marché au regard des problèmes liés à la transparence de l’information.

Méthodologie de collecte de l’information

Les informations sur la situation de ce marché ont été collectées lors d’un travail réalisé à la National Empowerment Foundation entre août 2010 et mars 2011. Nous avons discuté avec les différents intervenants, les responsables de la NCSRC, les ONG, les entreprises et les fondations. Les discussions ont porté sur le mode d’accréditation, la relation entre ONG- entreprise-NCSRC, la structuration du marché de la RSE et les implications des acteurs sur ce marché. Plus précisément, l’enquête réalisée auprès de tous ces acteurs était qualitative et « informelle », dans la mesure où nous pensions que c’était la seule méthode efficace pour obtenir des informations pertinentes sur le fonctionnement du marché de la RSE. Le caractère « informel » de l’enquête a consisté à la réaliser sous forme d’une conversation/discussion sur la RSE avec les différents acteurs. L’enquête n’a donc pas été effectuée dans un cadre formel telle une enquête conventionnelle; les interviewés étaient libre de donner leur avis sur la RSE à l’île Maurice. Il s’agissait par les discussions informelles d’obtenir des informations que nous n’aurions pas pu obtenir par une enquête traditionnelle avec questionnaire, du fait des risques de biais dans les réponses que nous n’aurions certainement pas pu éviter. Cette enquête qualitative nous paraissait la mieux adaptée dans un contexte où la RSE venait d’être mise en oeuvre par le gouvernement. Il était en effet important de connaître l’avis de l’ensemble des acteurs impliqués dans le processus. Au total, nous avons pu discuter avec 20 représentants d’entreprises et fondations et 40 représentants des ONG. Il était facile de rencontrer ces personnes puisqu’elles venaient toutes au NEF pour obtenir des informations sur la procédure d’accréditation et sur le fonctionnement du marché de la RSE.

L’organisation du marché de la RSE pour lutter contre la pauvreté

Afin de réduire la pauvreté, le gouvernement mauricien a mis en place, en 2009, sous la houlette de la National Empowerment Foundation (NEF), le National CSR Committee (NCSRC). A travers le NCSR il s’agit de faire participer les entreprises au financement de la lutte contre la pauvreté. Pour assurer le fonctionnement de ce programme, le gouvernement a contraint les entreprises à financer des projets dans le cadre de leur responsabilité. Les entreprises dégageant des profits sont en effet dans l’obligation, de par la loi[1], de consacrer 2 % de leur profit net au financement des projets sociaux. Les revenus non imposables sont les revenus des entreprises offshores, les revenus des banques provenant des non résidents, les revenus des entreprises IRS (Integrated Resort Scheme), les revenus des entreprises étrangères, les revenus des trusts et des administrateurs ou le syndique d’une unité de trust.

Le NCSRC a en fait trois objets. D’une part, il accrédite les projets des ONGs et fondations, valide les projets sociaux, d’autre part il agit comme un intermédiaire entre les entreprises qui proposent des fonds dans le cadre de leur responsabilité sociale et les ONGs ou les fondations qui montent des projets de lutte contre la pauvreté et enfin établit un guideline définissant les paramètres d’action des fondations et des ONG.

Le montant total des fonds destinés aux projets sociaux pour l’année 2010 s’élevait à Rs800 million[2]. Un montant identique a été estimé pour l’année 2011; avec la moitié des fonds destinée aux projets nationaux et l’autre destinée aux ONGs et fondations d’entreprise. Les projets nationaux sont actuellement au nombre de 3 : Child Welfare and Family Development Programme, Social Housing et Eradication of Absolute Poverty. Mais c’est le volet d’intermédiation entre les entreprises et les ONG qui nous intéresse ici.

Dans le cadre de la contribution obligatoire des entreprises au fonds CSR, celles-ci restent néanmoins libres de choisir le projet auquel elles attribuent leur contribution. Concrètement trois possibilités s’offrent à elles. Elles peuvent soit financer le projet d’une ONG indépendante en passant par le NCSRC, soit pour les entreprises dégageant des profits nets supérieurs ou égaux à Rs2 millions créer une fondation pour financer les projets sociaux, soit financer directement une ONG sans passer par le NCSRC.

Plus précisément, dans le premier cas, le gouvernement mauricien a prévu, via le NCSRC une procédure d’identification et d’accréditation des porteurs de projets. Le NCSRC tient donc une position centrale dans la lutte contre la pauvreté à l’île Maurice puisque par l’intermédiaire de l’accréditation des ONGs et de leurs projets, ils délimitent ceux qui pourront être financés.

La procédure d’accréditation repose sur une vérification des informations fournies par les ONGs par les officiers du NCSRC. Les conditions pour obtenir l’accréditation sont :

  • L’organisation doit être enregistrée auprès de la Registrar of Associations depuis au moins deux ans.

  • L’organisation doit avoir un statut à but non lucratif

  • Elle doit avoir exercé une activité sociale depuis au moins 2 ans

  • Elle doit exercer son activité au niveau local, régional ou national, et elle ne devrait pas avoir une activité sectaire et ne devrait pas discriminer sur la base de la race, la couleur de la peau, la religion et l’appartenance politique

  • Les coûts administratifs de l’organisation ne doivent pas excéder plus de 15 % du coût total des dépenses du budget du projet

  • L’ONG doit avoir des bilans comptables appropriés et doit soumettre des résultats financiers certifiés et audités

  • L’ONG ne devrait pas être impliquée dans des activités à caractère religieux, politique, de commercialisation et de marketing

Sur la base des informations fournies par l’ONG, si elle respecte les critères énumérés ci-dessus, l’accréditation peut être obtenue pour des projets si ceux-ci sont en cohérence avec les priorités de lutte contre la pauvreté définies par le gouvernement. Ainsi, par cette procédure, l’ONG accréditée peut demander des financements pour ses projets sociaux aux entreprises.

Cette procédure a l’avantage de réduire l’asymétrie d’information entre les entreprises et les ONGs. Les entreprises connaissant en effet généralement mal le milieu des ONGs. Elles savent donc par le biais de l’accréditation que toutes les ONGs dûment accréditées respectent un niveau de qualité suffisant pour mener à bien les projets proposés. Le NCSRC garantit donc aux entreprises que l’ONG est opérationnelle et fait preuve d’une bonne gestion des ressources. Cette procédure permet ainsi de réduire le classique phénomène de sélection adverse et réduit les coûts de transaction.

Dans le second cas, l’entreprise peut créer sa fondation ou sa propre ONG. Une fondation a en fait le statut d’une ONG. Elle doit être accréditée au NCSRC, mais elle n’est pas soumise aux mêmes conditions d’accréditation qu’une ONG indépendante de l’entreprise. Son accréditation est quasi immédiate. Elle peut alors financer ses propres projets sociaux ou ceux d’une ONG. De même, une fondation doit être enregistrée soit au ‘Registrar of Associations’, soit comme une entité charitable, soit comme un acte de fiducie.

Enfin, dans le troisième cas et afin de donner plus de souplesse, les entreprises peuvent aussi financer les projets des ONG non accréditées par le NCSRC sous le programme « Corporate Partner ». Une entreprise peut entrer en partenariat avec une ONG, le projet devenant celui de l’entreprise. Elle doit alors soumettre le projet pour validation au NCSRC. L’entreprise ne peut consacrer que 25 % de ces fonds CSR pour le financement des Corporate Projects.

Par ces nouvelles dispositions législatives, le gouvernement mauricien a ainsi créé un marché de la RSE, avec en son coeur un organisme de contrôle veillant à la qualité des porteurs de projets et à la canalisation des fonds vers ces porteurs de projets.

Défaillances dans le fonctionnement du marché de la RSE

Ce marché pose néanmoins un certain nombre de problème dans son fonctionnement actuel. Nous en discutons particulièrement trois ici.

Un financement encore peu dirigé vers les ONG

Le NCSRC dispose de toutes les informations sur le marché de la RSE, le nombre d’ONG accrédité, le nombre d’entreprises susceptible de financer les projets sociaux et les types de projets. Cependant, si la liste des ONG accréditées est affichée sur le site web de la NEF afin que les entreprises puissent facilement obtenir les renseignements sur les ONG en appelant le NCSRC, l’inverse n’est pas vrai. La liste des entreprises et les montants qu’elles consacrent aux projets ne sont pas divulgués. Une telle liste existe pourtant puisque la NCSRC effectue un recensement tous les 6 mois auprès des ONG pour déterminer si elles ont obtenu un « financement CSR ».

Cette situation a d’ailleurs donné lieu à une fronde de l’opposition politique qui a réclamé de la clarté et de la transparence en posant une question parlementaire au Ministre de l’Intégration Sociale et de l’Autonomisation Economique (MISAE), Suren Dayal, sur le financement des projets sociaux par les entreprises. Selon le ministre, entre juillet et décembre 2010, 183 ONG ont bénéficié de Rs143 millions[3]. Or, compte tenu des profits nets réalisés par les entreprises, Rs800 millions ont dû être collectés par le NCSRC, dont 50 % auraient dû aller vers les ONG. Ainsi, une part réduite des financements a été réellement affectée aux ONG et l’argent non consacré aux projets CSR a été versé au trésor public.

Cette défaillance du financement n’est pas due au manque de projets des ONG, mais à l’incapacité des ONG de connaître les entreprises qui peuvent contribuer effectivement à leur projet. Les entreprises limitent généralement leur financement aux seuls ONG qui ont pignon sur rue dans leur domaine d’activité et n’entreprennent pas de démarche auprès de plus petites ONG. Ces dernières ne pouvant connaître les financements potentiels ne sont pas en mesure de consacrer une partie importante de leur temps et de leurs ressources à la recherche des entreprises potentiellement porteuses de financement. Il est évident que dans un tel contexte, une transparence sur les entreprises qui financent qui et quoi permettrait à toutes les ONG de rapidement se positionner et d’améliorer nettement le système.

Un tri sélectif des ONG selon une appartenance communautaire

Cependant, on peut considérer que la limite décrite précédemment n’est pas liée spécifiquement et uniquement à un manque de transparence, mais aussi à un mode d’attribution des financements sur une base communautaire. Carter (1994) parle de l’île Maurice comme un pays où s’imbrique le social, la politique et la religion. Selon Taglioni (1999) « la partition en communautés ethniques et religieuses accentue les disparités ». En effet, l’île Maurice est un pays communal[4] (Gabriel, 1983), où chaque communauté cherche à protéger les ONG de sa communauté. Par conséquent, les entreprises de confession chrétienne financent les projets émanant des ONG chrétiennes notamment les grandes ONG issues de cette communauté comme Caritas, PILS, etc. Les musulmans financent les projets des ONG musulmanes et les hindous font de même. Les ONG de communautés chrétiennes aident en priorité les pauvres de ces communautés et de même pour les autres ONG. Alors que le guideline du NCSRC affirme clairement que les institutions religieuses ne seront pas accréditées, 31 ONG à caractère religieux ont été accréditées en 2011. Cependant, selon le NCSRC, ces institutions religieuses sont accréditées sur les projets sociaux qu’elles ont entrepris dans le passé et non sur leur caractère religieux.

Sur les 31 ONG, 10 sont musulmanes, 13 sont hindoues et 8 sont chrétiennes. Or ce sont les ONG chrétiennes qui reçoivent le plus de financement du fait de la prédominance du contrôle du secteur privé des entreprises par la communauté chrétienne. La faiblesse du financement dirigé vers les ONG est fortement imprégnée de ce biais communautaire. Les ONG agissant au sein des communautés musulmanes et hindoues sont délaissées. Cette situation n’est pas sans poser problème dans la mesure où les projets sociaux en faveur des pauvres portés par les ONG bénéficieront donc principalement aux pauvres chrétiens et pas aux autres. Ce biais risque à terme de provoquer des tensions entre les communautés.

Un tri sélectif selon les relations avec les partis politiques en place

Au tri communautaire des financements s’ajoute un tri politique qui n’est pas non plus sans poser problème. Le développement de l’économie mauricienne s’explique par la collusion entre le secteur public et privé (Bräutigam, 2005). Selon le journal le Mauricien du 1 décembre 2011, en citant le rapport de Transparency International, l’île Maurice a chuté de la 39ème place à la 46ème place dans la lutte contre la corruption. On peut en effet observer une tendance au rapprochement des ONG et des politiciens. Cette crainte est très palpable parmi les ONG qui veulent agir en toute indépendance sans qu’elles soient dans l’obligation de jouer un rôle social au profit des politiciens. Les discussions que nous avons eues avec les représentants des ONG confirment largement ce fait. Il semble en effet de plus en plus net que les ONG financées, sont soit proches d’un parti politique, soit sont directement créées par un politicien. Un nombre important d’ONG a été créé ces deux dernières années et ces ONG ont eu leur accréditation sans la moindre difficulté. Les représentants d’ONG indépendantes avec lesquels nous avons discuté voient dans cette inflation d’ONG la montée d’une concurrence déloyale dans la recherche des financements. Et ils affirment qu’il s’agit là d’une manière de récompenser les agents politiques des efforts réalisés lors des élections. Par ce biais, les politiciens s’accaparent les bénéfices sociaux des actions des ONG politisées et fidélisent la clientèle pauvre. Le travail social permet ainsi d’accroitre la popularité des partis politiques et en particulier des politiciens locaux. La politique est tellement présente dans l’environnement social qu’il est difficile de dissocier politique et social. Financer des ONG permet ainsi de les contrôler, les bénéfices étant évalués en termes de vote aux élections. Ce qui compte dans un tel contexte n’est pas forcément la lutte contre la pauvreté mais des actions sociales que les ONG peuvent mettre en oeuvre pour qu’elles puissent véhiculer une image positive. En effet, l’environnement politique à Maurice est très lié à l’environnement social et économique (Gabriel, 1983). Les élus politiques au niveau des villages et des villes jouent un rôle social important. Ils sont notamment très proches des villageois et des citadins, ils apportent des solutions à leurs problèmes personnels qui ne concernent pas forcément le village ou la ville, c’est notamment le cas pour le placement des personnes sur le marché du travail. Ce rôle social permet aux conseillers des villages et des villes d’avoir un pouvoir politique. Ce fonctionnement socio-politique est aussi une manière de conserver ou de maintenir le communalisme à l’île Maurice.

Discussion et conclusion

Dubbink et al. (2008) soulignent que la transparence est un élément déterminant de l’efficacité du marché de la RSE. Pour cette raison, ils considèrent que les mécanismes de commande et contrôle qui donnent une place prépondérante à l’Etat ou les mécanismes d’incitation qui se fondent sur le volontarisme des entreprises sont généralement insuffisants et inefficaces pour promouvoir les actions responsables des entreprises vis-à-vis de la société. Ils considèrent que l’autorégulation de ce sous marché est la solution la plus adaptée dès lors que des agents intermédiaires fournissent une information fiable et de qualité.

Dans le cas mauricien, la création par l’Etat du NCSRC constitue une tentative de fluidifier le marché de la RSE en centralisant les offres et demandes. Cet organisme fournit une assurance sur la qualité de l’information concernant les ONGs offreuses de projets à financer, donc demandeuses de RSE. Cependant, ce cas permet aussi de relever plusieurs difficultés lors de la création d’un tel marché. Ces difficultés peuvent être discutées à la lumière des trois critères d’évaluation proposés par Dubbink et al. (2008) : l’efficience, la liberté et la vertu.

Tout d’abord, l’information est univoque, elle ne concerne que celle relative aux ONGs et pas celle sur les entreprises. De ce point de vue, le système mis en place provoque une asymétrie entre offreurs et demandeurs qui nuit à l’équilibre de ce marché.

Ensuite, le marché est contraint côté offre de responsabilité en raison de l’obligation faite aux entreprises de participer à hauteur de 2 % des profits nets sur des projets relatifs aux priorités définies par le gouvernement. La liberté des entreprises d’affecter leur financement aux projets qui leur semble le plus adapté à leur démarche est ainsi restreinte; ce qui les conduit à payer leur contribution au Trésor public plutôt qu’au développement d’un projet. En revanche, du côté ONGs, cette incitation sur des programmes prioritaires peut les pousser à proposer des projets conformes à ces programmes en abandonnant d’autres types de projets. Un déséquilibre entre offre et demande de responsabilité se produit avec une insuffisance d’offre et une abondance de demande.

Enfin, le cas mauricien souligne qu’un marché est toujours encastré dans un contexte social duquel il ne peut s’abstraire totalement. L’objectif d’un tel marché est de renforcer le comportement vertueux des acteurs, particulièrement des entreprises. Or, l’encastrement social du marché, associé aux déséquilibres précédents, poussent les entreprises à procéder directement par la création de leur propre fondation ou ONG. De nombreuses ONGs ont ainsi été fraîchement accréditées. Bien que la date d’accréditation ne soit pas rendue publique, il est facile de déterminer approximativement l’année d’accréditation en fonction du numéro d’accréditation qui suit un ordre croissant. Or de très nombreuses ONGs récentes émanent directement des entreprises. Cette stratégie des entreprises ne permet pas de couper court au tri communautaire et au tri politique. D’une part, les entreprises restent très marquées par leur référence communautaire, on l’a dit essentiellement dominé par les chrétiens. D’autre part, les imbrications entre les grandes entreprises qui ont la capacité de créer leur propre ONG et les politiques sont assez étroites pour que la récupération politique des actions de lutte contre la pauvreté se réalise encore.

Au total, les perdants sont les ONGs de petites tailles qui semblent de plus en plus obligées de faire allégeance à un mouvement politique afin de garantir leur survie. Le marché de la RSE devient une sorte de second marché politique financé par les entreprises sous la contrainte législative.

Dans ces conditions, il apparaît nécessaire d’envisager deux changements sur ce marché afin d’assurer à la fois une plus grande transparence source d’efficacité et une plus grande liberté source d’équilibre. D’une part, il conviendrait pour le NCSRC de fournir aussi l’information sur les financements disponibles côté entreprise pour les ONGs. D’autre part, les projets ne devraient pas être limités aux priorités établies par le gouvernement.