Article body

Problématique et objectifs de recherche

Les organisations publiques de la plupart des pays de l’OCDE ont subi à des degrés divers d’importantes réformes d’inspiration gestionnaire (Hood et Peters, 2004; Pollitt et Bouckaert, 2009). Ces réformes ont contribué à façonner un environnement post-bureaucratique hybride, marqué par une convergence entre les valeurs et principes de management publics et privés (Emery, Wyser et Sanchez 2007). En matière de Gestion des ressources humaines (GRH) publiques plus spécifiquement, les statuts de la fonction publique suisse ont été profondément revisités, rapprochant les conditions de travail à celles du secteur privé (Bellanger et Roy 2013; Emery et Martin, 2010). Dans le même temps, la révision des statuts dans la fonction publique en France s’est heurtée à une vive résistance (Quinn et Rohrbaugh, 1983; Rouban, 2014). Malgré cela, une évolution notable du nombre de « contractuels » a permis une ouverture du marché de l’emploi public, également source d’hybridation des valeurs et des pratiques de management (Jeannot et Rouban 2009; Rouban 2010).[1] La conséquence prévisible de ce rapprochement public-privé est un besoin accru de positionnement de l’employeur public face aux employeurs du secteur privé, mais également face à d’autres employeurs publics. Un positionnement qui nécessite la mise en évidence de caractéristiques positives susceptibles d’attirer les bons candidats. Cette tendance à définir et valoriser les atouts spécifiques de l’employeur public (marque employeur (ME) ou Employer Branding) (Ambler et Barrow, 1996; Backhaus et Tikoo, 2004) se fait également en référence aux attentes évolutives des fonctionnaires ou employés publics (Emery et Giauque, 2012), afin de les intégrer dans une forme révisée du Contrat psychologique, augmentant ainsi le pouvoir d’attraction des organisations publiques et les possibilités d’identification organisationnelle des futurs employés (Lemire et Martel, 2007; Ashforth et al., 2013).

Nous avons choisi d’aborder ces questions en adoptant un point de vue régional, plus précisément du bassin lémanique en Suisse et des départements limitrophes français. La proximité linguistique, géographique ainsi que certains liens historiques entre la Suisse et la France permettent une comparaison interrégionale, alors que les visées politiques des gouvernements respectifs à créer cet espace commun du Grand Genève[2] continuent d’alimenter le débat public (Pierson, 1994; Martin, 2002). De plus, les différences institutionnelles entre ces deux pays et leurs impacts sur les processus d’embauche constituent un angle de discussion intéressant (cf. infra 4.1).

Dans cet article, nous souhaitons comprendre (1) Comment les organisations publiques arrivent aujourd’hui à attirer et retenir les candidats dans un contexte de concurrence accrue sur le marché de l’emploi ? (2) Quels principaux atouts sont mis en avant, et quelles pratiques sont mobilisées pour valoriser la « marque employeur » ?

Après une revue de littérature portant d’une part sur la ME comme stratégie d’amélioration de l’attractivité des employeurs publics, et d’autre part sur les nouvelles attentes des employés (publics) comme expression d’un contrat psychologique en pleine évolution, nous détaillons la méthodologie suivie pour cette recherche, présentons et discutons ensuite les résultats, avant d’arriver aux principales conclusions et pistes de recherche.

Revue de littérature

Le concept au centre de la présente recherche est celui de la Marque employeur (ME), ou Employer branding (EB). Nous verrons ci-dessous que la ME consiste à mettre en avant des atouts distinctifs de l’employeur, pour que son attractivité opère auprès des recrues potentielles, tout en répondant à leurs attentes actuelles, thème traité en mobilisant la notion de (nouveau) Contrat psychologique, comme le font de nombreux auteurs travaillant sur la ME (Edwards, 2009).

La marque employeur dans le secteur public

Hérité du marketing relationnel (Backhaus et Tikoo 2004; Ambler et Barrow 1996), la ME est un concept de plus en plus transposé au marketing du personnel (Charbonnier-Voirin, 2015; Goujon-Belghit, Gilson et Bourgain, 2015; Girard, Fallery et Rodhain, 2011). Au centre de la ME se trouve la capacité de l’employeur à mettre en avant les qualités distinctives qui expriment ses valeurs et sa culture propres, sa stratégie et les choix qui en découlent, ainsi que ses conditions de travail susceptibles de le différencier de ses concurrents (Backhaus et Tikoo 2004; Emery et Giauque; 2016; Sydow, Schreyögg et Koch, 2009).

Dans cette optique, l’employeur s’apparente à une marque à la recherche d’une relation durable avec l’employé (considéré comme un client), fondée sur la confiance, la loyauté et la satisfaction liées à la consommation dudit bien. La ME s’inscrit ici dans la relation d’emploi ou l’expérience employé (Levêque 2013; Emery et Giauque, 2005b). La communication autour d’une ME met en avant le fait d’être un « employeur de choix », une stratégie de longue date pour certaines fonctions publiques, notamment au Canada (OECD, 2011).

L’expérience employé est de ce fait formulée comme proposition de valeur de l’employeur en échange de la fidélité et des performances actuelles ou futures de l’employé. L’Employer Value Proposition (EVP) réunit ainsi en une offre unique l’ensemble des caractéristiques tangibles (matérielles) et intangibles (valeurs et principes entourant les modalités de travail) de l’organisation (Barrow et Mosley, 2005). Dans la conception originelle d’Ambler et Barrow (1996), ces valeurs sont fonctionnelles, économiques et psychologiques. Mais étant donné la tendance au mimétisme entre organisations publiques et privées, l’unicité de l’employeur public commence à s’estomper (Buffat, 2014), renforçant le besoin de positionnement sur le marché de l’emploi. Dans le cadre de ce positionnement, la Marque organisationnelle (Corporate branding) et la Marque employeur plus spécifiquement s’allient (Stuart et al., 2013) pour contribuer à l’image globale et à la réputation organisationnelles (Elving et al., 2013). Il va sans dire que plus la ME est profilée, plus les recrues potentielles peuvent se projeter dans les éléments associés à cette ME, laissant augurer une possible identification à l’employeur, en fonction de la congruence « Personne – Organisation » (person-organization fit, PO-fit ou voir (Steijn, 2008). Une congruence qui opère avant tout au niveau des valeurs, mais aussi plus concrètement au niveau de la responsabilité sociale envers les employés, la communauté, l’environnement, la qualité des prestations offertes, etc. (Edwards 2009; Elving et al., 2013).

Plusieurs échelles de cette attractivité de la ME ont d’ailleurs été établies à l’image de l’Employer attractiveness Scale de Berthon et al. (2005). Cette dernière, basée sur les dimensions identifiées par Ambler et Barrow, comprend 25 items regroupés en cinq dimensions (intérêt pour les produits/services de l’organisation, environnement social et relationnel, avantages offerts, possibilités de développement et confiance/aisance à travailler dans cette organisation[3]). D’autres auteurs complètent ces dimensions (voir par ex. Elving, 2013), notamment par la responsabilité de l’entreprise, un environnement de travail innovant et un soutien organisationnel. La ME est ainsi devenue au fil du temps, de l’avis de certains auteurs, le nouveau langage de la performance organisationnelle qui permettrait de combler le déficit d’image des organisations (Corporate, cf. supra) auprès du grand public (Emery et Giauque, 2014; Ambler et Barrow, 1996). Cela dit, peut-elle être réalistement mobilisée dans et par les organisations publiques ?

À ce stade, nous relevons que les employeurs publics suisses[4] tout comme français[5], cherchant à être compétitifs sur le marché de l’emploi, sont en quête de pratiques RH susceptibles de valoriser leur potentiel stratégique (donc leur attractivité). Dans un contexte de managérialisation des administrations publiques françaises (Bezes, 2008), le recours à des employés contractuels est appelé à être progressivement renforcé, tout comme l’extension des pratiques de gestion héritées du privé, même si des efforts en cours visent à leur éviter une précarisation structurelle, notamment pour ce qui concerne les niveaux de salaires et la possibilité d’évoluer vers le statut de fonctionnaire.[6] Sans manquer d’outils pour recruter[7], le secteur public, en France comme en Suisse, peine souvent à atteindre les candidats exceptionnels, ou simplement les plus qualifiés, chassés également par les concurrents du secteur privé, ou d’autres employeurs publics bénéficiant d’une marque organisationnelle plus attractive que les services de l’État. Mais ces différents atouts, s’ils ne s’inscrivent pas dans une stratégie de développement de la ME, répondent-ils néanmoins aux (nouvelles) attentes des employés publics ?

Nouveau contrat psychologique dans le secteur public : quelles attentes face aux employeurs ?

Selon les recherches en psychologie du travail, l’attractivité de l’employeur tend en général à reposer notamment sur sa réputation et sa rentabilité (Prieur, 2012). Edwards précise que le critère de rentabilité ne se vérifie que pour les organisations à but lucratif (Emery et Giauque, 2005a), alors que dans le secteur public, c’est davantage la sécurité de l’emploi réputée garantie (France) ou élevée (Suisse) qui fait foi (Bellanger et Roy, 2013). La satisfaction de ces attentes est susceptible d’attirer les nouvelles recrues, mais de nombreux autres facteurs, théorisés dans le concept de Contrat psychologique, peuvent également y contribuer (Elving et al., 2013). Résultat des pratiques de GRH et de leadership, notamment celles liées à la ME (McDermott et al., 2013), le Contrat psychologique (CP) se définit comme un ensemble d’attentes tacites entre une organisation et ses employés, composé plus précisément de promesses et d’obligations réciproques (Robinson, 1994). Le plus souvent étudié sous l’angle de l’employé, le CP analyse la plus ou moins grande capacité des employeurs à remplir les attentes du personnel, lesquelles vont bien au-delà du contrat juridique à proprement parler. Ceci dans la mesure où le degré de réalisation de ces attentes est constamment, et de façon dynamique, réévalué par les parties prenantes (Robinson et Morrison, 2000; Abord de Châtillon et Desmarais 2012; Rossano, Abord de Chatillon et Desmarais, 2015).

Dans le même temps, la plupart des travaux relèvent que le passage d’un environnement bureaucratique à un environnement post-bureaucratique peut affecter le CP (Lemire et Martel, 2007; Lemire et Saba 2005). Ainsi, ce qu’il convient d’appeler « le nouveau contrat psychologique » opère dans un horizon temporel réduit, selon une logique de court terme. En particulier, l’employeur offre des possibilités d’apprentissage et de développement à ses employés en échange de leur contribution et de leur engagement au travail. Une dimension formationnelle qui tend à dépasser la dimension relationnelle du CP basée sur la fidélité à long terme (Lemire et Martel, 2007).

Faisant écho à ce constat, de nouvelles attentes se développent dans l’environnement actuel, notamment auprès de la génération « Y », pour laquelle la centralité de la valeur travail est en diminution (Beigbeder, 2014; Lalive d’Epinay, 1988). Une enquête réalisée en Suisse auprès de futurs juristes de la génération « Y » révèle les trois attentes suivantes citées par ordre d’importance (Widmer, 2010) : un bon climat de travail (62 %); un travail varié et stimulant (61 %); un équilibre entre vie privée et vie professionnelle (58 %). Ces résultats complètent ceux tirés de l’enquête Universum 2014[8] sur une population d’ingénieurs et d’étudiants en commerce français mettant en évidence les attentes suivantes en matière de carrière : un équilibre entre vie privée et vie professionnelle (61 %), un travail compétitif et intellectuellement stimulant (49 %), et un climat de travail stable et sécurisant (33 %). La seconde attente illustre la recherche de sens, la poursuite d’objectifs et de valeurs ne s’inscrivant pas seulement dans une vision fonctionnaliste de l’organisation. Un argument repris par Kryger et al. (2009) pour proposer une approche renouvelée de la ME, basée sur la durabilité économique, sociale et environnementale (Emery, 2016). Edwards et al. (2009) mettent également en exergue cette dimension (ideological currency), saisissant ainsi les engagements pris par l’organisation pour défendre une cause ou certains principes particuliers. On peut supposer que cet « atout » devrait être associé à la ME des organisations publiques, afin de mieux répondre à la motivation au service public (Steijn, 2008) et à la recherche de sens et d’utilité publique qui la sous-tendent. En résumé, le CP implique une relation employeur-employé fondée sur des contenus transactionnels, relationnels, formationnels et axiologiques, proches de ceux traités par la littérature sur la ME. Mais comment cet ensemble de pratiques issues du marketing privé, s’applique-t-il aux organisations publiques du « grand Genève » ?

Méthodologie

Approche épistémologique

Cette recherche mobilise un design qualitatif exploratoire construit autour d’une trame épistémologique constructiviste et interprétative. Elle accorde de ce fait une place importante à la subjectivité des acteurs, dans les interactions sociales et organisationnelles auxquelles ils prennent part, en l’occurrence selon leur position en tant que gestionnaires ou responsables RH. Sur la base d’entretiens non directifs (Michelat, 1975), l’examen des perceptions individuelles permet de mieux appréhender la manière dont ces acteurs vivent et transforment leurs cadres de travail, malgré une surdétermination a priori de leurs environnements organisationnels (Creswell, 2008). En ouvrant le champ des possibles, l’approche permet entre autres de répondre à la question de savoir comment les organisations publiques interrogées attirent et retiennent les candidats qui les intéressent sur leur bassin d’emploi, interne ou externe au niveau national (Miles, Huberman et Saldana, 2013). Dans la présente étude, nous avons veillé à minimiser nos biais de chercheurs par un codage systématique dans une grille d’analyse, avec des catégories prédéfinies, en fonction des questions de recherche. Chaque fois que nécessaire, nous avons élargi nos sources d’information en consultant la communication institutionnelle des organisations ou en analysant leurs offres d’emploi (Neumann, 2003).

Échantillon et déroulement des entretiens

Dix-sept agents occupant des postes de niveau managérial chez différents employeurs publics du bassin ont participé à cette étude[9]. Les personnes sélectionnées, avec l’idée de maximiser la variabilité des situations, sont impliquées dans la mise en oeuvre des politiques de GRH, en tant que Responsable de processus, ou Responsable hiérarchique, avec une partie du cahier de charges liée au recrutement. Le Tableau 1 ci-dessous synthétise l’information sur les personnes et organisations consultées. On y constate que les répondants suisses travaillent en majorité au niveau cantonal. Six des répondants français sur un total de dix sont issus de la fonction publique territoriale, deux proviennent d’entreprises publiques, les deux autres étant agents de la fonction publique hospitalière. Le nombre total d’entretiens, pour lesquels l’anonymat a été garanti, a été déterminé par l'atteinte d›une saturation suffisante des arguments avancés (Dumez, 2016; Mucchielli, 2009).

Les discussions ont porté sur la perception qu’avaient les acteurs de leur attractivité, leur positionnement relatif vis-à-vis des concurrents, et les outils mobilisés dans la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC). Les stratégies de communication et de promotion de ces atouts, ainsi que le rôle spécifique joué par la qualité d’employeur public ont également été discutés.

Tableau 1

Fonction, organisation et localisation des répondants

-> See the list of tables

Techniques de codage et d’analyse

Les entretiens, d’une heure en moyenne, ont été enregistrés et codés selon les catégories suivantes : Atouts de l’employeur, Valorisation de la ME et Concurrents sur le marché de l’emploi. Les discours des répondants, faisant à la fois fonction de communication et de processus, et permettant d’apporter des réponses aux questions principales, ont été systématiquement affectés aux catégories de la grille de recherche. Les regroupements issus de l’analyse ont ainsi permis de mettre en évidence dans un premier temps les atouts distinctifs des employeurs étudiés au sein du même bassin d’emploi (Huberman, Miles, et De Backer, 1991; Wolcott, 1992) et les méthodes utilisées pour valoriser ces atouts. Dans un second temps les différents lieux de prospection de candidats, ainsi que les principaux concurrents, ont été comparés.

L’analyse documentaire permettant de compléter les informations récoltées a conduit vers la consultation de différentes sources mobilisées dans la communication institutionnelle des différents employeurs publics, c’est-à-dire les rapports annuels, articles de presses ou journaux internes, sites internet etc.

Les résultats ci-après présentent les similitudes et différences les plus marquantes, même si la variabilité des situations, dans un même pays, reste grande selon les employeurs consultés. À noter que la méthode suivie ne permet pas d’affirmer que les pratiques mentionnées sont effectivement mises en oeuvre.

Résultats

Bref rappel des contextes Suisse et Français de l’emploi public

La fonction publique suisse est dite ouverte car elle offre la possibilité à toute personne, répondant aux critères de sélection identifiés comme pertinents de postuler à un emploi, sans passer préalablement un concours d’entrée. Dans ce contexte, le nombre élevé de travailleurs frontaliers dans les services publics genevois suscite continuellement la polémique, sous l’impulsion dominante du parti politique « Mouvement citoyen genevois » (MCG)[13]. En considérant le nombre de demandeurs d’emploi inscrits au service public de l’emploi (ORP), le gouvernement a décidé qu’il était important de donner la priorité à ces demandeurs d’emploi, avant de recruter sur le marché. Concrètement, cela signifie qu’en cas de recrutement, l’annonce doit être adressée en priorité aux services publics de l’emploi genevois; avant d’être, après un délai de 10 jours, publiée sur les canaux usuels de recrutement externes.

En raison de la forte centralisation, les employeurs publics français quant à eux, n’ont pas le choix des canaux pour publiciser leurs offres d’emploi. On retrouvera donc pour chaque échelon de la fonction publique (d’État, Territoriale ou Hospitalière) un canal institutionnel dédié ou transversal dont l’objectif est d’offrir une plateforme centralisant les offres d’emploi. Les Centres de gestion par exemple, ont pour mission d’aider les acteurs territoriaux à faire face à leurs problématiques RH. Le postulant potentiel dans le bassin peut provenir de n’importe quelle partie du territoire français, surtout s’il a le titre d’agent de la fonction publique, obtenu sur concours.

Enfin, la zone frontalière française bénéficie d’une proximité à double tranchant avec la Suisse, faisant mécaniquement baisser le taux de chômage tout en entravant sérieusement l’attractivité des administrations publiques côté français. L’attrait pour la Suisse s’avère élevé malgré un droit du travail public moins protecteur. Les marges de manoeuvre des gestionnaires RH publics en France voisine restent ainsi minces, la relation d’emploi dans le public étant régie par un cadre légal rigide s’appliquant uniformément à tous.

Principaux atouts mis en avant par les employeurs suisses et français

Arguments convergents entre les deux pays

Citons tout d’abord le sens lié à la mission publique : l’intérêt public de l’activité. Nombre de nos interlocuteurs suisses l’ont mis en avant comme compensation à défaut de se voir offrir un niveau de rémunération réellement compétitif[14] face au secteur privé. Les valeurs et missions de service public viennent ensuite parmi les raisons évoquées par tous les participants de l’étude. EFR3 cite le cas de ce candidat qui déclarait « même à salaire plus attractif je n’irai pas dans le privé parce que j’aime mon métier, parce que je rends service aux gens, parce que j’ai cette notion de service public. »

Aussi fréquemment mises en avant chez la plupart des employeurs sont les possibilités, généralement développées, de formation professionnelle et continue, par une offre étoffée et des budgets souvent importants. C’est dire que l’une des attentes essentielles que les candidat-e-s expriment actuellement - le développement des compétences (Widmer, 2010; Lemire et Martel, 2007) - est parfois généreusement prise en considération (surtout en Suisse). En France également, les employeurs qui ont la réputation d’investir dans la formation et le développement des compétences semblent de loin parmi les plus attractifs. On rencontre dans certaines administrations un plan de formation, abouti et détaillé, qui laisse entrevoir au candidat la perspective d’une meilleure employabilité, en particulier dans le milieu hospitalier. EFR4, pour souligner la qualité des formations offertes aux infirmières dans son établissement, annonce à ce propos : « Une infirmière en Suisse est une bonne aide-soignante en France. » Ceci pour souligner que, de son point de vue, le niveau d’une infirmière en Suisse équivaut à celui d’une aide-soignant bien formée en France; l’infirmière française étant, dans ce cas, perçue comme plus compétente que son homologue suissesse.

Directement en rapport avec la thématique de la formation vient celle du développement de carrière. C’est ce que rappelle EFR8 lorsqu’il stipule :

« L’attractivité c’est par exemple le déroulement de carrière. On garantit ou pas un déroulement de carrière… pour chaque poste le grade auquel le candidat peut accéder ou pas. C’est à dire que le mec quand il rentre chez moi, il sait exactement jusqu’où il peut aller ou pas, et s’il veut continuer à progresser, on l’aide à passer les concours nécessaires (…) il a une vraie visibilité sur ce que la collectivité peut lui apporter, et en conséquence ce qu’il apporte à la collectivité. »

Pour contrer l’image négative associée à l’employeur public, plusieurs employeurs suisses mettent en avant le style de leadership ainsi que les valeurs du service public. Il s’agit de privilégier un fonctionnement moins hiérarchique et vertical favorisant le dynamisme, la flexibilité, la confiance, la transversalité, la responsabilisation du personnel et la prise d’initiative etc. Parallèlement, les employeurs français estiment que le style de management pratiqué dans l’organisation constitue une bonne publicité pour l’organisation, comme l’exprime EFR7 en affirmant que « les employés bien traités deviennent les ambassadeurs de l’organisation en dehors des murs ».

Les conditions matérielles d’emploi (rémunération au sens large, sécurité de l’emploi etc.[15]) ne sont pratiquement pas thématisées dans les messages formels de recrutement en Suisse, comme si elles étaient connues ou supposées connues de tous. En particulier lorsqu’il s’agit de candidat-e-s en provenance de France, l’argument des salaires « va de soi », il n’est pas besoin de le mentionner. Mais comme le souligne l’un de nos interlocuteurs, « le projet de venir en Suisse ne doit jamais être un projet financier », relevant ainsi que c’est le travail lui-même, les responsabilités confiées, qui devraient en priorité être motivantes. Côté français, ces conditions prennent la forme du régime indemnitaire ou du paquet salarial, souvent évoqués par nos interlocuteurs comme des atouts pouvant faire la différence. Près de la moitié d’entre eux estime en effet que le régime indemnitaire, les primes ainsi que d’autres avantages introduits dans le paquet salarial (prévoyance, santé, tickets restaurant, chèques vacances etc.) contribuent pour beaucoup à leur attractivité. Tout en reconnaissant que les employeurs Suisses sont de sérieux concurrents, EFR8 trouve que « la Suisse n’est pas qu’un poids, c’est aussi un moteur », dans la mesure où la proximité avec la Suisse peut parfois être aussi instrumentalisée dans la proposition de valeur de l’employeur. Pour l’employeur français, c’est en effet un plus que d’annoncer au candidat que son/sa conjoint (e) pourrait trouver un emploi en Suisse, permettant ainsi au ménage d’améliorer ses revenus.

Arguments spécifiques des employeurs publics suisses

En Suisse, certains de nos interlocuteurs insistent sur le fait que « la fonction publique doit également attirer des profils différents », notamment les personnes ayant eu des expériences préalables dans le secteur privé (Davoine et al., 2011).

Plusieurs répondants relèvent l’excellente image dont leur organisation bénéficie sur le marché de l’emploi du Grand Genève (et parfois au-delà). À cela s’ajoute l’atout de l’organisation qualifiante, de par la diversité des métiers et fonctions exercées en son sein, liée à la complexité de l’action publique. En outre, une expérience de management dans le secteur public peut potentiellement devenir un avantage comparatif sur le marché du travail (Zarifian, 1994). Comme le résume une des personnes interrogées (ECH5) : « il se passe quelque chose dans le secteur public, et ça commence à se savoir…et cela peut devenir un atout, dans une carrière, aussi pour aller dans le privé « .

Dans un registre tout à fait différent, certains mettent en avant la santé et le bien-être au travail, domaines se traduisant par diverses pratiques de prévention du stress et des maladies professionnelles, et permettant d’améliorer le vécu et le confort à la place de travail. Ces questions restent liées à la problématique de léquilibre entre vie professionnelle et personnelle. (Widmer, 2010). Pour plusieurs de nos répondants, les offres flexibles de gestion des horaires, des vacances et des congés (payés ou non), ainsi que les possibilités étendues de télétravail sont des pratiques nécessitant un changement de culture, dans une Suisse marquée par l’importance de la valeur travail (Turansky et Rousson, 2001).

Un registre encore moins fréquemment mobilisé est celui de la modernisation des espaces de travail. Il consiste à repenser la logique des bureaux pour en faire des espaces à fonctionnalités multiples, répondant ainsi aux besoins des employé-e-s, en jouant autant sur les configurations ergonomiques que les couleurs utilisées.

Quelques personnes mentionnent une organisation à visage humain dans un monde du travail de plus en plus dur et exigeant. Cette orientation peut alors signifier une ambiance plus détendue au travail, loin des obligations de rentabilité du privé, soit un employeur « respectueux du personnel, où chaque personnalité trouve sa place. » (ECH4). Pour certains profils très rares, exerçant des responsabilités supérieures, il existe de véritables services d’accompagnement à la mobilité (déménagement, prise en charge des procédures administratives etc.), mais qui demeurent naturellement l’exception, en raison des difficultés financières dans le secteur public.

Arguments spécifiques des employeurs publics français

En France, le cadre de vie est un élément important dans la décision de candidater. Le bassin d’emploi Franco-Valdo-Genevois, situé dans une région de montagne, offre une belle carte postale[16] faisant l’objet de certains « fantasmes » chez les candidats. Les employés potentiels de ces administrations ne tiennent en effet pas suffisamment compte de la cherté du coût de la vie dans les villes jouxtant la frontière franco-suisse. Certains employeurs hésitent donc à utiliser ce cadre de vie comme principal argument d’attractivité.

Les agents publics côté français sont également en quête de développement personnel et professionnel au travail. Le dynamisme économique du bassin, avec le lancement de projets tels que la construction de la ligne de transport CEVA, favorise entre autres l’attractivité de la région et de ses employeurs. Ce dynamisme représente un véritable stimulant pour l’emploi et pour le rayonnement du bassin. Chez les employés contractuels ou faiblement/non diplômés, c’est aussi la possibilité de passer plus facilement au statut de fonctionnaire sans concours, et donc d’évoluer vers de moins en moins de précarité.

Dans l’éventail des possibilités offertes aux employeurs français trônent le régime indemnitaire et le paquet de rémunération ou encore d’autres formes d’avantages en nature. Il s’agit d’une composante supplémentaire du salaire qui peut parfois faire la différence. Les employeurs publics savent aussi que malgré la rude concurrence avec le secteur privé, les employés qui privilégient le régime des retraites sont plus susceptibles de faire le choix de travailler pour une organisation publique. Ce sont en effet les vingt-cinq meilleures années de travail qui sont prises en compte dans le calcul de la pension de retraite en France.

Au titre de la conception et de l’organisation du travail, la flexibilisation du temps de travail se traduit dans certains cas par un temps partiel « donné » ou la possibilité du télétravail, voire de travailler dans un espace spécialement aménagé en dehors des murs de l’organisation (co-working). Cette flexibilisation marque l’émergence d’un style nouveau de management cherchant à s’ajuster aux nouvelles attentes des jeunes générations.

Les atouts principaux des employeurs français et suisses ont été regroupés, dans le Tableau 2 suivant, en quatre catégories : les conditions matérielles d’emploi et le soutien organisationnel; les valeurs et le sens de la mission publique; le style de leadership et la gestion des ressources humaines; ainsi que le développement personnel et professionnel. On peut y remarquer en gras les atouts communs aux deux pays.

Tableau 2

Principaux atouts des employeurs du bassin

Principaux atouts des employeurs du bassin

-> See the list of tables

Principaux concurrents identifiés sur le marché de l’emploi par les organisations publiques

Logiques convergentes de concurrence entre la Suisse et la France

Certaines logiques restent identiques entre les employeurs publics suisses et français dans leur profilage stratégique. Il s’agit d’abord d’une logique de proximité géographique, qui place dans les deux cas l’employeur privé en haut de la liste[17]. Dans un deuxième temps, une logique sectorielle de concurrence existe entre les organisations publiques oeuvrant dans les mêmes domaines de compétence.

En Suisse, la logique de proximité géographique se révèle dans la concurrence que se livrent les employeurs publics ou semi-publics du Grand Genève. Cette concurrence n’est pas importante mais opère pour toutes les fonctions qui se retrouvent dans la plupart des organisations, en particulier les fonctions dites de support. En France, d’autres collectivités en quête des mêmes compétences, et donc à la recherche des mêmes profils de candidats, peuvent rivaliser. EFR7 avance même que certaines collectivités « volent les bons candidats ».

Logiques divergentes de concurrence entre la Suisse et la France

Un premier constat ressort très clairement : les employeurs actifs en France ne sont quasiment jamais mentionnés en tant que concurrents sur le marché de l’emploi public suisse. Cependant, le bassin élargi de l’emploi suisse concerne aussi les organisations publiques ou privées internationales pour des fonctions très pointues, des profils spécialisés ou davantage managériaux.

Il est intéressant de relever, en lien avec la question de l’image de l’employeur public évoquée ci-dessus, que « le plus gros concurrent peut être nous-même » selon l’un des répondants suisses, car les personnes attirées par son organisation ne le sont souvent pas pour les motifs liés à la motivation et aux projets confiés, mais pour les conditions matérielles d’emploi au sens large; ce qui conduira ECH3 à remarquer que [malheureusement] « notre organisation est perçue comme un employeur tranquille, un peu planplan… ».

En revanche, les concurrents principaux des employeurs publics français sont les employeurs suisses des cantons de Genève et du pays de Vaud, qui attirent un profil de travailleurs plutôt bien formés, entre 30 et 45 ans, séduits par la variable salariale. Les métiers les plus en tension se rencontrent dans le médical ou l’industrie. Malgré cette concurrence, certains employeurs du secteur public français semblent tempérer la situation : « la Suisse n’est pas qu’un poids, c’est aussi un moteur, et toute la difficulté qu’on a actuellement, c’est de réussir à mettre en synergie nos deux territoires… » Interrogée sur l’éventualité que le statut social de fonctionnaire, lequel garantit tout de même la sécurité de l’emploi, puisse compenser les avantages pécuniaires offerts en Suisse, EFR3 fait le commentaire suivant : « Aujourd’hui le statut social ne suffit plus à compenser cela (évasion vers la Suisse); pour une raison très simple c’est que le statut protège, donc les gens se mettent en disponibilité. Donc ils savent qu’ils ont toujours la possibilité de revenir côté France. Donc ça les sécurise; (…) cette sécurité a plutôt tendance à les assurer qu’ils peuvent revenir ».

Comme on peut le voir, les employeurs publics français se trouvent dans une logique opposée à celle de leurs homologues suisses sur la question de la concurrence comme entrave à leur attractivité. Leurs activités de prospection sont limitées au territoire français pour des raisons évidentes de moyens et les restrictions nationales à l’accès au statut de fonctionnaire. Côté suisse, l’autonomie managériale grandissante en matière de stratégies RH et les conditions de travail offertes accordent (Giauque, Resenterra et Siggen, 2009) une plus grande flexibilité, par rapport à l’unicité du statut français (Bellanger et Roy, 2013). Une différence qui interpelle quant aux stratégies utilisées des deux côtés afin de profiter d’atouts dont ne disposent pas les concurrents.

Stratégies des employeurs suisses et français (modes de prospection et valorisation des atouts, ME)

Convergences entre les deux pays

Outre les canaux classiques utilisés de part et d’autre de la frontière (annonces de presse/media et sites web spécialisés, foires/salons d’emploi, réseaux de recrutement spécifiques, voire chasseurs de tête pour les postes de direction), les employeurs suisses comme français s’intéressent de plus en plus aux réseaux sociaux (LinkedIn figurant en bonne place), souvent pour mieux se faire connaître du public que pour recruter en tant que tel. Ces espaces leur sont utiles pour communiquer sur les valeurs, leurs pratiques, le sens et l’intérêt publics de leurs actions (Gioia et Chittipeddi, 1991). L’efficacité et les coûts comparativement modestes de ces technologies internet les rendent de plus en plus populaires, même si une stratégie forte d’attraction et de sélection des talents (Schneider, Brent et Goldstein, 2000), mobilisant les nouveaux médias de communication, peine à se dessiner.

Divergences constatées entre les deux pays

Malgré les points de convergence présentés ci-avant, nombre de stratégies demeurent spécifiques à chaque pays. Côté français, les employeurs cherchent à mieux faire connaître leurs métiers en se faisant accompagner notamment par les Centres de gestion au niveau départemental, et en mobilisant leurs réseaux de partenaires dans l’espoir de dénicher les agents les plus « fiables ». Les primes et le régime indemnitaire s’ajoutent au paquet salarial, mais comme la santé financière n’est pas toujours au rendez-vous côté français, l’accent est davantage placé sur la communication des valeurs partagées du service public; en particulier à l’endroit des agents de catégorie « C » occupant souvent le bas de l’échelle salariale.

L’employeur suisse se démarque notamment par l’aide à la mobilité et à la recherche d’emploi pour le conjoint, ainsi que par la mise en place d’un processus simplifié de recrutement. Ainsi épurée des lourdeurs administratives typiques des organisations publiques, cette simplification prend tout son sens dans un contexte où le ticket d’entrée se fonde prioritairement sur la compétence, nécessitant de se montrer réactif sur le marché du travail. Cela dit, plusieurs des personnes rencontrées en Suisse précisent que l’état d’esprit du recrutement devrait changer, d’une approche plutôt passive actuellement, à une attitude de prospection active. Sauf sur certains postes critiques pour le bon fonctionnement de la collectivité (électriciens, ingénieurs d’aménagement territorial ou d’assainissement de l’eau), les employeurs français ne s’engagent pas non plus dans une prospection active des candidats.

Au final, une stratégie de recrutement qui viserait à créer ou renforcer la marque Employeur public manque manifestement à l’heure actuelle; les différentes initiatives prises dans ce sens ayant consisté jusqu’ici, souvent de manière ad hoc, à se valoriser auprès de publics-cibles spécifiques.

Discussion

Atouts mis en avant et dimensions de la Marque Employeur

Les atouts mis en avant par les employeurs publics suisses et français mobilisent les trois types de valeurs mises en exergue dans la littérature, à savoir les composantes fonctionnelle, économique et psychologique de la ME (Ambler, 1999). Au plan économique, les employeurs publics français tentent, malgré les différences de niveaux de rémunération (CH versus F), de valoriser les éléments du régime indemnitaire et d’autres accessoires liés au salaire. Cette ME construite autour des avantages offerts par l’organisation contribue à la naissance d’un CP de type transactionnel entre l’agent et l’organisation publics (Lemire et Martel, 2007). Bien valorisées sont également les possibilités formationnelles et développementales : éléments centraux du nouveau CP (Lemire et Martel, 2007). Au chapitre des attentes de type développemental, les besoins en termes de compétences métiers et sociales sont ceux que devraient chercher à combler en priorité les organisations publiques, surtout lorsque l’on mesure la diversité des métiers qui s’y exercent (Emery, 2012). La tendance qui fait de l’employeur public un employeur à potentiel fortement qualifiant, confirme les résultats d’études menées depuis une dizaine d’années (Edwards, 2009; Martin et al., 2005). Elle est en outre symptomatique de la responsabilité sociale qu’exerce dans ce domaine l’organisation publique, en lien avec la dimension formationnelle du contrat psychologique (Lemire et Saba, 2005). Cette forme de responsabilité sociale consiste pour l’organisation publique à mettre en avant des pratiques d’encadrement du personnel offrant un soutien organisationnel au personnel à travers son développement (Biétry et al., 2014; Kim, Eisenberger et Baik, 2016; Coyle-Shapiro et Shore, 2007; Bentein, Stinglhamber et Vandenberghe, 2000; Eisenberger, Fasolo et Davislamastro, 1990).

On notera dans ce registre l’émergence de l’argument du style de management (relationnel) que nous associons également à la valeur psychologique de la ME. Une tendance nouvelle donc, y compris par une argumentation originale consistant à valoriser la « complexité unique » de l’employeur public. Ces valeurs et ce style spécifiques se manifestant par une ambiance et une considération portée au personnel, à savoir une organisation « à visage humain » (Gaujelac et Aubert, 1996), sont des arguments qui se placent aux premiers rangs des attentes de la Génération Y (Rouban, 2001; Beigbeder, 2014; Cable et Graham, 2000). Un courant naissant de la ME (Kryger Aggerholm, Esmann Andersen et Thomsen, 2011) met d’ailleurs en évidence l’intérêt de sa co-construction avec les parties prenantes, en particulier les membres du personnel. Nous pouvons entrevoir ici l’émergence d’une nouvelle dimension du CP, une composante « soft » nourrie de valeurs humanistes, proches de la motivation au service public (Perry et Vandenabeele, 2015).

Dans le même sens, les travaux récents portant sur la ME et sur le CP mettent en évidence le fait que la dimension axiologique ou psychologique prend de l’importance (Stuart et al., 2013). Ainsi les atouts liés aux valeurs et au sens de la mission publique s’intègrent dans une ME misant d’une part sur un environnement social et relationnel imprégné par des valeurs publiques (Stuart et al., 2013), et d’autre part sur l’intérêt public des produits et des services de l’organisation (Edwards 2009; Elving et al., 2013). Les employeurs en sont conscients, même s’ils n’insistent pas particulièrement sur ce point, qui pourrait faire écho à la motivation au service public (Giauque, Anderfuhren-Biget et Varone, 2012) et à la recherche de sens au travail (Hondeghem et Vandenabeele, 2005; Perry, Hondeghem et Recascino Wise, 2010) dans les contextes helvétique (Giauque, Anderfuhren-Biget et Varone, 2012) autant que français (Desmarais et Gamassou, 2014).

En résumé, si la littérature a traditionnellement bien développé les valeurs fonctionnelles et économiques de la ME, la valeur psychologique quant à elle, mériterait à notre sens un approfondissement spécifique pour appliquer ce concept de manière pertinente dans les organisations publiques. Il s’agirait alors de détailler ses différentes dimensions, évoquées de manière disparate par nos interlocuteurs, c’est à dire le sens et les valeurs de service public (en lien avec la motivation au service public), le style et la responsabilité sociale de l’employeur public (composante soft à visage humain), voire le projet de société sous-jacent aux politiques publiques portées par l’employeur considéré. De la sorte, une forme de publicitude (Bozeman et Bretschneider, 1994) de la ME pourrait être plus solidement conceptualisée. Laquelle reposerait, en écho aux différents atouts analysés dans la présente recherche, sur les avantages offerts spécifiques à l’emploi public, les produits et services propres au secteur public et à ses missions d’intérêt général, un environnement social et relationnel propice à des rapports de confiance, facilitant ainsi l’accomplissement des tâches au quotidien.

D’autre part, la conceptualisation des différentes valeurs mises en exergue par la ME gagnerait à être articulée de manière cohérente avec les différentes dimensions du Contrat psychologique, ce qu’illustre bien le Tableau 3 mettant en exergue ses dimensions transactionnelle, axiologique, relationnelle et formationnelle, puisqu’il s’agit en réalité des deux faces d’une même médaille : se positionner en tant qu’employeur attractif sur le marché (ME) par des atouts qui répondent aux attentes des employés actuels et futurs (CP). Or les dimensions et le vocabulaire utilisés ne sont pas toujours concordants, à commencer par l’usage du mot « psychologique » comme appellation générique pour le CP, alors que ce n’est là qu’une des valeurs de la ME.

Les organisations publiques entre Marque Organisationnelle et Marque Employeur

Les stéréotypes entretenus sur l’administration publique sont avant tout liés à sa Marque organisationnelle, elle-même colorée par le phénomène bureaucratique (Crozier, 1963), plus qu’à sa ME. L’image généralisante des organisations publiques, paperassières, peu flexibles et pas innovantes, voire vieillottes, leur colle à la peau. Or la revue de littérature a montré une interaction forte entre les marques organisationnelle et employeur. Dans le cadre des stratégies de positionnement de la ME révélées dans cette étude, il apparaît que l’un des grands défis des organisations publiques sur le marché de l’emploi est de parvenir à différencier la ME de l’image générique de l’administration. C’est-à-dire séparer clairement les éléments liés aux conditions légales et matérielles d’emploi, qui rentrent dans l’élaboration d’une ME fondée classiquement sur les avantages offerts par l’organisation (Berthon, Ewing et Hah, 2005), et d’autres éléments nouveaux davantage en lien avec les nouvelles attentes des employés. Ces attentes, plus axiologiques, soulignent la dimension humaine et le sens de la mission publique. Elles permettraient de développer une relation qui ne s’inscrirait plus seulement dans un CP de type transactionnel et relationnel, mais qui s’étendrait à ses aspects axiologiques et formationnels (Lemire et Martel, 2007). On le voit d’ailleurs très clairement auprès des employeurs rencontrés qui ne relèvent pas toujours de la fonction publique classique (État, collectivités territoriales). Par contre, élaborer une ME s’avère bien plus difficile pour les services de l’État, dont la Marque organisationnelle tend à se confondre avec la ME (Charbonnier-Voirin, 2015). Buffat (2014) montre très bien à ce propos la tendance affichée par certains employeurs (ici en l’occurrence suisses) à se définir comme publics ou privés lorsque que cela les arrange. Les employés eux-mêmes, par effet miroir, utilisent d’ailleurs la même stratégie pour se présenter et interagir avec leurs bénéficiaires. Il conviendrait donc de dépasser ces stéréotypes généralisateurs en travaillant sur les atouts distinctifs des employeurs considérés. La plupart des rapports de l’OCDE (Demmke 2004; Bossaert, Demmke et Onnée-Abbruciati, 2003) conseillent de renouveler l’image désuète du secteur public, en soulignant concrètement les avantages du secteur public par rapport au secteur privé, soit un travail en profondeur sur la ME à l’avenir.

Tableau 3

Lien principaux entre Marque employeur et Contrat psychologique

Lien principaux entre Marque employeur et Contrat psychologique

-> See the list of tables

Une compétitivité accrue sur le marché, favorisant l’émergence d’une stratégie de Marque Employeur

Les pratiques visant à améliorer la compétitivité sont à l’opposé les unes des autres entre les deux territoires analysés. La raison tient principalement à une différence à la fois institutionnelle et de culture administrative. On ne constate pas une véritable stratégie de ME publique en France, au sens d’une identification des besoins préalables à l’élaboration d’une proposition de valeur pour l’employé. Un constat qui va dans le sens des conclusions d’autres auteurs sur la question, à savoir que le secteur public demeure, d’une manière générale, un piètre gestionnaire de ses actifs intangibles notamment en matière de recrutement (Chevallier, 2010; Pochard, 2009).

Quant aux employeurs publics suisses, force est de constater qu’ils peuvent prospecter plus efficacement sur le marché de l’emploi en raison d’un dispositif institutionnel qui leur garantit une autonomie d’action (Bellanger et Roy, 2013; Tajfel et Turner, 2004; Emery, 2013). En comparaison au modèle français, les stratégies de profilage déployées en Suisse se révèlent en effet plus élaborées. Le constat qu’on en tire est que là où les agents publics forment un corps spécifique comme en France, avec des conditions d’accès spécifiques, les employeurs n’ont d’autre choix que de puiser dans ce vivier, limitant quelque peu l’opportunité de développer une ME profilée. Il y aurait ainsi, mais c’est une hypothèse à tester, un lien entre le degré de maturité post-bureaucratique - au sens de Demmke et Moilanen (Demmke et Moilanen, 2010) - et la capacité à développer une ME originale et profilée.

En définitive, notre analyse montre que les administrations parviennent le plus souvent à être attractives, y compris pour les postes très qualifiés, en valorisant des arguments spécifiques, mais sans s’appuyer sur une véritable stratégie ME qui ressortirait de manière évidente. Or en dehors de la question du recrutement, le déploiement d’une ME spécifiquement publique manque fortement. Cette dernière, dont les liens avec l’expérience employé paraissent évidents, pourrait en effet tirer un meilleur profit des trois atouts suivant : les technologies digitales dont l’utilisation, en fluidifiant les interactions professionnelles, témoigne de la modernité et du goût pour l’innovation de l’organisation concernée; les nouveaux modes de travail à développer davantage en parallèle aux deux formes les plus connues que sont le nomadisme (inter- et intra-entreprise) et le télétravail. Enfin, la qualité de vie au travail, un atout comprenant tous les facteurs qui contribuent positivement à l’ambiance et aux conditions d’exercice du travail public; à titre d’illustration l’intérêt intrinsèque d’un emploi apportant autonomie et reconnaissance. Dans les trois domaines précités, le secteur public conserve une spécificité qu’il gagnerait à mobiliser dans le déploiement d’une ME spécifiquement publique.

Conclusions, limites de l’étude et voies de recherche

Cette étude montre que l’idée selon laquelle « il n’y a pas besoin [de promouvoir l’image employeur], car les gens viennent à nous » (ECH2), sera progressivement révolue, conduisant les organisations publiques à mobiliser de manière plus consciente, et plus stratégique leur ME. Les constats issus de cette analyse sont donc utiles pour contribuer à une pratique encore peu présente auprès des employeurs publics (Lévy et Jouyet, 2006), mais qui deviendra de plus en plus décisive dans un environnement post-bureaucratique dynamique, confronté aux besoins évolutifs de leurs personnels.

La définition d’une ME spécifiquement publique pourrait de ce fait être réalisée en utilisant comme grille d’analyse exploratoire les caractéristiques suivantes, révélées dans la présente étude et évoquées de manière grandissante par la littérature : des formes de reconnaissances non financières (Giauque, Anderfuhren-Biget et Varone, 2012; Rouban, 2005), une mobilisation du sens et des valeurs au fondement de l’ethos public (Fortier, 2014) et la Motivation au service public, une forme de responsabilité sociale traduite dans un management à visage humain (Emery, Aeberli et Chuard-Delaly, 2005), la formation et le développement de compétences transférables (Morley et al. 2012; Pouget 2013). Ceci dans une optique de développement durable du potentiel humain (Legge, 2005; Zaugg, 2009).

Cela dit, les possibilités de généralisation des résultats de la présente étude sont limitées, d’abord en raison de sa visée principale : avant tout exploratoire. En effet les organisations interrogées prises dans leur ensemble n’épuisent pas tous les cas de figure des administrations suisses et françaises. Ceci malgré un effort pour diversifier l’échantillon et parvenir à une saturation des arguments. De plus, le fait d’avoir un seul interlocuteur par organisation (bien souvent le professionnel RH) ne permet pas de « croiser les regards » et d’affiner la perception des pratiques analysées.

Pour toutes ces raisons, nos résultats gagneraient à être confrontés à des analyses plus substantielles, notamment auprès d’autres employeurs publics et parapublics, en utilisant des méthodes différentes. Par exemple, l’échelle de Berthon et al. (2005) pour l’évaluation de la ME pourrait être testée. Elle a l’avantage d’intégrer l’autonomie au travail, la créativité, le climat au travail, les avantages financiers offerts ainsi que la dimension d’équilibre vie privée et professionnelle. Les dimensions spécifiques de la ME publique identifiées par notre étude devraient avantageusement la compléter. A cet effet, on peut également se référer à la synthèse, faite par Rochette, des caractéristiques de la marque publique. Une synthèse qui intègre autant les valeurs portées que l’influence du contexte (Rochette, 2015).

De ce qui précède se dégagent de nombreuses pistes de recherche, dont voici quelques exemples :

  • Un effort accru de conceptualisation de la ME tenant compte tant des spécificités publiques, institutionnelles et organisationnelles. Ce qui permettrait de répondre aux attentes spécifiques des nouvelles générations, telles qu’exprimées dans une logique de contrat psychologique.

  • Une étude de l’influence entre l’image/la perception générale du secteur public (en France comme en Suisse) d’un côté (corporate, branding) et d’éventuelles ME développées par des entités organisationnelles spécifiques selon les domaines d’activités (sécurité, éducation, justice, services sociaux, etc.), afin de mieux comprendre la marge de manoeuvre de ces entités sur l’attractivité de la fonction publique.

  • Une comparaison internationale (CH/F) de la perception de marques employeurs connues, affinée en fonction de catégories de public-cibles présents sur le marché de l’emploi conjoint.

Gageons que ces différentes pistes inspirent de fructueuses futures recherches sur la ME dans les organisations publiques.