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Les collaborations inter-organisationnelles ont fait l’objet d’un grand nombre de recherches depuis une trentaine d’années dans les différentes disciplines de la gestion. Académiques, experts professionnels et praticiens vantent les qualités des collaborations, théoriquement capables de combler les imperfections des relations transactionnelles entre les entreprises. A la différence de ces dernières, les relations dites collaboratives se caractérisent par des relations engagées et interdépendantes qui s’inscrivent dans des objectifs de long terme (Nyaga et Whipple, 2010).

Parmi les nombreuses collaborations possibles, les relations client-fournisseur font l’objet d’une attention particulière car elles sont au coeur des stratégies d’outsourcing, des pratiques de co-développement d’innovations et des politiques de responsabilité sociétale des entreprises. Les études et méta-analyses statistiques (e.g. Tangpong et al., 2015) sur les relations client-fournisseur confirment les gains liés à une démarche collaborative en termes de coûts des achats et approvisionnements, d’efficacité et de flexibilité, d’amélioration des niveaux de qualité des offres, de capacité d’innovation accrue et, plus généralement, de génération d’une rente relationnelle supérieure aux rendements individuels additionnés.

De nombreux chercheurs, que ce soit en management stratégique ou en contrôle, se sont penchés sur les deux principaux problèmes associés aux collaborations inter-organisationnelles : d’une part les problèmes de coopération, liés à l’éventuelle divergence des intérêts entre les parties et au risque d’opportunisme qui lui est associé; d’autre part les problèmes de coordination, liés à l’interdépendance des tâches et des activités entre les parties (e.g. Dekker, 2008; Ding et al., 2013; Lumineau et Henderson, 2012).

Dans cet article, nous nous focalisons sur les problèmes liés à la coordination. La conception et la mise en oeuvre de modes de coordination nécessitent de comprendre que le succès de chaque firme dépend aussi de celui de l’autre, et « incitent les partenaires à penser en termes de nous au lieu de moi » (Spekman et Carraway, 2006, p. 14). Les recherches sur les modes de coordination (aussi appelés modes ou mécanismes de gouvernance ou modes de contrôle) entre clients et fournisseurs, en lien avec la performance se sont multipliées ces dernières années (e.g. Bouncken et al., 2016; Dahlquist et Griffith, 2016; Huang et al., 2014; Liu et al., 2009, 2017; Mellewigt et al., 2018; Storey et Kocabasoglu-Hillmer, 2013; Wacker et al., 2016). Ces recherches analysent la possible complémentarité ou substitution entre les modes (Bouncken et al., 2016; Huang et al., 2014; Mellewigt et al., 2018; Wacker et al., 2016), les dispositifs visant au développement du fournisseur (ex. évaluations) mis en place par l’entreprise acheteuse (Humphreys et al., 2004) ainsi que les impacts sur la performance des modes de gouvernance formels et informels de la collaboration du point de vue de la firme acheteuse (Bouncken et al., 2016; Dahlquist et Griffith, 2016; Huang et al., 2014; Wacker et al., 2016), des modes de gouvernance transactionnels et relationnels de la dyade client-fournisseur (Liu et al., 2009, 2017).

Notre recherche prolonge ces études sur la coordination dans les collaborations client-fournisseur et plus particulièrement sur les risques, sources d’obstacles pour une bonne articulation entre les organisations (e.g. Jap et Ganesan, 2000). Notre principale contribution se situe au niveau d’une approche contingente des relations, par la prise en compte de l’effet modérateur d’un élément situationnel d’importance, à savoir les risques collaboratifs. Nous suivons ainsi les recommandations de Mellewigt et al. (2018) pour une meilleure prise en compte du contexte dans lequel les relations client-fournisseur évoluent. Dans ce cadre, nous adoptons une perspective qui ne se limite pas à un seul partenaire dans la mesure où notre recherche adopte aussi bien la situation des entreprises clientes que celles des fournisseurs.

Par risques collaboratifs, nous entendons l’étendue de la collaboration d’une part et la dépendance des partenaires, d’autre part. Savoir si un mode de coordination permet un même niveau de performance quel que soit le nombre d’activités faisant l’objet d’une collaboration sur la chaîne de valeur ou le niveau de dépendance entre les partenaires est crucial dans la mesure où sa prise en compte intervient naturellement dans les décisions stratégiques et managériales des entreprises (Das et Teng, 2001). La perception desdits risques peut ainsi conduire les managers à préférer un mode de coordination plutôt qu’un autre selon leur efficacité et leurs coûts (Poppo et Zenger, 2002). Ils peuvent également avoir des effets différenciés dans la mesure où l’étendue de la collaboration et la dépendance posent des problèmes différents. Aussi, la réponse adéquate en termes de modes de coordination à mettre en oeuvre peut-elle varier.

Dès lors, la question posée dans cet article est la suivante : Comment le risque collaboratif influence-t-il les liens entre les modes de coordination et la performance collaborative ? Pour répondre à cette question, nous avons effectué une étude empirique statistique à partir de 158 questionnaires collectés auprès de responsables de collaborations client-fournisseur dans l’industrie automobile en France.

Les résultats indiquent des effets positifs des trois modes de coordination sur la performance. La coordination par la structure collaborative et la confiance ont plus d’influence que la coordination par les pratiques de contrôle telles que la planification et les revues de performance. En outre, les résultats montrent un effet modérateur positif du risque collaboratif lié à l’étendue de la collaboration sur le lien entre les trois modes et la performance – alors que l’effet modérateur de la dépendance est limité au seul lien entre la mise en place de structures collaboratives et la performance.

Dans la section suivante, nous analysons la littérature sur les modes de coordination associés aux collaborations client-fournisseur pour retenir deux modes formels de coordination (la structure collaborative et les pratiques de contrôle) et un mode informel (la confiance entre les partenaires). Nous développons les hypothèses sur les liens entre ces modes et la performance et sur l’effet modérateur des risques collaboratifs avant de présenter l’étude empirique, la méthodologie retenue et les résultats obtenus. Ces résultats sont discutés, avant d’exposer les limites de la recherche et de proposer des pistes d’études futures.

Cadre théorique et hypothèses

La performance collaborative

La définition de la performance au sein de collaborations inter-organisationnelles fait l’objet de débats[3]. Certains, en particulier les chercheurs du marketing relationnel (IMP Group[4]), optent pour une mesure de la performance de la collaboration en termes de satisfaction des partenaires, de poursuite des relations, d’intensité de la coopération, de diminution du conflit et de l’opportunisme (Gadde et Snehota, 2000; Paswan et al., 2017; Storey et Kocabasoglu-Hillmer, 2013). D’autres retiennent des mesures classiques de gains économiques et opérationnels des parties grâce à la collaboration tels que l’amélioration de la qualité des produits, de la prise de décision, des délais, des coûts ou des profits (e.g. Cao et Lumineau, 2015; Dahlquist et Griffith, 2017; Graffith et Zhao, 2015; Mahama, 2006; Wacker et al., 2016). D’autres encore définissent la performance comme l’atteinte des buts stratégiques des partenaires (Griffith et Zhao, 2015; Pekkola et Ukko, 2016), tels que la connaissance et l’apprentissage de nouveaux domaines, l’accès à un marché global, à une innovation ou encore l’amélioration de la compétitivité (Bouncken et al., 2016; Griffith et Zhao, 2015; Mazzola et Perrone, 2013; Wacker et al., 2016). Le concept de rente relationnelle de Dyer et Singh (1998) traduit bien l’aspect multidimensionnel de la performance liée aux coopérations. Il s’agit d’aller au-delà de la simple prise en compte de la performance économique et opérationnelle pour y inclure des aspects plus stratégiques liés à l’innovation, à la réussite de projets communs et au développement de compétences, nécessaires à la création d’une rente durable (Brulhart et Moncef, 2010). Comme Humphreys et al. (2004), notre conception de la performance collaborative embrasse à la fois la performance de la collaboration (satisfaction liée à la relation, meilleure gestion des projets communs) et la performance grâce à la collaboration aussi bien sur le plan opérationnel (amélioration des délais, de la qualité), que sur le plan économique (amélioration de la marge) et stratégique (innover, améliorer ses compétences).

Les études adoptent généralement le seul point de vue du fournisseur (e.g. Donada, 2002; Donada et Dostaler, 2010; Griffith et Zhao, 2015; Huang et al., 2014) ou celui du client (e.g. Dahlquist et Griffith, 2017; Liu et al., 2017; Mellewigt et al., 2018). Lorsque les auteurs annoncent vouloir étudier la performance des deux partenaires de la collaboration, ils ne vont pas complètement au bout de la démarche. C’est le cas de Humphreys et al. (2004) qui distinguent, dans leur indicateur d’amélioration de la performance client-fournisseur, des mesures d’accroissement de la performance du fournisseur (en termes opérationnels), d’amélioration de la position concurrentielle du client et d’amélioration de la relation client-fournisseur. Mais, comme seuls les acheteurs côté clients ont participé à l’étude, ceux-ci ont évalué à la fois l’amélioration de la performance de leur entreprise et celle de leur fournisseur. De même, Paulraj et al. (2008) mesurent la performance opérationnelle du fournisseur et la performance opérationnelle du client à partir du seul point de vue des acheteurs. Pour aller au-delà de cette perspective, et comme l’ont fait Liu et al. (2009, 2017), nous privilégions une approche bilatérale qui permet de saisir les perceptions tant des clients que des fournisseurs, avec une mesure large de la performance collaborative pertinente pour les deux organisations partenaires de la relation.

Les modes de coordination associés aux collaborations client-fournisseur

Les collaborations sont souvent étudiées au regard de leur phase de développement : sélection des partenaires, contractualisation et exécution. Dans cette recherche, nous nous intéressons à la phase d’exécution, une fois le contrat signé[5], comme le font Dekker et al. (2013, 2016) ou Mahama (2006). Cette phase post-contractuelle est intéressante, dans la mesure où c’est bien dans la réalité des collaborations engagées que les partenaires réalisent qu’ils n’ont pas considéré certaines contingences au moment de la sélection et de la contractualisation, et que la coordination doit avoir lieu de manière concrète.

Les problèmes de coordination au sein des collaborations découlent de l’interdépendance des tâches et des activités entre les partenaires (e.g. Dekker, 2008). Pour gérer ces problèmes, les organisations s’appuient sur des modes de coordination pour améliorer la cohérence entre les activités des partenaires. Deux types de modes de coordination sont souvent identifiés (Gardet et Mothe, 2010) : les modes formels qui sont visibles et explicites d’une part et les modes informels qui sont liés à l’encastrement social des partenaires (comme la confiance).

Dans les modes formels, Donada et Nogatchewsky (2008) attirent l’attention sur un dispositif spécifique à la coordination peu étudié : la mise en place de structures organisationnelles dédiées. Dans la plupart des travaux en stratégie ou en contrôle inter-organisationnel, ce qu’on appelle « structure » renvoie à une forme contractuelle de gouvernance de la collaboration. Langfield-Smith (2008), par exemple, voit la structure comme une joint-venture, un contrat-cadre, une forme avec ou sans capitaux communs. Pourtant, si l’on se réfère à Desreumaux (1992, p. 50), une structure est une « allocation relativement stable de tâches et de rôles créant un pattern d’activités interreliées permettant à l’entreprise de conduire et de coordonner ses activités ». Cette conception est reprise par Donada et Nogatchewsky (2008) qui définissent la structure, dans les relations collaboratives, comme étant l’organisation qui permet de coordonner les activités entre les partenaires. Des actions organisationnelles (telles que des comités transverses entre les différentes fonctions de l’entreprise, des séminaires communs entre l’entreprise et ses partenaires, ou des formations jointes) traduisent l’existence d’une coordination par la structure à même de favoriser les échanges d’information, les projets communs, une meilleure compréhension des besoins réciproques et une mise en cohérence des activités des partenaires. Les chercheurs en management stratégique, et en particulier en gestion de projets, montrent également que les projets d’innovation nécessitent des structures organisationnelles dédiées compte tenu de la complémentarité entre des compétences multiples; ces structures influencent les résultats des collaborations client-fournisseur (Barratt, 2004; Lenfle, 2008). Ces travaux confortent l’intérêt des structures transversales pour accentuer les contacts entre les partenaires et en favoriser leur socialisation - ce qui, in fine, améliore leurs relations collaboratives. Ces structures collaboratives, internes à l’organisation focale et dédiées à la gestion de projets, facilite aussi les mécanismes bureaucratiques des échanges (Harzing, 1999), aide à clarifier les rôles et responsabilités de chacun, et permet la décentralisation des décisions. Concrètement, les structures collaboratives renvoient à toutes formes d’organisation interne comme les structures matricielles, les comités inter-départements, les projets transversaux, mais aussi à des organisations collaboratives tournées vers les partenaires externes (e.g. conventions / séminaires avec les fournisseurs, formations communes aux entreprises en coopération); autant de structures qui peuvent améliorer la coordination des activités et, au final, la performance des partenaires.

Au-delà de la structure, d’autres modes formels de coordination facilitant l’articulation entre les partenaires sont développées dans la littérature en contrôle inter-organisationnel. Ces pratiques incluent la planification, l’application de règles et de procédures, la supervision directe, la fixation d’objectifs, les revues opérationnelles, le support opérationnel aux partenaires ou la résolution jointe de problèmes (e.g. Dekker et al., 2013; Langfield-Smith, 2008; Langfield-Smith et Smith, 2003; van der Meer-Kooistra et Vosselman, 2000). Dans cet ensemble, Le Dain et al. (2011) distinguent l’évaluation ex ante de la capacité d’un partenaire à réaliser son objectif de l’évaluation des résultats ex post en fonction des objectifs fixés, notamment au travers de plans d’actions et de définition de critères de performance. Deux pratiques sont prises en compte dans l’étude : les pratiques de planification d’objectifs partagés (ex ante) d’une part, et l’existence de revues de performance (ex post) pour suivre les résultats par rapport aux objectifs. Les revues de performance font partie du suivi des étapes du plan et de l’ensemble des pratiques collaboratives (Le Dain et al., 2011). Elles facilitent les échanges d’information, permettent d’établir des relations de cause à effet sur les actions, d’accroître la compréhension et la connaissance mutuelles, et conduisent à un meilleur partage de l’information. L’existence de revues de performance pour évaluer les coûts et bénéfices des adaptations et modifications éventuelles serait liée à une meilleure performance (Mahama, 2006).

En parallèle à ces modes formels de coordination, la littérature met en valeur le rôle des modes informels pour le bon déroulement des collaborations, et en particulier ceux fondés sur la confiance[6] (e.g. Langfield-Smith et Smith, 2003; van der Meer-Kooistra et Vosselman, 2000) ou, plus largement, sur les comportements éthiques (Gauzente et Feneteau, 2006). Le concept de confiance, à la base de toute collaboration, parle tout autant aux théoriciens qu’aux praticiens. Trois types de confiance proposés par Sako (1992) sont repris dans de nombreuses recherches sur les collaborations inter-organisationnelles (e.g. Langfield-Smith et Smith, 2003; Langfield-Smith, 2008; van der Meer-Kooistra et Vosselman, 2000) : 1) la confiance de compétence, qui se réfère à la croyance que le partenaire a les capacités pour atteindre la performance attendue; cette croyance s’appuie sur des éléments crédibles, tels que la réputation, les audits de capacité ou les expériences passées; 2) la confiance contractuelle, qui est basée sur la croyance que le partenaire honorera ses engagements, écrits ou oraux; et 3) la confiance de bonne volonté, qui se réfère à la bienveillance du partenaire, est la croyance que l’autre n’entreprendra rien de négatif pour la relation, même s’il en a l’occasion et l’intérêt; la confiance de bonne volonté est souvent associée à l’intégrité, à la fiabilité et à la responsabilité car elle crée un environnement social qui favorise les échanges (Das et Teng, 2001).

C’est par la manière dont la confiance se construit qu’elle devient mode de coordination (Dekker, 2004; Langfield-Smith et Smith, 2003; Nooteboom et al., 1997; van der Meer-Kooistra et Vosselman, 2000). En effet, la confiance résulte de communications répétées, de partages d’information, d’attentes de continuité ou d’assistance et même d’expériences affectives exprimant la sympathie ou la proximité entre les individus (voir la méta-analyse sur la confiance de Donada et Nogatchewsky, 2007). Toutes ces expériences permettent de mieux se connaître, d’affiner les rôles et les attentes de chacun, de faciliter l’anticipation sur les besoins des autres et de les considérer comme prioritaires, de résoudre facilement les problèmes, d’établir des routines de communication standardisées et, in fine, de se coordonner (Dekker, 2004; Liu et al., 2009). La confiance comme mode de coordination et son lien positif avec la performance collaborative n’est plus à démontrer (e.g. Cao et Lumineau, 2015; Donada et Nogatchewsky, 2007). Il semble toutefois intéressant, dans la lignée de Sako (1992), d’appréhender la confiance comme un construit multi-dimensionnel et de considérer les trois aspects de la confiance (de compétence, contractuelle et de bonne volonté). Nous posons qu’un mode de coordination par la confiance multidimensionnelle est le plus à même de répondre à la complexité du management d’une collaboration inter-organisationnelle et, par conséquent, d’accroître sa performance.

De ces développements sur les liens entre modes de coordination et performance collaborative, nous proposons une hypothèse H1 et les trois sous-hypothèses suivantes :

H1 : Les modes de coordination tels que (a) la structure collaborative, (b) les pratiques de contrôle et (c) la confiance sont positivement associés à la performance collaborative.

L’effet modérateur des risques collaboratifs

Une collaboration inter-organisationnelle peut certes porter ses fruits et être bénéfique aux partenaires, mais elle peut aussi échouer. L’échec, s’il est du fait du partenaire, peut être lié à son incapacité à fournir le produit ou le service, à une mauvaise compréhension ou interprétation des objectifs et orientations, ou à un comportement opportuniste (Groot et Merchant, 2000; Langfield-Smith, 2008). Ce sont les risques dits « collaboratifs » ou « relationnels » (Das et Teng, 2001), définis comme la possibilité que les partenaires ne s’engagent pas pleinement dans les efforts joints. Les travaux sur les risques collaboratifs insistent majoritairement sur trois catégories. La première regroupe les risques transactionnels, identifiés par les théoriciens des coûts de transaction comme les menaces d’opportunisme, de prise d’otage par des actifs spécifiques, de non-respect des contrats, des conséquences des incertitudes multiples sur les transactions (e.g. Dekker et al., 2016)[7]. La deuxième concerne les risques des attributs relationnels proprement dits (cf. la revue de la littérature de Tangpong et al., 2015). Il s’agit notamment des risques liés aux besoins d’interactions particulières sur des actions communes. Ces interactions sont primordiales lorsque les collaborations sont de grande envergure en termes d’activités impliquées et qu’elles sont susceptibles de déterminer les potentiels de développement stratégique des partenaires et de performance (Reuer et Ariño, 2007). Enfin, la troisième catégorie de risques collaboratifs est liée à la situation de dépendance entre les partenaires. Depuis longtemps identifiés par les théoriciens de la dépendance des ressources et les théoriciens du pouvoir, les risques collaboratifs de dépendance sont inhérents aux dynamiques inter-organisationnelles (Chabault et Hulin, 2016; Tangpong et al., 2015).

Dans la mesure où nous nous penchons sur les problèmes liés à la coordination, nous nous focalisons ici sur les deux dernières catégories de risques : ceux liés à l’étendue de la collaboration et à la dépendance. Plus qu’un facteur de contingence parmi d’autres, les risques collaboratifs peuvent être considérés comme des éléments modérateurs entre les modes de coordination des partenaires et la performance collaborative. Les risques étant positivement associés au besoin de coordination et de contrôle (Langfield-Smith, 2008), l’effet modérateur devrait être d’autant plus fort que les risques collaboratifs sont élevés – dans la mesure où les différents modes de coordination augmentent la performance.

Les pratiques de contrôle ne peuvent être identiques selon les risques liés au niveau de dépendance. Par exemple, dans le cas d’extrême dépendance, un « vassal », même client[8], n’est pas en mesure de fixer des objectifs à un partenaire, si ce dernier ne les accepte pas. Il ne pourrait de toute façon pas le sanctionner en cas de défaillance. Dans d’autres cas, c’est l’interdépendance forte entre deux partenaires qui appelle des structures organisationnelles plus appropriées comme les structures matricielles, les projets avec comités de surveillance, etc. (Donada et Nogatchewsky, 2008). Le même type d’argument vaut pour l’étendue de la collaboration. On peut penser qu’en phase d’exécution, la mise en cohérence entre les partenaires devrait être d’autant plus complexe que le nombre d’activités incluses dans la collaboration (R&D/conception, industrialisation/production, logistique, marketing, après-vente) est important. Les modes de coordination formels pour cette mise en cohérence devraient donc être adaptés à l’étendue de la collaboration en comportant par exemple des structures plus collaboratives et des pratiques de contrôle renforcées.

Ainsi, on ne peut ni comprendre ni évaluer des collaborations inter-organisationnelles sans tenir compte des risques collaboratifs qu’elles induisent et donc des coûts de coordination qui en découlent pour les limiter (e.g. Arranz et de Arroyabe, 2012; Ding et al., 2013; Nooteboom et al., 1997; Poppo et Zenger, 2002). L’évaluation de ces risques devrait conduire les managers à renforcer les modes formels de coordination comme les structures et les pratiques de coordination telles que l’établissement d’objectifs communs et les revues de performance. Elle devrait également conduire à se mobiliser pour créer les conditions favorisant les attitudes positives des partenaires et leur confiance réciproque (e.g. van der Meer-Kooistra et Vosselman, 2000). Toutefois, la construction de la confiance est longue et coûteuse (Ding et al., 2013; Poppo et Zenger, 2002; van der Meer-Kooistra et Vosselman, 2000). C’est pourquoi les managers ne devraient investir dans un contrôle par la confiance que lorsque les transactions et les échanges sont risqués de par leur complexité et qu’il est impossible d’identifier toutes les sources de risques ou lorsqu’une partie est tellement dépendante de l’autre qu’elle ne peut imposer de contrôle de type coercitif (Frazier et Summers, 1986).

Sur la base de ces arguments théoriques, nous développons une série d’hypothèses sur les effets modérateurs des risques collaboratifs (dépendance et l’étendue de la collaboration) sur le lien entre les différents modes de coordination (structure collaborative, pratiques de contrôle, confiance) et la performance collaborative :

H2 : Les risques collaboratifsont un effet modérateur positif sur les liens entre (a) la structure collaborative, (b) les pratiques de contrôle, et (c) la confiance, et la performance collaborative.

Le schéma conceptuel est présenté dans la figure 1 ci-dessous.

Etude empirique

Collecte de données et échantillon

Les collaborations inter-organisationnelles étudiées dans cette recherche sont des relations entre des entreprises clientes et leurs fournisseurs dans l’industrie automobile. Dans cette industrie, Frigant et Julien (2014) estiment que le coût des achats représente de l’ordre de 75 à 90 % du prix de revient selon les modèles. Ces achats ne portent quasiment plus sur des composants simples basés sur des transactions économiques discrètes mais sur des modules s’intégrant dans des systèmes technologiques extrêmement complexes à appréhender. Cela implique que les relations constructeurs/équipementiers et fournisseurs sont devenues collaboratives autour de projets complexes et stratégiques (Gurcaylilar-Yenidogan, 2008). Par ailleurs, les entreprises européennes de l’industrie automobile dite « généraliste » subissent de très fortes pressions économiques qui limitent leurs marges à hauteur de 5 %[9]. Dès lors, toute décision conduisant à l’arrêt d’une collaboration et à une baisse significative d’activité peut être cruciale pour l’avenir des entreprises impliquées. C’est dans ce contexte empirique que nous avons choisi d’analyser des collaborations entre des entreprises sensibles aux risques collaboratifs, et qui ont pour première préoccupation leur niveau de performance et, par conséquent, l’adéquation et l’efficience de leurs modes de coordination.

Nous avons utilisé la base de données PEAK[10] de Thésame et extrait les données utilisables, sans valeur manquante, sur 158 entreprises automobiles basées en France. Recueillies en 2016, ces données ont été collectées par questionnaire Internet envoyé aux entreprises partenaires de Thésame. Chaque entreprise contactée ne devait remplir qu’à un seul sondage (une procédure informatique empêchait tout doublon). Le message d’accompagnement du questionnaire expliquait l’objectif général de l’enquête à savoir « l’étude de l’appréciation de la qualité des collaborations client-fournisseur ». Il était demandé au directeur de l’entreprise destinataire d’identifier le gestionnaire responsable de la collaboration client-fournisseur la plus stratégique de l’entreprise pour lui faire remplir le sondage (à l’instar de ce qu’ont fait Mellewigt et al., 2018) [11]. Cette demande visait à garantir que le questionnaire serait seulement renseigné par des répondants clés bien informés (Zhao et al., 2011); elle permet également de réduire un risque de biais méthodologique (Podsakoff et al., 2003).

FIGURE 1

Schéma conceptuel

Schéma conceptuel

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Diverses procédures et tests statistiques recommandés par Krishnan et al. (2006), Podsakoff et al. (2012) ou Siemsen et al. (2010) ont été utilisés pour atténuer ce risque. Ainsi, un possible biais de complaisance ou tendance à cocher des réponses socialement souhaitables pour le répondant a été évité en garantissant l’anonymat des répondants (Podsakoff et al., 2003) sur la première page d’introduction du sondage en ligne. En outre, un test préliminaire de l’enquête a été effectué pour ajuster les questions et remplacer toute formulation ambiguë (Tourangeau et al., 2000; Podsakoff et al., 2012). Enfin, après avoir obtenu les données, nous avons effectué le test à un facteur de Harman à partir d’une analyse en composantes principales sur les éléments de mesure utilisés dans le modèle. Cette procédure indique l’existence d’un biais de méthode commun si un facteur, à la valeur propre supérieure à 1, explique « la majeure partie » de la variance lorsque toutes les variables sont intégrées simultanément dans une procédure sans rotation des facteurs (Podsakoff et al., 2003). Conformément à nos attentes, six facteurs significatifs ont émergé de l’analyse; le premier facteur ne représentant pas la majeure partie de la variance nous écartons l’existence d’un biais de la méthode commune.

Dans l’échantillon, 102 entreprises comptent plus de 5 000 employés, 38 entre 500 et 4999 employés et 18 entreprises comptent 499 employés ou moins. Dans 70,9 % des situations, l’entreprise répondante est un client qui évalue une relation collaborative avec un fournisseur (contre 29,1 % pour une relation inverse). Ce déséquilibre dans la distribution des réponses entre les entreprises clientes et les fournisseurs nous a incités à porter une attention particulière sur le statut de l’entreprise, et à introduire dans les modèles une variable de contrôle distinguant les deux types de répondants. La durée moyenne de ces relations est de 13,67 ans (écart-type = 2,60), allant de 3 à 15 ans. Enfin, 75 % des répondants ont indiqué qu’ils avaient personnellement participé à coopération - et ce depuis près de 6 ans (moyenne = 5,24 ans, écart-type = 3,68).

Variables

Performance collaborative

La performance collaborative (PERFORMANCE) est appréhendée dans ses dimensions économiques, opérationnelles et stratégiques, avec six items indiquant que la collaboration avec l’entreprise concernée permet 1. « d’optimiser les marges » (Sedatole et al., 2012); 2 et 3 « d’améliorer la qualité des produits / services » et « d’optimiser les délais » (Mahama, 2006); 4 « d’innover », 5 et 6 de « développer des compétences (savoirs, savoir-faire, savoir être) » (Heide et al., 2014) et « mieux gérer nos projets communs » en favorisant l’action conjointe sur les projets (Claro et al., 2003). Enfin, deux items évaluent la satisfaction globale de la collaboration– « la relation avec l’entreprise concernée répond à nos attentes » et « la relation avec l’entreprise concernée est mutuellement bénéfique » (Poppo et Zenger, 2002, 2004). Les huit items traduisent donc un aspect multidimensionnel de la performance collaborative. Aussi, à l’instar de Liu et al. (2009, 2017), la mesure de la performance de la collaboration retenue dans le questionnaire PEAK est autant valable pour les entreprises clientes que pour leurs fournisseurs[12]. Les items ont été notés sur des échelles de Likert à 10 points, allant de 1 (« pas du tout d’accord ») à 10 (« tout à fait d’accord »).

Modes de coordination

Les deux modes de coordination formels considérés sont la structure collaborative et les pratiques de contrôle. La structure collaborative (STRUCTURE) concerne l’organisation formelle qui permet aux partenaires de travailler ensemble. Deux items mesurés sur des échelles de Likert à 10 points (1 = « pas du tout » à 10 = « absolument ») permettent de mesurer cette variable. Le premier concerne l’existence d’une structure spécifique pour promouvoir la collaboration interne entre les départements sur les projets transversaux et les acteurs en charge des relations client-fournisseur : « Votre entreprise est organisée pour favoriser les collaborations en interne (ex. structures collaboratives formelles entre services, projets transversaux, organisation matricielle, etc.) ». Le deuxième concerne les structures formelles d’intégration du partenaire externe, telles que les séminaires conjoints et les sessions de formation : « Votre entreprise est organisée pour favoriser les collaborations en externe (ex. séminaires dédiés avec vos partenaires, formations communes, etc.) ». Ensemble, ces éléments révèlent si l’organisation crée les conditions d’un partenariat en interne, identifiées comme un levier pour des partenariats externes réussis (Donada et Nogatchewsky, 2008).

La mesure des pratiques de contrôle (PRATIQUES) est également basée sur plusieurs variables (Mahama, 2006; Dekker et al., 2016). D’une part, ces pratiques renvoient aux besoins classiques de contrôle par la planification (Malmi et Brown, 2008), avec deux items traduisant « l’existence de planification à long terme de la relation » et « l’existence d’objectifs communs formalisés pour la relation », évalués sur des échelles de Likert à 10 points (1 = « pas du tout » à 10 = « absolument »). D’autre part, nous avons tenu compte de l’existence de revues de performance, mesurée par deux items : « Nous organisons des réunions d’avancement de nos projets communs » et « nous organisons des réunions de bilan sur le niveau de satisfaction de nos attentes respectives dans la relation ». Les échelles de Likert sont en 10 points de 1 (« jamais ») à 10 (« systématiquement »).

Le mode de coordination informel retenu, la confiance (CONFIANCE), est mesuré sur les trois dimensions de Sako (1992) à partir de cinq items : 1. le degré de confiance en la relation : « la relation avec l’entreprise concernée se développe dans un climat de confiance » (Claro et al., 2003); 2. le degré de confiance dans les compétences du partenaire : « votre partenaire est compétent pour gérer la relation » (Dekker et al., 2016); 3 et 4. le degré de confiance dans « le respect des règles et principes d’une concurrence loyale » et « le respect des règles contractuelles qui encadrent la relation » (Aulakh et al., 1996); 5. la confiance dans le fait que le partenaire « poursuive ses objectifs tout en cherchant à préserver nos intérêts » (Nooteboom et al., 1997). Tous les items sont mesurés sur des échelles de Likert à 10 points (1 = « pas du tout » à 10 = « absolument »).

Risques collaboratifs

Les risques collaboratifs sont liés à l’étendue de leur collaboration sur la chaîne de valeur et la dépendance entre les partenaires. L’étendue de la collaboration (ETENDUE) est fonction du « nombre d’activités de l’entreprise (codée de 1 à 5) nécessitant des apports du partenaire » (Ding et al., 2013) « à différentes phases : (1) recherche et conception, (2) industrialisation et production, (3) logistique, (4) marketing, et (5) après-vente ». La dépendance (DEP) est ici mesurée à partir de l’item le plus utilisé dans la littérature : la « difficulté perçue de remplacer le partenaire dans les mêmes conditions » (Jap et Ganesan, 2000). L’échelle de Likert à 10 points va de 1 (« pas du tout ») à 10 (« absolument »).

Nous avons ajouté trois variables de contrôle importantes au regard de la littérature[13] : la taille de l’entreprise, l’âge de la relation entre les partenaires (log des années), et le statut du répondant (variable dichotomique codée 0 pour le fournisseur et 1 pour le client). Cette dernière variable est d’autant plus pertinente à contrôler que les études sur les caractéristiques des relations client-fournisseurs dans l’industrie automobile montre des situations de dépendance très déséquilibrées entre les entreprises (Donada et Dostaler, 2010).

Validité, fiabilité et statistiques descriptives

Chaque construit étant multi-items et adapté d’échelles existantes, une analyse factorielle exploratoire (EFA) nous a permis d’évaluer la qualité de l’instrument de mesure. Les construits statistiques ont été définis à partir d’une analyse en composante principale (ACP). Cette procédure présente deux avantages. Premièrement, elle fournit un moyen de neutraliser une grande partie de l’erreur de mesure. En travaillant sur des réponses moyennes ou associées à un ensemble de variables liées, nous réduisons l’erreur de mesure pouvant provenir d’items isolés. Deuxièmement, elle permet de représenter plusieurs aspects d’un concept dans une seule mesure (Hair et al., 2014).

Les résultats de l’analyse exploratoire confirment une solution à un facteur pour chaque construit. Selon les tests de validité et de fiabilité, les valeurs de l’indice Keizer-Meyer-Olkin (KMO) étant supérieures à 0,5 et, le test Bartlett étant significatif (p = 0.000), nous avons pu rejeter l’hypothèse nulle et valider la pertinence statistique de chaque construit (Tableau 1).

TABLEAU 1

ACP, mesure de l’adéquation de l’échantillonnage et cohérence interne

ACP, mesure de l’adéquation de l’échantillonnage et cohérence interne

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Ces résultats nous ont autorisés à additionner et centrer réduire les variables pour surmonter l’erreur de mesure et permettre les comparaisons des coefficients de régression sur les construits (Hair et al., 2014; Hayes, 2018). Par ailleurs, les alphas de Cronbach indiquent un bon degré de cohérence interne (i.e. entre les mesures de chaque construit) ainsi qu’une bonne fiabilité des instruments de mesure (cf. Tableau 1). Enfin, la validité discriminante pour tous les construits est atteinte avec une valeur de la racine carrée de la variance moyenne extraite (AVE) des construits supérieure aux valeurs des coefficients de corrélations entre le dit construit et les autres variables de l’étude (cf. diagonale du tableau 2). Concernant une possible différence du niveau de performance entre les entreprises clientes et les fournisseurs, nous remarquons aucune association liée à la variable ‘statut’ (variable de contrôle distinguant un client d’un fournisseur).

Tests des hypothèses

Les tests des hypothèses ont été effectués à partir de la macro PROCESS V.3 sous SPSS selon le Modèle 2 (Hayes, 2018). Ce modèle permet de traiter simultanément dans une même procédure les effets de deux modérateurs (M) et (W) sur la relation entre une variable indépendante (X) et une variable dépendante (Y). L’effet conditionnel de X sur Y est représenté dans l’équation suivante :

Les résultats des tests des hypothèses H1 et H2 sont présentés dans le tableau 3 (liens entre STRUCTURE et PERFORMANCE), dans le tableau 5 (liens entre PRATIQUES et PERFORMANCE), et dans le tableau 7 (liens entre CONFIANCE et PERFORMANCE)[14]. Lorsque les effets modérateurs sont significatifs, nous analysons les associations entre chaque variable indépendante (X) et la variable dépendante (Y) à divers niveaux des variables modératrices (e.g. niveau bas, modéré et élevé) selon une approche dite pick-a-point[15] (Rogosa, 1980). Ces résultats sont présentés dans les tableaux 4, 6 et 8. Le nombre de réplications des échantillons tirés par Bootstrap a été fixé à 5000 avec un intervalle de confiance à 95 %. Les variables de contrôle ont été introduites dans le modèle en tant que covariates selon la procédure du modèle 2 (Hayes, 2018).

Il apparaît (cf. tableaux 3 et 4) que la présence de structures dédiées à l’amélioration de la collaboration est positivement liée à la performance (H1a). En outre, les deux sources de risques collaboratifs (DEP et ETENDUE) modèrent positivement cette relation dans le sens attendu (H2) avec une augmentation générale du coefficient de régression R² de 7,1 %. Nous observons que les pentes des effets modérateurs sont d’autant plus fortes que l’étendue de la collaboration est élevée. Autrement dit, la présence d’une structure collaborative pour coordonner les activités est d’autant plus associée à une forte performance que la collaboration porte sur de nombreuses activités.

Les résultats du tableau 5 présentent une association positive entre la présence d’un mode formel de coordination par les pratiques de contrôle collaboratif et la performance (H1b). Ceux sur les effets modérateurs (H2b) sont partiels. Il apparaît en effet que la variable DEP (dépendance) n’a aucune interaction significative. En revanche, l’effet modérateur de la variable ETENDUE est positif et croissant quel que soit son niveau (cf. tableau 6). La prise en compte de cet effet augmente de 1,6 % le pouvoir explicatif de la régression. Par conséquent, H2b est corroborée pour le seul risque collaboratif associé à l’étendue de la collaboration.

Les résultats des hypothèses H1c et H2c sont de même nature que les précédents. La coordination par la confiance est positivement liée à la performance globale de l’entreprise (tableau 7). L’effet modérateur de la dépendance n’est pas validé car non significatif. Toutefois, l’étendue de la collaboration modère positivement le lien entre le mode de coordination par la confiance; son effet contribue à une augmentation du R² de 1,6 %. Là encore, nous observons que l’intervalle de confiance bootstrap pour l’index des modérations n’inclut jamais 0 et que la valeur des coefficients augmente continuellement. Autrement dit, l’effet modérateur s’accentue lorsque l’étendue de la collaboration augmente. Ces résultats viennent donc conforter H2c pour la relation entre un mode de coordination basé sur la confiance et la performance en situation de collaboration étendue.

TABLEAU 2

Statistiques descriptives et corrélations

Statistiques descriptives et corrélations

*corrélation significative à 5 % **corrélation significative à 1 %

NB : La diagonale indique la racine carrée de la variance moyenne extraite (AVE) des construits multi-items

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TABLEAU 3

STRUCTURE - Effets directs et modérateurs sur PERFORMANCE[14][15]

STRUCTURE - Effets directs et modérateurs sur PERFORMANCE1415

NB : ß est un coefficient non standardisé (Hayes, 2013).

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TABLEAU 4

STRUCTURE - Effets conditionnels de DEP et ETENDUE pour 3 niveaux de modération

STRUCTURE - Effets conditionnels de DEP et ETENDUE pour 3 niveaux de modération

a Valeurs basses pour ETENDUE : -1,321 et DEP = -2,121

b Valeurs modérées ETENDUE : -0,011 et DEP = -0,012

c Valeurs élevées pour ETENDUE : 0,917 et DEP = 2,095

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TABLEAU 5

PRATIQUES – Effets directs et modérateurs sur PERFORMANCE

PRATIQUES – Effets directs et modérateurs sur PERFORMANCE

NB : ß est un coefficient non standardisé (Hayes, 2013).

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TABLEAU 6

PRATIQUES - Effets conditionnels de DEP et ETENDUE pour 3 niveaux de modération

PRATIQUES - Effets conditionnels de DEP et ETENDUE pour 3 niveaux de modération

a Valeurs basses pour ETENDUE : -1,321 et DEP = -2,121

b Valeurs modérées ETENDUE : -0,011 et DEP = -0,012

c Valeurs élevées pour ETENDUE : 0,917 et DEP = 2,095

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TABLEAU 7

CONFIANCE - Effets directs et modérateurs sur PERFORMANCE

CONFIANCE - Effets directs et modérateurs sur PERFORMANCE

NB : ß est un coefficient non standardisé (Hayes, 2013).

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TABLEAU 8

CONFIANCE – Effets conditionnels de DEP et ETENDUE pour 3 niveaux de modération

CONFIANCE – Effets conditionnels de DEP et ETENDUE pour 3 niveaux de modération

a Valeurs basses pour ETENDUE : -1,321 et DEP = -2,121

b Valeurs modérées ETENDUE : -0,011 et DEP = -0,012

c Valeurs élevées pour ETENDUE : 0,917 et DEP = 2,095

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La figure 2 présente de manière synthétique les coefficients des relations significatives et offre une vision d’ensemble des résultats de la recherche.

Discussion et conclusion

Cette recherche analyse les liens entre les modes de coordination et la performance d’une part, et l’effet modérateur des risques collaboratifs sur ces liens d’autre part. Les résultats empiriques corroborent notre hypothèse (H1) concernant les liens directs et positifs entre les trois modes de coordination que sont les structures, les pratiques de contrôle et la confiance entre les partenaires, et la performance collaborative. L’hypothèse (H2) sur les effets modérateurs des risques collaboratifs est partiellement validée. L’effet modérateur de ces risques (étendue de la collaboration et dépendance) sur le lien entre une coordination par la structure collaborative et la performance est positif et très significatif. En revanche, pour les deux autres modes de coordination (pratiques de contrôle et confiance), seul le risque lié à l’étendue de la collaboration joue un rôle modérateur, la dépendance n’ayant pas cet effet modérateur sur le lien entre ces modes et la performance.

Au regard de son positionnement et de ces résultats, les contributions de cette recherche se situent à plusieurs niveaux.

Premièrement, cette étude fait suite aux travaux de recherche qualitatifs de Donada et Nogatchewsky (2008) en traduisant dans une étude quantitative l’importance de l’articulation entre le contrôle intra- et le contrôle inter-organisationnel, notamment par la mise en place d’une structure collaborative dédiée à la coordination entre les partenaires.

Deuxièmement, dans la lignée des recherches existantes sur la relation entre modes de coordination et performance, notamment dans les relations client-fournisseur, nos résultats montrent que, bien que les trois modes de coordination soient positivement liées à la performance, la relation entre la confiance et les pratiques de contrôle d’une part, et la performance d’autre part, est plus significative que celle avec la structure collaborative. Ce résultat affine les suggestions de Vosselman et van der Meer-Kooistra (2006) qui préconisent une meilleure prise en compte de la confiance entre les partenaires plutôt que l’exercice d’un contrôle formel pour créer les conditions d’une collaboration stable et durable dans des contextes de réussite incertaine. Notre recherche suggère toutefois que les mécanismes de contrôles formels doivent être distingués les uns des autres, car les pratiques de contrôle telles que la planification ou les revues de performance peuvent être tout aussi efficaces que la confiance.

En troisième lieu, nous montrons un effet différencié des risques collaboratifs sur le lien entre les modes de coordination et la performance collaborative. Les deux aspects du risque collaboratif (celui lié à l’étendue de la coopération au regard des activités impliquées ou celui lié à la dépendance vis-vis du partenaire) ont des effets modérateurs différents. Ceci va dans le sens d’une approche contingente des modes de coordination et des dispositifs de contrôle (Mellewight et al., 2018; Otley, 2016). Les résultats pour l’étendue de la collaboration sont conformes à la conclusion de Reuer et Ariño (2002) indiquant qu’une plus grande étendue augmente la complexité du management inter-organisationnel. Ils font également écho à l’affirmation de Ding et al. (2013) selon laquelle cette étendue s’exprime avant tout par un besoin accru de coordination.

Le résultat pour la dépendance est sans doute le plus intéressant puisqu’il est en contradiction avec un vaste courant de la littérature qui montre en général que, en cas de dépendance, il convient d’adopter un contrôle social, relationnel (e.g., Donada et Nogatchewsky, 2008; Gao et al., 2005) ou un contrôle non coercitif (e.g., Frazier et Summers, 1986). Or, nos résultats montrent que le seul effet modérateur de la dépendance porte sur le lien entre les structures (le mode de coordination le plus formel parmi les trois retenus) et la performance. Notre résultat rejoint donc celui de Trehan et Pourrat (2016) dans leur étude sur la situation d’extrême dépendance d’Orange par rapport à son fournisseur Apple. Les auteurs montrent que les modes de contrôle proposés dans la littérature (confiance et influence non coercitive) sont, dans cette situation, inopérants et, comment Orange a mis en place un cheminement par tâtonnements en déployant des processus de contrôle « préemptifs », définis comme l’activation simultanée de plusieurs modes de contrôle dans un environnement complexe. Trehan et Pourrat (2016) soulignent l’importance des axes stratégiques développés par Orange pour infléchir Apple (accroître sa masse critique, mettre en avant ses ressources clés et s’allier avec des concurrents pour les audits). Nos résultats insistent, quant à eux, sur le rôle des structures collaboratives qui découlent directement d’une stratégie collaborative. L’absence d’effet significatif de la dépendance entre les pratiques formelles de coordination et la confiance d’une part, et la performance collaborative d’autre part peuvent peut-être s’expliquer car la dépendance ici est traitée comme un construit unique. Or, Pazirandeh et Norrman (2014) ont fait un travail sur les causes et les effets du pouvoir (inversement proportionnel à la dépendance). Ils distinguent en effet plusieurs sources du pouvoir telles que la substituabilité, l’interconnexion, le partage de la demande, l’asymétrie d’information ou encore les politiques d’auto-suffisance locales. Pour chaque source, ils identifient les stratégies poursuivies qu’il s’agisse des stratégies d’adaptation (privilégiées dans les politiques d’auto-suffisances), les stratégies de changement vers moins de dépendance ou plus d’interdépendance dans les autres cas et les stratégies plus rares de sauvegarde à travers les contrats. Notre étude suggère donc d’affiner les sources de dépendance et également de mettre l’accent sur les stratégies qui expliquent la mise en oeuvre des différents modes de coordination.

FIGURE 2

Synthèse des seuls résultats empiriques significatifs sous forme graphique

Synthèse des seuls résultats empiriques significatifs sous forme graphique

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En résumé, notre recherche contribue à la littérature sur le management des collaborations client-fournisseur et sur les mécanismes de coordination adéquats en offrant un aperçu de la façon dont les entreprises peuvent atténuer les risques en utilisant à la fois des modes de coordination managériale (structures et pratiques de contrôle) et relationnelle (confiance).

Les résultats fournissent également des contributions managériales importantes en offrant des indications sur la manière dont les gestionnaires devraient utiliser les différents modes de contrôle compte tenu des risques collaboratifs. En effet, les trois modes de coordination n’aboutissent pas à la performance de l’entreprise de la même manière dans les situations de risque sur l’étendue de la chaîne de valeur et de dépendance par rapport à son client/fournisseur. Ainsi, par exemple, une entreprise fournisseur très dépendante de son client et engagée dans une collaboration couvrant des activités de R&D, d’industrialisation, de production et de logistique pour livrer des chaînes d’assemblage devra porter un soin particulier à l’adéquation de ses structures avec les besoins de coordination requis. Les résultats statistiques de nos tests renforcent cette recommandation du fait de la significativité de la variable exprimant le statut (entreprise cliente ou fournisseur) de l’entreprise concernée. Un fournisseur ne pourra se contenter de la création de lieux d’échanges et de formations où les partenaires travaillent ensemble – comme des plateaux projets pour le développement conjoint d’une innovation (Garel, 2012). Clark et Fujimoto (1991) illustraient déjà l’importance pour un fournisseur à être capable de travailler en mode projet avec une ingénierie simultanée qui impose de casser les silos internes des services et structures traditionnels. Notre recherche réaffirme une nouvelle fois ce point que trop d’entreprises refusent de considérer en dissociant les problématiques des structures partenariales externes et internes alors même que leur compatibilité représente un vrai mode de coordination inter-organisationnelle. Enfin, la valeur élevée des coefficients de régression entre la performance et les modes de coordination par les pratiques et la confiance nous encourage à recommander aux praticiens de veiller à bien planifier et à suivre leurs objectifs. Trop d’entreprises (même moins expérimentées dans les collaborations que celles de l’industrie automobile) mettent beaucoup d’énergie dans la rédaction de leurs contrats de partenariat et finissent par négliger les pratiques « quotidiennes » de coordination. Or, comme dans les mariages entre personnes (métaphore souvent utilisée par les chercheurs sur les alliances), ce ne sont pas tant les clauses du contrat qui font le succès de la vie commune mais les adaptations continues et la confiance entre les partenaires. Pour que la confiance ne soit pas seulement un concept, les praticiens devront veiller à impliquer des collaborateurs respectueux et sensibles aux normes relationnelles. Nos résultats confirment enfin l’égale importance de la confiance comme mode de coordination au regard des pratiques de contrôle classiques de planification et de revues de performance et les entreprises doivent en tenir compte.

Au-delà de ses contributions théoriques et managériales, cette recherche présente quelques limites qui appellent des pistes de recherches futures. Premièrement, nous utilisons des données cross-sectionnelles à un instant t de sorte que nous ne pouvons pas traiter les relations causales ou les problèmes d’endogénéité. Deuxièmement, la taille de l’échantillon limite la généralisation des résultats. Troisièmement, notre analyse est limitée à un certain nombre de modes de coordination et à l’utilisation d’un nombre restreint de mesures. D’autres facteurs de succès auraient également pu être introduits, comme l’éthique[16]. En effet, le développement de ce type de relations nécessite une confiance mutuelle et le respect de certaines normes relationnelles (solidarité, réciprocité, etc.). L’équité perçue d’une relation apparaît en ce sens comme un facteur décisif qui conditionne la pérennité et l’approfondissement d’une relation (Gauzente et Fenneteau, 2006). De futures recherches pourraient également appliquer nos résultats au niveau individuel pour considérer le rôle clés des boundary spanners. Il serait également intéressant d’examiner les résultats en matière de performance au niveau de la coopération par elle-même. Le courant de la performativité pourrait dans le futur être utilisé pour avoir une approche différenciée de la performance (e.g. Cabantous et Gond, 2010; Cabantous et al., 2010). Enfin, la compréhension des modes de coordination pourrait être approfondie en tenant compte des possibles effets de complémentarité/substitution entre lesdits modes ou d’une possibilité de « package » (Malmi et Brown, 2008). La question du « bon » ensemble à utiliser, adapté aux caractéristiques spécifiques de l›entreprise et aux interrelations entre ses modes de coordination, reste donc à traiter, notamment en prenant en considération d’autres facteurs de contingence (Otley, 2016) tant externes que liés aux spécificités organisationnelles. Autant de pistes de recherches futures sur la coordination des relations client-fournisseur.