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Dans « Libres d’Obéir. Le management du nazisme à aujourd’hui », Johann Chapoutot, s’intéresse au management selon et par les nazis, qu’il considère comme « matrice de la théorie et de la pratique du management pour l’après-guerre ». Selon lui, le nazisme a en effet développé une pensée de la conduite des personnes et des organisations, en particulier de l’Etat, qui, par la survie et le retour aux affaires d’anciens nazis, a imprégné les entreprises, l’armée et les administrations allemandes jusqu’à aujourd’hui et a aussi eu des épigones dans d’autres pays.

Résumé de l’ouvrage

L’ouvrage s’articule en huit chapitres. Les premiers chapitres montrent la pensée de l’Etat que développent les juristes nazis, dont Reinhard Höhn, personnage central du livre. Face à un Empire de taille croissante et avec toujours davantage de fonctionnaires mobilisés sur le front, il faut administrer plus avec moins de « ressources ». Il est donc nécessaire de « faire mieux » en donnant de l’autonomie, de la liberté et de la joie au travail. Structurellement, ces juristes prônent la déconcentration, la simplification normative, la réduction des dépenses au service d’un démembrement plus profond de l’Etat. Ce dernier est un produit d’importation judéo-romain qui enserre la vitalité germanique et doit laisser la place au parti nazi et à des agences ad hoc. S’installe alors une sorte de marché administratif interne avec prise de décision centralisée censée refléter les lois darwiniennes de la nature : les agences qui performent sont reconnues par le chef et supplantent les autres. Hitler récupère tout pouvoir sur un Etat qui n’est qu’un moyen d’action. Les prémices de l’Etat providence instauré par Bismarck sont alors détruites car, en aidant les faibles, l’Etat gangrène la vitalité du corps du peuple germanique. L’Etat est également inutile puisque les membres d’une même race sont un corps commun, les agents et leurs agences se coordonnent donc spontanément. Il disparaîtra au stade suprême de la victoire finale. La lutte des classes, l’opposition entre gouvernants et gouvernés disparaîtront également par la soumission librement consentie et joyeuse à celui qui a compris les lois de la nature, de l’histoire et la volonté profonde de chaque membre de la race germanique : Hitler guidant le peuple.

C’est à ce stade que l’ouvrage bascule dans l’analyse du Menschenführung, le management nazi. L’administration signifiait la servitude du sujet allemand, tandis que le management permet d’accepter d’être guidé par le führer.

Selon la vision du monde nazie, le germain est spontanément travailleur au service de la communauté, Il est donc inutile de le contraindre, il suffit de lui indiquer l’objectif à atteindre. Il s’organisera pour mettre en oeuvre les moyens afin d’arriver à l’objectif. Néanmoins, l’intensification de la production industrielle à la fin des années trente pour préparer la guerre fait craindre aux dirigeants nazis une contestation économique et sociale. Plusieurs mesures sont prises pour apaiser le travailleur allemand : bien le nourrir et ne pas l’épuiser complètement, le convaincre que son sort est préférable face à l’horrible condition de vie de l’ouvrier soviétique. Par ailleurs, on achète les allemands par des baisses d’impôts et une hausse des prestations sociales. Obtenir l’adhésion est une préoccupation constante du reich, notamment par des primes et avancements au mérite sur le modèle fordiste américain. On emprunte également au fascisme italien « la force par la joie ». Ainsi, le syndicat unique s’évertue à améliorer les conditions de travail (aménagement des locaux, concerts dans les usines, voyages organisés) sans perdre le souci de productivité accrue.

Reinhard Höhn, un des théoriciens de ce management nazi, dirige à partir de 1956 l’Académie des cadres. Il y transpose ses théories dans des ouvrages et des formations au management délivrés à des cadres d’entreprises et de l’armée allemande. 600 000 cadres y sont formés jusqu’à la fermeture de l’Académie en 2000. Höhn applique les leçons qu’il tire de l’histoire militaire au champ de la guerre économique. Le coeur de la doctrine de Höhn est le principe de « délégation de responsabilité » qui permet de lier le stratégique à l’opérationnel sans plaquer mécaniquement le premier sur le second. L’acteur doit être libre de trouver dans la pratique la manière de mobiliser les moyens pour que les fins soient atteintes. La notion de liberté d’obéir réside ici, on obéit car on n’a pas le droit de discuter les fins, les objectifs, mais on est totalement libre de s’organiser pour les atteindre. La continuité entre le nazisme et le management, voire même le fait que l’identité nazie soit liée au management, posés par l’auteur, viennent de cette liberté d’obéir inventée dans un cadre militaire et administratif nazi et transposée par Höhn dans le contexte civil d’après-guerre, les considérations racistes et eugénistes en moins.

Höhn considère que ces lois sont universelles et peuvent s’appliquer indistinctement au public et au privé. Dès 1969, il forme des cadres à tous les niveaux de l’administration et écrit des ouvrages spécifiques pour les administrations publiques. L’administration y est sommée d’imiter les méthodes du privé qui s’est réformé avant elle. Johann Chapoutot écrit : « Avec quelques années d’avance sur les pratiques britanniques, américaines et scandinaves, Höhn, qui pensait déjà, dans les années 1930, le dépérissement de l’État et le développement des agences, se fait le précurseur, sinon le prophète, de la Nouvelle Gestion publique (New Public Management), devenue une quasi-religion d’État dans les pays occidentaux, à commencer par l’Allemagne du chancelier Kohl, dès le début des années 1980. ». Le dernier chapitre montre, à partir de 1971, le déclin de l’Académie après que le passé de Höhn est révélé dans la presse.

Les chapitres de l’ouvrage sont entourés d’un prologue et d’un épilogue. Dans le prologue, il se garde de tout essentialisme : « le management a une histoire qui commence bien avant le nazisme, mais cette histoire s’est poursuivie et la réflexion s’est enrichie durant les douze ans du IIIe Reich, moment managérial, mais aussi matrice de la théorie et de la pratique du management pour l’après-guerre ». Pourtant l’épilogue, contredit ce propos : « les nazis apparaissent comme l’image déformée et révélatrice d’une modernité devenue folle-servie par des illusions (« la victoire finale » ou la « reprise de la croissance ») et par des mensonges (« liberté », « autonomie ») dont les penseurs du management comme Reinhard Höhn ont été les habiles artisans ». Le management a donc façonné le régime nazi. La perpétuation du management au-delà du nazisme est la perpétuation de la modernité dégénérée dans laquelle nous vivons. Le cas nazi est simplement extrême, donc heuristique. En forçant le trait, les nazis ont dévoilé crûment ce qui reste imperceptible ailleurs, malicieusement dissimulé ou laborieusement refoulé.

De manière globale, l’ouvrage est traversé par la question du management public : la pensée de l’Etat des nazis, la diffusion de la pensée de Höhn dans la Bundeswehr et dans l’ensemble des niveaux administratifs après-guerre. Or, là aussi les approximations sont nombreuses et les assertions de l’auteur sont en opposition parfois frontale avec les travaux disponibles en sciences administratives et en gestion publique, qu’il s’agisse de dessiner l’Allemagne en pionnière du New Public Management, de trouver l’origine des agences ou encore de comprendre les politiques de simplification.

L’Allemagne et le NPM, un bon exemple ?

Affirmer que « la Nouvelle Gestion publique (New Public Management) [est] devenue une quasi-religion d’Etat dans les pays occidentaux, à commencer par l’Allemagne du Chancelier Kohl, dès le début des années 1980 » est très problématique. Les travaux comparatifs de Pollitt et Bouckaert (1998; et ils le réaffirment à chaque édition jusqu’en 2017) sur la diffusion du NPM considèrent que, parmi les 15 pays de l’OCDE étudiés, seuls deux pays sont restés presque étanches aux principes du NPM : le Japon et l’Allemagne. L’Allemagne n’est pas donc pas une puissance exportatrice de modèles de réforme administrative, mais une importatrice très modérée. Ainsi, il regrettable que J. Chapoutot ne tienne pas compte des nombreux travaux socio-historiques sur le développement des idées managériales publiques en Allemagne[1]. L’opérateur de diffusion principal serait le Centre intercommunal pour la simplification administrative (Kommunale Gemeinschaftsstelle für Verwaltungsmanagement – KGSt) créé en 1949 et comptant encore aujourd’hui près de 1.600 collectivités adhérentes (dont la totalité des collectivités de plus de 25.000 habitants). Financé à 85 % par les cotisations des collectivités, il est indépendant de l’Etat et des partis politiques, il délivre des formations, réalise des études et conseille les administrations locales. L’acteur communément présenté comme passeur d’idées managériales est Gerhard Banner (né en 1932) qui prit la direction du KGSt de 1968 à 1995 après avoir été maire-adjoint de la ville de Duisbourg. Sous sa direction a été développé le « Nouveau modèle de direction » considéré comme la principale tentative de diffusion du NPM dans l’administration allemande[2]. Le Nouveau modèle de direction s’avéra un échec, comme le reconnait Banner : « D’un acte volontariste, le Centre a lancé le « nouveau modèle de direction » (Neues Steuerungsmodell, NSM), s’inspirant de l’exemple de Tilbourg, ville néerlandaise de 200.000 habitants qui venait de réorganiser son administration suivant les préceptes du New Public Management. Le moment était bien choisi, car après la réunification on s’attendait à une sérieuse pénurie budgétaire, et l’initiative du KGSt était accueillie avec enthousiasme. Villes, communes et Kreise se mettaient au travail en grand nombre pour mettre en pratique des éléments du NSM. Or, comme le modèle est d’une grande complexité et revient de surcroît à une « révolution culturelle » de l’administration publique, rares sont les collectivités qui l’ont adopté intégralement »[3]. Une étude[4] conduite en 2005 auprès de 1565 collectivités allemandes conclue à un échec de la mise en oeuvre du NSM : pas une seule des grandes collectivités allemandes n’y a eu recours et 2,5 % des répondants ont déclaré avoir un recours important aux outils de ce modèle[5].

Où est le Docteur Folamour du management public ?

Johann Chapoutot montre très bien que les agences sont au coeur de la revivification administrative allemande et incarnent le darwinisme social appliqué aux institutions publiques. Les nazis ont parlé d’agences. Le NPM prône l’agencification. Mais de là à considérer que le nazisme inspire le NPM et que sa diffusion commence par l’Allemagne pour aller vers les pays-anglo-saxons puis le reste du monde, Chapoutot trace une odyssée parfaitement mythique. Il lui manque un Docteur Folamour venant instiller les préceptes de Höhn au coeur de la pensée anglo-saxonne de l’administration publique. En théorie comme en en pratique, les agences contemporaines ne viennent pas d’Allemagne, mais du monde anglo-saxon, via la théorie économique des coûts de transaction et de l’agence[6]. Or les conceptualisations de l’agence par les nazis et les économistes sont très différentes. Höhn postule la confiance, puisque le germain adhère aux buts du guide, on peut donc laisser la liberté des moyens et petit à petit les meilleurs ressortiront et survivront. À l’inverse, Jensen et Meckling postulent la divergence d’intérêts, la méfiance.

Pour que Johann Chapoutot puisse avec quelque sérieux étayer sa thèse « matricielle », deux choses manquent : d’une part, un lien entre les juristes nazis et les économistes néo-institutionnels. Les ont-ils lus ? Savaient-ils lire allemand ? Ont-ils été en contact ? Aucune information. D’autre part, une fois la connexion des pensées opérées, il faudrait que l’on démontre que la pensée initiale n’a pas été altérée, dénaturée et adaptée au nouveau contexte de réception de ces idées managériales. Toute la littérature comparatiste en science administrative, science politique et en management public ne cesse de l’affirmer : les idées ne circulent pas simplement, linéairement et elles se transforment durant leur voyage[7]. De surcroît, en matière de traditions administratives, l’hybridité est la règle et non l’exception[8]. Il faudrait expliquer en quoi le cas allemand est l’exception qui confirme la règle. Toujours rien.

La pratique des agences apporte également son lot de contradictions à l’historien. La variante NPM des agences a été poussée à son paroxysme suite au rapport Next Steps au Royaume-Uni en 1988. Le rapport prévoyait de supprimer les ministères au profit d’agences et d’y transférer jusqu’à 95 % des 20 000 fonctionnaires de l’administration centrale[9]. La thèse d’Oliver James[10] montre la diversité des formes prises par les agences créées et la variété des modes de contrôle mis en place[11]. Mais surtout, James montre que beaucoup de départements administratifs disposaient d’une forte autonomie avant cette réforme. La liberté d’obéir dans le management public britannique ressemble davantage au roi esseulé du Petit Prince qui cherche à offrir à ses sujets une liberté dont ils jouissent déjà, elle signale une autorité déjà perdue. Dans la littérature comparative sur les agences, là encore, nulle trace de l’Allemagne comme modèle à suivre.

Au total, l’Allemagne n’a pas créé le management public, ni le NPM.

Enfin, la simplification, qui est omniprésente dans les politiques contemporaines de réforme de l’Etat, a également été une préoccupation des nazis et d’Hitler en personne. Mais l’auteur oublie de nous dire que cette simplification ne se distribue pas de la même manière à toutes les politiques publiques et surtout à toutes les personnes. Dans les années 1930, les nazis devinrent experts en matière de création de formalités afin de compliquer le départ des juifs d’Allemagne : ils devaient payer une taxe de 25 % sur le prix des billets, augmentée régulièrement pour aboutir dans l’interdiction pure et simple de retirer leurs actifs quand ils quittaient le pays. Les formalités pour sortir cumulées à celles pour entrer aux Etats-Unis furent fatales. L’Immigration Act américain de 1924 imposait aux immigrants de présenter un extrait de casier judiciaire, deux exemplaires de l’extrait de naissance, un certificat militaire. Pièces que l’on imagine peu aisées à récupérer par des juifs auprès de l’administration allemande de l’époque. Rajoutons à cela les exigences de moyens requises par les autorités américaines pour s’assurer que les immigrants ne vivraient pas au crochet de l’Etat. Coincés entre deux systèmes dissimulant la fermeture de leurs frontières par des mesures administratives, les candidats à l’asile ne partirent jamais et les quotas d’immigration américains ne furent jamais remplis entre 1933 et 1944[12]. La simplification peut tuer mais l’absence de simplification recèle le même potentiel. En toute vraisemblance, le décret de simplification de 1939 ne changeât rien à cette stratégie. La simplification fut donc partielle et son paramétrage des domaines et des personnes ciblées fait que le racisme du régime n’était pas un élément de contexte, mais le constituant de cette politique.

Les travaux empiriques montrent que la paperasse, les lourdeurs administratives (administrative burden) ont des impacts importants qui ne se limitent pas à du temps perdu ou au coût psychologique des phobies générées… Herd et Moynihan[13] montrent ainsi que le fardeau administratif est une politique en soi aux lourdes conséquences. La complexité des procédures peut entraver l’exercice de droits fondamentaux tels que le droit de vote[14], développer le non-recours aux aides que les populations sont en droit de revendiquer[15]. La complexité administrative expose de manière différenciée les classes sociales et renforce les inégalités car les groupes moins dotés culturellement ou économiquement en pâtissent plus que d’autres[16]De surcroît, la simplification qu’analyse Johann Chapoutot inclut « la réduction des droits et des voies de recours de l’usager ». C’est l’inverse que l’on retrouve dans les modalités de la simplification administrative aujourd’hui. Parmi les nombreuses mesures instaurées par le choc de simplification, certaines visaient en effet à renforcer les droits de l’usager et réduire les barrières faisant obstacle à l’expression de ses problèmes : mise en oeuvre du principe « silence vaut accord », droit d’obtenir communication des avis préalables à une décision administrative avant l’adoption de celle-ci pour permettre de modifier un dossier sans être obligé pour cela de recommencer la procédure, aide à l’obtention des droits sociaux avec la création du site « mesaides.fr », possibilité de porter plainte en ligne, dématérialisation des échanges d’extraits d’actes d’état-civil, mise en oeuvre d’un code de la relation usager-administration… L’enjeu n’est pas de défendre « notre » simplification contre celle des méchants nazis. Il s’agit de souligner que tout ne se joue pas dans le mot, dans l’annonce, mais dans le lien entre le mot et le faire. Une simplification peut être liberticide, une autre peut renforcer la démocratie administrative. Tout est affaire de texte, de contexte, d’action et d’effets sur lesquels on peut rester aveugle ou non. Les moyens ne sont pas séparables des fins. Car les fins se jouent dans le choix, le paramétrage et la manipulation des moyens qui donnent forme au réel.

Conclusion

En refermant ce livre, on ne sait pas vraiment à quoi l’auteur ramène le management : au nazisme ou bien à la modernité, sûrement aux deux.

Si c’est la modernité qu’analyse l’auteur, nous sommes face au début d’une longue série d’ouvrages (nazisme et sport, nazisme et cinéma, nazisme et architecture, etc.). Dans ce cas, le management n’est rien, un prétexte pour nous rappeler que les nazis étaient presque comme nous sur la terre, soumis au manque et au désir et devant composer collectivement avec. Alors cet ouvrage est un divertissement, écrit d’une merveilleuse plume.

Soit cet ouvrage va plus loin et ramène notre présent managérial à ce passé qui n’aurait pas complètement disparu. Et là, il prend le potentiel pour l’actuel. Il prend son cauchemar pour une réalité.

Entendons-nous bien. Johann Chapoutot a le courage de penser les limites de notre société. Il fait partie de ceux qui ont la clairvoyance de ramener l’inhumain dans l’humain en mettant la lumière sur l’obscur qui gît en nous. Le respect pour cet effort est acquis, irréfragable.

Mais c’est sur ce point qu’il faut suivre et quitter Johann Chapoutot.

Il faut le suivre, car il est nécessaire de nous rappeler que la modernité porte en elle une intention de pureté et de maîtrise telle qu’elle peut dégénérer, totalement. Il ne l’est pas moins de rappeler que le management est une forme de conduite des humains qui, à ce titre, n’est pas étanche à ces risques (invisibilisation du travail des enfants dans des sweatshops à l’autre bout des chaînes de valeurs mondialisées, triche organisée sur les tests anti-pollution pour préserver des parts de marchés, etc.). Il est salutaire de s’en rappeler pour faire l’effort d’extrapolation de nos pensées ou pratiques et envisager jusqu’où elles peuvent nous conduire, afin de pouvoir bifurquer en cours de route.

Mais il faut aussi quitter Chapoutot. Car il ne fait le travail qu’à moitié. Il ne voit que ce qui résonne entre le management nazi et le management et efface tout ce qui dissone. Le management et les lois républicaines qui l’encadrent, font qu’il transgresse les valeurs, les postulats et les modes de management nazis. Le risque de cet ouvrage, par son titre et son épilogue, est de se résumer à fournir des arguments rapides et à charge à des personnes déjà convaincues que le management c’est le mal, devenant de ce fait une machine à opprobre.

Johann Chapoutot n’ignore pas notre tendance à refouler le nazisme en dehors des fondements de nos sociétés. Il sait donc qu’en rapprochant nazisme et management, plutôt de produire un salutaire rappel sur des développements potentiellement sombres du management, il va produire un rejet. Il n’invite pas à la réflexion, mais permettra à certains de se jeter dans le camp du bien, comme un chien sur son os. Johann Chapoutot enclenche le mécanisme que précisément il entend démonter. Il permet d’assimiler le management à ce qui représente le mal absolu de notre modernité. Parions que seules les personnes déjà critiques liront ce livre. Les cadres intermédiaires, principale population des « managers » et angle totalement aveugle du management nazi, déjà fatigués[17] d’opérer un équilibrage permanent entre l’injonction aux résultats et à la bienveillance, n’auront probablement pas le courage de se voir comme un maillon du nazisme à aujourd’hui.