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Face aux effets de la mondialisation (externalisation, délocalisation, concurrence accrue, etc.) et aux enjeux liés à la compétitivité, les entreprises manifestent une considération de plus en plus importante pour l’espace dans lequel elles s’intègrent. Les entreprises s’organisent et les territoires se construisent, notamment par l’existence de dynamiques productives organisationnelles (Courlet et Ferguene, 2010). Les notions de territoire, de région, de dimension socio-spatiale au sens large sont revenues au coeur des préoccupations dans de nombreuses disciplines : économie (Colletis et Pecqueur, 2005; Zimmermann, 2005, 2008), géographie (Raffestin 1982, 1986; Di Méo, 1993, 2002; Di Méo et al., 1993; Lefebvre, 2000) et sciences de gestion (Mendez et Mercier, 2006; Raulet-Croset, 2008; Defélix et Mazzilli, 2009; Calamel et al., 2012; Defélix et al., 2013; Defélix, 2015).

Établies entre le local et l’illimitable (Di Méo, 2002), les régions sont des structures intermédiaires du territoire. Au fil du temps, différentes connaissances se développent notamment à travers des stratégies communes des firmes, des institutions, qui guident les régions vers de nouvelles trajectoires, les incitant à se développer et assurer leur compétitivité (Laperche et al., 2011). Dans ce contexte, de nouvelles formes de coopération apparaissent opportunes à la création d’initiatives entrepreneuriales (Germain, 2017). En d’autres termes, « de manière vertueuse, le territoire devient un réservoir de ressources pour l’entrepreneuriat collectif qui lui permet de se régénérer » (Stam et Bosma, 2015, cité par Germain, 2017). En effet, confrontés à de nombreux enjeux (restructuration, attractivité, compétitivité, etc.), les territoires régionaux doivent repenser leur organisation; ainsi, on assiste à l’émergence de nouvelles coopérations d’acteurs (exemple : acteurs académiques/industriels). Ces dernières ont pour objectif de mutualiser différentes ressources territoriales qui contribuent à la différenciation et la compétitivité du territoire. La coopération associée à la mutualisation des ressources constituent donc des éléments clés dans la construction de compétences entrepreneuriales territoriales (CET), ces dernières étant un ensemble de « ressources matérielles ou immatérielles, individuelles ou collectives, activables d’un milieu donné, fondées sur des coopérations, des complémentarités et des spécialisations, permettant de créer de la valeur sur un territoire pour l’ensemble des parties prenantes » (Noguera et al., 2015, p. 29).

Bien que les CET sous-tendent largement le développement territorial, à l’exception des travaux de Noguera et al. (2015), peu de recherches ont questionné la construction de ces compétences sur un territoire. L’objet de cette recherche est donc de répondre à la question suivante : comment des initiatives régionales peuvent-elles contribuer au développement de CET ?

Pour y répondre, nous étudions le programme pluridisciplinaire « Ambition Recherche et Développement (ARD) 2020 - Biomédicaments » lancé en 2013 par la Région Centre-Val de Loire. Celle-ci a pour objectif de valoriser des ressources et d’accroître la croissance économique régionale du secteur pharmaceutique, en développant la production d’innovations thérapeutiques, les biomédicaments. A travers ce programme, la Région Centre-Val de Loire assiste à une nouvelle dynamique entrepreneuriale territoriale (Colletis-Wahl et al., 2008) et laisse place à de nouvelles coopérations inter-organisationnelles (Mendez et Mercier, 2006), ayant pour résultat le développement de CET.

A ce jour, les recherches ont principalement examiné le processus de construction de compétences entrepreneuriales individuelles dans les organisations (Bargues et Bouchard, 2013; Lisein et De Zanet, 2013). Cette recherche s’inscrit dans la continuité de ces travaux en ayant pour objectif de comprendre la façon dont se développent les compétences entrepreneuriales, non plus au sein d’organisation, mais au sein d’un territoire et de façon collective (Noguera et al., 2015). A ce titre, elle contribue à la littérature théorique et managériale de plusieurs façons.

Premièrement, cette recherche interroge la question de la construction de CET, peu investiguée dans la littérature (Noguera et al., 2015). Deuxièmement, elle enrichit le concept de CET et s’inscrit ainsi dans la continuité des travaux de recherches encore trop peu nombreux sur cette question (Noguera et al., 2015). En effet, la définition proposée par Noguera et al. (2015) est récente, et grâce à l’observation d’un cas de l’intérieur, nous pouvons appréhender la façon dont ces compétences se développent, et asseoir par là les connaissances produites à propos des CET. Troisièmement, cette recherche doit permettre aux professionnels, plus particulièrement aux institutionnels, d’identifier les étapes structurantes de construction de CET et ainsi de mieux appréhender les défis qui s’offrent à eux lorsqu’ils souhaitent mettre en place des dispositifs et développer la gouvernance des décisions publiques via un management qui y est dédié, dont l’objectif est de stimuler l’innovation et le développement des entreprises sur leur territoire.

La première partie vise à explorer la littérature relative au territoire, à l’entrepreneuriat et aux compétences afin d’identifier les éléments théoriques utiles à la compréhension des CET. La constitution d’un dispositif méthodologique par recherche-action, à travers le programme « ARD 2020 – Biomédicaments » en Région Centre-Val de Loire, et notamment par une phase de collecte de données qualitatives auprès d’acteurs-experts parties prenantes de ce programme, permet de confronter les éléments issus de la littérature au terrain. Cette analogie entre constituants théoriques et empiriques rend possible la proposition d’un cadre d’analyse relatif au processus de construction des CET.

Des conditions nécessaires au développement de compétences entrepreneuriales territoriales

Nous proposons, à travers le cadre théorique mobilisé ici, de mieux comprendre les éléments qui participent au développement de CET. Ces éléments reposent sur la présence de ressources propices à l’expansion d’une spécialisation pour le territoire, sur la capacité des acteurs à interagir entre eux à travers des mises en réseau et sur l’existence d’une légitimité sociale régionale à même d’impulser une dynamique entrepreneuriale au sein du territoire.

Les ressources, clefs de voûte du processus de développement de la compétence

Le territoire est avant tout un vivier de ressources susceptibles de devenir des actifs stratégiques à part entière dans le développement de l’économie régionale (Colletis et Pecqueur, 2005). La révélation des ressources comme élément spécifique du territoire repose en grande partie sur un ancrage territorial des acteurs et sur leur capacité à interagir entre eux (Keramidas et al., 2016). Les ressources territoriales sont alors considérées comme « un type particulier de ressources : celles qui participent à la production du territoire et conditionnent l’organisation même de leur valorisation » (François et al., 2006, p. 685).

Dans cette dynamique de valorisation de ressources, le territoire se construit par le biais de rapports sociaux mais aussi d’actions économiques qui permettent et aboutissent à des pratiques collectives (Keramidas et al., 2016). On comprend alors que le territoire est une forme originale de rapports inter-organisationnels, lesquels s’appuient en partie sur une proximité géographique, élément fondamental dans la révélation de compétences territoriales décrites comme « une combinaison de ressources géographiquement proches permettant au territoire d’afficher une spécialisation compétitive » (Defélix et Mazzilli, 2009, p. 201). L’existence de compétences territoriales, qui sont pour la plupart le reflet de compétences organisationnelles pré-existantes (Asselineau et Cromarias, 2011), rend, la plupart du temps, possible la révélation de CET. Partant de caractéristiques semblables, les CET reposent en plus sur la coopération et la complémentarité des acteurs, notamment grâce à la mise en réseau, ce qui aboutit à une création de valeur de l’ensemble des parties prenantes et assoit la singularité du territoire (Noguera et al., 2015).

Les programmes régionaux, une façon de formaliser une mise en réseau

Dans notre approche, le territoire régional est un endroit où se connecte des réseaux matériels ou immatériels, physiques ou humains, il devient un lieu d’intersections de stratégies et de relations interdépendantes (Leloup et al. 2005; Roth et Avioutskii, 2014). Il est considéré comme « un lieu de cohésion et d’articulation de multiples projets et de dynamiques territoriales impulsés par les acteurs » (Mollard, 2006, p.7). Par conséquent, le territoire régional constitue un lieu privilégié pour le déploiement de politiques publiques de niveaux distincts (local, national, européen, etc.), il intervient dans l’émergence de réseaux, de projets, de gestion de ressources et de systèmes localisés (Mollard, 2006).

Dans un contexte d’innovation, Akrich, Callon et Latour (1988, 2006), repris par Lamine (2014), ont mis en avant le fait que le succès d’une innovation reposait sur une coopération originale d’une variété d’acteurs. Grâce à cette coopération, deux composantes vont émerger. D’un côté, un réseau entrepreneurial et de l’autre, une dynamique de production. Ces composantes sont considérées comme les fondements de l’efficience et de la réussite de cette innovation. Dans la même perspective et dans ce contexte précis de l’industrie pharmaceutique, Yacoub et Laperche (2010) insistent sur la nécessité de créer de nouveaux types de coopération. En effet, « un autre aspect des mouvements de l’industrie pharmaceutique est celui de la multiplication des coopérations avec des organismes de recherche, publics ou privés, universitaires ou de formation. Ces coopérations qui portent sur des contrats de recherche permettent le rapprochement entre la formation (théorique) et l’industrie (pratique/appliquée) » (Yacoub et Laperche, 2010, p. 95). Selon ces auteurs, ces coopérations constituent donc une façon d’assurer la complémentarité des forces et faiblesses de deux milieux distincts. Dans cette approche coopérative entre parties prenantes d’un même territoire, les programmes de recherche régionaux représentent un moyen pertinent pour associer différentes « approches scientifiques sur le développement régional et une démarche engagée, visant à favoriser de nouvelles dynamiques pour le développement via une meilleure intégration des stratégies d’acteurs et des activités économiques » (Mollard et Pecqueur, 2006, p. 16). Le programme de recherche « ARD 2020 - Biomédicaments » repose sur la volonté des acteurs de mettre en commun des ressources spécifiques afin de réussir la production d’une innovation dans un environnement donné.

C’est donc grâce à la disponibilité de ces ressources sur le territoire et aux actions collectives, que des initiatives entrepreneuriales peuvent émerger afin de faire évoluer et d’exploiter au mieux ces ressources. L’entrepreneuriat, pouvant être défini comme l’identification, l’évaluation et l’exploitation d’opportunités de nouveaux produits et services (Shane et Venkataraman, 2000; Chabaud et Messeghem, 2010), peut être par ailleurs stimulé par la présence d’une culture régionale favorable à l’entrepreneuriat (Dejardin, 2006; Randerson et al., 2013).

La légitimité sociale régionale, un élément environnemental à considérer

Les recherches qui ont analysé l’influence du contexte régional sur l’activité entrepreneuriale se sont appuyées sur la théorie institutionnelle (Welter, 2011), selon laquelle les croyances et comportements individuels répondent à des normes et des règles qui apparaissent dans l’environnement institutionnel, les contextes institutionnels pouvant activer ou limiter les comportements individuels (Giddens, 1984; Scott, 1995; Hodgson, 2006). Kibler et al. (2014) ont mené une étude auprès de 65 régions en Autriche et en Finlande et ils observent que la légitimité sociale régionale influe sur les rapports entre les convictions entrepreneuriales individuelles, les intentions et le comportement de démarrage. Ils soulignent que « ces effets d’interactions dépendent des caractéristiques socio-économiques de la région » (Kibler et al., 2014). Selon ces auteurs, la légitimité sociale régionale est associée à une perception positive de l’entrepreneuriat, activité alors perçue comme désirable ou appropriée dans la région. Elle concentre un ensemble d’éléments propre à la culture entrepreneuriale régionale et renvoie à la façon dont les croyances entrepreneuriales d’un individu influencent l’intention entrepreneuriale et la probabilité qu’un individu transforme cette intention en action.

La légitimité sociale régionale constitue donc un moyen important de contribuer au développement de l’intention entrepreneuriale. Leur étude montre que des conditions doivent être réunies pour que cette légitimité sociale régionale contribue effectivement à une initiative entrepreneuriale. Kibler et al. (2014) exposent, en effet, qu’un haut niveau de légitimité sociale régionale est atteint si les actions publiques de soutien font apparaître l’entrepreneuriat comme un choix de carrière bénéfique. Le programme « ARD 2020 – Biomédicaments » en Région Centre-Val de Loire s’assimile à ce type d’actions publiques de soutien avec des objectifs socio-économiques se traduisant principalement par des créations d’entreprises et d’emplois.

Au final, si un territoire est capable de développer au mieux les compétences entrepreneuriales, il deviendra un terreau fertile pour les entreprises en permettant non seulement à des porteurs de projet de vouloir s’y installer mais également en facilitant le développement des entreprises déjà présentes sur ce territoire. Face à une concurrence accrue des territoires, à un turn over « régional » croissant et au caractère volatil de certaines compétences, l’un des objectifs va être non seulement d’attirer mais de fidéliser une main d’oeuvre spécifique sur le territoire (Loufrani-Fedida et Saint-Germes, 2015). Loufrani-Fedida et Saint-Germes (2015) montrent que de nouvelles stratégies RH sont définies pour attirer et fidéliser les talents en local. La construction de CET peut s’intégrer dans les nouvelles stratégies RH afin d’assurer le développement mais aussi la compétitivité du territoire.

Partant de là, l’étude empirique exploratoire menée au sein de la Région Centre-Val de Loire, qui accueille depuis 2013, le programme régional « ARD 2020 – Biomédicaments », permet d’étendre le cadre conceptuel pour proposer un cadre d’analyse de la construction de CET.

Méthodologie de la recherche

Randerson et al. (2013) soulignent la nécessité de faire appel à des méthodologies qualitatives pour étudier les stratégies et pratiques qui soutiennent la dynamique entrepreneuriale. Ainsi, cette recherche qualitative exploratoire a été menée dans le cadre d’un projet unique de mutation et d’innovation sur un territoire, au sein d’un dispositif de recherche de grande envergure de trois ans. Nous présentons ci-après le programme « ARD 2020 – Biomédicaments » ainsi que la démarche de recherche-action mobilisée.

Le programme « ARD 2020 - Biomédicaments » en Région Centre-Val de Loire comme terrain d’exploration

Ce qui a fait les beaux jours du secteur pharmaceutique dans les années 1940, à savoir la brevetabilité de la production des médicaments, est en pleine mutation depuis les années 1990. Cette date correspond à l’entrée dans le domaine public, des premiers blockbusters des bigpharmas. En effet, ces produits à forte valeur ajoutée, dont les industries puissantes avaient le monopole, sont devenus imitables, les génériques occupant désormais une place importante sur le marché. Faisant appel à des procédés de production totalement différents de la synthèse chimique, la production de biomédicaments constitue une véritable mutation innovante au sein du secteur pharmaceutique et permet ainsi de répondre à la menace de perte de compétitivité des laboratoires français (Centréco et al., 2014[1]). L’impact des technologies et des innovations sur les industries de ce secteur étant particulièrement important, les acteurs vont devoir s’adapter aux nouvelles directives du marché et saisir les opportunités liées à cette mutation. Pour conserver son positionnement de troisième producteur de médicaments en France (cf. encadré 1) et faire face à ces mutations, la Région Centre-Val de Loire doit désormais répondre à de nombreux enjeux.

Des investissements financiers et humains, accompagnés de choix stratégiques vont donc être nécessaires de la part des industriels du secteur. L’ensemble des acteurs institutionnels, publics, privés, doit alors privilégier de nouvelles orientations afin de conforter sa compétitivité. En effet, les activités régionales liées à ce secteur ne reposent pas uniquement sur les industries, le territoire comptant une pluralité d’acteurs notoires :

  • le Groupement Régional des Établissements Pharmaceutiques Industriels du Centre;

  • Polepharma (cluster national de la production pharmaceutique);

  • les universités d’Orléans et de Tours;

  • l’Institut des Métiers et des Technologies (IMT) des industries pharmaceutiques et cosmétiques;

  • l’organisme de formation Bio3 Institute (lancé par le gouvernement, les universités de Tours et d’Orléans, la Fondation Philippe Maupas, le groupe IMT et le CROUS);

  • le Labex Mabimprove;

  • la Fondation Philippe Maupas (qui a pour mission de contribuer au développement et à la production de biomédicaments et de bioactifs cosmétiques).

Dans cette logique, la Région Centre-Val de Loire a lancé un « Appel à Manifestation d’Intérêt » autour duquel s’est construit le programme « ARD 2020 – Biomédicaments » qui rassemble une pluralité d’acteurs de la recherche et d’acteurs régionaux au sein d’un dispositif de recherche de plus de 7 millions d’euros (Evon et al., 2016). Déployé à l’échelle territoriale, l’investissement dans ce projet a pour objectifs finaux d’assurer la compétitivité et l’attractivité du territoire en spécialisant la Région dans la production de biomédicaments, qui implique de mobiliser des compétences spécifiques et nécessite un savoir-faire particulier.

Dans le cadre de notre questionnement sur le processus de développement de CET, le programme « ARD 2020 – Biomédicaments » constitue un terrain d’exploration privilégié pour notre recherche. Un tel programme permet d’observer la mise en réseau d’un grand nombre d’acteurs clés (Universités, laboratoires de recherche, centres de formation, industriels, clusters, etc.), orchestrée par une gouvernance territoriale guidée par le développement d’une innovation en Région.

Une démarche de recherche-action

Pour répondre aux objectifs fixés, l’étude qui est présentée ici relate une démarche qualitative par recherche-action (Evon et al., 2016). L’implication des chercheurs dans un tel projet représente une véritable opportunité de collecter des données auprès d’acteurs difficilement accessibles, dans un contexte unique d’innovation au sein d’un territoire. Un axe de recherche en Sciences Humaines et Sociales (SHS) est intégré au programme avec, au total, une équipe de 20 chercheurs. L’objectif est ici de favoriser la création et le développement d’entreprises autour des biomédicaments en Région Centre-Val de Loire, à travers la problématique de l’acceptabilité des biomédicaments par les différentes parties prenantes. Ainsi, l’équipe de chercheurs intervient avec pour enjeu principal de piloter le processus de transformation socio-économique du secteur des biomédicaments sur le territoire régional.

Du point de vue théorique, selon David (2000, p. 210), cette méthode interactive entre les chercheurs et les acteurs de terrain « consiste à aider, sur le terrain, à concevoir et à mettre en place des modèles, outils et procédures de gestion adéquats, à partir d’un projet de transformation plus ou moins complètement défini, avec comme objectif de produire à la fois des connaissances utiles pour l’action et des théories de différents niveaux de généralité en sciences de gestion ». En d’autres termes, les chercheurs sont envisagés comme les acteurs d’une démarche visant un changement des processus de gestion (Savall et Zardet, 2004), la transformation d’une situation vécue comme étant problématique par les acteurs en une situation plus favorable (Allard-Poesi et Maréchal, 2004). Le changement attendu est ici lié à une meilleure compréhension de la capacité d’un territoire à produire une innovation et à l’identification des leviers d’action à mettre en oeuvre.

Le travail en équipe a permis l’accès à un nombre plus important de données et de matériaux. En outre, cet ordonnancement des données collectées, associé à un travail d’écriture permettant l’analyse des pratiques et la confrontation des informations, a facilité la distanciation nécessaire à toute démarche de recherche-action. Sur ce point, suivant les problématiques traitées et les phases du projet, les autres chercheurs jouent un rôle d’observateur permettant ainsi d’effectuer un retour réflexif sur les différentes réalisations (David, 2000). De plus, les multiples allers-retours entre le terrain et la théorie s’inscrivent dans la durée, dans la mesure où le programme « ARD 2020 – Biomédicaments » s’étend sur trois années au minimum.

Plus précisément, dans le cadre de cet article, nous présentons une partie du protocole méthodologique global mis en oeuvre. Ce sont ici des méthodes documentaires qui ont été mobilisées. Elles correspondent à des transcriptions de discours de 18 acteurs-experts de la Région, parties prenantes du programme étudié et protagonistes du changement (cf. tableau 1). Ces acteurs sont qualifiés d’experts, car ils se situent au premier plan des différentes mutations du secteur pharmaceutique et de la Région Centre-Val de Loire.

Tableau 1

Structure de l’échantillon des personnes interrogées

Structure de l’échantillon des personnes interrogées

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La retranscription de discours provient de grilles remplies directement par ces acteurs-experts, dont le but était de générer une association d’idées, de manière spontanée, sur les thèmes de l’industrie pharmaceutique, les compétences, l’entrepreneuriat et les spécificités économiques, organisationnelles et sociales du territoire de la Région Centre-Val de Loire. Cette démarche d’auto-administration des grilles aux interlocuteurs nous a permis de garantir une distanciation des chercheurs impliqués dans le programme « ARD 2020 – Biomédicaments », afin d’assurer la validité et la fiabilité des données collectées. En effet, les chercheurs ne sont pas intervenus dans leur production (si ce n’est la structuration des questions et leur envoi par voie électronique). Ce travail d’écriture amène également les praticiens à se positionner dans une posture de distanciation au regard de l’expérience vécue.

Afin de traiter l’ensemble des données collectées, une analyse thématique de contenu a été effectuée grâce au logiciel Nvivo 10. L’analyse thématique nous permet ici d’interpréter le sens que les acteurs donnent à leurs actions. L’élaboration de notre dictionnaire des thèmes résulte d’un processus par allers-retours entre le corpus de données collectées et la littérature relative à notre cadre théorique (Allard-Poesi, 2003). Ainsi, nous avons d’abord effectué un codage ouvert, grâce à une première lecture dite flottante du corpus de données. Les codes obtenus sont alors essentiellement descriptifs. Lors d’une seconde étape, nous avons pu reformuler et regrouper certains thèmes (Paillé et Mucchielli, 2005), et ainsi effectuer un codage axial. Notre dictionnaire des thèmes est construit autour de trois principales thématiques, à savoir : ressources, coopération et légitimité sociale régionale.

Conformément à l’approche qualitative exploratoire de cette étude, la démarche méthodologique décrite ci-dessus vise à produire des connaissances « actionnables » sur le sujet des capacités d’un territoire à générer une innovation, qui constituent ses principales conclusions.

Résultats

Tout d’abord, nos résultats exploratoires rendent compte de la dynamique entrepreneuriale de la Région Centre-Val de Loire, guidée par le programme « ARD 2020 – Biomédicaments ». Par la suite, l’analyse des résultats permet une identification des étapes de construction indispensables au développement de CET.

Les caractéristiques territoriales, socle d’initiatives entrepreneuriales

Ces premiers résultats confirment l’engagement de la Région Centre-Val de Loire dans une dynamique entrepreneuriale, prenant appui sur des caractéristiques avérées du territoire : culture régionale, héritage industriel du secteur pharmaceutique, présence de laboratoires de recherche et de centres de formation spécifiques, etc. En effet, forte d’un tissu industriel pharmaceutique important, héritage de plusieurs décennies (Meyronin, 2015), la Région Centre-Val de Loire occupe la troisième place des régions françaises dans la production de médicaments (Centréco et al., 2014) :

« La Région Centre-Val de Loire, composée de 6 départements, abrite à elle seule 40 % de la production française de médicaments. C’est une région à forte culture industrielle. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

« Présence historique de façonniers en Indre et Loire, industries cosmétiques. »

Chef de projet cluster pharmaceutique

« L’industrie pharmaceutique régionale, forte de ses 10.000 emplois directs, est une des principales puissances économiques régionales, indéniable et incontestable. Elle est la première région manufacturière française de médicaments. 2 unités sur 5 sont fabriquées en Région Centre-Val de Loire. »

Dirigeant centre de formation

Ainsi, par sa culture et son héritage industriel important, la Région est reconnue et identifiée comme un centre majeur de développement de l’industrie pharmaceutique :

« Elle a déjà un savoir-faire dans la cosmétologie qui est reconnue à l’extérieur de la région mais méconnue du grand public ou même des professionnels. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

« La génétique et ses applications en thérapeutique humaine constituent probablement un des points forts de la région. »

Chargé de mission fondation partenariale, filière santé et bien être

La reconnaissance de la Région Centre-Val de Loire comme grand centre de production et innovation pharmaceutique lui permet d’asseoir une légitimité par rapport au secteur et de pouvoir ainsi s’inscrire dans une dynamique entrepreneuriale. Partant de ce constat et à travers le programme « ARD 2020 – Biomédicaments », les enjeux de ces initiatives sont d’innover dans les processus, voire de mettre à disposition des plateformes opérationnelles adaptées au contexte industriel, de favoriser le rayonnement territorial, l’attrait économique du territoire pour des programmes de recherche, des chercheurs ou encore des financements :

« Le programme [ARD 2020 - Biomédicaments] peut développer un avantage territorial concurrentiel spécifique en développant des programmes de recherche innovants, créer une dynamique locale spécifique. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

Les objectifs en termes d’initiatives entrepreneuriales sont finalement la raison d’être du programme régional « ARD 2020 – Biomédicaments ». En effet, grâce à une mutualisation de nombreux acteurs (publics et privés), le programme, incarné par les pouvoirs publics et notamment la Région, est ici considéré comme un vecteur, et même un accélérateur de cette dynamique entrepreneuriale territoriale. Il est à la fois un garant de l’investissement dans cette innovation, facteur d’attractivité pour les industriels et un moyen de porter la recherche et d’aider les ressources humaines à entreprendre et à anticiper ces changements. Le développement du Bio3 Institute[2], au coeur d’une logique partenariale entre les principaux acteurs régionaux de la formation, les institutionnels et les industriels du secteur du médicament, illustre directement cette volonté entrepreneuriale territoriale.

Les fondements de la dynamique territoriale au service de la dynamique entrepreneuriale

Nos résultats suggèrent qu’une série de composantes inhérentes au territoire constitue un préalable favorable au développement de CET. Dans ce contexte, il est aisé de mettre en exergue les ressources territoriales déjà présentes et de favoriser un environnement propice à l’innovation et au développement des moyens de production dans ce secteur :

« L’industrie pharmaceutique est source d’emplois et d’innovations. »

Responsable commercial société d’accompagnement projet pharmaceutique

« Elle participe au développement de l’économie régionale au travers de ses entreprises de production de médicaments et de leurs sous-traitants. »

Chef de projet cluster pharmaceutique

« Bon nombre de services sont utilisés par l’industrie pharmaceutique, il existe des services à très forte valeur ajoutée qui participent au dynamisme du territoire. Ce sont des services qui appartiennent à la sphère des industriels du secteur, à la dimension production. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

A travers le programme « ARD 2020 – Biomédicaments », la Région se lance dans une métamorphose territoriale (Pecqueur, 2005). Les spécificités du territoire favorisent cet engagement qui se traduit, tout d’abord, par la mobilisation d’un ensemble d’acteurs présents sur le territoire. Par leur attachement au territoire et leur proximité géographique, l’ensemble des acteurs clés d’une telle dynamique se connaît et s’identifie pour amorcer une logique commune d’action. Ils s’engagent alors dans un réseau d’acteurs et orientent leur action vers un objectif commun articulé autour du programme :

« On a des réseaux sociaux, on fait des insertions dans des magazines spécialisés. Cela renforce l’écosystème et ça force les entreprises à se rencontrer. »

Chef de projet cluster pharmaceutique

« Le programme [ARD 2020 - Biomédicaments] permet à tous les acteurs de se connaître, se rencontrer pour élaborer des projets communs ce qui est une force pour la région et permettra au secteur d’avancer plus vite dans les domaines concernés. »

Chargé de mission fondation partenariale, filière santé et bien être

En effet, à travers le programme « ARD 2020 – Biomédicaments », de nombreuses actions sont mises en place et participent à la construction et au développement de ce réseau d’acteurs. On peut citer notamment des tables rondes annuelles (ouvertes aux acteurs professionnels et aux chercheurs), regroupant près de 120 participants; des états généraux des biomédicaments intitulés « les biosimilaires dans la société : comment en parler ? » comptant des représentants de 21 associations; des symposiums sur la thématique suivante : « nouveaux médicaments et relations patients-soignants » comptant environ 70 participants (industriels, chercheurs, collectivités locales, etc.); la co-rédaction d’un livre blanc sur le sujet adressé à l’ensemble des participants et aux associations de patients.

La structuration des acteurs et des ressources permet ainsi d’identifier, d’évaluer et d’exploiter les opportunités, les services et les produits qui créent un terrain fertile à l’innovation et amène à une meilleure compréhension des enjeux liés à l’entrepreneuriat territorial par les acteurs :

« Les enjeux sont surtout économiques et scientifiques avec de belles découvertes dans un avenir proche et aussi attirer des grands groupes, développer le partenariat public/privé. Par le Bio3, la région peut devenir un centre d’excellence au niveau formation biotechnologie. »

Chargé de mission fondation partenariale, filière santé et bien être

« Ce qui est découvert dans une région, dans un pays, reste en termes de développement, dans la région ou le pays de découverte. »

Responsable commercial société d’accompagnement projet pharmaceutique

Un cluster est également impliqué dans le programme afin de permettre la coordination des industriels du secteur. La dynamique entrepreneuriale territoriale dépend non seulement de la présence de ressources sur le territoire, mais également de la coordination qui existe entre les acteurs et ces ressources :

« Elles travaillent les unes avec les autres en particulier grâce à des organisations ou programmes comme le GREPIC, Polepharma, ARD 2020 et aux réseaux ou aux manifestations à leur initiative. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

En effet, les enjeux du programme sont de conserver le bénéfice de l’innovation issue de la recherche publique et favoriser le passage entre les différentes étapes du développement d’un biomédicament. Dans une vision à plus long terme des CET, à partir du moment où la Région investit dans le secteur biopharmaceutique, la répercussion économique dépend en partie de l’arrivée de nouveaux acteurs sur le territoire (industriels, start-up, etc.) :

« On se dit aussi que si on crée une dynamique dans ce sens-là, on peut aussi y faire venir des start-up. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

« Mais l’objectif c’est aussi de faire venir des industriels, et des start-up pour pouvoir s’implanter dans la Région Centre-Val de Loire. »

Responsable commercial société d’accompagnement projet pharmaceutique

« Attirer, parce que justement, on aura une expertise dans ce domaine-là, attirer des entreprises, et puis aussi d’en former. »

Dirigeant centre de formation

« Quand il y a une proximité entre la recherche et le tissu économique, ça fait des petits. »

Dirigeant société d’accompagnement projet pharmaceutique

Cette dynamique d’innovation est rendue possible grâce à l’interaction des acteurs dans un espace géographique auquel ils s’identifient :

« C’est de montrer qu’il peut y avoir une convergence et une synergie entre le public et le privé. »

Chargé de mission fondation partenariale, filière santé et bien être

Cette proximité géographique incite à une proximité organisée (Rallet et Torre, 2005). Le programme régional « ARD 2020 – Biomédicaments » lève certains freins en offrant à ses acteurs une complémentarité dans leur fonctionnement. Cela conduit à une réelle coopération et synergie de ces acteurs. Avec un avantage relatif à la localisation de la Région, il y a une réelle proximité géographique des centres de décisions :

« Quand vous êtes implantés à Tours, au sud de la région. Vous êtes à une heure de Paris, à une heure des sièges sociaux. »

Dirigeant-fondateur laboratoire pharmaceutique

« De grands groupes industriels français sont présents en région à côté de façonniers/sous-traitants. Les savoir-faire sont multiples. »

Directeur général laboratoire

Dans cette logique, une gouvernance organisée autour du programme s’avère un élément nécessaire pour favoriser l’émergence de CET, sur les questions de financement, mais également sur la mise en réseau des acteurs publics et privés, académiques et professionnels, ainsi que sur l’identification et la mobilisation des ressources présentes sur le territoire. En effet, à travers l’investissement dans ce programme, la Région a pour volonté de capitaliser sur la multidisciplinarité d’équipes de chercheurs mais également de structurer la filière avec la mise en place de formations adaptées.

« Ce n’est pas juste ponctuellement financer quelques projets de recherches, il y a aussi cette vision à la fois de former des chercheurs de demain mais aussi du personnel qui pourront aller dans des entreprises, dans le domaine des biomédicaments. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

« Ce dispositif, porteur de compétences de recherche dans notre région, mais en même temps de développement économique avec une capacité de créer des entreprises, et de contribuer à assurer des mutations assez stratégiques pour l’économie régionale. »

Chef de projet cluster pharmaceutique

« Les objectifs sont de créer une dynamique de recherche, augmenter le nombre de chercheurs impliqués dans le domaine du biomédicament, mettre en place un pôle de recherche qui soit visible et attractif à l’échelle internationale, faire venir des compétences extérieures. »

Délégué médical hospitalier laboratoire pharmaceutique

Autant d’éléments qui sont indispensables au développement de CET.

Mise en réseau d’acteurs, catalyseur dans le développement de CET

Le développement de CET s’appuie sur les ressources organisées d’un territoire et l’interaction des acteurs se caractérise par le développement de compétences en lien avec le territoire et son potentiel entrepreneurial. L’agrégation et la mutualisation des compétences présentes sur le territoire, ainsi que la mise en place de moyens permettant le développement de compétences spécifiques favorables à l’innovation, sont à l’origine du développement de CET.

Ainsi, l’objectif d’un tel programme est de mettre en relation des acteurs, et de faire naître des coopérations pour atteindre les stratégies préalablement définies et permettre la relation entre la recherche et les industriels, ou encore les formations et les industriels :

« On a mis en place telle ou telle coopération et on s’est rendu compte qu’on avait telle ou telle opportunité de développer tel ou tel médicament. »

Dirigeant-fondateur laboratoire pharmaceutique

« On a quand même associé au programme biomédicaments, le cluster Polepharma qui eux sont des représentants, quelque part, c’est eux le lien avec l’entreprise, et voilà. »

Dirigeant-fondateur laboratoire pharmaceutique

« Si on monte des formations diplômantes pour dire qu’on monte des formations diplômantes mais qu’elles ne correspondent pas au besoin industriel, ça ne sert à rien. »

Chargé de mission centre de formation

« Quand vous avez impliqué un industriel dans un cursus de formation, il s’approprie ça aussi […]. Nous sommes une passerelle entre l’université et l’industrie. »

Dirigeant centre de formation

Les enjeux sont de développer les axes de recherche et les collaborations entre les programmes publics et privés et de rendre visibles les actions menées au niveau national. En effet, le programme permet de valoriser la compétence territoriale et de développer les CET dans le domaine des biomédicaments et de la bioproduction. D’ailleurs, la Région Centre-Val de Loire a renouvelé cette volonté manifeste à travers la formalisation d’une convention cadre couvrant deux périodes : 2013-2016, 2017-2020.

« Mobilisation de tous les acteurs de la filière pharmaceutique, de la recherche fondamentale jusqu’à la production avec une dizaine de partenaires. »

Chargé de mission fondation partenariale, filière santé et bien être

De plus, l’industrie pharmaceutique en Région Centre-Val de Loire est fortement pourvoyeuse d’emplois. En effet, ce secteur emploie 9 000 personnes au sein des six départements de la Région et mobilise des compétences et qualifications variées, parfois spécifiques, créant un véritable vivier de savoir-faire :

« Je pense que la région a tout pour être à l’origine d’innovations thérapeutiques considérables, pour peu qu’elle ne transfère pas sa technologie à un acteur international à bas coût. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

Le programme « ARD 2020 - Biomédicaments » est un levier essentiel de mobilisation et de développement des ressources humaines, face aux enjeux, actuels et à venir, du secteur sur le territoire de la Région Centre-Val de Loire. Il s’agit de permettre aux acteurs économiques de disposer des compétences individuelles adéquates pour accompagner les évolutions technologiques, réglementaires, mais également démographiques du secteur.

« Les enjeux du programme sont des enjeux de recrutement de personnel, de plus en plus qualifié (les technologies et équipements deviennent de plus en plus complexes dans un environnement réglementaire exigeant et drastique) et ayant intégré les codes sociaux et les codes entreprises. »

Chef de projet cluster pharmaceutique

« Si une reconversion vers la production de biomédicaments s’opère, les enjeux de recrutement et de formation des collaborateurs seront un enjeu régional. »

Représentant Conseil Régional et Conseil Départemental, développement économique et emploi

« Trouver du personnel qualifié pour faire face aux nombres départs en retraites venir. »

Chargé de mission centre de formation

Par conséquent, il y a une nécessité pour l’ensemble des acteurs impliqués dans le programme de s’engager dans une démarche de prospective RH, et plus spécifiquement des métiers (Boyer et Scouarnec, 2009; Brillet et al., 2016). En effet, le développement des biomédicaments s’accompagne d’une évolution des métiers qui composent sa chaîne de valeur. Les rencontres annuelles des enjeux RH proposées par le cluster Polepharma en sont d’ailleurs une illustration.

« On se rend compte de certaines pénuries et on fait en sorte de sensibiliser des institutions à lancer des formations. Je pense à Polytech, à des universités ou à des écoles plus locales. Ou faire évoluer des programmes de formation. »

Chargé de mission fondation partenariale, filière santé et bien être

« La région avec un grand centre de formation autour des médicaments et bientôt des biomédicaments a un atout considérable qui peut aider l’ensemble des industriels pharmaceutiques à disposer des bonnes ressources en formation initiale ou en formation continue pour accompagner l’évolution de leur secteur. »

Dirigeant centre de formation

« Il y avait le constat effectivement que les entreprises dans leurs évolutions puissent avoir en face d’elle, de manière assez simple, un vivier de compétences à différents niveaux répondant à ces besoins-là. »

Dirigeant centre de formation

« Mon sentiment est que la Région, compte tenu des formations qu’elle propose (université, IMT, ESC,…) ainsi que des entreprises qui y sont présentes, doit être en mesure de répondre à la plupart des besoins. »

Représentant de la DIRECCTE

Ces résultats confirment l’engagement de la Région Centre-Val de Loire dans une dynamique entrepreneuriale via différentes initiatives. Légataire d’un héritage industriel lié à l’industrie pharmaceutique, la Région regroupe un bon nombre de caractéristiques qui justifie le fait d’initier une dynamique entrepreneuriale. Depuis la mise en place du programme régional « ARD 2020 – Biomédicaments », les composantes nécessaires au développement de CET semblent être renforcées. D’un point de vue factuel, depuis le lancement du programme et à la suite des coopérations qui en émanent, la Région Centre-Val de Loire compte plusieurs concrétisations en termes de créations de nouvelles activités sur le territoire. Celles-ci sont marquées par la naissance de deux start-up dans le domaine des biomédicaments. La start-up McSAF est spécialisée en chimie bio-organique et chimie des bio-conjugués (créée en 2015, et récompensée en 2017 par la Fondation Rabelais), et la start-up, MAbSilico, lancée en 2017, est spécialisée dans la modélisation des structures d’anticorps. L’un des autres faits marquants reste l’annonce de Servier, concernant la création d’une ligne de bioproduction sur le site de Gidy à l’horizon 2019, qui représente un investissement d’environ 35 millions d’euros. Pour justifier un tel choix stratégique, le laboratoire met régulièrement en avant la présence de ressources et de compétences territoriales en termes de main d’oeuvre, de recherche (Labex MabImprove) et de formation (Bio3 Institute). A cet égard, l’organisme de formation « le Bio3 Institute », spécialisé dans la bioproduction et inauguré en février 2016, contribue indéniablement au développement des entreprises créées. Même si la Région détenait déjà des ressources et regroupait un certain nombre d’acteurs du secteur, ce programme régional apparaît comme un catalyseur dans le développement de CET, tant il permet la mutualisation d’acteurs et la révélation de ressources spécifiques propres à une innovation thérapeutique.

Discussion et conclusion

Cette recherche s’inscrit dans les travaux visant à appréhender les CET. Comme nous l’avons souligné précédemment, peu de recherches ont contribué à circonscrire les CET. À la suite de Noguera et al. (2015) qui constatent que les CET reposent sur un réseau territorial entrepreneurial organisé et animé par les différentes parties prenantes, notre étude propose que la construction de ces compétences reposent sur trois dimensions clés : des caractéristiques territoriales, une dynamique territoriale, et une mise en réseau d’acteurs, qui s’articulent les unes aux autres (figure 1).

Cette recherche offre une nouvelle grille de lecture à la compétitivité territoriale. En effet, en adoptant une dynamique entrepreneuriale, le territoire s’engage dans de nouvelles actions collectives, dont l’incitation repose sur une légitimité du territoire régional, notamment liée à la présence de caractéristiques territoriales qui rendent l’environnement favorable à son déploiement. Ces caractéristiques sont l’existence d’une culture régionale et d’un héritage industriel (industrie pharmaceutique) ainsi que de ressources territoriales (main d’oeuvre de l’industrie, recherche, formation, etc.). La présence d’une dynamique territoriale est également importante : elle se manifeste par une proximité géographique des acteurs considérés, une gouvernance territoriale (programme de recherche régional « ARD 2020 - Biomédicaments »), une mobilisation de ressources (académiques, industrielles, etc.), une dynamique d’innovation (objectif de production de biomédicaments) et une interaction entre acteurs (intégration à des projets communs). Le territoire semble donc être un lieu privilégié pour le développement de compétences entrepreneuriales, qui reposent à la fois sur les caractéristiques et la dynamique du territoire, mais aussi sur la mise en réseau des acteurs. Cette mise en réseau apparaît comme un autre des prérequis essentiels à la révélation de CET favorisant ainsi la coopération et la complémentarité d’une pluralité d’acteurs sur le territoire, dont l’objectif est de dynamiser les ressources spécifiques en les valorisant en compétences pour réussir la construction de CET.

Cette recherche fait apparaître que les CET se présentent comme une notion complexe, englobante et multidimensionnelle. Ainsi, nous proposons un cadre d’analyse des CET, sous forme de processus, qui devrait justement permettre de poursuivre les travaux sur ce sujet.

Les implications théoriques de cette recherche s’inscrivent dans la continuité des travaux de Noguera et al. (2015). En proposant un cadre d’analyse des étapes nécessaires à la construction de CET, notre recherche inscrit les CET dans une vision processuelle, et par là, permet d’enrichir la compréhension de celle-ci. De plus, alors que les champs théoriques de l’entrepreneuriat, du territoire et des compétences ont principalement été étudiés séparément ou au confluent de deux champs, cette recherche propose de les réunir et de mettre en évidence leurs points de convergence.

Par ailleurs, nos résultats vont également dans le sens des travaux qui mettent en exergue la nécessité d’un rôle de traduction dans des programmes régionaux, et notamment de la part des managers publics (Chappoz et Im, 2017). Lorsqu’une réticulation d’acteurs publics et privés au sein d’un territoire est réunie autour d’intérêts communs, les problématiques de recherche de compromis entre les parties prenantes requièrent une vision hybride pour arriver à un consensus (Bernardeau-Moreau et al., 2012), ce que permet un programme régional tel que l’« ARD 2020 – Biomédicaments » par l’engagement dans un dispositif prenant en compte les intérêts de chacun. Le rôle du manager public dans de tels dispositifs doit être d’insuffler un leadership territorial qui assure la mobilisation et la coordination des ressources matérielles et immatérielles disponibles (Arnaud et Soldo, 2015). Au travers de la construction de compétences entrepreneuriales territoriales, à l’instar de ce qui peut être entrepris sur des territoires de plus grande ampleur (Calamel et al., 2016), nos résultats montrent qu’un programme régional représente un moyen de traduction permettant de favoriser la mise en réseau, l’enrôlement des parties prenantes, l’émergence de compétences et d’une gouvernance performante. Le programme apparaît en effet comme le représentant des intérêts collectifs, notamment car il est composé d’acteurs hétérogènes (projets, partenaires, etc.) : publics, privés, locaux, etc. et offre à ces derniers des moments privilégiés d’interaction (réunions, tables rondes, colloques, symposium, etc.). Ce réseau ouvre la possibilité à d’autres acteurs extérieurs de l’intégrer, en proposant par exemple des événements grands publics. Ces différentes actions (organisations d’événements, études, publication d’article, etc.) témoignent du rôle de traduction endossé par le programme régional.

FIGURE 1

Cadre d’analyse du processus de construction des compétences entrepreneuriales territoriales

Cadre d’analyse du processus de construction des compétences entrepreneuriales territoriales

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Les implications managériales de ce travail concernent les entreprises et les institutions publiques. Notre travail montre en effet que les CET participent à la compétitivité de la Région. La politique régionale européenne a observé un changement de paradigme, les régions ayant une responsabilité accentuée (Pin, 2014). Alors qu’auparavant, il était attendu de l’Europe qu’elle apporte des compétences aux régions, le processus s’est inversé et la question qui est posée aujourd’hui est celle de savoir ce que les régions peuvent faire pour l’Europe (Pin, 2014). L’implication de la région en matière d’innovation est donc très récente et donne lieu à une reconsidération de la répartition des compétences au niveau régional (Pin, 2014). Lorsqu’elles recherchent des informations et des techniques permettant leur développement vers de nouvelles activités, les PME font majoritairement appel à des connaissances externes provenant d’autres organisations car elles disposent généralement de peu de connaissances relatives à ces nouvelles activités en interne chez leurs collaborateurs (Pinget et Bocquet, 2017). Dès lors, la proximité territoriale de structures en mesure de fournir les connaissances recherchées s’avère un atout pour une région. Dans le cadre du programme régional présenté dans cet article, la construction de CET en lien avec l’industrie pharmaceutique du biomédicament représente un terrain fertile à la création en Région de start-ups qui apporteront la connaissance et l’innovation nécessaire à la transformation du tissu industriel de PME en Région Centre-Val de Loire. Ainsi, une meilleure connaissance de la construction des CET permettra aux régions de mieux définir leurs objectifs lorsqu’elles mettent en place des dispositifs visant à créer de nouvelles CET.

Notre recherche présente cependant un certain nombre de limites qui constituent également autant de prolongements pour la poursuite de ce travail. D’une part, le terrain constitue un secteur particulier : les biomédicaments. Les spécificités de ce terrain d’innovation et son ancrage régional très fort rendent nos résultats contingents à notre étude. Afin de pouvoir généraliser nos résultats, il sera intéressant de prolonger cette recherche en triangulant avec d’autres cas permettant d’observer cette articulation entre dispositif territorial et compétences entrepreneuriales. Aborder les compétences sous le prisme de l’entrepreneuriat et du territoire régional reste rare et prometteur pour des recherches futures. Si les spécificités du secteur étudié le rendent particulièrement intéressant, l’approfondissement auprès d’autres cas nécessitera d’avoir l’opportunité de trouver d’autres terrains et de mettre en oeuvre une immersion semblable. Ceci implique des critères de sélection d’un terrain qui puisse mener à des choix comparables : se situer dans un contexte d’innovation, avoir des ressources déjà présentes au sein du territoire, un réseau d’acteurs partageant un objectif commun et s’inscrire dans le déploiement d’un dispositif territorial pour gouverner le projet. Par ailleurs, la collecte de données a été réalisée dans les premières années du programme « ARD 2020 – Biomédicaments » qui doit notamment se poursuivre par le déploiement de ces CET en vue de réussir la transformation du tissu industriel existant vers une véritable industrie du biomédicament en Région Centre-Val de Loire. Si notre article présente les conditions favorables à l’émergence de CET, il s’appuie sur les prémices d’un programme qui doit encore démontrer sa réussite et sa pérennité dans le temps. Cette recherche pourrait dès lors se poursuivre par la conduite d’une étude longitudinale afin d’identifier, après l’émergence et la construction des CET, la stabilisation et l’évolution de celles-ci au sein du territoire au service de l’innovation.