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Les PME[1] représentent l’essentiel du paysage des entreprises dans la plupart des pays occidentaux. Dans un pays comme la France qui historiquement fait référence et s’identifie fortement à ses grandes entreprises et à ses grands groupes, les PME constituent au final le poumon de l’économie. Ainsi, en 2014, la France comptait 4 millions de PME, représentant 99,9 % des entreprises, 48,5 % de l’emploi salarié en équivalent temps plein et générant 43,4 % de la valeur ajoutée[2]. Les PME de par leur petite taille, leur structure légère et leur mode de fonctionnement souvent lié à leur histoire et à la personnalité du dirigeant sont des acteurs économiques associant flexibilité, efficacité, proximité avec leurs marchés et qualité des relations sociales. Mais, les PME connaissent également des problématiques diverses notamment liées à leur financement, leur capacité à aller vers de nouveaux marchés et à leur isolement. De plus, leur mode de gestion et leur management, souvent centrés sur le dirigeant, sont parfois peu outillés et peu formalisés (Mahé de Boislandelle, 1998; Torrès et Enrico, 2014).

Afin de pallier certaines des limites que connaissent les PME, la coopération entre différents acteurs constitue une voie qui est explorée et ce, notamment en France depuis une trentaine d’années (Bonneveux et al., 2019) à travers les réseaux territoriaux d’organisations (RTO)[3]. Les RTO peuvent être définis comme comme des ensembles coordonnés d’acteurs hétérogènes, géographiquement proches, qui coopèrent et participent collectivement à un processus de production (Elhinger et al., 2007).

L’objectif des réseaux territoriaux d’organisations est d’encourager les coopérations inter-organisationnelles entre des entreprises de tailles diverses, des laboratoires de recherche ou encore des organismes de formation, dans le but de stimuler l’innovation. Ces RTO entendent renforcer les proximités géographiques par une proximité organisationnelle et reposent sur une intensification des coopérations entre acteurs pouvant aller jusqu’à des formes de mutualisation à différents niveaux (Ehlinger et al., 2007; Paradas, 2007; Talbot, 2008; Roth et Avioutskii, 2014). Les RTO constituent notamment une réponse collective et territoriale pour les PME afin d’assurer leur développement et affronter la concurrence. En France, les RTO peuvent prendre différentes formes dont le « cluster » qui sera la forme de RTO retenue dans cette recherche. Les clusters constituent une forme de collaboration associant une diversité de partenaires et le plus souvent, ne sont pas officiellement labellisés par l’action publique. Doeringer & Terkla (1995) les ont définis comme des concentrations géographiques d’industries tirant avantage de leur implantation identique. Rosenfeld (1997) avait souligné leur importante dimension relationnelle comme mode de fonctionnement. Pour cette recherche, nous retiendrons la définition de « cluster » au sens large tirée des travaux de Porter (1998, p. 199) : « a geographically proximate group of interconnected companies and associated institutions in a specific field linked by commonalities and complementarities. »

Depuis quelques années, des recherches ont été menées afin d’explorer les pratiques et les dispositifs de gestion des ressources humaines (GRH) présents et en émergence dans les RTO et notamment dans les pôles de compétitivité et dans les clusters (Colle et al., 2008; Retour, 2008; Calamel et al., 2011; Loubès et al., 2012; Loufrani-Fedida et St Germes, 2015). Nous entendons ici par dispositifs de GRH toutes actions et tous process relevant de la gestion des ressources humaines d’une organisation (recrutement, gestion de la formation, développement des compétences, gestion des carrières, etc.) (Guillot-Soulez, 2017).

Ces recherches soulignent l’opportunité des échanges entre membres de ces RTO permettant l’émergence de dispositifs intra ou inter-organisationnels de GRH et la nécessité d’une construction commune favorisée par le facteur temps. Il apparaît cependant que le mode d’émergence, de construction et ensuite de structuration de ces dispositifs de GRH partagés nécessite d’autres recherches de par la nouveauté, la diversité et la complexité des situations et des actions observées (Loubès et al., 2012; Chabault, 2013). De plus, la littérature ne semblerait pas compter de recherches s’intéressant spécifiquement à l’émergence de ces dispositifs de GRH entre une catégorie spécifique d’acteurs associés sous forme de cluster, les PME. Science Direct n’identifie aucun article associant les mots clés « Cluster », « Human Resource Management » et « SME’s ». Dans une investigation bibliographique sur l’état des recherches associant relations inter-organisationnelles et PME, les auteurs Agostini et Nosella (2019) ne repèrent pas d’études spécifiques à la dimension GRH.

Aussi, cette recherche a pour objectif, en se basant sur l’étude de six clusters, de mieux identifier et d’analyser le processus d’apparition, de construction et de structuration de ces dispositifs de GRH émergent entre PME d’un même cluster. Elle vise également à repérer les conditions de réussite de dispositifs de GRH partagés pour ces PME, dans le cadre de clusters.

Nous présenterons dans une première partie les caractéristiques de la GRH dans les PME ainsi que celles de la GRH dans les clusters puis nous introduirons le cadre analytique de la proximité. Dans une seconde partie, nous présenterons les résultats de nos études de cas menées auprès de six clusters en France. Dans une troisième partie, nous analyserons et discuterons les résultats obtenus à l’aune du cadre théorique de la proximité.

La GRH dans les PME et les clusters

Les problématiques de GRH dans les PME

Les PME, comme tout type d’entreprises, font face à des problématiques de GRH. Ces dernières rencontrent parfois des difficultés spécifiques liées à leur GRH en raison de leur taille, de leur structuration, de leur culture ou de leur histoire (Mahé de Boislandelle, 1998; Defélix et Retour, 2003; Fabi et al., 2007; Bayad et al., 2014; Vilette, 2014).

Tout d’abord, il apparaît qu’il existe une faible formalisation des procédures et de la stratégie d’entreprise au sein de PME (Albert et Couture, 2014; Dupont, 2014; Vilette, 2014). Il n’y aurait pas ou peu de normalisation d’outils de management ou de gestion, la coordination serait plutôt non formalisée (Paradas, 2007). Cette absence de normes peut être expliquée par la proximité relationnelle (Bouba-Olga et Grossetti, 2008; Torrès et Enrico, 2014), ce qui constitue une des spécificités des PME.

Afin de définir la notion de proximité, nous reprenons les termes de Bouba-Olga et al., (2008, p. 2) : « L’économie de la proximité se concentre sur la question centrale de la coordination des individus, (…) l’approche proximiste, en ouvrant la boîte noire des externalités, inverse en quelque sorte la relation de causalité, en insistant sur le fait que les agents, confrontés à des problèmes de coordination, sont amenés à développer, pour les résoudre, des dispositifs organisationnels ou institutionnels. » Il existe de nombreuses typologies de la proximité, les deux plus importantes et sur lesquelles la plupart des auteurs s’accordent sont celle dites de la proximité géographique ou spatiale, et celle dite de la proximité organisée ou organisationnelle (Rallet et Torre, 2004).

Plus la structure est petite, plus l’effet de proximité est important (Richomme-Huet et D’Andria, 2010). Cet effet pourrait expliquer le peu de normalisation et de planification dans les PME. Lorsque des problèmes apparaissent, les dirigeants de PME essayent d’apporter des solutions par le biais de la proximité. Il y aurait également un phénomène de centralisation autour du dirigeant ainsi qu’une personnalisation des dispositifs de GRH (Torrès, 2015). Les choix réalisés peuvent ne pas être adéquats aux vues des situations notamment par manque de règles et de connaissances. L’absence de normes peut aussi être expliquée par le fait que les dirigeants de PME sont plutôt issus de filières assez techniques et n’ont que rarement une formation de gestionnaire (Novelli, 1994). Par conséquent, ils apprennent le plus souvent en expérimentant et leur personnalité joue un grand rôle dans l’orientation stratégique et managériale de l’entreprise (Fuller, 2003). Néanmoins, ce schéma tend à changer, notamment au regard des formations existantes depuis plus d’une dizaine d’année dans le paysage français. Les études supérieures (DUT, école d’ingénieurs, etc.) incluent de plus en plus de contenus liés à la gestion et au management d’une entreprise. L’étude SINE de l’INSEE (2010) révèle en effet qu’une entreprise créée est bien plus pérenne lorsqu’elle repose sur un fort investissement initial, un niveau de formation élevé du créateur de l’entreprise et une expérience précédente dans le même métier.

Les besoins et les moyens d’une PME ne sont pas les mêmes de ceux d’une grande entreprise. Les outils développés dans un grand groupe ne peuvent pas s’appliquer aux PME, leurs problématiques étant différentes (Torrès, 2000; Loubès et al., 2012; Vilette, 2014). Les PME n’ont souvent qu’une vision à court terme et gèrent prioritairement les urgences. Les activités à horizon temporel long (recherche et développement, formation...) sont, sinon absentes, du moins relativement moins fréquentes dans les PME que dans les grandes entreprises (Paradas, 2009; Torrès, 2000). Les PME semblent peu enclines à utiliser la formation continue et leurs responsables accordent peu de temps à la formalisation de leurs pratiques de formation, même pour celles proposées et disponibles, notamment par les OPCA[4] (Paradas, 2009). Bien souvent, la formation ne semble pas représenter un enjeu immédiat pour leur compétitivité (Gadille et Machado, 2010). De plus, les travaux du CEREQ[5] (2015) nous éclairent notamment sur le fait que former son personnel peut être parfois problématique pour un dirigeant de PME (absence du personnel, rotation à organiser, charge de travail trop lourde et personnel manquant de temps, méconnaissance des transferts, possibilité de perdre les personnels formés, etc.).

Les PME peuvent également faire face à un problème d’attractivité qui peut être lié à leur secteur d’activité et/ou à l’image de l’emploi proposé (Paradas et Bayad, 1998; Brillet et Gavoille, 2016). De plus, certains métiers sont délaissés par les jeunes générations au profit de ceux qui les font davantage rêver (informatique, multimédia, etc.) (Janand, 2011; Brillet et al., 2013). L’attractivité des PME est différente selon les catégories de main d’oeuvre (BPI, 2004)[6]. Les difficultés d’attractivité des PME peuvent aussi être dues à une rémunération et des avantages sociaux bien différents d’une grande entreprise à poste équivalent, ce qui influence le choix des candidats potentiels. Chatelin-Ertur et Nicolas (2012) soulignent qu’en France, les étudiants de master 2 sont 66,07 % à envisager de faire leur stage en grande entreprise contre 12,50 % pour la PME. Les charges sociales pourraient représenter un autre frein à l’embauche. Elles apparaissent relativement élevées en France, ce qui peut bloquer considérablement le recrutement de personnel, et ce malgré les récents dispositifs d’allégement accessibles à certaines entreprises (Observatoire des PME, 2015[7]).

La GRH dans les clusters

Pour assurer leur développement et être plus fortes face à la concurrence, les PME peuvent se regrouper sous forme de cluster, configuration de RTO associant des partenaires variés et volontaires pour faire émerger une collaboration inter-organisationnelle (tableau 1).

La dynamique collective peut permettre aux PME de résoudre certains de leurs problèmes (Bocquet et Mothe, 2009; Mendez et Bardet, 2009; Loubès et al. 2012). En effet, quelques entreprises décident d’affronter la concurrence ensemble et s’allient sous des formes juridiques diverses et variées. Cela peut être le cas des clusters, majoritairement composés de PME en France. Parmi celles-ci, certaines adhèrent à un cluster, ce qui peut leur apporter des solutions face aux problèmes rencontrés, notamment ceux associés à la gestion des ressources humaines. Dans les clusters, les entreprises restent juridiquement autonomes et indépendantes et il n’y a pas de relations hiérarchiques entre elles. Celles-ci tirent profit de ce type de regroupement, que ce soit pour une réduction de coûts, ou un accroissement de compétences, ou bien encore pour élargir leur réseau professionnel.

Tableau 1

Les différentes formes de réseaux territoriaux d’organisation (RTO)

Les différentes formes de réseaux territoriaux d’organisation (RTO)
D’après Defélix et al., 2006

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La littérature a largement contribué à une meilleure connaissance et compréhension des dispositifs de GRH développés ces dernières années dans les RTO. De nombreuses recherches portent notamment sur la gestion territoriale des ressources humaines appliquées à ces types de réseaux territoriaux d’organisations (Defélix et al., 2006; Calamel et al., 2011; Chabault et Hulin, 2011; Loubaresse, 2011; Fauvy et Arnaud, 2012; Arnaud et al., 2013; Defélix et al., 2013, Bories-Azeau et Loubès, 2013; Everaere et Glée, 2014; Loufrani-Fedida et St Germes, 2015; Le Gall, 2016; Mazzilli, 2016).

La dimension RH au sein des clusters commence à être davantage étudiée depuis quelques années. Il en ressort que les dirigeants sortent de leur entreprise afin d’échanger avec d’autres dirigeants et acteurs locaux en particulier sur les aspects liés à la GRH. Ces échanges permettent de rompre l’isolement, de pallier dans une certaine mesure la faible expertise en GRH et d’aider à la formalisation des politiques et pratiques de GRH. C’est notamment par le biais de ces rencontres que des dispositifs de GRH émergent en intra-organisationnel (pour chaque entreprise individuellement) et en inter-organisationnel (pour plusieurs entreprises) (Loubès et al., 2012).

Une des spécificités de la GRH au sein des clusters est de raisonner à un niveau local, touchant un écosystème complet, regroupant plusieurs organisations (Mazzilli, 2016). Le dispositif de GRH ne sera plus uniquement utile et proposé pour une organisation, mais pour plusieurs adhérents du cluster d’appartenance. Certaines pratiques de GRH peuvent s’étendre d’un adhérent de cluster jusqu’à un territoire donné (Calamel et al., 2011). Ce sont à la base des concepts limités à l’entreprise, qui sont peu à peu développés et étudiés à plus grande échelle, sur un territoire. On parle alors de dispositifs de GRH inter-organisationnels. Les dispositifs de GRH utilisés habituellement en entreprise dépassent les frontières organisationnelles, ce qui implique des modifications fondamentales dans l’application de la GRH telles que le renouvellement fondamental des rôles et outils classiques de la fonction RH (techniques de motivation, culture organisationnelle, politique de communication et de formation, modalités du dialogue social, etc.) (Pichault, 2002). La GRH inter-organisationnelle incite par exemple à mutualiser certaines formations et de réaliser ainsi des économies d’échelle pour les adhérents du cluster. Elle permet également de réaliser des rencontres thématiques autour de sujets de RH afin d’aider les dirigeants de PME à réfléchir ensemble sur leurs situations et problématiques de GRH ainsi qu’aux potentielles solutions à envisager (Calamel et al., 2011).

La construction de la confiance et d’une culture commune serait nécessaire en amont et en accompagnement de pratiques GRH partagées (Becattini, 1990; Bocquet et al., 2009; Bocquet et Mothe, 2015; Chabault, 2010). Les politiques de formation et de recrutement des clusters, par exemple, nécessitent et présupposent une culture conjointe, fondée sur une logique d’appartenance (Boschma et Ter Wal, 2007; Zuliani, 2008; Gadille et al., 2013). Cette dernière fait notamment partie de l’organisation de la proximité. Aussi, afin d’étudier l’émergence et la présence potentielle de dispositifs de GRH dans les clusters, nous utiliserons la grille analytique de la proximité. Cette grille d’analyse a par ailleurs été utilisée dans le cadre d’autres recherches sur les RTO et la gestion de compétences (Maisonnasse et al., 2011). Elle a montré toute sa pertinence pour bien comprendre l’importance et analyser les différents niveaux de la proximité dans des processus de GRH sur les territoires.

Les différentes formes de proximités

L’approche par la proximité distingue généralement deux catégories : la proximité géographique et la proximité organisée (Torre et Rallet, 2005). Bouba-Olga et Grossetti (2008) proposent un découpage encore plus poussé à travers la typologie suivante, que nous retiendrons pour cette recherche (figure 1).

Selon Bouba-Olga et Grossetti (2008), il existe deux proximités distinctes, la première dite géographique ou spatiale, la seconde dite socio-économique.

La proximité géographique est avant tout en rapport avec la distance, c’est-à-dire le nombre de mètres ou de kilomètres qui séparent deux entités.

La proximité socio-économique se scinde en deux; elle peut être de « ressources », ou de « coordination ».

La proximité socio-économique de « ressources » se décompose comme suit : matérielle ou cognitive :

  • les ressources matérielles sont exprimables sous forme d’actifs, mais peuvent aussi être des diplômes, des patrimoines, des revenus, des acquis socio- économiques, des statuts, etc. Les individus sont semblables ou complémentaires par rapport aux ressources dont ils disposent.

  • les ressources cognitives sont par essence « immatérielles ». Ce sont les informations, les connaissances, les valeurs, les projets, les routines, les conventions, les règles et les normes qui renvoient, en partie, au concept de proximité institutionnelle et de logique de similitude. Ce type de ressources s’avère essentiellement individuel.

FIGURE 1

Typologie des formes de proximités

Typologie des formes de proximités
Source : Bouba-Olga et Grossetti, 2008

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La proximité socio-économique est aussi dite de « proximité de coordination », soit relationnelle, soit de médiation. Au niveau relationnel, il s’agit des réseaux d’appartenance des individus (club de golf, clubs d’anciens d’écoles ou d’universités, etc.). Au niveau de la de médiation, elle correspond à la façon dont les acteurs vont s’emparer de ces réseaux pour communiquer et rester en contact, notamment à l’aide de réseaux virtuels et sociaux. Ils vont ainsi s’appuyer sur des dispositifs qui permettent d’échanger.

Cette première partie a permis de préciser le cadre théorique de la recherche qui s’articule autour de trois champs de connaissance : les caractéristiques de la GRH dans les PME, les spécificités de la GRH dans les clusters ainsi que le cadre analytique de la proximité. Nous introduisons ci-après la partie empirique de la recherche articulée autour de la méthodologie de recueil des données mobilisée et d’une présentation analytique des résultats.

Etudes de cas

Méthodologie de recherche

Dans le cadre de cette recherche, nous avons mobilisé la méthode de l’étude de cas multiples. L’étude de cas comme méthode de recherche est appropriée pour la description (qui, quoi et comment), l’explication (pourquoi), la prédiction (prédiction des états psychologiques, des comportements et des événements) et le contrôle (cognitions, attitudes et comportements) de processus propres à divers phénomènes individuels, de groupes ou organisationnels (Hersen & Barlow, 1976; Stake, 1994; Woodside & Wilson, 2003; Yin, 2009). Le recours à la méthode des cas dans le cadre d’une recherche exploratoire permet de générer un savoir aux applications pratiques à partir de données empiriques (Eisenhardt, 1989). L’étude de cas possède, comme chaque approche méthodologique des forces et des limites. Du côté des forces, on lui reconnaît la capacité à analyser des phénomènes en profondeur dans leurs contextes, de permettre de développer des paramètres historiques, d’assurer une représentativité authentique de la réalité étudiée soit une forte validité interne. Du côté des limites, on relève une faible validité externe, une faible capacité à généraliser les résultats et son caractère chronophage en termes de temps et de ressources. Afin de pallier cette limite en termes de validité externe, nous avons choisi de mener plusieurs études de cas. Plus spécifiquement, nous avons suivi une approche d’étude multi-cas telle que proposée par Eisenhardt (1989).

Afin d’identifier les clusters, nous avons contacté vingt et un clusters au mois de janvier 2009.

Ce choix s’est fait au regard de la répartition géographique des clusters à l’échelle du territoire français. Sept d’entre eux ont immédiatement répondu positivement. L’un d’entre eux n’a pas pu être rencontré car la gouvernance du cluster venait de changer et ne souhaitait pas participer à la recherche. Les six clusters (tableau 2) qui constituent notre échantillon ont été rencontrés entre février et juin 2009. Nous précisons que pour chacun de ces clusters, la majorité des entités est constituée de PME (90 %), le reste des membres étant généralement constitué de laboratoires, d’une ou deux grandes entreprises, d’un organisme de formation associé, etc.

PHARMABIO rencontre une pénurie de la fonction « maintenance » (techniciens) et a des projets d’embauche en catégorie d’emploi suivante : techniciens et agents de maîtrise de la maintenance.

LES DENTS DE MALO est un cluster qui recherche notamment des techniciens bucco-dentaires. La main d’oeuvre est ancrée localement et possède un haut niveau d’expertise.

PACKAGING comporte une grande diversité de métiers en fonction des matériaux et de la technologie utilisés. Il y a une pénurie dans les métiers thermo-formeur et technico-commercial. Les profils recherchés sont majoritairement des ouvriers de l’industrie.

NUMERIQUE L. se situe dans un secteur en pleine croissance et gagne de nouveaux adhérents. Il existe une pénurie sur le métier de télé conseil, ce qui constitue un gros projet de recrutement. Les métiers les plus recherchés sur le bassin d’emploi sont des ingénieurs et cadres spécialisés de l’informatique.

DESIGNERS C. se situe dans un secteur en croissance, ayant une activité très aléatoire. Ce cluster est à la recherche de designers indépendants et d’agences de design, avec notamment des professions associées au design comme architectes, ergonomes, consultants, conseillers techniques, etc.

MECALO : il y a des projets de recrutement sur des ouvriers qualifiés de la mécanique (soudeurs, monteurs, mécaniciens, ajusteurs…), ainsi que des ouvriers non-qualifiés de la mécanique (monteurs, contrôleurs, serruriers, etc.).

Dans chacun des six clusters, nous avons mené six entretiens semi-directifs avec différents acteurs de chaque cluster (tableau 3) sur la base d’un guide d’entretien commun comportant deux volets : un premier contextuel (date de création, composition de l’équipe d’animation, grands projets à venir, etc.) et un deuxième plus opérationnel (projets et dispositifs de GRH en cours et envisagés, personnes impliquées, etc.). La durée de ces entretiens a été variable selon l’interlocuteur, allant d’une heure à trois heures. Les entretiens les plus longs ont été ceux réalisés avec les délégués généraux des clusters. Des compléments d’information (brochure, diaporama de présentation lors de réunions, compte-rendu de réunions, etc.) ont été demandés par la suite auprès de chaque animateur rencontré (délégué général et chargé de mission). Les délégués généraux, ainsi que les chargés de mission nous suggéraient des noms de dirigeants (ou managers ou autres chargés de mission du cluster) à contacter. En les ayant prévenus à l’avance, tous ont accepté de nous recevoir ou de s’entretenir avec nous par Visio conférence. Tous les entretiens ont fait l’objet de prise de note systématique et structurée, ce qui constitue 84 pages. Dans un premier temps, nous avons réalisé une analyse intra-cas afin de bien comprendre les événements et la dynamique de chaque cas. En ce qui concerne les entretiens, notre méthode d’analyse du discours a été basée sur une analyse thématique permettant la classification des données en idéaux-types et catégories significatives illustrant le propos (Miles et Huberman, 2003). Puis, nous avons opéré des comparaisons inter-cas qui permettent de systématiser la compréhension des mécanismes et d’expliquer pourquoi le résultat est différent ou similaire entre les différents cas (Eisenhardt & Graebner, 2007).

Tableau 2

Caractéristiques principales des six clusters étudiés[8][9]

Caractéristiques principales des six clusters étudiés89

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Présentation des résultats : les dispositifs de GRH émergents dans les six clusters

L’analyse intra-cas (incluant une analyse thématique des entretiens) puis inter-cas des données recueillies (approche d’analyse des données présentées ci-dessus) (Eisenhardt & Graebner, 2007) a fait émerger une graduation de trois stades d’état d’avancement de dispositifs de GRH ainsi que quatre critères pouvant les caractériser.

En termes d’état d’avancement, les dispositifs de GRH des clusters peuvent être :

  • en projet (les actions de GRH sont plutôt sous forme de projet et de réflexion),

  • mis en oeuvre (il existe des actions de GRH concrètes et réelles),

  • avortés (la GRH n’est pas ou plus d’actualité).

En termes de critères, quatre d’entre-eux illustrent particulièrement la nature et le contenu des dispositifs de GRH des clusters :

  • la communication intra-cluster (informations, newsletter, etc.),

  • les projets de formation réalisés et les partenariats avec centres de formation,

  • le recrutement mutualisé (en projet ou réalisé),

  • la réflexion commune autour de la gestion des compétences (en projet ou informelle mais réalisée).

Les résultats de la recherche (tableau 4) soulignent que les dispositifs de GRH sont différents suivant les clusters. Il est à noter que nous n’avons pas d’exemple de GRH avortée pour ces six clusters parce qu’ils ont tous des actions ou projets en management et RH, même si cette dimension a été abordée par les répondants. Ceci peut être lié au fait que les clusters ayant répondu à notre recherche avaient potentiellement tous des actions ou projets de GRH. La troisième dimension (GRH avortée) signifie que des actions n’étaient pas prévues pendant une longue période, mais que le cluster a dernièrement entrepris des actions ciblées. Ce dernier est donc passé récemment d’une GRH avortée à une GRH en projet.

Au regard des quatre critères, il apparaît que trois clusters ont une gestion des ressources humaines en projet, et que trois autres ont une gestion des ressources humaines plutôt mise en oeuvre. Lorsqu’il y a des actions et des projets enclenchés, nous considérons que les processus de GRH sont mis en oeuvre.

Tableau 3

Nature et organisation des entretiens semi-directifs

Nature et organisation des entretiens semi-directifs

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Tableau 4

Les dispositifs et les pratiques de GRH dans les six clusters[10][11][12][13][14][15][16]

Les dispositifs et les pratiques de GRH dans les six clusters10111213141516

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Les quatre critères de pratiques de GRH permettent une présentation des résultats détaillée.

Concernant le premier critère, la communication, nous constatons que de nombreuses actions sont réalisées en vue de faire partager les informations pour tous les adhérents et de les fédérer autours de valeurs communes. Le cluster Designers C. (état de la GRH dite en projet) organise par exemple des réunions thématiques afin que les dirigeants de PME puissent se rencontrer, échanger et créer des liens de confiance. D’autres actions sont menées et contribuent à développer ces liens. Notons la newsletter qui est distribuée régulièrement et informe les organisations adhérentes du cluster des dernières nouveautés concernant le secteur d’activité, les nouvelles règles juridiques, etc.

Dans d’autres clusters, des pratiques similaires ou complémentaires sont menées (état de la GRH dite mise en oeuvre) :

DG1 (Pharmabio) : « On s’est dit qu’il fallait qu’on communique, et qu’on le fasse de façon simple et ludique pour nos dirigeants, alors on a créé un slogan, un intranet et surtout une newsletter, que l’on envoie tous les mois. On y met les dernières infos du cluster, mais aussi un éclairage sur les formations, les partenariats et ce qui se passe en Europe sur nos activités. »

DG2 (Les dents de Malo) : « On a une forte pénurie de main d’oeuvre liée à la mauvaise image véhiculée par l’un de nos métiers (prothésiste dentaire)… alors on sillonne nos départements, on va dans les collèges et lycée, on essaye d’informer le plus de jeunes possible… »

La formation constitue le second critère. Celui-ci est fortement présent au sein de plusieurs clusters. Les équipes d’animation recherchent et identifient des centres de formation proposant des modules qui soient en adéquation avec leur secteur d’activité. Certaines fois, des modules sont simplement modifiés, d’autres sont créés pour coller parfaitement à la réalité des entreprises. C’est le cas pour Packaging qui a créé un programme de formation continue avec un centre de formation plasturgique monté conjointement avec un lycée technique. Les dents de Malo a fait de même après s’est rendu compte d’un problème de niveau d’études. L’écart de niveau d’études entre un prothésiste dentaire et un chirurgien-dentiste s’est accentué ces dernières années, d’où la création d’un Mastère spécialisé en partenariat avec l’Ecole Centrale de Paris. Le cluster Pharmabio a également des actions de formations pour développer son attractivité avec les universités de Tours et d’Orléans. Ceci marque la volonté de Pharmabio de développer des relations étroites entre l’industrie pharmaceutique et l’université, afin de favoriser l’innovation et la recherche publique-privée, ainsi que l’émergence de formations nouvelles, adaptées aux besoins d’un secteur industriel d’excellence en profonde mutation.

Des formations sont ainsi créées ou adaptées par rapport aux besoins des entreprises. Les centres de formation sont souvent ancrés localement et ont une proximité géographique avec les entreprises adhérentes des clusters et un lien historique avec le bassin d’emploi régional. La proximité des centres de formation avec les entreprises locales est un aspect clé de la survie et de la réussite d’un cluster.

DA1 « En tant que dirigeant de PME, franchement, on a la tête dans le guidon et on ne regarde pas quelles sont les formations qui pourraient nous servir, ni où elles sont… le cluster nous aide à faire le tri et nous envoie les informations qui nous correspondent, c’est rapide et efficace. »

Dans les six cas étudiés, nous retrouvons un thème récurrent : la spécificité de la main d’oeuvre et les difficultés liées au recrutement qui constitue notre troisième critère. En effet, les difficultés de recrutement sur certains postes d’opérateurs et de techniciens sont bien réelles. Pour cette raison, nous avons identifié des actions de recrutement mutualisées, comme cela est le cas pour deux clusters : Packaging et Pharmabio. Concernant Packaging, il y a un projet de mutualisation de ressources. Un poste a été créé pour trois organisations adhérentes au cluster qui vont se partager le recrutement d’une personne. Cette mutualisation concerne d’autres clusters :

DG1 « Sur les actions de recrutement, il y a un début de mutualisation… avec l’aide de l’OPCA, une dizaine d’entreprises essayent de monter un projet et un cahier des charges a été rédigé en fonction des trois postes demandés, à savoir deux postes d’opérateurs et un technicien … /… on s’est renseigné sur le concept de mise à disposition de salarié, et certaines de nos PME sont d’accord pour partager un salarié. (...) c’est un projet qui prend du temps et qui est long, mais on est en train de recruter 3 personnes pour 10 entreprises différentes. »

DA3 « Oui, j’ai choisi d’embaucher un salarié “à temps partagé” parce que je n’ai pas les moyens de l’avoir à 100 %, et je n’en ai pas besoin, par contre, d’avoir quelqu’un à temps partiel répond à mes besoins (…). Le cluster nous a aidé dans cette solution. On est en train de recruter quelqu’un pour 4 demi-journées par semaine. Et cette personne travaillera dans 2 autres entreprises adhérentes au cluster. »

Pour Mécalo et Numérique L, les actions RH dans le process recrutement se font plus timides, le seul élément notable est celui de diffuser les CV reçus sur une plateforme intranet. C’est pourquoi ces clusters sont classés dans la partie « état de la GRH en projet », et non mise en oeuvre.

Concernant le quatrième critère, celui de la gestion des compétences, il apparaît que celle-ci n’est pas une pratique encore très poussée. Elle semble le plus souvent au stade du recueil de besoin en termes de compétences et demeure assez informelle. Cependant, quelques signaux soulignent que c’est un début d’action, prometteur pour certains :

DG1 « On sait où sont les besoins en termes de compétences,… les besoins sont identifiés. »

DG3 « Parallèlement à ce projet de bourse d’emploi, on a commencé à faire une sorte de recension des besoins en compétences de nos adhérents, enfin, ceux qui le voulaient bien… et on voit là où il faut que l’on progresse, ce qu’on doit proposer en tant que cluster. »

Ces quatre critères à savoir la communication, la formation, le recrutement et la gestion des compétences correspondent à des thématiques clés de gestion des ressources humaines dans les clusters et semblent corrélés les uns aux autres. Lorsqu’il y a des difficultés de recrutement pour certains métiers, des formations sont créées ou modulées en fonction des besoins des entreprises, et certains des personnels formés seront par la suite recrutés par ces entreprises locales, ce qui alimente le bassin d’emploi de la région.

DF1 : « on s’appuie sur un réseau local, on discute entre nous et on sait à peu près comment agir. (…) on regarde où est-ce que l’on a le plus de besoin en formation, là où il y a des manques en entreprises, et on envoie nos collaborateurs se former. »

Analyse et discussion : la multiplicité des proximités comme dimension clé pour l’émergence de dispositifs de GRH partagés dans les clusters

Le cadre théorique de la proximité (Bouba-Olga et Grossetti, 2008; Torre, 2009) nous fournit une grille d’analyse et de réflexion à potentiel permettant d’interpréter comment les différentes formes de proximité ont joué un rôle dans l’émergence et la construction de dispositifs de GRH partagés.

Premier type de proximité, la proximité géographique

Ce type de proximité fait référence à la dimension spatiale et très concrètement à la distance séparant deux entités organisationnelles (Torre, 2009).

La notion même de cluster soutend cette dimension de la proximité car un des principes premiers sous-jacents est de rapprocher géographiquement des acteurs (entreprises et leurs membres) afin de faciliter les contacts et de faire émerger de potentielles collaborations autour de pratiques et de domaines d’activité plus ou moins communs. L’éloignement géographique, a contrario, ne serait pas facilitant pour des rencontres et des contacts, voire des partages fréquents, malgré l’utilisation grandissante des réseaux sociaux et outils de communication à distance.

Dans tous les clusters étudiés, cette proximité géographique a été nécessaire, et a constitué un déclencheur pour l’échange, la communication et l’émergence de premiers dispositifs de GRH partagés (qu’ils soient émergents ou plus avancés). Voir des acteurs en situation réelle (et non derrière un écran ou via un téléphone) semble réellement changer la donne pour insuffler une dynamique collaborative. Les acteurs institutionnels sont avant tout des êtres humains pour lesquels la connaissance de l’autre et la communication sont facilités par la proximité géographique. L’exemple des groupes projets rassemblant des collaborateurs éclatés géographiquement montre à cet effet l’importance de la proximité géographique par le fait que ces acteurs demandent des rencontres physiques régulières, sources de socialisation commune et de communication future optimisée. Les rencontres possibles et faciles, les échanges formels et informels, la découverte des uns et des autres, l’opportunité d’organiser des événements communs et partagés font sauter autant de barrières organisationnelles, humaines et psychologiques.

A un autre niveau, la proximité géographique, dans le cas de l’ensemble des clusters étudiés, a facilité une communication inter-entreprises qui a peu à peu émergé, s’est ensuite structurée et est ensuite devenue un élément puissant de fonctionnement. Les actions concrètes en sont la résultante : petit-déjeuners communs, newsletters, plate-forme communes, rencontres formelles, réunions thématiques, visite in situ d’entreprise adhérentes, etc.

Deuxième type de proximité, la proximité socio-économique des ressources matérielles et cognitives

Les ressources matérielles sont exprimables sous forme d’actifs, mais peuvent aussi être des diplômes, des patrimoines, des revenus, des acquis socio-économiques, des statuts, etc. Les individus sont semblables ou complémentaires par rapport aux ressources dont ils disposent (Bouba-Olga et Grossetti, 2008).

DG 3 « on a créé des formations pour coller au plus prêt de la réalité. On est tous à côté, on ne se voit pas forcément mais on est tous à côté. On doit prendre le temps de se rencontrer et de faire des choses pour le collectif. Alors on s’est dit qu’on allait créer ou changer des formations qui existaient déjà, pour être dans la réalité des nouvelles technologies et des avancées sur le métier. Nos chefs d’entreprise ont tous fait les mêmes études et sortent des mêmes écoles souvent. »

Les ressources cognitives sont par essence de nature intangibles ou immatérielles et font référence aux informations, aux valeurs, aux projets, aux conventions et aux normes (Torre, 2009). La nature même de plusieurs de clusters étudiés (pharmacie, dentaire, design) illustrent des domaines d’activité où les valeurs, les conventions, les normes communes sont très spécifiques et facilitent une connaissance et un partage avancé. Des cultures métiers communes, des routines (notamment de travail) et des langages similaires ou identiques sont clairement identifiables au delà des différences organisationnelles. Si l’on prend l’exemple du clusters Les Dents de Malo, c’est une dimension particulièrement présente avec une culture métier très forte régie par des normes de haute qualité, des univers concentrés et peu pénétrables :

DG2 « il y a de grandes barrières entre les concurrents, qui ne se voient que concurrents d’ailleurs… la culture du secret est immense, alors c’est difficile de les impliquer sur les missions du cluster. Ce sont des métiers où la confidentialité et la culture du secret sont très importantes. La chose sur laquelle on commence à être d’accord, c’est de partager une plateforme de travail commune pour faire de la recherche et des expérimentations. On va partager des locaux communs sur certaines activités de nos métiers, parce qu’on a des valeurs communes d’exigence et de qualité dans nos métiers, (…) mais cela a pris beaucoup de temps pour se mettre d’accord. »

Dans le cas de Pharmabio, la culture de la recherche médicale, du prestige et de la valeur est très preignante et se retrouve très fortement partagée par tous les acteurs du cluster au delà des phénomènes de coopétition. De plus, les profils de formation assez identiques (doctorat en pharmacie, doctorat en biologie médicale) permettent une proximité cognitive assez développée. Il apparaît que cette proximité cognitive a été un levier particulièrement puissant dans l’émergence d’échanges puis de constructions communes dans les dispositifs de GRH (ateliers, formations, recrutement).

Troisième type de proximité, la proximité socio-économique de coordination, relationnelle et de médiation

La proximité socio-économique de coordination relationnelle fait référence aux réseaux d’appartenance des personnes. La proximité socio-économique de médiation a trait à la façon dont les individus peuvent mobiliser ces réseaux pour échanger et rester en contact.

Il apparaît que les membres de certains clusters appartiennent à des réseaux communs liés au départ à leurs formations (design, dentaire, recherche médicale, construction mécanique, etc.). Puis ces réseaux se sont souvent mués en réseaux professionnels dédiés, alimentés par la puissance grandissante des réseaux sociaux, mais pas uniquement. Cette proximité de coordination relationnelle a constitué dans bien des situations un levier particulièrement efficace pour opérer des rapprochements et pour optimiser la communication et le partage sur les problématiques humaines dans les clusters : partage de compétences, recherche de profils spécifiques, recrutement, partage des besoins de formations par exemple. Nombreux sont les dirigeants de PME qui se retrouvent à la fin de semaine pour jouer au golf ou faire de la voile, illustration de la proximité socio-économique de coordination relationnelle.

DE2 : « On se retrouve le dimanche au port, pas tous les dimanches bien sûr,… mais souvent. (…) On discute de la vie, et surtout de nos entreprises.

C’est notamment grâce à ces rencontres informelles liées à leurs réseaux personnels et professionnels que peuvent naître des projets et une envie de travailler ensemble. Dès lors, une proximité de médiation s’est progressivement mise en place autour des problématiques humaines dans les clusters via les réseaux sociaux notamment. La mobilisation de plus en plus intense des réseaux sociaux a constitué un levier considérable de communication et de facilitation afin de gagner du temps tout en permettant de dépasser les transferts traditionnels et officiels d’information dans les RH : appels à candidature, procédure de diffusion, échanges sur les contenus et les supports de formation, etc.

DG4 « On recense et on partage les CV des candidats, on les diffuse à toutes nos entreprises en fait via nos réseaux personnels. On a aussi un intranet qui fonctionne bien et que les adhérents consultent très fréquemment, on va d’ailleurs développer cet aspect. Cela donne du lien, c’est virtuel mais c’est du lien. »

Les proximités physiques et de coordination entre les entreprises adhérentes aux clusters et les centres de formation sont susceptibles de favoriser l’adéquation entre un poste proposé et un candidat. Ces partenariats et formations créés sont encore trop jeunes pour pouvoir tirer des conclusions sur l’impact de ces derniers sur le développement des compétences et la viabilité économique des entreprises.

La confiance et la personnalité du dirigeant comme dimension majeure de la proximité

L’analyse des données a mis en lumière une autre dimension particulièrement saillante : la confiance développée liée à la personnalité du délégué général de cluster.

Dans le discours des acteurs rencontrés, dans leurs comportements et leurs réactions, nous avons vu émerger, au sein de la plupart des clusters étudiés, ce sentiment de confiance entre les membres des clusters. Cet élément de confiance (Couteret, 1998) lié à la personnalité du dirigeant de cluster a été identifié, mais il ne faisait pas partie du guide d’entretien. Néanmoins, après avoir coupé les dictaphones et ordinateurs, très souvent, la conversation continuait quelques minutes dans les couloirs, en nous raccompagnant à la sortie de leurs entreprises, etc. C’est ainsi que cet élément s’est révélé.

Si la confiance au sein d’un même collectif en entreprise n’est pas toujours de mise, il est encore plus difficile de toucher ce sentiment dans une construction ou une coopération inter-entreprises. Dans les clusters étudiés, basés sur le principe même de coopération, d’échange et de solidarités, la confiance s’est imposée comme un axe possible et nécessaire d’évolution et permettant de faciliter et de renforcer les échanges et la coopération. On se situe là dans le cas d’un système basé sur des intentions d’actions implicites et qui est porté par des supports personnalisés, la confiance reposant alors sur des repères issus de la communauté ou de la relation interpersonnelle et sur la proximité géographique (Dupuy et Filippi, 2000; Dupuy et Torre, 2004). De plus, ces auteurs soulignent que “la présence d’un lien de confiance entre les acteurs va leur permettre d’envisager de manière plus efficace leur avenir commun, en renforçant la préférence pour le futur et en facilitant leur quête de relations porteuses de bénéfice mutuel (…) la confiance constitue l’un des éléments de compréhension des dynamiques locales, telles qu’elles se présentent au niveau domestique” (Dupuy et Torre, 2004, p. 18).

La personnalité du dirigeant de cluster ainsi que l’aura qu’il a manifesté sur le terrain a une importance dans le développement d’actions collectives, notamment en GRH. C’est lui qui décide des axes prioritaires pour son cluster et ses adhérents. Il est élu par ses pairs et représente les entreprises de l’écosystème thématique dans lequel il s’inscrit. Il a ainsi une forte légitimité. Son expérience passée et sa personnalité sont moteurs dans les choix réalisés pour les adhérents du cluster.

DB : « C’est elle (la déléguée générale) qui connaît tout le monde et nous partage son réseau. Elle a une connaissance et même une conscience (de la notion de) du territoire très forte. »

Cette confiance inter-organisationnelle peut être également associée à la dimension temporelle. Cette dimension est également soulignée par Dupuy et Torre (2004) dans leur analyse des intentions d’action davantage implicites dans le cadre de la confiance interpersonnelle et de proximité. Les contacts et les rencontres au fil des semaines, la meilleure connaissance des uns et des autres, les échanges verbaux et la participation à des actions et événements partagés, et également l’accumulation de temps dans l’existence des clusters ont été des facteurs clés. Dès lors que cette confiance a été présente, tout semble s’être accéléré. Ceci nous laisserait à penser que même dans le cadre d’intentions d’actions explicites illustrées par les clusters étudiés, cette dimension temporelle pourrait être également importante à considérer.

Cette présence de la confiance comme élément facilitateur des proximités articulées, en particulier géographique et socio-économique de coordination, relationnelle et de médiation, semble être en particulier l’apanage des clusters qui sont parvenus à un état de GRH mise en oeuvre (Pharmabio, Les Dents de Malo, Packaging). Dans un cadre d’action implicite, nous pouvons donc dire, à l’instar de Dupuy et Torre (2004), que la dimension de la confiance semblerait être un élément facilitant, car porteuse d’un avenir commun et de bénéfices mutuels, pour parvenir à une GRH réellement mise en oeuvre.

Conclusion

Dans des contextes renouvelés et à forte évolution, les dispositifs et les pratiques de GRH émergent et évoluent afin d’apporter du soutien et des ressources pour les organisations et leurs acteurs. Cette recherche visait à mieux identifier et analyser les dispositifs de GRH émergent entre acteurs d’un cluster et notamment entre PME, et analyser en quoi les clusters favorisent des dispositifs de GRH partagés pour ces PME. L’étude de ces phénomènes organisationnels à travers l’émergence de dispositifs de GRH dans les clusters permet de porter une analyse contributive à la connaissance et constitue également un levier à potentiel pour l’action des praticiens.

Premier élément à considérer, la nature des dispositifs RH émergents pour des PME au sein de clusters. Les résultats de la recherche permettent de les cerner entre dispositifs en projet, dispositifs mis en oeuvre et dispositifs avortés. Mais il convient de se poser la question de la spécificité des dispositifs de GRH émergents entre PME dans les clusters par rapport à d’autres formes de réseaux territoriaux d’organisation tels que cartographiés par Defélix et al., (2006).

Nous retiendrons pour cette comparaison le cas des pôles de compétitivité, qui partagent avec les clusters le fait de se structurer entre partenaires, encore plus variés que ceux des clusters étudiés (entreprises de tailles et de statuts divers, laboratoires, universités, écoles, centres de formation, etc.), et qui sont de plus caractérisés par une collaboration reconnue et renforcée par les pouvoirs publics. Rappelons que ce n’est pas le cas pour les clusters étudiés qui représentent une collaboration initiée et développée entre des acteurs eux-mêmes.

Les recherches menées sur l’émergence de dispositifs de GRH dans les pôles de compétitivité (Defélix et al., 2006; Colle et al., 2008; Calamel et al., 2011) nous autorisent ainsi un regard comparatif. Les résultats des travaux de Calamel et al. (2011) présentent et analysent en particulier les dispositifs RH émergents au sein de 12 pôles de compétitivité en France. Sur le court terme (impact et réalisation d’actions inférieures à 6 mois), on repère l’émergence des collectes des bonnes pratiques RH sur le territoire, des rencontres de travail thématiques RH, des supports RH téléphoniques (permanence assurée par un DRH), des visite in situ d’organisations du réseau, etc. Sur le moyen terme (impact et réalisation d’actions entre 6 et 24 mois), on observe notamment l’émergence des projets de cartographie de métiers passerelles, des rencontres de travail thématiques, des plateformes de gestion de CV et de candidatures, le recensement des formations existantes et manquantes sur le territoire et la mise à disposition des salariés entre adhérents. A plus long terme (impact et réalisation d’actions supérieurs à 24 mois), on repère en particulier des projets de cartographie des métiers existants (présents sur le territoire) et métiers dits « passerelles », des plateformes de travail communes et des projets de gestion territoriale des emplois (partage de compétences).

Nos résultats sur les clusters semblent aller globalement dans le même sens que ceux obtenus sur les pôles de compétitivité. Ils soulignent que la dimension temporelle permet de cheminer vers l’émergence de dispositifs de GRH plus élaborés, structurants et plus collaboratifs. Les dispositifs de GRH des clusters en projet, débutants et sur le court terme se traduisent par des actions de communication avant tout, puis à travers l’amorce de projets de formations communs. Les dispositifs de GRH dits mis en oeuvre, donc déjà plus avancés et mûrs se traduisent par des actions de GRH concrètes et réelles, à savoir des actions de formations amorcées, du recrutement partagé et de la mutualisation de ressources, puis cheminent vers une gestion des compétences partagées à échelle d’un territoire.

Ce ne serait donc pas a priori tant la forme des réseaux territoriaux d’organisation (District, Système Productif local, Cluster ou Pôle de compétitivité) à travers la nature des partenaires ou les types de collaboration, mais plutôt la dimension temporelle ainsi que les formes de proximités qui permettraient l’émergence de différents types de dispositifs de GRH.

L’articulation de ces formes de proximité — géographique, socio-économique de ressources (matérielles – cognitives) et/ou de coordination (relationnelle — de médiation) et/ou de la confiance — semblerait, en fonction de leur présence et de leur mobilisation, avoir un impact majeur pour l’émergence de dispositifs de GRH partagés. Ces proximités constituent donc une grille d’analyse particulièrement adaptée et pertinente dans des contextes collaboratifs et d’émergence délibérée ou potentielle de processus de GRH.

Second élément à considérer, l’évolution même de la nature de la GRH et de ses dispositifs associés pour les PME dans le cadre de clusters

Tout d’abord, cette GRH est caractérisée par l’absence de normes et de formalisation dans les pratiques, ainsi que par l’isolement du dirigeant (Albert et Couture, 2014; Dupont, 2014; Paradas, 2007, Vilette, 2014). Les résultats de la recherche soulignent que ces difficultés semblent être palliées en grande partie par l’émergence et le développement de plusieurs formes de proximités comme notre analyse l’a souligné.

Autres dimensions affectant la GRH dans les PME : le manque de temps à y consacrer, l’urgence et la méconnaissance des dispositifs et des organismes partenaires (Vilette, 2014). L’évolution des PME au sein de clusters semble permettre de minorer ces limites par le partage d’informations, les rencontres, la mutualisation des ressources et des processus, notamment quant à la formation, le recrutement et la gestion des compétences.

Enfin la dimension de l’attractivité des PME liée notamment à l’image des PME, aux perspectives d’évolution pour un salarié ou encore au secteur d’activité, semblent pouvoir être minorées dans le cadre de clusters. Les PME apparaissent alors comme faisant partie d’une organisation multi-acteurs alliant structuration, perspective et dynamique collective.

Il apparaît donc que pour des PME, dans des contextes à fortes évolutions et concurrentiels, la forme du cluster apporte de nombreux avantages. Mais au delà, c’est leur GRH et tous les dispositifs qui s’y rattachent qui évoluent fortement et s’en trouvent renforcés et pérennisés.