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La littérature témoigne de l’importance que revêt le réseau dans l’internationalisation des PME (Charoensukmongkol, 2016) qu’il s’agisse du réseau du pays d’accueil (Meier et Meschi, 2010) ou de celui du pays d’origine (Colovic 2013). Le réseau du dirigeant constitue un levier permettant d’appréhender un pays cible dans le cadre de l’internationalisation des PME : il s’agit par exemple de son réseau personnel (Lindstrand et al. 2011). Celui-ci doit s’accompagner en outre de la mobilisation d’un réseau d’affaires (Manolova et al., 2010), c’est-à-dire de relations partenariales permettant d’acquérir de nouvelles ressources (Johanson et Vahlne, 2009). Parallèlement, au travers de son rôle et de son profil, le dirigeant est susceptible d’influencer la stratégie d’une PME (Belàs et Kljucnikov, 2016). Le réseau et le profil du dirigeant font écho aux compétences entrepreneuriales d’un dirigeant, c’est-à-dire à une “ability to accomplish something by using a set of material and immaterial resources” (Danneels, 2002, p. 1102).

Dans la lignée de Rasmussen et al., (2011), nous considérons que les compétences entrepreneuriales peuvent être étudiées sous le prisme de l’approche resource based view (Penrose, 1959; Barney et Clark, 2007). De nombreuses recherches portent sur le rôle des compétences entrepreneuriales dans la création (Druilhe et Garnsey, 2004) ou dans la croissance de jeunes entreprises (Unger et al., 2011), certaines portent sur les compétences entrepreneuriales territoriales (Noguera et al. 2015) tandis que d’autres soulignent l’enjeu des compétences managériales dans l’innovation des PME (Lara et Sallas-Vallina, 2017).

Parallèlement, l’approche par les ressources met en exergue plusieurs catégories de ressources déterminantes dans l’internationalisation de PME (Rialp et Rialp, 2006). Au travers du capital humain (Barney et Clark, 2007) du dirigeant et de son capital relationnel (Fernandez et al., 2000), les compétences s’invitent dans le champ de l’entrepreneuriat international (Rialp et Rialp, 2006).

Cependant, si des auteurs s’intéressent aux compétences entrepreneuriales (Druilhe et Garnsey, 2004), aux réseaux de PME (Buckley et Prashantham, 2016) et à son rôle dans l’internationalisation des PME (Stoian et al., 2017; Oparaocha, 2015), il est frappant de constater que peu de chercheurs ont étudié l’enjeu des compétences entrepreneuriales dans l’émergence d’un réseau international (Zhang et al., 2016).

Ce réseau inter-organisationnel est composé d’entreprises étrangères ayant une activité d’exportation (Oparaocha, 2015; Musteen et al., 2010). Si le dirigeant est un acteur clé du développement de sa PME au regard de la centralisation du pouvoir (Belàs et Kljucnikov, 2016), qu’en est-il dans l’émergence d’un réseau international ? Nous entendons par émergence la phase précédant la création officielle d’un réseau inter-organisationnel.

Nous proposons ainsi de comprendre comment les compétences entrepreneuriales du dirigeant agissent sur le processus d’émergence d’un réseau international de PME.

Plus précisément, notre objectif est double : identifier l’évolution des compétences entrepreneuriales du dirigeant dans le cadre de l’émergence du réseau international de PME, et comprendre leurs rôles dans l’émergence de ce réseau. Dès lors, nous apportons des éléments explicatifs à la problématique suivante : dans quelle mesure les compétences entrepreneuriales du dirigeant ont-elles un impact sur l’émergence d’un réseau international de PME ?

Une méthodologie qualitative fondée sur une étude de cas longitudinale est apparue pertinente pour analyser l’émergence de ce type de réseau. Nous explorons ce cas à partir de 24 entretiens semi-directifs réalisés auprès d’acteurs français et tunisiens, d’observations non participantes et d’une analyse documentaire sur une période de 4 ans avec une rétrospective 9 ans après le début de l’étude. Les données collectées ont été analysées via la méthode de Gioia et al. (2013). Nous mettons en exergue les étapes d’émergence du réseau international tout en soulignant les difficultés de mise en oeuvre. Les résultats permettent d’apporter des éléments explicatifs sur les compétences entrepreneuriales du dirigeant agissant sur l’émergence d’un réseau international.

La première partie expose une synthèse des travaux issus de la littérature sur les réseaux internationaux de PME, puis nous proposons un cadre d’analyse relatif aux compétences entrepreneuriales. La deuxième partie présente la méthodologie mobilisée reposant sur une étude qualitative et longitudinale ainsi que sur la méthode Gioia permettant de traiter et de structurer les données. Dans la troisième partie, nous exposons les résultats de l’étude de cas réalisée. Enfin, nous mettons en perspective ces résultats en les confrontant à la littérature au travers d’une discussion.

Les réseaux internationaux et les compétences entrepreneuriales : analyse de la littérature

Réseaux internationaux et PME

C’est dans ce contexte mouvant et incertain que les PME (Kirkels et Duysters, 2010) se lancent dans des stratégies collaboratives (Meiseberg et Ehrmann, 2013) au travers de l’appartenance à un réseau inter-organisationnel. Le réseau permet de mutualiser des ressources, de partager des informations tout en facilitant la découverte de nouvelles opportunités (Kirkels et Duysters, 2010). Pour autant, en contexte de PME, deux types de réseaux coexistent et sont parfois difficilement dissociables : le réseau inter-organisationnel, c’est-à-dire le réseau formel et organisé où des entreprises échangent et partagent des informations (pôles de compétitivité, grappes d’entreprises…), et le réseau inter-individuel reposant davantage sur les relations du dirigeant avec ses partenaires (organisations professionnelles, banquiers, clients, confrères…) (Nowiński et Rialp, 2016).

Le dirigeant de PME joue un rôle central en matière de réseau (Donckels et Lambrecht, 1997) : son comportement, ses logiques d’action et plus globalement son profil conditionnent ses motivations et son implication dans le réseau au sein duquel il s’est inséré (Prajapati et Bisman, 2011).

La décision d’internationaliser une PME peut également être conditionnée par les caractéristiques personnelles du dirigeant à savoir : sa personnalité, son expérience (Schotter et Beamish, 2013), ses motivations ou encore ses connaissances (Zucchella et Scabini, 2007). Pour s’étendre au-delà des frontières, le dirigeant PME n’hésite pas à s’appuyer sur ses réseaux aussi bien inter-individuels (Nowiński et Rialp, 2016) qu’inter-organisationnels (Coviello, 2006). Plus les réseaux du dirigeant sont denses et composés de partenaires divers et variés, moins il rencontrera d’obstacles lors de l’internationalisation de sa PME (Kontinen et Ojala 2011). En effet, étudiant le processus d’internationalisation des PME sous le prisme des actions déployées par les dirigeants pour créer et développer leur réseau dans un pays souhaité, Coviello (2006) a mis en lumière la multiplicité des liens durables et temporaires tissés par le dirigeant. L’auteur a précisé que ces relations réticulaires étaient protéiformes et propres à chaque structure. Ces réseaux ne sont pas figés, et sont susceptibles d’évoluer en fonction de différentes phases du processus d’implantation extra-muros (Jack, 2010). Les réseaux contribuent donc à l’expansion internationale des PME au regard des nombreux avantages qu’ils présentent. Ces derniers leur permettent de pallier en partie leurs ressources limitées (Lu et Beamish, 2006), tout en réduisant les coûts inhérents à cette stratégie. Les dirigeants sortent alors des frontières de l’organisation afin de mutualiser des informations, ou développer des projets collaboratifs au sein de réseaux (Lamine et al., 2014).

En outre, Freeman et al, (2010) se sont intéressés aux réseaux établis dans le pays d’accueil dans lesquels le dirigeant est susceptible de s’insérer. Leurs résultats ont révélé notamment que les réseaux orientaient le mode d’entrée sur les débouchés recherchés de l’entreprise. Les dirigeants portent également une attention particulière à leurs partenaires internationaux qui les conseillent dans leur sélection des marchés (Musteen et al., 2010). Cette analyse de la littérature souligne le rôle prépondérant du dirigeant de PME s’engageant pleinement dans le projet. Allant plus loin dans la réflexion, certains auteurs considèrent que le profil voire les compétences d’un dirigeant sont susceptibles d’agir sur ses choix stratégiques (Marchesnay et Julien 1990). De fait, les compétences entrepreneuriales analysées sous le prisme de l’approche par les ressources semblent pertinentes au regard de notre problématique. Nous proposons de transposer ces compétences dans un contexte d’émergence d’un réseau international de PME.

Les compétences entrepreneuriales : construction du cadre d’analyse pour les réseaux internationaux de PME

Gartner (1988, p 21) revendique le fait que « Research on the entrepreneur should focus onwhat the entrepreneur does and not who the entrepreneur is ». Cette approche comportementale marque un tournant dans les recherches en entrepreneuriat puisque l’entrepreneur doit désormais être étudié au travers de ses actions et dans le cadre d’un processus. C’est ainsi que les compétences entrepreneuriales évoluent au cours du processus entrepreneurial (Loué et Baronnet, 2012)

Nous positionnons notre recherche à partir de la définition de l’entrepreneuriat de Messeghem et Sammut (2011) qui considèrent qu’il s’agit d’ « un processus de recherche, d’évaluation et d’exploitation d’opportunités effectué par un entrepreneur ou une équipe entrepreneuriale qui, dans le cadre d’une création, d’une reprise ou d’un développement d’activités, développe une organisation mettant en oeuvre une vision stratégique, et contribuant à créer de la valeur » (p. 24). Il s’agit bien ici d’un processus tourné vers l’opportunité visant à créer une organisation, en l’occurrence un réseau, et ce dans le but de générer de la valeur.

Afin d’apporter une définition aux compétences entrepreneuriales, à l’instar de Rasmussen et al., (2011), nous mobilisons l’approche resource based view (Penrose, 1959; Barney et Clark, 2007).

Le précurseur de ce courant est Penrose en 1959 qui adopte une vision « biologique » de la firme, centrée sur son processus vital de croissance. Son approche vise à montrer l’enjeu de la « boîte noire » que constitue l’entreprise et, plus particulièrement, l’importance de l’agencement des ressources dans le développement de sa croissance. Elle définit les ressources comme étant « tout ce qui génère des flux de service ». Wernerfelt en 1984, inspiré des travaux de Penrose, rappelle que le développement de la firme ne dépend pas seulement de son positionnement externe, mais qu’une bonne part de son succès dépend aussi des ressources qu’elle a à sa disposition. Il définit la ressource comme étant composée de « tous les actifs (matériels et immatériels) liés en permanence à l’entreprise ».

Cette approche souligne que la performance de la firme dépend d’une combinaison de ressources idiosyncratiques difficilement imitables par la concurrence. Leur exploitation serait ainsi source d’avantage concurrentiel (Wernerfelt, 1984; Grant, 1991). Ces ressources, souvent qualifiées de « clés », stratégiques ou distinctives, ne relèvent pas d’un droit de propriété, mais d’une forme d’appropriation ou de maîtrise propre à l’entreprise (Marchesnay, 2002). Ainsi, l’entreprise doit identifier, exploiter, combiner et mobiliser ses ressources à bon escient (Barney et Clark, 2007). Le simple fait de les posséder ne détermine pas l’obtention d’un avantage concurrentiel.

Cette approche renvoie à des actifs, des informations, des capacités, des savoirs, des processus organisationnels qui permettent aux organisations de développer et de déployer des stratégies de manière à améliorer leur efficacité et leur fonctionnement (Barney et Clark, 2007).

Plus précisément, Barney et Clark (2007) proposent quatre conditions regroupées dans le modèle « VRIO » (Barney et Clark, 2007) : valeur, rareté, imitation, organisation. La valeur fait à la fois référence aux opportunités que l’entreprise est susceptible de saisir et aux menaces contre lesquelles elle doit se prémunir. La rareté suppose que les ressources ne soient pas détenues par les concurrents. Celles-ci doivent être inimitables et non substituables. Enfin, il est primordial que l’entreprise s’organise pour exploiter efficacement ses ressources en les combinant.

Même si l’approche resource based view est largement mobilisée dans le champ du management stratégique et plus particulièrement de l’entrepreneuriat, il demeure encore parfois difficile de s’en saisir. Aussi, afin de clarifier notre positionnement, il convient de préciser ce que nous entendons par ressources et pourquoi nous parlons de compétences dans le présent article.

A l’instar des travaux de Brulhart, et Gherra (2015), nous considérons que les ressources font référence à des actifs tangibles ou intangibles que l’entreprise doit combiner pour construire un avantage concurrentiel.

Barney et Clark (2007) distinguent quatre catégories de ressources. Les deux premières sont des ressources tangibles - capital physique et capital financier - dans la mesure où elles peuvent être mesurées et apparaissent généralement dans le bilan de l’entreprise, tandis que les deux dernières sont des ressources intangibles - capital humain et capital organisationnel - plus difficiles à évaluer voire à identifier. Le capital, quelle que soit sa nature, correspond à un type de ressources au sens de Barney et Clark (2007).

Plus spécifiquement, le capital humain fait référence aux connaissances génériques et spécifiques, à la formation et à l’expérience des acteurs de l’entreprise ainsi qu’à leurs relations.

Dans le cadre de cette recherche portant sur les compétences entrepreneuriales du dirigeant, nous transposons les composantes du capital humain relatif aux salariés au dirigeant. En d’autres termes, le capital humain est considéré ici comme les caractéristiques personnelles du dirigeant. Afin de compléter les travaux de Barney et Clark, et de souligner la dimension relationnelle, centrale en PME, nous assimilerons le capital relationnel à la combinaison de réseaux personnel, d’affaires et informationnel (Bruyat et Julien, 2001; Vanghelye et Julien, 2010).

Rappelons que le réseau personnel peut être composé de membres de la famille, d’un client en particulier, de quelques membres du personnel, de personnes appartenant à la même association, et que les relations entretenues sont généralement informelles et spontanées. Le réseau d’affaires est, quant à lui, formé de personnes liées à des transactions en amont ou en aval de la firme : il peut aussi s’agir de partenaires à certains moments de la vie de l’entreprise. Enfin, le réseau informationnel comprend notamment les membres de centres de recherche et d’organismes de formation.

Au regard de notre problématique nous mobilisons le capital humain reposant sur le profil du dirigeant, et le capital relationnel combinant le réseau d’affaires, le réseau personnel et le réseau informationnel du dirigeant, qui peuvent constituer des composantes des compétences entrepreneuriales de ce dirigeant.

A la lecture de ce croisement entre processus entrepreneurial et compétences entrepreneuriales, il semble opportun d’identifier les étapes d’émergence du réseau international, et de faire ressortir les compétences entrepreneuriales du dirigeant.

FIGURE 1

Conceptual framework de l’analyse des compétences entrepreneuriales du dirigeant en contexte d’émergence d’un réseau international de PME

Conceptual framework de l’analyse des compétences entrepreneuriales du dirigeant en contexte d’émergence d’un réseau international de PME

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Une méthodologie qualitative fondée sur une étude de cas longitudinale et rétrospective

Choix de l’étude de cas et mode de recueil des données

L’émergence de réseaux internationaux de PME étant un processus complexe incluant divers acteurs, la méthode de l’étude de cas a été estimée préférable (Gehman et al. 2017). En outre, une étude longitudinale a été menée (Iacobbucci et Rosa, 2010). Plusieurs sources d’informations ont permis d’analyser ce cas. 22 entretiens semi-directifs ont été menés sur une période de 4 ans en France et en Tunisie auprès d’acteurs impliqués dans l’émergence du réseau international. Plus précisément, quatre PME françaises industrielles (PME Sol, PME Métra, PME Til et PME Fe) d’une centaine de salariés appartenant au même réseau inter-organisationnel français et ayant fait le choix d’une implantation en Tunisie ont fait l’objet d’une attention particulière. En outre, des partenaires tunisiens et français ont également été interrogés. Il s’agit d’un cas émergent nécessitant l’étude d’une pluralité d’acteurs.

Les thèmes du guide d’entretiens ont évolué au fil des périodes :

  • 2008 : Enjeux de l’internationalisation, Limites et difficultés, Rôle des acteurs

  • 2009 : Internationalisation et territoire, Mode d’internationalisation, Rôle du réseau

  • 2011 : Enjeux et freins d’un réseau international, Rôle des acteurs, Mise en oeuvre

La participation à plusieurs réunions (en France et en Tunisie) portant sur l’émergence du réseau international a permis de comprendre les jeux d’acteurs et les difficultés rencontrées par chaque protagoniste. Ces observations se sont accompagnées de l’analyse de plusieurs documents : des comptes rendus de réunions, des plans de formation inter-entreprises, des documents comptables des PME concernées et des documents relatifs à la fiscalité tunisienne. Ces données secondaires ont permis d’avoir une vue globale sur les PME concernées et plus largement sur le contexte tunisien.

Des fiches de synthèse des entretiens menés et des observations réalisées ont été élaborées au fur et à mesure de la collecte des données. Celles-ci ont été envoyées aux acteurs interrogés afin qu’ils les valident et les complètent si besoin.

Nous avons également procédé à une rétrospection en 2017 (Eisenhardt et Graerbener, 2007) afin de prendre des précautions méthodologiques (Calabretta et al., 2017). Nous avons ainsi mené 2 entretiens rétrospectifs téléphoniques. L’objectif était de revenir sur cette étape cruciale avec le recul nécessaire. Nous avons posé dans un premier temps des questions relativement ouvertes afin de ne pas mettre en difficulté les personnes interrogées. Puis, en s’appuyant sur des documents relatifs à ce réseau datant de la période d’émergence, nous avons ciblé nos questions sur le rôle de ce dirigeant et plus particulièrement sur ces compétences entrepreneuriales.

Au total 24 entretiens ont été réalisés de 2008 à 2017 (Tableau 1) : ils ont été enregistrés et intégralement retranscrits. La durée des entretiens est comprise entre 45 minutes et 2h20.

Tableau 1

Démarche d’échantillonnage

Démarche d’échantillonnage

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Analyse des résultats avec la méthode Gioia

Dans une visée compréhensive et afin de faire émerger un processus, nous avons opéré un codage thématique de notre matériau empirique en suivant la méthodologie de Gioia et al. (2013). Conformément à cette méthodologie, le codage de premier rang a émergé du terrain de façon inductive. La montée en abstraction propre à la démarche de Gioia et al., (2013), a fait l’objet de plusieurs allers-retours entre la théorie et le terrain, dans une logique abductive.

La figure 2 montre comment nous sommes passés de 12 codes de premier rang à 6 thèmes de second rang, puis à 3 dimensions agrégées.

À titre d’illustration, le retour à la littérature nous a permis de faire émerger des concepts de second rang relatifs à la structuration de la vision. Dans d’autres cas, la confrontation de nos données empiriques avec les travaux existants sur les réseaux et les compétences entrepreneuriales, au contraire, ont fait apparaître que certains aspects n’avaient pas encore été étudiés à ce jour dans la littérature et constituaient, à ce titre, de potentiels apports théoriques. Il s’agit par exemple de la « mobilisation du capital humain et relationnel ». Notre grille combine donc des dimensions issues de notre cadre théorique et des dimensions nouvelles. Une fois celle-ci construite autour de trois dimensions (Identification d’opportunité du réseau international, Evaluation de l’opportunité du réseau international, Exploitation de l’opportunité du réseau international), nous avons finalement procédé au codage systématique, sous Word, de toutes les données recueillies (constitution d’un fichier de 15120 mots, structuré selon notre grille).

Cette étude d’un cas unique présente un réel potentiel dans la mesure où elle nous a permis d’accéder à des données riches (Langley et Abdallah, 2011). La structuration des données correspondant à une grille d’analyse thématique (Figure 2) va nous permettre d’organiser de façon analytique nos résultats.

L’analyse du processus d’émergence d’un réseau international de PME sous le prisme des compétences entrepreneuriales du dirigeant

Nous avons choisi de présenter les résultats en reprenant les trois dimensions agrégées de notre grille de structuration des données.

(2008-2009) Identifier l’opportunité d’un réseau international de PME : vers une mobilisation du capital humain et relationnel

Les dirigeants des quatre PME françaises appartenant au même réseau inter-organisationnel français, ayant implanté une partie de leurs activités en Tunisie, se retrouvent régulièrement afin d’échanger sur leurs difficultés, et de partager certaines informations. Dans un premier temps, un groupe de réflexion a été initié par Jean, le dirigeant de la PME française Sol. Nous nous sommes rapidement intéressés à ce dirigeant atypique dans la mesure où il revêt à la fois la casquette de dirigeant et celle de chercheur. Ingénieur de formation, il a gravi les échelons de la PME Sol avant d’en devenir le dirigeant en 2006. Dès lors, s’inspirant de sa thèse de doctorat soutenue en 1997 et de ses diverses recherches sur l’entrepreneuriat et la GRH, il oriente sa PME vers une GRH socialement responsable et innovante. Celui-ci mobilise à la fois ses connaissances de chercheur, et le réseau qu’il a acquis dans ce contexte durant plusieurs années lui permettant de faire évoluer son organisation.

FIGURe 2

Structuration des données du cas étudié

Structuration des données du cas étudié
Adaptée de Corley et Gioia, 2004

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Il décide ensuite de franchir les frontières organisationnelles en collaborant sur son territoire, puis, celles de son pays en installant un site à Tunis. Ce dirigeant est donc à l’origine de réunions et de temps d’échange entre PME françaises et partenaires tunisiens.

Lors de ces temps d’échange, les difficultés humaines et logistiques rencontrées sont abordées : problèmes de recrutement, de fidélisation, de formation, d’acquisition de locaux. « Quand on recrute des locaux, on ne trouve pas toujours le savoir-faire suffisant, qui correspond à notre métier, c’est un vrai casse-tête. » (Dirigeant, PME Metra). La question qui revenait sans cesse concernait les salariés tunisiens et leur compétence « comment va-t-on les former ? » (Dirigeant, PME Til). « On peut faire appel à des salariés de nos entreprises, restés en France, on les fait venir et ils forment les tunisiens, cela peut constituer un coup de pouce » (Jean, PME Sol).

D’autres problèmes ont été évoqués : « il est difficile de trouver des locaux adaptés à notre activité et dans nos prix, il faudrait peut-être envisager de les partager entre nous, on pourrait s’entraider ! » (Dirigeant, PME Métra)

Jean était convaincu qu’en travaillant ensemble, les dirigeants français pourraient surmonter ces difficultés, mais cela n’était pas suffisant. Jean souligne la nécessité de collaborer entre dirigeants français mais aussi avec des acteurs locaux tunisiens ayant une certaine expertise. En effet, il avait tissé des liens privilégiés avec certains d’entre eux notamment lors de sa participation à des conférences en tant que chercheur. En effet, lors de sa participation à un colloque en tant que chercheur, Jean a rencontré Fériel, inspectrice du travail à Tunis, avec qui il a collaboré dans le cadre de recherches. S’appuyant sur son expérience et sa formation, ce dirigeant a su activer son capital relationnel. Le capital relationnel de Jean en Tunisie et sa détermination l’ont amené à envisager la création d’un réseau inter-organisationnel franco-tunisien.

« Sur les aspects juridiques et sociaux Fériel pourra nous aider, elle a des relations, son réseau pourra nous être utile, j’ai déjà collaboré avec elle, on se renvoie l’ascenseur, n’est-ce pas Fériel ? ! » (Jean, PME Sol). L’objectif de ce réseau est de pouvoir partager des informations, mutualiser certains moyens tels que des locaux ou des formations, et être en mesure de demander des aides aux acteurs publics locaux.

Jean se saisit donc des difficultés des dirigeants français pour faire la proposition de la création d’un réseau international franco-tunisien : il a imaginé le potentiel de ce réseau au regard des attentes des dirigeants français, et analysé la faisabilité du projet. « J’ai eu au téléphone à plusieurs reprises Pierre [animateur d’un réseau inter-organisationnel français], il voit l’intérêt de ce réseau, il est prêt à nous aider » (Jean, PME Sol). « J’en ai discuté avec Jean la semaine dernière, c’est une bonne idée, on peut demander des aides publiques pour avancer, ça serait un plus » (Fériel, Inspectrice du travail).

L’entretien rétrospectif de Jean en 2017 nous apprend qu’avec le recul il est conscient de la richesse de sa double casquette : chercheur et dirigeant. Il considère que sans les relations tissées lors de sa participation à des conférences, il n’aurait pas pu développer aussi rapidement son capital relationnel. « Mon expérience et ma casquette de chercheur m’ont aidé dans la démarche, j’ai pris du recul et rencontré des Tunisiens en conférence qui m’ont beaucoup inspiré » (Jean, PME Sol). Son capital humain se construisant en partie au fur et à mesure de ses recherches, l’amène à faire des rencontres et à se constituer un capital relationnel. En outre, il partage ses connaissances accumulées avec les membres de son réseau d’affaires ainsi qu’avec son réseau informationnel.

(2011) Evaluer l’opportunité d’un réseau international : vers une animation du capital humain et relationnel

De nombreuses questions concernaient le pilotage de ce réseau. « Qui va piloter le réseau ? En France, on a Pierre [cabinet de conseil], ici, ça n’existe pas ? Je n’ai pas le temps de gérer ça en plus, ça m’inquiète… » (Dirigeant, PME FE). Au fil des discussions, il a été proposé que le réseau franco-tunisien soit géré par le cabinet de conseil qui pilote déjà le réseau français et ce, en partenariat avec des acteurs tunisiens. « Jean nous a dit, la solution c’est Pierre en pilotant les deux, il pourra nous aider à travailler ensemble, en Tunisie et en France » (Dirigeant, PME Métra).

Ce mode de pilotage visait à favoriser les relations intra (Tunisie) et inter-réseaux (Tunisie et France). « On peut démarrer à 4, puis grossir en accueillant d’autres boîtes basées à Tunis, c’est un bon début » (dirigeant, PME Til). Les dirigeants envisagent de collaborer avec des acteurs locaux tunisiens ainsi qu’avec le consultant français afin de bâtir ce nouveau réseau. Le capital relationnel de Jean : le banquier, Ali, est prêt à accompagner les PME dans le montage financier; Fériel, inspectrice du travail et Souila, avocate, acceptent de se charger de la partie juridique.

A cette étape-ci, Jean s’interroge sur la forme de ce réseau et sur les actions à mener afin de le structurer. « Pierre va démarrer un diagnostic pour déceler les actions à déployer afin de se structurer, il va débuter dans un mois ». (Jean, PME Sol). Le diagnostic de Pierre et l’étude de faisabilité de l’Agence Française de Développement révèlent que ce projet favoriserait :

  • une meilleure intégration entre les entreprises membres par le développement de ce réseau;

  • la réalisation d’économies d’échelle et des démarches participatives au niveau des entreprises membres par l’identification, la structuration et la réalisation par le réseau de projets collaboratifs;

  • la stabilisation et la création d’emplois qualifiés au niveau local.

L’objectif de ce réseau est de pouvoir échanger avec des partenaires rencontrant les mêmes difficultés à Tunis. Ces relations seraient renforcées par un partenariat fort avec le réseau inter-organisationnel français qui permettrait de tisser des liens entre les deux pays. « Il faut que l’on travaille ensemble, avec notre réseau C, en partageant nos idées, notre savoir, on pourra avancer et régler nos problèmes » (Jean, PME Sol).

Ainsi, toutes les entreprises auront accès aux mêmes informations pratiques sur le pays et collaboreront via l’organisation de réunions. « Jean a créé la dynamique, il a proposé des réunions régulières, pourquoi pas une fois par mois ? » (Souila, avocate tunisienne).

Seront évoqués lors de ces réunions des points qui sont ressortis comme étant cruciaux tels que le recrutement, la fidélisation, la formation ainsi que des aspects plus logistiques (choix de locaux adaptés) et financiers (subventions tunisiennes et françaises). Une fois par semestre l’ensemble des dirigeants du réseau se réunira (une fois en Tunisie et une fois en France).

En 2017, Jean nous révèle que la proposition de ce réseau a été alimentée par des relations développées lors des séminaires de recherche auxquels il participe régulièrement. Il n’en avait pas conscience lors de la phase d’émergence mais aujourd’hui il réalise que ses compétences en la matière l’ont grandement aidé. Pierre, quant à lui, avoue que Jean, du fait de sa casquette de chercheur et de sa notoriété au niveau local, a acquis la légitimé d’entreprendre et de proposer l’émergence de ce réseau. « Il (Jean) a réussi à nous convaincre par l’expérience, ses recherches et son vécu… puis tout le monde le connait et le respecte dans le milieu » (Pierre).

(2011-2012) Exploiter l’opportunité d’un réseau international : vers une coordination du capital humain et relationnel

Cette phase de consolidation va passer par un partage d’informations. « Comme en France, on a envie de partager et d’échanger sur nos problèmes de recrutement ou de formation » (Dirigeant, PME Métra). « On a déjà partagé des formations, ça aide de discuter avec d’autres salariés, d’autres entreprises, on s’améliore, faut pas perdre ça ici » (Jean, PME Sol).

L’objectif est donc de réfléchir ensemble à des actions permettant aux PME implantées en Tunisie de bénéficier d’une main d’oeuvre fidèle et qualifiée. Au-delà du « bouche à oreille » classique généralement pratiqué dans ce type d’entreprise, le recrutement devient une priorité. « Le recrutement classique, c’est dépassé, nous devons collaborer et nous entraider pour surmonter nos difficultés » (Jean, PME Sol). Les dirigeants vont se faire accompagner par des experts tunisiens, et mutualiser leurs pratiques. Jean va favoriser cette dynamique en s’appuyant sur son capital relationnel. A titre d’exemple, une amie formatrice de Fériel va se charger de développer la mutualisation des programmes de formation. Ainsi, les entreprises appartenant à ce réseau vont bénéficier à moindre coût de formations spécifiques visant à pallier l’absence de compétences des salariés locaux dans certains domaines tels que la soudure. En mutualisant leurs moyens, ces PME, profitent d’avantages et de conditions presque inenvisageables au sein de leur seule organisation. Ce projet a été présenté lors d’une réunion à laquelle nous avons assisté. Les acteurs semblaient à la fois dubitatifs et surpris par la portée réelle du réseau. « Comment va-t-on faire concrètement ? Aura-t-on les moyens financiers ? C’est rassurant mais incertain, j’ai des doutes… » (Dirigeant, PME Til). « Fériel a de l’expérience, on peut lui faire confiance, j’ai déjà mené d’autres projets avec elle qui ont rencontré un vrai succès ! ! » (Jean, PME Sol)

Son expérience et sa légitimité ont permis à Jean de convaincre d’autres dirigeants de l’intérêt de cette mutualisation. Lors de cette dernière phase, de nouveaux dirigeants ont rejoint le groupe de réflexion. Et malgré l’adhésion générale au projet, nous avons pu observer lors de réunions organisées à l’initiative de Jean certaines tensions. Les dirigeants bénéficiant d’une proximité plus forte avec Jean, adhèrent davantage aux propositions formulées tandis que ceux ayant intégré le groupe dans cette dernière phase d’émergence semblent réticents « J’ai le sentiment que le réseau s’organise autour de l’entreprise Sol, et les autres, comment trouver notre place ? » (Nouveau dirigeant 1). Le rôle de Jean dans l’émergence de ce réseau suscite une forme de suspicion notamment lorsqu’il ne s’agit pas de membres de son capital relationnel.

Nous constatons une forme de frustration : certains n’osent pas s’exprimer et font montre d’une attitude passive voire négative à l’égard du discours de Jean qui se veut rassembleur. Une lassitude commence à se faire ressentir : « on passe beaucoup de temps à discuter, mais j’ai le sentiment que l’on tourne en rond, je perds mon temps, des chantiers m’attendent » (Nouveau dirigeant 2). Pour autant, les membres fondateurs de ce groupe, pilier du capital relationnel de Jean, vont le soutenir dans son action. Ils seront accompagnés par le réseau informationnel de Jean : les acteurs tunisiens rencontrés lors de conférences de recherche. Ayant déjà connu ce genre de situation en tant que chercheur ou dirigeant, Jean a accumulé les connaissances nécessaires pour s’appuyer sur son capital humain. Confronté à de nombreuses difficultés lors de ses années de doctorat ou de jeune dirigeant, la capacité de résilience de Jean lui a permis de surmonter ces évènements en les affrontant : il s’agit par exemple de sa capacité d’argumentation en conférence face à des critiques concernant ses travaux de recherche. Il réussit également à fédérer son capital relationnel : ici son réseau d’affaires (les autres dirigeants partenaires) et son réseau informationnel (les partenaires rencontrés lors de conférences). Dès lors, ce dirigeant fédérateur, va impulser le lancement du réseau MECA.

Sous forme d’association scientifique, le réseau MECA est créé en mars 2012. Initialement constitué de 16 entreprises, il regroupe fin 2013, 36 entreprises, dont la moitié totalement exportatrices. Il couvre les quatre principaux métiers de la mécatronique (informatique, mécanique, électricité, électronique) et représente un bassin de 5 000 emplois.

FIGURe 3

Modélisation processuelle des compétences entrepreneuriales agissant sur l’émergence d’un réseau international de PME

Modélisation processuelle des compétences entrepreneuriales agissant sur l’émergence d’un réseau international de PME

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Les résultats soulignent l’évolution des compétences entrepreneuriales de Jean au fil des étapes de l’émergence de ce réseau international. Dans ce contexte précis, les compétences entrepreneuriales reposent sur le capital humain fortement imbriqué au capital relationnel de ce dirigeant.

Avec du recul, Jean reconnaît que ce réseau n’aurait jamais pu voir le jour sans son capital relationnel : son réseau d’affaires et son réseau informationnel composés d’acteurs locaux experts de certains domaines, et de dirigeants de PME l’accompagnant.

Pierre, quant à lui, a regretté de ne pas avoir pris part au premier groupe de réflexion entre dirigeants même s’il a pu agir par le biais de Jean qui a su l’associer rapidement au projet. Aujourd’hui, il forme des animateurs travaillant dans le réseau, et celui-ci va probablement constituer un modèle de référence en Tunisie visant à être répliqué dans d’autres villes. « Aujourd’hui, nous avons bâti un modèle de référence qui marche, qui se développe et qui nous conforte dans l’idée de devoir travailler ensemble, l’isolement n’est pas possible en PME, notamment à l’international » (Pierre).

De façon rétrospective, Jean nous a confié qu’un des projets majeurs du réseau a été le développement de compétences via l’élaboration d’une Plateforme de recrutement régional « Désormais, nos besoins peuvent être identifiés sur une plateforme, ce qui nous permet d’avoir accès à des compétences clés […] j’ai travaillé sur cet outil avec Pierre » (Jean, PME Sol). Celle-ci s’est accompagnée de l’élaboration d’un programme de formation à la soudure (Document issu de l’Agence Française de Développement). Il a su mobiliser ses connaissances accumulées en matière de gestion des ressources humaines, et s’appuyer sur son capital relationnel en l’occurrence Pierre.

Jean est conscient que la dernière étape d’exploitation de l’opportunité a consisté à consolider le partenariat en formalisant et en mutualisant certains moyens. Il avoue avec recul qu’il s’agissait de la phase la plus délicate dans la mesure où les dirigeants de PME et divers partenaires allaient s’engager officiellement dans le réseau. S’agissant de son capital relationnel, la relation de confiance nouée au fil des années avec les acteurs français et tunisiens a été primordiale.

Discussion et implications managériales

Deux principales contributions méritent d’être discutées. La première est relative à l’analyse du processus d’émergence du réseau international de PME sous le prisme des compétences entrepreneuriales. La seconde porte sur le rapprochement des travaux de Barney et Clark (2007) et de Bruyat et Julien (2001) et Vanghelye et Julien (2010) venant renforcer le capital humain et proposer le capital relationnel. Enfin, les implications managériales viennent conclure cette discussion.

Dans leur ouvrage, Messeghem et Sammut (2011) ont rappelé que le processus entrepreneurial est composé de trois étapes : la recherche, l’évaluation et l’exploitation d’opportunités. Si la littérature porte généralement sur les effets d’un réseau international de PME (Charoensukmongkol, 2016; Lindstrand et al. 2011), nos résultats soulignent les phases de construction de l’émergence d’un réseau international de PME s’apparentant à un processus entrepreneurial.

Plus précisément, nos résultats mettent en lumière que ses compétences entrepreneuriales, qui occupent une place de choix au sein de ce processus, reposent sur la combinaison du capital humain - renvoyant à l’expérience et aux connaissances accumulées - et du capital relationnel - faisant référence aux réseaux d’affaires et informationnels - d’un dirigeant, ainsi qu’à sa capacité à identifier, mobiliser, coordonner et développer des relations de confiance avec des acteurs de divers horizons évoluant lors d’un processus entrepreneurial. Nos travaux viennent ainsi compléter les recherches sur les compétences entrepreneuriales, généralement centrées sur la création et le développement de la firme (Rasmussen et al., 2011) ou les travaux de Noguera et al. (2015) portant sur les compétences entrepreneuriales territoriales définies comme « l’ensemble des ressourcesmatérielles ou immatérielles,individuelles ou collectives, activables d’un milieu donné, fondées sur des coopérations, des complémentarités et des spécialisations, permettant de créer de la valeur sur un territoire pour l’ensemble des parties prenantes »

(Noguera et al., 2015). Cette définition montre que ces compétences sont tournées vers la création de valeur sur un territoire, ce qui s’avère être également un des objectifs implicites de la création de ce réseau international. En revanche, nos résultats se détachent des travaux de Noguera et al, (2015) en soulignant des ressources individuelles et collectives dans la mesure où ils pointent l’enjeu de la dimension individuelle au travers de ce dirigeant, impulsant la création de ce réseau.

Revenons à présent sur les étapes d’émergence de ce réseau et sur l’articulation des compétences entrepreneuriales du dirigeant.

Lors de la première étape, le dirigeant mobilise ses compétences entrepreneuriales afin de saisir les potentialités de cette forme d’organisation. L’objectif est de mieux cerner le contexte tunisien et les attentes des dirigeants insatisfaits au vu des problématiques auxquelles ils sont confrontés. Aussi, il s’appuie sur ses expériences passées ainsi que sur les rencontres effectuées au cours de sa formation. Cette dimension renvoie aux travaux de Barney et Clark (2007) et de Grant (1991) portant sur la capitalisation d’expérience des salariés que nous transposons au dirigeant.

Dans la deuxième étape, ce dirigeant s’appuie sur ses compétences entrepreneuriales, via l’animation du capital humain et du capital relationnel, afin de structurer sa vision stratégique. Il souhaite ainsi donner du sens aux potentiels acteurs impliqués dans la création du réseau en s’appuyant sur des éléments attestant de la valeur recélée par son projet. Afin de favoriser le dialogue entre les diverses parties prenantes, le dirigeant organise des rencontres, et tente de créer des conditions propices à la collaboration. Nous retrouvons dans cette étape la complémentarité et la coopération, ingrédients présents dans les compétences entrepreneuriales territoriales de Noguera et al. (2015).

Enfin, lors de la dernière étape, ses compétences entrepreneuriales se fondent sur la coordination du capital humain et du capital relationnel pour mettre en oeuvre son projet. Toutefois, le capital relationnel peut s’avérer fragile si de nouveaux membres apparaissent. Cette greffe au groupe de réflexion peut être source de tensions et de frustrations de la part de certains dirigeants. Cette transformation du capital relationnel peut donc venir fragiliser les compétences entrepreneuriales du dirigeant même si ces frustrations ont finalement été bénéfiques, permettant à Jean d’affiner ses propositions.

Les compétences entrepreneuriales nécessitent une bonne articulation entre le capital humain et le capital relationnel. Cette première forme de capital se met généralement au service de la seconde. L’enjeu du capital humain est donc central (Barney et Clark, 2007).

Dans cette recherche, les compétences entrepreneuriales ne sont pas figées, et sont fortement contextualisées. En outre, au-delà de leur caractère dynamique, notons que la dimension historique est prépondérante dans la mesure où des relations nouées par le dirigeant dans le passé agissent au moment de l’émergence du réseau international de PME.

Cette proposition vient également apporter des nuances à l’approche resource based view. En réponse aux critiques émises à l’encontre de l’approche resource based view portant notamment sur le caractère statique (Priem et Butler, 2001), les travaux de Bruyat et Julien (2001) et Vanghelye et Julien (2010) ont été mobilisés. Au travers de la combinaison de leur typologie des réseaux et de l’approche resource based view, nous avons tenté de clarifier les compétences entrepreneuriales, aboutissant à une articulation entre capital humain et capital relationnel.

Il est généralement difficile de proposer des implications managériales en mobilisant l’approche resource based view (Priem et Butler, 2001) dans la mesure où cette approche possède une vision réductionniste contrairement à d’autres souscrivant à une perspective holistique soulignant les mécanismes complexes dont les entreprises sont dotées (Kraaijenbrink et al., 2010). Cet ancrage théorique se centre uniquement sur les ressources individuelles (Kraaijenbrink et al., 2010). Or, nos résultats mettent en lumière l’articulation d’un niveau individuel à un niveau méso, tout en soulignant le caractère dynamique et historique de ces compétences.

Cette combinaison nous permet d’aboutir à la proposition d’un capital relationnel qui évolue au fil des étapes et dont les réseaux mobilisés ne sont pas les mêmes.

Nos résultats permettent, en outre, de nuancer les travaux de Manolova et al. (2011) qui montrent les limites des réseaux personnels, et ceux de Kalantaridis et Vassilev (2011) considérant que les relations inter-organisationnelles sont plus stables. En définitive, leurs travaux soulignent les limites du caractère informel des réseaux. Dans notre recherche, si les réseaux d’affaires et informationnels prédominent, ils reposent avant tout sur des échanges informels ayant eu lieu dans des contextes divers (conférences, séminaires de recherche, réunions…). En contexte de PME, la frontière demeure floue entre les réseaux personnels du dirigeant et les autres de types de réseaux puisque l’informel occupe une place de choix dans ces organisations (Marchesnay et Julien 1990).

Le capital relationnel, composante des compétences entrepreneuriales, renvoie à l’un des courants de l’approche par les ressources : la perspective relationnelle de Dyer et Singh (1998). Rappelons que celle-ci permet de comprendre les coopérations inter-organisationnelles dans la construction d’avantages concurrentiels. Cette approche a été écartée dans la présente recherche dans la mesure où elle s’avère plus adaptée à une analyse méso. Or, nous nous intéressons ici à un individu sous le prisme de ce dirigeant qui agit sur l’émergence de ce réseau. Combinant deux niveaux d’analyse, notre étude ne s’inscrit pas dans la perspective relationnelle.

Par ailleurs, toujours dans une optique d’opérationnalisation, nous proposons d’adapter le modèle VRIO à nos résultats. La valeur est ici entendue comme le fait de saisir l’opportunité de créer un réseau. L’opportunité est présente dans les trois étapes d’émergence du réseau : identification, évaluation et exploitation.

La rareté et le caractère difficilement imitable font référence au caractère idiosyncratique (Marchesnay et Julien 1990) de la compétence entrepreneuriale, propre à Jean. Son profil à la fois de chercheur et de dirigeant, lui confère une compétence rare et difficilement imitable. Ces deux caractéristiques sont présentes dans l’approche resource based view et notamment dans les travaux fondateurs de Penrose (1959).

Enfin, au travers des trois étapes présentes dans notre modélisation processuelle, l’organisation correspond à la manière dont le dirigeant combine son capital humain et relationnel tout au long des étapes. Nos travaux rejoignent en ce sens ceux de Brulhart, et Gherra (2015), considérant que ces compétences doivent s’articuler et évoluer de façon progressive.

Nos préconisations plaident en faveur d’un élargissement du capital relationnel de façon progressive afin de faire évoluer les compétences entrepreneuriales du dirigeant et d’affiner le projet en cours. On peut envisager par exemple d’élargir au réseau personnel du dirigeant qui demeure le parent pauvre de cette recherche. Pourquoi ne pas avoir intégré quelques salariés afin d’avoir un regard nuancé sur ce réseau ? Leur implication pourrait également les inciter à adhérer au mode de fonctionnement du réseau et à impulser une nouvelle dynamique. Nous invitons également les futurs dirigeants souhaitant faire émerger un réseau international à impliquer plus en amont les partenaires incontournables (Pierre dans notre cas) ainsi que des dirigeants de PME n’étant pas encore dans une logique d’internationalisation. L’objectif serait de croiser les regards de dirigeants ayant des perceptions divergentes.

Cette étude invite également les dirigeants de PME à prendre conscience des différents usages qu’ils peuvent faire de leur capital humain et relationnel. Il s’agit ici de s’appuyer solidement sur l’expérience et les connaissances accumulées (encore faut-il en avoir conscience) afin d’activer le capital relationnel qui à son tour, peut faire évoluer le capital humain du dirigeant.

En ce sens, les dirigeants auront à endosser de multiples rôles tout au long du processus, et à faire valoir leur légitimité pour coordonner ce projet de grande ampleur.

Enfin, les dirigeants doivent identifier les différents enjeux stratégiques, humains ou encore interculturels afin de créer des conditions propices à la collaboration, et nouer des relations de confiance avec les différentes parties prenantes.

Conclusion

Notre étude empirique apporte des éléments nouveaux dans la compréhension du processus d’émergence d’un réseau international de PME en contribuant à l’état des connaissances dans le champ de l’entrepreneuriat. L’étude de cas longitudinale menée en France et en Tunisie permet d’identifier clairement les différentes étapes de l’émergence d’un réseau international : identification, évaluation et exploitation de l’opportunité d’un réseau international.

Sur un plan méthodologique, nous mettons en valeur l’intérêt de mener des études longitudinales pour mieux appréhender les processus. Cette recherche s’intéresse à l’émergence d’un réseau international de PME à la fois en temps réel mais également en proposant une rétrospective visant à clarifier certains points et à bénéficier d’un retour d’expérience des deux principaux acteurs.

Nous montrons dans cet article la dynamique d’évolution des compétences entrepreneuriales tout au long des étapes et sa contribution à l’émergence d’un réseau international de PME. Le capital humain et le capital relationnel du dirigeant sont en quelque sorte imbriqués : il s’agit d’une forme de réciprocité constituant le socle des compétences entrepreneuriales.

Cette recherche exploratoire souffre néanmoins de limites puisqu’elle porte sur une étude de cas unique illustrative ainsi que sur un faible nombre d’entretiens qui ne permettent pas de généraliser le processus généré et d’attester d’une validité externe. Il serait également pertinent de réaliser une étude similaire à partir d’entreprises n’appartenant pas à un réseau inter-organisationnel ou encore auprès d’entreprises ayant un niveau de maturité moins élevé. Enfin, sur le plan méthodologique, lors de notre quatrième phase de collecte des données en 2017, nous avons pu interroger deux acteurs : la réalisation de nouveaux entretiens rétrospectifs permettrait indéniablement d’enrichir cette étude.