Article body

Les robots et l’intelligence artificielle véhiculent des croyances voire des fantasmes largement médiatisés depuis quelques années, mais aux racines souvent bien plus anciennes et diverses.

Laurence Devillers propose dans son ouvrage « Des Robots et des Hommes » d’éclairer et de repositionner les termes du débat. Elle analyse les différentes facettes de ce sujet passionnant, étudie les thèses parfois opposées d’experts, et synthétise les risques et opportunités des robots et de l’intelligence artificielle. Ce livre est donc aujourd’hui indispensable pour s’inscrire dans les débats sur les rôles actuels et futurs des robots, dans la sphère professionnelle, privée et plus largement dans la société.

Des précisions terminologiques indispensables

Entre ouvrage de recherche et de vulgarisation, l’auteur pose progressivement et clairement les termes centraux de son sujet, et permet ainsi de dépasser les visions parfois caricaturales de ces sujets médiatiques.

Les robots : des fantasmes à la réalité

Le terme « robot » est largement mobilisé dans le vocabulaire courant mais aussi dans la sphère managériale. Il revêt en réalité des acceptions larges allant de l’automate, en passant par des bots, des agents conversationnels jusqu’à des objets connectés selon la chercheuse.

Définition utile d’un robot

Tout robot peut être défini comme une machine caractérisée par trois éléments :

  • des capteurs pour comprendre et recueillir des données

  • des processeurs qui les analysent et les interprètent

  • des actionneurs qui lui permettent d’agir dans le monde réel, de manières physique (ex. dans les chaînes de montage), informatique (ex. opérations boursières), informatique et émotionnelle (ex. robots assistants comme Nao, Pepper).

Le robot entre « coquille vide » et « agents sociaux »

Si l’auteur retourne, dans les premiers chapitres sur les visions fondatrices portées par la science fiction ou le cinéma, elle pose dans le chapitre 3 une perspective moins alarmiste que certains sur ce sujet. Laurence Devillers invite au contraire dans son ouvrage à éviter de fantasmer sur ces robots. Leur intelligence ne serait pas comparable à celle des humains. Ils sont seulement capables, pour l’instant, d’imiter et d’associer des éléments, et donc « une coquille vide »[1] qui doit être enrichie d’une intelligence artificielle. Ils seraient donc encore loin de prendre le pouvoir sur l’homme.

Ce parti-pris de la chercheuse est cependant nuancé par les évolutions récentes. En effet, si au départ les automates se contentaient de répondre à un programme, les nouvelles générations de robots disposent de capteurs leur permettant de répondre en fonction de leur environnement. Demain, ils devraient même pouvoir interagir avec nous tant dans notre sphère professionnelle que dans celle privée. Les robots androïdes, prenant une apparence humaine, sont ainsi longtemps restés dans le registre de la fiction, mais cette fiction devient vite proche de la réalité que certain.e.s vivent ou commencent à vivre, en ayant des robots compagnons, soignants ou aidants. L’anthropomorphisation des robots questionne donc les nouvelles relations hommes-machines et plus largement la place de ces « agents moraux et sociaux ».

Une vision fondée sur l’IA aujourd’hui

Les robots agissent de plus en plus et dans différents contextes grâce au développement de l’intelligence artificielle, elle aussi porteuse de fantasmes. Or, comme le précise la chercheuse, il convient de distinguer deux types d’intelligences. Celle « faible ou spécifique » qui se contente d’imiter des missions spécifiques, et celle « forte ou générale » qui tente de se rapprocher du raisonnement humain en développant une capacité d’apprentissage. Après ce que l’auteur appelle « plusieurs hivers », elle ne peut que constater que l’IA est à nouveau « en pole position » dans les débats. Mais contrairement à ce qu’avancent certains, « les machines ne sont pas en mesure de concurrencer l’homme » (p. 78).

S’interroger sur les robots, l’IA et la coévolution hommes-robots a naturellement des implications dans et pour la sphère managériale. Laurence Devillers introduit, à plusieurs reprises, des illustrations et des éléments d’analyse porteurs de questionnements gestionnaires mais aussi éthiques.

La diversité des enjeux des robots pour le management

L’entreprise est depuis très longtemps un lieu où les robots sont utilisés, mais aujourd’hui avec des interrogations fortes pour toutes les parties prenantes, non seulement sur les pratiques à initier, mais aussi sur la dimension éthique de ces robots nouvelle génération.

Les types de robots dans les organisations

On distingue deux catégories de robots avec des caractéristiques propres :

  • La robotique industrielle a pour vocation de remplacer l’homme sur des tâches « Dangerous, Dull, Dirty, Dumb » (ou les 4D de Bekey (2008)) ;

  • La robotique sociale est gouvernée par les 4 E « Everyday, e-health, education, entertainment ». Cette dernière catégorie est aujourd’hui particulièrement scrutée et testée autour de ses capacités d’autonomie, d’apprentissage et affectives.

Cette dernière robotique de service brouille les frontières entre les catégories de robots, pouvant être à la fois à usage professionnel et personnel.

Pepper, le robot humanoïde 2ème génération de Softbank est présent dans un nombre croissant de magasins, renseigne, oriente les clients et recueille leurs niveaux de satisfaction, et ce, dans 18 langues en plus de l’anglais. Il devient, avec bien d’autres, un outil, un travailleur voire même un compagnon pour certains.

Les trois questionnements associés aux robots au travail

Trois thèmes sont indissociables de la présence des robots professionnels le sujet des robots et de l’IA :

  • Quelles règles (morales et juridiques) voulons-nous donner à ces machines ?

  • Quelles utilisations des données produites ?

  • Quelles harmonisations nationales et internationales ?

Des guides pour l’action aujourd’hui et demain

Si l’on est encore aux prémisses dans les réponses apportées à ces questions, Laurence Devillers identifie plusieurs principes directeurs pour déjà évoluer au mieux avec ces robots.

  • Construire des machines qui ne singent pas l’homme mais ayant des fonctionnalités utiles pour l’homme

  • Eduquer les personnes et les travailleurs et surtout « préparer l’arrivée de ces robots » dans les deux sphères privées et professionnelles

  • Créer une machine suffisamment intelligente pour avoir une « conscience morale » ou au moins un minimum de conscience de soi

  • Penser la responsabilité juridique mais aussi sociale de ceux qui conçoivent les robots et potentiellement des robots eux-mêmes.

Des enjeux forts pour le management des ressources humaines

Le développement exponentiel de robots pour aider, accompagner ou remplacer des travailleurs a des implications importantes dans les manières de gérer les hommes et femmes au travail, particulièrement pour :

  • Recruter des personnes et des équipes capables de travailler sur les sujets des robots, de l’intelligence artificielle et de l’éthique, non pas séparément mais ensemble. Par exemple, souligne l’auteur, réfléchir aux algorithmes produits implique de s’interroger sur ses dimensions éthiques 

  • (Re)Penser les interactions hommes-machines en termes physiques, cognitifs et émotionnels 

  • Former et éduquer les travailleurs à agir avec et grâce ces machines 

  • Contrôler l’utilisation de ces robots et plus largement de l’IA, en envisageant la responsabilité des concepteurs des algorithmes d’apprentissage potentiellement intrégrés à ses robots.

Ces robots posent donc la question de la complémentarité ou de la substitution de la machine à l’homme. Les journalistes, les avocats, les médecins sont en première ligne depuis quelques années pour utiliser les robots et leur IA. Pour l’instant, ils ne sont qu’aidés dans des tâches relevant de l’automatisme, par exemple la recherche et la synthèse de données. Ils sont souvent télé-opérés et donc semi-autonomes comme le célèbre robot chirurgical « Da Vinci » ou « Maestro » un bras articulé développé par le CEA pour intervenir dans le démantèlement de centrales nucléaires.

Ils font souvent peur, en interrogeant sans cesse l’ampleur de la substitution entre humains et robots, sur les métiers voués à disparaître et ceux à apparaître, et sur l’anticipation possible de ce changement.

Découle des propos de l’auteur le constat que l’intégration des robots dans le contexte du travail est un challenge loin d’être seulement technologique mais aussi managérial, dont doit se saisir la gestion des ressources humaines.

Des robots au coeur d’enjeux sociétaux

Des enjeux pour les chercheurs

Ce sujet soulève enfin des questions pour la sphère scientifique. Beaucoup d’acteurs sont en quête de connaissances conduisant à osciller entre deux extrêmes, identifiés par Laurence Devillers, « le fantasme du transhumanisme » d’une part et « la peur irrationnelle des robots » d’autre part. Mais faut-il travailler en collaboration sur ces sujets comme peuvent le faire les GAFA et /ou en open-source pour partager les algorithmes et les connaissances ? Ceux impliqués dans ces processus longs de recherche tentent d’identifier et de préserver leurs apports. Ceux qui étudient leurs effets et usages sont souvent plus circonspects sur les monopoles de certaines équipes et le manque de visibilité de ces travaux. Tous ces experts ont aujourd’hui, certainement plus que jamais, un rôle et une responsabilité sociale.

Des pistes pour vivre ensemble

Dans la sphère privée et dans celle professionnelle, le développement des robots pose des questions sur les préférences à venir des hommes et des femmes car « l’humain peut se mettre à préférer des robots prévisibles à des humains imprévisibles » (p. 133). 11 commandements proposés par l’auteur, à destination des robots et de leurs concepteurs, agrègent en définitive toutes les craintes que l’on pourrait avoir, tout en esquissant des pistes possibles de vie « en bonne intelligence » ensemble.

Cet ouvrage permet finalement de dépasser les fantasmes et les mythes associés aux robots et à l’intelligence artificielle, mais aussi à dépasser les clivages entre leurs partisans et leurs opposants. Il est donc crucial « que nous apprenions à vivre avec ces nouvelles machines en comprenant comment elles fonctionnent » (p. 211). Reste à déterminer qui, quels processus, quelles ressources seront à même d’aller vers cette compréhension. Le management et l’enseignement doivent désormais se positionner en première ligne et travailler de concert pour dans mettre en oeuvre cet apprentissage.