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De nos jours, la compétitivité intense des marchés ainsi que leur globalisation font de l’innovation et de l’internationalisation deux stratégies complémentaires pour assurer la survie et la croissance des PME (Freixanet et al., 2020). En effet, pour que le développement d’activités à l’international soit fructueux, l’innovation est souvent une condition sine qua non puisqu’elle permet, au travers de l’exploration de nouvelles idées, de s’adapter aux changements environnementaux et de développer de nouveaux produits ou services en vue de pénétrer des marchés au-delà des frontières nationales (Saridakis et al., 2019). En d’autres termes, la capacité de l’entreprise à innover permet de générer un avantage concurrentiel lors de la mise en oeuvre d’une stratégie orientée vers l’international. En ce sens, de récents travaux empiriques démontrent une relation positive entre la propension des PME à innover et leur degré d’internationalisation (Alayo et al., 2019).

Bien que ces études aient permis d’affiner la compréhension de l’interconnexion entre l’innovation et l’internationalisation, cette problématique reste peu documentée dans le contexte des PME familiales (Lin & Wang, 2019) où ces deux stratégies jouent aussi un rôle majeur dans la pérennisation de leurs activités à long terme (Pukall & Calabrò, 2014). Ce manque d’intérêt est relativement surprenant puisque les PME familiales font partie intégrante du tissu économique mondial. En effet, alors que les PME représentent deux tiers des entreprises à travers le monde, 85 % d’entre elles présenteraient un caractère familial en Europe et aux États-Unis (D’Angelo et al., 2016). De surcroît, par sa participation dans l’actionnariat et la gouvernance, la famille influe fortement sur le processus décisionnel, de telle sorte que les choix stratégiques posés par les PME familiales en termes d’innovation (Calabrò et al., 2019) et de développement international (Alessandri et al., 2018) sont sensiblement différents de ceux adoptés par les entreprises non familiales. C’est pourquoi cette étude propose d’approfondir l’analyse du lien entre l’innovation et le degré d’internationalisation en prenant en compte la composante familiale de l’organisation.

Pour appréhender cette question, cet article propose d’adopter une approche multi-théorique s’appuyant sur des théories et des concepts dont l’applicabilité au contexte des PME familiales a été largement discutée et validée dans la littérature (Roffia et al., 2021). Ainsi, le concept de familiness ancré dans la théorie du management par les ressources, la théorie de l’intendance et la théorie de l’agence sont mobilisés et connectés à des notions liées au capital social et au patrimoine socio-émotionnel afin de développer le cadre conceptuel de cette recherche. La justification principale d’une telle approche réside dans le fait que les résultats et les conclusions des travaux traitant de l’innovation et de l’internationalisation des PME familiales sont fortement fragmentés et ne laissent pas émerger une vision unificatrice d’un point de vue théorique (Calabrò et al., 2019; De Massis et al., 2018). De surcroît, s’inscrire dans une telle démarche permet de prendre en compte toute la complexité des PME familiales en offrant un débat contradictoire sur la manière avec laquelle leur singularité et leur hétérogénéité sont susceptibles de renforcer ou d’entraver la relation entre l’innovation et l’internationalisation. C’est dans cette logique que le caractère protéiforme des PME familiales, largement reconnu dans la littérature (Daspit et al., 2018), est également pris en compte par l’inclusion de plusieurs sources de diversité qui leur sont spécifiques afin d’élaborer une vision plus nuancée de leur capacité à tirer avantage de leur stratégie d’innovation sur les marchés internationaux.

Sur la base d’un échantillon de 247 PME familiales belges, cet article apporte deux contributions essentielles à la littérature sur les PME familiales et le management international. Tout d’abord, il souligne l’importance de l’innovation comme vecteur du degré d’internationalisation des PME familiales, comblant ainsi un manquement empirique sur l’analyse de ce lien dans le contexte particulier des PME familiales (Ling & Wang, 2019). Deuxièmement, cette étude apporte une contribution au débat sur l’hétérogénéité des PME familiales en répondant à un appel récent pour davantage de recherches prenant en compte la manière avec laquelle l’innovation (Calabrò et al., 2019) et l’internationalisation (De Massis et al., 2018) se combinent en fonction de sources de diversités propres à ces organisations.

Revue de la littérature et développement des hypothèses

Innovation et internationalisation dans le contexte des PME familiales

Bien que l’entreprise familiale se soit érigée comme un objet de recherche incontournable au cours des trente dernières années, un large débat subsiste concernant les différentes approches utilisées pour la définir. De nombreux auteurs ont contribué à cette discussion en identifiant les caractéristiques utilisées pour distinguer la PME familiale d’autres types d’entreprises sans aboutir à un consensus quant à sa définition (Roffia et al., 2021). Il est dès lors nécessaire d’en clarifier la conceptualisation retenue dans cet article. La PME ciblée est celle répondant à la définition de la Commission Européenne selon laquelle (a) le nombre d’employés ne peut excéder 250 personnes; et (b) le chiffre d’affaires annuel ou le total du bilan ne peuvent dépasser respectivement les 50 millions ou 43 millions d’euros. Ensuite, le degré d’implication de la famille dans la propriété et l’équipe dirigeante ainsi que l’essence familiale de l’organisation sont pris en compte afin de définir opérationnellement la PME familiale. Ainsi, la PME familiale est une PME dont : (a) 50 % des parts sont détenues par les membres d’une famille et la direction est assurée par un CEO familial; ou (b) 50 % des parts sont détenues par les membres d’une famille et la direction est assurée par un CEO non familial qui perçoit l’organisation comme familiale (Vandekerkhof et al., 2019). Facile à opérationnaliser et en phase avec de nombreux travaux réalisés en Europe, cette définition multicritère de la PME familiale se veut relativement inclusive en ne fixant pas une pléthore de caractéristiques restrictives contraignant fortement l’analyse de leurs sources d’hétérogénéité (Roffia et al., 2021).

La globalisation croissante de l’économie et la concurrence accrue sur les marchés locaux font que l’internationalisation représente aujourd’hui une opportunité de croissance pour les PME, y comprises celles à caractère familial (Calabrò et al., 2019). S’engager à l’international va de pair avec une expansion des activités économiques de l’entreprise au-delà des frontières nationales afin de contribuer à sa compétitivité à long terme. L’internationalisation est donc un concept large qui couvre différentes stratégies d’entrée sur les marchés étrangers. Parmi celles-ci, l’exportation apparaît comme la plus commune pour les PME familiales (Pukall & Calabrò, 2014) puisqu’elle offre une plus grande flexibilité, implique moins de risques pour la pérennité de l’entreprise et requiert moins de ressources que les autres modes d’entrée (Alessandri et al., 2018). De surcroît, elle leur permet de s’engager sur des marchés étrangers en limitant la perte de contrôle familial associée à l’adoption d’une stratégie d’internationalisation (Pukall & Calabrò, 2014). Par conséquent et à l’instar de récents travaux empiriques (Alayo et al., 2019; Saridakis et al., 2019), cette étude utilise la propension à exporter afin d’opérationnaliser le degré d’internationalisation des PME familiales.

Parallèlement à l’internationalisation, l’innovation peut constituer une stratégie appropriée afin de stimuler la croissance et le succès des PME familiales (Alayo et al., 2019). Cependant, une grande controverse persiste quant à la propension de ces entreprises à adopter des comportements innovants. Pour certains auteurs, les PME familiales opteraient pour des stratégies conservatrices voire simplistes, faisant preuve d’une grande résistance au changement afin de préserver le contrôle familial qui se trouverait menacé dans le cas où des alliances hors du cercle de la famille s’avéraient nécessaires pour développer des initiatives innovantes (Lin & Wang, 2019). Par exemple, en dépit de leur manque de capital humain et financier, certaines PME familiales refusent de recourir à des financements externes ou à engager du personnel plus qualifié pour soutenir des projets entrepreneuriaux, car de telles décisions affaibliraient l’hégémonie des membres familiaux dans la prise de décision (Alessandri et al., 2018). Dans une logique analogue, d’autres recherches pointent le caractère prudentiel de la stratégie d’innovation des PME familiales qui ne souhaiteraient pas rompre avec l’héritage entrepreneurial de la famille et les traditions ancrées dans les modes opératoires de l’organisation (Cirillo et al., 2019). De récents travaux remettent en question ce point de vue en suggérant que certaines caractéristiques propres aux PME familiales favoriseraient une attitude innovante (Becerra et al., 2020). En effet, des facteurs comme le développement de valeurs collectives, le souci des générations suivantes, l’investissement dans les capacités entrepreneuriales, l’orientation de long terme et le capital social de la famille encourageraient l’innovation (Kellermans et al., 2012). Sur cette notion de capital social, Schier (2014) indique d’ailleurs que la qualité des relations de long terme entretenues par les membres familiaux avec leur environnement, combinée à la volonté de sauvegarder ou d’améliorer la réputation de la famille, permettraient de capitaliser sur les capacités entrepreneuriales de l’organisation afin de s’engager dans des projets collaboratifs porteurs en termes d’innovation.

Ces arguments contradictoires témoignent du caractère protéiforme des PME familiales face à l’innovation dont le type et l’intensité fluctuent fortement d’une entité à l’autre. Plutôt que de s’attacher à identifier les déterminants de la propension à innover de ces entreprises, cet article propose d’analyser un sujet nettement moins traité dans la littérature : le lien entre une forme spécifique d’innovation, à savoir l’innovation d’exploration, et le degré d’internationalisation. Conformément à de précédents travaux, l’innovation d’exploration est définie comme la recherche et la poursuite de nouvelles connaissances et d’opportunités potentielles pour l’entreprise dans une optique de long terme (He & Wong, 2004). Comparativement à l’innovation d’exploitation qui englobe les activités visant à apporter des changements incrémentaux aux produits et/ou services afin de renforcer la position de l’entreprise sur les marchés existants, l’innovation d’exploration couvre le développement et le lancement de nouveaux produits et/ou services ainsi que l’expansion de la base de clientèle à de nouveaux marchés (Arzubiaga et al., 2019). Elle permettrait donc d’améliorer la capacité des PME à saisir de nouvelles opportunités au-delà des frontières nationales afin de tirer profit des investissements réalisés en termes d’innovation de produits et/ou de services, la demande sur le marché domestique ne s’avérant pas toujours suffisante pour couvrir le coût associé à ces activités (Freixanet et al., 2020).

Plusieurs cadres théoriques permettent d’affiner notre compréhension de ce phénomène, à commencer par le concept de familiness (Habbershon et Williams, 1999) ancré dans la théorie du management par les ressources (Resource-Based View ou RBV) (Barney, 1991). Selon la RBV, une entreprise peut développer un avantage concurrentiel à condition de détenir des ressources tangibles ou intangibles spécifiques qui soient valorisables, difficilement imitables, rares et non substituables (Barney, 1991). Dans le chef des PME familiales, une ressource spécifique, dénommée familiness par Habbershon et Williams (1999), découle des interrelations entre la famille, ses membres individuels et l’entreprise. Ce familiness se matérialise notamment par l’intégration dans la prise de décision des valeurs intrinsèques à la famille (Habbershon & Williams, 1999). Ces ressources intangibles interviennent dans le processus décisionnel de la PME familiale et sont susceptibles de guider ses choix stratégiques selon un cadre de référence intégrant des priorités non financières distinctes de celles communément partagées dans d’autres organisations (Frank et al., 2017). Parmi les composantes du familiness, le patrimoine socio-émotionnel, résultant de l’implication de la famille dans l’organisation, joue un rôle majeur (Gómez-Mejia et al., 2007). Celui-ci couvre la dotation affective que les propriétaires familiaux tirent de leur investissement dans l’entreprise et se matérialise notamment par leur attachement émotionnel à l’organisation, leur désir d’imprégner les valeurs familiales dans la culture de la firme ainsi que leur détermination à maintenir le contrôle et à assurer la continuité de l’entreprise au travers des générations (Frank et al., 2017).

Guidées par ces prérogatives, les PME familiales développent des caractéristiques distinctives comme l’orientation de long terme (Berrone et al., 2012). Impulsée par la volonté de la famille d’assurer la continuité de l’organisation et la succession transgénérationnelle, cette vision à long terme est notamment symbolisée par le capital patient des actionnaires familiaux. Disposant d’un horizon temporel d’investissement plus étendu, ces derniers sont souvent plus enclins à soutenir des stratégies dont la rentabilité future n’est assurée qu’au terme d’une longue période (Beccera et al., 2020). De plus, les actionnaires familiaux sont susceptibles de pallier le manque de ressources financières en réinjectant des liquidités pour garantir une implémentation efficace des choix stratégiques opérés (De Massis et al., 2018). Ils fourniraient donc une stabilité financière particulièrement appréciable pour assurer la conversion des efforts d’innovation en ventes à l’international. De surcroît, la volonté des actionnaires familiaux de tisser des liens durables avec les parties prenantes contribue au développement du capital social de l’organisation (Schier, 2014), ce qui peut faciliter l’accès à des canaux de distribution au-delà des frontières nationales. En ce sens, Hennart et al. (2019) démontrent que les PME familiales tendent à capitaliser sur leurs avancées technologiques afin de pénétrer des marchés internationaux de niche à forte valeur ajoutée au sein desquels leur capital social joue un rôle clé dans la réalisation du chiffre d’affaires.

Selon la théorie de l’intendance, le sentiment d’appartenance des propriétaires-dirigeants familiaux ainsi que leur engagement vis-à-vis de l’organisation contribuent à l’émergence de valeurs partagées qui concourent à la mise en oeuvre d’un management participatif caractérisant les PME familiales où les employés sont également impliqués dans la prise de décision au travers de structures hiérarchiques peu formalisées (Stieg et al., 2017). Dans un tel contexte, les débats constructifs et les échanges d’opinions favorisent une profonde réflexion autour de l’orchestration des ressources stratégiques dont disposent ces entreprises, ce qui leur permettraient d’exploiter de nouvelles opportunités en développant de nouveaux produits et/ou services à haute valeur ajoutée pour lesquels une demande de l’étranger est davantage susceptible de se matérialiser (De Massis et al., 2018). Aussi, les problèmes d’agence entre les actionnaires et les dirigeants sont moins marqués puisque ces fonctions sont généralement occupées par des membres de la famille au sein des PME familiales (Chrisman et al., 2014). De ce fait, les coûts d’agence sont limités, libérant des ressources essentielles en vue de stimuler l’atteinte des marchés étrangers sur la base des efforts consentis en termes d’innovation. Cet argumentaire nous mène à suggérer l’hypothèse suivante :

Hypothèse 1 : L’innovation influence positivement le degré d’internationalisation au sein des PME familiales.

Le rôle de l’hétérogénéité des PME familiales

La littérature actuelle insiste sur la diversité des PME familiales, reconnaissant qu’elles ne constituent pas un groupe homogène d’entreprises. Bien qu’il existe un large éventail de facteurs expliquant leur hétérogénéité, Cirillo et al. (2019) observent que ce sont principalement leurs objectifs, leur gouvernance et leurs ressources qui expliquent leur variété. Daspit et al. (2018) soutiennent que, parmi ces paramètres, la gouvernance joue un rôle prépondérant dans l’explication du caractère protéiforme des PME familiales car elle conditionnerait fortement les autres sources de diversité. Complétant cette perspective, certains auteurs rapportent que c’est principalement l’évolution de la structure de gouvernance au cours du cycle de vie des PME familiales, au travers de l’implication des membres non familiaux dans les organes décisionnels ou de la génération au pouvoir, qui remettrait en cause les objectifs, les choix stratégiques ainsi que la disponibilité et l’accessibilité de certaines ressources (Fang et al., 2018; Frank et al., 2017). De ce fait, il est fort probable que ces facteurs d’hétérogénéité interviennent dans la capacité des PME familiales à pénétrer les marchés étrangers au travers de leur stratégie d’innovation. C’est pourquoi le cadre conceptuel présenté sur la Figure 1 propose d’appréhender comment la relation entre l’innovation et le degré d’internationalisation est modérée par deux sources de diversité spécifiques aux PME familiales : la génération aux commandes et l’implication non familiale dans l’équipe dirigeante.

Le rôle modérateur de la génération aux commandes

Plusieurs auteurs définissent la génération aux commandes comme la génération qui contrôle et gère la PME familiale (Sciascia et al., 2014). Se basant sur les différences intergénérationnelles observées au sein des PME familiales, la suite de cette section tente d’apporter une meilleure compréhension du rôle joué par cette forme d’implication familiale sur la relation entre l’innovation et l’internationalisation. De précédents travaux indiquent que les membres familiaux de la première génération, qui ont bien souvent contribué à la fondation et au développement de l’entreprise, sont émotionnellement attachés au fondateur et à ses accomplissements, partageant sa fierté ainsi que son héritage (Stieg et al., 2017). De ce fait, les jeunes PME familiales développent une approche plus paternaliste dans la prise de décision, le statut du fondateur légitimant le maintien de son autorité et de sa supervision sur les opérations (Fang et al., 2018). Comparativement à leurs successeurs, les membres familiaux de la première génération sont donc plus sensibles aux pertes socio-émotionnelles découlant d’altérations du contrôle familial (Sciascia et al., 2014). Par conséquent, même s’ils s’engagent dans des projets innovants en mobilisant leur orientation de long terme, ils seraient moins enthousiastes à l’idée de s’orienter vers des marchés étrangers car de telles initiatives requièrent souvent l’intervention de membres non familiaux dans la chaine opérationnelle (Fang et al., 2018). De plus, les membres familiaux issus des premières générations sont davantage concernés par la perpétuation de l’histoire et de la tradition de l’entreprise (Berrone et al., 2012). Ainsi, une PME familiale dans laquelle le fondateur continue de fournir une impulsion significative à l’innovation pourrait être confrontée à une certaine rigidité concernant sa structure organisationnelle car les membres familiaux refuseraient de dénaturer les fondations historiques de la firme (Alessandri et al., 2018). Cette posture de résistance au changement peut s’avérer problématique dans l’atteinte des marchés étrangers puisqu’une telle initiative nécessite des adaptations en termes de structure et de politique de gestion. De surcroît, le succès à l’international requiert l’établissement de réseaux solides et pertinents pour faire face aux contraintes imposées par ce que la littérature en management international dénomme la « liability of foreignness ». De tels changements au niveau de la structure et du réseau de l’organisation risqueraient d’altérer le modèle d’affaires auquel les membres familiaux sont profondément attachés (Alessandri et al., 2018), expliquant la moindre propension des PME familiales de premières générations à utiliser les marchés internationaux pour capitaliser sur leur innovation.

Figure 1

Modèle conceptuel

Modèle conceptuel

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En revanche, les membres familiaux issus de générations ultérieures, dont l’attachement émotionnel à l’organisation tend à s’atténuer, sont souvent moins concernés par les aspects liés au maintien du contrôle et de l’héritage familiaux, un de leurs objectifs étant d’assurer la rentabilité financière de leur investissement afin de rencontrer les besoins de leur famille nucléaire (Berrone et al., 2012). Par conséquent, leur implication dans la gestion de l’entreprise peut favoriser l’adaptabilité de la structure organisationnelle et des orientations stratégiques afin de s’assurer que la firme dont ils ont hérité leur permette de tirer un avantage pécuniaire. Par exemple, leur moindre emphase sur la préservation du contrôle familial résulte souvent en l’engagement de dirigeants non familiaux disposant d’une plus grande expertise à l’international (Hennart et al., 2019), ce qui permet de pallier le manque de connaissances à l’égard des complexités administratives liées à l’internationalisation (Alayo et al., 2019). Les membres familiaux issus des générations successives seraient dès lors plus enclins à tirer avantage de l’innovation sur les marchés internationaux, voyant une telle initiative comme une opportunité d’obtenir une rétribution financière supérieure, même si elle implique de rompre avec les traditions et de réduire l’hégémonie familiale. De surcroît, le capital social des membres de la famille tend à s’étendre au cours des générations, ces derniers multipliant les interactions avec les parties prenantes afin de renforcer les liens existants et d’en développer de nouveaux (Stieg et al., 2017). Ils bénéficient donc d’un accès rapide et efficace à un plus large éventail d’informations utiles à l’exploration d’opportunités innovantes sur les marchés nationaux et internationaux (De Massis et al., 2018), ce qui renforcerait la capacité des PME familiales à générer des ventes à l’international sur la base de leur innovation d’exploration.

Cependant, d’après la théorie de l’agence, des conflits peuvent voir le jour entre les actionnaires familiaux de la génération aux commandes, certains priorisant des objectifs de nature financière et d’autres insistant davantage sur des prérogatives socio-affectives (Sciascia et al., 2014). En effet, les actionnaires majoritaires, souvent plus attachés à l’organisation et impliqués dans sa gestion, tentent de préserver à la fois la dimension familiale et la pérennité financière de l’entreprise. A contrario, les actionnaires minoritaires, dont l’engagement et l’attachement à l’entreprise sont moins prononcés, sont principalement concernés par la récurrence des dividendes versés. Ces intérêts divergents peuvent engendrer des rapports conflictuels entravant la capacité de l’entreprise à capitaliser à l’international au travers de leur stratégie d’innovation. Dans le chef des PME familiales, il est naturellement plus probable que ce type de conflits survienne lorsque le nombre d’actionnaires familiaux augmente et que l’actionnariat se dilue, ce qui se produit fréquemment lorsque les membres familiaux aux commandes de l’entreprise sont issus des générations successives (Fang et al., 2018). Dans sa globalité, l’argumentaire proposé nous mène à poser l’hypothèse suivante :

Hypothèse 2 : La génération aux commandes modère la relation entre l’innovation et le degré d’internationalisation des PME familiales.

Le rôle modérateur de l’implication non familiale dans l’équipe dirigeante

L’implication non familiale dans l’équipe dirigeante suscite un débat contradictoire dans la littérature, Chrisman et al. (2014) pointant à la fois ses effets bénéfiques et néfastes. Sur la base de cette observation, la suite de cette section propose d’appréhender comment les avantages et les inconvénients associés à la présence de dirigeants non familiaux peuvent affecter la relation entre l’innovation et l’internationalisation au sein des PME familiales. Tout d’abord, des arguments ancrés dans la théorie de l’intendance soulignent les aspects positifs de la présence de membres non familiaux dans la direction, cette dernière complémentant harmonieusement le familiness de l’entreprise. Selon ce cadre théorique, les dirigeants non familiaux maximisent leur utilité en alignant leurs intérêts avec ceux de la firme et de ses actionnaires (Binacci et al., 2016). Partageant les valeurs de la PME familiale, ils adopteraient des comportements collectivistes et coopératifs visant à soutenir la continuité de l’entreprise. De la sorte, ils contribueraient à la diversité cognitive de l’équipe dirigeante en partageant leur background éducationnel et professionnel plus diversifié ainsi que leur capital social non familial issu de leurs réseaux de connaissances et de relations avec des parties prenantes externes (Sciascia et al., 2014). Au-delà de ses effets bénéfiques pour l’innovation, cette diversité cognitive permettrait d’affronter de manière plus efficace les écueils liés à l’internationalisation. En effet, le moindre attachement émotionnel des dirigeants non familiaux ainsi que leur neutralité apporteraient davantage de rationalité dans la prise de décision (Binacci et al., 2016). Ils pourraient ainsi contribuer à réduire la distance psychique, c’est-à-dire la crainte et la perception des différences entre le pays d’origine et le pays ciblé pour l’internationalisation, qui altère significativement les velléités d’expansion internationale des dirigeants et des actionnaires familiaux (Pukall & Calabrò, 2014). De plus, le capital social non familial multiplierait les possibilités de connexions avec des partenaires actifs sur les marchés internationaux (Alayo et al., 2019), renforçant la capacité des PME familiales à développer des produits et/ou services pour lesquels une demande est identifiée sur les marchés étrangers (Hennart et al., 2019).

La théorie de l’agence propose une vision plus négative de l’implication non familiale dans l’équipe dirigeante. Selon ce cadre théorique, les dirigeants non familiaux sont guidés par la préservation de leurs propres intérêts, n’hésitant pas à adopter des comportements opportunistes en s’octroyant des privilèges, des rentes ou des avantages en nature (Binacci et al., 2016). Leurs objectifs ne sont donc pas alignés avec ceux des actionnaires familiaux et des coûts de surveillance doivent dès lors être supportés pour endiguer les dérives potentielles. Au sein des PME familiales, qui recourent essentiellement à des mécanismes informels de gouvernance, le contrôle n’est pas toujours efficace et les effets néfastes de l’implication non familiale peuvent se matérialiser plus aisément (Chrisman et al., 2014). Une telle inefficacité peut s’avérer assez préjudiciable dans le sens où elle prive l’entreprise de ressources essentielles pour le développement de produits et/ou de services destinés à atteindre les marchés internationaux (Freixanet et al., 2020).

Le concept de ligne de fracture développé par Lau et Murnighan (1998) permet de nuancer ce débat. Selon cette approche, c’est surtout le degré d’implication non familiale qui conditionnerait l’émergence de ses effets positifs ou négatifs. En effet, ces auteurs suggèrent que des lignes de fracture apparaissent lorsqu’au sein d’une entité, d’un groupe ou d’une équipe, des divisions basées sur des attributs démographiques, comme le lien de parenté, sont observées. Des factions voient ainsi le jour et s’opposent en raison de leur manque d’intérêts communs, ce qui altère significativement la qualité du processus décisionnel (Lau & Murnighan, 1998). Au sein de l’équipe dirigeante des PME familiales, les effets néfastes se manifesteraient à partir du moment où les groupes de dirigeants familiaux et non familiaux disposent tous deux d’une influence significative sur les orientations stratégiques de la firme. Cette situation se matérialise concrètement lorsque les postes de direction sont répartis égalitairement entre les membres familiaux et non familiaux. Dans ce cas, l’importance relative de chaque faction peut mener à des luttes de pouvoir et à des situations conflictuelles intenses concernant les choix stratégiques (Vandekerkhof et al., 2019). Les dirigeants familiaux perçoivent leurs homologues non familiaux comme une menace potentielle à leur hégémonie, ce qui inhibe les débats constructifs et donc la capacité de l’entreprise à tirer profit de la diversité cognitive caractérisant l’équipe dirigeante. Ce contexte n’est dès lors guère favorable à la conversion des efforts d’innovation en ventes à l’international. L’ensemble des arguments proposés ci-dessus nous conduit à poser l’hypothèse suivante :

Hypothèse 3 : L’implication non familiale dans l’équipe dirigeante modère la relation entre l’innovation et le degré d’internationalisation des PME familiales.

Méthodologie

Échantillon et collecte de données

Afin de réaliser l’analyse empirique de cette étude, un échantillon de PME familiales belges a été constitué. Ce contexte est particulièrement pertinent pour investiguer la stratégie d’internationalisation des PME familiales puisque la Belgique représente l’une des économies les plus ouvertes à travers le monde, se hissant parmi les onze plus grands exportateurs internationaux (Organisation Mondiale du Commerce, 2018). De surcroît, plus de 50 % des PME établies en Belgique présentent un caractère familial (Crutzen & Pirnay, 2014). Les données non financières ont été recueillies par l’intermédiaire d’une enquête par questionnaires adressée au Chief Executive Officer (CEO) des PME et menée en deux temps. En 2015, une première vague visait à collecter les informations relatives aux structures de propriété, de gouvernance et de direction ainsi qu’au degré d’innovation des PME familiales. En 2018, une seconde vague a permis de collecter des données relatives au degré d’internationalisation.

Pour identifier une population de PME familiales potentielles, la base de données Belfirst (Bureau Van Dijk), regroupant les informations financières et démographiques de plus de 565 000 entreprises belges, a été utilisée. Plusieurs critères ont été appliqués afin de sélectionner les organisations ciblées par l’envoi de la première vague de questionnaires en 2015. Tout d’abord, les entreprises actives dans les secteurs financiers et publics ont été éliminées compte tenu de leur moindre pertinence par rapport à l’objet de cette recherche. Ensuite, seules les PME ont été sélectionnées en appliquant la définition de la Commission Européenne. Les PME de moins de 10 employés ont également été éliminées car elles adoptent souvent des structures de gouvernance et de direction informelles (Arzubiaga et al., 2019) et présentent une grande instabilité dans leurs objectifs, ce qui pourrait biaiser les résultats de l’analyse empirique. Les filiales et les succursales de groupes multinationaux n’ont pas été sélectionnées car elles disposent d’avantages de coûts considérables dans la mise en place d’activités liées à l’innovation et l’exportation. Pour détecter le caractère familial potentiel des PME, une analyse plus fine a été conduite en examinant leur structure actionnariale dans la base de données Belfirst et conformément à la définition retenue de la PME familiale pour cette recherche. À la suite de cette étape, une population de 6 749 PME familiales potentielles a été identifiée et une sélection aléatoire de 2 500 de ces entreprises a été réalisée afin d’envoyer les formulaires d’enquête. Après deux vagues d’envois, 279 questionnaires exploitables ont été retournés, ce qui correspond à un taux de réponses de 11,16 %. Pour s’assurer de la présence exclusive de PME familiales dans l’échantillon, la définition retenue dans cette étude a été appliquée. La confrontation de ces critères aux données collectées à l’aide de l’enquête a conduit à l’élimination de 7 PME non familiales, résultant en un échantillon de 272 PME familiales pour l’année 2015. Un contrôle a été effectué en comparant plusieurs caractéristiques des PME répondantes à l’ensemble de la population de PME ciblées par l’enquête. Aucune différence de moyenne significative n’a été observée en termes d’âge, de nombre d’employés, de total actif et d’affiliation sectorielle. Cette procédure a ensuite été reproduite en comparant ces mêmes paramètres entre les 20 % de premiers répondants et les 20 % de derniers répondants. À nouveau, aucune différence significative n’a été relevée. Ces tests confirment la représentativité statistique de l’échantillon ainsi que la fiabilité des données récoltées. En 2018, l’information concernant l’internationalisation des PME familiales a été collectée en administrant de nouveaux questionnaires aux 272 PME familiales initialement identifiées. Après deux vagues d’envois par courrier, 189 PME familiales ont fourni une réponse exploitable. Des entretiens téléphoniques ont ensuite été menés pour les cas manquants, permettant de récolter les informations souhaitées auprès de 58 répondants supplémentaires et d’obtenir un échantillon final de 247 PME familiales.

Mesures des variables

Variable dépendante. Dans la littérature académique, il n’existe pas de consensus sur la mesure du degré d’internationalisation (DI). Le plus fréquemment, le pourcentage de ventes liées à l’exportation est utilisé pour capter l’intensité des activités internationales des PME familiales (Alayo et al., 2019). L’emploi de cet indicateur est relativement pertinent puisque l’exportation est le mode d’entrée sur les marchés étrangers le plus commun pour ce type d’organisations en raison du moindre risque induit par cette stratégie, sa grande flexibilité et sa moindre exigence en termes de ressources (Calabrò et al., 2016). Cependant, cette mesure ne permet pas de couvrir le spectre de l’ensemble des activités internationales, d’autres paramètres devant être pris en compte au travers de la conception d’un indicateur multidimensionnel (Pukall & Calabrò, 2014). En ce sens, cette étude intègre également le champ d’exportation, à savoir le nombre de pays étrangers vers lesquels la firme exporte, dans l’ébauche de la mesure du degré d’internationalisation qui agrège ainsi l’intensité des exportations ainsi que leur dispersion géographique (Alayo et al., 2019).

Variable d’intérêt. Alors que plusieurs études appréhendent l’innovation (INNOV) au travers de mesures uniques et objectives comme le niveau d’investissement en recherche et développement ou le nombre de patentes, de récents travaux plaident en faveur de l’utilisation de construits multidimensionnels afin de capter la perception auto-déterminée de l’innovation selon plusieurs axes (Saridakis et al., 2019). Au-delà de la capacité à couvrir un plus large spectre du degré d’innovation de la firme, ce type d’indicateur est particulièrement pertinent dans le contexte des PME où la divulgation d’informations relatives à leurs dépenses en recherche et développement ou au nombre de patentes et de licences n’est que très rarement assurée. Dans le cadre de cette étude, l’innovation est mesurée à l’aide d’une échelle précédemment testée et validée par He et Wong (2004). Concrètement, quatre affirmations relatives à l’innovation et reprises dans le tableau 1 étaient proposées aux répondants de l’enquête qui devaient faire part de la valeur correspondant le mieux à leur perception pour chaque affirmation sur la base d’une échelle allant de 0 « Absolument pas d’accord » à 10 « Tout à fait d’accord ».

Variables modératrices. Conformément aux études précédentes (Blanco-Mazagatos et al., 2018), la génération aux commandes (GEN) est mesurée à l’aide d’une échelle ordinale codée avec des valeurs de 1, 2 ou 3 lorsque l’entreprise est dirigée et contrôlée respectivement par les membres de la première, deuxième ou troisième génération. Compte tenu de leur faible proportion dans l’échantillon, les entreprises de génération ultérieure sont agglomérées avec celles de la troisième génération et prennent donc une valeur de 3. Pour ce qui de l’implication non familiale dans la direction (NFAMDIR), cette variable continue correspond au pourcentage de membres non familiaux présents dans l’équipe dirigeante (Binacci et al., 2016).

Variables de contrôle. Plusieurs variables de contrôle susceptibles d’impacter le degré d’internationalisation sont également incluses. La taille de l’entreprise (TAILLE) est calculée comme la transformation logarithmique du nombre de travailleurs. L’âge de la firme (AGE) correspond au logarithme de l’âge de l’entreprise (la différence entre les dates couvrant la période de réalisation de l’enquête initiale et la date de création de l’entreprise). Puisque le développement d’activités internationales requiert des ressources financières, deux variables sont incorporées pour prendre en compte l’effet du niveau d’endettement (LEVIER) et de la liquidité à court terme (LIQUID) : la variable LEVIER est obtenue par le ratio dettes totales/total actif alors que la variable LIQUID est le résultat de la division des valeurs disponibles par le total actif. Compte tenu du rôle de la productivité des travailleurs pour l’instigation de projets internationaux, une mesure de celle-ci (PROD) est incluse et correspond à la valeur ajoutée par travailleur. Enfin, des variables de contrôle afférentes au secteur d’activité sont également incluses afin de déterminer l’impact potentiel de l’affiliation sectorielle sur le degré d’internationalisation. Des variables binaires ont été créées en considérant cinq méta-secteurs prédominants dans l’économie belge : la manufacture (13 %), les services (37,8 %), le commerce (25,2 %), la construction (20,9 %) et l’agriculture (3,1 %). Une synthèse de l’ensemble des variables mobilisées dans cette recherche est présentée dans le tableau 1.

Tableau 1

Définition des variables de l’étude

Définition des variables de l’étude

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Analyses et résultats

Les statistiques descriptives ainsi que la matrice des corrélations sont présentées dans le tableau 2. En moyenne, l’équipe dirigeante des PME familiales de l’échantillon est composée de 44,5 % de membres non familiaux. 49 % des entreprises considérées sont des entreprises de 1ère génération, 39 % de seconde génération et 12 % de troisième génération ou de génération ultérieure. Elles sont âgées de plus de 31 ans, engagent plus de 60 équivalents temps pleins et réalisent 21 % de leur chiffre d’affaires à l’international. Il aussi intéressant de noter que la plus grande corrélation est observée entre la variable d’innovation et le degré d’internationalisation (r = 0,21; p < 0,01).

Les hypothèses sont testées en utilisant la modélisation par équation structurelle fondée sur la méthode des moindres carrés partiels (PLS). L’approche PLS est particulièrement adaptée pour explorer les relations comprenant des variables latentes et modératrices (Hayes, 2013). Suivant les recommandations de Kortmann (2015), trois éléments ont été pris en compte pour s’assurer de la fiabilité et de la validité des construits intervenant dans le modèle. Premièrement, la fiabilité de chaque item construit a été déterminée à l’aide d’une analyse factorielle exploratoire dans le tableau 3 qui démontre que tous les items présentent une contribution factorielle supérieure au seuil recommandé de 0,7. Deuxièmement, la validité convergente des construits a été mesurée à l’aide de la fiabilité composite (composite reliability, CR) et de l’alpha de Cronbach (CA) dont les valeurs reprises dans le tableau 3 sont supérieures au seuil critique de 0,7. La consistance interne de l’ensemble des dimensions des construits est donc confirmée. Troisièmement, la validité discriminante, montrant le degré de divergence entre les constructions dissemblables, a été testée selon la méthode de Fornell et Larcker (1981). Cette dernière suggère que la validité discriminante est confirmée si la variance moyenne extraite (average variance extracted, AVE) est supérieure à 0,5 et sa racine carrée est supérieure aux coefficients de corrélation avec les autres modèles de mesure. Les résultats repris dans la matrice des corrélations du tableau 2 supportent à nouveau la validité des construits.

Tableau 2

Statistiques descriptives, matrice des corrélations et validité discriminante

Statistiques descriptives, matrice des corrélations et validité discriminante

Notes : La racine carrée de l’AVE est reprise sur la diagonale de la matrice; Les coefficients de corrélation de Pearson sont repris sous la diagonale pour chaque interrelation entre les variables; n.a. : non applicable; Min : minimum; Max : maximum.

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Tableau 3

Fiabilité et validité des construits

Fiabilité et validité des construits

Notes : CR : Composite reliability, CA : Alpha de Cronbach; AVE : average variance extracted.

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La méthode PLS ne permet pas de dégager un indice unique estimant la validité globale du modèle d’équation structurelle (Kortmann, 2015). Par conséquent, plusieurs tests et procédures sont généralement mobilisés pour mener ce genre d’analyse. Conformément aux indications de Hair et al. (2014), la méthode du bootstrap est employée sur 5 000 sous-échantillons de 247 observations afin d’inférer les statistiques en t (t-stat) des relations envisagées dans le modèle de modération. Les résultats sont illustrés dans le tableau 4. La significativité globale du modèle d’équation structurelle (R2 = 0,301) excède la valeur recommandée de 0,1 suggérée par Kortmann (2015). Concernant les paramètres individuels, l’effet de l’innovation sur le degré d’internationalisation est positif et significatif (β = 0,212; t = 3 241; p < 0.001), confirmant l’hypothèse 1. En adéquation avec l’hypothèse 2, l’influence modératrice de la génération qui dirige sur la relation entre l’innovation et le degré d’internationalisation est significative (β = 0,202; t = 3 103; p < 0.001). Son signe positif rapporte que l’implication des générations ultérieures dans la gestion et le contrôle de l’entreprise facilite la conversion des initiatives innovantes en ventes sur les marchés étrangers. Enfin, la présence de membres non familiaux dans l’équipe dirigeante exerce aussi un effet modérateur significatif (β = -0,305; t = 3 487; p < 0.001). Celui-ci est négatif et suggère donc qu’une participation accrue de directeurs non familiaux atténue les effets bénéfiques de l’innovation pour l’internationalisation.

Tableau 4

Résultats

Résultats

Notes : R2 DI = 0,301 ; *** p < 0.001.

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Afin d’évaluer les effets modérateurs de manière plus systématique et exhaustive, les techniques de Johnson-Neyman (Hayes, 2013) ont été employées afin de calculer les effets conditionnels de l’innovation sur le degré d’internationalisation en fonction de la génération en charge et du degré de participation non familiale dans l’équipe dirigeante. Compte tenu de la nature discrète de la variable mesurant la génération en charge, la méthode pick-a-point a été utilisée afin de déterminer l’effet conditionnel. Les résultats reportés dans le tableau 5 démontrent que l’influence de la génération fondatrice est négative et non significative. A contrario, l’effet conditionnel est positif et significatif pour les entreprises de générations ultérieures, celui-ci s’accentuant pour les PME familiales de troisième génération et plus. Pour ce qui est de l’impact de la proportion de dirigeants non familiaux, l’effet conditionnel (ligne en pointillé) est illustré graphiquement sur la figure 2. Celui-ci est significatif lorsque les bornes supérieures et inférieures de l’intervalle de confiance à 95 % (les lignes en trait plein) sont toutes deux situées au-dessus ou en dessous de l’axe des abscisses. La figure 2 indique que l’influence de la participation non familiale dans l’équipe dirigeante devient négative lorsque la proportion de dirigeants non familiaux atteint 51 %. Cette relation négative ne devient cependant significative qu’à partir du seuil de 59 % de participation non familiale.

Tableau 5

Effet conditionnel de l’innovation sur le degré d’internationalisation en fonction de la génération en charge

Effet conditionnel de l’innovation sur le degré d’internationalisation en fonction de la génération en charge

Notes : df1 et df2 correspondent aux degrés de liberté résiduels. *** p < 0.001.

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Figure 2

Effet conditionnel de l’innovation sur le degré d’internationalisation en fonction du degré d’implication non familiale dans l’équipe dirigeante

Effet conditionnel de l’innovation sur le degré d’internationalisation en fonction du degré d’implication non familiale dans l’équipe dirigeante

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Discussion des résultats

Cette étude démontre un lien positif entre l’innovation et le degré d’internationalisation des PME familiales. Ce résultat corrobore les prescrits théoriques mobilisés dans le cadre de cet article. En effet, que ce soit l’orientation de long terme induite par la volonté de la famille de préserver le familiness au travers des générations, le capital social des membres familiaux, les valeurs partagées favorisant la collaboration active des employés ou la moindre significativité des problèmes d’agence entre les actionnaires et les dirigeants familiaux, ces différents facteurs contribuent à améliorer la capacité des PME familiales à capitaliser sur leur stratégie d’innovation pour pénétrer de nouveaux marchés étrangers. Ce résultat est également en accord avec les travaux d’Alayo et al. (2019) qui précisent que la capacité des PME familiales à prendre des décisions rapides, à établir des relations de confiance et à affecter des ressources à des projets de long terme facilitent la conversion des efforts entrepreneuriaux en ventes à l’international. Il rejoint également l’étude d’Hennart et al. (2019) qui souligne l’importance du capital social des membres familiaux et de l’innovation afin de créer et d’exploiter une demande globale pour des produits de niche à haute valeur ajoutée.

Considérant l’hétérogénéité des PME familiales, cette étude démontre que l’influence positive de l’innovation sur le degré d’internationalisation s’accentue lorsque la PME familiale est contrôlée et gérée par des générations subséquentes à la famille fondatrice. Une explication à ce résultat est à trouver dans les mutations du familiness induite par ce type d’implication familiale (De Massis et al., 2018). Moins attachés à l’organisation et moins concernés par la préservation du patrimoine socio-émotionnel, les membres familiaux issus de générations successives sont davantage guidés par les prérogatives économiques de leur famille nucléaire (Berrone et al., 2012). Dans un tel contexte, les nouvelles générations peuvent tirer profit des ressources intellectuelles acquises au cours du temps en apportant des adaptations organisationnelles assurant une pénétration harmonieuse des marchés étrangers afin d’exploiter pleinement le potentiel financier associé à l’avantage concurrentiel généré par les efforts d’innovation (Fang et al., 2018). Même si les aspects néfastes liés à l’apparition de problèmes d’agence entre les actionnaires familiaux ne semblent pas se matérialiser parmi nos PME au statut générationnel plus avancé, il serait utile que des recherches futures abordent cette question en intégrant une mesure de la dispersion de l’actionnariat familial. En effet, il est fort probable que parmi ce groupe d’entreprises, une structure actionnariale fortement dispersée entre de nombreux membres familiaux puissent favoriser l’émergence de conflits d’agence qui atténueraient les effets bénéfiques susmentionnés.

L’analyse empirique révèle également que l’accroissement de l’implication non familiale dans la direction atténue la relation positive entre l’innovation et l’internationalisation. Ce résultat permet de réconcilier les développements théoriques mobilisés dans la revue de la littérature. Lorsque l’implication non familiale dans la direction est relativement faible, les avantages associés à la théorie de l’intendance peuvent se matérialiser. Dans ce contexte, l’intervention des dirigeants non familiaux dans le processus décisionnel n’est pas perçue comme une menace à l’hégémonie de la famille mais comme une opportunité d’étendre l’expertise et le capital social de l’entreprise afin d’en assurer la pérennité (Chrisman et al., 2014). Elle permettrait donc d’accentuer les effets positifs de l’innovation sur le degré d’internationalisation par l’apport de nouvelles sources de réseaux à l’international mais aussi de davantage de rationalité dans la prise de décision, démystifiant ainsi les craintes associées à la distance psychique lors de l’exploration de nouveaux marchés étrangers, un élément particulièrement rebutant pour les décideurs familiaux (Pukall & Calabrò, 2014). En revanche, des rapports conflictuels apparaissent à partir du moment où la répartition des postes de direction entre membres familiaux et non familiaux est équilibrée. En effet, une telle composition managériale favorise l’émergence de lignes de fractures entre des dirigeants aux intérêts parfois forts divergents, ce qui annihile la possibilité de tirer profit de la diversité cognitive de l’équipe dirigeante (Binacci et al., 2016). Un tel constat s’applique également lorsque l’implication non familiale dans l’équipe dirigeante est élevée, les problèmes d’agence entre les actionnaires familiaux et les dirigeants non familiaux atteignant leur paroxysme (Chrisman et al., 2014). Au-delà des mésententes éventuelles entre ces deux acteurs centraux, les PME familiales qui ne disposent pas de mécanismes de contrôle efficaces peuvent être confrontées à des comportements opportunistes de la part des dirigeants non familiaux. Elles sont donc privées de ressources essentielles pour assurer la conversion d’efforts d’innovation en ventes à l’international.

Conclusion

Dans le prolongement des études analysant les problématiques d’innovation et d’internationalisation au sein des PME familiales, l’objectif de cette recherche était d’investiguer l’interconnexion entre ces deux variables sur la base d’un échantillon de 247 PME familiales belges. Les réflexions théoriques ainsi que les résultats empiriques obtenus nous permettent de mettre en exergue deux contributions significatives à la littérature. Premièrement, elle met en évidence la preuve empirique d’un lien positif entre l’innovation et le degré d’internationalisation des PME familiales, un contexte où l’analyse de cette problématique demeure peu documentée en dépit de l’importance de cette forme d’organisation dans le tissu économique mondial (Lin & Wang, 2019). La prise en compte de la contingence familiale de l’entreprise permet ainsi de clarifier notre compréhension de cette relation en répondant à un appel de la communauté scientifique pour davantage d’investigations contextuelles visant à expliquer les divergences observées dans la littérature à cet égard (Saridakis et al., 2019). Deuxièmement, cet article contribue à la connaissance de l’hétérogénéité des PME familiales. En effet, le caractère protéiforme de ces organisations est clairement établi dans la littérature (De Massis et al., 2018) et il est dès lors crucial de comprendre comment différentes sources d’hétérogénéité les caractérisant sont susceptibles d’affecter leurs choix stratégiques. Plus spécifiquement, de récents travaux plaident pour davantage de recherches liant les composantes hétérogènes des PME familiales à l’innovation (Calabrò et al., 2019) et l’internationalisation (De Massis et al., 2018). En appréhendant la manière avec laquelle la génération en charge de l’entreprise et l’implication non familiale dans la direction interviennent dans la conversion des efforts d’innovation en ventes à l’international, cette étude enrichit le débat sur la manière avec laquelle les différences intergénérationnelles ainsi que la composition de l’équipe dirigeante contribuent à expliquer la variabilité des choix stratégiques des firmes familiales.

Les résultats de cette recherche permettent également de mettre en évidence plusieurs implications pratiques pour les parties prenantes des PME familiales. Tout d’abord, les actionnaires et dirigeants familiaux appartenant à la génération fondatrice devraient prendre conscience que le transfert de la gestion et du contrôle de l’entreprise aux générations suivantes constitue bel et bien un atout pour pénétrer les marchés étrangers et ainsi tirer profit de l’impulsion innovatrice fournie en amont. En effet, les fondateurs familiaux ont souvent tendance à se montrer réticents à l’idée de passer le bâton aux générations suivantes alors que cette transition peut s’avérer opportune pour le développement de l’organisation à l’international. Les consultants spécialisés dans le domaine des PME familiales pourraient donc s’appuyer sur cette étude afin de démystifier la succession et insister sur ses effets bénéfiques pour la pérennisation des activités de la firme sur les marchés internationaux. De surcroît, les résultats obtenus suggèrent également que la présence de dirigeants non familiaux peut s’avérer utile pour l’internationalisation des PME familiales pour autant que ces derniers ne représentent pas la faction dominante de la direction. Une recommandation serait dès lors d’engager un nombre restreint de membres non familiaux dans l’équipe dirigeante avec l’intention d’intégrer leurs idées et compétences dans la prise de décision plutôt que de nommer un nombre plus conséquent de dirigeants externes sans manifester une volonté d’incorporer leur expertise dans la détermination de l’orientation stratégique de l’entreprise.

Cette étude n’est pas exempte de limites qui doivent être soulignées pour stimuler des recherches futures. Tout d’abord, les données ont été collectées dans un contexte national ciblé pour mener l’analyse empirique de cette recherche. En effet, la Belgique présente l’une des économies les plus ouvertes à travers le monde et les PME familiales incluses dans l’échantillon pourraient donc se montrer naturellement enclines à cibler des marchés étrangers afin de tirer pleinement avantage de leur stratégie d’innovation. Il serait dès lors intéressant de reproduire cette étude dans des pays caractérisés par une moindre propension à l’exportation afin de généraliser les résultats obtenus. Par ailleurs, bien que le rôle de la génération aux commandes ait été souligné dans cette recherche, l’intervention de facteurs liés à la transmission n’a pas été prise en compte faute de données empiriques disponibles à cet égard. Pour étayer notre compréhension de ce phénomène, une piste de recherche consisterait à appréhender l’influence des différentes formes d’engagement du successeur familial que Sharma et Irving (2005) décomposent selon quatre types : affectif, normatif, calculateur et impératif. Par exemple, l’engagement affectif du successeur qui se fonde sur son profond attachement à l’entreprise stimulerait la volonté d’assurer la continuité transgénérationnelle de l’organisation, alors que l’engagement calculateur, qui repose sur la préservation des intérêts financiers et sociaux du successeur, pourrait stimuler l’émergence de comportements davantage guidés par des velléités opportunistes. Il est donc fort probable que le degré et le type d’engagement du successeur soient susceptibles d’affecter les choix stratégiques opérés par les PME familiale en termes d’innovation et d’internationalisation. Enfin, la mesure employée pour capter la propension à innover ne permet pas de se positionner clairement dans le processus d’innovation car elle englobe une variété d’activités dont les effets se matérialisent à différents niveaux de ce processus. Il serait dès lors intéressant d’investiguer de manière plus fine le lien entre différentes dimensions du processus d’innovation, allant des dépenses en R&D au développement et à la commercialisation de nouveaux produits, et l’internationalisation des PME familiales. Dans le même temps, il serait probablement utile d’approfondir la compréhension de l’impact générationnel sur cette relation en considérant le rôle joué par l’ancienneté de la génération aux commandes. En effet, cet élément serait important à appréhender dans le sens où, comparativement à une ancienne génération au contrôle, une nouvelle génération présentera une plus grande inclinaison à conditionner le processus d’innovation et ses conséquences pour l’internationalisation.