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Le bois (ou xylème) est un tissu complexe composé de l’empilement successif, année après année, des cernes. Sa formation résulte de l’activité cyclique d’un méristème secondaire, le cambium (Figure 1) [1]. Le bois est formé majoritairement des parois de cellules mortes et peut être, de ce fait, assimilé à un matériau composite fait de microfibrilles de cellulose rigidifiées dans une matrice faite de polysaccharides et de lignines. Ces lignines, qui constituent de 15 à 36 % de la matière sèche du bois, sont indispensables au bon développement de l’arbre : elles jouent un rôle important dans les fonctions de soutien, de conduction et de défense contre l’attaque des champignons et des insectes. Seule la lignification des parois cellulaires donne aux fibres la rigidité nécessaire à l’édification du tronc des arbres et aux vaisseaux la capacité de conduire la sève sur de grandes distances. Ainsi, l’acquisition par les plantes de la capacité de synthétiser les lignines a probablement été un facteur déterminant dans leur conquête du milieu aérien [2].

Les lignines sont des polymères tridimensionnels résultant de la polymérisation oxydative de trois types d’alcools phénoliques. Ces monomères diffèrent par le degré de modification par méthoxylation (groupement OCH3) de leur noyau aromatique. Lors de l’étape de polymérisation, ce degré de méthoxylation est déterminant quant aux types des liaisons qui s’établissent entre les monomères adjacents [3]. Les proportions de ces différents types de liaison vont déterminer la « solidité » de la lignine et sa résistance aux traitements chimiques lors de la fabrication du papier. Si les lignines sont importantes pour la physiologie de l’arbre, elles sont, en revanche, indésirables dans l’industrie papetière. En effet, pour obtenir un papier de bonne qualité, les lignines doivent être dégradées, afin de libérer les microfibrilles de cellulose, le principal composant du papier. Quel que soit le moyen utilisé, cette étape d’élimination des lignines entraîne une forte consommation d’énergie et l’emploi de produits polluants. Ainsi, dans le procédé kraft, la pâte à papier est issue de la cuisson des copeaux de bois dans une solution de soude et de sulfure de sodium pendant plusieurs heures à une température de 170°C environ. Or, les besoins en papier continuent d’augmenter et l’industrie papetière doit rechercher des moyens plus écologiques de produire du papier. La production d’arbres ayant un bois différent, contenant moins de lignines, ou des lignines modifiées, plus faciles à extraire, permettrait de diminuer la consommation d’énergie et de produits polluants.

Figure 1

A. Schéma anatomique d’un tronc d’arbre. Le rectangle correspond à la place de la coupe de la partie B. B. Coupe transversale d’une tige de peuplier après coloration au safranine/bleu astra (photo F. Laurans). La zone cambiale est formée de cellules ayant la capacité de se diviser éternellement pendant toute la vie de l’arbre. Ces cellules en se développant vont former du coté externe, le phloème, tissu spécialisé dans la conduction de la sève élaborée riche en sucres. Du coté interne, les cellules du cambium vont former le xylème ou bois. Ce tissu est formé de cellules spécialisées dans la conduction de la sève brute, riche en éléments minéraux, ce sont les vaisseaux, tandis que d’autres participent au soutien mécanique de l’arbre, ce sont les fibres. La spécialisation de ces cellules se fait en quatre étapes : après une phase d’expansion cellulaire, les différentes couches de la paroi sont mises en place dans le xylème juvénile. Lors de la maturation du xylème, le dépôt des lignines va figer ces parois avant que n’intervienne la mort cellulaire.

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Depuis une dizaine d’années, les connaissances sur la lignification ont beaucoup progressé grâce notamment à l’utilisation des techniques du génie génétique qui ont permis de modifier la quantité et/ou la qualité des lignines. La plupart des gènes de la voie de biosynthèse des lignines ont été étudiés et des résultats prometteurs ont été obtenus sur des plantes modèles et sur des arbres, principalement le peuplier [4]. Ainsi, la suppression par ARN antisens de la cinnamyl alcool déshydrogénase (CAD), une enzyme-clé de la voie de biosynthèse des lignines, entraîne la formation d’un polymère de lignines ayant une structure et des propriétés particulières [5]. Notamment, ces lignines comportent une plus grande quantité de groupements phénoliques libres, indice de la formation d’un polymère plus fragmenté, donc plus facilement attaqué par les agents chimiques lors de l’étape de délignification. De fait, ces modifications ont facilité l’extraction de la lignine par un traitement alcalin doux, et ont donc permis une réduction importante de la quantité de produits alcalins nécessaires à l’extraction des lignines dans le processus de production de la pâte à papier [6]. Ces résultats ont tout d’abord été obtenus sur de très jeunes arbres élevés en serre. Restait à savoir comment allaient se comporter ces arbres au champ, en particulier concernant la stabilité dans le temps des nouvelles propriétés technologiques de leur bois, leurs performances agronomiques et leur résistance à l’attaque des insectes et des champignons. Une telle évaluation a été entreprise de 1995 à 1999, sur des peupliers à faible activité CAD cultivés au champ en France et en Angleterre [7]. Le changement de structure des lignines n’a visiblement aucun effet néfaste ni sur leur capacité de défense face aux insectes et aux pathogènes, ni sur leur croissance et leur développement. Bien qu’en 1999 la parcelle anglaise ait été arrachée par des activistes anti-OGM, le bois des arbres provenant des deux essais a pu être analysé pour la production de pâte à papier. Les analyses de lignines et les micro-cuissons de pâte à papier confirment les résultats obtenus sur des arbres jeunes. Une délignification équivalente à celle d’un arbre témoin est obtenue pour les arbres à faible activité CAD, mais en utilisant une quantité moindre d’agents alcalins. De ce fait, la cellulose conserve un meilleur degré de polymérisation, ce qui permet d’obtenir un papier de qualité supérieure. De plus, le rendement en pâte est augmenté de 3 % environ, ce qui est considérable, au vu des énormes quantités de papier produites annuellement [7]. Ainsi, ces peupliers à lignines modifiées, tout en diminuant les coûts de production permettent d’obtenir avec un meilleur rendement un papier de plus grande qualité. C’est la démonstration qu’une application du génie génétique peut être potentiellement bénéfique pour l’industrie papetière, aussi bien du point de vue environnemental qu’économique.