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La maladie de Parkinson (MP) est une maladie neurodégénérative caractérisée par trois symptômes moteurs cardinaux : akinésie, rigidité et tremblement. Ces symptômes sont la conséquence d’une dégénérescence progressive de la voie dopaminergique nigrostriée. Le traitement standard utilisé dans cette maladie est la lévodopa (L-Dopa, précurseur de la dopamine) qui améliore de façon spectaculaire les symptômes moteurs. Néanmoins, après quelques années de traitement, une diminution de son effet antiparkinsonien apparaît. EIle se traduit par des fluctuations de la performance motrice, des mouvements anormaux involontaires et des troubles psychologiques. Devant l’échec du traitement par la L-Dopa, les progrès de la recherche durant les vingt dernières années ont permis de mieux comprendre la physiopathologie de cette maladie et de développer une nouvelle approche thérapeutique.

Au cours des années 1980, plusieurs études ont suggéré que la dégénérescence des neurones dopaminergiques de la pars compacta de la substance noire (SNc) dans la MP provoque une diminution du contenu en dopamine dans le striatum ; la conséquence en est une augmentation de l’activité inhibitrice élaborée au niveau des voies de sortie des ganglions de la base (le segment interne du globus pallidus [GPi] et la pars reticulata de la substance noire [SNr]) vers le thalamus. Dans ce modèle, l’hyperactivité des neurones glutamatergiques du noyau sous-thalamique (NST) pourrait expliquer l’augmentation du tonus inhibiteur [1] (Figure 1A, B). Partant de cette hypothèse, H. Bergman et al. [2] ont montré que la destruction du NST chez le singe chez lequel on crée un syndrome de Parkinson par des injections d’une toxine spécifique des neurones dopaminergiques, le 1-méthyl-4-phényl-1,2,3,6-tétrahydropyridine (MPTP), induit une amélioration des troubles moteurs de type parkinsonien. Mais les animaux ont développé des mouvements anormaux involontaires des membres controlatéraux à cette lésion. Ces effets secondaires écartaient toute application thérapeutique aux patients parkinsoniens de cette technique qui crée une lésion irréversible. Afin d’éviter la survenue de ces effets indésirables, nous avons conçu une approche chirurgicale réversible qui consiste à stimuler électriquement le NST. Nous avons montré que la stimulation à haute fréquence (SHF) (≥ 100 Hz) du NST induit une amélioration fonctionnelle spectaculaire des signes moteurs chez des singes traités par le MPTP [3]. Le degré d’amélioration des symptômes moteurs était similaire à celui qui est obtenu par l’administration de L-Dopa, sans fluctuation [4]. Les effets secondaires sont contrôlés, puisque l’intensité de la stimulation est suffisante pour améliorer les symptômes mais insuffisante pour déclencher des effets secondaires. Ces études princeps chez le primate ont ouvert la voie à une nouvelle thérapie de la maladie de Parkinson.

Figure 1

Interactions entre le noyau sous-thalamique (NST), les voies efférentes des ganglions de la base (le segment interne du globus pallidus [GPi] et la pars reticulata de la substance noire [SNr]), le thalamus (Thal) et le cortex.

Interactions entre le noyau sous-thalamique (NST), les voies efférentes des ganglions de la base (le segment interne du globus pallidus [GPi] et la pars reticulata de la substance noire [SNr]), le thalamus (Thal) et le cortex.

A. Situation normale. B.maladie de Parkinson. C.maladie de Parkinson traitée par stimulation à haute fréquence.

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L’application de cette technique a d’abord été faite par SHF du noyau ventral intermédiaire du thalamus ; cela provoque l’arrêt des tremblements, mais est sans effet sur l’akinésie et la rigidité, qui représentent les symptômes les plus handicapants pour les malades [5]. Ces résultats ont encouragé la poursuite de cette approche thérapeutique, et plusieurs centaines de patients (d’abord à Grenoble, puis dans d’autres villes françaises, européennes et américaines) ont bénéficié de l’implantation bilatérale d’électrodes de stimulation dans le NST. Les électrodes, implantées bilatéralement dans les NST, sont connectées à un stimulateur, implanté dans la région sous-claviculaire, qui déclenche des stimulations répétées ayant les caractéristiques suivantes : fréquence, 130 Hz ; largeur d’impulsion, 0,06 ms (c’est la durée de chaque impulsion électrique) ; voltage entre 2 et 4 Volts. Les résultats, d’abord évalués à court terme sur un petit nombre de malades, ont montré une amélioration considérable des symptômes moteurs, rendant leur autonomie aux patients pour leurs activités quotidiennes [6, 7]. Ces effets bénéfiques ont été confirmés par d’autres équipes. Plus récemment, une étude ayant porté sur 49 malades opérés et suivis pendant cinq ans a montré que la SHF du NST induit une amélioration du tremblement (75 %), de la rigidité (71 %) et de l’akinésie (49 %) [8]. Ces améliorations ont été évaluées en l’absence de tout traitement dopaminergique associé. La plupart des malades ont conservé leur autonomie pour leurs activités quotidiennes avec un score de 73 % défini par l’échelle de R. Schwab et A. England [9]. L’évaluation neuropsychologique ne montre pas de modification de la dépression associée. Trois patients ont développé une démence trois années après l’implantation du stimulateur, fréquence tout à fait équivalente à celle qui est observée au cours de l’évolution naturelle de la maladie. Certains troubles qui résistent à la L-Dopa, comme ceux qui affectent la marche, la parole, l’équilibre ne sont que partiellement améliorés. Après l’opération, le traitement dopaminergique a été supprimé chez 14 patients, et, chez les autres, la dose de L-Dopa a été diminuée de 70 %.

Bien que la SHF du NST soit cliniquement efficace, les mécanismes exacts expliquant ses effets sur le plan du fonctionnement neuronal et synaptique restent encore controversés. Une des difficultés majeures auxquelles nous nous sommes heurtés pour explorer les effets de la SHF est le brouillage des signaux neuronaux (qu’on appelle les artéfacts de stimulation) par les impulsions électriques produites par la SHF ; en effet, celles-ci sont recueillies par les amplificateurs grâce auxquels nous enregistrons les activités électrophysiologiques des neurones. Afin de contourner ce problème, nous avons développé un logiciel permettant la soustraction de ces artéfacts de stimulation et l’analyse des seules activités électrophysiologiques enregistrées pendant la stimulation. Les résultats obtenus chez le rat montrent que la SHF du NST induit une inhibition totale ou partielle de l’activité des neurones enregistrée dans le NST et dans sa structure efférente, la SNr [10]. Ces résultats ont été confirmés par une étude métabolique de quantification de l’expression de la cytochrome oxydase de type I, considérée comme un marqueur de l’activité neuronale [10]. L’inhibition de cette structure de sortie des noyaux gris centraux provoque la levée du tonus inhibiteur exagéré exercé sur le thalamus, ce qui induit une activation des aires motrices corticales à l’origine de la normalisation du mouvement (Figure 1C).