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Les états généraux de la recherche se sont tenus fin octobre à Grenoble ((→) m/s 2004, n° 12, p. 1158), et le Comité d’initiative et de proposition (CIP, co-présidé par Étienne-Émile Baulieu et Édouard Brézin) a remis son rapport début novembre 2004. Ainsi s’est achevée la phase de concertation initiée par les chercheurs : il reste au gouvernement à élaborer la Loi d’orientation de la recherche promise au printemps 2004. D’ores et déjà, le Ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche a annoncé que la loi devrait inclure un « plan pluriannuel de l’emploi scientifique ». Sur quelles bases le construire ?

La situation actuelle et les perspectives d’évolution des personnels de la recherche publique sont bien connues grâce aux travaux de l’Observatoire des sciences et des techniques (OST) et du Dispositif de production coopérative d’indicateurs inter-institutionnels (DPCI) [1, 2]. Nous nous appuierons ici sur leurs travaux et sur d’autres projections que nous avons réalisées sur des bases semblables [3].

Qui sont « les chercheurs » ?

La population des chercheurs est assez hétérogène. On en recensait environ 260 000 en 2002, dont 88 000 dans le secteur privé et 12 000 dans les établissements publics à caractère industriel et commercial, tels que le Commissariat à l’énergie atomique (CEA), le Centre national d’études spatiales (CNES) ou le Centre de coopération internationale en recherche agronomique (CIRAD). Les autres appartiennent à l’Enseignement supérieur et aux Établissements publics à caractère scientifique ou technologique (EPST), et se répartissent ainsi :

  • 57 000 enseignants-chercheurs (E-C) : professeurs et maîtres de conférence des Universités (y compris hospitalo-universitaires) et des grandes écoles ;

  • 17 000 chercheurs statutaires des EPST : chargés et directeurs de recherche ;

  • 12 000 attachés temporaires d’enseignement et de recherche (ATER) et moniteurs des universités ;

  • environ 9 000 chercheurs non statutaires ou post-doctorants ;

  • environ 64 000 doctorants (dont 20 000 allocataires).

La contribution des ces différentes catégories aux activités de recherche est variable. Les chercheurs des EPST (statutaires ou non) consacrent l’essentiel de leur temps à la recherche, même si la plupart d’entre eux enseignent en troisième cycle universitaire. Les enseignants-chercheurs sont supposés consacrer la moitié de leur temps à la recherche : avec 192 heures d’enseignement à assurer, et des tâches administratives importantes, on s’accorde à penser que leur contribution réelle est nettement inférieure à 50 %. Les ATER ont une charge de cours réduite pour dégager du temps pour la recherche, généralement dans le cadre de la préparation d’une thèse. Enfin les doctorants, qui représentent 40 % de l’effectif total (!), sont naturellement supposés consacrer tout leur temps à la préparation de leur thèse, mais cette activité comporte une part de formation qu’il est difficile de séparer. Par ailleurs, certains d’entre eux doivent aussi exercer une activité professionnelle pour s’assurer des ressources financières (les allocataires de recherche représentent moins d’un tiers du total).

Les seules populations stables sont donc celles des chercheurs et des enseignants-chercheurs. Tous relèvent de statuts de fonctionnaires, les grilles indiciaires et les modalités de fonctionnement étant très proches, voire identiques. Cette proximité, qui faciliterait une éventuelle fusion des deux corps (hypothèse non retenue par le Comité d’initiative et de propositions, CIP), reste un atout majeur pour faciliter la mobilité entre les deux catégories.

Les pyramides des âges actuelles

Toute pyramide des âges est, à un moment donné, le reflet de plusieurs dizaines d’années d’histoire : évolution du nombre des recrutements annuels, âge des nouveaux entrants, rythme des sorties vers un autre emploi, âge du départ en retraite… Le premier facteur est souvent le plus déterminant : c’est lui qui imprime à la pyramide ses déformations les plus fortes. C’est le cas ici (Figure 1) : la pointe à 55-56 ans chez les E-C résulte du grand nombre de recrutements au milieu des années 1970, quand on a voulu augmenter drastiquement le nombre des jeunes accédant à l’enseignement supérieur ; celle à 36-38 ans a une origine semblable : des recrutements en nombre supérieur à celui des départs tout au long des années 1990. Pour les chercheurs des EPST, seule existe la première pointe, en moins marqué.

Le nombre important de quinquagénaires annonce donc un grand nombre de départs en retraite au cours de la prochaine décennie. Leur rythme exact dépendra des comportements individuels, difficiles à prévoir avec certitude dans un contexte législatif et réglementaire qui vient d’être sensiblement modifié. En tablant sur un âge moyen au départ de l’ordre de 63-64 ans, on obtient les nombres de départs figurant dans le Tableau I. Le maximum sera atteint en 2008-2012, avec une moyenne de 742 départs annuels de chercheurs et 2 393 d’E-C, contre respectivement, en 1995-1999, 540 (+ 37 %) et 1 340 (+ 78 %). Les chiffres seront plus faibles au cours de la décennie suivante, tout en restant nettement supérieurs à ceux des années 1990. Une autre façon de présenter ces perspectives est de dire que, dans les dix années à venir, 42 % des chercheurs EPST et 47 % des enseignants-chercheurs seront partis.

Tableau I

Départs annuels d’enseignants-chercheurs et de chercheurs des EPST : projections 2003-2022.

Départs annuels d’enseignants-chercheurs et de chercheurs des EPST : projections 2003-2022.
Source : projections de l’auteur, base de l’Observatoire des sciences et des techniques.

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Figure 1

Répartitions par âge des enseignants-chercheurs (A) et des chercheurs des EPST (B) au 1er janvier 2003.

Répartitions par âge des enseignants-chercheurs (A) et des chercheurs des EPST (B) au 1er janvier 2003.

Ces diagrammes illustrent les effets des vagues de recrutements du milieu des années 1970 (2 370 enseignants-chercheurs ont 56 ans, contre 1 050 âgés de 47 ans), puis de la décennie 1990 (1 759 ont 37 ans). Les à-coups sont moins marqués pour les chercheurs des EPST, mais les 55-59 ans sont sensiblement plus nombreux que les 48-52 ans.

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Côté EPST, ces nombreux départs vont donc offrir des possibilités de recrutement en forte augmentation, si l’on veut maintenir l’effectif total. Il faut en effet redire que la situation actuelle résulte de la volonté, politique, d’augmenter les effectifs des chercheurs dans les décennies antérieures. Voir la « bosse » des quinquagénaires sur la pyramide comme une anomalie qu’il conviendrait de faire disparaître en ne remplaçant pas tous les départs dans les prochaines années serait donc une erreur.

La situation est différente du côté des universités, qui ont connu un rythme de recrutements dépassant le simple remplacement des départs tout au long de la décennie 1990. Même au plus fort des départs, vers 2010, les recrutements de simple remplacement resteront moins nombreux que ceux constatés dans les années 1990. De ce côté aussi, les besoins n’ont pas diminué ; en particulier, si le nombre des étudiants est en phase de stabilisation, il est peu probable (et peu souhaité) qu’il décroisse. Nous verrons plus loin qu’il y a des raisons de souhaiter une augmentation du rythme des recrutements d’enseignants.

Régulariser ces pyramides ?

Les études démographiques qui ont pu être réalisées sur ce point montrent, qu’en fait, il est pratiquement impossible de régulariser une pyramide quand le nombre des entrées annuelles a subi de fortes variations [4], pour une raison simple : quand on constate des départs nombreux, le seul moyen de régulariser la pyramide serait de recruter à des âges harmonieusement répartis tout le long de la pyramide. Or on embauche essentiellement des jeunes, ce qui créera une nouvelle irrégularité dans la structure par âge. Notons toutefois que l’on pourrait atténuer cet effet en s’efforçant de recruter aussi des chercheurs plus confirmés, s’il en existe suffisamment sur le marché (national ou international).

Les variations dans le nombre annuel de recrutements ont un autre inconvénient : elles créent des inégalités dans les générations successives, certaines se trouvant face à des accès bouchés, les suivantes bénéficiant d’offres d’emploi plus nombreuses. C’est la raison pour laquelle on peut du moins s’efforcer d’atténuer ces fluctuations en recrutant un nombre constant de chercheurs ou d’enseignants pendant une certaine période, le nombre étant choisi de façon à maintenir, à terme, l’effectif total. C’est l’objet des scénarios qui figurent dans le Tableau II.

Ces scénarios peuvent être considérés comme minimalistes, puisqu’ils se contentent de maintenir les effectifs. Or, il existe des raisons d’augmenter ces effectifs, notamment ceux des E-C, dans l’hypothèse d’une réduction de leur charge d’enseignement pour favoriser les activités de recherche. On peut aussi penser que la réalisation de l’objectif de 3 % du PIB consacré à la recherche passe par une augmentation des effectifs dans le secteur public, tant que le secteur privé n’aura pas comblé son retard.

Précisons, par ailleurs, que nous parlons ici du nombre total de chercheurs, sans postuler que leurs statuts resteront inchangés. Il faut toutefois dissiper une illusion : l’idée du « contrat de post-doctorant » qui pourrait être proposé aux jeunes docteurs avant leur titularisation éventuelle n’a de sens que si ces contrats sont en nombre supérieur à celui des chercheurs statutaires actuels auxquels ils se substituent. Si l’on remplace, nombre pour nombre, un titulaire de 30-32 ans par un contractuel du même âge, on réduit simplement l’attractivité du secteur de la recherche, la sécurité de l’emploi y étant souvent perçue comme une compensation à la faiblesse des rémunérations. Si l’on veut faire de ces contrats à durée déterminée un « vivier » permettant un recrutement plus sélectif après trois ans, il faut que le nombre des contractuels soit nettement supérieur à celui des titulaires qu’ils ont remplacés. On ne peut donc se contenter de remplacer nombre pour nombre des titulaires par des contractuels.

Le secteur des sciences de la vie

Dans le document de l’OST que nous utilisons ici [1], les chercheurs et E-C du secteur de sciences du vivant sont répartis en deux groupes : « Sciences de la vie » (biologie, biochimie, génétique, neurosciences…) et « Médecine ». La situation est très différente entre les deux. La structure par âge du premier groupe est très proche de celle de l’ensemble des disciplines (Figure 2), avec un âge moyen de 47 ans, alors que celle des médecins est décalée vers les tranches d’âge plus élevées (âge moyen de 51 ans) : une raison en est la longueur des études de médecine, qui retarde beaucoup l’entrée à l’Université ou dans les EPST. Notons que, chez les E-C, la croissance des effectifs au cours des dix dernières années a été sensiblement inférieure à celle de l’ensemble des disciplines : 18 % contre 39 % [5]. Les départs en retraite, en revanche, seront un peu plus nombreux au cours de la prochaine décennie.

Figure 2

Répartition par âge des enseignants-chercheurs et des chercheurs en sciences de la vie (A) et en médecine (B), au 1er janvier 2003.

Répartition par âge des enseignants-chercheurs et des chercheurs en sciences de la vie (A) et en médecine (B), au 1er janvier 2003.

La répartition par âge des spécialistes en sciences de la vie est très proche de celle de l’ensemble des chercheurs et enseignants-chercheurs, alors que celle des sciences médicales est décalée vers des tranches d’âge nettement plus élevées.

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Tableau II

Effectifs d’enseignants-chercheurs et de chercheurs des EPST selon divers scénarios de recrutements : 2013 et 2023.

Effectifs d’enseignants-chercheurs et de chercheurs des EPST selon divers scénarios de recrutements : 2013 et 2023.

(Voir aussi le tableau 3 publié dans [3], qui est fondé sur d’autres hypothèses.) * Les nombres annuels de recrutements sont égaux à ceux des départs figurant dans le Tableau I.

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Conclusions

Dans son rapport final, le CIP fait des propositions de recrutement qui vont au-delà des scénarios discutés ici. Il propose en effet de recruter 11 000 enseignants-chercheurs supplémentaires en 5 ans, ce qui porterait à 4 500 environ le rythme annuel des recrutements pendant cette période, au lieu de 3 000 dans la décennie 1990[1]. Il suggère aussi de créer 4 000 postes de chercheurs dans les EPST, dont 2 500 pour accueillir des enseignants en détachement ; le rythme des recrutements externes serait donc augmenté de 300 par an, s’ajoutant aux 700 départs prévus (contre un peu plus de 600 recrutements annuels dans la décennie 1990). Le CIP souhaite aussi la création de 25 000 postes de moniteurs, ce qui assurerait à environ la moitié des étudiants en thèse une ressource financière régulière. Ces objectifs s’inscrivent dans la logique d’une croissance globale de l’effort de recherche, qui ne peut pas aller sans une certaine augmentation des personnels de recherche, sans oublier les ingénieurs et techniciens.