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Présentation

Il faut saluer l’audace des responsables de ce livre collectif qui ont osé utiliser le terme littératie dans le titre de leur ouvrage. La littératie présente, dans le monde francophone notamment, des contours flous qui rendent la notion difficilement opératoire pour la recherche en éducation. Dans cette publication divisée en trois parties, « la littératie est conçue comme l’art d’interpréter des discours distancés de l’immédiat, des discours textuels de différents genres permettant la construction de sens par un dialogue différé [entre divers interlocuteurs] » (Makdissi et Boisclair, p. 2). Les textes retenus par les responsables touchent principalement le développement de la littératie au préscolaire sur les plans cognitifs, affectifs et langagiers, et ils présentent de façon marquée les travaux, entre autres, de Piaget (concept de schème ou d’organisation de la pensée) et de Vygotski (concept de zone de proche développement).

La première partie de l’ouvrage, portant sur le rôle de l’oral dans l’émergence de la littératie, souligne l’interdépendance et les interférences entre la culture de l’écrit et la communication orale dans le cadre de discussions, d’interactions et de conversations. La deuxième partie, la plus riche du volume, aborde la littérature de jeunesse et le développement de l’enfant à l’intérieur de quatre chapitres d’auteurs francophones de France, du Québec et de Suisse. Les chapitres 4, 5 et 6 se distinguent en proposant des avenues novatrices aux méthodologies et analyses rigoureuses de courte durée (une séance, Veneziano ; Gamba) et de longue durée (une année scolaire, Makdissi et al.) pour soutenir l’exploitation d’oeuvres littéraires dans la petite enfance. Enfin, la troisième partie souligne l’intérêt de l’aspect culturel et de l’entrée formelle dans l’écrit en recourant à différentes approches en lecture interactive selon les origines culturelles des parents de jeunes enfants (van Kleeck) et en présentant les résultats d’une intervention en écriture de récits favorisant le passage du préscolaire à l’école primaire (Sirois et al.).

Cette publication a le mérite de proposer une définition de la littératie et de tenter de la mettre en pratique par des travaux de recherche en langues (français et anglais) et en contextes variés (Amérique du Nord et Europe). La cohabitation d’articles présentant des résultats empiriques et des recherches plus théoriques basées sur une analyse de données secondaires enrichit le propos et offre différentes perspectives sur l’oral, la littérature et la culture chez les enfants du préscolaire. Certains liens explicites tissés entre les chapitres donnent une unité à l’ensemble (ces liens sont présents dans les chapitres 1, 5 et 7). Il faut souligner, par ailleurs, l’intérêt de la figure de la page 151 proposée par Makdissi et al. qui offre une représentation de l’acte de lire avec une vue d’ensemble de la compréhension et de l’interprétation en lecture. Dans des travaux subséquents, il serait intéressant d’y ajouter des éléments propres à l’appréciation des oeuvres littéraires chez l’enfant du préscolaire, tels que la réaction, l’utilisation et l’évaluation.

Il est sans doute ardu dans un tel ouvrage collectif de réunir des voix unifiées par rapport à la thématique de départ. Bien que la littératie soit d’abord définie comme l’art d’interpréter des discours distancés de l’immédiat, certains chapitres adoptent d’autres définitions de la littératie : « […] la littératie, conçue comme la capacité d’utiliser l’écriture et la lecture de manière efficiente (Pontecorvo, 1997) » (Berthoud-Papandropoulou et Kilcher-Hagedorn, p. 77) ; « [l]e terme littératie […] fait référence aux conceptions, aux représentations et aux habiletés construites par un sujet réfléchissant autour de la culture écrite (Olson, 1998) » (Makdissi et al., p. 146, note de bas de page). Il aurait été intéressant aussi d’avoir des précisions sur ce qu’est la littératie pour les chercheurs anglophones traduits dans les chapitres 2 et 8. Par exemple, dans le chapitre 8, van Kleeck utilise à 36 reprises le mot littératie en l’absence de définition. Ainsi, l’importance de l’élaboration du sens des mots et de l’acquisition d’une signification partagée, importance soulignée dans le chapitre 2 (Nelson et Kessler Shaw, p. 40), semble parfois remise en question par certains auteurs. Dans le chapitre 7, les chercheurs sentent le besoin de justifier la présence de leur texte dans un « ouvrage portant sur l’écrit » (Ducret et al., p. 212), et ce, même si les articles de la première partie traitent d’une thématique autre que l’écrit, soit l’oral. Dans l’ensemble de cet ouvrage, le mot littératie n’est mentionné que trois fois dans les titres des parties et des chapitres ainsi que dans l’ensemble des sous-titres. Il faut noter que les chapitres 1, 2 et 7 ne font aucune mention du mot. En fait, le mot littératie apparaît 67 fois dans les trois parties ; les autrices des chapitres 3 et 8 l’utilisant 56 fois. Enfin, les recherches présentées touchant des enfants de la naissance (Nelson et Kessler Shaw ; van Kleeck) à l’âge de 6 ou 7 ans (Veneziano ; Sirois et al.), nous aurions apprécié avoir d’emblée des balises claires selon l’origine des auteurs concernant le début et la fin de ce qui est considéré comme l’âge du préscolaire.

Intervenir de façon cohérente et efficace avant l’école primaire pour soutenir le développement de la littératie par des tâches authentiques et complexes tant scolaires qu’extrascolaires n’est pas un travail aisé. Soulignons donc l’intérêt de cet ouvrage pour baliser la voie vers de nouvelles recherches et pratiques en littératie dès le préscolaire.