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1. Introduction

Notre propos s’inscrit dans le cadre de l’enseignement universitaire et plus précisément dans le cadre du Certificat d’Aptitude pédagogique approprié à l’Enseignement supérieur (CAPAES), dispensé en Fédération Wallonie-Bruxelles (FWB). Depuis 2002, les enseignants des Hautes écoles[1] ont comme obligation d’obtenir ce certificat dans les six premières années de prestation pour espérer une nomination dans l’enseignement supérieur.

Les formateurs du programme travaillent donc avec des enseignants – que nous appelons candidats[2] puisqu’ils visent à obtenir cette certification supplémentaire – qui pratiquent le métier depuis trois ou quatre ans pour la plupart. Cette formation, destinée à des adultes engagés dans l’enseignement supérieur, ne donne pas lieu à une évaluation classique du type examen avec «questions-réponses». L’évaluation certificative telle qu’elle s’organise à l’université à laquelle nous appartenons consiste en la rédaction d’un portfolio invitant le candidat à synthétiser en une vingtaine de pages des traces de son parcours professionnel et de ses acquis de formation. Il s’agit d’abord d’articuler divers cadres théoriques pour relire son parcours de formation et son parcours professionnel, puis de décrire et d’analyser un dispositif de formation pour en comprendre les fondements. Il convient donc pour le candidat de réfléchir à ses pratiques, de montrer sa capacité à intégrer les grilles d’analyse, les théories de l’apprentissage, des modèles théoriques vus aux cours. La rédaction du portfolio est balisée par une grille d’évaluation précise et expliquée aux candidats. Pour soutenir ces derniers dans la réalisation de ce travail d’écriture, des séminaires d’intégration d’une quinzaine d’heures suivis d’un ou deux entretiens individuel(s) de supervision font partie intégrante de cette formation.

Comme nous avons eu déjà l’occasion de questionner les effets de formation de notre dispositif sur les candidats eux-mêmes (Paquay, Parmentier et Van Nieuwenhoven, 2009; Paquay et Van Nieuwenhoven, 2007), nous avons choisi à présent de mettre l’accent sur les formateurs. En effet, l’intérêt de cette contribution réside dans le fait que notre recherche n’est pas directement ciblée sur les candidats eux-mêmes, mais bien sur les formateurs qui sont en charge de les former, et plus particulièrement sur ceux qui ont la charge du séminaire d’intégration dans lequel l’accompagnement à l’écriture est offert en complément des supervisions individuelles.

Plus spécifiquement, notre visée est de mettre au jour comment et en quoi le rapport à l’écrit des formateurs influence leur posture d’accompagnement en nous intéressant, d’une part, aux représentations qu’ils ont de leur rôle d’accompagnateur à l’écriture et, d’autre part, au discours qu’ils portent sur leurs pratiques d’accompagnement.

L’équipe des formateurs du programme se compose de dix personnes, dont trois des quatre auteurs de cet article. Toutes et tous ont des compétences reconnues dans le champ de l’écriture, une ancienneté relative dans le programme qui existe depuis 2003 et participent aux quatre réunions annuelles de régulation et de partage des pratiques. Des supervisions et formations ont d’ailleurs été réalisées à leur intention. L’image du bricolage – finement décrite par Perrenoud (1994) – pourrait bien convenir à ce dispositif en amélioration constante. On comprendra donc tout l’intérêt de cette recherche pour la qualité de ce programme.

Nous avons structuré notre texte en plusieurs parties. La première pose les jalons théoriques sur lesquels nous nous appuyons pour appréhender le champ de l’accompagnement à l’écriture, c’est-à-dire les questions du portfolio professionnel, de l'accompagnement et du rapport à l'écrit. La deuxième partie renvoie aux aspects méthodologiques. La troisième partie présente les résultats en fonction de nos questions de recherche: quel est le rapport à l’écrit des accompagnateurs? Quelles sont leurs représentations de l’accompagnement de l’écriture? Quelles sont les pratiques rapportées qui permettraient d’identifier les logiques d’accompagnement des candidats dans leur processus d'écriture? La quatrième et dernière partie met en évidence les apports principaux de notre étude.

2. Appuis théoriques

2.1 La tâche complexe d'écriture: le portfolio

Les candidats sont amenés à produire un portfolio professionnel pour valider leur formation et «dire leur métier» (Nonnon, 2002; Pollet, 2009). Il s'agit, non pas d'un écrit professionnel, qui, selon Cros, Lafortune et Morisse (2009), se fait pendant l’activité ou en vue de celle-ci, mais bien d'un écrit professionnalisant. En effet, la production se réalise après le moment où l’activité a été exercée. Autrement dit, elle doit prendre pour objet d’analyse la pratique que le candidat aura préalablement décrite. Les enjeux de l’accompagnement de ce type d’écrit ont été pointés notamment par Paul (2014) qui exprime qu’ «entre dire et écrire se trouve effectivement un monde: celui du sujet dans toute son opacité. Et c’est cela qu’il s’agit d’accompagner» (p. 30). Ce genre d’écrit est donc censé permettre une mise à distance avec le vécu de la personne pour pouvoir le décrire, l’analyser, pour accéder à des savoirs nouveaux, transformer sa position et ses points de vue.

Champy-Remoussenard (2009) précise notamment que cette forme d’écriture se prépare et nécessite un apprentissage qui doit être accompagné, guidé, car les enseignants ont tendance à traduire leur activité en tenant compte de la manière dont celle-ci «est prescrite, devrait être, conformément à cette prescription» (p. 83). De plus, le désir de correspondre aux normes académiques bloque les candidats dans leurs démarches pour atteindre «le réel de leur activité». Un accompagnement s’avère donc nécessaire tant pour transformer les représentations des candidats et faciliter une écriture «vraie» que pour garantir la sécurité des échanges qui font la spécificité de l’écriture sur l’activité.

2.2 Trois logiques d’accompagnement de l’écrit

Dans le champ des pratiques professionnelles, Paul (2004, 2016) définit l’accompagnement comme étant le fait de se joindre à quelqu’un (dimension relationnelle) pour aller où il va (dimension spatiale), à son rythme, en même temps que lui (dimension temporelle). À cela, Vial et Caparros (2007) comme Jorro (2012) ou Van Nieuwenhoven et Colognesi (2013) ajoutent que l’accompagnement renvoie à un processus d’ajustement permanent de l’accompagnateur, qui réagit en fonction du contexte et des besoins de l’accompagné. Chauvet (2002), quant à lui, estime que la relation entre les deux acteurs s’opère au sein d’un continuum allant d’une directivité forte (posture d’expert) à un retrait progressif laissant place à la singularité (posture d’accompagnement).

Nous pouvons croiser ces analyses avec celles de Leclercq et Oudart (2011) qui, dans leurs travaux relatifs aux stratégies d’accompagnement de l’écriture des mémoires professionnels, ont identifié trois postures qui peuvent intervenir: les postures normative, dialogique et spéculative.

Dans une optique normative, l’accompagnateur cherche à donner à l’écrivant des repères, des codes pour le rassurer, lui permettre d’avancer dans la rédaction et l’aider à surmonter les difficultés. La contrainte sert alors de levier pour progresser dans une écriture cadrée, contrôlée par des critères qui sont autant de balises pour avancer. L’attention est attirée sur les qualités attendues du produit final, et peut passer par l’analyse de textes modèles.

Dans la perspective dialogique, l’accompagnateur s’intéresse aux mots et à leurs significations. Il cherche à comprendre et à créer un climat propice à l’échange, à la conversation réflexive. C’est une posture marquée par l’utilisation intense des outils de reformulation.

Dans une logique spéculative, l’accompagnateur place l’écrivant au centre de la réflexion en tentant d’établir son profil pour le conduire vers un objectif qu’il détermine: de quoi est-il capable? Que peut-il faire, jusqu’où peut-il aller? L’accompagnateur va ainsi tenter de cerner les possibles chez l’accompagné en dialoguant non pas – comme dans la posture dialogique – autour de l’objet à produire mais autour du sujet écrivant. L’important est de comprendre ce qui anime la personne et de pouvoir faire ressortir chez elle la pleine possession de ses moyens.

Aucune de ces postures n’est figée, étant entendu que les accompagnateurs oscillent généralement de l’une à l’autre en fonction des besoins. Néanmoins, Leclercq et Oudart (2011) montrent que l’accompagnateur privilégie généralement une de ces logiques en fonction de «ses croyances, [de ses] convictions, [de ses] savoirs» ainsi que du «contexte et [des] compétences de l’étudiant» (p. 160).

Pour compléter lesdites logiques, Oudart et Leclercq (2011) identifient trois types d’activités qui se déploient tout au long du processus d’accompagnement: des activités de contractualisation, de production et de construction de soi. C’est dans l’activité de contractualisation que se développe la relation entre l’accompagnateur et l’accompagné. Les enjeux qui se jouent sont doubles: réaliser un «contrat didactique» sur ce qu’il convient de faire et un «contrat de communication» qui établit comment chacun doit se comporter avec l’autre. Le contrat stipule très clairement que celui qui tient les rênes est l’accompagné et pas l’accompagnateur.

La réflexion autour des logiques d’accompagnement met en lumière différents aspects: l’importance de la relation comme gage de réussite de l’accompagnement, mais aussi celle des représentations de cet accompagnement et de son objet pour les accompagnateurs.

2.3 Le rapport à l’écrit

Barré-De Miniac (2008) articule le rapport à l’écriture avec le rapport au langage et avec le rapport au savoir, le «rapport à» désignant une manière de se positionner, d’envisager un objet ou des situations. Pour appréhender la notion de «rapport à», il est nécessaire de s’intéresser au sujet qui est au coeur de la notion puisque c’est à travers lui que le chercheur peut comprendre la relation qui se joue, le sens et la valeur qui sont accordés par le sujet à l’objet envisagé (Gilbert, 2008).

Barré-de Miniac (2000) a étudié cette notion de «rapport à» en la reliant à la question de l’écriture. Elle explique ainsi que le «rapport à l’écriture» désigne l’ensemble des idées et des émotions d’une personne vis-à-vis des fonctions de l’écriture et de la manière d’apprendre à écrire. Elle montre tout l’intérêt de cette notion dans le cadre de la didactique puisque l’apprentissage des savoirs ne suffit pas au développement de la compétence scripturale (Colognesi et Lucchini, 2016; Dabène, 1991). Ainsi, Barré-de Miniac (2008) estime que le rapport à l’écriture d’un individu se définit à travers quatre dimensions: l’investissement de l’écriture, les opinions et attitudes à son égard, les conceptions de l’écriture et de son apprentissage et enfin les modes de verbalisation du processus scriptural.

Chartrand et Blaser (2008) étendent la définition à tout ce qui a un rapport avec le domaine de l’écrit, plus large que le seul acte d’écriture. Elles expliquent en effet que le rapport à l’écrit «concerne les pratiques de lecture et d’écriture ainsi que les produits de ces activités, les textes lus et écrits […]» (2008, p. 111) et identifient quatre dimensions dudit rapport: (1) affective, qui relève, d’une part, des sentiments et des émotions et se traduit par un «investissement en temps, en fréquence et en énergie que le sujet dit déployer» (p. 111) dans des activités liées à l’écriture ou la lecture, et, d’autre part, de l’intérêt plus ou moins marqué pour certains genres de textes à lire ou à produire; (2) axiologique, le domaine des valeurs que le sujet associe à l’écrit; (3) conceptuelle (ou idéelle), qui renvoie aux idées que le sujet se fait sur le rôle de l’écrit, sa nature, sa place dans la société, sa fonction dans l’apprentissage et aux conceptions qu’il a des processus de lecture et d’écriture mis en oeuvre; (4) praxéologique, qui touche aux activités du sujet tant scripturales que lecturales, à leur contexte, leurs méthodes, le moment et le temps investi.

À ces quatre dimensions du rapport à l’écriture, Niwese et Bazile (2014), mais aussi Colognesi et Lucchini (2016), en ajoutent une cinquième: la dimension métascripturale. Celle-ci désigne la capacité d’une personne à verbaliser sa pratique. Cette dimension renvoie à celle mise en avant par Barré-de Miniac (2002) et qu’elle appelle «le mode de verbalisation».

Chaque individu a des représentations de l’écriture, c’est-à-dire des normes qu’il s’est construites au sujet de l’écriture, en fonction de ses expériences sociales (Lord, 2012). Ces représentations, qui ont un caractère englobant et qui ne sont pas de l’ordre des pratiques comme le précisent Chartrand et Blaser (2008), ont une influence sur la dimension praxéologique du rapport à l’écrit. En creux de leurs représentations de l’écriture, les formateurs ont aussi des représentations de l’accompagnement de l’écriture. Si on se réfère à la définition de Merhan (2011), l’accompagnement dans le contexte de l’écrit se positionne comme «instance de médiation dans le processus d’apprentissage en prenant en compte les nombreuses interactions sociales» (p. 10). Chaque accompagnateur peut donc avoir ses représentations de ce qui est fondamental à mettre en place pour permettre aux accompagnés d’évoluer dans leur compétence scripturale et va donc, en fonction, se construire une intention d’accompagnement (Merhan, 2011).

À cet effet, dans le contexte de l’enseignement et de la formation, Deschepper et Thyrion (2008) ou encore Blaser, Beaucher, Dezutter, Saussez et Bouhon (2015), dans leur rapport de recherche, montrent la nécessité d’articuler le rapport à l’écrit aux pratiques pour atteindre le développement scriptural des formés. Premièrement, cela se traduit, comme le précisent ces auteurs, par le fait que les accompagnateurs partent du principe qu’écrire ne se fait pas en une fois, que la révision fait partie intégrante du processus d’écriture, et que l’écrivant est capable de développer sa compétence scripturale. Deuxièmement, des interventions de formation spécifiques sont envisageables. Parmi celles-ci, mentionnons notamment, comme le relèvent les travaux de Defays (2015), l’importance d’expliciter les caractéristiques des genres travaillés, étant entendu que les genres académiques (la littératie académique) sont peu connus des étudiants. De plus, caractériser le rapport à l’écrit des accompagnés est également une opération importante à mettre en oeuvre (voir l’outil de caractérisation proposé par Blaser et al. en 2011).

3. Cadre méthodologique

3.1 Questions de recherche

Pour rappel, l’objectif de notre recherche est de répondre aux questions suivantes: quel est le rapport à l’écrit des accompagnateurs? Quelles sont leurs représentations de l’accompagnement de l’écriture? Quels effets ont-ils sur leur posture d’accompagnement? Quels sont les outils utilisés pour accompagner l’écriture?

3.2 Contexte et population

Cette recherche, à caractère exploratoire, s’inscrit dans une démarche qualitative (Poisson, 1991) centrée sur un nombre restreint de sujets pour appréhender, dans une perspective compréhensive, le phénomène auquel nous nous intéressons dans un contexte particulier de formation. Ainsi, les dix enseignants[3] de séminaires d’accompagnement à l’écriture du portfolio du programme du CAPAES de l’Université catholique de Louvain ont été interviewés. Le recueil a été mené par un chercheur qui ne faisait pas partie des formateurs pour limiter les biais inhérents au fait d’être directement impliqués dans le dispositif questionné. Gillet (1987) explique que si le chercheur reste trop loin du champ d'action, il risque des conclusions fausses parce que déconnectées du contexte; s'il s'intègre davantage dans l'univers des acteurs, il devient plus vulnérable aux biais collectifs, ce qui l'implique dans les rapports de forces internes. Des précautions ont donc été prises pour limiter les risques au niveau du recueil des données et les chercheurs-formateurs ne sont intervenus qu’au niveau de l’interprétation des données.

Les entretiens ont été enregistrés et retranscrits afin de procéder à une analyse de contenu.

Par la suite, pour réaliser des études de cas, quatre accompagnateurs ont été sélectionnés sur la base de leurs profils différents. Les accompagnateurs choisis se distinguent en effet par leur ancienneté dans la fonction d’accompagnateurs et, eu égard à l’analyse de contenu opérée, par le type de rapport qu’ils entretiennent avec l’écrit, comme le montre le tableau 1.

Tableau 1

Vue d’ensemble des 4 profils

Vue d’ensemble des 4 profils

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Nous avons ensuite suivi le travail de ces accompagnateurs avec un de leurs candidats.

3.3 Modalités de recueil et d’analyse des données

Nous avons réalisé une collecte de données en deux temps.

Premièrement, les entretiens ont été menés sur la base d’un guide préalablement construit. Chaque entretien a duré entre 75 et 135 minutes et a été centré sur les catégories suivantes:

  • les postures d’accompagnement;

  • les représentations personnelles de l’interlocuteur concernant différents domaines comme le groupe, l’écrit, l’oral, l’entretien individuel, l’équipe des accompagnateurs des séminaires, le rapport à l’écrit de l’accompagnateur, les qualités et techniques nécessaires, etc.;

  • l’énonciation comme indice d’une logique d’accompagnement;

  • les outils au service de l’accompagnement;

  • les tensions perçues, des zones d’inconfort ou de questionnement dans le vécu professionnel;

  • les causes perçues ou implicites à une situation particulière: l’entrée en fonction, les freins à l’accompagnement, etc.

Deuxièmement, nous avons collecté toutes les données liées aux suivis que proposent les quatre accompagnateurs sélectionnés. Nous avons enregistré une rencontre pour chaque accompagnateur avec un de ses candidats, récolté les courriels échangés ainsi que des brouillons des candidats annotés par leurs accompagnateurs. La place nous manque dans cet article pour faire état de l’ensemble des données retenues pour cette contribution.

Les étapes classiques d’une analyse de contenu ont été appliquées aux données recueillies pour les classifier et les codifier selon diverses catégories afin de faire émerger les différentes caractéristiques et de mieux comprendre leur sens (L’Ecuyer, 1987, 1990). Pour ce faire, nous avons réalisé deux grilles de codage: l’une pour les entretiens, l’autre pour les observations. La construction de ces grilles s’est réalisée en quatre étapes: l’identification des notions théoriques mobilisées par la recherche, l’élaboration des questions en lien avec ces concepts, la confrontation des items retranscrits avec les concepts pour la catégorisation, la catégorisation de deux ordres: soit conceptuelle, soit émergente, à savoir des catégories qui sont empiriquement enracinées (Poisson, 1991).

4. Présentation des résultats

Nous avons choisi de structurer la présentation des résultats en fonction des trois questions de recherche. Nous abordons ainsi successivement les relations variables qu’entretiennent les accompagnateurs des séminaires avec l’écrit, leurs représentations de l’accompagnement de l’écriture et les pratiques qu’ils déclarent mettre en place pour accompagner les candidats dans leur processus d’écriture et dans lesquelles apparaissent, en creux, les logiques d’accompagnement dominantes des formateurs. Des extraits emblématiques ont été choisis pour illustrer nos propos.

4.1 Des relations variables avec l'écrit

De nos dix entretiens, il ressort, sur le plan de la dimension praxéologique, que les accompagnateurs ont des habitudes d’écriture bien ancrées, liées tant aux activités professionnelles que personnelles.

Je n’écris pas de journal, ou quoi que ce soit de ce genre, mais c’est parce que j’écris déjà tellement toute la journée, que je n’ai pas envie, pour moi écrire, c’est professionnel.

Profil 8

J’écris… des textes, pas spécialement académiques, pour des gens qui s’en vont, pour des fêtes, des mariages. Des choses comme ça. Et alors, de temps en temps pour des conférences .

Profil 10

Ils expriment avoir une relation positive avec l’écrit (dimension affective). Ils lisent et produisent tous volontiers et mentionnent que ce qu’ils lisent/écrivent est influencé par le contexte professionnel.

L’écrit, j’aime bien. J’aime bien écrire moi-même. Je ne le fais pas spécialement souvent mais j’aime bien.

Profil 10

Je ne crois pas que si on n’aime pas du tout lire ou écrire, je crois pas qu’on se retrouve dans ce type de métier. J’ai toujours eu un côté littéraire, j’ai toujours lu beaucoup.

Profil 5

Ma thèse, c’est 4 ans que j’ai passés à lire, à écrire. Je n’ai pas de talent d’écriture, j’écris dans un contexte lié à ma fonction, c’est des types d’écrits particuliers, je suis certaine que dans un atelier d’écriture créative je serais beaucoup moins à l’aise.

Profil 8

Concernant la dimension conceptuelle, les accompagnateurs pensent que l’écrit peut permettre d’entrer en relation avec l’autre, qu’écrire peut être difficile et qu’il est nécessaire d’être soutenu dans ce processus. Selon eux, la pratique de l’écrit a une grande importance.

Moi, mon mémoire, j’étais dans la douleur, ça n’a pas été simple. Parce que ce n’était pas une compétence que j’avais développée et donc je comprends mieux la difficulté qu’il y a à le faire.

Profil 5

Pour eux, l’écrit permet le développement de la réflexivité du candidat dans la mesure où écrire le portfolio permet de se retrouver face à des questionnements, oblige à traduire sa pensée, confronte le candidat avec ses convictions, le conduit à opérer des ajustements dans ses pratiques, etc.

Les pensées se structurent davantage à l’écrit […] on va se rendre compte qu’entre le premier jet que j’ai écrit et le texte définitif parfois je me demande si c’est le même, tellement, ça a bougé, je l’ai fait lire, je l’ai modifié et tout ça c’est le cycle de l’écriture réflexive qui me permet d’y arriver.

Profil 8

De plus, ils estiment que l’écrit, contrairement à l’oral, oblige à la prudence puisqu’on va être lu par d’autres et qu’il y a alors la possibilité d’un jugement.

Les accompagnateurs ont aussi une conception de l’écrit comme étant un outil dont ils peuvent se servir pour cerner le candidat et réguler leur accompagnement: comment écrit-il? Quelles sont ses convictions? Quelles sont ses difficultés lorsqu’il traduit sa pensée: est-ce de l’ordre du tri? De la description ou de l’analyse?

Si je n’ai pas de trace écrite, je ne sais pas comment il écrit. […] il y a des collègues qui arrivent avec une première trace hyper organisée il y en a d’autres où c’est plutôt des paragraphes soulignés, ça ça m’intéresse.

Profil 1

Majoritairement, les accompagnateurs ont des représentations de l’écrit des candidats qui sont façonnées, d’une part, par leur ancrage professionnel et, d’autre part, par leur parcours de formation. En effet, ils estiment que, pour le candidat, le fait d’être en possession d’un autre diplôme universitaire peut aider le passage à l’écrit. Selon eux, les candidats détenteurs d’un master, voire d’un doctorat, seraient plus enclins à percevoir ce qu’on attend d’eux, auraient une représentation plus juste de l’écriture académique et se percevraient comme plus compétents pour réaliser le travail demandé. Cette représentation entre dans la dimension axiologique: les accompagnateurs évaluent les chances de réussite ou la facilité à écrire à l’aune du parcours des candidats qu’ils suivent. Ceux qui possèdent peu de connaissances pédagogiques ou ne possèdent pas de titre universitaire[4] sont un public perçu comme plus fragile, plus susceptible d’avoir un faible sentiment de compétence par rapport à la tâche à fournir et demandant donc des précautions supplémentaires.

L’année dernière, j’avais des étudiants en logopédie […] et c’était juste un bonheur parce que ce sont des personnes qui ont des facilités à l’écrit parce que voilà, c’est leur métier.

Profil 5

Mon public c’est plutôt des maîtres de formation pratique qui n’ont pas de formation universitaire et qui donc ont très peur de ce diplôme à obtenir et donc je suis très prudente. […] Le public que j’ai, qui est, je le pense, le plus fragile […].

Profil 8

L’analyse des entretiens a mis en évidence que le rapport à l’écrit des accompagnateurs a un impact sur leur manière d’envisager les difficultés de l’autre: le fait d’avoir vécu soi-même la difficulté de l’écriture académique permet, selon les formateurs, de mieux comprendre l’autre.

Par ailleurs, la dimension axiologique joue sur l’accompagnement proposé. Les accompagnateurs soulignent qu’ils doivent – dans le cadre d’une formation certificative obligatoire – montrer l’intérêt de la démarche, essayer de faire réussir les candidats en leur faisant apprendre des choses intéressantes et utiles. Un beau défi qui nécessite plus qu’un minimum de conviction de leur part.

Moi, je dirais que j’ai une mission : c’est de faire réussir. Il n’y a personne qui vient ici pour le plaisir. Tout le monde vient pour réussir et un peu pour apprendre.

Profil 6

Moi j’ai trouvé ça assez passionnant. […] Et donc, ces deux écrits[5]m’ont vraiment convaincue. Du bien-fondé de la démarche. Et ça, je pense que c’est aussi une aide quand vous encadrez de pouvoir être convaincue que ce que vous enseignez va servir à quelque chose et va être utile.

Profil 3

4.2 Les représentations de l’accompagnement de l’écriture

Lorsqu’on demande aux accompagnateurs d’identifier les incontournables pour accompagner l’écriture, les réponses qui émergent sont multiples et renvoient à des savoirs, des habiletés, des qualités et surtout à la «relation» à créer. Ainsi, les accompagnateurs pensent nécessaire d’avoir plusieurs types de savoirs. D’abord, des savoirs théoriques indispensables à l’écriture et liés aux modèles qui peuvent être utilisés pour analyser les pratiques. Ensuite, des savoirs relatifs au format attendu et aux critères d’évaluation. Enfin, des savoirs expérientiels relatifs aux connaissances du terrain des accompagnés: le travail en Haute école.

En outre, les accompagnateurs identifient un certain nombre d’habiletés comme étant utiles: la capacité à organiser un écrit et à traduire cette organisation pour quelqu’un qui ne voit pas comment faire, à animer un groupe, à commenter un texte, à faire des liens entre ce que les candidats projettent d’écrire et la formation qu’ils reçoivent.

C’est de pouvoir faire des liens avec ce qu’ils reçoivent dans leurs cours et pas leur montrer que c’est juste les séminaires et que les cours ne servent à rien. Pouvoir avoir un lieu d’appropriation des modèles qu’ils reçoivent.

Profil 4

Pour exercer leur accompagnement, les accompagnateurs identifient aussi d’indispensables «qualités humaines»: l’écoute, l’empathie, l’adaptation, la disponibilité, la rigueur, le respect de la déontologie, l’acceptation de l’autre dans ses choix, la modestie ou encore l’humour. La qualité qui ressort majoritairement est le plaisir pris à accompagner, l’envie de partager et de travailler ensemble.

En parallèle de tous ces aspects, les accompagnateurs nous ont précisé dans ces entretiens combien la relation de confiance avec le candidat leur semblait importante. Sans elle, l’accompagnement de l’écriture semble compromis.

4.3 Les pratiques d'accompagnement des candidats

Qu’il s’agisse de l’accompagnement du groupe ou d’un candidat, les accompagnateurs manifestent un certain nombre de pratiques communes, mais ont également chacun des manières de faire bien distinctes.

4.3.1 Ce qu'ils font tous

Tout d’abord, la construction de la relation semble très importante pour permettre l’accompagnement du portfolio. Les accompagnateurs sont attentifs à créer une cohésion dans le groupe (premier extrait) et rassurent, valorisent l’expertise des candidats (deuxième extrait).

Donc mon premier séminaire je passe beaucoup de temps à m’assurer que ce groupe se tient. Moi je dois sentir avec qui je travaille mais eux aussi et très vite ils savent qu’untel fait ça et ils ont le plaisir de se retrouver, ils sont souvent très présents, ils savent qu’il manque Caroline, David et je ne sais qui et sont attentifs aux autres.

Profil 8

Je revois souvent le même texte et au début mon premier enjeu, c’est encourager […] la personne, elle est souvent stressée de voir ce que je vais en dire, donc mon objectif c’est sécuriser, pas de dire, c’est sublime t’as bientôt fini, il y a 15 lignes, mais de parler de ces 15 lignes-là en voyant tout ce que je peux en dire.

Profil 8

Ensuite, tous se rejoignent pour amener rapidement les candidats à produire de l’écrit et à se dégager des représentations négatives qu’ils peuvent avoir d’un écrit académique. Ils proposent des textes écrits de référence pour montrer l’éventail des possibles, rassurer et ne pas réduire ces écrits à des documents formatés qui laissent peu de place à la créativité ou à l’appropriation personnelle.

Je pense que dans un 1er temps c’est réaliser qu’il y a plusieurs registres de l’écriture. Dans un 2e temps c’est se défaire de la représentation qu’on a de ce que doit être l’écriture universitaire.

Profil 1

Enfin, comme autre point de similitude, nous avons repéré que tous les accompagnateurs donnent des tâches, pour permettre aux candidats d’écrire en plusieurs fois et d’avoir un retour «petit à petit» sur leurs versions. Parallèlement, ils encouragent l’envoi par courriel de premiers jets qu’ils peuvent lire et commenter. Les candidats ont alors l’occasion de retravailler leur texte.

Et là, c’est une mise à disposition pour ceux qui veulent, parce que ce n’est pas du tout obligatoire, alors je leur renvoie toutes mes réactions par rapport à ce qu’ils m’ont envoyé eux comme propositions d’écrits.

Profil 10

Sur le plan des logiques d’accompagnement, on observe à la fois les logiques normative, dialogique et spéculative.

Tous les énoncés de type injonctif renvoient à la logique normative. On la retrouve lorsque les accompagnateurs font référence aux prescrits, aux attendus du produit fini.

Se dire qu’il y a peut-être une écriture et des codes, des conventions et en même temps on doit rester compréhensible. Cela doit rester lisible. Et ça doit rester quelque chose qui parle de ce que vous voulez dire et non pas un truc à côté. Éviter le jargon.

Profil 1

Ce que je fais avec lui, c’est je reprends la grille: quand on vous dit ça, vous devez changer ça et ça.

Profil 3

La logique dialogique apparaît quand l’accompagnateur cherche à comprendre ce qui lui est donné à lire. Le questionnement sert alors à clarifier.

Qu’est-ce que tu veux dire, quelles sont tes intentions ?

Profil 4

Et là, je dois poser des questions: oui, mais ça ne me dit pas grand-chose quand tu dis je parle. Que fais-tu? Et les étudiants, que font-ils?

Profil 5

La logique spéculative est mobilisée lorsque l’accompagnateur cherche à comprendre les motivations de la personne qu’il accompagne. Son questionnement vise une meilleure connaissance de la personne dans ses envies, ses choix, ses motivations.

[…] il y a des choses peut-être qui me heurtent parfois, ou tiens que je ne comprends pas ou j’estime qu’elles n’ont pas à être dans cet écrit là mais je sens quand même que c’est une envie pour toi (ou vous) de mettre dans ce travail, car ça parle d’une expérience.

Profil 1

4.3.2 Des pratiques divergentes dans l'accompagnement des candidats

Au-delà des pratiques communes, nous avons observé des colorations particulières en termes de logique d’accompagnement dominante (Leclercq et Oudart, 2011), tant sur le plan de l’animation du groupe que dans les échanges individuels.

a) L’accompagnement du groupe pendant le séminaire

Par rapport aux logiques d’accompagnement, le discours des accompagnateurs semble selon les moments (ou les cas) imprégné par l’une ou l’autre des trois logiques (normative, dialogique ou spéculative). Dans une logique normative, un accompagnateur rappelle les prescrits ou donne des conseils, notamment quant à la lisibilité du produit fini pour un lecteur étranger au dispositif. Ces traces normatives passent souvent par des énoncés performatifs directs (utilisation de l’impératif) ou indirects (utilisation de modes autres, soit le présent dans les tournures de type «il faut que», soit le conditionnel):

[…] le portfolio si vous avez 21 pages cela passera peut-être mais à la commission cela ne passera pas.

Profil 1

Partez de là.

La description, il faut bien l’envisager en fonction de cela.

Explicitez ce que vous mettez en place.

Profil 7

Il faut bien distinguer les phases de description et d’analyse.

Profil 8

Dans une optique dialogique, les accompagnateurs cherchent à comprendre ou à faire émerger un complément d’information pour clarifier ce qui est dit ou qui reste implicite.

Tu peux expliquer jusqu’où ça t’a posé problème?

Profil 7

L’écriture, qu’est-ce que cela évoque pour vous?

Profil 6

Dans une perspective spéculative, un accompagnateur utilise une formulation qui ouvre le champ des possibles et des libertés:

Je vous invite à trouver un autre langage.

C’est une trame, si vous voulez en sortir, vous pouvez.

Profil 1

ou encore:

C’est pour vous inviter à parler autrement de votre parcours et on peut s’écarter des présentations classiques. On peut faire preuve d’originalité.

Profil 1
b) L’accompagnement individuel en entretien

Lors de l’accompagnement individuel, les stratégies énonciatives peuvent connaître des variations par rapport à ce qui apparaît lorsque l’accompagnateur est en groupe. Ainsi, le profil 1, qui adopte en collectif une énonciation principalement ancrée dans une logique spéculative, oscille en individuel entre les trois logiques de manière équilibrée. On retrouve dans son entretien un mélange de libertés données (c’est à toi de voir, tu peux…), de rappels des attendus (tu ne mets pas de références infrapaginales, tout se met en biblio) et de réflexions, de conseils (tu peux schématiser, avec les mots-clés, et tu n’as pas besoin de réexpliquer. Cela te semble possible?). Par contre, son entretien laisse peu de place à l’expression verbale du candidat (environ 6 à 7 minutes sur les 36 de l’entretien), ce qui n’est pas le cas du profil 7, qui a le souci d’installer un travail d’équipe avec le candidat. Tout l’entretien repose sur une conversation de type dialogique où chacun s’exprime autant que l’autre, intervient, rebondit sur ce qui est amené dans la conversation.

Enfin, alors que le profil 1 apparaissait comme présentant la logique d’accompagnement la plus spéculative lors des entretiens semi-directifs, c’est le profil 6 qui en témoigne davantage lors de l’entretien individuel. En effet, il sonde les attentes, les motivations du candidat avant d’entrer dans le travail proprement dit. Ainsi, quelles sont un peu tes attentes pour le travail que tu m’apportes? Et donc tes attentes, c’est de savoir quoi? Et la formation apporte des réponses aux questions que tu te poses là? La logique dialogique apparaît également à de nombreuses reprises: je n’ai pas très bien compris ce que tu voulais dire (Profil 6).

Le profil 8 se caractérise principalement par un recours à la logique normative, marquée dans ses commentaires écrits, d’abord, par la quantité de commentaires réalisés (146 commentaires pour 20 pages de textes) et par la focalisation sur la syntaxe, les normes et le vocabulaire (110 commentaires en tout). Les autres commentaires sont plus dialogiques, sous la forme d’un questionnement, de remarques pour susciter le débat par rapport à ce qui est écrit.

c) Ce qui détermine la logique dominante d'accompagnement

La logique d’accompagnement dominante est en lien avec le rapport à l’écrit de l’accompagnateur.

Ainsi, la dimension conceptuelle se traduit par le lien systématique qui est fait avec la lecture. Pour écrire, il faut lire et donc les accompagnateurs mettent systématiquement des livres à la disposition des collègues. Des portefeuilles de lecture sont distribués pour favoriser l’inspiration. L'enseignant peut également cibler des lectures qu’il juge plus pertinentes (profils 1 et 6). La dimension conceptuelle se devine également dans les représentations qui sont données d’un écrit de qualité ou encore dans les conceptions de l’écriture.

Donc techniquement, formellement, il faut que ce soit lisible aussi.

Profil 1

Donc l’écriture comme fixation des idées, comme correspondance mais aussi peut-être, […], le fait d’écrire et de réécrire […] Et moi, je crois très très fort à ça. Avec mes étudiants, j’essaie de dire qu’un rapport n’est jamais figé […] parce qu’on est en formation et qu’en formation, on a le droit de faire progresser.

Profil 6

La dimension affective, quant à elle, transparaît dans les propos et les comportements: les commentaires faits pendant le séminaire tournent principalement autour de l’écriture ou de la lecture. Le profil 1 apporte des livres uniquement en lien avec la créativité tandis que la première manifestation du rapport à l’écrit du profil 6 se traduit par un changement de physionomie lorsqu’il propose une consigne d’écriture à ses candidats: le visage s’ouvre, il se penche vers les candidats, fait preuve d’une écoute active, il reformule et rebondit sur les propos formulés. Il participe lui-même aux exercices d’écriture qu’il propose.

J’adore entendre des métaphores, je vais me faire plaisir.

Profil 1

C’est marrant, quand on parle de son rapport à l’écriture, on parle de la lecture. C’est curieux. […]. Peut-être que pour nourrir son écriture, la lecture joue un rôle primordial.

Profil 6

5. Discussion et conclusion

En réalisant cette analyse, une double intention nous guidait: d’une part, nous voulions donner à voir les représentations que les accompagnateurs d’un séminaire d’intégration dans le cadre du CAPAES se faisaient de leur fonction d’accompagnateur à l’écriture, et, d’autre part, nous souhaitions décrire et analyser le discours sur l’accompagnement de l’écrit, à partir de différentes pratiques singulières.

Les rencontres avec les accompagnateurs d’un séminaire d’intégration et les analyses plus fines de quatre profils nous ont permis de mettre en évidence leurs représentations et les pratiques mises en place pour accompagner les candidats. Si nous remarquons la présence d’une trame commune, sorte de cadre dans lequel vient s’intégrer chaque accompagnateur, chacun a ses spécificités quant à l’accompagnement de l’écrit(ure).

5.1 Une trame de base commune pour les accompagnateurs rencontrés

Les entretiens menés ont mis en évidence la présence de conceptions communes de l’accompagnement, tant sur le plan des qualités, des outils ou des compétences et savoirs nécessaires pour le mener à bien que sur celui du rôle joué par le groupe et les interactions dans la construction du produit fini. En termes de qualités, les accompagnateurs s’accordent sur l’importance de l’écoute et de l’empathie, la nécessité d’une connaissance théorique sur le sujet. Ainsi, les stratégies utilisées pour accompagner l’écriture sont globalement les mêmes pour chaque enseignant: le questionnement, l’utilisation de consignes visant à faire produire les candidats le plus rapidement possible, le souci accordé au relationnel et au fait de préserver autrui ou encore les jeux de langage (métaphore, traduction du texte dans des tableaux ou des schémas, etc.). Ces pratiques communes sont liées aux partages réalisés lors des différentes réunions et au travail du coordinateur des accompagnateurs, qui cherche à s’assurer que tous les candidats bénéficient d’un accompagnement équitable.

Pour les compétences nécessaires à l’accompagnement, tous soulignent le fait qu’il faut avant tout aimer cela. D’ailleurs, chacun des accompagnateurs rencontrés possède un passé qui témoigne de cet intérêt pour la question, que ce soit au travers de sa formation ou de son expérience professionnelle.

Les représentations des accompagnateurs se rejoignent aussi sur certains points:

  • l’oral est perçu comme un outil précieux pour l’éclosion de la réflexivité et pour la construction d’un travail approfondi, basé sur les échanges organisés en petits groupes;

  • le temps, qui met des limites à la qualité de l’accompagnement offert, surtout vis-à-vis du groupe, est précieux et il mérite qu’on le rentabilise;

  • la mise à l’écrit est parfois difficile car elle fait resurgir des émotions lourdes liées au vécu scolaire ou familial, qui se surmontent à travers la verbalisation (dimension métascripturale) et surtout à travers la réussite d’un dossier universitaire;

  • la mise en place d’un accompagnement de qualité passe par la disponibilité, l’écoute, l’empathie, l’humour et la déstabilisation en sécurité;

  • l’entretien individuel est primordial.

5.2 Des colorations plus personnelles dans certains domaines

À côté de ce socle commun, il existe des différences dans l’accompagnement. En effet, il apparaît que chaque accompagnateur colore très nettement son accompagnement en fonction de ses attentes à l’égard de l’accompagné (s’agit-il simplement de l’aider à réussir ou bien de le faire entrer dans une démarche réflexive plus profonde et personnelle?), de son rapport personnel à l’écrit; et aussi des représentations qu’il a du rôle des interactions verbales et du groupe (occasion de «détente» ou de coconstruction véritable). Nous pensons que cette coloration est la plupart du temps relativement inconsciente de la part de l’accompagnateur, qui n’est pas toujours convaincu lui-même qu’il a un rapport à l’écrit positif.

5.3 Des liens, des influences possibles

Leclercq et Oudart (2011) distinguent trois logiques d’accompagnement qu’ils estiment liées aux savoirs et aux représentations de l’accompagnateur. Notre recherche a mis en évidence d’autres influences possibles que celles identifiées par ces auteurs: outre les savoirs et les convictions personnelles de l’accompagnateur, les enjeux de l’accompagnement tels qu’ils sont perçus semblent jouer un rôle dans le choix de la posture adoptée à un moment donné. En fonction de ces enjeux, le cadre d’accompagnement posé, le support de communication et la posture privilégiés peuvent varier, comme le montre le tableau 2.

Tableau 2

Facteurs d’influence en fonction des logiques

Facteurs d’influence en fonction des logiques

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Si l’attente de l’accompagnateur est clairement ancrée dans la volonté de voir les candidats réussir leur portfolio certificatif, nous pouvons penser que la logique normative sera davantage mobilisée pour garantir la production d’un produit correspondant aux critères d’évaluation et ne mettant pas en danger le candidat. Le cadre posé par l’accompagnateur sera rassurant pour construire une relation positive, tout en étant garant des balises du prescrit. En tant qu’expert, les liens avec les auteurs à convoquer sont clairs et les lacunes du texte sont facilement identifiées. En ce sens, les conseils sont nombreux pour remédier aux lacunes constatées.

Si l’accompagnateur vise – au-delà de l’aspect certificatif – à soutenir le développement d’une pensée réflexive chez l’accompagné, il s’inscrit plus dans une logique dialogique avec une posture de coach. Cela nécessite d’investir davantage dans l’oral, précisément parce que le but est de comprendre l’autre, de l’amener à expliquer ce qu’il veut dire, voire de susciter une réflexion approfondie par la verbalisation de ses propres idées. Ces dialogues trouvent naturellement leur place dans les entretiens individuels, lieux où le particulier peut se déployer.

Si l’accompagnateur considère que l’écrit peut amener à se montrer créatif, dans une logique spéculative, il est fort probable qu’il va projeter cette représentation sur le groupe ou l’individu et lui offrir la possibilité d’aller vers autre chose. Cette logique, moins fréquente dans nos résultats, semble être le fruit d’une certaine représentation du groupe d’accompagnés. Celui-ci serait perçu comme porteur d’attentes spécifiquement liées à l’ouverture, à la créativité et à la possibilité de se dégager d’un carcan de règles trop strictes, de la pression certificative notamment. Nous pensons que cette perception peut très fortement être en lien avec le rapport à l’écrit de l’accompagnateur.

Retenons que ces modèles correspondent à un contexte et à un moment précis de l’accompagnement. Ils ne reflètent donc pas l’alternance qui s’opère par le formateur qui jongle en permanence avec ce qu’il perçoit du groupe ou de l’individu, des besoins identifiés ou de ses priorités. L’accompagnateur tient compte des profils qu’il apprend à connaître: tel candidat demandera une attitude plus normative pour avancer dans son travail tandis qu’un autre sera davantage motivé par une logique dialogique ou spéculative. Dès lors, les postures adoptées fluctuent sur l’axe de la directivité (Chauvet, 2002) et oscillent entre la volonté de se mettre en retrait pour laisser au candidat le plus de place possible et le besoin de guider le candidat, dans une dynamique d’expertise, vers un produit final qui garantisse la réussite. Néanmoins, les freins liés à l’accompagnement interviennent très certainement dans le choix d’une posture: si les accompagnateurs disposaient de plus de temps pour accompagner les candidats dans la réalisation de leur portfolio, ils pourraient valoriser davantage la logique dialogique, voire spéculative. Cette pression, jumelée avec la pression certificative, renforce, à notre sens, le choix d’une logique normative en de nombreuses situations.

Deux limites sont à souligner dans ce travail. Premièrement, le fait de réaliser cette recherche peut avoir modifié les habitudes des accompagnateurs participant à celle-ci et singulièrement celles des auteurs de cet article. Deuxièmement, il nous semble qu’il aurait été intéressant d’enregistrer des entretiens de supervision menés avec d’autres candidats. Cette information aurait été précieuse pour mesurer le degré d’adaptation de l’accompagnement en lien avec le profil de chaque candidat. Les données relatives à l’observation des séances de séminaires d’intégration, qui n’ont pas été présentées dans cet article, permettront de dégager l’écart entre le discours des accompagnateurs et les pratiques réelles mises en oeuvre.

Sur le plan des perspectives, il nous semble que cette étude amène d’autres questions encore: les facteurs d’influence dans le choix d’une logique peuvent-ils être confirmés? La posture d’accompagnement s’adapte-t-elle bien aux différents candidats? Qu’est-ce qui est décisif dans un accompagnement (trans)formateur: une posture appropriée, la conscience de son rapport à l’écrit, les techniques utilisées, etc.? Comment «former» ces accompagnateurs, dans quel cadre et selon quelles valeurs? Situées entre la théorie et la pratique, ces interrogations nous paraissent porteuses de sens dans une optique d’accompagnement de l’écriture dans le cadre bien particulier d’un portfolio certificatif à l’Université.