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1. Introduction[1]

Le développement langagier à l’âge préscolaire (3 à 6 ans) compte parmi les prédicteurs les plus importants de la réussite éducative ultérieure[2] (Davies, Janus, Duku et Gaskin, 2016; Romano, Babchishin, Pagani et Kohen, 2010). En effet, l’étendue du vocabulaire, la connaissance des lettres et les habiletés en conscience phonologique sont associées aux compétences ultérieures en lecture et donc, à la réussite éducative (Duncan, Dowsett, Claessens, Magnuson, Huston, Klebanov, … Brooks-Gunn, 2007). Certains recommandent ainsi de mettre en place, dès l’éducation préscolaire, un enseignement explicite et une évaluation systématique (dépistage) des habiletés de décodage et des habiletés en conscience phonologique des enfants (Bara, Gentaz et Colé, 2008; Desrochers, Laplante et Brodeur, 2016). Ces recommandations s’inscrivent dans une approche dite «scolarisante» et s’appuient sur l’idée «qu’un entraînement spécifique approprié, suivi précocement par les enfants à risque au préscolaire, pourrait leur permettre de rattraper leur retard» dans l’acquisition des habiletés de décodage (Bara et al., 2008, p. 38).

Il s’avère que les performances en lecture, en écriture et en mathématiques en troisième année du primaire sont significativement associées aux habiletés en communication, à la santé physique et au bien-être, aux habiletés sociales et à la maturité affective (Davies et al., 2016). Les interventions à l’éducation préscolaire visant à favoriser la réussite éducative ne devraient donc pas uniquement se concentrer sur les habiletés dites scolaires (Davies et al., 2016; Romano et al., 2010), mais devraient plutôt «répondre aux besoins sociaux, émotionnels et physiques des enfants» (Diamond, 2010, p. 780). Cette idée s’inscrit dans l’approche dite «développementale» et repose sur la compréhension que les différents domaines du développement global (domaines langagier, cognitif, sensorimoteur et socioémotionnel) sont interreliés (Bouchard, 2019). Il est ainsi justifié de prioriser des interventions favorisant le développement global et non des interventions qui ciblent uniquement le domaine langagier.

1.1 Soutien du domaine langagier dans une approche développementale

D’abord, précisons que le langage oral et l’émergence de l’écrit font partie du domaine langagier (Bouchard, 2019). Dans l’approche développementale, il est considéré que les enfants s’intéressent tôt dans leur vie au langage écrit présent dans leur environnement et que cet intérêt est favorisé par les interactions sociales avec des adultes autour de ces écrits (Giasson, 2003). Le concept d’«émergence de l’écrit» désigne ce processus d’apprentissage du langage écrit en développement (Goodman, 1986). L’approche développementale préconise par ailleurs le recours aux stratégies naturelles d’apprentissage du jeune enfant, soit le jeu, l’exploration et la découverte (Bernier, Boudreau et Mélançon, 2017). Il importe ainsi de lui offrir des occasions de voir comment les écrits sont utilisés dans différents contextes, de lui faire découvrir le sens des symboles écrits et de l’encourager à s’engager dans des jeux symboliques (Otto, 2019).

Plusieurs auteurs soutiennent que le jeu symbolique (jeu de rôles, de faire semblant) est un contexte particulièrement favorable à l’émergence de l’écrit des jeunes enfants puisqu’il leur offre des occasions naturelles de mettre en pratique et de consolider leurs conceptions et leurs habiletés liées au langage écrit (Marinova, 2015; Pyle, Prioletta et Poliszczuk, 2018). En effet, ce jeu offre de multiples occasions aux enfants d’interagir avec le matériel écrit et avec leurs pairs, et révèle leurs connaissances et habiletés liées au langage oral et écrit (Dumais et Plessis-Bélair, 2017; Stone et Stone, 2015). De plus, le jeu symbolique permet à l’enseignant∙e de soutenir l’émergence de l’écrit dans une approche développementale, c’est-à-dire sans enseignement explicite et décontextualisé (Marinova, 2015; Pyle et al., 2018).

1.2 Les pratiques à la maternelle au Québec concernant le soutien de l’émergence de l’écrit

Des recherches québécoises récentes révèlent toutefois que les enseignant∙e∙s à la maternelle 5 ans interviennent peu dans le jeu symbolique pour soutenir l’émergence de l’écrit (Bouchard, Bergeron-Morin, Parent, Charron et Julien, 2020) et qu’elles et ils auraient tendance à utiliser des pratiques scolarisantes lorsqu’il s’agit de soutenir l’apprentissage du langage écrit (Lachapelle et Charron, 2020; Marinova, Dumais, Moldoveanu, Dubé et Drainville, 2020). Il semblerait également que le recours au jeu symbolique pour soutenir le domaine langagier crée un malaise chez certain∙e∙s enseignant∙e∙s (Dumais et Plessis-Bélair, 2017; Marinova, Dumais et Leclaire, 2020). Plusieurs concluent ainsi à la nécessité d’accompagner ou de former les enseignant∙e∙s à la maternelle pour les aider à soutenir l’émergence de l’écrit par le jeu (Bouchard et al., 2020; Dumais et Soucy, 2020; Lachapelle et Charron, 2020). Pour ce faire, il faut d’abord comprendre la situation actuelle vécue par les enseignant∙e∙s.

1.3 La situation actuelle de la maternelle 4 ans récemment implantée au Québec

Dans le contexte québécois actuel, des classes de maternelle accueillant les enfants de 4 ans dans un régime à temps plein ont été implantées en 2013 et se déploient progressivement depuis l’automne 2020[3]. Selon Japel (2017), la qualité de l’environnement éducatif de ces classes est généralement faible et présente des lacunes concernant, entre autres, la stimulation du langage. De leur côté, April, Lanaris et Bigras (2018) concluent que cinq ans après l’implantation de la maternelle 4 ans, «les enseignantes ont toujours besoin de soutien» (p. 39).

Une seule des études recensées s’est penchée sur les pratiques visant le soutien de l’émergence de l’écrit des enseignantes à la maternelle 4 et 5 ans au Québec (Lachapelle, 2020). Celle-ci révèle que plusieurs participantes ont recours à un matériel commercial pour soutenir l’apprentissage des lettres et accordent davantage d’importance au langage oral et à la lecture qu’aux tentatives d’écriture des enfants (Lachapelle, 2020). Concernant le potentiel pédagogique du jeu symbolique, les enseignantes ont déclaré utiliser le jeu dans leur classe puisque celui-ci est lié au plaisir d’apprendre. Cependant, cette recherche offre peu d’informations quant aux pratiques de soutien de l’émergence de l’écrit situées dans le jeu symbolique. De plus, l’auteure souligne l’importance d’étudier les pratiques de soutien de l’émergence de l’écrit auprès d’un plus grand échantillon (cette étude compte six participantes, dont une seule à la maternelle 4 ans) (Lachapelle, 2020). À l’issue de cette recension des écrits, force est de constater que peu de données sont actuellement disponibles concernant les pratiques et les besoins des enseignant∙e∙s à la maternelle 4 ans au Québec au sujet du soutien de l’émergence de l’écrit, plus particulièrement au moyen du jeu symbolique.

2. Cadre conceptuel

Cette section décrit les concepts étudiés, soit les pratiques et les besoins des enseignant∙e∙s, l’émergence de l’écrit ainsi que le jeu symbolique. Les modèles utilisés pour réaliser l’analyse des données sont également présentés.

2.1 Pratiques

La pratique de l’enseignant∙e est définie par Altet (2003) comme «une activité professionnelle située, orientée par les fins, les buts et les normes d’un groupe professionnel. C’est une pratique sociale qui se traduit par la mise en oeuvre des actes à la fois contraints et choisis d’une personne» (p. 37). La pratique englobe ainsi non seulement ce que fait l’enseignant∙e en classe (p. ex., les pratiques d’enseignement-apprentissage), mais aussi ce qu’elle et il fait en dehors de la classe (p. ex., les pratiques de travail en équipe pédagogique) (Altet, 2003). Cette pratique est déterminée «par des procédés, des conduites propres à une personne ou à un groupe professionnel marqué par une culture, une idéologie, des techniques» (Vinatier et Pastré, 2007, p. 97). Elle comprend ainsi d’un côté les interactions en classe – les gestes, les conduites et les langages – et de l’autre côté, les fondements qui sous-tendent ces interactions – les règles, les objectifs, les stratégies et les idéologies (Beillerot, 1998).

Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéressons plus particulièrement aux pratiques d’un groupe de professionnel∙le∙s, les enseignant∙e∙s à la maternelle 4 ans, plutôt qu’à leurs pratiques singulières. Pour ce faire, nous avons collecté des données produites par les enseignant∙e∙s dans leur pratique hors du temps de classe, soit lors d’«un travail d’échange avec leurs collègues ou des partenaires de la communauté éducative, de recherche, d’analyse a posteriori de l’action» (Piot, 2005, p. 24). Nous avons ainsi cherché à découvrir quelles pratiques les enseignant∙e∙s déclarent utiliser en classe pour soutenir l’émergence de l’écrit et comment le jeu symbolique est mis en oeuvre dans leurs pratiques. Nous avons également cherché à dégager la composante collective de la pratique, soit la «culture professionnelle collective qui colore la pratique singulière de chaque professionnel» (Vinatier et Pastré, 2007, p. 96).

2.2 Besoins

Dans le cadre de cette recherche, nous nous intéressons aux besoins ressentis par les enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans qui «constituent l’écart entre les compétences qu’un professionnel se reconnaît et celles qu’il souhaite détenir» (Labesse, 2008, p. 7). Ces besoins émergent du cadre de référence de chaque enseignant∙e (ses connaissances, ses expériences et sa compréhension des circonstances) (Labesse, 2008). Comme un individu ne peut pas ressentir un besoin dont il ignore la nécessité (Lawton, 1999), nous nous intéressons également aux besoins démontrés. Ce type de besoins correspond à l’écart constaté entre «les compétences d’un professionnel et celles qui sont recommandées» (Labesse, 2008, p. 7). C’est par l’analyse des propos des enseignant∙e∙s que nous révèlerons ce type de besoin en prenant appui sur les modèles présentés dans les paragraphes suivants.

2.3 Émergence de l’écrit

Le concept d’émergence de l’écrit repose sur le constat que les enfants construisent leurs connaissances sur le langage écrit dès la naissance, et ce, grâce aux interactions sociales autour de l’écrit qu’ils vivent dans leur quotidien (Giasson, 2003). Ce concept est défini comme l’ensemble des connaissances, des habiletés et des attitudes au regard du langage écrit que réalise l’enfant sans recevoir un enseignement formel de la lecture et de l’écriture (Giasson, 2003). L’émergence de l’écrit inclut trois composantes qui sont interreliées: 1) le langage oral qui comprend la compréhension et l’utilisation du vocabulaire, les connaissances générales de l’enfant, la sémantique et la communication (émettre et recevoir un message); 2) la conscience de l’écrit qui comprend la connaissance de l’alphabet et la connaissance du concept de langage écrit (fonctions et conventions); 3) la conscience phonologique qui comprend entre autres les habiletés à reconnaître ou faire des rimes, ainsi qu’à segmenter ou fusionner les sons (Rohde, 2015). Ces trois composantes, représentées dans la figure 1, se construisent par ailleurs en fonction d’un contexte socioculturel englobant la culture, la communauté et les expériences personnelles de l’apprenant (Rohde, 2015).

2.4 Jeu symbolique

Le jeu symbolique est une activité qui se caractérise par la création d’une situation imaginaire par l’enfant, dans laquelle il substitut des objets et interprète un rôle en réalisant des actes et des interactions sociales propres à son personnage (Vygotsky, 1933/1966). Pour étudier l’exploitation du potentiel pédagogique du jeu symbolique, nous prenons appui sur le modèle de Maynes, Cantalini-Williams et Guibert (2016) illustré à la figure 2, puisqu’il permet la catégorisation du jeu symbolique en fonction de la posture adoptée par l’enseignant∙e et qu’il propose un cadre théorique et pratique pour soutenir l’utilisation du jeu en contexte éducatif. Ce modèle intègre les postures (rôles) proposées par Fleer (2015): observateur, metteur en scène, cojoueur et leader du jeu. Nous y avons ajouté deux autres rôles issus de Lemay, Bouchard et Landry (2019): non-engagé et directeur du jeu.

Figure 1

Modèle de l’émergence de l’écrit, traduit de Rohde, 2015, p. 8

Modèle de l’émergence de l’écrit, traduit de Rohde, 2015, p. 8

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Figure 2

Modèle du jeu en contexte de classe, traduit et adapté de Maynes et al. (2016, p. 10)

Modèle du jeu en contexte de classe, traduit et adapté de Maynes et al. (2016, p. 10)

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Dans ce modèle, en fonction des pratiques de l’enseignant∙e, le jeu symbolique peut prendre trois formes: 1) le jeu libre non structuré, 2) le jeu libre intégrant des apprentissages intentionnels et 3) le jeu stratégique avec un objectif ciblé. D’abord, dans le jeu libre non structuré, les enfants choisissent à quoi, comment, où, avec qui et avec quoi ils jouent. Les enseignant∙e∙s n’interfèrent pas directement dans le jeu en dehors de la surveillance liée à la sécurité des enfants (posture non engagée) et de l’observation informelle (posture d’observateur). Des pratiques indirectes sont mises en place: fournir du temps et des espaces de jeu, proposer du matériel de jeu thématique ou polyfonctionnel, enrichir les aires de jeu par des écrits et du matériel d’écriture (posture de metteur en scène).

Ensuite, dans le jeu libre intégrant des apprentissages intentionnels, les enfants font les mêmes choix que dans le jeu libre non structuré. La différence se situe au niveau des pratiques de l’enseignant∙e. En tant qu’observateur, ses interventions visent la documentation pédagogique du développement de l’enfant. En tant que metteur en scène, l’enseignant∙e pose des questions aux enfants et commente leur jeu dans le but d’enrichir le scénario du jeu. En tant que cojoueur, sa pratique consiste à prendre un rôle identique ou complémentaire à celui des joueurs pour apporter de nouveaux apprentissages dans le jeu.

Enfin, le jeu stratégique avec un objectif ciblé est une activité ludique planifiée par l’enseignant∙e. Sa principale pratique consiste à jouer un rôle pour faire le modelage d’une tâche ciblant un apprentissage. Par exemple, en tant que leader du jeu, elle pourrait jouer un vétérinaire pour montrer comment remplir un carnet de santé dans le jeu de la clinique vétérinaire et expliciter quelles informations y indiquer. En tant que directeur du jeu, une posture dans laquelle l’enseignant∙e ne joue pas un rôle, l’enseignant∙e montrerait aux enfants comment jouer à la clinique vétérinaire en dehors du jeu symbolique (les enfants suivront ensuite les règles et le scénario établis par l’enseignant∙e). Cette posture est toutefois à éviter puisqu’elle peut interférer dans le jeu des enfants au point de les amener à changer d’activité (Lemay et al., 2019). Le jeu stratégique avec objectif ciblé comprend également les jeux dirigés par l’enseignant∙e qui ne sont pas des jeux symboliques.

2.5 Questions de recherche

Cette recherche se penche ainsi sur les questions suivantes: 1) Quelles pratiques sont partagées au sein d’une communauté virtuelle d’enseignant∙e∙s à la maternelle 4 ans concernant le soutien de l’émergence de l’écrit et l’exploitation du potentiel pédagogique du jeu symbolique? 2) Quels besoins sont ressentis par des enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans et démontrés par leurs échanges concernant le soutien de l’émergence de l’écrit et l’exploitation du potentiel pédagogique du jeu symbolique?

3. Méthodologie

Pour répondre à ces questions, nous nous sommes intéressés aux propos partagés par des enseignant∙e∙s à la maternelle 4 ans au sein d’une communauté virtuelle puisque les espaces virtuels permettent aux enseignant∙e∙s d’engager des discussions avec des collègues qui partagent des préoccupations communes, et ce, sans limites géographiques (Stitzlein et Quinn, 2012). En effet, les enseignant∙e∙s prennent part à ces communautés virtuelles afin de partager leurs connaissances (pratiques et théoriques), leurs opinions et leurs émotions, mais également parce qu’elles et ils recherchent de nouvelles idées de pratiques (Hew et Hara, 2007; Lynch, 2015). Les propos échangés à l’écrit en mode asynchrone entre les enseignant∙e∙s d’une communauté virtuelle nous permettent donc d’explorer leurs pratiques ainsi que leurs besoins ressentis et démontrés.

Nous avons ainsi réalisé une étude exploratoire netnographique. La netnographie est une méthode de recherche qualitative qui utilise les données issues d’Internet, plus particulièrement celles produites par des communautés virtuelles, et qui analyse les actes communicationnels (Bernard, 2004; Sayarh, 2013). Elle permet notamment d’identifier et de comprendre les besoins et les influences décisionnelles des groupes sociaux (Kozinets, 2002; Sayarh, 2013). De plus, la netnographie est naturelle et peu intrusive puisque les données ne sont pas produites pour les besoins de l’étude (Bernard, 2004). Par ailleurs, elle permet de rejoindre un grand nombre de participants sans barrières spatiales ou temporelles (Bernard, 2004). Notre étude comporte cinq étapes (Kozinets, 2002; Sayarh, 2013): 1) entrée dans la communauté virtuelle; 2) collecte des données; 3) analyse des données; 4) validation par les membres; 5) éthique de la démarche.

3.1 Entrée dans la communauté virtuelle

Cette première étape consiste à sélectionner une ou plusieurs communauté(s) virtuelle(s) permettant de répondre aux questions de recherche (Bernard, 2004), ayant un flux d’informations régulier et comptant plusieurs membres actifs (Sayarh, 2013). Nous avons sélectionné une communauté virtuelle à laquelle nous participons[4] depuis quelques années. Cette posture participante, nécessaire à la netnographie, a permis d’évaluer la pertinence de ce groupe au regard de nos questions de recherche et de faire en sorte que nous étions déjà familiers avec «le langage, les usages, les orientations et les normes» de la communauté étudiée (Bernard, 2004, p. 9). Nous avons ainsi sélectionné un groupe privé ayant pour vocation de permettre aux enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans du Québec[5] d’échanger au sujet de leur classe. Dans un message publié sur le groupe, la chercheuse principale a dévoilé sa présence en tant que chercheuse universitaire utilisant les données du groupe pour sa recherche doctorale et a informé les membres des mesures établies pour protéger la confidentialité des données collectées.

3.2 Collecte des données

La deuxième étape a consisté à collecter des messages écrits publiés par les membres au sein de la communauté virtuelle (publications: questions adressées aux collègues ou partage d’informations, de photos ou de ressources; échanges: réponses ou commentaires qui suivent une publication). Pour ce faire, nous avons suivi les quatre étapes de l’analyse de contenu (Dany, 2016): 1) la sélection du corpus, 2) la préanalyse, 3) l’exploitation du matériel, 4) la synthèse des résultats. Pour sélectionner le corpus, nous avons procédé en octobre 2020 à une recherche de données textuelles au sein des publications antérieures des membres (septembre 2013[6] à octobre 2020). Le tableau 1 présente les concepts sur lesquels portaient notre recherche textuelle et les mots-clés qui ont été utilisés. Comme les échanges au sein de la communauté virtuelle sont en français, aucune autre langue n’a été utilisée.

Tableau 1

Stratégie de recherche de données textuelles

Stratégie de recherche de données textuelles

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La préanalyse a consisté à survoler les échanges repérés grâce à la recherche par mots-clés afin de retenir les propos en lien avec notre objet de recherche. Les échanges publiés d’avril à octobre 2020 portant sur le retour en classe en contexte de pandémie ou sur l’enseignement à distance n’ont pas été retenus puisqu’ils concernent un contexte particulier différent de celui étudié. Nous avons ainsi retenu 61 publications. Un total de 259 membres du groupe a été dénombré dans les différents échanges du corpus (certains membres ont participé à un seul de ces échanges alors que d’autres ont participé à plus d’un; chaque membre n’a été compté qu’une fois).

3.3 Analyse des données

À l’étape de l’exploitation du matériel, nous avons eu recours au logiciel NVivo12 pour réaliser le codage des éléments pertinents (Dany, 2016). Pour ce faire, nous avons utilisé les concepts de «pratiques» et de «besoins» en tant que thèmes et les concepts d’«émergence de l’écrit» et de «jeu symbolique» comme sous-thèmes. Le modèle de Rohde (2015) a permis de découvrir quelles sont les composantes de l’émergence de l’écrit abordées, tandis que celui de Maynes et al. (2016) a permis d’identifier les formes de jeu utilisées et les postures prises par les enseignant∙e∙s. Puis, nous avons rédigé la synthèse des résultats.

3.4 Validation par les membres

Pour assurer la crédibilité et la fiabilité des résultats, nous avons procédé à un contrôle par les membres (Kozinets, 2002) qui «consiste à solliciter les commentaires des informateurs sur l’ensemble ou une partie des résultats de la recherche» (Bernard, 2004, p. 18). Comme recommandé par Bernard (2004), la synthèse a été publiée au sein de la communauté virtuelle. Les membres ont été invités à y réagir en publiant un commentaire ou en nous envoyant un message privé afin de vérifier si nos conclusions concordaient avec leur vécu. Un total de dix enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans au Québec ont commenté par message privé la synthèse des résultats. Les rétroactions reçues ont confirmé que les résultats dégagés reflètent bien les pratiques et les besoins des enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans au Québec. Bien que des participant∙e∙s n’adoptent pas certaines pratiques présentées dans la synthèse, elles et ils confirment néanmoins que celles-ci concordent avec ce qu’elles et ils voient chez leurs collègues de la maternelle 4 ans. Pour assurer la crédibilité des résultats, nous avons confronté nos interprétations aux recherches proches (Drapeau, 2004) en comparant les pratiques et les besoins dégagés dans notre étude aux résultats de recherches ayant documenté les pratiques et les besoins d’enseignant∙e∙s à l’éducation préscolaire au Québec et ailleurs au Canada (voir la discussion de cet article).

3.5 Éthique de la démarche

Il n’existe pas de consensus concernant la nature privée ou publique des informations issues de groupes d’échanges et le consentement libre et éclairé des membres quant à l’utilisation des données disponibles sur ces sites Internet (Bernard, 2004; Kozinets, 2002). Le Canada ayant une politique d’éthique de la recherche avec des êtres humains (CRSH, CRSNG et IRSC, 2018), nous en avons suivi les prescriptions[7]. Ainsi, l’identité d’aucune personne ou communauté n’est divulguée dans cet article. C’est pourquoi il n’y a pas de section présentant les «participants». De plus, aucune citation textuelle n’est ajoutée pour exemplifier les résultats puisque cela permettrait de retracer les messages sur la page de la communauté virtuelle, ce qui compromettrait alors la confidentialité des informateurs et informatrices.

4. Résultats

L’analyse de contenu réalisée a permis de mettre en évidence les pratiques et les besoins des enseignant∙e∙s de la communauté virtuelle. Ceux-ci sont présentés dans les prochains paragraphes.

4.1 La culture professionnelle collective

L’analyse des données révèle que les enseignant∙e∙s de la communauté virtuelle promeuvent davantage les pratiques d’émergence de l’écrit que celles de l’enseignement explicite et systématique des lettres et des habiletés de conscience phonologique. En effet, dès qu’un∙e collègue aborde l’apprentissage des lettres au moyen d’une activité dirigée par l’adulte, de feuilles d’exercices ou de trousses pédagogiques, plusieurs membres remettent ce choix en question en précisant qu’il s’agit d’une approche trop «scolarisante» pour le niveau des enfants de 4 ans. Certain∙e∙s ajoutent que l’utilisation de matériel «acheté» n’est pas nécessaire puisque l’exploitation de comptines, de chansons, d’histoires et des prénoms des enfants suffit pour «l’éveil» des enfants de 4 ans au langage écrit. Plusieurs affirment que l’apprentissage à la maternelle 4 ans doit passer par le jeu. Concernant l’importance accordée à l’émergence de l’écrit, certains échanges laissent sous-entendre que le soutien des habiletés psychomotrices et socioaffectives a davantage sa place à la maternelle 4 ans que le soutien des habiletés langagières telles que la lecture et l’écriture. À ce sujet, les enseignant∙e∙s soulèvent l’importance du jeu libre pour le développement des enfants dans la mesure où il favorise l’apprentissage des habiletés sociales (partager, régler ses conflits, vivre en groupe, etc.) et offre des occasions d’expérimenter des actions de motricité fine et globale.

Les analyses ont aussi permis de constater la présence d’un consensus et de deux débats au sein des membres du groupe concernant ce qui doit être abordé ou non à la maternelle 4 ans. Premièrement, il semble faire consensus que l’apprentissage de la chanson de l’alphabet et celui de quelques lettres du prénom des enfants sont incontournables. Toutefois, dès qu’un membre se questionne sur la possibilité d’en enseigner davantage, on sent une «levée de boucliers» à travers les réponses des autres membres qui considèrent que cela ne fait pas partie du mandat de la maternelle 4 ans. Il est d’ailleurs fréquent de lire un rappel des exigences du programme (MEES, 2017), lequel prescrit la connaissance des lettres du prénom de l’enfant et des lettres qui ont du sens pour lui. Deuxièmement, il y a un débat sur l’enseignement explicite de la prise du crayon. Alors que certain∙e∙s considèrent cela essentiel pour éviter à l’enfant de développer de mauvaises habitudes qui nuiront à son apprentissage de l’écriture, d’autres argumentent que le développement de la motricité globale et fine suffit à l’enfant pour lui assurer la capacité de bien manipuler un crayon éventuellement. Troisièmement, un autre débat identifié est celui entourant la place que doit prendre le développement de la conscience phonologique. Celles et ceux qui sont en faveur de ce développement associent la conscience phonologique à la capacité de reconnaître des sons identiques (rimes, allitération, sons initiaux) dans différents mots et considèrent que l’enfant réalise cet apprentissage au contact de la littérature jeunesse, des chansons et des comptines, ainsi que par les jeux d’association. Au contraire, celles et ceux qui sont en défaveur considèrent que les enfants de 4 ans ne sont pas prêts pour cela et qu’ils risquent de vivre des échecs qui pourraient provoquer une aversion pour la lecture et l’écriture. En général, lorsqu’il est question de l’émergence de l’écrit, les propos recensés traitent de la connaissance des lettres (nom et son), du développement du vocabulaire, de l’aspect psychomoteur (prise du crayon, tracé des lettres) et de la conscience phonologique.

4.2 Les pratiques de soutien de l’émergence de l’écrit

En ce qui concerne les pratiques partagées en lien avec le soutien de l’émergence de l’écrit, certain∙e∙s ont indiqué que cela se fait de manière spontanée à partir des intérêts et des questionnements des enfants ou par le jeu. Des interventions se réalisant spontanément ont été recensées dans les échanges. Parmi elles, nous retrouvons l’observation des lettres dans le titre d’une histoire, l’écriture d’un message collectif à un destinataire réel ou fictif, les présentations des enfants (p. ex., un enfant présente aux autres un objet qu’il a apporté qui commence par un son donné), l’exposition des enfants à des écrits dans les différentes aires de la classe, les discussions informelles sur les lettres, les sons ou de nouveaux mots de vocabulaire quand une occasion se présente ainsi que l’accompagnement d’un enfant lorsqu’il désire écrire un mot ou un message. L’importance de valoriser les remarques spontanées des enfants au sujet des lettres et des sons est soulevée par quelques-un∙e∙s. Plusieurs indiquent par ailleurs fournir aux enfants du matériel pour les encourager à faire des tentatives d’écriture (p. ex., coin écriture, étiquettes-mots, modèle écrit des prénoms, lettres aimantées).

Certaines activités planifiées par l’adulte ayant pour visée l’émergence de l’écrit ont également été relevées. D’abord, certain∙e∙s exploitent le contenu de trousses pédagogiques en totalité (p. ex., Jouons avec Cornemuse et ses amis, ABC Boum, Dans l’univers de Mousse) ou en partie (p. ex., Raconte-moi l’alphabet, La forêt de l’alphabet). Encore une fois, cette pratique ne fait pas l’unanimité et plusieurs répliquent que l’utilisation de matériel «acheté» n’est pas nécessaire puisque l’exploitation de comptines, de chansons, d’histoires et des prénoms des enfants suffit. Ensuite, quelques-un∙e∙s racontent avoir essayé d’introduire un message du jour (activité réalisée en grand groupe consistant à «décoder» un message écrit par l’enseignant∙e), mais partagent avec les membres du groupe leur échec à susciter l’intérêt de la majorité des enfants. D’autres enseignant∙e∙s indiquent proposer des ateliers aux enfants (p. ex., tracer des lettres dans le sable, façonner des lettres en pâte à modeler, décorer des lettres avec différents médiums). Enfin, la plupart des activités planifiées consistent à exploiter les étiquettes-mots des prénoms (comparaison des lettres, devinette, globalisation), à discuter au sujet d’une «lettre du jour» ou d’un «mot du jour», à réaliser des jeux dirigés collectifs et à lire des histoires (plusieurs enseignant∙e∙s affirment réaliser la «lecture interactive enrichie» du programme Cap sur la prévention).

4.3 L’exploitation du potentiel pédagogique du jeu symbolique

Pour ce qui est des pratiques de soutien de l’émergence de l’écrit au moyen du jeu (toutes formes confondues), différentes pratiques ont été recensées. La forme de jeu dont il est principalement question est le jeu structuré avec un objectif ciblé (devinettes, recherche d’objets qui commencent par un son donné, sauts dans des cerceaux autant de fois qu’il y a de syllabes dans un mot, etc.). Concernant le jeu libre intégrant des apprentissages intentionnels, aucun propos recensé n’indique qu’un membre du groupe recourt à des interventions situées dans le jeu symbolique pour soutenir l’émergence de l’écrit. À trois reprises, des enseignant∙e∙s conseillent à leurs collègues de la communauté virtuelle de se donner en modèle en jouant avec les enfants (mais pas nécessairement pour soutenir l’émergence de l’écrit). Le jeu libre non structuré occupe un peu plus de place dans les pratiques recensées. À cet effet, certain∙e∙s enseignant∙e∙s adoptent une posture non engagée puisque la période de jeu libre sert à travailler en sous-groupe avec quelques enfants (ateliers, activités de soutien, etc.). D’autres, pour leur part, adoptent une posture de metteur en scène en enrichissant les aires de jeu par des écrits et du matériel d’écriture (p. ex. ajout d’étiquettes-mots à recopier, de papier, de crayons, d’affiches ou de livres en lien avec le thème du jeu). Quatre conversations portant sur l’aménagement thématique des aires de jeu symbolique (une par année, de 2017 à 2020) ont été recensées. Par ailleurs, quand un membre partage des photos d’un coin de jeu symbolique de sa classe, avec ou sans matériel écrit, cela suscite une cinquantaine de réponses positives (émojis et commentaires écrits). Soulignons également que la mise à la disposition d’une variété de matériel de jeux (p. ex., figurines, petites voitures, poupées, vaisselle-jouet, jeux de société, jeux de construction, jeux de logique, etc.) a été soulevée comme un élément incontournable dans l’aménagement d’une classe de maternelle 4 ans.

4.4 Les besoins ressentis et démontrés

Lorsque les enseignant∙e∙s s’adressent à la communauté virtuelle au sujet de l’apprentissage du langage écrit, c’est surtout lié à un questionnement sur des activités à mettre en place, une recherche de nouvelles idées, une remise en question de leur façon de faire, un désir d’améliorer une activité déjà en place, une planification (à quel moment de l’année scolaire intégrer une telle activité). Une autre raison de s’adresser à la communauté virtuelle est la recherche de matériel pédagogique pour apprendre les lettres et les habiletés de conscience phonologique (trousses pédagogiques, jeux de société, affiches, étiquettes-mots, alphabet mural, guides pédagogiques, sites Web). Dans une publication, l’enseignante précise que cette recherche repose sur le fait qu’elle juge certains matériels trop scolarisant ou trop difficiles pour le niveau de connaissances actuel des enfants de sa classe, tandis qu’une autre publication indique que l’enseignante aimerait avoir un matériel clé en main présentant une progression.

Les difficultés exprimées par les enseignant∙e∙s concernant le jeu symbolique sont liées à la gestion de classe: atmosphère chaotique, environnement désordonné et conflits à désamorcer. Il semble ainsi que les enseignant∙e∙s s’adressent à la communauté virtuelle plutôt parce qu’elles et ils sont à la recherche de modes de fonctionnement que de stratégies d’intervention pour soutenir les apprentissages par le jeu. Une fois, un membre a partagé son désir de soutenir la compétence ludique des enfants (les amener à varier leurs jeux symboliques et à approfondir les scénarios) et se demandait quel matériel ajouter aux coins de jeux symboliques pour y parvenir. Ses collègues virtuels ont alors suggéré des thèmes de jeu et du matériel lié à la thématique ou polyvalent (boîte de carton, costumes, matériel de bricolage, jeux de construction, etc.). Les suggestions n’ont toutefois pas touché les interventions de l’enseignant∙e pouvant soutenir la compétence ludique des enfants.

5. Discussion

Tout d’abord, les échanges étudiés ont permis de constater que, contrairement à ce qui avait été soulevé dans l’étude de Marinova et al. (2020), les enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans du groupe expriment une préférence davantage marquée pour des pratiques développementales plutôt que pour des pratiques scolarisantes pour soutenir l’émergence de l’écrit. Il semble néanmoins que le soutien des habiletés langagières telles que la lecture et l’écriture ne soit pas considéré comme prioritaire par certain∙e∙s, plus particulièrement en début d’année scolaire. Cette considération pour le langage écrit pourrait reposer sur l’idée que l’écriture est associée à la scolarisation précoce des enfants (Drainville et Charron, 2021) ou sur un manque de connaissances de l’émergence de l’écrit (Lachapelle et Charron, 2020).

Cette recherche a également permis de relever les composantes de l’émergence de l’écrit (Rohde, 2015) qui sont ciblées par les pratiques des enseignant∙e∙s: le vocabulaire, la connaissance de l’alphabet et la conscience phonologique. Nous constatons néanmoins que les fonctions et les conventions de l’écrit sont peu abordées, de même que l’aspect fondamental de la communication (émettre et recevoir un message). De plus, les résultats montrent que des enseignant∙e∙s de la communauté virtuelle accordent une grande importance au développement de la motricité fine chez les enfants, ce qui avait également été relevé par Peterson et al. (2016). Une grande importance est également accordée à la reconnaissance graphique de quelques lettres et une importance moindre est accordée aux fonctions et aux conventions du langage écrit, ce qui a aussi été relevé dans deux autres études (Lachapelle et Charron, 2020; Peterson et al., 2016). Il s’avère ainsi que certaines composantes de l’émergence de l’écrit sont davantage valorisées ou mieux connues que d’autres, ce qui démontre un besoin de connaissance chez les enseignant∙e∙s concernant la «nature holistique» de l’ensemble des composantes de l’émergence de l’écrit (Rohde, 2015).

Les pratiques recensées correspondent en partie à celles identifiées chez des enseignant∙e∙s à l’éducation préscolaire ailleurs au Canada, notamment la coconstruction d’un message collectif, ainsi que le recopiage de lettres et de mots à partir de différents médiums (Peterson et al., 2016). Concernant l’aménagement des coins de jeux et leur enrichissement par des écrits et du matériel d’écriture, cette pratique est rarement abordée au sein de la communauté virtuelle, mais suscite plusieurs réactions positives des membres du groupe. Cela nous laisse entrevoir un intérêt à mettre en oeuvre cette pratique, ce qui rejoint un besoin de formation à cet égard révélé par une étude québécoise (Drainville et Charron, 2021).

Concernant le potentiel pédagogique du jeu symbolique, il semble que ce jeu est considéré comme un contexte favorisant principalement le développement d’habiletés sociales. De plus, il s’avère que les enseignant∙e∙s préconisent davantage le «jeu libre» ou le «jeu stratégique avec objectif ciblé» que le «jeu libre intégrant des apprentissages intentionnels» (Maynes et al., 2016). Ce constat rejoint celui d’études ontariennes qui révèlent que certain∙e∙s enseignant∙e∙s n’ont pas recours au jeu symbolique pour soutenir les apprentissages dits «scolaires» et qu’elles et ils abordent ces apprentissages par des activités planifiées par l’adulte (jeux dirigés, causeries, enseignement en sous-groupe) (Pyle, Poliszczuk et al., 2018; Pyle, Prioletta et al., 2018). Une recherche québécoise menée auprès d’enseignant∙e∙s de maternelle 5 ans révélait également que les adultes s’impliquaient peu dans le jeu symbolique (Bouchard et al., 2020), ce que semblent indiquer les données analysées.

Les résultats nous amènent à constater que les enseignant∙e∙s de la communauté virtuelle expriment des besoins déjà relevés dans les écrits scientifiques. En effet, leurs interrogations sur les activités adaptées aux enfants de 4 ans et leur besoin de recourir à un matériel pédagogique clé en main pourraient s’expliquer par une incertitude quant aux capacités d’un enfant de 4 ans, laquelle révèle un besoin de connaissances sur «le développement de l’enfant de 3 à 6 ans, ce qui inclut le développement du langage» (Dumais et Soucy, 2020, p. 119). D’autres besoins relevés par plusieurs chercheurs ne semblent toutefois pas exprimés par les enseignant∙e∙s du groupe. Il s’agit notamment du besoin d’acquérir des connaissances sur l’émergence de l’écrit et sur le potentiel pédagogique du jeu symbolique, ainsi que du besoin de développer des habiletés pour intervenir dans le jeu symbolique pour soutenir les apprentissages (Dumais et Plessis-Bélair, 2017; Dumais et Soucy, 2020; Lachapelle et Charron, 2020). Nous émettons l’hypothèse que les enseignant∙e∙s du groupe ne perçoivent pas ces besoins justement en raison d’un manque de connaissances sur l’émergence de l’écrit et le jeu symbolique.

6. Conclusion

Cette étude netnographique comporte des limites à considérer. Parmi elles, il y a d’abord l’incertitude quant à l’identité des informateurs et informatrices (Bernard, 2004). En effet, il est impossible d’assurer que toutes les données collectées sont les propos d’enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans enseignant au Québec puisque l’adhésion au groupe sélectionné ne leur est pas exclusif. Soulignons néanmoins que lorsque nous étions en mesure de distinguer les propos qui n’étaient pas d’enseignant∙e∙s à la maternelle 4 ans du Québec, nous ne les avons pas retenus dans le corpus. Ensuite, nous avons constaté la récurrence de la participation de certains membres qui publient des messages, répondent aux publications et partagent des ressources. Cela s’explique par le fait qu’un faible pourcentage des membres d’une communauté virtuelle publient près de 80 % des échanges, alors que la majorité demeure inactive (Kaye, 2012). Cela pourrait toutefois s’expliquer, dans ce cas-ci, par le fait que certains membres du groupe ne sont pas ou ne sont plus enseignant∙e∙s à la maternelle 4 ans et se sentent moins concernés par les échanges. Il importe ainsi d’être prudent dans la transférabilité des résultats.

Soulignons que les résultats contribuent à l’avancement des connaissances dans la mesure où ils ont permis de mieux connaître des pratiques et des besoins desquels discutent des enseignant∙e∙s de la maternelle 4 ans au Québec membres d’une communauté virtuelle en ce qui a trait au soutien de l’émergence de l’écrit et au potentiel pédagogique du jeu symbolique. Ces résultats non seulement corroborent la pertinence de développer des dispositifs d’accompagnement et de formation visant à amener les enseignant∙e∙s à soutenir l’émergence de l’écrit des enfants au moyen du jeu symbolique, mais ils pourraient également servir de pistes afin que ces dispositifs et ces formations tiennent compte des pratiques et des besoins d’enseignant∙e∙s de la maternelle. Enfin, ces résultats apportent des données nouvelles pour la formation initiale et continue du personnel de la maternelle 4 ans au Québec.