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1. Introduction

Bien que récurrents dans les écrits des 30 dernières années, les termes de décrochage et de raccrochage scolaires sont loin de faire consensus dans la communauté de la recherche. Certaines personnes voient en effet le décrochage comme un terme institutionnel, souvent associé à des usages administratifs, qui fait référence à une sortie prématurée du système scolaire, couramment qualifiée d’abandon scolaire (Bernard, 2013). Le décrochage serait ainsi appréhendé comme une sortie de route, un écart par rapport à une scolarité idéalisée sans rupture ni discontinuité, et dont le franchissement de la ligne d’arrivée est sanctionné par le diplôme, devenu la norme des systèmes éducatifs de nos sociétés (Merri et Numa-Bocage, 2019). Selon cette perspective, le décrochage est un mot répandu, auréolé d’une certaine consécration institutionnelle, servant à désigner l’ensemble des manquements d’un système éducatif spécifique, et qui attribue ces manquements aux personnes décrocheuses mêmes, par le biais de catégorisations diverses de nature sociologique, psychologique ou scolaire (Bernard, 2015).

Parallèlement, plusieurs ont souligné que le décrochage est un processus complexe dans le parcours d’un élève (Gauthier et al., 2004); une scolarité peut être faite d’interruptions, d’allers et retours en formation ainsi que de prises de décision multiples susceptibles d’affecter les parcours des élèves (Supeno et Bourdon, 2015). À titre d’exemples, un ou une jeune peut occuper plusieurs emplois ou rencontrer des difficultés scolaires à la suite d’un usage abusif de drogues; un ou une autre élève peut estimer qu’une formation professionnelle et technique, même incomplète, peut l’aider à décrocher un emploi ultérieur (Gauthier et al., 2004), sans que l’on puisse pour autant assimiler ces situations à un décrochage scolaire. C’est en ce sens que les termes «interruptions» et «retour en formation» favoriseraient une meilleure prise en compte du décrochage, vu comme un processus dynamique, multidimensionnel et multifactoriel (Lecocq et al., 2014).

Cette approche permettrait, d’une part, de cibler plusieurs dimensions susceptibles d’influencer le retour en formation de l’élève (MEES, 2019): sa famille, son environnement éducatif et sa communauté. Et de s’intéresser, d’autre part, aux pratiques qui facilitent ce(s) retour(s) en formation en pensant les interruptions de scolarité à partir d’une perspective globale et processuelle. C’est dans cette perspective que, dans le cadre de cet article, nous assimilons la notion de parcours d’apprentissage à celle de parcours éducatif proposée par Doray (2012) pour inclure l’ensemble des expériences d’apprentissage (notamment informel) sans se limiter uniquement à ceux réalisés dans le cadre du parcours scolaire:

Les premiers correspondent à l’ensemble des expériences d’apprentissage ou des événements éducatifs réalisés dans un laps de temps long, quel que soit le lieu ou le contexte où se déroulent les apprentissages. Ils s’apparentent davantage aux «learning trajectories» de Gorard et de ses collaborateurs ou aux «learning careers» de Bloomer et Hodkinson. Ils tiennent compte de l’ensemble des situations d’apprentissage qu’un individu peut vivre. Les parcours scolaires, un sous-ensemble des parcours éducatifs, désignent l’enchaînement des situations et des événements sur une période de temps donné dans le cadre formel du système d’éducation, voire celui d’un programme de formation précis.

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Au Québec, plusieurs programmes et dispositifs de raccrochage se réclament de cette approche dite écosystémique, étroitement liée au modèle écologique de Bronfenbrenner (1979). Ils se distinguent des approches traditionnelles du décrochage et du raccrochage scolaires, plus centrées sur les processus cognitifs (comme la compréhension, la mémorisation, la motivation intrinsèque, etc.), qui considèrent les écarts en termes de déficits. Ces programmes (écosystémiques) de raccrochage s’inscrivent davantage dans une perspective globale qui tient compte des différentes sphères de vie des élèves.

Parmi ces nouveaux espaces, cet article cible spécifiquement les établissements désignés sous l’appellation «milieux alternatifs de scolarisation» (MAS). Ces milieux sont fédérés par l’Alliance des milieux alternatifs de scolarisation du Québec (AMASQ)[1] qui a été fondée en 2017[2]. Il s’agit d’établissements qui accueillent des élèves de 16 ans et plus admissibles à la formation générale des adultes (FGA), ayant interrompu leur parcours scolaire et en situation de vulnérabilité. Ces structures, gérées par un organisme autonome ou communautaire, ont pour caractéristique d’offrir un accompagnement psychosocial bonifié d’un service de scolarisation, menant la plupart du temps à une sanction reconnue par le ministère. Ces milieux privilégient des stratégies comme la proximité relationnelle et dispensent une grande variété de services, offerts en partenariat avec la communauté, tels que des services de santé, psychosociaux, juridiques, alimentaires, d’aide au logement, etc. Par ailleurs, ces structures s’adaptent aux parcours d’apprentissage – souvent non linéaires – des élèves, intégrant les allers-retours multiples à l’extérieur et au sein des structures.

Cet article a pour objectif d’étudier les stratégies mises en place par les MAS afin de s’adapter aux parcours d’apprentissage des élèves en situation de vulnérabilité. Il s’agit plus spécifiquement d’examiner les pratiques que les acteurs et actrices des MAS mettent en place, afin de comprendre en quoi ces milieux favorisent cette adaptation. Une première partie aborde le contexte d’émergence des MAS et la place qu’ils occupent dans le paysage de l’éducation des adultes. La deuxième partie présente les études de cas dont sont issues les données empiriques de cette recherche. La troisième partie décrit les résultats, à savoir les différentes pratiques qui concourent à définir les MAS comme des entités cohérentes, qui s’adaptent aux parcours d’apprentissage des élèves en situation de vulnérabilité.

2. Problématique: l’émergence des milieux alternatifs de scolarisation dans le paysage de l’éducation des adultes

Cette première partie se consacre à la présentation du contexte d’émergence des MAS. Nous y présentons le secteur formel de l’éducation des adultes au Québec ainsi que les changements récents dont il a fait l’objet, particulièrement en matière d’accueil et de fréquentation de nouveaux publics. Elle débouche sur une meilleure compréhension des enjeux associés à la montée en puissance des MAS.

2.1 Le secteur de l’éducation des adultes au Québec

Le secteur de la formation générale des adultes (FGA) a vu le jour au début des années 1970, dans le cadre des orientations internationales de l’enseignement tout au long de la vie et de l’éducation populaire amorcées par l’UNESCO. Le régime pédagogique de la FGA[3] est défini dans la réglementation de 1994. Il opère une distinction avec le régime de la formation générale des jeunes (FGJ) et celui de la formation professionnelle (FP). Les centres d’éducation des adultes (CEA) sont reconnus comme offrant des activités de formation menant à l’obtention d’un diplôme de niveau secondaire chez les élèves de 16 ans et plus dès 2000[4]. Si le plan d’action associé à cette politique vise à assurer une formation de base aux adultes et à maintenir et rehausser leur niveau de compétences (MELS, 2002a), la transition d’une approche non scolarisante vers des formations qualifiantes s’effectue au tournant des années 2000 (MELS, 2007). La FGA s’adresse alors essentiellement à des adultes qui effectuent un retour aux études (Doray et Bélanger, 2014).

Sur le plan pédagogique, la FGA repose sur un enseignement individualisé, qui mise largement sur l’autonomie des apprenants et apprenantes. N’étant plus soumis à l’obligation de fréquentation scolaire, les élèves à la FGA sont considérés comme plus indépendants qu’un ou une élève de la FGJ. Les élèves à la FGA sont donc perçus comme autonomes et motivés (Potvin et Leclerq, 2010): concrètement, il est attendu qu’il ou elle travaille de manière individuelle en utilisant des cahiers de savoirs et d’activités[5], à son propre rythme, et passe par des évaluations en fonction de sa progression; c’est dans cette optique qu’il est question d’«enseignement modulaire» au secteur des adultes. Toutefois, plusieurs transformations profondes ont affecté le secteur de l’éducation des adultes au cours des dernières décennies. Et il est désormais permis de questionner l’adéquation de cette approche en ce sens que le public du secteur de l’éducation des adultes a changé pour accueillir des élèves plus jeunes et en situation de vulnérabilité.

2.2 Les élèves en situation de vulnérabilité au secteur de l’éducation des adultes

Depuis 1998-1999, alors que le nombre d’élèves est en diminution à la FGJ (secteur primaire et secondaire), les effectifs scolaires à la FGA augmentent continuellement. Le nombre d’élèves accueillis a augmenté de près de 20 % entre 2005 et 2015, passant de 158 791 en 2005-2006 à 191 004 en 2013-2014 (MEES, 2016)[6]. Cette augmentation quantitative se double d’un changement d’âge du public, puisque les effectifs ont sensiblement rajeuni depuis 1990. Le bond réalisé en ce qui a trait à la proportion est saisissant: en 1984-1985, le pourcentage des jeunes de moins de 20 ans parmi les inscrits dans un CEA était de 1,3 % (Villatte et al., 2014); en 2016, les 19 ans et moins représentent 30 % de l’effectif total (en y ajoutant les 2024, on monte à plus de 50 %) (MEES, 2016). Par ailleurs, de plus en plus de «jeunes élèves» passent sans interruption dans leur scolarité du secteur des jeunes au secteur des adultes. Cela s’explique par le fait que le secteur de l’éducation des adultes accueille et qualifie de plus en plus de 16-24 ans qui ont interrompu leurs études secondaires (Bélanger et al., 2007; Dumont et Myre-Bisaillon, 2010; Rousseau et al., 2010). La FGA sert alors «d’annexe de l’école secondaire pour un certain nombre d’élèves qui n’y trouvent pas leur place» (Voyer et al., 2014, p. 201).

C’est en ce sens que plusieurs considèrent les CEA comme une voie de transition empruntée par un nombre de plus en considérable d’élèves en situation de vulnérabilité scolaire et sociale. Il s’agit principalement d’élèves aux trajectoires éducatives non linéaires (Savoie-Zajc et Dolbec, 2007; Voyer et al., 2014), ceux et celles qui ont des parcours difficiles (Supeno et Bourdon, 2015), qui présentent des difficultés d’apprentissage ou d’adaptation psychosociale (Lemire, 2011; Rousseau et al., 2010), qui sont en situation de handicap (ACTA, 2009; CDPDJ, 2018), les élèves issus de l’immigration (Potvin et Leclercq, 2010) ou encore ceux et celles qui proviennent de milieux défavorisés (Charlebois, 2019). Or, il s’agit pour l’ensemble d’élèves aux parcours et situations de vie complexes et faits de discontinuités et qui révèlent de grandes souffrances personnelles (Grossmann et al., 2014). Pour ces élèves, considérés en difficulté du point de vue de l’institution scolaire, le chemin dans les CEA n’est pourtant pas sans écueils. À titre d’exemples, parmi les élèves inscrits au 2e cycle en FGA en 2000-2001, seulement 45,4 % avaient obtenu un diplôme; et le MELS notait que les retards dans les parcours des élèves étaient un facteur déterminant de leur réussite scolaire (2004)[7]. Cette deuxième expérience d’interruption de scolarité en situation de décrochage risque fort d’éroder l’estime de soi et la motivation d’une partie des élèves en situation de vulnérabilité (Lemire, 2011).

Ce deuxième décrochage serait dû selon certaines personnes à un manque d’adaptation et d’accompagnement des CEA[8] pour des élèves qui présentent des difficultés scolaires (Bessette, 2005; Charlebois, 2019; Lemire, 2011) et qui peinent à acquérir leur autonomie sur le plan de leurs apprentissages (Lethiecq, 2014). Sont ainsi évoqués tour à tour les tests de classement, l’approche pédagogique individualisée (Lemire, 2011), le manque de services complémentaires ou encore le manque de soutien pour les élèves en grande difficulté (Charlebois, 2019; Dumont et al., 2013; Lethiecq, 2014; Villemagne et al., 2014). L’ensemble de ces contraintes pourrait ainsi compromettre la persévérance de certains élèves (Lemire, 2011; Marcotte et al., 2014), alors que s’accroissent, parallèlement, les besoins en formation et en accompagnement du personnel scolaire (CDPDJ, 2018; Desmarais et al., 2012).

2.3 Les milieux alternatifs de scolarisation comme nouvelle offre de service pour les élèves en situation de vulnérabilité

Ce changement dans l’orientation des politiques récentes de la formation générale des adultes se ferait au détriment même de l’éducation des adultes telle qu’initialement pensée[9] (Doray et Bélanger, 2014), alors que les notions de décrochage, de raccrochage ou d’élèves à risques ont reconfiguré l’univers sémantique de ce secteur (Voyer et al., 2016). Il n’en demeure pas moins que ces changements entraînent de nouveaux besoins sur les plans psychologique, psychopédagogique et pédagogique (ainsi que des besoins en formation pour les enseignants et les enseignantes) (Dumont et Rousseau, 2016) et donc de nouvelles offres de service. C’est dans ce contexte particulier qu’on assiste à l’émergence d’une offre de scolarisation alternative, spécifiquement destinée aux jeunes adultes en grande difficulté scolaire et sociale, et qui serait supposément plus apte à répondre aux besoins variés de ce public scolaire particulier, s’adaptant ainsi aux parcours d’apprentissage atypiques de ces élèves. Il s’agit des milieux alternatifs de scolarisation.

C’est avec l’objectif de combler les besoins spécifiques d’élèves auxquels les structures régulières (écoles secondaires mais surtout CEA) ont du mal à répondre que les MAS se sont développés au Québec. L’appellation MAS désigne plusieurs établissements qui renvoient à des formes de scolarisation très différentes, qu’il s’agisse d’écoles de la rue, d’écoles du milieu, d’organismes de raccrochage scolaire, d’écoles privées non subventionnées, d’entreprises d’économie sociale ou encore de maisons de parents. Par-delà leur diversité, les MAS ont en commun de développer une approche sciemment adaptée à la réalité de leurs élèves, celle-ci reposant sur une forte collaboration école-communauté.

Les écrits sur le sujet révèlent que la collaboration école-communauté offre des pistes de solutions intéressantes pour prévenir le décrochage scolaire et favoriser la persévérance des élèves et notamment les plus vulnérables (Lessard et al., 2015). Cette approche collaborative prend la forme d’un accompagnement pluriel qui s’ancre dans une approche globale du décrochage et du raccrochage scolaire (Desmarais et al., 2012; Lessard et al., 2015). Sur la base d’une offre variée de services, cette collaboration permet notamment de s’adapter aux parcours d’apprentissage atypiques des élèves, marqués par le retard, les absences fréquentes et les interruptions régulières de fréquentation de la structure. Toutefois, cette approche est peu étudiée au secteur de l’éducation des adultes (Larivée et al., 2015). L’objectif de cet article est d’étudier les pratiques mises en place par les MAS afin de mieux comprendre comment ils transigent avec la réalité et les parcours d’apprentissage des élèves en situation de vulnérabilité.

3. Cadrage méthodologique et analytique

3.1 La collecte de données: des études de cas dans trois milieux alternatifs de scolarisation

L’analyse s’appuie sur deux recherches postdoctorales menées dans trois MAS: une école de la rue (site 1), une école privée non subventionnée (site 2) et un organisme communautaire (site 3)[10]. Ces deux recherches avaient pour objectif de comprendre comment s’articule la collaboration école-communauté dans ce type de structure. Les trois milieux ont été sélectionnés parce qu’il s’agissait de structures ayant plus de 25 ans d’existence au moment des recherches et qu’elles jouissaient toutes les trois d’une bonne réputation dans la presse locale. Ces trois milieux présentaient également différentes formes de collaboration école-communauté et donc différentes modalités de scolarisation et de services offerts. Ainsi, il s’agit d’une collaboration entre une école de la rue et un CEA pour le site 1; entre une école privée et un organisme communautaire pour le site 2 et entre un organisme communautaire et un CEA pour le site 3. La démarche méthodologique pour étudier cette collaboration reposait sur des études de cas. La collecte a permis de dégager plusieurs pratiques mises de l’avant comme caractéristiques des MAS dans les trois sites. Cette section présente plus en détail la démarche méthodologique de la recherche, à savoir la collecte de données et l’analyse des résultats.

Les études de cas visaient à comprendre les processus sociaux à l’oeuvre (Stake, 1995) au sein des dispositifs de collaboration entre les différents membres du personnel scolaire et non scolaire sur chacun des trois sites. Ces études de cas ont pris la forme d’étude de cas participante en ce sens que la chercheure était impliquée comme observatrice participante sur les différents terrains. Les études de cas reposaient sur une pluralité de méthodes de collecte de données telles que le recueil d’écrits officiels[11] et de documents[12], des entretiens individuels et de groupe auprès des gestionnaires et cadres, enseignants et enseignantes et intervenants et intervenantes (n = 35), des observations d’événements significatifs qui ont donné lieu à des entretiens spontanés: rencontres d’équipe ou de comités, interventions auprès des élèves, interactions entre intervenants et intervenantes, visites d’acteurs et actrices externes, événements spéciaux tels que levées de fonds, soirées Méritas et remise des diplômes et séances d’enseignement (site 2 seulement), soit au total 38 journées complètes. Les deux premières études de cas (sites 1 et 2) se sont déroulées sur une période de 24 mois (la première recherche s’est terminée lors d’une présentation des résultats aux équipes à l’hiver 2019 [site 1] et l’automne 2019 [site 2]), tandis que la deuxième étude de cas (site 3) a débuté en 2019 et s’est terminée en décembre 2021.

Tableau 1

Répartition des entretiens individuels auprès des différents membres du personnel

Répartition des entretiens individuels auprès des différents membres du personnel

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Les trois sites se distinguent quant à leur statut et aux caractéristiques du public qu’ils accueillent: le site 1 est une école de la rue, construite au sein d’un organisme communautaire, et accueille un public aux prises avec des problématiques plus «lourdes» (itinérance, prostitution, gang de rue, etc.). Il est financé par le ministère responsable de l’éducation[13] et travaille en étroite collaboration avec un CEA pour l’enseignement. Ce site s’est spécialisé auprès d’élèves qui présentent des difficultés d’ordre psychosocial importantes (toxicomanie, itinérance, prostitution, santé mentale, etc.).

Le site 2 est une école privée qui repose sur des financements privés et reçoit un financement non récurrent du ministère responsable de l’éducation. Le site 2 scolarise des élèves qui présentent des difficultés d’apprentissage (dyslexie, dysorthographie, dysphasie, etc.) et est complètement autonome sur le plan de l’enseignement et de la sanction.

Le site 3 est un organisme communautaire qui accueille des élèves avec des difficultés psychosociales variées. Il offre, d’une part, un programme d’aide au retour vers la scolarisation et, d’autre part, un programme de soutien scolaire pour les élèves en grande difficulté qui sont scolarisées dans plusieurs CEA. De plus, le site 3 a développé des programmes de suivi à moyen et long terme pour les élèves qui ont fréquenté la structure.

Enfin, les trois sites sont situés dans deux zones urbaines et existent depuis plus de 25 ans. Ils jouissent d’une «très bonne» réputation dans leurs milieux respectifs[14].

3.2 L’analyse des données

L’ensemble du matériau (documents, observations et entretiens) a été analysé de manière semi-inductive. Le regard analytique a tout d’abord porté sur l’activité collective, et plus précisément sur les pratiques mises en place par les acteurs et actrices des MAS qui interviennent auprès des élèves en situation de vulnérabilité. Les pratiques sont ainsi analysées à la fois en tant que gestes posés par les acteurs (à partir des observations) qu’en tant que processus sous-jacents au cours de l’action (à partir des entretiens). Le concept de stratégie se confond ici avec celui de pratique au sens où il postule «l’indissociabilité du sujet et de l’action, de l’acteur pensant et agissant […]» (Grossmann, 2009, p. 779), et l’étroite articulation entre les actions observées et les intentions déclarées. Le cadre analytique a ensuite été guidé (plus que déterminé) par les apports de la théorie de l’activité (Engeström, 1987) afin de dégager un certain nombre de dispositifs organisationnels et de leviers collaboratifs mais aussi plusieurs actions déployées par les intervenants et intervenantes des MAS à destination des élèves en situation de vulnérabilité (matériel émergent). Bien que les acteurs (direction, enseignant, intervention sociale, etc.) puissent entretenir des représentations distinctes, notamment en ce qui a trait à la gestion des MAS s’inscrivant dans la mouvance de l’entrepreneuriat social (Vidal et Grossmann, à paraître), leurs propos et pratiques relatives aux publics qu’ils accueillent sont fortement congruents. De même, l’analyse des activités en contexte a permis de dégager plusieurs convergences entre les différents sites, et notamment en ce qui concerne les pratiques d’accompagnement proximal au sein des MAS, ces milieux se positionnant de manière distinctive vis-à-vis d’autres structures qui ont à transiger avec des temporalités plus normatives (ici les CEA).

4. Les caractéristiques distinctives des milieux alternatifs de scolarisation: les pratiques d’accompagnement proximal

L’étude des éléments de convergence permet d’appréhender les MAS comme des entités qui tendent vers une certaine cohérence interne au niveau des pratiques en lien avec l’accompagnement proximal des élèves, entendu ici au sens où cet accompagnement à la fois pédagogique et psychosocial s’incarne dans des stratégies et des dispositifs à la fois adaptés, personnalisés et institutionnalisés (Gomas, 2018), au plus près des réalités des élèves. Ces pratiques constituent un trait saillant des MAS. Elles sont déployées par les acteurs et actrices des structures et permettent aux MAS de s’adapter aux parcours des élèves qu’ils accueillent. Elles prennent des formes diverses, telles que des approches pédagogiques adaptées aux besoins des élèves, la valorisation des acquis de l’élève, de la relative adaptation des règles et de la gestion des absences et des retards au cas par cas et de la modulation des horaires aux rythmes de vie des élèves.

4.1 Des approches pédagogiques adaptées aux besoins des élèves

Le site 2 dispose du permis jeunes et du permis adultes[15], ce qui, aux yeux de la direction, offre une marge de manoeuvre pour moduler les méthodes d’enseignement, notamment pour les élèves en difficulté, c’est-à-dire ceux et celles qui «ont quitté l’école depuis 4-5-6 ans parce qu’ils n’étaient pas capables de travailler de façon complètement autonome dans des cahiers» (direction, site 2). Ainsi, les enseignants de français, d’anglais et d’univers social du site 2 ont la possibilité de recourir à des cours magistraux[16], extrêmement rares en FGA. Une coordinatrice précise que même si «les mathématiques et les sciences sont enseignées avec le programme adulte, donc avec des cahiers, [il y] a quand même de l’accompagnement et un enseignement magistral». Pour elle, le fait de pouvoir «enseigne[r] autant le programme des jeunes que des adultes, c’est vraiment plus relié aux besoins des élèves» (coordinatrice, site 2).

Sur le site 1, l’enseignement se fait de manière individualisée, c’est-à-dire dans les cahiers (permis adultes). Toutefois, les enseignants tendent à mobiliser au besoin des formes de pédagogie de groupe pour certaines matières. C’est le cas de l’enseignement du français et de l’univers social. Même s’il mobilise la majorité du temps les cahiers, un enseignant explique qu’«en français, anglais et langues, on a la possibilité de travailler de façon interactive». Il précise également qu’«en géographie [ils disposent d’]une option en géographie où le cours, le matériel utilisé va être du secteur adulte mais l’enseignement va être fait entièrement de façon magistrale». Selon lui, cela «permet de nous adapter d’abord à l’élève» (enseignant 1, site 1), quoiqu’il nuance son propos en exprimant des difficultés dans la mise en place de ce genre d’enseignement auprès d’élèves fréquemment absents et qui, de ce fait, n’ont pas eu accès aux mêmes contenus.

4.2 La valorisation de l’expérience des élèves

Par ailleurs, les participants et participantes des trois sites soulignent l’importance de considérer les élèves comme des adultes. Les directions des sites 1 et 2 insistent notamment sur l’importance de mobiliser leurs connaissances, leurs ressources et expériences afin de construire les interventions. Une enseignante précise que «le but, c’est de reprendre les gens là où ils sont et en tant qu’adultes… alors de faire franchir le fossé, quel que soit le fossé» (enseignante, site 2). Une autre enseignante du site 2 parle de l’importance de tenir compte de «leurs forces, leurs faiblesses, leurs limites, leurs mauvais côtés… sans nécessairement toujours revenir sur [leurs] difficultés […] c’est vraiment ce qu’on appelle l’adaptation scolaire au sens pur, je trouve», puisque, comme le précise l’intervenante sociale du site 2: «Ici, ils ont un bagage de connaissances qu’ils ont pas dans les écoles aux adultes.»

On trouve également sur les sites plusieurs dispositifs permettant de valoriser les expériences des élèves. Le programme d’aide au retour vers la scolarisation du site 3 repose entièrement sur un projet que les élèves doivent mettre en place en lien avec leurs intérêts propres, comme le recyclage, la création de projets artistiques, l’aide aux personnes aînées isolées, etc. Les trois sites mettent en place des dispositifs qui mobilisent les ressources des élèves et sont susceptibles de leur servir à l’extérieur de l’école, tels l’engagement bénévole (sites 1 et 2) ou les travaux communautaires (site 1). L’implication bénévole des élèves du site 2 (dans une banque alimentaire notamment) leur rapporte des crédits qui sont reconnus dans leur scolarité. Cela leur confère également de l’expérience pour leur CV: c’est ainsi que l’élève responsable de la banque alimentaire trouvera un travail de gestionnaire des stocks dans un supermarché à la fin de la recherche.

4.3 La relative adaptation des règles de vie

L’adaptation des règles s’observe à plusieurs niveaux, notamment en ce qui concerne le code de vie. Les interventions se font au cas par cas et en fonction des situations. Sur le site 1, les personnes interviewées parlent à plusieurs reprises d’«accueil inconditionnel». Interrogée sur les éventuelles raisons d’exclusion d’un élève, une intervenante scolaire précise:

[…] la seule chose qui fait que le jeune ne peut pas [rester], c’est soit s’il est violent, c’est sûr que ça, ce n’est pas toléré, la violence. Mais sinon, on accepte les gens ici, ils n’ont pas le droit de consommer sur place, mais ils peuvent arriver en consommation là.

intervenante psychosociale, site 1

Ainsi en est-il des règles concernant la consommation de drogues, relativement répandue chez les élèves selon les personnes interviewées. Si, sur les trois sites, les élèves n’ont pas le droit de consommer à l’intérieur de la structure, les intervenants et intervenantes font toutefois preuve d’une certaine tolérance et privilégient plus ou moins ouvertement[17] une approche de réduction des méfaits plutôt que de contrôle strict de la consommation. La politique du site 2 semble plus ferme à ce sujet, mais d’après les observations[18] la direction admet tout de même à l’école un élève qui consomme du cannabis à l’extérieur de l’espace de l’école. Comme cet élève a soi-disant des difficultés avec son hyperactivité (il serait diagnostiqué TDAH), cela lui permettrait de se calmer et de rester en classe.

Sur les sites 2 et 3, les entretiens et les observations montrent que les (rares) cas d’exclusion proviennent davantage de l’incapacité des structures à gérer certaines situations problématiques: une élève qui commet des vols répétés et le nie ensuite (site 2), un élève qui s’emporte à plusieurs reprises vis-à-vis du personnel (site 2)[19], un élève pose des gestes inappropriés et manifeste des comportements sexuels déviants envers les autres élèves (site 3), un élève qui influence négativement le groupe (site 3). Mais ces cas semblent exceptionnels (quatre cas en trois ans d’observation).

4.4 La gestion des absences et des retards au cas par cas

L’absentéisme et la fréquentation scolaire font partie des principaux défis évoqués lors des entretiens sur les trois sites et qui viennent souvent interrompre la linéarité des parcours scolaires. Les observations (sites 2 et 3) et les entretiens révèlent que les absences sont contrôlées sur les trois sites (notamment auprès des élèves qui sont financés par Emploi-Québec et pour lesquels les mécanismes de suivi sont plus importants) et que des absences répétées sur du long terme (et non justifiées à plusieurs reprises) peuvent mener à une exclusion. En principe, les absences sont répertoriées et peuvent être pénalisantes pour les élèves sur les trois sites. Toutefois, les entretiens (site 1) et les observations (sites 2 et 3) révèlent qu’elles conduisent très rarement à une exclusion. Les attentes semblent plutôt se gérer toujours au cas par cas, en fonction des situations multiples des élèves: il est attendu que l’élève absent puisse justifier cette absence ou qu’il ou elle prévienne le personnel avec une raison valable. Les observations révèlent que les motifs d’exclusion concernent davantage les comportements difficiles à gérer envers le personnel scolaire (un vol d’argent et des propos violents, site 2), ou envers les autres élèves (des comportements sexuels inappropriés ou des formes de manipulation, site 3).

Il existe donc une certaine adaptabilité du cadre temporel à la réalité des élèves. Cette adaptabilité permet de tenir compte des environnements multiples des élèves et semblerait distinguer les MAS des CEA, davantage contraints à une approche plus rigide selon plusieurs personnes interviewées. Sur le site 2, plusieurs élèves pour différentes raisons (travail, handicap ou problème de santé, maternité) enchaînent les périodes d’absence (un élève en situation de handicap a ainsi cumulé plusieurs absences longues et est ainsi resté sept ans dans l’école). Sur le site 3, la direction parle à plusieurs reprises de la difficulté de préciser à quel moment les élèves décrochent de la structure puisque l’organisme offre un service de suivi qui s’étend plusieurs années après que les élèves ont quitté leur programme. D’après les observations, contraint par les mécanismes de reddition de comptes, le personnel a entamé une réflexion pour savoir à quel moment il statuerait que les élèves ne bénéficiaient plus des services de l’organisme.

Une coordinatrice scolaire explique cette nécessaire flexibilité de la structure: «Quand les jeunes s’absentent, ils ont souvent certaines problématiques. C’est souvent pas parce que c’est que de la paresse […] il y a toujours des problématiques» (coordinatrice, site 1). Confrontée aux absences, elle s’organise avec le personnel scolaire pour rejoindre les élèves et travaille de pair avec l’intervenante: «[E]n collaboration les deux pour faire le suivi aussi puis voir comment on peut les aider tout ça […] on essaie de voir s’il y a quelque chose qu’ils peuvent faire pour résoudre ces problèmes». Le suivi est sensiblement le même sur le site 2 alors qu’interrogée à ce sujet la direction explique que, confrontés à une absence, «[ils vont] téléphoner à l’élève, de la même façon qu’on va faire avec des jeunes [au secondaire]. L’élève va être contacté, on va s’informer sur la raison de son absence et tout».

En ce qui concerne les retards, il y a là aussi une certaine adaptation à la réalité des élèves. Les observations des sites 2 et 3 révèlent que les élèves arrivent très souvent en retard. Et ici encore, les élèves financés par Emploi-Québec sont plus contrôlés et peuvent se faire réduire leur salaire pour cause de retard (site 3). Interrogée sur la question des retards, la direction du site 2 précise que les élèves ont

tous des horaires différents de telle sorte qu’un élève peut arriver avec une demi-heure plus tard, parce qu’il vient en autobus et que bon, il habite loin. Un autre doit partir plus tôt parce qu’il doit prendre son enfant à la garderie.

Elle conclut:

Alors, la structure individuelle, elle est stricte, mais l’ensemble, ça demande à la fois beaucoup de souplesse et beaucoup de rigueur. Parce qu’il faut suivre l’élève de façon très précise tout en ayant une souplesse adaptée à sa situation puis un tronc commun.

Cette prise en compte semble plus stricte sur le site 1, alors que les professeurs «ne notent même pas les retards. Contrairement aux autres CEA, [où] ils notent souvent le nombre de minutes de retard tout ça. Nous c’est la responsabilisation 101. Tu es là ou tu es absent» (coordinatrice, site 1). La coordinatrice scolaire précise quand même que le jeune peut venir lui parler à elle ou à l’intervenante pour expliquer la raison de son retard:

C’est pas un suivi moralisateur aussi. «Te rends-tu compte que tu t’enlignes qu’on te mette dehors.» C’est jamais sous cette formule-là. «On a remarqué, on s’inquiète, comment ça va?» Fait que c’est vraiment d’essayer de voir si la personne peut aussi nous dire qu’il y a des choses qui ne vont pas, puis si on est capable de l’aider à ce niveau-là, ou de la responsabiliser, à régler quelque chose qui fait qu’elle ne vient pas. Puis des fois c’est une question de motivation. Fait que c’est de trouver peut-être les éléments qui fait qu’elle est démotivée. Mais la démotivation, bien souvent, est un problème qu’ils n’arrivent pas à régler puis qui tourne en rond là-dedans.

4.5 La modulation des horaires aux rythmes de vie des élèves

On remarque également une certaine adaptation de l’horaire des cours, notamment sur les sites 1 et 2. Sur le site 1, «l’horaire est fixe mais allégé» (coordinatrice, site 1). Les cours sont du lundi au jeudi. Aucun cours n’est dispensé avant dix heures et les élèves finissent à quatre heures. La même personne souligne la différence avec les CEA, qu’elle considère plus rigides sur le plan de l’horaire: «Alors que dans les autres centres, ça commence à huit heures et demie, il ne faut pas que tu sois en retard. Et, c’est du lundi au vendredi. Donc, c’est déjà plus exigeant.» Elle explique l’adaptation de son établissement par le fait que les élèves accueillis «parfois, n’ont pas encore développé les habiletés sociales et professionnelles pour se lever tôt, pour être à l’heure, pour arriver, l’assiduité, d’être là à tous les jours. Donc, ils sont en apprentissage de ce côté-là, souvent». Sur le site 2, l’école est fermée le lundi et le vendredi[20]. Le mercredi matin est consacré à la distribution de denrées alimentaires par une banque alimentaire. Certains cours se donnent le soir (mercredi). Et en période d’examen, il arrive que certains enseignants rencontrent les élèves les fins de semaine, parfois à l’extérieur de l’école, pour les révisions.

Cette flexibilité s’incarne également dans les différentes modalités d’intervention du site 3. Pendant le confinement, une intervenante psychosociale explique que certains intervenants et certaines intervenantes s’étaient laissé la possibilité de rencontrer les jeunes autrement qu’à distance: à l’extérieur, dans un parc, se promener avec eux et elles. Une intervenante explique ce choix:

L’entretien[21] que j’ai eu après de la jeune en transition, c’était autre chose, et là c’est une jeune où je me suis dit: «OK, là je tente encore un Zoom la semaine prochaine, mais si le Zoom là donne rien, je la vois en personne, parce qu’elle est super anxieuse, super méfiante.» Quand il y a des gros blancs dans la conversation, bah on est en Zoom, donc s’il y a un gros blanc et que je te laisse réfléchir, je suis en train de te fixer, je te regarde le visage, et dans la vraie vie, on ferait pas ça comme ça.

intervenante psychosociale 2, EG, n = 4

Toujours sur le site 1, lors de l’entretien, la direction explique avoir même essayé d’abréger l’année scolaire pour contrer l’absentéisme et la désertion[22]. Et précise: «J’avais pensé qu’on pouvait faire de l’enseignement cinq jours semaine, de façon intensive pour la session d’hiver, pour les libérer un mois plus tôt au printemps. Alors, lorsque le beau temps arrive, ils ont fini.» Si cette tentative n’a pas abouti, elle n’est pas pour autant restée lettre morte. La direction du site 1 pense toujours que ce pourrait être «gagnant d’adapter l’horaire» et souhaite réitérer l’expérience. Elle explique dans les termes suivants cette tentative qui n’a pas eu le succès escompté:

[C]’est plutôt les profs qui n’étaient pas tellement chauds à l’idée de continuer ça […] deux profs qui étaient en fin de carrière, des gens qui ont changé aussi dans l’année, au niveau du staff ici qui était pas au courant.

La très grande majorité des élèves qui ne bénéficient pas des subventions d’Emploi-Québec travaillent pendant leurs études (site 2 principalement). Lors des entretiens, les directions et deux enseignants expliquent l’importance de prendre en compte la lourdeur de la tâche de l’élève, son emploi du temps et ses obligations (travail, recherche d’emploi, contraintes familiales, problèmes administratifs, difficultés personnelles, etc.) qui sont partie prenante de son parcours éducatif. Une enseignante du site 1 explique toute l’importance de «l’adaptation scolaire» et d’un enseignement modulé à cette réalité: «[C]’est sûr qu’il faut différencier les élèves qui sont à temps partiel des élèves temps plein». Les contraintes ne se limitent pas seulement au travail mais touchent aussi les conditions de santé ou les conditions familiales particulières. Ainsi, les observations du site 2 révèlent que les règles (absence, retard) semblent plus accommodantes pour les mères monoparentales qui ont plusieurs enfants à charge.

5. Discussion

Cet article avait pour objectif d’étudier les stratégies mises en place par les MAS afin de s’adapter aux parcours d’apprentissage des élèves en situation de vulnérabilité. Dans la partie résultats, nous avons dégagé un certain nombre de stratégies que les MAS mettent en oeuvre et qui s’incarnent dans des pratiques d’accompagnement proximal, le terme référant à la proximité relationnelle offerte par le prisme de l’accompagnement spécifique en partenariat avec la communauté. Ainsi, la prise en compte des besoins des élèves, la valorisation des expériences, l’adaptation des règles de vie, la gestion singulière des absences et des retards et la modulation des horaires constituent autant de pratiques d’accompagnement proximal mises en place par les MAS.

Ces pratiques visent tout particulièrement une adaptation aux parcours d’apprentissage d’élèves en situation de vulnérabilité à la FGA. Parcours qui, comme mentionné plus haut, sont souvent faits de ruptures et de discontinuités, mais aussi (et surtout) d’expériences multiples et de ressources diverses et variées. Ces pratiques offrent en ce sens une lecture multidimensionnelle et processuelle des apprentissages qui promeut une prise en compte des réalités complexes des élèves en situation de vulnérabilité, des transitions plurielles qu’ils et elles traversent, inscrivant par le fait même les notions de décrochage et de raccrochage scolaires dans une temporalité moins normative et moins formelle.

D’ailleurs, ces pratiques font écho aux réflexions déjà amorcées par certains chercheurs qui se sont penchés sur les caractéristiques des environnements éducatifs adaptés, notamment en ce qui concerne l’importance d’assouplir les parcours de formation, de prendre appui sur les acquis des jeunes et de susciter leur participation active et volontaire, ou encore de miser sur un accompagnement individualisé et soutenu (Bourdon et Roy, 2014). Mises bout à bout, les pratiques d’accompagnement proximal permettent de dessiner les contours[23] d’une forme scolaire alternative à la FGA, faite de flexibilité, de reconnaissance et d’autonomisation, trois dimensions qui évoquent les principes de base des approches de justice sociale (Fraser, 2011). Toutefois, ces adaptations ne vont pas sans tensions, notamment entre le cadre nécessaire ou imposé (EQ, MEES) et la souplesse exigée lorsqu’il s’agit d’oeuvrer auprès de ces publics.

Dès lors, on pourrait dire que la prise en compte des différentes sphères de vie des élèves distingue les MAS des établissements scolaires traditionnels, qui structurent leurs actions autour de cadres formels plus linéaires et plus uniformes. Par leurs pratiques, les MAS cristallisent en effet plusieurs enjeux du secteur de l’éducation des adultes et notamment le fait que les CEA – à la structure plus complexe – disposeraient d’un degré d’adaptation moindre aux parcours non linéaires des élèves en situation de vulnérabilité scolaire et sociale. Les MAS offrent ainsi une réponse alternative, voire complémentaire, aux besoins d’une nouvelle population, plus diversifiée, et qui présente des trajectoires scolaires plus variées que la population traditionnelle[24] des CEA. C’est cette logique de singularisation vis-à-vis des structures classiques et la réappropriation des critiques adressées aux CEA qui pourraient assurer aux MAS une place de premier plan dans la lutte contre le décrochage scolaire, pensé comme un processus dynamique et complexe, multidimensionnel et multifactoriel.

6. Conclusion

Dans le cadre de cet article, nous avons dégagé un certain nombre de pratiques d’accompagnement proximal mises en place par les MAS. Un des éléments centraux est la grande flexibilité dont ces structures font preuve et qui leur permet de répondre et de s’adapter en continu aux parcours d’apprentissage des élèves. Cette flexibilité peut se révéler en effet très précieuse pour une adaptation rapide et pour une personnalisation des interventions. Ainsi, le mouvement de légitimation des MAS semble se faire en deux moments concomitants: il passe tout d’abord par une logique de singularisation vis-à-vis des structures classiques (CEA), qui ont de la difficulté à s’ajuster aux trajectoires non linéaires des élèves en situation de vulnérabilité. Dans le même temps, il implique une appropriation des critiques adressées aux CEA qui assurent aux MAS une place de premier plan dans la lutte contre le décrochage scolaire. Ces nouvelles structures pourraient se définir à partir des objets mêmes de ces critiques. De cette manière, en proposant une réponse alternative aux besoins d’une nouvelle population, plus diversifiée et qui présente des problématiques variées, les MAS cristalliseraient plusieurs enjeux du secteur de l’éducation des adultes.

Alors que le développement et la multiplication des MAS commence à susciter l’intérêt des pouvoirs publics, il importe toutefois de les resituer dans un contexte qui dépasse les seules pratiques mises en place par les acteurs et actrices qui y oeuvrent, afin de mieux tenir compte de l’influence des facteurs externes, tels que des facteurs sociaux et politiques. Car la grande flexibilité déployée par les MAS laisse aussi entrevoir un aspect systémique plus sombre qui pourrait aller jusqu’à laisser une impression d’instabilité, particulièrement explicite sur le plan financier. Les multiples coupures dans les subventions publiques, la concurrence dans le cadre du financement par projet, l’exigence de reddition de comptes auprès des organismes et des institutions publiques subventionnaires (comme Emploi-Québec, qui exige des suivis rapprochés des élèves financés) ont une incidence significative qui va justement à l’encontre de l’approche faite de flexibilité développée par les MAS. En ce sens, les mécanismes de gestion risquent, finalement, de nuire à l’adaptation aux parcours d’apprentissage des élèves. Par conséquent, on peut se demander comment les MAS parviendront à maintenir le cap, face à des logiques sociales et entrepreneuriales en apparence contradictoires.