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1. Introduction

Le parcours de vie de chaque individu suit une certaine direction, caractérisée par une séquence et une combinaison particulière de transitions se déroulant dans différentes sphères de vie, et dans un contexte sociohistorique donné (Kok, 2007). La transition suivant les études secondaires en formation générale des jeunes (FGJ) est un moment charnière d’anticipation de l’avenir. De multiples choix s’offrent aux jeunes à ce moment socialement normé, que ce soit un choix de formation pour la suite ou la décision de se diriger vers le marché du travail. Ce choix à réaliser serait un des moments les plus importants de leur parcours (Cournoyer et al., 2016), alors qu’il peut avoir des conséquences dans plusieurs de leurs sphères de vie, par exemple des difficultés financières ou de l’insatisfaction par rapport à la carrière (Gati et Tal., 2008).

Pour certains élèves, le fait de vivre de l’anxiété dans ce contexte contribue à créer une situation de vulnérabilité dans leur parcours de vie. L’anxiété peut notamment impliquer une augmentation du risque de développer un trouble de l’humeur ou d’abus de substances (Turgeon et Gosselin, 2015). En outre, les élèves aux prises avec l’anxiété seraient plus susceptibles de s’absenter régulièrement de l’école, ce qui a un impact négatif sur leurs résultats scolaires et peut les mener à interrompre leurs études (Turgeon et Gosselin, 2015). L’anxiété peut aussi affecter la façon dont l’élève réalise son choix de carrière en l’amenant à éviter les comportements qui pourraient l’aider à formuler un choix, par exemple la consultation en orientation (Germeijs et al., 2006) ou à faire un choix non optimal pour mettre fin à l’anxiété le plus rapidement possible (Savard et al., 2002), ce qui peut entraver sa capacité à réaliser un choix de carrière.

Cette anxiété peut être exacerbée par le contexte sociohistorique actuel, caractérisé par l’injonction à se projeter dans l’avenir dès un jeune âge (Kamanzi et Pilote, 2016), l’insuffisance des ressources et l’inégalité dans l’accès aux services d’orientation en milieu scolaire (Dionne et al., 2018). Ces caractéristiques peuvent entraver le parcours d’apprentissage des jeunes, alors qu’à un moment socialement normé – la fin des études secondaires en FGJ – les élèves reçoivent l’injonction de formuler un choix, sans nécessairement posséder les ressources pour appuyer leur activité de réflexion ou sans avoir accès à des espaces leur permettant d’acquérir ces ressources (Dionne et al., 2018). De fait, des ressources sont accumulées par les élèves durant leur parcours de vie (p. ex., information scolaire et professionnelle, connaissance de soi), mais peuvent demeurer inopérantes en l’absence d’espaces leur permettant de réfléchir et d’interagir avec les autres (Alheit et Dausien, 2005). Un exemple possible de ces espaces est la mise en place d’une intervention en groupe visant la prévention de l’anxiété.

De nombreux programmes de groupe visant la prévention de l’anxiété lors de l’adolescence existent, mais peu se sont intéressés à l’anxiété en situation de choix de carrière. Les études portant sur ces programmes, majoritairement construits sur les bases de l’approche cognitivo-comportementale, montrent également certaines lacunes conceptuelles (Dupuis et al., 2021). De fait, les émotions sont généralement conceptualisées dans une visée d’adaptation à une situation, plutôt que d’acquisition de pouvoir d’agir sur ses émotions et son environnement. De plus, les particularités de l’intervention sont peu mises en lumière, ce qui ne permet pas de comprendre la façon dont les processus d’apprentissage se réalisent, et favorisent le développement de nouvelles capacités à agir (Dupuis et al., 2021). Peu d’information est disponible par rapport à l’activité qui se déroule au sein de ces groupes, et au soutien que ces dispositifs peuvent offrir dans le parcours d’apprentissage de jeunes en situation de vulnérabilité.

Ces limites sont principalement associées à l’approche cognitivo-comportementale, mais peuvent également s’appliquer à plusieurs autres approches mobilisées dans le domaine de l’orientation professionnelle, notamment l’approche trait-facteur ou l’approche sociale-cognitive (Bujold et Gingras, 2000). Les approches historiques en orientation se sont graduellement détachées de l’aspect statique du choix de carrière pour l’aborder dans une perspective développementale, mais demeurent en grande partie cognitives et comportementales, conceptualisant le social comme un facteur d’influence parmi d’autres (Bujold et Gingras, 2000; Dupuis et al., 2021). Afin de répondre aux lacunes repérées en référence aux programmes de prévention de l’anxiété, et de mettre de l’avant toute l’importance de la construction sociale dans le processus de choix de carrière et des émotions associées, un programme de counseling de carrière groupal a été élaboré dans l’esprit de la psychologie historique du développement culturel.

Cette perspective se centre sur les processus d’apprentissage et de développement des individus (Vygotski, 1931/2014), mais sa considération de leur expérience biographique est plus limitée, une zone d’ombre qui pourrait être éclairée par la mobilisation d’une autre approche. L’approche sélectionnée est celle des parcours d’apprentissage, qui met de l’avant l’apprentissage dans les différentes sphères de vie de l’individu, et l’aspect longitudinal de l’apprentissage. Inversement, l’approche des parcours d’apprentissage présente également des zones d’ombre – notamment la considération limitée accordée aux processus d’apprentissage se déroulant durant les transitions (Kok, 2007) – qui pourraient être éclairées par la psychologie historique du développement culturel de Vygotski. Dans le cadre de cet article, l’objectif est de questionner la façon dont l’approche de la psychologie historique du développement culturel et l’approche des parcours d’apprentissage peuvent être mises en relation, plus précisément en explorant la façon dont un programme de counseling de carrière groupal peut constituer un soutien aux parcours d’apprentissage des élèves.

2. Cadre théorique

La psychologie historique du développement culturel (Vygotski, 1931/2014) repose sur la prémisse d’une sociogenèse des fonctions psychologiques propres à l’espèce humaine. Sur le plan de l’ontogenèse, les lignes psychologiques et biologiques se maillent, donnant forme au développement de fonctions psychologiques spécifiques à l’espèce humaine à un moment historique d’une société donnée, ce que Vygotski (1931/2014) désigne en termes de développement culturel. Ces fonctions se construisent dans le cadre d’activités socialement réglées et normées de transformation du monde à l’aide d’instruments[1]. Les émotions sont aussi considérées à la lumière de cette prémisse, alors qu’elles sont constituées d’un donné biologique, mais font l’objet de diverses activités sociales où elles sont retravaillées (p. ex., écrire un poème, échanger en groupe). À travers celles-ci, l’individu apprend à maîtriser ses émotions de façon à contribuer à ces activités selon ce qu’il souhaite. Ainsi, sous certaines conditions, les émotions peuvent faire l’objet d’un développement.

Dans la psychologie historique du développement culturel, l’apprentissage contribue à l’éveil du développement et a pour fonction la création de la zone de développement le plus proche (ZDP) (Vygotski, 1934/2012). La ZDP fait référence à la distance entre le niveau de développement actuel de l’individu et celui qu’il peut atteindre en travaillant en collaboration, mais également les activités particulières qui peuvent être mises en place pour contribuer à la maîtrise progressive de ses propres processus psychologiques, notamment en mobilisant des instruments de systématisation de l’expérience (Saussez, 2017). Sous cet angle, la ZDP désigne des situations où l’individu est confronté à de nouvelles formes de conduite qu’il doit maîtriser, compte tenu des activités sociales dans lesquelles il est impliqué et où il doit trouver sa place (Saussez, 2017), et pour lesquelles il ne dispose pas des instruments de systématisation de l’expérience nécessaires à la maîtrise de ses propres processus psychologiques lui permettant de contribuer pleinement. Dans le cas présent, l’élève est confronté à l’injonction de formuler un choix de carrière, sans disposer des instruments nécessaires, ou avoir accès à des ressources lui permettant de les acquérir.

Le groupe de counseling de carrière mis en place est envisagé comme une activité pouvant contribuer à l’ouverture d’une ZDP pour chacun des élèves, dans le contexte où le choix de carrière implique d’imaginer un devenir professionnel qu’on veut rendre réel, ce qui peut être source d’anxiété et ainsi nuire au processus de choix. À leur arrivée dans le groupe, les élèves ont déjà réalisé des apprentissages au sujet du choix de carrière et de la maîtrise des émotions, dans l’une ou l’autre de leurs sphères de vie (p. ex., information sur la formation et le travail, connaissance de soi). À l’intérieur du groupe, ces apprentissages sont retravaillés au moyen de nouveaux instruments de systématisation de l’expérience – concepts scientifiques (CS)[2] et systèmes d’action (SA)[3] – qui sont mis en jeu sur le plan interpsychologique, pour être progressivement mobilisés par l’élève sur le plan intrapsychologique, en collaboration avec la personne intervenante et les autres personnes participantes, ce qui favorise leur apprentissage (Vygotski, 1931/2014). L’apprentissage de ces instruments permet à l’élève de s’affranchir d’un rapport immédiat à la situation de choix de carrière, grâce à la prise de conscience des émotions qui y sont mises en jeu. Cela lui permet de construire un rapport conscient à son rapport émotif à la situation et de tenter de pouvoir le comprendre, voire de le modifier, en étant en mesure de disposer autrement de son expérience, et d’être en mesure de réaliser un choix de carrière.

La proposition théorique mise de l’avant dans le cadre de cet article vise à mettre en relation la psychologie historique du développement culturel et l’approche des parcours d’apprentissage. En établissant un dialogue entre ces deux approches, l’objectif est d’éclairer leurs zones d’ombre respectives, présentées précédemment. En alliant l’approche des parcours de vie (Elder et al., 2003; Kok, 2007) et l’apprentissage tout au long et au large de la vie (Alheit et Dausien, 2005), l’approche des parcours d’apprentissage cherche à mettre de l’avant une vision longitudinale qui permet de saisir la façon dont les transitions se construisent dans le temps (Elder et al., 2003), mais également dans les différentes sphères de vie de la personne, notamment dans les contextes d’éducation formelle et non formelle (Bourdon, 2010). Ces éléments peuvent permettre de répondre à la considération limitée de l’approche vygotskienne de l’expérience biographique. À l’inverse, l’approche vygotskienne sera mobilisée pour répondre à la zone d’ombre des parcours d’apprentissage à l’égard des processus d’apprentissage en mobilisant les notions d’instruments de systématisation de l’expérience et les processus ayant cours dans le groupe. Ainsi, cet article vise à explorer la possibilité de considérer le groupe comme une ZDP qui peut être un soutien potentiel aux parcours d’apprentissage des élèves, un espace visant à les accompagner dans leur apprentissage d’instruments et favoriser une transition harmonieuse à la fin du secondaire, dans le cadre de leur parcours d’apprentissage. Le développement au sein du groupe sera analysé pour interroger l’approche des parcours d’apprentissage du lieu de la perspective vygotskienne.

3. Méthodologie

Les données présentées dans cet article ont été recueillies dans le cadre de la première implantation du programme Hors-PISTE, volet orientation (Dupuis, 2022). Ce programme de counseling de carrière groupal a été élaboré par la première auteure de cet article et vise la prévention de l’anxiété en situation de choix de carrière chez les élèves de 4e et 5e secondaire.

3.1. Personnes participantes et procédures

Le programme d’intervention est divisé en six rencontres de 120 minutes qui se déroulent aux deux semaines auprès de groupes de six ou sept personnes (Tableau 1) qui affirment vivre de l’anxiété en situation de choix de carrière, recrutées sur une base volontaire. Cette stratégie de recrutement, et le fait que les milieux intéressés étaient à prédominance féminine, expliquent que seules des filles participent à cette première implantation.

Tableau 1

Les personnes participantes[4]

Les personnes participantes4

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Les groupes ont été animés par la première auteure de cet article, conseillère d’orientation (CO). Dans le cadre du groupe, les instruments de systématisation de l’expérience transmis sont essentiellement des concepts scientifiques (CS) et des systèmes d’action (SA) permettant la mise en visibilité – pour soi et pour autrui – des émotions (p. ex., anxiété, construction sociale, pleine conscience[5]) et de l’expérience de choix de carrière (p. ex., intérêts, recherche d’informations, prise de décision) ainsi que l’exploration d’un nouveau rapport à celles-ci. Certains instruments favorisent à la fois la mise en visibilité des émotions et de l’expérience de choix (p. ex., pression, société). Ils sont introduits par la personne animatrice par différents moyens comme des listes, des schémas ou des discussions[6]. Les données sont recueillies au moyen de quatre sources:

Tableau 2

Les sources de données

Les sources de données

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Ces multiples temps de collecte inscrivent la recherche dans une perspective longitudinale. Ils permettent de cerner la façon dont le processus d’apprentissage et de développement découlant de la participation à un dispositif d’apprentissage particulier, à un moment précis, se déploie. Le projet a reçu l’approbation du Comité d’éthique de l’Université de Sherbrooke.

3.2. Plan d’analyse

Les données ont été entrées dans le logiciel NVivo 12 et font l’objet d’un codage selon une analyse thématique (Paillé et Muchielli, 2016). L’arbre thématique, détaillé dans Dupuis (2022), est construit de façon à mettre en évidence les instruments de systématisation de l’expérience transmis (CS, SA) et les traces discursives mettant de l’avant les processus d’apprentissage de ces instruments et de développement de nouvelles capacités à agir sur leur conduite des participantes en ce qui a trait à la maîtrise des émotions ou la réalisation d’un choix de carrière. Chaque thème de l’arbre est associé à un noeud, et les éléments de chaque source correspondant au noeud y sont codés. Des matrices en condensés (Spencer et al., 2014) ont aussi été mobilisées pour déconstruire, puis reconstruire à rebours les processus d’apprentissage et de développement chez les participantes.

4. Résultats

Trois participantes ont été sélectionnées et leur développement au sein de leur groupe respectif est présenté[7]. Ces participantes ont été sélectionnées, car leur processus d’apprentissage et de développement s’amorce – et se termine – à des endroits distincts, permettant de mettre en évidence la variété de l’apport possible du groupe comme dispositif d’apprentissage particulier, à un moment précis de leur parcours de vie.

4.1. Le développement de Zoé

Zoé est une participante du groupe 1 qui provient d’un milieu social favorisé (MEES, 2020). À son arrivée dans le groupe, elle dit penser bien se connaître, et être assez bien informée sur les différents programmes de formation, ce qui indique que des apprentissages en ce sens ont été réalisés préalablement à sa participation au groupe. Par rapport à son anxiété, elle rapporte en vivre énormément, et ne pas être en mesure de la maîtriser. Cette anxiété est alimentée par une crainte de ne pas réussir dans la sphère scolaire, et par la pression ressentie de la part de son entourage par rapport au futur de sa sphère professionnelle. Elle explique que sa famille lui parle régulièrement de l’université et du domaine de la comptabilité, parfois même de manière quotidienne: «[S]i je ne fais pas le bon choix […] bien j’ai peur de me faire dire “tu vois, on te l’avait dit, puis tu ne l’as pas fait”» (R1).

Au cours des rencontres, des instruments visant la mise en visibilité du choix de carrière (CS et SA) sont transmis et appris, et certains contribuent de manière plus importante au processus d’apprentissage de Zoé. Elle explique qu’en travaillant à découvrir ses intérêts et aptitudes (CS) au moyen de listes et de discussions de groupe, tout en continuant de faire des recherches (SA), elle a été en mesure de prendre conscience du fait que le domaine de l’administration semble lui correspondre. Elle dit toutefois toujours ressentir la crainte de changer d’idée: «Ça me fait peur. Je n’ai pas envie, tu sais je comprends n’importe qui peut changer d’idée. […] Mais pour moi, dans ma tête, c’est comme recommencer à zéro» (R2). Cette crainte – partagée par d’autres participantes – fait l’objet de discussions dans le groupe. Zoé comprend qu’il est possible de changer d’idée, mais cette perspective demeure source d’anxiété. Une anxiété exacerbée par le fait que ses frères et soeurs plus âgés ont changé d’idée dans leur parcours, ce qu’elle ressent comme une pression supplémentaire de la part de ses parents. Elle explique également avoir pris conscience d’être incertaine de se connaître vraiment: «J’ai de la misère à me dire mes intérêts, aptitudes, parce que j’ai l’impression d’avoir une vision de moi-même qui n’est peut-être pas réelle» (R5). Néanmoins, elle maintient son choix vers l’administration, alors qu’il s’agit du domaine qui semble le plus correspondre à ce qu’elle pense connaître d’elle-même. Elle ajoute que le fait que ce domaine lui permet de continuer à envisager plusieurs options est aussi un élément qui l’incite à poursuivre dans cette voie. Elle fait donc le choix d’aller au cégep en sciences humaines – administration, puis se laisse la possibilité de voir par la suite. Elle démontre une nouvelle souplesse, qui semble avoir un effet positif sur son anxiété:

Je suis arrivée à la conclusion que, bien au pire, j’y vais une session, puis si ça ne me va pas, puis que je ne suis pas capable, bien ce sera une session de perdue, puis on reprend de l’autre bord.

R6

Cette diminution de la crainte de se tromper contraste avec les premières rencontres, durant lesquelles il s’agissait d’une source d’anxiété importante. Les apprentissages réalisés au sujet du choix de carrière semblent ainsi avoir contribué à clarifier le choix de Zoé, tout en favorisant la diminution de l’anxiété ressentie à ce sujet.

Parallèlement, des instruments visant la mise en visibilité des émotions et de l’anxiété sont transmis et mis en jeu lors de discussions de groupe. Ces instruments (SA) incluent notamment la pleine conscience, le fait d’en parler et l’identification des facteurs d’anxiété. La personne animatrice insiste régulièrement sur l’importance de trouver un moyen qui fonctionne pour soi, alors que cela peut varier d’une personne à l’autre. En matière d’apprentissages, Zoé rapporte que la pleine conscience pourrait représenter un moyen de maîtrise de l’anxiété intéressant pour elle.

L’entretien de groupe permet à Zoé de revenir sur les instruments transmis, les apprentissages réalisés, et les prises de conscience qui en ont découlé. Elle revient sur la pression ressentie de la part de sa famille au sujet de son choix, qu’elle est davantage en mesure de reconnaître. Elle indique aussi se faire davantage confiance à l’égard de son choix de carrière. Elle explique que les recherches d’informations lui ont permis de constater que le domaine de l’administration semble lui convenir, mais elle se laisse du temps avant de choisir le métier précis qu’elle veut faire. Sa diminution de la peur de se tromper se confirme:

J’avais peur qu’on ne puisse pas, quand tu choisis quelque chose, ce n’est pas bon de changer d’idée, puis que tu repars à zéro. Puis je me rends compte que ce n’est pas ça, donc je me dis tant qu’à faire, on va se lancer.

EG

Zoé nomme également avoir appris qu’il était possible de maîtriser son anxiété, et qu’il existe des instruments (p. ex., la pleine conscience) qui peuvent l’aider en ce sens. Elle parle d’un «lâcher-prise» dans sa façon de vivre son anxiété, autant dans sa sphère scolaire, que sa sphère professionnelle à venir. Elle dit quitter le groupe de manière positive: «[J]e ne repars pas avec ma carrière dans ma face, mais beaucoup plus d’outils, puis de connaissances» (EG).

Ces apprentissages se confirment lors de l’entretien individuel. Elle dit voir une évolution dans sa façon d’envisager son choix de carrière, ainsi que la maîtrise de son anxiété. Par rapport à l’augmentation de son lâcher-prise et de la diminution de la peur de se tromper, Zoé crédite notamment une autre participante du groupe:

Je vais prendre l’exemple d’Alexia, qui était un peu en doute, mais [qui] avait vraiment une certitude dans ses affaires. Puis je me suis dit, «tu sais elle est prête à se lancer dans certaines choses». Puis de voir des personnes comme ça […] ça m’a comme créé un mindset de, bien tu n’as rien à perdre, puis vas-y, va dans le vide. Puis ça a fait un déclic, parce que depuis les rencontres je suis de même.

EI

Elle affirme maintenir sa décision d’aller dans le domaine de l’administration, et ne plus ressentir d’anxiété relative à son choix de carrière. Elle nomme toujours vivre de l’anxiété dans d’autres sphères de sa vie – notamment scolaire et familiale – mais considère maintenant avoir des instruments à sa disposition pour la maîtriser.

4.2. Le développement d’Amélia

Amélia est une participante du groupe 2 qui provient d’un milieu social défavorisé (MEES, 2020). À son arrivée dans le groupe, elle dit se sentir confuse par rapport à son choix de carrière: «Je pense que peut-être je sais ce que je veux, mais il y a tellement de choix, puis il y a tellement de contraintes qui viennent avec ça que genre, ce n’est pas encore prêt dans ma tête» (R1). Elle semble ainsi avoir réalisé certains apprentissages préalables, mais ne pas être en mesure de les mobiliser pour effectuer un choix de carrière. Par rapport à son anxiété, elle rapporte qu’elle a l’impression de bien gérer ses émotions, mais qu’elle n’est pas certaine que ce soit le cas, alors qu’elle n’est pas en mesure d’identifier des moyens pour maîtriser son anxiété. Cela semble indiquer que peu d’apprentissages préalables ont été réalisés ou formalisés.

Au cours des rencontres, des instruments visant la mise en visibilité de l’expérience de choix de carrière sont transmis et appris, et certains contribuent de manière plus importante au processus d’apprentissage d’Amélia. Elle explique que les différentes discussions de groupe au sujet du choix de carrière (CS) l’ont aidée à prendre conscience des facteurs qui sont source d’inquiétude pour elle:

Si exemple je m’en vais étudier dans quelque chose… là finalement ce n’est peut-être pas l’affaire qui m’intéresse tant, là est-ce que je vais avoir l’argent pour aller dans quelque chose d’autre? Est-ce que je vais avoir le potentiel? Est-ce que je peux? Est-ce que j’ai le temps? […] On dirait que c’est comme tout plein d’affaires en même temps qui viennent toutes se mélanger en même temps là…

R2

Elle décrit ce processus comme un «hamster qui tourne», sans être en mesure de trouver de réponse à ses questionnements. Elle dit envisager peu d’options à l’égard de son choix de carrière, alors qu’elle se sent envahie par le trop grand nombre d’options possibles. Elle explique aussi que la sphère professionnelle – malgré l’anxiété qu’elle suscite – n’est pas nécessairement sa priorité, parlant plutôt de l’importance de ses amies et amis et de sa famille. Néanmoins, la mise en jeu du CS de valeurs dans le groupe et les apprentissages suscités lui ont fait prendre conscience de l’importance de considérer ses valeurs dans son choix de carrière. Hésitant entre deux domaines – relation d’aide et théâtre –, la prise en compte de ses valeurs lui permet de trancher. Elle explique que les formations dans le domaine du théâtre ne sont pas offertes dans sa région, et qu’elle aurait été dans l’obligation de quitter sa famille pour les suivre, entrant en conflit avec sa valeur de la famille. Les apprentissages réalisés au sujet de l’expérience de choix de carrière semblent ainsi avoir contribué à clarifier le choix d’Amélia.

Parallèlement, des instruments visant la mise en visibilité des émotions et de l’anxiété sont transmis et mis en jeu et pratiqués dans le groupe. Ces moyens (SA) incluent la pleine conscience, l’art et l’organisation de son temps et de son espace. La personne animatrice insiste ici aussi sur l’importance de trouver un moyen qui fonctionne pour soi, alors que cela peut varier d’une personne à l’autre. En ce qui concerne les apprentissages, Amélia rapporte que la pleine conscience est un moyen qui lui convient et qu’elle pourrait mobiliser dans différentes sphères de vie, notamment personnelle: «[Ç]a m’a vraiment relaxée puis je me dis que ça va m’aider à m’endormir le soir» (R5). Elle explique aussi que le groupe lui a permis de prendre conscience du fait que son anxiété est alimentée par la société, mais aussi son entourage: «La vie continue à avancer toujours plus vite, ça crée une anxiété à tout le monde […] tout le monde est stressé autour de nous» (R2).

L’entretien de groupe permet à Amélia de revenir sur les instruments transmis, les apprentissages réalisés, et les prises de conscience qui en ont découlé. Elle indique de nouveau avoir réalisé des apprentissages sur ses valeurs, ce qui l’a aidée à préciser son choix de carrière:

Je savais que mes valeurs c’était la famille, le respect, mais là j’ai vraiment réalisé que si je vivais sans ma famille, je ne serais juste pas capable de vivre. Fait que ça m’a vraiment […] aidée à faire un choix plus clair.

EG

Sa participation au groupe et les instruments transmis semblent donc avoir eu une influence importante sur la réalisation de son choix de carrière, mais également sur la maîtrise de ses émotions. Par rapport à la pratique de la pleine conscience, elle dit que cette pratique la relaxe, et qu’elle peut l’utiliser dans d’autres sphères de vie, par exemple professionnelle. Elle explique que son emploi (commis dans un dépanneur) est parfois source d’anxiété pour elle, mais que la pleine conscience peut lui permettre de mieux maîtriser cette anxiété qui nuit notamment à son sommeil. Elle évoque aussi le fait qu’elle avait tendance à accumuler ses émotions et à exploser, mais avoir vu une évolution grâce à sa participation au groupe: «[J]’ai appris que je peux en parler aux autres au fur et à mesure pour m’enlever ce poids-là des épaules» (EG).

Ces apprentissages se confirment lors de l’entretien individuel, mais de nouveaux questionnements sont soulevés. Amélia explique qu’une expérience de travail a remis en question la décision de travailler avec des enfants: «J’aime vraiment ça travailler avec les enfants avec le camp de jour, mais ça m’a beaucoup épuisée. Je ne sais pas si je serais capable de faire ça à longueur d’année, surtout que j’aimerais ça avoir une famille» (EI). Néanmoins elle dit être moins confuse qu’avant sa participation au groupe, et être en mesure d’avoir recours à des instruments pour clarifier cette décision, notamment aller chercher davantage d’informations au sujet des métiers qui l’intéressent. Elle ajoute que le fait d’apprendre à se poser les bonnes questions l’a également aidée à cheminer, et que cela lui a permis de mieux organiser ses pensées: «Depuis que j’ai réussi à m’organiser dans ma tête on dirait que je suis capable de m’organiser en général dans ma vie, genre juste avec mes devoirs, ma chambre je suis capable de la mettre en ordres» (EI). Cet apprentissage semble donc avoir eu des répercussions sur certaines de ses autres sphères de vie, dans l’extrait présenté sur les sphères scolaires et personnelles. Par rapport à l’anxiété, elle rapporte avoir appris l’apport possible de la pleine conscience, et s’être servie de cet instrument auprès d’enfants dans le cadre de son emploi au camp de jour. Amélia affirme qu’elle est toujours hésitante à l’égard de son choix de carrière, et des enjeux dans la maîtrise de son anxiété, mais constate une amélioration et est en mesure d’identifier parmi les instruments appris, ceux qui lui offrent des possibilités d’agir sur ses émotions.

4.3. Le développement d’Éliane

Éliane est une participante du groupe 3 qui provient d’un milieu social défavorisé (MEES, 2020). À son arrivée dans le groupe, elle dit ne pas se connaître suffisamment, et ne pas être bien informée sur les options de formation qui s’offrent à elle: «Je suis un peu perdue! Avant, je savais ce que je voulais faire puis c’est comme l’année passée ça a crashé, je ne le sais plus tant où je m’en vais» (R1). Par rapport à son anxiété, elle affirme qu’elle est une personne anxieuse en général, et qu’elle a peu de moyens de maîtrise de l’anxiété. Elle semble ainsi posséder peu d’apprentissages préalables, et ne pas être en mesure de les mobiliser – ou d’en acquérir davantage – pour réaliser un choix de carrière ou maîtriser son anxiété.

Au fil des rencontres, certains des instruments visant la mise en visibilité de l’expérience de choix de carrière transmis et appris contribuent au processus d’apprentissage d’Éliane. Elle explique qu’en travaillant à mieux connaître ses intérêts (CS) au moyen de listes et de discussions de groupe, elle est en mesure d’en identifier plusieurs (p. ex., dessin, animaux). Elle dit ne pas être en mesure de partager des options de carrière qui pourraient l’intéresser, mais vouloir faire quelque chose qui lui donnera envie de se lever le matin. Éliane parle de manière régulière de la tension entre son désir de réaliser ses rêves, et ce qu’elle sera en mesure d’accomplir, que ce soit pour des considérations scolaires ou financières:

Quand je pense que je trouve un métier qui me plaît puis que je suis comme: «Ah ouais! Ça je vais aimer ça, je suis pas mal sûre!» Bien là, il y a quelque chose dans le salaire ou il faut des études que je ne serai jamais capable de faire parce que je n’ai aucune compétence pour ça. […] Il y a tout le temps quelque chose qui fait que je dois recommencer à la case départ.

R5

Elle explore quelques options (p. ex., actrice, astronome), mais revient à ses incertitudes relatives à ses compétences scolaires et au salaire. Au cours de la rencontre, elle prend conscience que cette impression de recommencer à la case départ est liée au fait qu’elle avait toujours voulu faire un métier – vétérinaire – et qu’elle a écarté cette option peu avant d’intégrer le groupe, ce qui lui donne l’impression qu’elle ne sera pas en mesure de réaliser un choix qu’elle maintiendra à long terme. Après une discussion avec le groupe, elle prend conscience que chaque profession qu’elle élimine est, en quelque sorte, un pas en avant:

Je repars avec une petite dose de plus d’espoir parce que j’en avais […] parce que je ne m’étais pas rendu compte que j’avais déjà un petit peu de chemin de fait. Genre, moi dans ma tête, je n’avais vraiment rien, c’était juste le trou noir.

R5

Durant l’atelier sur le plan d’action, elle indique des ressources qu’elle peut utiliser pour poursuivre son processus de choix de carrière, notamment consulter la personne CO de son école, ce qui la rassure. Les apprentissages réalisés au sujet de l’expérience de choix de carrière semblent ainsi avoir contribué à clarifier le choix d’Éliane, sans qu’elle soit en mesure d’en formuler un à la fin des rencontres.

Parallèlement, des instruments visant la mise en visibilité de l’anxiété sont transmis et mis en jeu lors de discussions et de pratique de différents moyens de maîtrise de l’anxiété. Ces moyens (SA) incluent notamment la pleine conscience, l’identification des facteurs d’anxiété, la lecture, le sport et la réalisation de listes. Comme dans les autres groupes, la personne animatrice insiste sur l’importance de trouver un moyen qui fonctionne pour soi. Après un essai dans le groupe, Éliane indique ne pas apprécier la pleine conscience, qui laisse trop de place à ses pensées. Elle est tout de même en mesure d’identifier des instruments de maîtrise de son anxiété qu’elle utilise au quotidien, certains témoignant d’une maîtrise (p. ex., lire, parler avec une personne professionnelle), et d’autres d’une adaptation négative: «[J]e me ronge les ongles, je m’enlève la peau des doigts, puis je me mords les lèvres» (R2). Éliane s’ouvre peu sur la façon dont l’anxiété affecte ses différentes sphères de vie, mais elle se décrit souvent comme une personne anxieuse, il est donc probable que l’anxiété les affecte, et que les moyens transmis – et appris – contribuent à sa maîtrise de l’anxiété ressentie. Par ailleurs, elle évoque des prises de conscience relatives à son anxiété – découlant des apprentissages réalisés – notamment l’aspect positif que l’anxiété peut avoir à un niveau modéré: «[Ç]a peut nous remettre en question puis nous faire un peu penser» (R4).

L’entretien de groupe permet à Éliane de revenir sur les apprentissages réalisés et les prises de conscience qui en ont découlé. Elle rapporte avoir appris sur elle-même, notamment en ce qui a trait à ses intérêts, mais avoir aussi appris des instruments de recherche d’informations qui lui permettent de poursuivre son exploration: «Je ne sais pas encore où je m’en vais. Tu sais, j’ai quelques idées qui poppent, puis je me renseigne un peu, je checke» (EG). Par rapport à la maîtrise de son anxiété, elle réitère que la pleine conscience n’est pas un moyen qui fonctionne pour elle, mais que ce qui fonctionne est de rester concentrée sur le moment présent avec différents moyens (p. ex., jouer avec un objet).

Ces apprentissages relatifs à son choix de carrière et la maîtrise de son anxiété se confirment lors de l’entretien de suivi individuel. Elle explique continuer d’aller consulter les sites Internet présentés lorsqu’elle pense à une profession, et tenter de se centrer sur le moment présent lorsqu’elle vit de l’anxiété. Cependant, elle ajoute avoir eu besoin d’accompagnement supplémentaire à la fois dans son processus de choix de carrière et de maîtrise de l’anxiété, ce qui l’a conduit à aller consulter une personne CO et une personne intervenante en santé mentale depuis le début de l’année scolaire, ce qui est en cohérence avec ce qui a été évoqué lors des rencontres. Elle reconnaît que cet accompagnement l’aide, alors qu’elle a quelques pistes en tête au regard de son choix de carrière (travail avec les animaux, philosophie), et qu’elle se fait présenter de nouveaux moyens de maîtrise de son anxiété. Ainsi, Éliane a réalisé des apprentissages et développé ses capacités dans le cadre de ce dispositif d’apprentissage particulier, à un moment précis de son parcours d’apprentissage, mais a eu besoin d’aide supplémentaire pour poursuivre ce développement.

5. Discussion

La discussion se penche sur la façon dont la psychologie historique du développement culturel de Vygotski et l’approche des parcours d’apprentissage peuvent s’articuler pour apporter un regard nouveau sur un dispositif d’apprentissage particulier, à un moment précis du parcours de vie. Ces deux perspectives ont des particularités qui peuvent être difficilement conciliables, a priori, mais elles se rejoignent sur certains points, notamment sur l’importance qu’elles accordent au développement de nouvelles capacités à agir et aux interactions sociales dans l’apprentissage, une particularité qui les distingue de plusieurs des approches mobilisées dans le domaine de l’orientation (Bujold et Gingras, 2000; Dupuis et al., 2021). Comme annoncé dans l’introduction, ces deux approches peuvent s’articuler pour éclairer leurs zones d’ombre respectives. Une limite de l’approche des parcours d’apprentissage est la difficulté d’établir la façon précise dont les processus d’apprentissage se déclinent durant les transitions (Kok, 2007). Les résultats font état de la façon dont les processus d’apprentissages sont réalisés dans un dispositif particulier, à un moment précis du parcours d’apprentissage des individus – la transition suivant la fin des études en FGJ. Pour les trois participantes, la participation au groupe a été source d’apprentissage et de développement de nouvelles capacités à agir, qui se maintiennent trois mois après la fin de l’intervention, appuyant ainsi leur aspect longitudinal. Également, les participantes, par leur participation au groupe, prennent le temps de s’arrêter pour réfléchir à leur choix de carrière et aux émotions qui y sont associées, ce qui est quelque chose qu’elles rapportent ne pas faire dans leur vie de tous les jours ou dans leurs autres sphères de vie. Ces nouvelles connaissances permettant d’étudier l’apprentissage en train de se faire peuvent être l’occasion de réfléchir d’un autre point de vue l’accompagnement des personnes vivant de l’anxiété en situation de choix de carrière, mais aussi plus largement de celles impliquées dans des transitions.

Plutôt que d’intervenir dans une posture adaptative – critiquée dans le domaine de l’orientation (Picard et al., 2019) –, le programme vise à permettre aux participantes de prendre conscience des processus sociaux et subjectifs en jeu dans la situation de choix de carrière, et la maîtrise plutôt que l’adaptation aux émotions comme l’anxiété qu’elle peut susciter. Le contexte groupal semble particulièrement porteur, alors qu’il peut permettre de surmonter l’aspect paralysant des émotions et de se mettre en action (Dionne, 2015) en ayant l’occasion d’en discuter en groupe, et d’acquérir des instruments leur permettant de les maîtriser. En ce sens, pour les trois participantes dont le développement a été présenté, les tâches spécifiques accomplies en groupe – et les apprentissages qui y ont été réalisés – ont été source de prises de conscience de ces processus. Par exemple, dans le cas d’Amélia, la recherche d’informations (SA) et les valeurs (CS) sont deux instruments transmis dans le cadre du groupe. Au fil des rencontres, elle travaille, puis s’approprie ces instruments qui lui permettent de porter un regard différent sur ses sphères familiales et professionnelles. L’utilisation volontaire de ces instruments lui permet de prendre conscience du fait que ses valeurs sont axées sur la famille, ce qu’elle considère comme incompatible avec les informations qu’elle obtient au sujet du métier d’actrice et de la formation associée. Cela lui permet alors de clarifier son choix de carrière. Les vignettes présentées montrent ainsi la porosité des frontières entre les sphères de vie des participantes, qui parlent régulièrement de leurs expériences – notamment familiales, scolaires et professionnelles – et de leur influence sur leur anxiété en situation de choix de carrière. Inversement, les instruments appris dans le groupe leur permettent également d’agir sur des situations associées à d’autres sphères de vie.

De l’autre côté, la psychologie historique du développement culturel de Vygotski (1931/2014) accorde peu d’attention à l’expérience biographique des individus. Or, les résultats permettent de constater que plusieurs variations sur le plan biographique existent dans le parcours des participantes avant, durant et après leur participation du groupe, ce qui doit être considéré dans un processus d’orientation. Vygotski (1935/1994) conceptualise l’anxiété comme une unité dialectique reliant l’environnement de l’individu, et la façon dont l’individu, avec son histoire biographique, vit cette expérience, mais sans accorder une attention particulière aux caractéristiques de cette histoire biographique. Au début du programme, les participantes ne se situent pas de la même manière à l’égard de leur choix de carrière et de leur anxiété, alors que les apprentissages préalablement réalisés et leurs expériences dans leurs différentes sphères de vie ne sont pas les mêmes – ce qui représente une zone d’ombre que la perspective vygotskienne ne permet pas d’éclairer. Malgré ces variations, des apprentissages sont systématisés au sein du groupe pour l’ensemble des participantes par le biais des instruments transmis et des interactions avec les autres participantes et la personne animatrice (p. ex., connaissance de soi, moyens de maîtrise de l’anxiété, influence sociale sur le choix de carrière et l’anxiété, etc.). En ce sens, dans le cas d’Éliane, sa participation au groupe semble avoir représenté un soutien à un moment précis de son parcours d’apprentissage, alors qu’elle fait état de plusieurs apprentissages et prises de conscience, mais un accompagnement individuel a été nécessaire à la suite de sa participation au groupe pour poursuivre le développement de ses capacités. Il est possible que l’ampleur de ses questionnements vocationnels et de son anxiété à son arrivée dans le groupe ait contribué à ce besoin d’accompagnement plus important. Dans un contexte de ressources limitées en orientation (Dionne et al., 2018), les résultats montrent que le groupe représente un soutien aux parcours d’apprentissage d’élèves vulnérables, mais un accompagnement supplémentaire peut être nécessaire pour certains.

6. Conclusion

L’injonction sociale au choix à laquelle les individus sont confrontés à la fin des études secondaires en FGJ conduit une transition socialement instituée, dont les particularités peuvent favoriser le développement d’anxiété en situation de choix de carrière (Cournoyer et al., 2016). Cependant, les vignettes présentées montrent que cette transition peut également être fructueuse dans le cadre du parcours d’apprentissage des personnes, lorsqu’elle est l’objet d’un travail spécifique dans un espace-temps socialement réglé et normé. Les résultats obtenus montrent que l’intervention en groupe peut être particulièrement féconde auprès de jeunes vivant de l’anxiété en situation de choix de carrière. Le regroupement d’élèves confrontés à une situation de choix à un moment socialement normé qui génère de l’anxiété semble avoir été bénéfique pour les participantes, en leur permettant d’établir des liens entre elles et de se soutenir dans le processus de choix dans le groupe et à l’extérieur de celui-ci.

Les résultats permettent également de démontrer comment la psychologie historique du développement culturel et l’approche des parcours d’apprentissage peuvent s’articuler pour apporter un regard nouveau sur un dispositif d’apprentissage particulier, à un moment précis du parcours de vie. En éclairant leurs zones d’ombre respectives, ces deux approches permettent d’éclairer la façon dont les apprentissages sont systématisés dans le cadre de ce dispositif groupal, et de quelle façon ils peuvent être remobilisés par les participantes dans leurs différentes sphères de vie à la suite de leur participation au groupe. Des recherches futures pourraient permettre de clarifier la façon dont les apprentissages préalablement réalisés et les expériences des participantes dans leurs différentes sphères de vie peuvent influencer la façon dont leur processus d’apprentissage et de développement se déroule dans le cadre du groupe.