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Marqué par une diversité et un pluralisme culturel accrus, le contexte international exige un renouvellement des pratiques sociales auprès des populations de migrants et de réfugiés. Une meilleure connaissance des politiques d’immigration, ainsi que de leur incidence sur ces populations semble également essentielle. Cet article traite plus particulièrement de l’incidence des politiques d’immigration sur la trajectoire des demandeurs d’asile au Québec, ainsi que sur leur subjectivité ; il explore notamment le concept de « réfugitude[1]  » pour mieux témoigner de ce vécu.

L’émergence de la problématique des réfugiés s’inscrit dans un contexte international témoin de flux migratoires sans précédent. À l’heure actuelle, on estime à plus de vingt millions le nombre de réfugiés dans le monde et à plus de cent millions le nombre de déplacés (Ferris, 1993). Les problèmes auxquels sont confrontés les réfugiés sont importants. Alors qu’on nie de plus en plus leur droit d’accès à l’asile (Creese, 1992 ; Gorman, 1993 ; Matas, 1989 ; Loescher, 1993 ; Jacques, 1985 ; Bettati, 1985), ils se retrouvent d’emblée parmi les nouveaux exclus de la société. Le phénomène de la mondialisation, le resserrement des frontières dans les pays de l’Occident, la montée de la xénophobie et du racisme, ainsi que la démobilisation des mouvements sociaux ont des répercussions sur les politiques sociales instaurées pour « gérer le problème » des réfugiés. Cette nouvelle problématique nous interpelle à différents niveaux, tant au plan des politiques sociales, de l’élaboration de pratiques novatrices et de formes d’intervention, en situation de crise ou en groupe, qu’à celui de la mobilisation. Le problème est complexe. Une analyse purement descriptive de la situation des réfugiés dans le monde et dans notre société ne nous permettrait pas de saisir l’ampleur de la problématique ; on doit donc aborder la question de façon globale.

Toute tentative d’élaborer de nouvelles pratiques sociales exige d’abord la compréhension des politiques relatives à l’immigration et aux réfugiés instaurées par les États nations. Cet article retrace le développement du concept d’asile dans les nations occidentales et démontre comment les politiques ont évolué dans un contexte de plus en plus mondialisé qui favorise le libre mouvement des biens, des services et du capital tout en restreignant la liberté de déplacement des personnes. Nous explorons ensuite la réfugitude, concept qui permet de porter un nouveau regard sur l’expérience des réfugiés. Cette expérience se définit comme étant universelle et elle est caractérisée par le déracinement des personnes et la traversée des frontières. C’est un concept qui nous permet d’aller au-delà des questions liées à l’ethnicité et à la culture et qui nous permet d’envisager le réfugié comme étant une sorte de migrant dont l’expérience aura de profondes répercussions sur sa vie et sur la définition de son identité. La réfugitude renvoie à un état de perte et de rupture par rapport à la subjectivité antérieure du migrant et par rapport à son état de réfugié. En utilisant comme exemple le processus canadien de reconnaissance du statut de réfugié, nous relevons certains des enjeux relatifs aux pratiques administratives imposées par les politiques. Enfin, nous présentons de nouvelles perspectives pour le développement de pratiques sociales adaptées à la réalité actuelle.

L’exclusion

La compréhension du sort des demandeurs d’asile commence par l’examen du discours sur l’immigration et les politiques relatives aux réfugiés, ainsi que par celui des pratiques qui en découlent. Ces pratiques s’instaurent dans divers États nations par l’entremise de politiques et de mesures administratives restrictives variées, ce qui contribue à la perception du réfugié en tant qu’Autre et à l’exclusion des réfugiés d’une participation pleine et entière à la vie politique de la société d’accueil. Voici ce qu’en pense Leonard (1997 :29 ; notre traduction) :

[…] qu’on doit relier les discours sur la différence et sur l’exclusion à des pratiques concrètes qui jouent un rôle dans la perception de l’autre : le racisme, le sexisme, l’exploitation matérielle et les autres formes de domination, généralement très liées entre elles.

L’exclusion est au coeur de la politique actuelle relative aux réfugiés du Canada et elle se traduit par des pratiques qui engendrent non seulement l’exclusion de la participation à la vie politique, publique et collective de la société d’accueil, mais aussi l’élaboration d’un discours dominant sur les réfugiés, lequel renie leurs expériences individuelles. En obligeant les individus à prouver par l’intermédiaire d’un processus de reconnaissance du statut de réfugié qu’ils sont bel et bien des réfugiés, ces pratiques d’exclusion repoussent les demandeurs d’asile plus avant dans leur réfugitude. Plus généralement, les politiques restrictives relatives à l’immigration et aux réfugiés qu’on a harmonisées à la grandeur des États nations de l’Occident ont une incidence profonde sur ceux que les lois internationales devraient protéger (Chemillier-Gendreau, 2002). Ces politiques, en plus de restreindre les déplacements et les possibilités de réinstallation, altèrent en profondeur la subjectivité des demandeurs d’asile en les enfermant dans des définitions désuètes et à peu près impertinentes, compte tenu du contexte international actuel. On ne peut changer la réalité de celui qui est réfugié, du moins pas dans ce contexte. Ce que nous pouvons changer, c’est la manière dont nous le traitons et notre compréhension de sa situation, de la réfugitude comme état de perte et de rupture profonde avec le passé.

Le développement et la transformation de la réfugitude : asile ou exclusion ?

Selon Tiberghien, « la reconnaissance du droit d’asile et l’accueil des réfugiés constituent la réponse des démocraties occidentales aux déplacements forcés de population engendrés par les États totalitaires du xxe siècle. Historiquement, c’est cela la naissance du statut de réfugié » (1995 :30). Malgré le fait que l’asile soit un concept ancien, ce n’est qu’à partir du xvie siècle, époque où les États modernes d’Europe commencent à définir la notion de souveraineté, que l’on assiste à une nouvelle forme de refuge : l’asile territorial ou l’asile diplomatique (Bettati, 1985 :22). Une tradition d’accueil s’installe alors dans plusieurs pays d’Europe. La France, par exemple, sacralise « le droit d’asile dans sa représentation idéologique et politique » (Tiberghien, 1995 :25). La Constitution française de 1793 proclame déjà le droit d’asile « aux étrangers bannis de leur patrie pour la cause de la liberté » (Bettati, 1985 :28). L’Amérique met aussi en place des dispositifs d’asile. Signée le 23 janvier 1889, la Convention de Montevideo comporte un article sur les réfugiés ; elle est ratifiée en 1940 par cinq États : l’Argentine, la Bolivie, le Paraguay, le Pérou et l’Uruguay (Bettati, 1985 :54-55).

Avec le déferlement de réfugiés du début du xxe siècle, en commençant par l’arrivée, en Europe, de un million de personnes déplacées par la révolution russe, on se détourne du concept d’asile en tant que droit sacré pour se tourner vers des préoccupations pragmatiques d’ordre économique, social et politique. Des millions de personnes déplacées par les deux guerres mondiales et par les régimes fascistes incitent la communauté internationale à passer à l’action. Les fondements du régime international relatif aux réfugiés sont instaurés à la suite de la Première Guerre mondiale et consacrés en 1951 par la Convention de Genève sur le statut des réfugiés. La Convention de Genève (ONU) relative au statut des réfugiés (1951) et le Protocole de 1967 définissent le réfugié comme étant un individu qui :

  • en raison d’une crainte justifiée de persécution du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques

  • se trouve hors du pays dont il a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays ou

  • n’ayant ni pays ni nationalité et se trouvant hors du pays dans lequel il avait sa résidence habituelle ne peut ou, en raison de ladite crainte, ne veut y retourner.

Cette définition occidentale établit les concepts sociaux, politiques et juridiques qui définissent aujourd’hui la réfugitude (Malkki, 1995 :506). Un réfugié, l’individu qui fuit la persécution, devient un demandeur d’asile lorsqu’il doit faire face à un processus de reconnaissance du statut de réfugié instauré par un État donné. En conséquence, les demandeurs d’asile sont, au plan international, socialement définis par des lois et par divers outils juridiques nationaux qui sont à leur tour principalement sous la gouverne de la Convention des Nations Unies de 1951 sur le statut de réfugié.

D’un discours humanitaire à un discours sur le contrôle

Au cours de la période qui a suivi la Deuxième Guerre mondiale, c’est d’abord un discours humanitaire qui a dominé au sujet des personnes déplacées de l’Europe. Au cours de la période 1940-1970, le conflit Est-Ouest a occupé le devant de la scène et une idéologie sous-jacente de « des gens comme nous » et un souci de se partager la tâche entre États occidentaux ont continué de faciliter la réinstallation des réfugiés. Au cours de la période 1970-1990, à mesure que la composition ethnique des mouvements de réfugiés s’est diversifiée, le discours a évolué, ce qui a mené à une impression que « les réfugiés ne sont plus des gens comme nous » mettant ainsi à l’épreuve la souveraineté des États nations. Cela a conduit à l’imposition de mesures de contrôle plus sévères pour entraver l’afflux de migrants en provenance du Sud (Hathaway, 1994 :50). On instaure des mesures dissuasives telles les clauses de tiers pays sûr et les amendes aux transporteurs. Les éléments du discours sous-tendent dorénavant une idéologie différente : on nous envahit, on ne peut soutenir le rythme, ils ne s’intégreront pas.

Ce n’est qu’au cours des années 1970 que les gouvernements occidentaux se sont aperçus de l’ampleur du problème des réfugiés en provenance du tiers-monde. Des millions de réfugiés indochinois avaient fui le Viêtnam, des millions de réfugiés afghans ont déferlé sur le Pakistan et sur l’Irak, les réfugiés somaliens et éthiopiens ont été déplacés vers le Soudan (Loescher et Monahan, 1989, 1993 ; Rogge, 1987 ; Ferris, 1993 ; Zolberg, Suhrke et Aguayo 1989). La situation mondiale des réfugiés avait commencé à changer et les réfugiés ne provenaient plus des pays du Nord, mais de plus en plus de ceux du Sud. Culturellement et ethniquement, les « nouveaux réfugiés » des années 1970 différaient des citoyens des sociétés d’accueil et souvent n’avaient pas le soutien de leur famille ni de groupes de leur pays d’origine (Joly et Cohen, 1989 :6). À cette époque, les demandeurs d’asile en provenance du monde en développement comptent pour 80 % de toutes les demandes en Europe, alors qu’ils n’y comptaient que pour 5 % en 1960 (Tiberghien, 1995 :42). Avec l’accès plus aisé aux transports, qui facilitait considérablement les déplacements, on percevait l’Occident comme l’Eldorado. Le discours s’est transformé et de nouvelles catégories de migrants ont commencé à émerger : les « migrants illégaux », les « réfugiés économiques », les « faux réfugiés ».

Dans les pays occidentaux, le contrôle des migrants – qu’ils soient des migrants illégaux, des travailleurs étrangers, des réfugiés ou des demandeurs d’asile – est devenu la principale préoccupation des politiques relatives à l’immigration et aux réfugiés (Loescher, 1993 ; Ferris, 1993 ; Zolberg, Suhrke et Aguayo, 1989 ; Withol de Wenden, 1995). À compter de ce moment, l’analyse des politiques de l’immigration en Europe révèle des critères de plus en plus restrictifs et le resserrement des frontières. « Depuis 1973, les mesures relatives à l’immigration et à la déportation dans des pays tels les Pays-Bas, le Royaume-Uni, la France et l’Allemagne sont devenues singulièrement homogènes, convergeant vers une rigueur accrue à l’égard des personnes de l’extérieur de la Communauté européenne » (Baimbridge, Burkitt et Macey, 1994 :422 ; notre traduction).

Un autre élément important de cette période est la « découverte de la souffrance des réfugiés et des demandeurs d’asile » (Tiberghien, 1995). En effet, les travailleurs sociaux sont confrontés à de nouveaux problèmes : séquelles post-traumatiques, enfants handicapés par la guerre, déracinement psychologique de l’exil. La formation des travailleurs est inadéquate pour affronter tous les problèmes. On assiste alors à l’entrée en jeu des ONG, des églises et des mouvements associatifs. La « souffrance de ces êtres ne débouche que sur la compassion, rarement sur la reconnaissance d’un droit » (Ibid., 1994 :44). On reconnaît l’impossibilité pour les requérants de rentrer chez eux et les questions d’insertion sociale deviennent plus urgentes. Comme le souligne Tiberghien, c’est « l’irruption de l’humanitaire ».

Bien que les catégories de migrants « qui ont du mérite » et ceux « qui n’ont aucun mérite » avaient déjà été établies au cours du xixe siècle – comme on le voit avec l’expérience des Juifs à la grandeur de l’Europe –, ces catégories de la fin du xxe siècle naissent de préoccupations des États par rapport à leur souveraineté. Ainsi, l’immigration à grande échelle au sein de l’Union européenne a créé un régime international pour la migration, qui comporte deux catégories de migrants : les citoyens des États membres de l’Union européenne, pouvant se déplacer librement, et les citoyens des États qui ne sont pas membres de l’Union européenne et doivent subir des mesures de contrôle sévères qu’on est en train d’harmoniser (Thränhardt et Miles, 1995). L’« harmonisation, le mot-clé des politiques relatives à l’asile » (Coulombe, 1992 :25) est dorénavant à la mode. Le nouveau vocabulaire relatif aux réfugiés et aux demandeurs d’asile fait désormais partie d’une nouvelle stratégie de contrôle qui s’est insinuée dans tous les aspects de la vie publique et constitue le début de la transformation du discours humanitaire en un mécanisme de restriction et d’exclusion. Cela constitue ce que Foucault (1976) appelle les « stratégies discursives » : le passage d’une catégorie idéologique à un objet défini et contrôlé par les États nations.

La subjectivité du demandeur d’asile

Les définitions et les lois sur ce qui constitue un réfugié sont instaurées par les États nations. En se servant de la définition juridique du réfugié, élaborée par le régime international, les États nations ont mis en oeuvre des politiques d’immigration qui ont eu comme impact de restreindre le mouvement des demandeurs d’asile en provenance du monde en développement. Les médias ont aussi joué un rôle discursif en cherchant des boucs émissaires aux derniers maux du capitalisme : chômage élevé, abus et fraude du système d’aide sociale, dépassement dans la file d’attente devant ceux qui méritent le droit d’entrer dans des pays souverains et ainsi devenir admissibles aux droits que confère la citoyenneté. Toutefois, subjectivement, les demandeurs d’asile sont davantage que le simple objet et leur réalité n’est qu’en partie circonscrite par le discours. Les demandeurs d’asile portent en eux une multitude de subjectivités : réfugié, demandeur(e) d’asile, père, mère, époux, travailleur(euse), professionnel(le). Ces différentes subjectivités sont en relation de pouvoir avec les pratiques qui découlent de diverses politiques et stratégies discursives. Nous ne pouvons donc pas parler d’un sujet particulier, mais de la position d’un sujet par rapport à un discours particulier.

Les pratiques canadiennes en matière de politiques sur les réfugiés et la subjectivité du demandeur d’asile

L’histoire de l’immigration au Canada a beaucoup retenu l’attention au cours des dernières années, surtout depuis l’arrivée « massive » de réfugiés au début des années 1980. Ce n’est que depuis la fin des années 1980 que le Canada reçoit entre 25 000 et 30 000 demandeurs d’asile, ces personnes qui se présentent aux frontières canadiennes et déposent une demande d’asile. Depuis la Deuxième Guerre mondiale, le Canada a connu différentes vagues de réfugiés. À compter de la période de l’après-guerre, ce qui caractérise la politique canadienne est le contrôle de son immigration. Des mesures de plus en plus restrictives sont mises en place afin de contrôler l’entrée des immigrants et des réfugiés (Creese, 1992 ; Gorman, 1993 ; Dirks, 1995).

Ce n’est qu’en 1969 que le Canada adhère à la Convention de Genève. Avec la Loi sur l’immigration de 1976, on instaure pour la première fois un processus de reconnaissance du statut de réfugié qui entre en vigueur en 1978. Tel qu’il était conçu au départ, ce processus ne garantissait pas aux demandeurs d’asile une audition orale lors de leur demande d’asile. La constitutionnalité de ce processus a été contestée et, en 1985, la Cour suprême du Canada a statué dans l’arrêt Singh que les demandeurs d’asile ont les mêmes droits que les Canadiens et qu’ils ont par conséquent le droit à une audition orale lors du dépôt de leur demande d’asile (Matas, 1989 ; Gorman, 1993 ; Creese, 1992 ; Rousseau et al., 2002). Avec l’arrivée de réfugiés en provenance de l’Amérique centrale, de l’Asie et de l’Afrique, le système tel qu’il avait été conçu en 1976 n’était plus en mesure de traiter toutes les demandes accumulées. On amorce une refonte de la loi. Selon Creese (1992), le Canada en profite pour créer « une crise de réfugiés » après l’arrivée en juillet 1987 d’un bateau transportant des Sikhs au large des côtes de la Nouvelle-Écosse. Le Parlement canadien est rappelé d’urgence et l’on dépose un nouveau projet de loi, le C-55.

Il faut souligner que l’opinion publique a été influencée par une campagne publicitaire menée par le ministère de l’Immigration qui a donné une image négative des réfugiés, les décrivant comme des fraudeurs, des abuseurs du système, des « faux réfugiés », des aspirants à l’immigration qui utilisent ce mécanisme afin d’arriver au pays plus rapidement. L’effet de « crise » prend racine dans l’imaginaire populaire (Creese, 1992 ; Matas, 1989 ; Gorman, 1993). En janvier 1989, une nouvelle loi entre en vigueur. Cette loi a été élaborée dans un contexte international précis, alors que des millions de réfugiés, surtout en provenance de pays en voie de développement, sont en mouvement. Alors que les réfugiés des pays du Sud se déplacent vers le Nord, les pays du Nord resserrent leurs frontières (Ferris, 1993 ; Creese, 1992 ; Gorman, 1993 ; Matas, 1989). Les groupes qui oeuvrent auprès des réfugiés à la grandeur du pays ont largement critiqué la loi de 1989 et les changements apportés depuis (pour une discussion exhaustive, voir Kelley et Trebilcock, 1998). Le Canada a été un chef de file en matière de mesures restrictives et, au début des années 1990, des mesures similaires ont été entérinées par les lois de divers pays d’Europe. Depuis, la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés est entrée en vigueur le 28 juin 2002. Elle remplace la loi de 1976. Des lois sur la sécurité nationale et la citoyenneté, surtout depuis les événements du 11 septembre 2001, sont actuellement à l’étude au Parlement canadien.

Pendant les 10 dernières années, le discours des groupes de défense est principalement axé sur des questions de protection et des engagements canadiens dans le cadre des traités et des conventions internationales de droits humains. Les déportations vers des pays où se poursuive la violation des droits humains ; la question des abus de pouvoir et des détentions arbitraires de requérants ; les questions de séparation familiale qui peuvent durer de trois à six ans ; les questions de droit à la résidence permanente pour ceux qui n’ont pas de documents d’identité (Somaliens, Afghans) sont devenues primordiales dans l’action des groupes de défense des droits. S’ajoutent à cela de nombreux problèmes découlant de la Commission d’immigration et du statut de réfugié dénoncés par les groupes pendant des années et dorénavant documentés par des recherches récentes (Rousseau et al., 2002) qui soulignent, entre autres, la formation insuffisante des commissaires et l’inégalité du traitement des demandes d’asile d’un commissaire à un autre.

Les demandeurs d’asile

En 1998, 25 113 revendications du statut de réfugié ont été déposées au Canada (Gouvernement du Québec, 1998). De janvier à septembre 2002, il y en a eu 22 145 (Conseil canadien pour les réfugiés, 2002). Quoique certaines revendications du statut de réfugié puissent être dirigées vers un système accéléré où le délai de décision n’est que de quelques mois, des recherches récentes indiquent que, au Québec, cela signifie pour plusieurs demandeurs d’asile une attente moyenne de sept mois pour l’audition de leur cause devant la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et une période d’attente moyenne de 22 mois pour devenir résident permanent une fois reconnu comme réfugié au sens de la Convention (Renaud et Gingras, 1998). Au cours de cette période, les demandeurs d’asile ont un accès limité au marché du travail, ainsi qu’aux services de bien-être social et de soins de santé et ils sont en général séparés de leur famille immédiate.

Le discours et la pratique des politiques relatives à l’immigration et aux réfugiés transforment clairement en objets des individus qui ont été forcés à fuir leur pays à cause de situations politiques ou par crainte de persécution et qui se considèrent comme réfugiés. Dans leur quête d’asile, les réfugiés deviennent des demandeurs d’asile lorsqu’ils sont soumis à la principale pratique de la politique canadienne relative aux réfugiés, soit le processus de reconnaissance du statut de réfugié. Ce processus mène à l’élaboration d’une autre subjectivité, imposée par les pratiques de la politique ; aussi, l’incidence de ce processus sur leur subjectivité à titre d’individus dotés d’un passé, d’une histoire, d’une culture est perturbante au point de créer une rupture profonde dans la perception qu’ils ont d’eux-mêmes. Différentes recherches récentes se penchent d’ailleurs sur les processus institutionnels selon lesquels l’identité du réfugié ou ce que nous appelons l’expérience de la « réfugitude » est structurée et normalisée. On porte une attention particulière aux discours et aux idéologies qui façonnent l’expérience vécue par les demandeurs d’asile dans le monde (Rousseau et al., 2002). Cette expérience favorise ainsi la construction d’une nouvelle subjectivité sociale, ancrée dans un registre d’exclusion et de perte du statut social, économique et familial.

Les conséquences pour les pratiques sociales

Les travailleurs sociaux doivent comprendre la nature structurelle des problèmes associés au processus de reconnaissance du statut de réfugié et devraient être prêts à militer, d’une part, pour que les demandeurs d’asile obtiennent les renseignements voulus sur le processus de reconnaissance du statut de réfugié, les causes des délais, l’accès aux avocats, la préparation de leur cas, et, d’autre part, pour qu’ils reçoivent les services sociaux et de santé dont ils ont besoin. Les réfugiés et les demandeurs d’asile ont des besoins spéciaux qui découlent de leur expérience de migration ; ils doivent souvent faire face à des problématiques liées à la torture, à la transition professionnelle, à des conflits intergénérationnels, à la perturbation des rapports avec la famille étendue (Hulewat, 1996 ; Lum, 1996 ; Barudy, 1992), au choc des cultures et à un réajustement radical quant à la répartition des rôles dans la famille. Le deuil, la perte et la séparation, les problèmes de stress post-traumatique, des impressions d’incompétence et d’incapacité découlant de l’impossibilité de participer pleinement à la société, ainsi que la perte d’acquis professionnels ne sont que quelques-uns des principaux enjeux auxquels le praticien en travail social devra faire face. Dans sa situation de demandeur d’asile, même un médecin est impuissant. On l’a dépossédé de tout ce qu’il connaissait et il doit faire face à une situation juridique sur laquelle il n’a pas, ou peu, de contrôle. À ce moment, certaines compétences que les intervenants ont acquises dans le cadre d’une approche interculturelle seront des plus utiles pour arriver à respecter la personne dans ses traditions culturelles. Mais pour intervenir en respectant l’intégrité de l’individu, les intervenants doivent se porter à sa défense et oeuvrer à modifier les pratiques découlant de la politique et aider le demandeur d’asile à comprendre le processus de sorte qu’il puisse regagner un peu de contrôle et de dignité. Leur vécu postmigratoire est aussi pénible. Non seulement ont-ils été déracinés par la guerre, la persécution religieuse ou politique, mais ils arrivent avec l’espoir de commencer une vie nouvelle. Or, un autre passage douloureux demeure à franchir : l’attente de la reconnaissance de leur statut de réfugié.

Les barrières à l’établissement : l’exclusion des services

Les demandeurs d’asile désirent immigrer au Canada, pourtant leur statut de demandeur d’asile les empêche de procéder. Concrètement, cela se traduit par un manque flagrant d’orientation et de services adéquats pour répondre à leurs besoins. Les organismes non gouvernementaux (ONG) offrent peu de soutien et d’orientation, alors que le rôle de l’Immigration (dans sa bureaucratie) est perçu comme strictement administratif. Au Québec, les services aux demandeurs d’asile ont systématiquement subi des coupures depuis l’Entente Canada-Québec de 1991 qui accorde au Québec le contrôle quant à l’utilisation des paiements de transferts fédéraux pour l’installation des immigrants. Depuis ce temps, le seul service financé par le gouvernement offert aux demandeurs d’asile est celui de la recherche de logement, mais même ce service est restreint compte tenu de la surcharge de cas des intervenants. Ceux qui travaillent au sein des organismes chargés du logement sont trop occupés pour visiter les appartements en personne et ne peuvent offrir que des listes de logement. De plus, les appartements disponibles répondent rarement aux caractéristiques d’un mode de vie décent. Il n’existe pour les demandeurs d’asile aucun autre service social financé par le gouvernement, ce qui signifie qu’ils sont, pour résoudre leurs problèmes, laissés à eux-mêmes, même si parfois ils peuvent compter sur l’aide de membres de leur propre communauté (Legault, 2000).

L’inaction des gouvernements du Québec et du Canada pour procurer des services sociaux adéquats aux réfugiés a été documentée par plusieurs organismes non gouvernementaux qui oeuvrent auprès des réfugiés et des demandeurs d’asile (Inter-Church Committee for Refugees – ICCR,1990 ; Rousseau, 1990 ; Bertot et Mekki-Berrada, 1999). Interdire aux demandeurs d’asile l’accès à des services qui répondent aux besoins qui découlent de leur expérience de migration engendrent pour la société d’accueil des coûts sociaux et économiques puisqu’ils constituent des obstacles importants au processus d’intégration. Les effets secondaires des politiques relatives à l’immigration telles la séparation des familles et l’absence de travail signifiant contribuent à un processus de marginalisation déjà en cours et peuvent susciter des traumatismes psychologiques sérieux.

Les coûts financiers et sociaux suscités par l’absence d’une gamme complète de services pour les demandeurs d’asile est en train de façonner une situation sociale qui crée une misère inutile pour les demandeurs d’asile. Une étude récente sur les services aux demandeurs d’asile condamne le système actuel :

[…] en n’offrant pas davantage de services à ces milliers de personnes vulnérables et en voie de devenir des citoyens à part entière, celles-ci vivent des difficultés postmigratoires qui viennent potentialiser les effets négatifs des traumatismes prémigratoires (violence organisée, torture, viol, emprisonnement, menaces, etc.).

Bertot et Mekki-Berrada, 1999

Ainsi, en négligeant l’importance sociale de services pertinents pour les demandeurs d’asile, les décideurs politiques sapent eux-mêmes leur propre projet de société qui consiste à favoriser l’intégration.

Ibid.

À leur arrivée, les demandeurs d’asiles sont dans une situation de vulnérabilité particulière et c’est à ce moment qu’ils ont besoin de services. Si l’intégration à la société d’accueil doit se faire, des services sont nécessaires pour assurer le passage d’un statut temporaire à un statut permanent. Cependant, les demandeurs d’asile sont profondément marginalisés par leur statut et exclus de ces services qui rendraient l’intégration plus facile.

Conclusion

En fin de compte, le processus de reconnaissance du statut de réfugié n’est qu’une des étapes de la quête du réfugié. Le processus peut prendre de deux à cinq ans, période durant laquelle on ne peut s’occuper pleinement des questions relatives à l’établissement et à l’intégration étant donné la nature précaire de la situation du demandeur d’asile. Ils ignorent la réponse que l’on donnera à leur demande et vivent constamment dans la peur d’être déportés si on devait la rejeter. Il s’agit donc d’un nouveau domaine de recherche et d’autres études seront nécessaires pour établir les besoins psychologiques des demandeurs d’asile et les modèles d’intervention les plus susceptibles d’aider les travailleurs sociaux à rendre le processus d’intégration plus facile une fois que les demandeurs d’asile ont obtenu le statut de réfugié.

Le « sens de la réfugitude » est celui d’une expérience profondément aliénante pour les demandeurs d’asile qui cause non seulement un déracinement forcé, mais qui exige le développement d’une nouvelle identité les aliénant encore plus par rapport à leurs vie et identité antérieures. Dès le moment où ils arrivent, le processus est empreint d’incertitude. Ne pas savoir quand et comment les choses vont se produire est un phénomène démobilisateur et ils ne savent pas combien de temps il faudra, pas plus qu’ils ne connaissent les raisons des délais. Le rêve de l’intégration et du recommencement sont brisés par un trop long processus. Par l’entremise d’un processus d’autonomisation, nous devrions nous donner pour objectif d’intervention de soutenir les demandeurs d’asile, afin qu’ils puissent retrouver une dignité et un sens de soi.