Article body

Je remercie le comité de rédaction de la revue Nouvelles pratiques sociales de cette invitation à partager avec vous comme président de l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec, mes réflexions par rapport à la question des compétences des travailleurs sociaux. Je voudrais également profiter de cette occasion pour présenter certains de mes questionnements concernant divers aspects de leur formation.

Le Code des professions donne à l’Ordre professionnel des travailleurs sociaux du Québec un mandat de protection du public. À cette fin, il doit notamment contrôler l’exercice de la profession par ses membres. Pour ce faire (et cette nomenclature n’est pas exhaustive), il établit des règles concernant l’admission, il applique un programme d’inspection professionnelle, il met en place les services du syndic et la discipline, il assure le respect du titre réservé travailleur social et il développe des normes de pratique professionnelle pour ses membres. Il doit aussi s’assurer de la qualité de la formation offerte aux futurs travailleurs sociaux. C’est une des responsabilités qui incombent à l’Ordre.

Le Comité de la formation est un comité consultatif ayant pour mandat d’examiner, dans le respect des compétences respectives et complémentaires de l’Ordre, des établissements d’enseignement universitaires et du ministre de l’Éducation, les questions relatives à la qualité de la formation des travailleurs sociaux.

La qualité de la formation réside dans l’adéquation de la formation aux compétences professionnelles à acquérir pour l’exercice de la profession de travailleur social[2]

Le comité considère, à l’égard de la formation :

  • Les objectifs des programmes de formation menant à un diplôme donnant ouverture à un permis ou à un certificat de spécialiste ;

  • Les objectifs des autres conditions et modalités de délivrance de permis ou certificats de spécialistes qui peuvent être imposés par un règlement du Bureau, comme un stage ou un examen professionnel ;

  • Les normes d’équivalence de diplôme et de formation, prévues par un règlement du Bureau, donnant ouverture à un permis ou à un certificat de spécialiste.

Le comité de la formation a pour fonction :

  • De revoir à chaque année, à la lumière de l’évolution des connaissances et de la pratique, notamment eu égard à la protection du public, la situation relative à la qualité de la formation et, le cas échéant, il fait rapport de ses constatations au Bureau ;

  • De donner avis au Bureau, au regard de la qualité de la formation.

Je vous rappelle que ce comité est formé de deux représentants de l’Ordre, de deux personnes nommées par la CREPUQ et d’une personne représentant le ministère de l’Éducation du Québec.

Vous conviendrez sans doute, tout comme moi, à la légitimité des travaux de l’Ordre sur la définition des compétences des travailleurs sociaux. C’est non seulement légitime, mais c’est le devoir de l’Ordre de le faire, sa responsabilité par rapport à sa fonction de protection du public. Car comment s’assurer de l’adéquation de la formation aux compétences professionnelles à acquérir pour exercer la profession si ces compétences ne sont pas clairement identifiées et ajustées aux besoins de la pratique actuelle ?

Ces questionnements ne sont pas nouveaux. En 1993, le rapport du Groupe de travail sur les orientations de la formation en travail social (GROTOF) proposait un enrichissement significatif de la formation au baccalauréat. Ils ont fait partie aussi des réflexions et débats lors des États généraux de la profession tenus en 1998. L’étude sectorielle sur le travail social au Canada (2001) s’en est également préoccupée. Il y a plusieurs insatisfactions quant à la formation des travailleurs sociaux et aux compétences qu’ils n’auraient pas développées suffisamment. Lacunes identifiées par des employeurs de travailleurs sociaux, par des étudiants et par des superviseurs de travailleurs sociaux.

Le comité de la formation, pour sa part, travaille sur ce mandat depuis déjà deux ans. Ces travaux faisaient suite à la décision de principe du Bureau de hausser à la maîtrise, le niveau de formation requis pour s’inscrire au tableau. Plusieurs travailleurs sociaux ont été impliqués dans la démarche d’identification des compétences. Après la consultation de janvier 2004, le comité a revu tout le document pour s’assurer de souligner la complexité des actions posées et le jugement professionnel et de ne pas techniciser l’exercice de la profession. Le référentiel développé s’inspire largement des travaux de Guy Le Boterf[3] sur les compétences. Selon lui, le professionnel compétent doit combiner l’ensemble des savoirs (connaissances, savoir-faire, savoir-être) dans un savoir-agir, soit une capacité d’intégrer les trois entités dans une situation professionnelle, celle qui demande une certaine dose d’autonomie, de création, d’adaptation et de responsabilité.

L’intégration de ces savoirs peut se décrire ainsi :

  • savoir agir et réagir avec pertinence (savoir quoi faire, aller au-delà du prescrit, choisir dans l’urgence, arbitrer, négocier, trancher, enchaîner des actions selon une finalité) ;

  • savoir combiner des ressources et les mobiliser dans un contexte de pratique ;

  • savoir transposer (utiliser des métaconnaissances pour interpréter, modéliser et créer des conditions de transposabilité) ;

  • savoir apprendre et apprendre à apprendre (savoir réfléchir sur son action, la transformer en expérience) ;

  • savoir s’engager (engager sa subjectivité, prendre des risques, entreprendre, faire preuve d’éthique).

L’ensemble des compétences s’exerçant en fonction des finalités du travail social, éclairé de nos valeurs, sera donc plus englobant.

Plusieurs personnes, particulièrement dans les milieux de formation, souhaiteraient que nous ne fassions pas cette démarche, que nous n’adhérions pas nous aussi à ce modèle de compétences. Je ne saisis pas trop en quoi le fait d’identifier les compétences des travailleurs sociaux soulève tant de problèmes et d’appréhensions. Grâce aux connaissances et aux habiletés qu’ils ont acquises pendant leur formation initiale, les travailleurs sociaux sont en mesure de démontrer en exerçant leur profession les compétences définies dans le référentiel. J’ai terminé ma formation il y a 26 ans, et j’ai ces compétences. Où se situe le problème ? Est-ce que le fait de nommer les compétences oblige à enseigner différemment ? avec une approche par compétences ? Je ne veux pas dire ici que l’exercice que nous faisons n’apportera pas de changement dans les programmes de formation, mais que ces changements, s’il y en a, viendront des milieux de formation, et du fait qu’une ou des compétences ne pouvaient bien s’acquérir avec le programme actuel.

D’autres éléments contextuels nous poussent également dans cette direction. L’Office des professions a mis sur pied un comité d’experts qui se penche sur la modernisation de l’organisation professionnelle du secteur de la santé mentale et des relations humaines. Ces travaux font suite au rapport du groupe Bernier qui, vous vous en souviendrez, a amené le gouvernement à adopter la loi 90. Nous revendiquons des activités réservées, en fonction de la protection du public, pour les travailleurs sociaux et pour les thérapeutes conjugaux et familiaux. Ce comité communément nommé comité Trudeau (du nom de son président, Jean-Bernard Trudeau) doit remettre son rapport à l’Office vers la fin mars 2005. Également, plusieurs employeurs revoient ou souhaitent revoir les responsabilités et les attributions des travailleurs sociaux, des techniciens en travail social, des psycho-éducateurs, des criminologues. Ils souhaitent être éclairés quant aux compétences spécifiques de ces divers intervenants. Je fais notamment référence aux travaux du Centre Jeunesse de Montréal, à ceux de la planification de la main-d’oeuvre du ministère de la Santé et des Services sociaux pour les professions de santé mentale et services sociaux. Enfin, une demande de reconnaissance des techniciens en travail social comme profession réglementée ayant été déposée à l’Office des professions, il faudra à court ou moyen terme déterminer ce qui est spécifique à chacune des professions, ce qui leur est commun, pour ensuite faciliter, le cas échéant, l’actualisation dans les milieux de pratique.

L’adoption par le Bureau de l’Ordre d’un référentiel des compétences des travailleurs sociaux permettra par la suite au comité de la formation de développer un référentiel de la formation, traçant ainsi les grandes lignes qui encadreront les programmes de formation permettant l’acquisition des compétences recherchées. Ces deux documents, référentiel des compétences et référentiel de la formation, seront des outils essentiels aux unités de formation en travail social dans la révision de leurs programmes donnant accès au titre de travailleur social. S’il n’y avait pas adéquation de la formation aux compétences professionnelles à acquérir pour l’exercice de la profession de travailleur social, il faudrait conjointement se pencher sur les mesures à prendre pour atteindre l’adéquation.

En 1998, lors des États généraux de la profession, l’Ordre relevait des lacunes dans la formation relativement aux compétences estimées essentielles pour donner accès à la pratique. En 1999, le Bureau adoptait les recommandations issues des États généraux de la profession et s’engageait à revoir à court terme avec les milieux de formation, à la fois le niveau de formation universitaire pour donner accès au titre de travailleur social et le contenu des programmes en lien avec les compétences à développer davantage. Depuis, une décision de principe a été prise concernant le niveau de formation, et le référentiel des compétences sera adopté par le Bureau cette année. Cela sans compter tous les travaux réalisés par le RUFUTSQ et ses comités sur la formation pratique, et le continuum de formation.

C’est dire combien ce qui touche la formation initiale des travailleurs sociaux est un enjeu important et exige temps et énergie. Cela m’amène à vous présenter certains de mes questionnements à ce sujet. Je suis conscient que je soulève probablement un autre débat, mais je trouve important qu’il puisse avoir lieu.

En vertu de notre règlement d’admission, toute personne détenant un des diplômes suivants peut devenir membre de l’OPTSQ :

  • Baccalauréat en service social des universités de Montréal, McGill, Laval et Sherbrooke.

  • Baccalauréat en travail social des universités du Québec à Montréal, à Chicoutimi, en Outaouais et en Abitibi-Témiscamingue.

  • Maîtrise ès sciences en service social de l’Université de Montréal.

  • Maîtrise en service social de l’Université Laval.

  • Master of Social Work de l’Université McGill.

  • Maîtrise en service social de l’Université de Sherbrooke.

  • Maîtrise en travail social de l’Université du Québec en Outaouais.

Il me semble clair que les écoles / départements de service / travail social enseignent une profession à leurs élèves et pas seulement une discipline. Tout ce qui va suivre est basé sur le postulat que toute personne détenant un de ces diplômes peut devenir travailleur social, et à ce titre, doit avoir les connaissances et compétences nécessaires pour intervenir sans risque de préjudice pour la population, qu’elle choisisse ou non de devenir membre.

Par ailleurs, je suis un peu inquiet quant au renouvellement du corps professoral de nos écoles. Comme plusieurs sont susceptibles de partir à la retraite dans une même période de temps, y aura-t-il assez de travailleurs sociaux détenant le diplôme requis pour combler les besoins ? Si non, quelles sont les solutions envisagées ?

Quel est et quel devrait être le ratio des professeurs membres de l’Ordre ? Formés en travail social ? Dans les disciplines ou professions connexes ? Y a-t-il des cours qui ne devraient être donnés que par des travailleurs sociaux ? Lesquels ? Les professeurs de stage sont-ils membres de l’Ordre ? Formés en travail social ? Dans d’autres disciplines et professions ? Mêmes questions pour les superviseurs compte tenu de leur responsabilité d’enseignement pratique, d’une profession. Est-ce que cela fait une différence dans les apprentissages des étudiants si la personne, superviseur, professeur de stage ou professeur, est membre de l’Ordre ? Si oui, de quelle manière ?

Je suppose que l’étudiant qui est supervisé par un travailleur social entendra davantage parler de normes de pratique, de déontologie professionnelle, mais je ne le sais pas vraiment. Je serais tenté de croire qu’à l’inverse un étudiant supervisé par une personne formée en travail social mais qui n’adhère pas à l’Ordre n’entend pas tellement parler de son ordre éventuel.

Je souhaite que se développe un sentiment de fierté dans les groupes d’étudiantes, fierté de cette profession qu’elles apprennent. Qu’elles sentent aussi la responsabilité qui vient avec la reconnaissance sociale associée au statut des travailleurs sociaux comme professionnels. Qu’elles sachent également qu’il est possible d’être professionnelles, travailleuses sociales sans s’éloigner des personnes qu’elles côtoient.

Je souhaite la poursuite des collaborations entre les milieux de formation et l’Ordre. Établir le référentiel des compétences et celui de la formation fournit une occasion de rapprochement et de réalisations complémentaires dans le respect des mandats de chacun. L’identification des besoins et des axes de recherche pourrait en faire autant.