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Introduction

« JAL » est un acronyme utilisé pour désigner quatre localités rurales (Saint-Juste-du-Lac, Auclair, Lejeune et Lots-Renversés) constituées en trois municipalités situées à l’est du lac Témiscouata dans la MRC du même nom au Bas-Saint-Laurent. L’expérience du JAL a profondément marqué l’historiographie et le développement régional du Bas-Saint-Laurent, voire du Québec. En effet, les documents sur le JAL sont particulièrement nombreux, qu’il s’agisse d’articles de fond (Stanek, 1995 ; 1994 ; Carrier, 1989-1989 ; Dionne et Gendron, 1985 ; Kronstrom, 1980), de journaux[1], de monographies paroissiales, ethnographiques ou historiques (Comité de livre, 2006 ; Fortin et Lechasseur, 1993 ; Aubin, 1981 ; Grégoire, 1980), d’évaluations liées à l’expérimentation de ce mouvement social et des activités socio-économiques qui en ont émané (Simard, 2018 ; Deschênes et Roy, 1994 ; Harrisson, 1987 ; Poulin-Drapeau, 1976), de mémoire de maîtrise (Carrier, 1979), d’actes de colloque (Groupe de recherche interdisciplinaire en développement de l’Est-du-Québec, 1976), de documentaires (Tortugas films, 2014 ; Radio-Québec, 1987 ; Radio-Canada, 1984) ou de rapports ou d’études de faisabilité. Force est de constater que cette expérience de développement communautaire est issue d’un mouvement de mobilisation sociale sans précédent, qui a vu le jour dans les années 1970, en vue d’améliorer la qualité de vie des résidents de cette partie du territoire du Bas-Saint-Laurent, de redynamiser leur milieu et de favoriser l’aménagement intégré des ressources, et ce, dans le but de contrer la fermeture de ces quatre communautés rurales considérées comme « marginales » à la suite d’un rapport déposé par le Bureau d’aménagement de l’Est-du-Québec. Soulignons que ce rapport avait pour but de redresser de manière globale la situation socio-économique de la région de l’Est-du-Québec, ce qui impliquait la fermeture de certaines localités, dont celles du JAL, jugées dépourvues de potentiel biophysique valable et la relocalisation de leur population en milieu urbain, afin de les doter de meilleurs services tout en minimisant le coût des investissements publics.

Devant ces menaces de fermeture, des comités de citoyens se sont déployés en plusieurs endroits au Bas-Saint-Laurent et en Gaspésie. Des acteurs sociaux, dont des membres du clergé, ont agi à titre de leaders au sein de ces comités. Les trois municipalités du JAL se sont réunies en février 1972 pour former le Comité intermunicipal du JAL, dont la principale fonction consistait à élaborer un plan d’action misant sur l’aménagement intégré de la ressource forestière. L’incorporation officielle du JAL s'est tenue en février 1974 sous le nom de Coopérative de développement agroforestier du Témiscouata. Dès lors, des coopératives de gestion du territoire se sont formées, afin de favoriser le passage de l’aménagement du territoire, selon une perspective sectorielle, vers une autre intégrant les ressources du milieu en vue de promouvoir une occupation dynamique du Bas-Saint-Laurent et d’assurer le bien-être des résidents. Toujours bien active, cette coopérative a occupé une position stratégique dans le développement socio-économique du JAL. Elle a suscité de nombreux projets favorisant l’éclosion de nouvelles pratiques sociales. Ces dernières ont émané de diverses sphères de l’activité économique et sociale, dont le développement communautaire et l’économie sociale qui ont servi de point d’ancrage. Certains de ces projets visaient à répondre à des besoins que ni le marché ni l’État ne permettaient de combler. Par conséquent, ceux-ci peuvent être considérés comme des innovations sociales au sens où l’entend le Centre de recherche sur les innovations sociales, c’est-à-dire :

[une] intervention initiée par des acteurs sociaux (un individu ou un groupe d’individus) pour répondre à un besoin (social, culturel, territorial) ou une aspiration, apporter une solution, profiter d’une opportunité d’action afin de modifier des relations sociales, de transformer un cadre d’action ou de proposer de nouvelles orientations afin d’améliorer la qualité et les conditions de vie d’une collectivité.

Bouchard, 2011, p. 7

Toutefois, en raison de leur forte dépendance à l’égard de subsides gouvernementaux, plusieurs de ces projets ne sont pas parvenus à atteindre un seuil minimal de rentabilité, si bien que plusieurs ont dû être abandonnés alors que certaines entreprises, issues du secteur communautaire, ont été privatisées. Il s’en est suivi que l’économie du JAL s’est progressivement tournée vers une acériculture à haut rendement et, dans une moindre mesure, vers le récréotourisme.

En dépit de l’abondance de la littérature ayant porté sur le JAL, aucun chercheur, du moins à notre connaissance, ne s’est intéressé à la contribution socio-économique des nombreuses subventions dont cette région du Bas-Saint-Laurent a bénéficié et à leurs impacts en matière de développement. Notre article, qui s’inscrit dans le champ communautaire de la revue, vise à pallier cette lacune, malgré les défis et les limitations d’une telle ambition. L’objectif est double. D’une part, il consiste à recenser les subventions qui ont été versées aux localités du JAL dans la mise en oeuvre des différents projets de développement local au cours de la période 1971-2015 et, d’autre part, à évaluer leurs impacts sur le développement du milieu.

Notre contribution se décline en trois parties. La première est consacrée aux principaux aspects méthodologiques. Dans la deuxième, nous exposons notre cadrage théorique. La troisième porte sur l’analyse des résultats. Cette dernière sera effectuée en deux étapes. Dans un premier temps, la recension des subventions est examinée en considérant les milieux géographiques, les différents types d’économie, les secteurs d’activités et les périodes temporelles. Par la suite, nous tenterons d’évaluer les retombées et les impacts de ces subventions sur les plans démographique, économique ainsi qu’en regard des caractéristiques liées au niveau de revenu et à la géographie du milieu.

MÉthodologie

Notre méthode d’analyse repose sur une recension effectuée à partir du dépouillement des journaux locaux et régionaux entre le 1er janvier 1971 et le 31 décembre 2015 ainsi qu’en considérant les subventions obtenues dans le cadre des pactes ruraux de la première et de la deuxième génération. En raison de leur faible impact sur le développement, mais aussi du fait que les investissements qui y sont consacrés ne correspondaient pas toujours aux frontières du JAL, nous avons exclu de cette recension les articles relatant les budgets obtenus pour les travaux routiers, la voirie, l’aqueduc, les égouts et l’assainissement des eaux. Cela dit, leur impact sur la qualité de vie des résidents est indéniable. De manière plus spécifique, nous avons relevé 118 articles faisant état des 138 subventions obtenues entre le 1er janvier 1971 et le 31 décembre 2015. Ces subventions ont été catégorisées par domaine d’intervention, par type d’économie, par catégorie de milieux ainsi que par périodes temporelles.

Mentionnons que notre analyse a été effectuée en considérant la valeur du dollar canadien au moment de l’obtention de la subvention. Nous sommes conscient que notre contribution comporte un certain nombre de limites sur le plan méthodologique. Premièrement, notre corpus a reposé uniquement sur les subventions rapportées dans les différents journaux de la région ainsi sur les pactes ruraux que les municipalités du JAL ont signés entre 2014 et 2015. Or, le JAL a sûrement bénéficié de sources de financement qui n’ont pas été publiées et qui ont eu un impact non négligeable sur son développement. Par ailleurs, il est raisonnable de supposer qu’une majorité des subventions en provenance de l’État ont fait l’objet d’une publicité de nature politique, dont les journaux locaux ont fait écho, ce qui devrait réduire notre marge d’erreur. En outre, le nombre de journaux a considérablement diminué au cours des dernières années, sept ayant disparu, dont deux étaient exclusivement consacrés à la région du JAL[2]. Cette réduction de la couverture médiatique a pu avoir comme effet de passer sous silence certaines subventions, particulièrement au cours de la période 2001-2015. En troisième lieu, il n’est pas impossible de penser que certaines retombées issues de phénomènes structurels pourraient avoir vu le jour même sans l’octroi de ces subventions.

Cadrage thÉorique

Notre cadrage théorique s’appuie sur les modèles de développement économique communautaire, de développement planifié, de développement local libéral, de développement local progressiste et de renforcement des capacités.

Selon Favreau et Lévesque (1996, p. xix) :

le développement économique communautaire est une approche globale de revitalisation économique et sociale des collectivités locales qui conjugue: […] (1) le déploiement d’un ensemble d’activités de production et de vente de biens et services ; (2) la mise en valeur des ressources locales sur un territoire donné […] ; (3) la revitalisation économique et sociale d’un territoire […] et la réappropriation par la population résidente de son devenir économique et social et (4) la communauté comme point de départ et comme point d’arrivée en tant qu’espace du « vivre ensemble » et le communautaire en tant que dispositif associatif premier de revitalisation.

La mise en place d’infrastructures associatives, auxquelles se sont jouxtés des comités de citoyens, a constitué la pierre angulaire du développement communautaire au Québec dans les années 1960 et 1970 (Comeau, 2007).

Au même moment est apparu le développement planifié, lequel, avec le développement économique communautaire, fait partie de la première génération des modèles de développement (Proulx, 2002). Ceux-ci ont notamment misé sur la contribution des acteurs exogènes (en particulier de l’État et de la grande entreprise) pour stimuler le développement des milieux à problèmes en vue de réduire les disparités économiques (Dugas, 1994, 1983). Le développement planifié a donné lieu à tout un arsenal de modèles, dont celui des pôles de croissance (Perroux, 1969), le modèle centre-périphérie, dernièrement revisité dans les travaux du Dumont (2017) et celui de l’échange inégal (Emmanuel, 1969) pour ne nommer que ceux-là. Dans les régions dites « périphériques » du Québec, ce type de développement s’est traduit par la mise en valeur intégrée des ressources (Proulx, 2002 ; 2019 ; 2011 ; Simard, 2003 ; 2005 ; Dugas, 1983) et, plus spécifiquement, dans le cas du JAL, de la forêt (Simard, 2018 ; Deschênes et Roy, 1994 ; Harrisson, 1987 ; Defert, 1972). Il s’est matérialisé par l’émergence d’entreprises collectives, de coopératives et d’associations à but non lucratif, lesquelles correspondent à la première génération d’entreprises d’économie sociale.

Il s’agit essentiellement de réponses identitaires et discursives apportées à des problèmes ou à des urgences sociales, visant à faciliter l’intégration de personnes, de groupes ou de territoires ou encore, une réponse à des besoins ou à des aspirations non comblés.

Tremblay, Klein et Fontan, 2016, p. 73

Le développement local libéral (années 1980) et progressiste (année 1990 et suivantes) mise sur la contribution des acteurs locaux pour enclencher une démarche de développement (Tremblay, Klein et Fontan, 2016). Le développement local libéral s’incarne à travers la création d’emplois en vue d’accroître le niveau de revenu des milieux concernés et d’améliorer les conditions de logement. Sans véritable préoccupation sociale, il poursuit une finalité exclusivement économique (Tremblay, Klein et Fontan, 2016). De son côté, le développement local progressiste repose sur l’émergence d’initiatives visant d’abord à répondre à des préoccupations sociales, tout en poursuivant une mission économique et environnementale (Simard, 2017 ; Tremblay, Klein et Fontan, 2016). Sa finalité réside non seulement sur l’amélioration de la qualité de vie des individus, mais aussi sur celle de leur milieu de vie (Simard, Alberio et Dumont, 2020 ; Tremblay, Klein et Fontan, 2016). Comme nous le verrons dans le cadre de cet article, la plupart des initiatives qui ont émané du JAL correspondent à ce type de développement.

Enfin, le renforcement des capacités s’inscrit dans la foulée du modèle de développement local progressiste. Il fait appel aux forces et aux qualités des acteurs endogènes pour assurer le développement de leur milieu (Jean, 2012 ; Davis, 2008). Davis le définit comme étant un « processus par lequel particuliers, organisations et sociétés acquièrent, accroissent et entretiennent les aptitudes requises pour se fixer leurs propres objectifs de développement et pour les atteindre » (2008, p. 3). Parmi les principales composantes de ce modèle, mentionnons la mobilisation sociale, le capital social, l’empowerment, la concertation, le leadership, le sentiment d’appartenance, la résilience, le réseautage et la participation citoyenne, autant de composantes susceptibles de favoriser l’éclosion de projets qui pourront être appuyés sur les plans financier, logistique ou les deux, par les différents programmes gouvernementaux, l’État devenant un partenaire aux efforts de développement des acteurs territoriaux (Simard, 2018 ; Proulx, 2002 ; Klein, 1995 ; Gagnon et Klein, 1992).

RÉsultats

Analyse descriptive

Au cours de la période à l’étude, le JAL aurait reçu 21 639 262,93 $ en subventions pour un total de 139 projets financés (cf. Tableau 1). L’économie sociale a contribué à l’émergence du plus grand nombre d’initiatives (68 projets). Mises en place dans le but de faire obstacle au développement planifié par l’État, ces initiatives ont surtout reposé sur le développement économique communautaire, l’autogestion, la coopération et l’émergence d’entreprises collectives. Ainsi a-t-on vu de nombreux projets émaner là où la communauté est à la fois le sujet et l’objet social de la stratégie d’intervention préconisée par les acteurs locaux. Néanmoins, plus de la moitié des sommes ont été injectées au sein de l’économie publique. L’économie privée ferme la marche, celle-ci représentant 17,8 % des subventions obtenues.

Tableau 1

Distribution des subventions octroyées au JAL par périodes temporelles et types d’économie

Distribution des subventions octroyées au JAL par périodes temporelles et types d’économie

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En tournant les projecteurs sur les diverses périodes temporelles, nous remarquons que l’économie sociale a récolté la plus forte proportion des subventions entre 1981 et 1990 (l’après-JAL) ainsi qu’entre 2001 et 2010. Son financement semble stagner depuis 2010. De fait, entre 2011 et 2015, l’économie sociale ne représentait plus que 2,4 % des sommes reçues.

Loi du nombre oblige, le JAL a obtenu la plus forte proportion (40,2 %) des subventions, celles-ci se chiffrant à 8 718 663,20 $, dont plus de la moitié est issue de l’économie sociale (cf. Tableau 2). Cette somme a permis de financer 30 projets[3]. En considérant les différents secteurs d’activité, un peu plus du tiers des subventions a été consacré à des projets agricoles ou communautaires, comme en témoigne le tableau 2, ce qui reflète bien le profil socio-économique du JAL.

Tableau 2

Distribution des subventions octroyées au JAL par milieux géographiques et types d’économie

Distribution des subventions octroyées au JAL par milieux géographiques et types d’économie

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La localité de Saint-Juste-du-Lac se démarque non seulement quant au montant global qu’elle a reçu, celui-ci représentant le tiers des subventions recensées à partir de notre corpus, mais aussi en ce qui a trait au nombre de projets financés (cf. Tableau 3). Parmi les 39 projets déployés, 17 ont servi à assurer la pérennité du service de traversier, que ce soit pour offrir le service ou pour la mise à niveau de certains équipements.

Tableau 3

Distribution des subventions octroyées au JAL par milieux géographiques et secteurs d’activité (en $)

Distribution des subventions octroyées au JAL par milieux géographiques et secteurs d’activité (en $)

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Vingt-trois projets ont reçu du financement au cours de la période qui s’étend de 1971 à 1981. Ils représentent une somme de 2 406 425,45 $ (cf. Tableau 4). Ces projets relèvent essentiellement de six secteurs d’activité. Celui des équipements et des infrastructures a bénéficié de près de la moitié de cette enveloppe. Quatre initiatives ont été financées à Saint-Juste-du-Lac, deux à Auclair et une dans les trois municipalités du JAL dans le cadre du programme Canada au travail. Elles relèvent toutes du secteur public et s’inscrivent dans une logique de développement local libéral.

Tableau 4

Distribution des subventions octroyées au JAL par secteurs d’activité et périodes temporelles (en $)

Distribution des subventions octroyées au JAL par secteurs d’activité et périodes temporelles (en $)

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La période 1981-1990 a donné lieu à 41,8 % des subventions accordées au JAL entre 1971 et 2015 contre 15,1 % pour celle de 1991 à 2000. Bien que la décade 2001-2010 soit celle où le montant des subventions a été le moins élevé, celles-ci ont néanmoins permis d’appuyer 39 initiatives, cette période représentant seulement 4,3 % des subventions répertoriées.

Enfin, un peu plus du quart des subventions de notre corpus concerne la période 2011-2015 qui ne couvre que cinq ans. Ces subventions totalisent une somme de 6 003 350 $ répartie dans 39 projets, dont 19 proviennent du pacte rural.

Retombées et impacts sur le développement local et régional

Pour diverses raisons, force est de reconnaître qu’il s’avère extrêmement difficile de mesurer les retombées inhérentes aux diverses subventions que le JAL a obtenues au cours de la période à l’étude en raison de leurs interactions avec des facteurs humains, sociaux et physiques. En outre, certaines retombées issues de phénomènes structurels auraient probablement vu le jour sans l’octroi de ces subventions. Néanmoins, il est possible de dégager certaines observations concernant leur impact en considérant l’évolution de certaines caractéristiques liées à la démographie, à l’économie et à la géographie (cf. Tableau 5).

Tableau 5

Évolution de certaines caractéristiques socio-économiques des localités du JAL en comparaison avec la MRC de Témiscouata, la région du Bas-Saint-Laurent et la province (1971-2016)

Évolution de certaines caractéristiques socio-économiques des localités du JAL en comparaison avec la MRC de Témiscouata, la région du Bas-Saint-Laurent et la province (1971-2016)
Source : Statistique Canada. Recensements de 1971, de 1981 et de 2016. Compilation et calculs de l’auteur

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Situation démographique

Sur le plan démographique, les fonds que le JAL a reçus au cours de la période 1971-2015 ne semblent pas avoir renversé le déclin en cours, lequel a été alimenté par la diminution du nombre (juvénodécroissance) et de la proportion de jeunes (vieillissement par le bas), par la dénatalité ainsi que par l’émigration. Force est toutefois de reconnaître qu’aucune initiative particulière n’a vu le jour en vue d’attirer de nouveaux résidents, de stimuler la natalité, de retenir ou de rapatrier les jeunes ou de favoriser une meilleure conciliation travail-famille. Sauf pour la décade 1991-2001 (cf. Tableau 6), le dépeuplement s’est accéléré, le JAL ayant accusé une diminution de 39 % de sa population entre 1971 et 2016, comparativement à 27,9 % pour la MRC de Témiscouata et à 6,2 % pour le Bas-Saint-Laurent, contribuant ainsi à faire régresser le poids démographique du JAL (7,7 % en 1971 par rapport 6,4 % en 2016) au sein de la MRC. La saignée démographique a été particulièrement criante à Lejeune, dont les effectifs ont décru de 47,2 % en l’espace de 45 ans.

Le JAL est aussi fortement assujetti au vieillissement par le bas, la proportion de jeunes ayant fléchi de 38,8 points de pourcentage entre 1971 et 2016, comparativement à 34,6 points pour la MRC et à 30,6 points pour la région. Le milieu est aussi caractérisé par une forte juvénodécroissance (diminution de 77,4 % du nombre de jeunes) en comparaison avec la région et la province. Quant à l’émigration, une façon de la mesurer peut consister à suivre les 0 à 24 ans en 1971, lesquels font partie de la cohorte des 45 à 69 ans en 2016. Il s’ensuit que le JAL aurait perdu 705 jeunes entre 1971 et 2016, ce qui représente une diminution de 55,7 %, celle-ci s’établissant à 43 % dans le cas de la MRC et à 32,1 % pour la région.

Situation économique

Le vieillissement par le bas ne peut que réduire la population d’âge actif (15-64 ans), comme en témoigne le tableau 5, la proportion du nombre d’emplois par rapport à la population de 15 ans et plus ne s’étant accrue que de 25,9 points, ce qui est inférieur à la situation observée au sein de la MRC, de la région et de la province. Conjuguées au phénomène d’émigration auquel le JAL fait face, les subventions, dont la région a bénéficié, n’ont pas permis d’attirer, voire de retenir les jeunes effectifs.

Le tableau 5 révèle une croissance plus élevée du taux d’activité dans les trois localités du JAL, comparativement à la MRC, à la région et au Québec. Cette augmentation est toutefois à mettre en perspective avec une évolution négative du taux de chômage, dont la diminution a été moins forte au JAL. Au final, nous observons que l’évolution du nombre d’emplois a suivi sensiblement la même trajectoire que celle notée au sein de la MRC et de la région. Il s’ensuit, à l’instar de la démographie, que les subventions, dont a profité le JAL entre 1971 et 2015 ne semblent pas s’être répercutées de manière significative sur l’activité économique, une situation qui tend à se confirmer lorsque nous peaufinons l’analyse décade par décade. En outre, la nature des projets financés est probablement en cause. Il importe de rappeler, en effet, qu’au cours de la période 1970-1981, les subventions qu’a reçues le JAL ont surtout profité au secteur public, lequel a généré de faibles effets d’entraînement sur les autres sphères de l’activité économique. Dans le secteur des transports et des communications par exemple, outre le traversier Corégone, qui assure la traversée du lac Témiscouata, entre Saint-Juste-du-Lac et Notre-Dame-du-Lac, en saison estivale, deux organismes communautaires à Saint-Juste-du-Lac ont profité de subventions, dont 40 000 $ au comité d’information du JAL. De son côté, Auclair a bénéficié de trois subventions.

L’une, en provenance du secrétariat d’État, a été accordée à différents organismes communautaires, alors que les deux autres ont servi au financement des Essences Jalles Inc. et de l’Aiguille jalloise, deux entreprises d’économie sociale. Toujours dans ce même domaine, divers microprojets ont été financés à l’échelle du JAL dans le cadre du programme d’Initiatives locales. Une subvention a été octroyée à la fabrique de Lejeune. Pour sa part, le camping d’Auclair a obtenu une somme de 350 000 $, alors que 20 000 $ ont permis de soutenir la coopérative de développement agroforestier. En outre, plusieurs sphères de l’activité économique susceptibles de générer des retombées plus significatives ont été écartées de toute forme de financement. C’est le cas notamment de l’agroalimentaire, de l’aménagement du territoire, du développement régional, des entreprises de service et de transformation, de la foresterie, de la formation ainsi que de la recherche et du développement. Il n’est donc guère étonnant d’observer que l’évolution du nombre d’emplois ne s’est accrue que de 52,8 % au JAL entre 1971 et 1981, comparativement à 170 % pour la MRC et à 177,2 % pour le Bas-Saint-Laurent.

Tableau 6

Évolution de certaines caractéristiques socio-économiques des localités du JAL en comparaison avec la MRC de Témiscouata, le Bas-Saint-Laurent et la province, par décades (1971-2016)

Évolution de certaines caractéristiques socio-économiques des localités du JAL en comparaison avec la MRC de Témiscouata, le Bas-Saint-Laurent et la province, par décades (1971-2016)
Source : Statistique Canada. Recensements de 1971 à 2016. Compilation et calculs de l’auteur

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La même situation s’observe pour les deux périodes qui s’étendent de 1980 à 1991 et de 1990 à 2001. La première a surtout profité au développement communautaire et à l’économie sociale, deux secteurs ayant de faibles retombées au chapitre de la création d’emplois. Entre 1981 et 1991, le JAL a perdu 15 emplois, ce qui représente une diminution de 2,2 %, alors que la MRC et la région en gagnaient respectivement 505 (+5,9 %) et 6215 (+7,4 %). Les subventions répertoriées dans le secteur du développement communautaire auraient permis de financer 13 projets, dont la construction d’une résidence à prix modique à Auclair. Cette municipalité s’est également prévalue du programme Défi pour étudiants. S’ajoute un prêt de 200 000 $ accordé par la Caisse des travailleurs du Québec, afin de rénover une coopérative d’habitation au sein de cette même municipalité. Divers organismes d’Auclair et de Saint-Juste-du-Lac créés à l’époque du JAL, dont Radio-JAL et la Coopérative de développement agroforestier du Témiscouata, se sont distribué une enveloppe de 78 601 $, cette dernière ayant également servi à l’aménagement d’un pavillon sportif, d’un terrain de camping et d’une plage. La somme octroyée à la coopérative de développement agroforestier a notamment servi à dresser un inventaire du milieu physique et naturel. Mentionnons que parmi les 13 projets issus du développement communautaire, 8 se sont appliqués à l’ensemble du JAL, ce qui atteste, dans une certaine mesure, le fort sentiment communautaire qui animait les acteurs sociaux du JAL à cette époque. À cet égard, il est indéniable que les projets ayant émané du JAL ont contribué au renforcement de leurs capacités et, plus spécifiquement à la stimulation de l’esprit d’initiative, du leadership, de l’entrepreneurship, du capital social, de la solidarité territoriale, du réseautage, de la résilience, de la concertation, du partenariat, de l’empowerment, de la participation citoyenne, de la cohésion sociale et de la mobilisation en plus d’avoir encouragé l’essor de l’économie sociale.

Les subventions qu’a obtenues le JAL au cours de la période 1990-2001 l’ont surtout été au sein de l’économie publique, qui s’est accaparé de plus des deux tiers (cf. Tableau 1). Ces subventions ne sont pas traduites en termes de création d’emplois, le JAL en ayant perdu 125 au cours de cette même période, alors que la MRC de Témiscouata et le Bas-Saint-Laurent en gagnaient respectivement 685 et 2110. Au JAL, tant les secteurs primaire, secondaire que tertiaire ont été affectés par ces pertes. Certaines entreprises privées comme Les Productions JMD à Auclair, Cercueils Alliance Saint-Laurent ainsi que Bégin et Bégin à Lots-Renversés ont obtenu des aides dans le but de diversifier leurs activités ou d’agrandir leurs installations, mais celles-ci ne semblent pas s’être répercutées positivement sur leur économie, objectif que sous-tend le développement local libéral. En fait, même si le secteur secondaire s’est respectivement enrichi de 5 et de 15 nouveaux emplois à Auclair et à Saint-Juste-du-Lac (qui comprend Lots-Renversés) entre 1991 et 2001, ces deux localités en ont globalement perdu 5 et 25 au cours de cette même période.

En fait, si le JAL a connu une évolution similaire de sa situation économique à celle de la MRC et de la région en l’espace de 45 ans, c’est surtout en raison de la période d’embellie qui a caractérisé le milieu jallois au cours de la période 2001-2016. D’ailleurs, les cinq dernières années couvertes par notre corpus semblent avoir été particulièrement prolifiques en termes de subventions, celles-ci ayant surtout bénéficié aux secteurs des transports, des communications et, dans une moindre mesure, à la formation, aux entreprises de service et à la foresterie. Même si le JAL s’est enrichi de 155 nouveaux emplois entre 2001 et 2016 (alors que la MRC et la région en perdaient respectivement 840 et 8060), faisant grimper son taux d’activité de 12,7 points, cette amélioration apparaît davantage imputable à une amélioration de la conjoncture économique provinciale et nationale plutôt qu’aux subventions que la région a reçues au cours de cette période.

Parmi celles-ci, évoquons, à grands traits, une aide accordée à l’entreprise La Boutonnière de Saint-Juste-du-Lac. Une autre a été obtenue, à l’échelle du JAL, du Fonds Jeunesse du Québec en vue de lutter contre le décrochage scolaire. Développement économique Canada a accordé un prêt de 153 000 $ au Groupement forestier de Témiscouata, afin d’acquérir l’équipement nécessaire à la production de biomasse. Totalisant une somme de 1,375 million, différents projets ont émané du développement communautaire. La subvention la plus considérable, soit 60 000 $, a été versée par Développement économique Canada et la SADC de la MRC de Témiscouata pour la création de deux entreprises d’économie sociale. Parmi les autres projets ayant reçu du financement, mentionnons la confection d’oeuvres d’art collectives à partir de matières recyclées, la mise en place de l’Association de la Vallée-des-lacs, l’embauche d’un agent de développement au sein de ce même organisme ainsi qu’un appui financier accordé au Groupement forestier de Témiscouata. Quatre projets, dont deux relèvent du secteur public et deux de l’économie sociale, se sont réparti une somme de 20 059,95 $ dans les secteurs des équipements, des infrastructures et du tourisme. De son côté, la Coopérative des 5 saisons de Saint-Juste-du-Lac a profité d’une aide à partir de l’enveloppe du pacte rural.

Dans le secteur des transports et des communications, le gouvernement fédéral a notamment injecté trois millions de dollars pour la réparation des quais. Pour sa part, celui du Québec a investi dans la mise à niveau du Corégone. Le Festival Lejeune Archet de Lejeune, le club de BMX à Auclair et l’implantation d’un gymnase à Lots-Renversés font partie des principaux projets subventionnés dans le secteur des sports et des loisirs. Bien que relativement nombreux, les projets financés au cours de la période 2011-2015, à l’exception peut-être de ceux relevant de la foresterie, du transport et des communications, se sont révélés peu structurants, et ce, bien qu’ils aient probablement contribué à la création d’emplois. Certaines de ces subventions sont issues du pacte rural déployé dans le cadre de la Politique nationale de la ruralité. Or, tout porte à croire que cette dernière a eu un faible impact en matière de développement local.

L’une des principales transformations économiques qu’a subies le JAL entre 1971 et 2015 concerne le passage d’une acériculture traditionnelle à une autre à haut rendement. Il est possible que les 2,5 millions, dont a bénéficié ce secteur d’activité, troisième en importance après les transports et les communications et le développement communautaire, aient accéléré cette transformation. Mais ce passage est d’abord un phénomène structurel qui a affecté, quoique de manière différente, l’ensemble des communautés agricoles et acéricoles du Québec. Dans le cas particulier du JAL[4], les localités de Lejeune et d’Auclair se démarquent à cet égard, le nombre de fermes et d’agriculteurs s’étant accru au cours de la période à l’étude, alors que celui des fermes supérieures à 240 acres a diminué (cf. Tableau 7). L’accroissement du nombre de fermes s’est répercuté positivement sur leur valeur, dont le pourcentage d’augmentation a été nettement supérieur à celui du JAL dans son ensemble, de la MRC, de la région, voire du Québec. Ainsi, avons-nous vu apparaître, notamment dans ces deux municipalités, neuf nouvelles entreprises agricoles et acéricoles, dont l’une concerne la culture de la camerise, qui ont contribué, du moins jusqu’à un certain point, à consolider l’économie locale.

Il est aussi indéniable que les subventions qui furent octroyées au JAL ont favorisé l’émergence de nombreuses initiatives de développement local de type progressiste, dont trois peuvent être considérées comme des innovations sociales à savoir : le projet Funambule, l’aménagement d’une piste cyclable pour BMX et la création du Groupement forestier du Témiscouata[5]. Dès lors, la mobilisation des acteurs locaux et régionaux autour de projets communs a certainement eu des impacts positifs sur le tissu social du milieu et le renforcement des capacités. En même temps, force est d’admettre que certaines subventions n’ont fait que retarder des situations, comme le déménagement de la charcuterie Bégin à Rivière-du-Loup. Au final, les fonds, dont a bénéficié le JAL, ne lui ont pas permis de devenir un véritable incubateur d’économie sociale (au même titre par exemple que la localité de Saint-Camille, un cas devenu emblématique dans la région de l’Estrie), leur apport se limitant à un laboratoire d’initiatives de développement communautaire, ayant des effets modestes sur sa dynamique de développement.

Mais c’est plus particulièrement au niveau du revenu que les changements se sont manifestés avec le plus d’acuité au JAL. Ceux-ci sont en partie attribuables à la transition agricole et acéricole, dont le milieu a fait l’objet. Encore une fois, il est difficile de déterminer l’existence d’une relation causale entre l’ampleur de ces changements et les subventions qu’a reçues le JAL. Néanmoins, il est fort probable que celles-ci aient exercé un certain effet. Ainsi, en l’espace de 45 ans, le revenu moyen des familles économiques s’est accru de 976,2 % au JAL, contre 898,3 % pour la MRC, 808 % pour la région et 968,8 % pour la province (cf. Tableau 5). Sans grande surprise, l’augmentation la plus substantielle a été enregistrée au cours de la dernière décade. Il n’en demeure pas moins que la situation économique de plusieurs ménages reste fragile, puisque la part du revenu perçu sous la forme de transferts gouvernementaux a augmenté entre 1981 et 2016. Dès lors, de profondes inégalités continuent à persister au sein du milieu jallois. Par exemple, en 2001, la localité de Lejeune se situait au septième rang parmi celles dont le niveau de revenu était le plus faible au Québec. Auclair détenait la 31e position en 1991 et la 48e en 2011, juste avant Saint-Juste-du-Lac.

Tableau 7

Évolution de certaines caractéristiques du secteur agricole dans les localités du JAL, en comparaison avec la MRC de Témiscouata, le Bas-Saint-Laurent et le Québec (1971-2016)

Évolution de certaines caractéristiques du secteur agricole dans les localités du JAL, en comparaison avec la MRC de Témiscouata, le Bas-Saint-Laurent et le Québec (1971-2016)

Tableau 7 (continuation)

Évolution de certaines caractéristiques du secteur agricole dans les localités du JAL, en comparaison avec la MRC de Témiscouata, le Bas-Saint-Laurent et le Québec (1971-2016)
Source : Recensement agricole de 1971 (compilation spéciale) et de 2016. Calculs et compilation de l’auteur

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L’accroissement du niveau de revenu a, par ricochet, entraîné une diminution de la pauvreté, bien que cette dernière ait été moins manifeste au JAL qu’au sein de la MRC, de la région et du Québec entre 1981 et 2016 (cf. Tableau 5). En cela, les subventions qu’a reçues le JAL ont probablement exercé une certaine influence, et ce, bien que le phénomène ait aussi été observé dans l’ensemble de la province grâce aux programmes sociaux.

Par ailleurs, les subventions dont le JAL a bénéficié n’ont pas contribué à endiguer la dissolution des services de proximité. Ainsi, nous avons notamment assisté à la fermeture de l’école primaire à Lots-Renversés et, plus récemment, de la caisse populaire à Saint-Juste-du-Lac. Avec ou sans subventions dans le milieu, ce phénomène a aussi été observé en milieu rural et semi-rural partout au Québec.

Situation géographique

L’un des motifs imputables au demi-succès des subventions qu’a reçues le JAL entre 1971 et 2015 en matière de développement économique tient du fait qu’elles n’étaient pas destinées à corriger les carences structurelles auxquelles le JAL est assujetti. Celles-ci sont directement inhérentes aux caractéristiques liées à l’organisation de sa structure de peuplement, dont la petite taille démographique des quatre localités concernées, leur vaste superficie occasionnant la dispersion de la population ainsi que leur éloignement les unes par rapport aux autres ainsi qu’en regard des principaux centres urbains. Aucune somme n’a été investie afin de faire de Dégelis ou de Témiscouata-sur-le-Lac un véritable pôle de développement, ce qui aurait permis de générer des économies d’agglomération, dont les effets auraient pu se répercuter sur le JAL. En cela, la situation géographique du JAL, sur laquelle les acteurs locaux et régionaux ont peu d’emprise, a constitué (et constitue toujours) un frein majeur à son développement, et ce, en dépit de leur dynamisme. Dans une certaine mesure, ces subventions ont favorisé le désenclavement géographique saisonnier de la région en raison du maintien, quoique parfois marqué par des interruptions, du service de traversier. Toutefois, elles ont eu des impacts mitigés, voire contradictoires, en matière d’aménagement du territoire, ceux-ci se traduisant par une modification du paysage agricole et forestier de la région et, plus spécifiquement par l’abandon de terres moins fertiles, le dépeuplement de rangs et le demi-succès, voire l’échec, de la mise en valeur intégrée des ressources dans la lutte aux disparités. Par ailleurs, soulignons que plusieurs de ces transformations seraient sans doute survenues avec ou sans subventions.

Conclusion

Le JAL constitue incontestablement un modèle emblématique en matière de développement régional au Québec. Condamné à la fermeture dans les années 1970, ce milieu rural fortement dévitalisé doit sa survie au dynamisme exceptionnel manifesté par les différents acteurs sociaux ainsi qu’au climat de solidarité sociale, celui-ci ayant largement dépassé les frontières du JAL. En outre, force est de reconnaître que la dynamique du JAL qui prévalait à cette époque dite « glorieuse » s’inscrivait dans le cadre d’une véritable révolution sociale autour de laquelle gravitaient nationalistes, environnementalistes, femmes, gays et lesbiennes qui promulguaient des valeurs écologiques, d’indépendance, d’émancipation et de liberté.

Le dynamisme du JAL s’est notamment traduit par l’émergence de nombreux projets, dont la plupart étaient issus du développement communautaire, et plus précisément de l’aménagement intégré des ressources. En favorisant une mise en valeur intégrée de celles-ci, il est incontestable que les projets qui ont émané du JAL, particulièrement au courant des années 1971 et 1980, ont contribué au renforcement des capacités, tout en favorisant un développement local progressiste. Ayant pratiquement tous disparu faute de rentabilité, la portée de ces projets, sur le plan socio-économique, fut toutefois beaucoup plus modeste, et ce, bien que les sommes reçues par la région au cours de cette même période aient été sans aucune commune mesure avec les subventions obtenues entre 1991 et 2015, notamment à partir de la Politique nationale de la ruralité et du Plan d’action gouvernementale à l’intention des municipalités dévitalisées. En fait, les changements subis sont davantage imputables au processus de transition économique (passage d’une acériculture traditionnelle à un autre de type productiviste), lequel aurait probablement vu le jour sans l’octroi de subventions, du moins pour plusieurs entreprises. Les nombreux projets qui ont vu le jour au JAL n’ont pas permis d’infléchir les forces déstructurantes liées à la géographie et à la démographie de la région.

En effet, le JAL demeure un territoire aux prises avec d’importants problèmes de dévitalisation, lesquels se traduisent par un revenu moyen inférieur à celui du Bas-Saint-Laurent et de la province, un vieillissement accéléré de la population, un dépeuplement qui semble hors de contrôle, une infrastructure de services fragile ainsi que par un effritement de la solidarité territoriale, autant de carences structurelles sur lesquelles les initiatives de développement local, qu’il soit communautaire, libéral ou progressiste, n’ont eu que très peu d’emprise. Tout au plus, ces fonds ont contribué à ralentir la progression de ces carences.

En outre, force est de constater que la mobilisation citoyenne exceptionnelle observée au courant des années 1970 a été remplacée par un certain individualisme. À ce sujet, tout porte à croire que la période mémorable du JAL doit davantage à ses leaders endogènes et à une mouvance sociale unique qui a prévalu au tournant des années 1970 dans l’ensemble du territoire québécois, qu’aux sommes investies. La difficulté à renouveler des leaders originaux, conjuguée à la tendance à la concentration de la population et des activités économiques au sein des villes, n’ont pas permis aux différents projets qui ont émané du JAL de produire les effets escomptés dans le temps, et ce, en dépit de la vision sociétale du territoire rural comme valeur collective à préserver. Certes, il y a eu une multitude de micro-retombées directes, concrètes, spécifiques et immédiates, mais celles-ci sont demeurées ponctuelles et circonstancielles, avec peu d’impact systémique et diachronique, et n’ont généré que de faibles retombées en matière de développement économique.

La situation socio-économique actuelle du JAL montre bien que le développement local, peu importe sa nature, s’il est fortement louable en raison de son impact humain, n’a pas permis d’infléchir la trajectoire évolutive du JAL au cours des 45 dernières années. Le même constat peut être fait en ce qui a trait aux acteurs exogènes, et en particulier aux diverses instances gouvernementales supérieures, en vue de stimuler le développement local libéral. En même temps, il y a lieu de se demander quel serait l’état de la situation socio-économique du JAL en l’absence de telles subventions, ou d’une approche communautaire qui a sans doute permis de préserver ce qui existe encore. Les initiatives de développement local qui ont vu le jour auraient-elles été aussi nombreuses et diversifiées ? Le JAL serait-il aujourd’hui un regroupement de villages fantômes que l’on visite en souvenir du « bon vieux temps », à l’image du village historique de Val-Jalbert au Saguenay–Lac-Saint-Jean ?

Compte tenu du fait qu’il n’existe plus d’enveloppes budgétaires dédiées spécifiquement à cette région, que les sommes reçues actuellement sont relativement modestes comparativement à celles dont elle a profité au tournant des années 1970 et que l’actuelle politique de développement régional du Québec mise davantage sur le dynamisme des acteurs locaux et régionaux plutôt que sur la correction des problèmes structurels du milieu rural, il est permis de croire que les fortes inégalités socio-économiques qui persistent entre la région du JAL, celle du Bas-Saint-Laurent, voire de la province, seront appelées à perdurer, voire à s’accentuer au cours des prochaines années. Afin d’éviter pareille situation, il reste fondamental que le gouvernement du Québec revoit sa stratégie de développement régional de manière à l’adapter et à la moduler aux réalités géographiques, économiques et sociales des milieux ruraux plus fragiles, dans un souci d’amélioration de la qualité de vie de leurs résidents, finalité ultime d’un développement territorial durable.