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Introduction

Les processus de professionnalisation des individus, des activités et des organisations renvoient à une pluralité de modes de professionnalisation à l’intérieur de groupes professionnels plus ou moins établis (Bourdoncle, 1993). Les modes sociaux et individuels de construction des processus de professionnalisation interrogent les pratiques éducatives et formatives sous différentes perspectives de recherche. Nous proposons de réfléchir sur la compréhension de trois niveaux de professionnalisation : macro (construction historique et sociale de l’activité), méso (les dispositifs institutionnels de formation et de travail) et micro (le vécu du sujet).

Dans un premier temps, nous proposerons un cadre de réflexion sur l’objet professionnalisation en sociologie et en sciences de l’éducation à travers une approche comparée. L’articulation de niveaux (macro, méso, micro) concrétise, dans un second temps, un cadre d’analyse où les activités formatives et les activités professionnelles ne se dissocient pas pour saisir l’hétérogénéité des processus de professionnalisation (2007), ce modèle d’analyse a été conforté dans le cadre d’une réflexion collective au sein du réseau-observatoire international sur la professionnalisation (ROIP). Cette réflexion, produite sous la forme d’une modélisation, s’appuie ainsi sur un ensemble de recherches empiriques développées tout au long d’un parcours de recherche.

1. La professionnalisation : sa mise en objet scientifique

1.1. La professionnalisation : une construction issue de la sociologie des professions anglo-saxonne

Les dynamiques des activités professionnelles s’inscrivent souvent, mais pas uniquement, dans le cadre d’une sociologie des groupes professionnels. La sociologie anglo-saxonne, par la diversité de ses approches (fonctionnaliste, interactionniste ou conflictualiste), met en exergue les différentes formes sociales de la professionnalisation sous des enjeux de reconnaissance des activités professionnelles (Abbott, 1988 & Champy, 2009).

Les processus de professionnalisation liés aux activités se construisent dans des rapports sociaux de plus en plus complexes et renvoient à des définitions hétérogènes. Ils qualifient à la fois l’individu, le métier mais également la société. Dans un premier sens, la professionnalisation renvoie au processus d’apprentissage, d’acquisition et de développement des qualités qui transforment l’individu en un professionnel. Cette approche se retrouve dans la figure de l’expert, du spécialiste, qui agit seul et se fait reconnaître pour son savoir expert (Freidson, 2001). Dans un second sens, la professionnalisation s’incarne dans l’exercice même du métier et se concrétise par l’accès au statut de profession. Cette dynamique est liée directement au professionnalisme. Celui-ci se construit essentiellement sur la recherche d’une autonomisation professionnelle, individuelle mais aussi collective, qui repose sur une éthique et des valeurs professionnelles universelles défendues par le groupe professionnel, comme celui des médecins, par exemple (Ibid.). Ce professionnalisme, trait de la professionnalisation et considéré comme un principe organisateur de la division du travail, se développe dans notre société où le savoir et les activités de services sont profondément valorisés et concernent essentiellement les professions établies, ce qui ne veut pas dire que cette tendance vers le professionnalisme ne s’applique pas à des activités moins prestigieuses (formation, travail social…). Aussi, la professionnalisation renvoie à un troisième sens : lorsque la professionnalisation touche un ensemble conséquent d’activités professionnelles, c’est la société dans son ensemble qui se trouve dans un mouvement de professionnalisation ou au contraire lorsque ces activités perdent de leur autonomie et de leur prestige, la thèse de la déprofessionnalisation est développée. Ces différents sens de la professionnalisation, issus de la sociologie des professions, se distinguent d’une approche spécifiquement française plus éclatée dans la construction de l’objet professionnalisation.

1.2. L’approche de la professionnalisation : peut-on parler d’une approche « à la française » ?

La sociologie des professions en France, en tant que champ de recherches depuis les années 1980, marque un tournant paradigmatique centré sur le renouvellement en profondeur des paradigmes du social (Dubar, 2004). Cette période voit naître un basculement, un renversement de priorités ; une perspective « méso-sociologique » prend de plus en plus en considération les organisations, les territoires. Les groupes professionnels, définis comme des ensembles de salariés ou de non-salariés confrontés à une même politique, à un dispositif ou encore à un événement identique, sont étudiés sur ce méso niveau (Ibid., p. 100). Simultanément, ce sont les constructions complexes des identités professionnelles, individuelles et collectives, et les processus de carrières qui sont étudiées de façon explicite par les chercheurs.

La sociologie française des professions, pour Demailly (2004), repose sur une conception de la professionnalisation qui sous-entend un ensemble de processus « qui transforment une collection d’individus à la fois en un groupe spécialisé dans la division du travail et en un acteur collectif » (p. 110). Plus précisément, la professionnalisation renvoie à l’existence de groupes professionnels composés d’individus qui, objectivement, occupent une place identique dans la division du travail, et qui en même temps offrent à leurs membres une existence subjective plus ou moins garantie, à partir d’une organisation interne et de capacités d’intervention externe plus ou moins forte. La professionnalisation touche à la fois la construction de l’identité individuelle et la construction de l’identité collective.

Les processus de professionnalisation analysés dans la littérature sociologique française apparaissent, de façon générale, très hétérogènes dans leur forme. Les conjonctures historiques, les modes d’organisation des acteurs et le rôle de l’État jouent un rôle considérable dans la construction de ces processus. Dubar explicite clairement cette position : « Ce sont des processus historiques de segmentation incessante, de compétition entre segments, de professionnalisation de certains segments et de déprofessionnalisation d’autres segments, de restructuration périodique sous l’effet des mouvements du capital, des politiques des États ou des actions collectives de ses membres (2004, p. 102). » Le modèle idéal, pour un grand nombre de groupes professionnels, s’apparente donc à celui de la profession libérale ou de la profession établie ; la professionnalisation n’a pas de modélisation unique. Il n’existe pas en soi une « échelle » unique qui marquerait des degrés et des étapes allant vers un stade final et établi de la professionnalisation. Il reste que la question de la construction des savoirs, de leur légitimation ou encore de l’acquisition et du développement des compétences professionnelles est au coeur des enjeux de la professionnalisation.

Cette axiomatique française se différencie des approches fonctionnalistes et interactionnistes anglo-saxonnes, plus ancrées dans des débats théoriques et sociaux sur la nature spécifique des activités professionnelles et des degrés possibles de la professionnalisation. En un sens, cette approche «à la française » reflète une pluralité des modes de professionnalisation à l’intérieur de groupes professionnels plus ou moins établis. Les dynamiques étudiées se rapportent à une diversité des processus de structuration des groupes professionnels, que ce soit dans leurs dimensions organisationnelles, professionnalisantes ou encore dans leurs pratiques liées à l’autonomie, la sécurité et au pouvoir dans le travail (Ibid., p.114). Aussi, l’étude des processus de professionnalisation renvoie souvent à l’analyse des groupes professionnels, sous l’angle de leur hétérogénéité, relevant entités incertaines et évolutives (Demaziere & Gadea, 2009).

1.3. La professionnalisation : un objet de plus en plus étudié en sciences de l’éducation

En sciences de l’éducation, les cadres d’analyse de la professionnalisation sont reformulés sous l’angle des pratiques éducatives et formatives, de la construction et de la transmission des savoirs. Les travaux de Bourdoncle (2000), sur les professions de l’éducation et de la formation, présentent, quant à eux, une conception spécifique de la professionnalisation. Sont mises en exergue quatre dimensions de la professionnalisation : la professionnalisation de l’activité (l’universitarisation de la formation professionnelle, la professionnalisation du groupe exerçant l’activité, la création d’une association professionnelle…), la professionnalisation des savoirs (la socialisation professionnelle) et la professionnalisation de la formation. Ces travaux restent sous l’empreinte d’une vision « déterministe » de la transmission des savoirs, alors que des conceptions plus « constructivistes » mettent l’accent sur le caractère inventif existant dans la production des savoirs, notamment à travers le développement de pratiques réflexives chez les professionnels (Schön, 1985).

Les processus de professionnalisation sont étroitement liés à la construction de savoirs théoriques, pratiques ou encore professionnels dans les situations formatives et professionnelles. Ce sont souvent des combinatoires de savoirs qui relient l’individu à l’apprentissage au regard de sa trajectoire personnelle et des contextes formatifs et de travail spécifique. La professionnalisation résulte de cette dynamique individuelle de réappropriation des savoirs, inscrite dans des contextes formatifs précis. L’usage de la notion de savoirs d’action illustre cette disposition d’analyse. Ils se distinguent des savoirs scientifiques et des techniques par un discours subjectivement reconnu sur l’organisation de l’action (Astier dans Barbier & Galatanu, 2004, p. 290). Ces savoirs d’action sont incorporés aux individus dans des contextes spécifiques formatifs. Les analyses de Wittorski sur les processus de professionnalisation (2007, 2008) donnent un cadre plus large à la compréhension de ces processus. Elles renvoient à trois types d’approches qui s’inscrivent dans des champs d’observation et d’analyse spécifiques mais non disjoints. La professionnalisation des individus, en lien direct avec les collectifs de travail et les collèges des pairs ; la professionnalisation des activités en termes de construction et de légitimité des savoirs professionnels ; la professionnalisation des organisations qui renvoie à la transformation de ces savoirs professionnels en savoirs organisationnels. Ces différentes « entrées » s’articulent avec des conceptions spécifiques de la professionnalisation. Dans un premier temps, la professionnalisation renvoie à la constitution d’une profession, et donc à la sociologie des professions. Dans un second temps, la professionnalisation se construit avec l’institutionnalisation de l’activité, dans un contexte de flexibilité du travail, de changement des logiques de production, de culture du résultat, de décentralisation des responsabilités, nécessitant une professionnalisation des salariés qui doivent faire preuve d’adaptabilité, de réactivité et de compétences. Et enfin, la professionnalisation se déploie en vue de la « fabrication » d’un professionnel par la formation avec, en corollaire, un besoin accru de légitimité et d’efficacité des pratiques de formation.

La professionnalisation est bien un objet scientifique en soi que la sociologie des professions et les sciences de l’éducation ont investi de façon différenciée mais non opposée (Demaziere, Roquet & Wittorski, 2012). Aussi, notre propos vise une grille de lecture qui s’appuie sur trois niveaux d’analyse (macro, méso et micro) de l’activité formative et professionnelle. Ces trois niveaux sont présentés à partir de trois champs distincts qui ont fait l’objet d’investigations empiriques passées ou en cours de réalisation : la construction de la professionnalisation des ingénieurs, les activités des emplois-jeunes de la médiation et les formations professionnelles en alternance. Ces recherches s’appuient, pour les ingénieurs, sur des réflexions et des résultats produits depuis une quinzaine d’années (Roquet, 1995, 2000, 2004), les emplois-jeunes sur une production issue d’une recherche collective réalisée il y a dix ans (Pelage et al., 2001, 2002), enfin l’étude des formations en alternance s’inspire d’enquêtes régionales entamées depuis cinq ans (Clénet & Roquet, 2005).

2 Penser la professionnalisation comme un processus articulant trois niveaux (macro, méso, micro) d’activités

2.1. Le niveau macro de la professionnalisation : la construction sociohistorique de l’activité

La professionnalisation renvoie à une construction historique, voire chronologique, des activités formatives et professionnelles. Pour les professions établies, ou les professions en voie de reconnaissance ou encore les activités considérées comme non organisées, la compréhension du processus historique est indispensable pour saisir la genèse des dynamiques de la professionnalisation. Les liens entre formation et professionnalisation définissent les articulations entre les différents types de savoirs. La construction et la valorisation des divers types de savoirs, au niveau macro, se repèrent sous trois formes : les savoirs théoriques transmis de façon académique, les savoirs professionnels et les savoirs empiriques, acquis par l’expérience, ou encore les savoirs d’action, acquis dans le cadre d’activités formatives et professionnelles spécifiques. Ils peuvent exister séparément ou former des combinaisons, se traduire par des modes formalisés (écoles, instituts, universités…) ou des modes plus informels de transmission de savoirs (autoformation, apprentissage par les pairs…). Cette trilogie renvoie à la fois à la transmission des modes d’apprentissage d’une activité professionnelle et à son intégration dans le mode d’organisation du groupe professionnel. Il s’agit de produire des processus éducatifs, formatifs, qui fondent la légitimité de l’exercice d’une activité.

Cette construction des savoirs s’enracine dans la production de professionnalité, de parcours professionnels, ou encore de types de carrières professionnelles. C’est l’existence sociale, visible pour soi et pour autrui, de ces carrières qui donnent du sens aux processus de professionnalisation dans les représentations sociales et individuelles. Autrement dit, les modèles de professionnalisation repérables (exemples : rôle prédominant du diplôme, valorisation de l’expérience professionnelle, modèles existant de carrière professionnelle) se construisent dans la projection de ces parcours dans les représentations institutionnelles et individuelles. L’inscription historique s’effectue par la durabilité, la pérennité des processus ou, au contraire, par le caractère temporaire de ces modèles. Sans profondeur historique, la professionnalisation devient simplement un enjeu social momentané sans points d’appuis et sans cadrage temporel suffisamment établi pour les situations et les acteurs concernés.

Pour les ingénieurs, le processus de professionnalisation répond bien à une dynamique reproductrice de modèles (ingénieur de grandes écoles, ingénieur de production, ingénieur promu) qui assure la permanence des représentations et en même temps leur transformation au gré de l’évolution des contextes sociohistoriques. La compréhension du niveau macro permet de comprendre la diversité des offres identitaires organisées selon différents segments professionnels (Roquet, 2005). Les filières de recrutement, les dispositifs de formation, les modes d’apprentissage des savoirs (théoriques et empiriques), les modèles de carrière professionnelle participent à la définition des segments et à leur différenciation. Au gré des périodes historiques, les segments se sont recomposés tout en maintenant en permanence des modèles professionnels, c’est un mouvement permanent de construction-déconstruction-reconstruction identitaire qui explicite le processus.

Pour les emplois-jeunes de la médiation, le niveau macro intervient uniquement pour situer des horizons temporels futurs et flous, non pas pour construire des modèles professionnels d’activités, mais pour consolider des processus de transition professionnelle liés aux politiques d’insertion professionnelle des jeunes. En aucun cas, il n’existe de « modèle » historique de ce type d’activité.

Pour le modèle éducatif de l’alternance, une perspective macro resitue un ensemble de tensions politiques et sociales autour de politiques éducatives et formatives. L’alternance est bien un contre-modèle, opposé au modèle scolaire et académique, basé sur la retransmission de savoirs souvent professionnels à travers une formation expérientielle. Cependant, ce contre-modèle ne s’est jamais affirmé historiquement dans des champs professionnels spécifiques pour prétendre à une reconnaissance établie d’un mode de formation ancré sur des professions reconnues.

2.2. Le niveau méso de la professionnalisation : les dispositifs institutionnels de formation et de travail

Le processus historique de la professionnalisation n’est pas suffisant pour saisir la complexité de sa traduction dans des dispositifs institutionnels. Le niveau méso institutionnel correspond à une traduction de la professionnalisation construite sur un plan macro, dans des dispositifs de formation initiale ou continue, indispensables à la mise en action des dynamiques historiques de professionnalisation.

Cette traduction se définit dans « un programme institutionnel », c’est-à-dire un mode de socialisation des acteurs dans des situations formatives et/ou professionnelles. Les écoles, les universités, les dispositifs de formation, les dispositifs de professionnalisation définissent des programmes institutionnels qui s’inscrivent ou ne s’inscrivent pas dans des modèles historiques antérieurs. Dubet (2002) le précise de cette manière : « 1) ce programme considère que le travail sur autrui est une médiation entre des valeurs universelles et des individus particuliers ; 2) il affirme que le travail de socialisation est une vocation parce qu’il est directement fondé en valeur ; 3) ce programme croit que la socialisation vise à inculquer des normes qui conforment l’individu et, en même temps, le rendent autonome et libre » (p. 13-14). Les savoirs transmis, l’articulation entre les formes de savoirs, la construction des professionnalités sont autant de constructions sociales qui participent à cette traduction. Dans le cas des ingénieurs, le développement de ces dispositifs de formation se rapporte à une recherche de « synthèse» entre la reconnaissance du diplôme d’ingénieur, qui lie ainsi tout dispositif à la représentation d’un modèle idéal de l’ingénieur (savoirs académiques), et la construction de « réponses » en termes de formation à la demande du système productif en termes de postes de cadres techniques, d’ingénieurs de production (savoirs professionnels). Le dispositif « emplois-jeunes » se rattache à une temporalité éphémère qui va à l’encontre d’un processus de pérennisation et de professionnalisation. Le niveau méso, par un ensemble de dispositifs de formation, intervient pour situer des horizons temporels futurs et flous, non pas pour construire des modèles professionnels d’activités et de savoirs pour les jeunes. L’alternance, quant à elle, s’est développée au sein d’organisations de formation hétérogènes qui génèrent une multitude de dispositifs et de filières aux objectifs variés (le compagnonnage, l’apprentissage, l’enseignement technique agricole, l’enseignement technique et professionnel, l’enseignement supérieur, l’insertion de publics en « difficulté »).

Les différents dispositifs formatifs jouent ainsi un rôle socialisant, ils traduisent des modes de relations à autrui qui valorisent un type de normalisation entre des valeurs universelles d’une profession et leur transmission auprès d’individus désireux d’exercer une activité définie dans des zones d’autonomie. Les dispositifs, quelles que soient leur nature et leur construction, répondent à ces exigences sociales. La continuité et la transformation de ces dispositifs au cours du temps, leur disparition, voire leur courte existence, apparaissent comme des éléments médiateurs entre des modèles professionnels historiques et des individus inscrits dans des trajectoires sociales et personnelles hétérogènes.

2.3. Le niveau micro de la professionnalisation : le vécu des dynamiques individuelles

Le « programme institutionnel » de la professionnalisation transparaît dans les rapports institutions/individus, mais aussi dans ce qu’en font les individus au travers de leurs parcours personnels, sociaux et professionnels. Les parcours emploi/formation dans les trajectoires individuelles se présentent comme des « lignes de professionnalisation » qui se construisent dans des temporalités biographiques. Le sens de la professionnalisation est réinterrogé en permanence. Il renvoie, aujourd’hui, aux « parcours de professionnalisation », spécifiques des nouveaux parcours en alternance formation/emploi dans les métiers relationnels et de l’interaction humaine. Un autre aspect concerne l’exercice de la réflexivité professionnelle dans un processus de professionnalisation permanent (Bataille, 2005). Dans cette perspective, il est primordial de saisir la diversité et la singularité de ces parcours dans une pluralité temporelle propre à chaque être humain. Les processus de professionnalisation se concrétisent dans des dynamiques individuelles de production de savoirs inscrites dans des activités éducatives, formatives et professionnelles différenciées tout au long de la vie (transformative learning, reconversions professionnelles).

Ainsi, les représentations des modèles professionnels, comme celui de l’ingénieur, trouvent leur signification dans les itinéraires personnels; au contraire, si ces modèles n’existent pas (emplois-jeunes, formations en alternance), ce sont de nouvelles formes de professionnalités qui se construisent au sein de parcours biographiques hétérogènes. Ce sont des formes de transaction permanentes entre des séquences de vie, prises dans les trajectoires et des modes de professionnalisation saisis au sein de groupes professionnels, de pairs, de collectifs de travail ou encore d’organisations (entreprises, institutions…). Ces transactions sous-tendent la construction d’identités professionnelles (Dubar, 2000) et donnent un sens vécu aux « parcours de professionnalisation », marqués à la fois par la continuité et la rupture temporelles. La professionnalisation revêt une dimension du temps vécu individuel ; il s’agit d’une construction qui peut se faire tout au long d’une vie dans des formes expérientielles différenciées. C’est souvent une combinaison de modes alternatifs ou concomitants qui définit ces parcours dans leur globalité, s’insérant dans un trajet biographique qui, en quelque sorte, doit trouver son autonomie et son inventivité.

La professionnalisation participe à cet ajustement par des rapprochements autour des modèles formatifs et professionnels communs ou encore par l’invention de modes de formation (autoformation) qui respectent les temporalités individuelles et enracinent les parcours de professionnalisation dans des itinéraires individuels. Au modèle classique descriptif et classificatoire des parcours emplois-formation, une approche compréhensive des trajectoires individuelles réfute l’hypothèse de parcours prescriptifs ou programmés par les acteurs institutionnels. Au contraire, une multiplicité de contingences, d’opportunités, d’aléas et d’accidents de parcours construisent les stratégies de professionnalisation, contextualisées dans des situations formatives et professionnelles repérables dans le trajet biographique.

Aussi, les trajectoires individuelles et les constructions identitaires qui s’y rapportent (micro), dans ce qu’elles supposent comme processus de socialisation, participent directement aux dynamiques de professionnalisation en relation aux deux niveaux déjà évoqués (macro et méso).

Conclusion

Les processus de professionnalisation s’inscrivent dans une triple dimension en touchant : 1) des formes achevées, en cours, ou inexistantes de modèles professionnels ; 2) des dispositifs institutionnels de traduction qui peuvent être des dispositifs de formation, des dispositifs de professionnalisation ; 3) des trajectoires individuelles qui s’inscrivent dans des parcours individuels de professionnalisation. Ces processus se retrouvent dans les collectifs, nommément les groupes professionnels, ou encore à travers les individus exerçant une activité professionnelle identique.

Les articulations et les tensions, en conséquence, se construisent entre des temporalités institutionnelles, liées à des projets d’institutionnalisation d’activités formatives ou/et professionnelles, et des temporalités biographiques inscrites dans des parcours de professionnalisation des individus. Ces deux dimensions se complètent par une troisième dimension temporelle, celle du temps historique, qui façonne les représentations existantes au sein des temporalités institutionnelles et des temporalités biographiques. Ce temps « surplombant » n’a pas d’existence à l’échelle humaine individuelle, il perfore le temps institutionnel et le temps individuel par les représentations produites sur les institutions et les individus eux-mêmes. Ces articulations et tensions interagissent sur les trois niveaux pour produire des processus de professionnalisation distincts. Plus les articulations sont construites, plus les processus de professionnalisation se visibilisent et rejoignent le modèle fonctionnaliste des professions établies. Les représentations des modèles professionnels se projettent, nécessairement, dans les temporalités institutionnelles et biographiques. Au contraire, moins ces articulations se manifestent, moins les processus de professionnalisation se construisent et moins les activités professionnelles se pérennisent, et plus nous sommes proches d’une conception des « occupations ». Ces deux formes « idéales-typiques » s’appuient sur un ensemble de temporalités différenciées, dont la nature relève de formes hétérogènes (continuité, transformation, transition, simultanéité, rupture…), qui génèrent des singularités propres à chaque activité professionnelle et formative. De même, les articulations entre les niveaux peuvent se transformer en permanence et ne pas aboutir au développement de processus de professionnalisation.

Cette approche de la professionnalisation en termes de niveaux vise finalement à participer à une lecture tridimensionnelle de la professionnalisation à la fois sur des activités professionnelles établies et émergentes.