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Introduction

Pour mieux préparer les futurs enseignants à l’exercice de la profession enseignante, la formation initiale se déroule alternativement en milieu universitaire et en milieu scolaire. L’alternance des lieux de formation est d’ailleurs largement appréciée des étudiants (L’hostie & Guillemette, 2011). À leur avis, l’apprentissage de l’enseignement ne saurait se passer des situations concrètes et de l’accompagnement d’un enseignant associé, le formateur de terrain. Or, leurs besoins de formation en milieu de pratique ne sont pas nécessairement comblés (Caron, Portelance & Martineau, 2013). Dans ce contexte, les attentes à l’égard du formateur-praticien sont nombreuses (gouvernement du Québec, 2002, 2008 ; Desbiens, Borges & Spallanzani, 2012). Dès lors, des compétences spécifiques sont souhaitables (Altet, Paquay & Perrenoud, 2002 ; Correa Molina, 2005). Elles se distinguent des compétences en enseignement. En effet, l’enseignant expérimenté reconnu compétent n’est pas nécessairement un formateur de stagiaires compétent (Faingold, 2002). Une formation est alors primordiale pour l’enseignant qui veut devenir enseignant associé. La communauté de pratique représente un moyen de formation continue, et plus précisément de coformation et de codéveloppement professionnel. Dans ce texte, il est question d’une recherche qui vise notamment à analyser la réflexion collective d’enseignants associés sur leur rôle et leur identité professionnelle. Le contexte et la problématique de la recherche seront suivis de précisions théoriques sur la dynamique interactionnelle au sein d’une communauté de pratique. Des éléments méthodologiques précéderont l’exposé des résultats et leur interprétation.

Contexte

Au Québec, les stages de la formation initiale à l’enseignement comportent un minimum de 700 heures, réparties sur les quatre années de la formation, le nombre d’heures augmentant progressivement du premier au quatrième stage. Étant donné la forte valeur que les étudiants accordent à ce volet de leur formation en alternance (Portelance, 2005 ; Desbiens, Borges & Spallanzani, 2009), il importe que les périodes de présence dans le milieu scolaire contribuent de manière significative à l’apprentissage de l’enseignement. Pendant ses stages, l’étudiant a l’avantage de recevoir un encadrement formatif de la part d’un enseignant associé et d’un superviseur universitaire, appelés à agir en complémentarité et en cohérence auprès du stagiaire (Zheng & Webb, 2000 ; gouvernement du Québec, 2008). L’enseignant associé est généralement un enseignant considéré apte à devenir formateur d’un stagiaire. Son influence sur le futur enseignant est marquante, en raison surtout de sa connaissance réelle de l’enseignement. Ses responsabilités à l’égard du stagiaire concernent notamment l’encadrement de la planification de l’enseignement, incluant celle du fonctionnement du groupe-classe, les rencontres de rétroaction au cours desquelles il fait appel aux capacités réflexives du stagiaire, sans négliger le soutien à la construction de liens entre savoirs théoriques et expérientiels. À son expérience et ses compétences en enseignement, il est invité à ajouter des compétences lui permettant d’exercer son rôle auprès des futurs enseignants, et ce, pour mieux répondre aux attentes à son endroit (gouvernement du Québec, 2002, 2008 ; Portelance, Gervais, Lessard, Beaulieu et al, 2008). Répondre à ces attentes renforce la possibilité d’assurer la qualité de la relève enseignante.

À la demande du ministère de l’Éducation, les universités québécoises sont responsables de la formation des enseignants associés, et ce, depuis 1994. Des activités de formation sont dès lors offertes à tous les enseignants qui désirent devenir enseignants associés ou qui le sont déjà. Les modalités de formation varient d’un milieu à un autre. La communauté de pratique en fait partie. De manière générale, les compétences attendues de l’enseignant associé se résument ainsi : soutenir la construction de l’identité professionnelle du stagiaire, le guider dans le développement des compétences en enseignement et particulièrement dans l’apprentissage des pratiques d’enseignement, l’encourager à poser un regard critique sur son agir professionnel, interagir avec respect et professionnalisme et travailler de concert avec le superviseur universitaire. La formation des enseignants associés est vue comme une occasion de formation continue imbriquée dans une culture de développement professionnel.

Problématique

La formation continue fait ordinairement appel à la responsabilisation du formé, à son engagement dans sa formation. Sa responsabilité première est de prendre en charge sa propre formation, d’en être l’acteur principal (Houpert, 2005), ce qui exige une bonne dose de motivation intrinsèque (Devos & Paquay, 2015). Toutefois, il sera incité à un véritable engagement si la formation est ancrée dans ses expériences professionnelles et dans les contextes de son vécu professionnel. Selon L’Hostie, Morency & Nadeau-Tremblay (2013), la formation continue devrait reconnaitre d’emblée les savoirs cachés dans l’agir professionnel. Les savoirs acquis par l’expérience en constitueraient le point de départ à partir duquel des apprentissages diversifiés sont possibles (Wells, 1993). L’auteur constate que la formation continue mène à concevoir et adopter de nouvelles pratiques d’enseignement et d’intervention éducative. Elle accroit la capacité de transformation des situations dans lesquelles se déroule l’action.

En s’appuyant sur le bagage expérientiel, la formation continue fait habituellement appel au partage des expériences et des raisons d’agir, empruntant ainsi la voie de la socialisation professionnelle (Houpert, 2005). Elle peut même stimuler l’articulation des projets individuels autour d’un projet collectif. Forts d’une culture de partage, les groupes inscrits dans un processus de formation continue poursuivent leur développement professionnel, lequel, selon Wittorski (2007), se réalise principalement dans l’action et la réflexion sur l’action, mais aussi dans les interactions avec les pairs. Dans cet ordre d’idées, il importe de mentionner l’apport de Payette et Champagne (2010) qui cherche à harmoniser la pratique, le développement professionnel et la recherche. Leur approche de la formation continue permet aux professionnels de réfléchir sur leur pratique en vue de l’améliorer, et ce, au contact les uns des autres. Les auteurs affirment que le codéveloppement professionnel, c’est-à-dire le développement des compétences professionnelles et l’apprentissage favorisés par les interactions et la collaboration au sein d’une communauté de pairs, est possible en écoutant et en aidant des collègues à cheminer dans la compréhension et la transformation effective de leur pratique. Dans un contexte de codéveloppement professionnel, la réflexion individuelle est enrichie par une variété d’éclairages qu’il ne serait pas possible d’obtenir autrement.

Or, la volonté de s’engager dans un processus de formation continue et de codéveloppement professionnel est dépendante de la culture professionnelle du milieu dans lequel évoluent les individus (Desjardins, 2016). L’auteure ajoute que la transformation de cette culture représente un processus complexe. De surcroit, de nombreuses variables entrent en jeu dans les modifications de la culture professionnelle, notamment des variables situationnelles, individuelles, mais aussi interactionnelles et relationnelles (Charlier, 2001). Ainsi, au sein d’un réseau d’enseignants, l’individu n’est pas le seul acteur clé de sa formation continue. Le groupe l’est tout autant. Étant créée pour partager, discuter et analyser des situations de la pratique (Michaud et Bouchamma, 2013), nous croyons qu’une communauté de pratique se caractérise notamment par la dynamique interactionnelle qui se construit progressivement entre ses membres.

Au Québec, les conditions favorables au regroupement d’enseignants associés sont déjà mises en place. La formation offerte dans tous les milieux vise à les appuyer dans l’exercice de leur rôle auprès du stagiaire et, possiblement, à accroitre leur capacité de transformer leurs pratiques. Des communautés de pratique existent déjà et d’autres sont en émergence. Dans le cadre d’une recherche visant le soutien à la formation continue des enseignants associés, nous nous intéressons aux manifestations du codéveloppement professionnel au sein d’une communauté de pratique, particulièrement à la dynamique interactionnelle des échanges.

Cadre conceptuel

Pour approfondir le sens de l’objectif mentionné, nous présentons les bases théoriques servant d’ancrage à l’examen des données. Après avoir précisé le sens que nous accordons à la communauté de pratique, nous présentons le cadre conceptuel sur lequel s’appuie notre analyse de la dynamique interactionnelle.

La communauté de pratique

Depuis quelques décennies, les différentes formes de regroupement de praticiens, susceptibles de favoriser le développement et le codéveloppement professionnels, intéressent plusieurs chercheurs. Au départ, Wenger (1998) nomme communauté de pratique un rassemblement de personnes d’un même domaine qui veulent échanger, partager et apprendre les uns des autres. Michaud et Bouchamma (2013) en précisent le sens. Ces auteures utilisent le vocable communauté de pratique pour désigner un regroupement dont le premier objectif est le développement professionnel des praticiens. Elles distinguent la communauté de pratique de la communauté d’apprentissage ; elles réservent cette dernière appellation pour la communauté centrée sur la réussite des élèves. Michaud et Bouchamma (2013) affirment toutefois que, dans les deux cas, l’apprentissage et le travail en groupe sont des éléments centraux, expliquant que l’apprentissage assure la pérennité de la communauté. L’apprentissage est considéré « comme une structure sociale émergente qui nait de l’interaction de multiples sources de savoirs tacites ou explicites, de la rencontre de diverses cultures, du foisonnement de diverses narrations » (p. 199). À l’instar de ces auteures, nous croyons qu’une communauté de pratique donne lieu à des apprentissages et qu’elle peut, de ce fait, être considérée comme une communauté d’apprentissage. Dans les paragraphes suivants, nous conservons par ailleurs le vocabulaire utilisé par les auteurs cités.

Selon Dionne, Lemyre et Savoie-Zajc (2010), la communauté d’apprentissage permet l’acquisition d’un savoir individuel et collectif, prenant une couleur particulière en fonction des acteurs qui y participent et de la culture professionnelle. L’importance des savoirs expérientiels est soutenue par Michaud et Bouchamma (2013), pour qui ces savoirs représentent une ressource à laquelle peuvent puiser les membres de la communauté. La communauté d’apprentissage devient une occasion de développement professionnel et de production de savoirs, sur la pratique et issus de la pratique (Altet, 1996), quand le partage collectif d’expériences et de savoirs en constitue le moteur (Cochran-Smith & Lytle, 1999). Les membres de la communauté peuvent s’y appuyer pour analyser leur pratique professionnelle, tout en s’inspirant de savoirs théoriques. Lorsqu’ils utilisent des connaissances issues de la recherche avec un esprit critique, les praticiens peuvent en dégager le sens, les mettre en application pour en valider la portée et les partager avec les membres de la communauté (Caron & Portelance, 2017). Or, chez les praticiens, il faut s’attendre à l’utilisation prédominante de savoirs professionnels hétérogènes dans les échanges et les discussions (Vanhulle, 2009).

La communauté d’apprentissage est reconnue comme un élément important d’ajustement de pratiques pédagogiques (Dionne et al., 2010) ou de changement en éducation (Michaud & Bouchamma, 2013). Par ailleurs, une communauté qui se limiterait à « faire raconter les expériences antérieures sans proposer de changement ne pourrait être éducative, parce qu’elle ne contribuerait pas au renouvellement du collectif » (p. 209). En effet, la narration d’expériences n’est pas valable en soi. Les auteures mettent en garde contre la narration dans un contexte où la diversité des points de vue n’est pas valorisée. En complément de cette idée, Clerc-Georgy (2017) mentionne que la verbalisation n’est pas nécessairement une modalité autoporteuse de développement professionnel. Toutefois, les conversations entre collègues peuvent, à certaines conditions, représenter une occasion de poser un regard cognitif et métacognitif sur ses pratiques (Martin, 2017).

Qui plus est, le changement des pratiques professionnelles serait issu de la négociation entre les expériences antérieures et les expériences vécues dans la formation, entre les compétences antérieures et les compétences à développer, entre la culture antérieure et celle qu’on veut instaurer. En amont de ce changement, le climat des échanges et la dynamique interactionnelle au sein de la communauté de pratique influencent fortement le codéveloppement professionnel et la coconstruction de savoirs.

La dynamique interactionnelle

Pour comprendre la dynamique interactionnelle au sein d’une communauté de pratique engagée dans un processus de formation continue, nous faisons référence aux écrits de Gilly, Fraisse et Roux (1988, 2001). Au sein d’un groupe engagé sur la voie du codéveloppement professionnel, les interactions verbales, le partage d’expériences, les échanges et les discussions provoquent des conflits sociocognitifs pouvant être à la base d’apprentissages. Dans un groupe, les participants apprennent les uns des autres et avec les autres. Gilly, Fraisse et Roux (2001) ont étudié les interactions entre les élèves regroupés en dyades et plus particulièrement la dynamique interactive et la dynamique collaborative à l’occasion de la résolution de problèmes. Ils se sont intéressés aux régulations et à l’ajustement des idées. Il nous a semblé pertinent de nous inspirer du cadre conceptuel issu de leur travail dans un autre contexte de collaboration. L’analyse de pratiques professionnelles par les membres d’une communauté de pratique professionnelle peut représenter l’un d’eux (Portelance & Caron, 2010).

Gilly, Fraisse et Roux (2001) ont porté attention à la verbalisation des idées et ils ont rassemblé leurs observations autour des éléments suivants : les échanges d’idées et la déstabilisation cognitive. D’une part, l’une de leurs expérimentations leur permet d’insister sur les échanges d’idées, que celles-ci soient semblables ou fortement distinctes. Les échanges d’idées permettent d’éviter la complaisance et la participation passive. Lorsqu’il y a échange d’idées, la dynamique interactive incite chacun à prendre en compte le point de vue d’autrui, à prendre conscience de la particularité de ses idées et à les remettre en question. Selon les auteurs, les échanges peuvent donner lieu à une coélaboration acquiescente lorsque l’un acquiesce à l’idée de l’autre en élaborant et complétant et même en renforçant son raisonnement. Les échanges d’idées mènent parfois aussi à une coconstruction de savoirs. Cela se produit lorsque les personnes renforcent mutuellement leurs idées respectives dans une apparente harmonie et que les interventions de l’une peuvent amener l’autre à réorienter son action ou son idée. De là peut émerger une idée nouvelle, issue de la part active de chacun des participants. Les observations des interactions verbales ont permis aux chercheurs Gilly, Fraisse et Roux (2001) d’ajouter que les échanges d’idées peuvent également se dérouler dans la confrontation. Ils ont identifié la confrontation contradictoire et la confrontation avec désaccord. Les auteurs utilisent l’expression confrontation contradictoire lorsqu’une personne en désaccord avec l’idée d’une autre tente de dépasser l’opposition en argumentant et en défendant ses propres idées. L’argumentation peut mener à un accord sur les idées initiales de l’un ou de l’autre ou à une nouvelle idée. Cette confrontation d’idées ne porte pas nécessairement sur des idées contradictoires ; elle porte toutefois sur des idées différentes. Dans la confrontation avec désaccord, il n’y a pas d’échange d’idées. La proposition de l’un est rejetée par l’autre sans argumentation et sans proposition d’une nouvelle idée.

D’autre part, Gilly, Fraisse et Roux (2001) ont observé, dans la verbalisation des idées, des situations de déstabilisation cognitive, ce qui peut également se produire au sein d’une communauté de pratique. Un déséquilibre interindividuel est apparent lorsque la déstabilisation cognitive est occasionnée par les idées de l’autre alors qu’un déséquilibre intra-individuel signifie que la déstabilisation cognitive de l’individu émane de ses propres idées. La déstabilisation cognitive peut donner lieu à un changement de représentation, à la poursuite de la discussion et à l’atteinte d’un équilibre. La déstabilisation cognitive peut se manifester dans les interactions verbales des membres d’un groupe professionnel.

Dans une étude des interactions entre enseignant associé et stagiaire, Portelance et Caron (2010) ont constaté que, devant une situation déstabilisante, le déséquilibre cognitif peut susciter un questionnement partagé et une réflexion partagée. Un questionnement partagé signifie que les personnes sont portées à verbaliser les mêmes interrogations lorsqu’elles tentent de clarifier une situation ou d’en comprendre le sens. La réflexion partagée indique que, dans l’analyse conjointe d’une situation, un déséquilibre cognitif peut porter les personnes à aller au-delà d’un simple échange d’idées. Elles s’engagent sur la voie de la réflexion conjointe pour mieux comprendre la situation et identifier des pistes d’amélioration. Dans les interactions verbales, la réflexion et le questionnement partagés se chevauchent. Le questionnement peut donner lieu à une réflexion et la réflexion elle-même peut faire naitre de nouveaux questionnements.

Avec une adaptation des résultats de Gilly, Fraisse et Roux (2001), il est possible de mettre en évidence les différentes manifestations de la dynamique interactionnelle au sein d’une communauté de pratique d’enseignants associés. Une dynamique interactionnelle susceptible d’illustrer une collaboration active, la prise en compte du point de vue d’autrui, la confrontation cognitive et le dépassement des différences et des contradictions est pour nous d’un intérêt particulier. Nous avons voulu répondre à la question suivante : lors de discussions sur les pratiques de formation de stagiaires, quelles sont les manifestations de la dynamique interactionnelle au sein d’une communauté de pratique formée d’enseignants associés ?

Éléments méthodologiques

Le présent texte expose une partie des résultats d’une recherche qui visait à soutenir la formation continue des enseignants associés en actualisant le Cadre de référence de la formation des formateurs de stagiaires au Québec (Portelance, Gervais, Lessard, Beaulieu et al, 2008). Cette recherche est soutenue financièrement par le ministère de l’Éducation depuis 2010. Elle a nécessité l’établissement d’un partenariat entre milieux universitaire et scolaire. L’équipe de recherche comporte autant de praticiens, que de personnes du milieu universitaire. Parmi les praticiens, trois sont enseignantes et enseignantes associées et l’une est conseillère pédagogique. Les quatre sont formatrices d’enseignants associés. Du côté des universitaires, trois sont professeures et la quatrième est doctorante. Elles sont toutes chercheures en sciences de l’éducation. Les membres sont engagés dans une démarche de réflexion et de coconstruction de sens (Bourassa, Philion & Chevalier, 2007). Sous le signe de la collaboration entre les participants des deux milieux, trois objectifs principaux ont été visés. Les deux premiers, produire des dispositifs de formation et analyser les effets perçus de ces dispositifs sur le développement professionnel des enseignants associés, ont été atteints. À ce sujet, des résultats ont été diffusés. Le troisième objectif, décrire comment les enseignants associés analysent collectivement des pratiques de formation du stagiaire afin de dégager des éléments pouvant soutenir la création de groupes de codéveloppement professionnel et de favoriser une culture de formation continue, a donné lieu à de nombreux résultats. Ceux qui sont exposés dans ce texte illustrent la dynamique interactionnelle au sein d’une communauté de pratique.

Pour atteindre ce dernier objectif, une approche qualitative a été utilisée. Les chercheurs ont ainsi pu faire de la recherche conjointement avec les participants et se rapprocher de leur monde intérieur, de leurs représentations et de leurs intentions (Karsenti & Savoie-Zajc, 2000). Insistant sur la dimension interactive, la recherche qualitative permet de comprendre la culture professionnelle des participants. S’intéressant aux interactions, elle peut mettre au jour la coconstruction de savoirs (Legendre, 2008). Avec une stratégie descriptive et compréhensive, il est possible de générer et traiter des données en provenance du discours (Taylor & Bogdan, 1984) et d’analyser ce que les participants pensent et disent (Dumez, 2011).

Pour obtenir des données sur l’analyse, par des enseignants associés, de pratiques de formation des stagiaires, l’outil d’investigation est essentiellement constitué d’un canevas d’animation d’une discussion déclenchée par une situation concrète d’encadrement d’un stagiaire. La situation présentée avant d’être analysée par le groupe met en présence un stagiaire et un enseignant associé. Elle est réelle, non scénarisée. Il s’agit de la narration écrite ou orale d’une situation déjà vécue ou d’une vidéo présentant une rencontre de rétroaction entre un enseignant et son stagiaire, filmée au naturel pendant un stage. Le canevas porte essentiellement sur la situation qui déclenche la discussion. Ainsi, les participants du groupe de discussion sont invités à exprimer leurs commentaires sur les interventions de l’enseignant associé tout en faisant des liens avec les compétences attendues à son endroit (Portelance et al., 2008). La discussion, d’une durée moyenne de 45 minutes, est enregistrée sur bande sonore. Il s’agit de l’enregistrement anonyme de toutes les interactions entre les membres du groupe. Il n’est pas possible d’attribuer les propos au participant qui les a prononcés.

Une communauté de pratique a été constituée en 2016 par des conseillères pédagogiques responsables du dossier des stages dans une commission scolaire de la grande région montréalaise. Le groupe comporte huit enseignants associés. Hétérogène, il est formé d’enseignants du primaire, du secondaire et de l’adaptation scolaire et sociale. La discussion est animée par une conseillère pédagogique, formatrice d’enseignants associés. L’animatrice est une personne qui a développé des compétences en matière d’animation de groupe. Comme le mentionnent Payette et Champagne (1997), elle sait susciter la participation tout en gérant le droit de parole, maintenir un climat collaboratif, relancer la discussion à partir des propos d’un participant, résumer et reformuler, s’assurer que le groupe reste centré sur l’objet de la discussion[2].

La communauté de pratique s’est réunie à cinq reprises, environ une fois par mois. L’élément déclencheur de la discussion a varié d’une réunion à l’autre : énonciation écrite qui met en scène une stagiaire manquant de professionnalisme et une enseignante associée dont les actions ont pour but de redresser la situation (lors de la première réunion) ; vidéos présentant chacune une dyade formée d’un stagiaire et de son enseignante associée, filmés au naturel pendant une rencontre de rétroaction (lors des réunions 2, 4 et 5) ; narration orale d’une situation problématique par un membre de la communauté (lors de la troisième réunion).

L’analyse des données présentée dans ce texte provient d’une collecte réalisée auprès d’une unique communauté de pratique. Elle porte essentiellement sur la dynamique interactionnelle au sein de la communauté. En se centrant sur une seule communauté, il est possible de dégager des constats sur les changements progressifs, s’il y a lieu, concernant les interactions entre les membres d’un groupe de codéveloppement professionnel dans un contexte de formation continue.

Pour compléter le processus d’analyse des propos des membres de la communauté de pratique, l’équipe de recherche s’est inspirée des étapes proposées par L’Écuyer (1990). En premier lieu, les discussions de la communauté de pratique ont été intégralement transcrites. Ensuite, une lecture flottante des propos des participants a permis de repérer les unités de sens. Après ce repérage, une grille de codage a été construite à partir de catégories préétablies, découlant des observations de Gilly, Fraisse et Roux (2001) et des constats de Portelance et Caron (2010) et déjà mentionnés dans ce texte. Ainsi la dynamique interactionnelle a été subdivisée en deux catégories : échanges d’idées et déstabilisation cognitive ou déséquilibre cognitif. Quatre sous-catégories ont précisé les échanges d’idées : coélaboration acquiescente, coconstruction de savoirs, confrontation contradictoire et confrontation avec désaccord. Deux sous-catégories se rapportent à la déstabilisation cognitive : le questionnement partagé et la réflexion partagée. Le tableau suivant (Tableau 1) rappelle la catégorisation des données analysées. Le codage interjuge, exécuté par les membres de l’équipe de recherche, s’est révélé nécessaire à l’approfondissement du sens des propos des participants. Il a nécessité de fréquentes rencontres pour parfaire l’analyse de chacun des passages codés. Pour chaque sous-catégorie, des synthèses ont été rédigées. L’analyse minutieuse et rigoureuse des données a mené à la description scientifique des résultats.

Tableau 1

Manifestations de la dynamique interactionnelle au sein de la communauté de pratique

Catégories d’analyse

Manifestations de la dynamique interactionnelle au sein de la communauté de pratique

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Présentation de résultats

La présentation des résultats est centrée sur l’atteinte du troisième objectif de la recherche : analyser des pratiques de formation des stagiaires par les enseignants associés. Nous exposons les éléments relatifs à la dynamique interactionnelle au sein de la communauté de pratique. Nous nous sommes inspirées des catégories élaborées par Gilly, Fraisse et Roux (2001), revues par Portelance et Caron (2010). Avant de décrire les manifestations de la dynamique interactionnelle, nous présentons brièvement les objets d’échanges lors des rencontres, et ce, afin de contextualiser les propos analysés. Pour illustrer nos constats, nous avons retenu quelques propos représentatifs des échanges au sein de la communauté de pratique.

Contextualisation des échanges

Ce qui prédomine de manière importante dans les échanges est constitué des compétences des enseignants associés (Portelance, Gervais, Lessard, Beaulieu & collaborateurs, 2008). Leur évocation importante dans le feu des discussions indique une réelle appropriation de ces compétences pour définir et comprendre le rôle de l’enseignant associé. Un exemple tiré de la rencontre 5 se rapporte à la compétence visant à susciter la pratique réflexive du stagiaire. Après la projection d’une vidéo, une participante déclare : « Moi, j’ai trouvé que l’enseignante associée faisait un très bon travail. La stagiaire a dit que sa maître associée lui posait beaucoup de questions pour réfléchir sur sa propre pratique… » (R5, 5-7).[3]

Le second objet en importance dans les échanges se rapporte aux compétences que les stagiaires sont appelés à développer (gouvernement du Québec, 2001). Pour approfondir leur analyse des situations présentées, les participants font un retour pertinent sur les comportements ou les attitudes des stagiaires en se reportant aux compétences en enseignement. Un participant à la rencontre 1 établit ainsi un lien entre le comportement problématique d’une stagiaire et la compétence éthique attendue d’un enseignant : « Je trouve qu’arriver une heure et demie en retard à son premier jour de stage, c’est quelque chose. […] C’est en lien avec une compétence, en rapport avec l’éthique professionnelle, entre autres » (R1, 12-18).

Deux autres objets ont fait partie des échanges, quoique dans une faible mesure : les expériences antérieures des participants en formation de stagiaire et les savoirs théoriques. Les expériences antérieures représentent très peu d’unités de sens, ce qui surprend, les communautés de pratique étant fondées sur l’idée que la réunion de praticiens discutant de leurs expériences constitue une forme puissante de formation continue. En ce qui concerne le recours à des savoirs théoriques ou issus de la recherche, seules deux unités de sens ont été repérées, et ce, sous une forme assez générale, sans élaboration ni explicitation des idées.

Manifestations de la dynamique interactionnelle

Nous révélons les manifestations de la dynamique interactionnelle en fonction des catégories de l’analyse des données : les échanges d’idées et la déstabilisation cognitive. Nous précisons les résultats en nous attardant aux sous-catégories.

Échanges d’idées

Parmi les manifestations de la dynamique interactionnelle que nous avons rassemblées dans la catégorie des échanges d’idées, la coélaboration acquiescente prédomine. Elle se produit lorsqu’un membre de la communauté acquiesce à l’idée d’un autre en l’élaborant et la complétant et même en renforçant son raisonnement. Malgré sa prédominance, nous ne présentons que trois exemples d’illustration de ce résultat.

Coélaboration acquiescente

Le premier exemple montre qu’un participant appuie ou développe le point de vue d’un autre. L’extrait suivant est tiré de la rencontre 1 (R1, 27-34) à propos de l’identité (professionnelle) projetée par la stagiaire :

  • Il y a comme une immaturité aussi, je trouve, pour Laurie. Il y a comme des choses de base que tu dois avoir. Quand elle parlait avec les élèves, elle était trop familière.

  • J’ai justement remarqué ça, moi aussi. On n’est pas les amis. Il ne faut pas être l’ami des élèves. Tu veux devenir une enseignante ? Bien, il faut que tu agisses pour devenir une enseignante.

Pendant la rencontre 4 (R4, 4-9), les participants réagissent devant la rétroaction que l’enseignante associée offre à sa stagiaire :

  • Je trouve que les deux parlent beaucoup, mais en même temps, elles échangent peu, on dirait. L’enseignante dit plein de choses, mais pose peu de questions [pour savoir] ce que la stagiaire pense de… ou pour valider la réflexion de la stagiaire.

  • Pour appuyer Pascal, dans le fond, c’est que l’enseignante associée donne beaucoup de détails, d’informations, c’est lourd. Elle aurait avantage à faire réfléchir sa stagiaire.

Cet autre exemple de co-élaboration acquiescente est tiré de la rencontre 2 (R2, 46-51) au cours de laquelle des participants précisent l’idée, proposée par un premier participant, d’un problème de communication entre l’enseignant associé et le stagiaire :

  • [L’animatrice : quelle est la situation problématique ?]

  • Leur communication.

  • Moi, je n’ai pas trouvé qu’il y avait une relation de confiance qui avait été construite entre les deux.

  • Ni d’échange.

Coconstruction de savoirs

Relativement aux échanges d’idées, nous avons aussi pu constater des manifestations de la coconstruction de savoirs. Elle correspond à l’émergence d’idées nouvelles issues de la participation active des personnes qui interagissent et surtout à la consolidation collective du sens accordé à différentes compétences. Les discussions peuvent effectivement conduire à une co-construction de savoirs, l’objectif même de la communauté de pratique en formation continue. La co-construction de savoirs observée dans les échanges analysés porte, d’une part, sur les compétences du stagiaire. Il s’agit alors pour le groupe de bien cerner la situation présentée, comme l’illustre l’échange suivant tiré de la première rencontre (R1, 73-75), impliquant trois participants qui discutent de la stagiaire dont il est question dans le cas écrit :

  • Donc elle ne verrait pas ses difficultés.

  • Elle ne se questionne pas.

  • Elle ne fait pas de démarche réflexive.

Les trois participants arrivent à coconstruire, à partir d’observations, le sens d’une compétence attendue d’une stagiaire, qui consiste à s’engager dans une démarche de développement professionnel. Par ailleurs, d’autres échanges, comme dans l’exemple qui suit (R3, 217-229), mènent plutôt à de la co-construction de savoirs sur diverses compétences attendues d’une stagiaire de troisième année :

  • [Un participant] Je clarifierais ça : « Qu’est-ce que tu attends de moi ? Parce que j’essaie de te donner mon opinion pour te faire avancer, mais on dirait que tu n’es pas ouverte et tu es sur la défensive ».

  • [Un participant] Ouais.

  • [Un participant] Moi, je pense aussi qu’il va falloir faire référence au guide de stage au niveau de l’organisation, la planification. Qu’est-ce que l’université te demande de faire ?

  • [La narratrice] Dans le fond, elle m’a laissé la place et j’ai embarqué dans sa « game ». C’est ça que je me rends compte, tu sais. « OK, qu’est-ce qu’on fait cette semaine ? », mais dans le fond ce ne serait plus à moi [de le faire]. Et la semaine prochaine, ça va être go, tu le fais toute seule et tu me diras ce qui en est.

  • [Un participant] Planifier, piloter...

  • [La narratrice] Oui ! C’est ça. Puis réaliser, puis exécuter, tout ça.

La compréhension construite de la compétence peut devenir une co-construction du groupe. Cet extrait des échanges lors de la rencontre 2 (R2, 244-251) montre que trois participants construisent ensemble le type d’intervention susceptible de guider le stagiaire dans le développement de ses compétences :

  • Clarifier les attentes.

  • Moi, je pense aller plus vers une observation beaucoup plus rigoureuse, et non arriver avec des sentiments, des émotions, mais avec des faits. Et poser des questions pour travailler la réflexion du stagiaire, une pratique réflexive.

  • Faire confiance au stagiaire. Moi, je l’ai senti, ça. C’est un feeling. Ah oui, je n’ai pas senti qu’elle l’accueillait et qu’elle voulait lui laisser le plancher, et qu’elle lui faisait confiance dans ce qu’il avait envie d’essayer.

La coconstruction de savoirs peut également concerner les compétences de l’enseignant associé. Par exemple, la discussion sur des pratiques de formation peut conduire les participants à préciser ce qui est attendu d’un enseignant associé et à en approfondir le sens dans une situation concrète d’encadrement d’un stagiaire. Cet extrait (R3, 206-213) illustre une telle séquence d’échanges entre trois participants lors de la rencontre 3 :

  • Peut-être [que l’enseignant associé devrait], la mettre dans des positions réflexives pour qu’elle se dise : « Oups. C’est vrai. Attends une minute. Je ne peux pas faire ça ». Lui permettre de voir l’impact, les conséquences, la portée du geste, avec tout l’encadrement et la sécurité des élèves.

  • Et l’amener à faire sa propre démarche réflexive.

  • Il y a quelque part ton mandat à toi, une compétence attendue de l’enseignant associé, qui est d’agir à aider le stagiaire à poser un regard critique sur sa pratique.

Confrontation contradictoire

D’autres extraits de discours mettent en évidence une confrontation contradictoire, c’est-à-dire une discussion à partir d’idées différentes. Moins souvent manifestée dans la communauté de pratique, la confrontation contradictoire permet de faire avancer la discussion dans un groupe. Voici un exemple d’échanges, tiré de la rencontre 5 (R5, 43-51), montrant les points de vue différents de deux participants au sujet de la stagiaire et l’argumentation que le deuxième met de l’avant :

  • Elle était vraiment excellente dans ses…

  • Moi, je mettrais un petit bémol. Et la raison pourquoi je mets un bémol, c’est qu’un moment donné, la stagiaire dit : « C’est facile de faire mes rétroactions le soir. Je faisais juste me rappeler de tout ce que la maitre associée me disait ». Et c’est une des choses que j’ai travaillées avec mon stagiaire cette année, je me disais : « Je l’encadre trop, je l’aide trop ». Puis, ça n’aide pas pour la compétence 4 [de l’enseignant associé] qui est d’aider la stagiaire à poser un regard critique sur sa pratique.

Une autre illustration de confrontation contradictoire, tirée cette fois de la rencontre 1 (R1, 90-93), montre qu’un participant propose une nouvelle interprétation à celle proposée initialement par un collègue :

  • Il y a peut-être de l’insécurité aussi à travers tout ça.

  • Elle a peut-être réagi parce qu’elle ne varie pas, elle garde toujours les mêmes patterns de leçon… Donc [elle n’est] pas juste insécure, elle manque de sérieux.

L’extrait qui suit illustre une confrontation d’idées au cours de la rencontre 3 (R3, 241-244), où la narratrice d’une situation problématique soumise à la discussion est interpelée par une question d’un participant :

  • (La narratrice) J’avais peut-être commencé, je ne sais pas si je fais bien, par « Comment tu trouves ton stage ? Comment tu te sens ? »

  • [Un participant), mais si elle te dit que son stage, ça va très bien, qu’est-ce que tu vas lui répondre ?

  • (La narratrice) Bien, je vais lui dire que je ne vois pas ça comme ça de mon côté.

Pour compléter la présentation des résultats relativement aux échanges d’idées, nous signalons l’absence de la contradiction avec désaccord, qui représente le rejet d’une proposition sans argumentation et sans proposition d’une idée nouvelle. En effet, aucune manifestation de cette confrontation n’a été retracée dans les propos des participants tout au long des rencontres.

Déstabilisation cognitive

Selon le cadre choisi pour l’analyse des données, la déstabilisation cognitive se révèle dans le questionnement et la réflexion partagés. Nous croyons que plusieurs exemples d’échanges d’idées, déjà mentionnés, auraient pu servir à illustrer la déstabilisation sous l’un ou l’autre de ces deux angles. En effet, la verbalisation des idées est souvent le fruit du partage des pensées, des croyances, des valeurs. Dans les paragraphes suivants, nous mentionnons des extraits de la discussion qui mettent en évidence les questions et les réflexions que les membres de la communauté de pratique mettent sur la table dans leur analyse des pratiques de formation des stagiaires.

Réflexion partagée

Un mode d’interaction fréquemment utilisé est la réflexion partagée selon laquelle les participants tentent, par une analyse conjointe, de mieux comprendre la situation étudiée, d’en arriver à des pistes de solution s’il y a un problème perceptible. Dans les exemples qui suivent, il est possible d’observer que les participants vont au-delà de l’acquiescement à une idée émise ; ils apportent un point de vue complémentaire qui soutient la réflexion partagée et en enrichit la portée sur les membres de la communauté de pratique. L’exemple qui suit, tiré de la rencontre 1 (R1, 88-93), porte sur les relations apparentes entre la stagiaire et l’enseignante associée. :

  • Bien, je pense qu’il manque vraiment un espace de dialogue et de réflexion. Souvent, on voit que l’enseignante associée explique, démontre, mais il n’y a pas de réflexion.

  • Il n’y a pas de questionnement.

  • [Il faut] l’amener à une réflexion.

Une autre situation qui met en lumière la réflexion partagée provient de la rencontre 2 (R2, 147-161), illustrant cette fois des échanges entre trois participants au sujet des propos de l’enseignante associée et de son encadrement du stagiaire qu’ils jugent inadéquats :

  • Se faire un genre d’horaire pour avoir une évaluation continue, pas juste une observation, mais de dire : « Dans les prochaines semaines, on va faire telle, telle, telle observation ». Puis travailler avec le superviseur et le guide de stage pourrait aider aussi.

  • L’importance de traces écrites, parce qu’il avait beaucoup de points, selon elle, à améliorer, mais il faut que le stagiaire ait quelque chose de concret pour pouvoir justement s’améliorer. J’aurais bien aimé qu’elle demande : « quels sont tes objectifs à toi, qu’est-ce que tu veux travailler lors de ton stage ? ». Il aurait répondu probablement la gestion de classe parce qu’il en a parlé dans la vidéo. Donc il ne faut pas oublier que c’est pour eux qu’on est là, aussi, et leur poser la question pour répondre à leurs besoins.

  • Puis en plus, pour la gestion de classe, elle a dit au début de la rétroaction que ça s’était bien passé, qu’il avait une belle relation avec les élèves, que les élèves prenaient des notes ; donc, ça s’est bien passé, mais au lieu de parler de ça, elle est allée juste sur les points négatifs.

Lors de la rencontre 3, consacrée au traitement d’une situation vécue et narrée oralement par l’une des enseignantes associées de la communauté, les échanges entre les participants ont principalement pris la forme de réflexions partagées. Cet exemple d’échanges réflexifs (R3, 126-135) traite du rythme d’enseignement de la stagiaire, jugé trop lent :

  • [La narratrice] Pourtant, il y a deux semaines, je lui ai dit qu’en français, dans les prochaines semaines, j’ai été comme très claire : il faut voir ça, ça, ça. En mathématiques, il faut voir ça et ça. Mais je pense que des fois, elle voit tellement qu’il y en a qui ont de la difficulté qu’elle s’attarde aux trois plus faibles.

  • [Un participant] Dans le fond, elle génère du retard dans le contenu ?

  • [La narratrice] Oui, c’est ça !

Un autre exemple de déstabilisation cognitive a été identifié lors de la troisième rencontre de la communauté (R3, 394-399). C’est la narratrice qui l’exprime au sujet d’un comportement inapproprié de sa stagiaire :

  • [Un participant] On dirait qu’elle ne se remet pas en question.

  • [La narratrice] Non, c’est rendu que c’est moi qui me remets en question. C’est la première fois que ça m’arrive, une histoire comme ça.

  • [Un participant] Tu te remets en question, mais pas elle.

  • [La narratrice] C’est ça !

En somme, au sein de la communauté de pratique qui a analysé des pratiques de formation du stagiaire, les échanges d’idées entre enseignants associés se présentent surtout sous la forme de la coélaboration acquiescente. À cette manifestation de la dynamique interactionnelle s’ajoutent la coconstruction de savoirs et la confrontation contradictoire. Quant à la déstabilisation cognitive, elle prend essentiellement la forme de réflexion partagée.

Interprétation compréhensive

Cette étude à laquelle un groupe d’enseignants associés a participé visait à préciser les manifestations de la dynamique interactionnelle au sein de la communauté de pratique. D’une part, les résultats permettent de dégager des caractéristiques de la dynamique interactionnelle qui s’est installée entre les participants. D’autre part, les résultats laissent entrevoir que les modalités de formation continue proposées dans le cadre de la communauté semblent avoir des incidences sur la cette dynamique interactionnelle.

Les manifestations observées de la dynamique interactionnelle

Des diverses manifestations de dynamique interactionnelle prévues selon les catégories élaborées par Gilly, Fraisse et Roux (2001) et adaptées par Portelance et Caron (2010) au contexte de stage, nous avons plus particulièrement noté des réflexions partagées entre les participants, menant soit à la co-élaboration acquiescente d’idées, soit à la co-construction de savoirs relatifs à ce qui est attendu de l’enseignant associé. Les échanges ont porté largement sur les compétences attendues d’un enseignant associé et celles édictées pour les stagiaires dans le référentiel de compétences en enseignement (gouvernement du Québec, 2001). Il y a lieu de signaler à cet égard le travail très ciblé de cette communauté.

Une caractéristique qui peut se dégager de ces résultats est la cohésion dont font preuve les participants de la communauté. Partageant une même formation de base à propos de l’encadrement de stagiaires, s’étant engagés dans la poursuite de cette formation au sein d’une communauté de pratique, ils partagent un vocabulaire spécialisé (compétences attendues des stagiaires et celles attendues d’un enseignant associé) et une démarche de type réflexif pour discuter des situations qui leur sont présentées. Cela est particulièrement visible lorsque plusieurs participants développent l’idée d’un collègue, l’élaborent, la complètent, renforcent son raisonnement, ce qui conduit à une coélaboration acquiescente des points de vue exprimés ou encore à une coconstruction de savoirs. Ces constats permettent d’affirmer qu’un développement professionnel a eu lieu dans cette communauté, c’est-à-dire que les membres du groupe ont cheminé ensemble dans la compréhension de leur pratique professionnelle et ont appris les uns des autres (Michaud & Bouchamma, 2013), ce qui peut être considéré comme du codéveloppement professionnel.

Par ailleurs, certaines manifestations d’une dynamique interactionnelle sont peu présentes dans les échanges. D’une part, il n’y a pas de manifestations de la confrontation avec désaccord et, d’autre part, la déstabilisation cognitive ne s’est pas manifestée sous forme de questionnement partagé. La cohésion du groupe ou plutôt le désir de cohésion explique peut-être l’absence de la confrontation avec désaccord, qui correspond au rejet d’une idée sans argumentation et sans proposition d’une idée nouvelle. Les participants se sont peut-être sentis plus à l’aise d’acquiescer à une idée émise et, quelques fois, de la confronter en argumentant et en justifiant leur point de vue plutôt que de la rejeter d’emblée sans expliquer les raisons de l’exclusion. Aussi, ils ont pu hésiter à remettre en question l’idée exprimée par un collègue. Quant au questionnement partagé, son absence n’est peut-être qu’apparente. N’étant pas formulée explicitement, il se peut qu’elle soit logée implicitement dans la réflexion partagée, considérant que le questionnement peut donner lieu à une réflexion et que la réflexion elle-même peut faire naitre de nouveaux questionnements (Gilly, Fraisse & Roux, 2001).

Nous avons noté de plus qu’il n’y avait pas d’évolution apparente dans la répartition des divers types de manifestations tout au long des rencontres. En effet, la coélaboration acquiescente, possiblement fortifiée par la réflexion partagée sous-jacente, a dominé la dynamique interactionnelle de la première à la cinquième rencontre de la communauté de pratique, quoiqu’en nombre variable de l’une à l’autre. Peut-être faut-il plus de temps pour que des comportements plus engageants, notamment la confrontation des idées, soient manifestés ? Cela irait dans le sens de Charlier (2001) pour qui la dynamique complexe des échanges, construite progressivement entre les membres, serait influencée par des variables individuelles, situationnelles et interactionnelles. Devant l’absence de certaines manifestations de la dynamique interactionnelle au sein de la communauté de pratique étudiée, à savoir la confrontation avec désaccord et le questionnement partagé, nous nous interrogeons sur les conditions optimales du codéveloppement professionnel. Est-ce qu’un manque de confiance mutuelle et de transparence aurait pu l’entraver ? À cet égard, le point de vue des participants pourrait être révélateur.

Nous pouvons faire l’hypothèse que la faible part des expériences antérieures évoquées durant les rencontres laisse entrevoir une certaine « timidité » chez les participants, une retenue quant au faire-valoir de ce qu’ils savent déjà. Dans un contexte de formation continue qui repose sur les savoirs déjà construits par les praticiens (L’Hostie et al., 2013 ; Wells, 1993), ce défaut de recours à l’expérience professionnelle révèle-t-il une conception de la formation continue qui ne serait pas ancrée dans l’action ? De la même manière, la quasi-absence de savoirs théoriques ou issus de la recherche lors des échanges peut faire l’objet d’hypothèses. Alors que les résultats ont montré clairement une bonne maîtrise de deux cadres exploités pendant leur formation de base, le référentiel de compétences à l’enseignement et celui des compétences de l’enseignant associé, les participants semblent n’avoir aucune autre référence précise pour appuyer théoriquement leurs dires lors des échanges. Du point de vue de Vanhulle (2009), ce constat n’est pas étonnant. À ce sujet, il serait pertinent de se demander si la communauté de pratique a été incitée à en tenir compte.

Les incidences des modalités de travail sur la dynamique interactionnelle

Les situations choisies pour déclencher la discussion entre les participants, décrites brièvement plus haut, offraient des caractéristiques qui semblent avoir influencé la nature des échanges. Les situations discutées lors des rencontres 1 et 2 présentaient des aspects problématiques alors que celles exposées dans les rencontres 4 et 5, au contraire, mettaient en évidence des entretiens harmonieux entre l’enseignant associé et son stagiaire. La rencontre 3 portait pour sa part sur la narration d’une situation problématique vécue par un participant.

À l’opposé de ce qu’on a observé lors des autres rencontres, ce sont les compétences des stagiaires, et non celles des enseignants associés, qui dominent dans les propos des participants lors de la rencontre 3, portant sur un cas vécu narré par une participante, au cours de laquelle les participants tentent de bien cerner ce qui pose problème chez la stagiaire. Les compétences attendues de l’enseignante associée (présente à la rencontre) sont alors moins discutées. Il semble que les membres de la communauté soient plus à l’aise de s’exprimer sur les pratiques et les manifestations des compétences d’un enseignant non présent à la rencontre.

Ces trois types de situations ont contribué à fournir des résultats différents : la grande majorité des manifestations de la dynamique interactionnelle proviennent des rencontres où des problèmes étaient soulevés. À titre d’exemple, une comparaison des échanges lors des rencontres 1, 2 et 3 à ceux des rencontres 4 et 5 indique que les premières ont fourni un plus grand nombre de manifestations de coconstruction de savoirs. Les résultats vont dans le même sens, mais sont un peu moins prononcés, dans le cas des manifestations de coélaboration acquiescente. Il semblerait donc que les situations faisant état de difficultés créent davantage une dynamique d’échanges et de codéveloppement professionnel entre les participants.

L’une des modalités utilisées pour déclencher la discussion a été la narration, par l’un des participants, d’un cas vécu avec un stagiaire. Cette modalité est présentée par Michaud et Bouchamma (2013) comme la situation idéale pour faire avancer une communauté de pratique, les échanges se concentrant essentiellement sur une pratique réelle, narrée par un participant. Or, la verbalisation d’une expérience n’est pas nécessairement autoporteuse de développement professionnel (Clerc-Georgy, 2017). Dans notre étude, cette modalité de formation, utilisée lors de la rencontre 3, semble avoir suscité des échanges portant davantage sur le stagiaire que sur l’enseignant associé. Ainsi, à l’inverse de ce qu’on a pu observer dans les autres rencontres, les participants ont davantage évoqué les compétences des stagiaires que celles des enseignants associés. Nous pouvons avancer l’hypothèse que la discussion sur les compétences du stagiaire, en présence de l’enseignant associé qui a vécu la situation, est moins compromettante que la critique, même constructive, des compétences manifestées par l’enseignant associé dans sa narration. Or, pour être formatrice, la narration doit valoriser les échanges de points de vue (Michaud & Bouchamma, 2013).

La difficulté à exprimer son point de vue peut nécessiter la mise en place de conditions facilitantes, ce qui exige du temps, comme le montrent les résultats de l’étude d’une communauté par Michaud et Bouchamma (2013, p. 207) : « Un autre changement proposé [par les participants de leur étude] était celui de développer une culture différente par rapport au temps : se donner le temps de s’interroger, de construire ensemble, d’expérimenter, s’imposer de ralentir. » Au fil des rencontres, le potentiel formateur d’une narration par l’un des membres du groupe prendrait son sens. L’impact serait plus ancré dans la pratique, plus porteur de changement éventuel, à la condition que son utilisation soit encadrée de manière à assurer un minimum d’aisance et de confiance et qu’elle représente une occasion de poser un regard cognitif et métacognitif sur ses pratiques (Martin, 2017).

Conclusion

Nous avons analysé la dynamique interactionnelle dans un contexte susceptible de favoriser le codéveloppement professionnel d’enseignants associés rassemblés dans une communauté de pratique. Il a été possible d’identifier les manifestations de la dynamique interactionnelle au cours des cinq rencontres de leur communauté de pratique. L’analyse de leurs propos indique que les discussions touchent surtout les attentes à leur endroit et à l’égard des stagiaires, en l’occurrence les compétences du formateur de terrain et celles du futur enseignant. Elle révèle également que la dynamique interactionnelle au sein de la communauté est dominée par la coélaboration des idées et la coconstruction de savoirs sur les pratiques d’encadrement du stagiaire, soutenues par la réflexion partagée. À cet égard, l’utilisation du cadre conceptuel de Gilly, Fraisse et Roux (2001) s’est avéré un choix judicieux.

Le climat de partage, de reconnaissance mutuelle et d’interdépendance a laissé libre cours à l’expression de points de vue distincts et, quelques fois, à l’argumentation, mais n’a pas mis en évidence l’expression de questionnements partagés. Or, une communauté de pratique est normalement un lieu de questionnements ouverts. Le processus méthodologique ne permet pas d’expliquer ce constat. Seules des hypothèses peuvent être émises. Par exemple, les membres de la communauté se connaissent peu, ils se sont rencontrés pour la première fois à l’occasion de la première collecte de données. Un plus grand nombre de rencontres aurait peut-être fourni l’occasion d’entendre des propos qui témoignent de déstabilisation cognitive causée par des désaccords.

Une communauté de pratique vise généralement l’amélioration des pratiques chez ses membres. Il aurait été intéressant et important d’identifier les effets concrets des échanges sur les pratiques des enseignants associés. D’autres dispositifs de recherche permettraient de mieux comprendre la dynamique interactionnelle au sein d’une communauté de pratique et de s’attarder aux retombées des échanges sur les pratiques. Également, il serait pertinent de connaître les effets des communautés de pratique sur le développement professionnel de ceux qui y participent.