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Introduction

De l’origine d’un modèle de postures pour accompagner les pratiques

Que l’on soit maitre de stage ou superviseur, accompagner un stagiaire relève d’une série d’exigences et de capacités fines (Desbiens, Borges, & Spallanzani, 2009), et cette tâche n’est pas toujours aisée. Et si accompagner, c’est se joindre à quelqu’un pour aller là où il va en même temps que lui et à son rythme, pour reprendre les mots de Paul (2016), comment peut-on, concrètement, mener de front ces quatre aspects de la définition au profit de l’étudiant que l’on rencontre et avec lequel on va cheminer pendant un laps de temps, inhérent à la durée d’un stage ou d’une année académique ?

La pratique d’accompagnement, qui a une grande influence sur les développements des futurs professionnels (Crasborn, Hennissen, Brouwer, Korthagen, & Bergen, 2011), est fort étudiée ; toutefois, peu de réflexions sont menées dans une visée de comparaison internationale. Les auteurs s’accordent sur le principe d’adaptabilité de l’accompagnant qui régule son intervention par l’adoption de diverses postures en fonction de l’accompagné. Identifier ces postures permet donc de clarifier les compétences attendues et, de ce fait, de soutenir l’acquisition de ces compétences par les accompagnants. Mais, dans le cadre précisément de l’accompagnement des stages, qu’en est-il des postures à adopter pour soutenir les stagiaires ? Et, au-delà, quelles sont les interventions réelles que les accompagnants peuvent réaliser en fonction du profil de l’accompagné ?

Cette contribution réunit trois équipes de pays francophones différents : le GRAPPE (Groupe de Recherche sur l’Accompagnement des Pratiques Professionnelles Enseignantes) en Belgique, REÉVES (Regroupement pour l’Étude de l’Évaluation des Enseignants Stagiaires) au Québec et le CERF (Centre d’Enseignement et de Recherche pour la Formation à l’enseignement au secondaire) en Suisse. Dès les premières rencontres dans le cadre de congrès internationaux, nous nous sommes rendu compte que dans chacun des trois environnements de formation des stagiaires en enseignement, le questionnement s’avérait très similaire, et ce, malgré le fait que les institutions de formation, les programmes et les conceptions profondes rattachées aux différentes cultures (belge, québécoise et suisse) puissent passablement varier.

Nous avons alors décidé d’unir nos cadres conceptuels et nos ressources pour élaborer un modèle de postures spécifiques que peuvent endosser les accompagnants de stagiaires et les interventions possibles que chacune d’elles peut entrainer, et avons choisi de nous situer dans une perspective de recherche-développement. Ce type de recherche « se situe principalement vers le pôle de l’action ; elle a pour objectif premier de développer des outils matériels ou conceptuels utiles pour agir sur une situation locale » (Loiselle & Harvey, 2007, p. 46). Dans notre cas, nous nous sommes donné comme objectif de développer une modélisation, certes conceptuelle, mais qui se veut aussi un outil pratique pour permettre aux accompagnants de disposer d’un panel de possibilités de réactions pour mener à bien leur tâche d’accompagnement. L’aspect innovant de notre proposition est qu’en plus de nous inscrire dans une recherche-développement, nous avons poursuivi une logique de recherche collaborative, comme nous l’expliquons plus loin, puisqu’une variété d’acteurs (maitres de stage , superviseurs, étudiants, chercheurs) ont participé à la coconstruction du modèle.

Pour ce faire, la démarche préconisée par Harvey et Loiselle (2009) a été respectée ; cinq phases ont donc été nécessaires pour construire, valider et confirmer le modèle. Le présent article a ainsi pour objectif principal, dans une perspective descriptive, de présenter le modèle d’accompagnement qui a été développé. Pour cela, nous faisons état des différents temps nécessaires à son élaboration. Ayant déjà présenté son origine, nous poursuivons en présentant le référentiel théorique, la méthodologie, l’opérationnalisation et les résultats. Une dernière partie porte sur la discussion de ce modèle au regard de critères tels son utilité et sa pertinence tant cognitive que pragmatique et ouvre sur différentes perspectives d’utilisation.

Référentiel théorique

La recherche-développement « se nourrit de l’examen des travaux théoriques accessibles et de réalisations antérieures (…) ce qui permet de ne pas réinventer des solutions déjà existantes, mais au contraire de concevoir des applications plus abouties » (Guichon, 2007, p. 46).

Nous présentons ici deux concepts : celui d’accompagnement, au coeur de notre travail et des réflexions de nos trois équipes depuis le départ, et celui de postures d’accompagnement en identifiant effectivement les postures qui existent dans la recension des écrits sur l’accompagnement.

L’accompagnement

Selon Dupriez et Cattonar (2018), « l’accompagnement est un concept polysémique qui peut renvoyer à des réalités diverses » (p. 249) ; il désigne aussi bien une fonction, une posture, qu’une démarche. Avec Charlier (2014), nous retenons que l’accompagnement consiste en un phénomène social datant des années 1990, qui va d’un simple soutien à un véritable développement professionnel. Il s’agit d’être disponible, d’être ouvert pour accueillir l’autre, avec ses questions, ses doutes, ses certitudes. Mais l’accompagnement est une pratique en expansion résultant, d’après Jorro (2014), du champ de la professionnalisation comme enjeu socioéconomique dans l’optique d’une valorisation des acquis d’expériences.

En nous centrant sur les pratiques scolaires, nous constatons avec Paul (2009) que les différents formats d’accompagnement ont en commun d’être « fondés sur une base relationnelle forte (...), dans laquelle la fonction de l’un est de faciliter l’apprentissage ou un passage de l’autre. Il s’agit bien d’être avec et d’aller vers » (p. 95). En effet, Hennissen, Crasborn, Brouwer, Korthagen et Bergen (2011) soulignent l’importance d’établir une relation de confiance entre l’accompagnant et le stagiaire ; ce lien de bienveillance permettant au stagiaire de progresser dans ses réflexions et d’avancer dans ses apprentissages. Sur ce plan, Colognesi, Parmentier et Van Nieuwenhoven (2018 c) ont montré que la relation de qualité entre l’accompagnant et l’accompagné requiert une prise en charge de la part des deux acteurs aux trois moments du processus d’accompagnement. Ainsi, au « commencement », lors des premières rencontres, le temps d’accueil et la négociation autour d’un contrat de collaboration apparaissent comme essentiels. Durant le stage, pour veiller à maintenir une relation pédagogique efficace, il importe que l’accompagnant alterne entre soutien et défis, permettant ainsi au stagiaire d’oser l’interpeler afin d’engager une discussion. Charlier et Biémar (2012) insistent aussi sur l’aide que l’accompagnant apporte au stagiaire afin que ce dernier amorce un processus de réflexion donnant ainsi sens à ses apprentissages, développant son esprit critique et adoptant une attitude réflexive indispensable à sa progression. Enfin, lors du « dénouement », les partenaires procèdent à un bilan de leur relation.

La relation est donc comme une « toile de fond », un préalable à tout accompagnement que Paul (2016) définit ainsi : « présence d’un binôme dans lequel l’accompagnant est second et valorise l’accompagné ; cheminement incluant une période de préparation et des étapes ; implication de l’accompagnant et de l’accompagné dans chaque stade du cheminement ; démarche de transition ancrée dans une temporalité définie, chaque accompagnement étant composé d’un début, un développement et une fin. » (p. 96). Il faut donc que l’accompagnement ait une dimension relationnelle et évaluative pour déclencher le processus de régulation et éviter le biais de la simple discussion. En effet, l’ambition est bien de développer une réflexivité chez le stagiaire ; même si cette dimension évaluative est la source de plusieurs tensions chez les accompagnants (Colognesi & Van Nieuwenhoven 2017 ; Maes, Colognesi, & Van Nieuwenhoven, 2018). Notons alors le changement de statut et de fonction du maitre de stage qui doit, en effet, être tout à la fois un accompagnant, mais également, un facilitateur, un animateur, un leader, un modèle, un expert et un évaluateur (Runtz-Christan & Boutet, 2015). Au final, le but de tout accompagnement est de déboucher sur le développement professionnel du stagiaire.

Notons également que l’accompagnant, qu’il soit maitre de stage ou superviseur, va également, au fil de ses expériences, se développer professionnellement et accentuer ses compétences (Colognesi, Ayivor, & Van Nieuwenhoven, 2018a). Il va s’adapter au stagiaire en fonction de ses besoins en favorisant « une relation formative dans laquelle [sa] posture joue un rôle important » (Jorro, 2016, p. 114). En effet, comme le montrent les travaux de Crasborn et Hennissen (2014), la réussite du processus d’accompagnement, c’est-à-dire l’apprentissage du stagiaire, dépendra beaucoup de la capacité de l’accompagnant à changer de posture en fonction des situations d’accompagnement. Pour, et c’est là le paradoxe de tout accompagnement, comme le précise Biémar (2012), « ne plus exister » (p. 21).

Des postures d’accompagnement

Le terme de posture, comme l’expliquent Bucheton et Soulé (2009), trouve son origine dans la théorie des concepts en actes de Vergnaud (1996). Et bien qu’il soit mobilisé par les didacticiens depuis un certain temps (Bautier & Bucheton, 1997), l’utilisation du terme est plutôt « jeune » dans le champ de l’accompagnement. Ainsi, plusieurs auteurs, dans ce cadre, se sont attachés à sa définition. Paul (2016) explique que la posture est « une intention susceptible de se convertir en une volonté orientée, dans le but de produire certains effets dans le réel » (p. 48). Et comme l’expliquent Crasborn, Hennissen, Brouwer, Korthagen et Bergen (2008), cette intention première se manifeste par des attitudes ou des gestes à destination du stagiaire.

Ainsi, et en référence aux travaux de Bucheton (2014), Mieusset, (2013) ou Vial et Caparros-Mencacci (2007), nous retenons que la posture est « un mode d’agir temporaire, situé, joué par un individu en fonction d’un projet, d’une tâche » (Colognesi, 2017, p. 22). Temporaire puisque, comme le signalent Lebel, Bélair et Ducharme (2017), on peut changer de posture en cours de tâche en fonction des buts qu’on lui attribue. Crasborn et al. (2011) montrent d’ailleurs combien les postures peuvent s’adapter en fonction des situations d’accompagnement et que c’est en les variant, en usant de gestes professionnels spécifiques, que l’accompagnant incite le stagiaire à évoluer et à adopter une démarche réflexive.

Par ailleurs, Vivegnis (2016) attire l’attention sur le fait que la posture renvoie aussi à une conception dominante des rôles que l’acteur exerce (consciemment ou non) dans ses pratiques d’accompagnement, c’est-à-dire que chaque accompagnant, malgré la multiplicité de postures auxquelles il peut avoir recours, a fondamentalement une manière d’agir première, façonnée par son parcours et ses expériences.

Ainsi, Bucheton et Soulé (2009) décrivent six postures spécifiques aux enseignants, des « postures d’étayages » que les praticiens peuvent adopter pour conduire la classe : (1) la posture de contrôle (cadrer la situation pour faire avancer tout le groupe de concert) (2) la posture d’accompagnement (individuellement ou collectivement, apporter une aide ponctuelle, une relance en fonction de l’avancement dans la tâche) (3) la posture de lâcher-prise (laisser les élèves expérimenter par des voies qui leur sont propres) (4) la posture de sur-étayage ou contre-étayage (apporter des pistes directes pour faire avancer la tâche) (5) la posture d’enseignement (reformuler, démontrer, structurer les savoirs) et (6) la posture de magicien (capter de diverses façons l’attention des élèves).

Plus proche du contexte qui nous occupe – le domaine des stages – Jorro (2016) a, quant à elle, identifié, à partir de l’analyse des pratiques des acteurs, cinq postures qui peuvent être investies par les formateurs impliqués dans l’accompagnement professionnel d’enseignants débutants, et plus spécifiquement lors d’un entretien après l’observation d’une activité en classe. On retrouve : (1) la posture de pisteur, qui revient à organiser l’entretien pour que l’accompagné comprenne les règles du jeu (2) la posture de contradicteur, qui suppose une écoute active, un questionnement critique avec bienveillance (3) la posture de traducteur, qui sous-entend d’expliciter à l’accompagné des notions ou des aspects qu’il ne comprend pas ou de corriger ses représentations erronées (4) la posture de médiateur, qui repose sur l’idée de faire des liens avec des ressources (matérielles et humaines) que l’accompagné pourrait mobiliser et (5) la posture de régulateur, qui tend à placer l’accompagné en situation d’auto ou de coévaluation.

De leur côté, Crasborn et al. (2011) ont développé le modèle MERID (MEntor Roles In Dialogues) mis en place dans le cadre de la formation des enseignants formateurs aux Pays-Bas. Il s’agit de comprendre les modalités de discussions entre un mentor et son « mentoré » en situations scolaires. Dans leur modèle, les auteurs retiennent quatre postures qui se situent sur l’axe de la réactivité ou de la direction. Deux des postures amènent le mentor à introduire lui-même les sujets de discussion ; le dirigeant avec un style directif et un temps de parole souvent long et l’initiant en utilisant un style non directif associé à un temps de parole court. Les deux autres postures incitent les mentors à laisser les accompagnés introduire eux-mêmes les sujets de discussion ; l’encourageant utilise un style non directif et un temps de parole bref et le conseillant intervient de manière directive en mobilisant un temps de parole important. Les auteurs, après leurs analyses, ont montré que les formateurs adoptent régulièrement une posture de conseiller et de dirigeant quand bien même ils souhaitent encourager les stagiaires à porter une réflexion sur leurs actions.

Si ces postures sont inspirantes, elles se positionnent soit, dans le cas de Bucheton, de l’enseignant vers et pour les élèves, soit, dans les cas des autres modèles, aux moments des discussions a posteriori et pas nécessairement dans le cadre des stagiaires, débutants en enseignement. Plus directement, dans une étude antérieure (Van Nieuwenhoven & Colognesi, 2013), nous avions identifié plusieurs postures que les maîtres de stage peuvent endosser en accompagnant des stagiaires ; ces postures étaient issues de métaphores « métiers » soumises aux maîtres de stage par questionnaires et Focus-Group et elles ont été reprises dans les travaux de Giovannini-Cartulano, Coen, Güsewell et Paukovics (2018) qui estiment qu’elles sont « transférables à tout formateur » (p. 45). Nous avons identifié les postures suivantes : le militaire qui met en avant les exigences et impose les démarches à réaliser, le guide de montagne qui soutient l’accompagné dans son dépassement des obstacles, l’entrepreneur qui planifie et gère l’ensemble des facettes en coconstruction, le chef d’orchestre qui cherche à harmoniser et créer avec les autres, le sage qui partage son expérience plutôt à la demande, les pompier et souffleur qui interviennent en cas de besoin pour soutenir l’accompagné et le plagiste qui se retire pour laisser la place à l’accompagné. Dans leurs travaux, Giovannini-Cartulano et al. (2018) ont identifié que les postures guide de montagne et entrepreneur renvoient au rôle de facilitateur. Néanmoins, ces postures sont trop nombreuses pour les acteurs, car certaines d’entre elles peuvent se confondre et sembler peu opérationnelles.

Ainsi, nous avons cherché à obtenir une série de postures validées scientifiquement par un travail réalisé dans nos trois pays respectifs et d’avoir un panel d’interventions possibles que peuvent réaliser les acteurs de l’accompagnement pour viser le développement des accompagnés, selon leur profil et leurs besoins.

Méthodologie

Nous présentons dans cette section les choix méthodologiques qui ont été faits pour pouvoir aboutir au modèle de postures et d’interventions que nous présentons dans le point 4.

Position épistémologique

Comme annoncé précédemment, en plus de nous situer dans une recherche-développement menant à la formalisation d’un modèle tant théorique que pratique pour l’accompagnement des professionnels au travail (et dans notre cas les stagiaires), nous avons choisi de nous inscrire dans le champ des recherches collaboratives. Desgagné (1997, 2005) explique que le concept de recherche collaborative repose sur une triple dimension ; la coconstruction d’un objet de connaissance entre chercheurs et praticiens, la participation de tous comme coconstructeurs et la médiation entre communauté de recherche et communauté de pratique. Par ailleurs, deux finalités sont poursuivies dans les recherches collaboratives : faire émerger une activité de production de connaissances et viser un développement professionnel des différentes catégories d’acteurs engagés dans le processus (voir Bourassa, Bélair, & Chevalier, 2007 ou Desgagné & Larouche, 2010). C’est en respectant les constituants d’une recherche collaborative de Van Nieuwenhoven et Colognesi (2015), que les différents acteurs engagés dans la recherche, maîtres de stage, superviseurs, chercheurs et étudiants, belges, québécois et suisses, ont coconstruit et validé, de concert, le modèle présenté ici.

Participants, dans les différents pays et complémentarité

Notre recherche s’appuie sur la force du groupe, mais aussi sur des recueils de données qui ont été réalisés dans chaque pays, puis mutualisés. Les trois équipes ont en commun qu’elles ont inscrit cette recherche autour des postures, et qu’elles sont elles-mêmes inscrites dans des recherches collaboratives dans chaque pays, qui viennent au service les unes des autres. Ainsi, nous avons fait le choix d’attribuer un focus particulier à chaque pays ; les Belges se sont intéressés plus spécifiquement aux superviseurs, les Québécois aux maitres de stage et les suisses aux stagiaires pour nous assurer d’avoir ainsi les accompagnants de stage et les accompagnés eux-mêmes. En Belgique, le groupe du GRAPPE centré sur les superviseurs (groupe 3, voir Colognesi, Lenoir & Van Nieuwenhoven, 2018b) est composé de 10 superviseurs, de deux chercheurs et d’étudiants en maîtrise et au doctorat en sciences de l’éducation. Au Québec, le groupe REÉVES (voir Lebel & Bélair, 2018) est composé de 20 maîtres de stage provenant de divers milieux primaire, secondaire et adaptation scolaire, de deux chercheures et d’étudiants au doctorat en sciences de l’éducation. À Fribourg, en Suisse, au CERF, chaque année, six à douze stagiaires collectent des données auprès de leurs maîtres de stage à partir d’entretiens et d’observations au moment de leur stage. Par la suite, avec l’aide de leur superviseure et chercheure, ils analysent les données recueillies dans le cadre du laboratoire de recherche didactique transversale. Ponctuellement, un ou deux enseignant(e)s formateurs(trices) se joignent au groupe pour une expérience de formation continue à travers les recherches des stagiaires. À cette équipe s’ajoutent des étudiant(e)s en sciences de l’éducation qui réalisent leur mémoire de master dans le domaine de la formation des EF.

Opérationnalisation et outils de la recherche

Afin de bien comprendre l’évolution de la construction de ce modèle, il est nécessaire de présenter une chronologie des différents points forts de cette coconstruction internationale et d’y associer les outils utilisés et les publics ciblés pour le développer et le valider .

Temps 1 : Émergence du modèle (2010-2012)

Les équipes RÉÉVES et GRAPPE, chacune de leur côté, se sont penchées sur les manières dont les maîtres de stage et les superviseurs peuvent accompagner les stagiaires. Des rencontres annuelles entre les équipes belges et québécoises ont permis d’abord de constituer un premier essai de modélisation pour ensuite réaliser de premières validations internes lors d’un symposium. Les outils de collecte ont fait l’objet de différentes publications (Colognesi et al., 2018b ; Lebel, Bélair, & Monfette, 2015, Lebel & Bélair, 2018 ; Van Nieuwenhoven, Picron, & Colognesi, 2016).

Il s’agit de groupes de discussion entre les maîtres de stage et les chercheurs, d’entrevues auprès de formateurs de maîtres de stage, d’études de cas réels et fictifs d’accompagnement de stagiaires guidant vers une grille d’analyse de pratiques d’accompagnement souhaitées et favorisant une réflexion sur l’action posée, d’observations guidées et relatées entre maîtres de stage, d’analyses de pratique permettant de comprendre les actions posées et les mots choisis lors des rétroactions avec les stagiaires et de journaux de bord des maîtres de stage. Dans ce premier temps, l’accent a surtout été mis sur les manières de faire pour dresser un portrait global du travail du maître de stage, tel que vu par les participants à la recherche tant en Belgique qu’au Québec.

Temps 2 : Consolidation et stabilisation du modèle (2012-2018)

À la suite de la présentation du modèle émergeant du portrait global des premières années de recherche, l’équipe suisse a adapté un questionnaire préalablement utilisé en formation, en déclinant les postures en items explicatifs, et ce, dans le but de circonscrire les postures représentées comme les plus utilisées de la part des maîtres de stage au travers les trois pays et d’identifier les différences entre chacune des cultures. L’idée ici n’était pas de valider le modèle en tant que tel, mais plutôt de permettre aux trois équipes de réfléchir sur le modèle proposé jusqu’à maintenant. Après avoir procédé à un accord interjuges, l’outil (annexe 1) a été soumis via une plateforme web à 305 maîtres de stage. Ils ont été amenés à situer, pour chaque item, leur degré d’accord sur une échelle de Lickert allant de 1 (pas du tout d’accord) à 6 (tout à fait d’accord). Les données ainsi recueillies ont été analysées collégialement par les équipes des trois pays. Quoique la désirabilité sociale ait joué un rôle important dans les choix d’accord aux différents items, mettant en relief que les items des postures liées à la coconstruction et à la médiation ont été les plus élevés et ceux liés au contrôle, les moins élevés, il demeure que les résultats ont permis de constater qu’il n’y avait pas de différences significatives d’un pays à l’autre et qu’il s’avérait important de poursuivre le travail et d’amender le modèle, puisque les postures préalablement identifiées ont été revues, ré-étiquetées, retravaillées.

Parallèlement, l’équipe québécoise s’est mise en recherche de verbatims pour nourrir et mettre encore à l’épreuve de la réalité les différentes postures identifiées. Pour ce faire, l’équipe a demandé à cinq maîtres de stage impliqués dans la recherche d’enregistrer cinq rencontres de rétroactions avec leur stagiaire tout au long du stage, ceci afin d’effectuer une analyse de contenu de ces verbatims (au sens de l’analyse catégorielle de Bardin, 1989) à la lumière des postures préalablement identifiées. Ces situations ont été analysées par les chercheures et de trois autres maitres de stage. Nous désirions savoir quelles postures étaient le plus utilisées en début, milieu et fin de stage, quelles étaient celles qui n’étaient pas du tout utilisées et comment l’interaction entre le maître de stage et la stagiaire évoluait au sein d’un même stage.

Ces différentes analyses du modèle ont donné lieu à une restructuration graduelle du modèle de 2012 sur une période de six ans de rencontres virtuelles ou en présentiel des différents groupes de recherche, tant à l’interne dans chaque pays que lors de rencontres internationales. Le modèle de 2018 a, par la suite, été validé collégialement en mai 2018. Dans le cadre de la session d’étude internationale sur l’analyse des pratiques des formateurs de stagiaires (journée d’étude à Drummondville, 2018), une journée de travail et de validation a été organisée. Elle a regroupé 66 personnes, dont des chercheurs, des maîtres de stage, des superviseurs et des professionnels oeuvrant au service des étudiants et dans des bureaux de stage, de trois pays et de cinq programmes professionnalisants (sciences infirmières, éducation, travail social, ergothérapie, sages-femmes). Les acteurs ont pu manipuler le modèle pendant cette journée et nous avons pu ainsi collecter des données émanant des groupes de discussion avec des intervenants externes à la conception du modèle. L’analyse des données a permis d’apporter une validation externe et croisée du modèle, dans le sens où cinq programmes différents (précisés supra) et des intervenants de tout milieu ont donné leur point de vue sur le modèle, notamment en le confrontant à leurs pratiques professionnelles d’accompagnement.

Finalement, l’équipe belge a mis en perspective les verbatims « maitres de stage » retenus lors de la journée d’étude pour chacune des interventions avec un recueil de données réalisé auprès de superviseurs de stage dans le cadre du Grappe. Il était question de vérifier si chacune des interventions apparaissait bien dans les entretiens superviseurs/étudiants. Ainsi, des entretiens de coévaluations ont été analysés au crible des différentes interventions. Ce travail a permis d’isoler plusieurs verbatims emblématiques présentés plus avant dans les résultats. Sur la base des différentes étapes précédentes, le modèle tel qu’il a été arrêté en 2012 et en 2018 a fait l’objet d’une relecture finale dans chacun des groupes de départ, et a fait l’objet d’une confrontation entre les équipes des trois pays.

Évolution du modèle par l’analyse et présentation des résultats

Prémisses du modèle

La figure 1 montre les différents essais et les étapes de construction du modèle, revus de manière systématique après l’analyse des différents recueils réalisés au fil du travail. Plusieurs types de tâtonnements ont ainsi été effectués par le(s) groupe(s) pour aboutir à la version consolidée présentée plus avant dans le point suivant.

Figure 1

Étapes de construction du modèle

Étapes de construction du modèle

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Au départ, le modèle comprenait une posture, celle d’initiateur, nécessaire pour passer aux autres. L’idée était de créer la relation positive visant à valoriser, soutenir et rassurer (représentée par le cadre bleu à chaque fois) pour pouvoir ensuite endosser adéquatement et en fonction de la situation de l’accompagné (ses besoins, son contexte, ses objectifs spécifiques, etc.) la ou les postures les plus favorable(s) à son développement. Une série de postures ont été conservées d’un essai à l’autre, pour se retrouver, mais parfois sous un nom différent, comme ici le contrôleur (avec l’idée de vérifier, diriger, imposer) repris du militaire de Van Nieuwenhoven et Colognesi (2013), le pisteur-talonneur (qui guide pas à pas), le traducteur (qui fait des liens avec les théories), le médiateur (qui renvoie vers d’autres ressources que « soi »), reprises toutes les trois des travaux de Jorro (2016) ou encore le coconstructeur (qui cherche à travailler avec). D’autres postures – le questionneur (qui vise l’analyse réflexive), de facilitateur ou conseiller (qui interviennent quand c’est nécessaire), le modèle (qui montre comment faire) – ont émergé à la suite des rencontres avec les groupes et de l’analyse des différents matériaux recueillis.

Une amélioration a été apportée quant au sens des postures, allant au départ dans une idée descendante (proposition 2) où une progression avait été imaginée d’un statut plutôt éducatif (la formation) vers la valorisation et la remise en question (l’autonomie). Cette idée, à la suite des différentes rencontres des acteurs a été oubliée pour garder l’idée forte que l’accompagnant doit pouvoir choisir sa posture en fonction du diagnostic qu’il pose sur l’accompagné. Dans les propositions 3 et 4, la logique de progression est gardée (les flèches), mais il s’agit ici de la progression de l’accompagné dans son développement professionnel et non de la progression dans le choix des postures.

Une autre tentative, dans la version 4, a été de laisser une place à la posture a priori de la personne, en pensant que chacun avait une tendance plutôt à contrôler, à guider pas à pas ou à laisser une certaine autonomie, le contexte pouvait par la suite modifier cette posture. L’analyse des différents retours sur ces essais met en exergue la nécessité d’observer l’opérationnalisation de ces postures et la manière dont on peut intervenir auprès de l’accompagné, quand une posture est endossée par l’accompagnant.

Médiations structurantes

Dès que l’on s’interroge sur un aspect ou l’autre, nous tentons de trouver une réponse et faisons donc appel à des informations, à des savoirs. C’est ce que nous désignons par réflexivité structurante.

Là aussi, la manière d’étayer peut favoriser la prise en compte de différentes dimensions dans l’élaboration de la pensée. Par rapport aux médiations structurantes, nous pouvons formuler des questions qui amènent l’étudiant à prendre en compte différentes dimensions :

Autoréférencées : Qu’est-ce que tu as vécu qui ressemble à cela ?

Techniques : Quelles sont les intentions d’enseignement ? Qu’est-ce qui ressort du Plan de formation ? Quels sont les concepts fondamentaux de la matière à enseigner ?

Contextuelles : Quelles sont les difficultés rencontrées par les élèves ?

Critiques : Comment pourrait-on mettre en place un dispositif de recherche-action sur ce sujet ? Qu’est-ce qui justifie de soutenir les écoles privées ?

On constate que les étayages structurants semblent comporter aussi une orientation vers une préoccupation. C’est ainsi qu’une question sur le regard posé par l’étudiant a toujours le potentiel d’amener également une réflexion structurante et qu’une question exigeant une réflexion structurante entraine la centration sur une préoccupation particulière. Toutefois, il arrive que certaines dimensions d’élaboration soient moins appropriées pour trouver une solution à une préoccupation. Ainsi à une question d’ordre purement contrôlant, visant à l’amener à se préoccuper par exemple des actions entreprises auparavant, l’étudiant peut certes sembler s’intéresser à ses actions, mais en tentant de les justifier avec des dimensions de l’élaboration critique, tel le fait qu’il y a de toute façon une reproduction sociale. Il convient dès lors de s’interroger sur les liens entre les axes de préoccupation et les dimensions de l’élaboration, ainsi que sur comment les faire évoluer.

Le modèle consolidé

Loiselle et Harvey (2007) précisent que la recherche-développement a pour but « de mettre en évidence les principes qui ressortent de l’expérience » (p. 44). Nous présentons ainsi, dans les lignes qui suivent, le modèle tel qu’il a été consolidé, en précisant d’abord les cinq postures qui ont été retenues, puis les types d’interventions qui s’y attachent, pour enfin proposer le modèle dans son ensemble.

Cinq postures pour accompagner

Le travail collaboratif réalisé a permis de retenir cinq postures présentées ci-après et illustrées par des verbatims emblématiques recueillis dans les entretiens maitres de stage/étudiant ou superviseur/étudiant. Dans la première partie, proposée dans la figure 2, ces postures sont présentées dans un continuum, allant d’une faible autonomie du stagiaire vers une forte autonomie, en lien avec les approches de l’accompagnement de Gervais et Desrosiers (2005), dans une optique de professionnalisation.

Figure 2

La partie gauche du modèle : cinq postures pour accompagner

La partie gauche du modèle : cinq postures pour accompagner

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Deux catégories de postures sont visibles dans le modèle. Les postures dans la partie supérieure du schéma, imposeur et organisateur, sont des postures qui sont à l’initiative de l’accompagnant, c’est-à-dire que c’est lui qui va prendre les devants par rapport à l’étudiant, car son niveau de compétences n’est pas encore affirmé.

L’imposeur va donner à l’étudiant des consignes strictes qu’il ne pourra pas modifier ; il lui commande une marche à suivre, le fait travailler avec un manuel précis, lui donne une préparation personnelle à suivre, etc. Il s’agit pour l’étudiant de « faire comme » on lui dit de faire, sans prendre d’initiative.

  • Donc tu dois toujours bien donner les consignes, clarifier les choses avant de former les groupes et d’attribuer les tâches à chacun.

  • Essayer de faire comme moi, ça va t’aider.

  • Regarde ce que je fais et ensuite, tu pourras tenter l’expérience.

  • Tu dois faire comme cela et d’ailleurs voici mon matériel. Utilise-le.

L’organisateur va choisir pour l’étudiant des objectifs prioritaires afin qu’il puisse les atteindre. Il s’agit donc de travailler pas à pas en gardant à l’esprit qu’un novice ne peut pas tout maîtriser en une fois.

  • Je te propose de débuter par un retour pour ensuite amener un contenu différent

  • J’ai regardé ta leçon, et je te propose qu’on avance étape par étape.

  • Nous allons débuter ce stage pas à pas, tranquillement pour que tu puisses bien comprendre l’importance de tes gestes

  • Je débuterais par tel exercice. Ensuite tu pourras essayer autre chose.

À l’interstice des deux catégories, celle où le stagiaire a peu versus beaucoup d’autonomie se trouve la posture de coconstructeur, qui lie les deux acteurs dans une démarche d’élaboration commune des actions pédagogiques à mener. On retrouvera à ce moment-là, les partenaires en discussion ouverte autour de planification d’activités, de temps de réflexion sur les gestes enseignants posés lors des mises en oeuvre, de recherche conjointe de régulation, etc.

  • Nous allons regarder ensemble tes planifications. Que penses-tu d’inverser tes deux exercices ?

  • Et si on préparait ensemble cette leçon ?

  • Nous allons voir toutes les deux comment débuter ce nouveau projet

  • Regardons ensemble les résultats des élèves au dernier test ou voyons comment on peut faire des sous-groupes pour les aider.

Les postures du bas du schéma, facilitateur et émancipateur, sont adoptées quand le stagiaire a déjà des compétences assumées, qui permettent de lui laisser l’initiative et l’autonomie nécessaire. Ainsi, quand il est facilitateur, l’accompagnant intervient quand c’est nécessaire et/ou à la demande de l’étudiant pour le soutenir. S’il est sollicité, il va proposer des pistes, amener des outils, etc.

  • Si t’as des hésitations, tu peux toujours m’écrire.

  • N’hésite pas à me demander si tu as besoin de conseils.

  • Vas-y, lance-toi. J’interviendrai si nécessaire.

  • Voici les manuels que tu m’as demandés pour ta prochaine activité d’histoire.

  • Puisque tu me questionnes sur mes stratégies de gestion, voici quelques pistes pour toi.

Quand il est émancipateur, l’accompagnant intervient très peu et laisse une autonomie maximale à l’étudiant ; il peut quitter le local, il n’exige pas de réviser la planification avant la mise en oeuvre, etc. dans l’optique de permettre au novice de se débrouiller seul comme il devra le faire dans sa vie professionnelle. Néanmoins, il reste disponible en cas de besoin.

  • Tu es libre d’organiser la dernière partie du cours.

  • Pour la suite du cours, je te laisse choisir quel exercice irait le mieux.

  • N’hésite pas à utiliser d’autres sources si tu trouves quelque chose de bien.

  • Je te laisse la classe, j’ai toute confiance, je vais aider les petits. Tu peux gérer comme tu veux.

  • Oh non, je n’ai plus besoin de voir tes prépas, j’ai confiance !

Douze interventions réparties en 3 catégories

Nous sommes arrivés à dégager 12 interventions utilisées par les accompagnants. Il s’agit donc, au-delà de postures, d’actions concrètes qui peuvent être réalisées, qui ne sont pas nécessairement en lien direct avec l’une ou l’autre posture et qui peuvent, pour la plupart, être mobilisées dans l’ensemble des postures. Ainsi, ces interventions ont été structurées en trois catégories : (1) celles qui amènent à indiquer une direction à prendre au stagiaire ; (2) celles qui assurent la relation entre les deux protagonistes et (3) celles destinées à susciter la réflexion. Ces interventions sont toutes visibles à la figure 3 qui représente la deuxième partie de notre modèle. Elles sont illustrées au fil du texte par des verbatims emblématiques tenus par des maîtres de stages (Mds) et des superviseurs (Sup).

Figure 3

Douze interventions

Douze interventions

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Quatre interventions pour assurer la direction

La première catégorie renvoie à la direction que peut donner l’accompagnant pour permettre au stagiaire d’évoluer et qui comporte quatre interventions décrites ci-dessous.

Clarifier consiste à redire à l’étudiant les consignes, les balises du stage, les attendus mentionnés par rapport à la matière à enseigner, etc. Cette intervention peut être intéressante en situation de perte de repères de la part du stagiaire puisqu’elle permet de rappeler l’attendu et les objectifs.

Je te rappelle que tu dois avoir rendu tes préparations pour le 30 mars. (Mds)
Pour la préparation du cours, t’aurais dû me l’envoyer deux jours à l’avance ! (Mds)
Surtout l’analyse réflexive… vois si tu es consciente de tes forces et de tes difficultés, et tu les indiques sur un document (Sup).

Assurer la médiation consiste à apporter à l’étudiant les ou des ressources qu’il doit/peut utiliser comme un manuel pédagogique, un cahier d’exercices, un site internet et/ou la consultation d’une personne de référence estimée experte dans un domaine précis. L’ambition est bien d’équiper le stagiaire pour qu’il soit capable de faire face aux problèmes professionnels qu’il rencontre.

Va voir Madame Marie, je sais qu’elle a déjà eu le cas, elle pourra t’aider pour cette leçon, elle la donne souvent en exemple aux stagiaires. (Mds)
Regarde dans tes notes de cours, tu as certainement des pistes pour réaliser cette activité. (Mds)
Euh y’en a je pense, je suis même sûre qu’il y en a à la bibliothèque. Va voir dans le… au fond de la bibliothèque à gauche, rayon orthographe, il y a différents ouvrages sur l’orthographe. (Sup)
Pour la différenciation, ça on peut se rencontrer ou rencontrer quelqu’un… comme Vanessa Durant, c’est très intéressant. Ça va ? (Sup.)

Montrer et démontrer sont des interventions qui ont les mêmes objectifs et qui peuvent même être complémentaires soit en amenant le stagiaire à se rendre compte du « comment faire » ou du « comment ça marche », soit en lui montrant directement une procédure, une méthodologie, etc. devant lui pour qu’il se rendre compte de la manière de procéder (montrer).

Assieds-toi, je vais donner la consigne et gérer les élèves quand ils utilisent le matériel, ainsi tu vois comment je fais. (Mds)
Regarde, je vais faire devant toi l’horaire de la semaine prochaine, ainsi tu vois comment je m’y prends. (Mds)

... ou en explicitant les étapes, les actions et les raisons qui les justifient (démontrer).

À ce moment-là, moi, j’explique avant aux élèves c’est quoi ces mots-là et je le fais encore pendant l’histoire, je leur dis un mot synonyme à ce mot-là. Ainsi, je garde l’attention. Je leur pose aussi des questions quand je raconte l’histoire. (Mds)
Tu vois, pour l’horaire, je liste d’abord ce que je veux enseigner, puis je mets dans la grille les contenus en fonction des moments de la journée. Ici, tu vois, comme c’est après la récré, alors je place des exercices. (Mds)
Je crois que quand tu es en travail autonome, c’est… C’est souvent intéressant de penser tes indices. Tu les mets au tableau… tu vois, tu les caches, enfin tu les mets dans différents endroits de la classe… Ça peut, d’une part, peut-être t’aider toi à comprendre ce que l’enfant doit mobiliser, anticiper un peu les difficultés, ça veut dire aussi que si l’enfant coince, si l’enfant ne sait pas mobiliser ce qu’il a appris alors qu’il devrait, hein… tant pis c’est comme ça, il peut quand même avoir des indices. (Sup)

Deux interventions pour entretenir la relation

La deuxième catégorie d’action d’accompagnement fait référence aux interventions liées à la relation et comprend deux interventions. Valoriser qui consiste à mettre en avant le positif, à communiquer au stagiaire les aspects qu’il a améliorés et/ou les actions qu’il a accomplies correctement, à mettre en évidence les atouts de la personne, ce qu’elle sait faire plutôt que ce qu’elle ne sait pas faire. Utilisée régulièrement, cette intervention permet de soutenir le sentiment de compétence du stagiaire.

J’ai aimé comment tu as fait ta finition, comment tu as terminé en demandant qu’est-ce vous avez trouvé de plus intéressant de vos objets ? (Mds)

Super activité Les élèves ont beaucoup aimé cela et j’aimerais utiliser cette activité si cela ne te dérange pas de la partager avec moi. (Mds)

Cela aussi c’était très bien. Ils voyaient, ils étaient attentifs, ils regardaient comme il faut.

Oui. Je suis très contente moi aussi, Je trouve que cela va bien. Tu t’intègres bien. (Mds)

Voilà Anne... Que dire ? Beaucoup de bonnes choses. Beaucoup de bonnes choses. Tu as vraiment un bon premier stage ; on te sent à l’aise... bien dans ton rôle, tu l’as dit toi-même. Je pense que… enfin nous pensons que tu as trouvé des études qui te conviennent vraiment bien. (Sup)

Rassurer tend à offrir des interventions destinées à amener chez l’étudiant un sentiment de sécurité par rapport aux activités sur lesquelles il hésite et les propos formulés dans cette intervention amènent l’étudiant à croire en ses possibilités.

Donc cela, tu es capable, tu te retournes de bord, tu leur laisses la période (Mds)

Regarde, tu es quand même capable de le changer. (Mds)

Essaye, car dans l’enseignement, sinon, tu vas avoir trop de difficultés. (Mds)

Ne t’inquiète pas, l’assurance viendra avec les années. (Mds)

Des fois dans la vie, c’est une minute à la fois, pas juste une journée, mais une minute à la fois, petit pas à petits pas et accepter qu’on n’est pas toujours hyper-performante non plus. Ça peut être juste comme : c’était correct. (Mds)

Parce qu’ici, on est un peu… comme en panne, entre guillemets… on est en questionnement par rapport à ces points-là. C’est le début, c’est une formation, c’est un stage. (Sup)

Six interventions pour susciter la réflexion

Dans cette catégorie se retrouvent six interventions afin d’aider et amener le stagiaire à analyser ses pratiques. Faire miroir amène l’accompagnant à expliquer ce qu’il a observé. C’est ainsi refléter la réalité, la pratique de l’accompagné pour la lui renvoyer et qu’il en prenne conscience. Les actions sont alors reprises et mises en évidence.

Tu as d’abord formé les groupes, ensuite tu as donné les consignes. (Mds)

Tu as circulé dans les groupes, tu les as aidés pendant l’activité, ça, c’était bien aussi. (Mds)

Les élèves parlaient en équipe parce qu’à un moment donné, ils étaient en équipe et tu as arrêté le travail pour redonner des explications. (Mds)

L’activité que j’avais vue, c’était vraiment un rappel, c’était clair, net, précis, rigoureux au début. Puis les enfants ont commencé à travailler en groupes et puis là… (Sup)-

(Faire) théoriser consiste à dire ou faire identifier au stagiaire les liens théoriques qui peuvent se tisser avec une situation. C’est donc (faire) convoquer des référents pour établir des liens théorie-pratique, justifier ou légitimer les pratiques. C’est aussi utiliser les cadres théoriques comme des outils d’analyse.

C’est normal. Meirieu dit que c’est normal pour un jeune enseignant de vouloir être aimé de ses élèves. (Mds)

Oui, dans tout ce qui est chantier… c’est vraiment, là, tu as pu jouer le chantier. Tu as de la structuration sur le conte ? Tu as de la structuration sur l’imparfait, le plus-que-parfait, le passé simple ? (Sup)

Faire analyser envisage de développer une séquence ou une partie d’une séquence d’apprentissage avec pour objectif d’en identifier les étapes. C’est aussi permettre de faire le point sur ce moment en pointant les forces et/ou les difficultés afin d’en dégager du sens.

Dis-moi comment tu as avancé dans ce cours, quelles sont les étapes ? (Mds)
Pourquoi tu as fait l’exercice avant la théorie ? (Mds)

Qu’est-ce… qu’est-ce que tu mets derrière ce mot ? (Sup)
Tu veux bien nous expliquer ? Comme ça… (Sup)
Tu trouves… Tu es satisfaite de ça ou pas ? (Sup)
Donc ce que tu avais fait, tu veux bien préciser qu’on… ? (Sup)
Reformuler sous-entend de montrer à l’accompagné qu’on est à son est écouté en lui faisant réentendre ses propos. L’objectif est qu’il puisse en prendre conscience et y réagir de manière adéquate.
C’était pendant la phase de groupe, tu dis ? (Mds)
Tu viens de dire que tu avais une impression qu’ils n’avaient pas compris parce que tu étais distraite à ce moment-là, c’est bien ça ? ... (Sup)

Inciter à la régulation permet de faire identifier à l’accompagné les modifications qu’il peut apporter à une activité en particulier. Il s’agit ainsi d’envisager ce « si c’était en refaire » pour que, la prochaine fois, l’activité soit plus confortable à vivre comme enseignant et/ou plus rentable pour les élèves. L’idée est bien de pouvoir réguler une activité proprement dite dans une perspective d’amélioration pour une prochaine édition de celle-ci.

En termes de temps, cela a duré quand même 2 périodes cette activité-là. Si c’était à refaire, le referais-tu de la même façon ? Sur 2 périodes complètes ? (Mds)
Qu’est-ce que tu aurais pu faire pour améliorer la formation des groupes ? (Mds)
Si tu devais refaire ce cours, qu’est-ce que tu changerais ? (Mds)
Qu’est-ce que tu comptes mettre en place et dans quel sens ? Pourquoi ? (Sup)

Instiller la réflexion place également l’accompagné dans une perspective de recul critique. Il ne s’agit plus, comme dans l’intervention précédente, d’un « si c’était à refaire » ponctuel, confiné à une activité spécifique. Ici, on cherche à voir les transferts possibles d’une activité à une autre en proposant une prise de recul plus large. L’objectif est de conscientiser l’accompagné vis-à-vis de ses démarches.

Ce que tu as fait aujourd’hui, comme ça, tu te vois le faire à d’autres moments ? (Mds)
Donne-moi un aspect positif dans cette activité que tu pourrais ritualiser pour toutes tes autres pratiques. (Sup).
Sur quels savoirs pédagogiques peux-tu fonder ta pratique et l’enrichir ?

Au final, les deux grandes parties présentées supra et mises en perspective constituent le modèle dans sa globalité. À gauche, on trouve les postures que peut endosser un accompagnant, tandis qu’à droite, les interventions possibles des accompagnants sont identifiées.

Figure 4

Panel des postures et des interventions d’accompagnement

Panel des postures et des interventions d’accompagnement

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Il est à noter que tout ceci n’est possible que dans un contexte (le cadre englobant) qui vise à accueillir et soutenir l’individu, en prenant en compte l’importance de la relation (Colognesi et al., 2018 c) ou des facettes de ce que Paul (2016) appelle « protéger » dans le sens d’accueillir l’accompagné et de le soutenir dans les différentes étapes de son processus. Ainsi, ces différentes postures et interventions existent pour permettre le développement professionnel de l’accompagné, à la condition, comme le rappelle Mieusset (2013), qu’il soit volontaire et engagé comme partenaire dans un processus de changement d’état.

Discussion et conclusion

Dans la perspective de la recherche-développement (Harvey & Loiselle 2009), il importe d’analyser l’ensemble du processus au regard des critères de la scientificité comme le caractère innovateur du modèle, l’établissement de liens entre l’expérience de développement vécue par les trois pays et les connaissances scientifiques liées au modèle, la mise à jour de ses caractéristiques principales et son utilisabilité, et l’ouverture vers des pistes de recherche.

En définitive, ce modèle se veut un outil théorique qui permet de penser l’accompagnement en actes. Il est aussi un outil pratique pour les accompagnants de stage comme pour les utilisateurs d’autres métiers dans le cadre de leurs tâches d’accompagnement. Les postures proposées, qui occasionnent une forte implication de l’accompagnant ou, au contraire, une place minimale, sont à voir comme un panel de possibilités pour agir. Chaque option peut ainsi s’accorder aux besoins, objectifs et réalités que vit l’accompagné à un moment-clé. Les postures sont donc mobiles en fonction du projet de l’accompagné dans une perspective d’autonomisation et d’émancipation sociale comme proposée par Vivegnis (2016). Ainsi, il n’y a pas une posture « meilleure » que d’autres.Les interventions renforcent la palette des possibles. Elles ne sont pas confinées à une posture ou une autre, mais peuvent être utiles dans les différentes postures proposées, en fonction de l’objectif poursuivi (direction, relation, réflexion) ; autant d’occasions de pouvoir adapter ses actes en fonction de la situation et du projet de l’accompagné.

Ainsi, dégager des postures et des interventions permet aux accompagnants de confronter l’image qu’ils ont d’eux-mêmes comme formateur à la réalité de leur agir. Ce faisant, ils peuvent prendre conscience d’éventuels décalages entre leur identité professionnelle réelle et leur identité professionnelle idéalisée et s’ouvrir à d’autres interventions pour tenter de s’approcher de leurs intentions d’accompagnant. L’outil, ainsi proposé, offre un support de partage de pratiques entre accompagnants qu’ils soient superviseurs ou maîtres de stage. L’analyse de verbatims retraçant les échanges entre un accompagnant et un stagiaire, tel qu’elle a été menée ici dans un objectif de recherche, permet de toucher l’activité réelle. Elle soutient la prise de conscience et ouvre à la discussion, voire au changement. Il s’agirait ainsi de professionnaliser davantage le travail des accompagnants en les aidant à conscientiser leurs postures et leurs interventions, en leur permettant ainsi de structurer leur accompagnement pour en mesurer les répercussions sur les stagiaires, tout en leur offrant un référent pour baliser leur accompagnement.

Plus spécifiquement, nous recensons plusieurs autres utilisations concrètes du modèle dans nos différents territoires. En Belgique, les travaux se poursuivent, entre autres, avec des superviseurs de stagiaires afin de leur permettre de mieux comprendre les contextes dans lesquels ils sont appelés à moduler leurs postures pour identifier les freins et les leviers qui s’y rattachent. Au Québec, l’examen des postures et des interventions propres aux maîtres de stage portera plus spécifiquement sur le contexte d’accompagnement de stagiaires en situation de handicap. En Suisse, nous tentons de mettre en évidence l’évolution des postures observables en fonction d’une formation ou d’une absence de formation concernant le fonctionnement de ces postures auprès des enseignants-formateurs.

Terminons par identifier quelques limites de ce modèle, associées à des perspectives d’un suivi sur le plan de la recherche. Actuellement, cette analyse des postures et d’interventions ne permet pas de mettre en évidence les facteurs d’influences de changement de postures. De fait, ce modèle nécessite d’être confronté à différents usages documentés et observés pour permettre d’examiner si des interventions s’ajoutent ou encore si certaines d’entre elles peuvent être précisées. Nos travaux ultérieurs tenteront d’intégrer cette dimension pour mieux la mettre à jour.