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Cet ouvrage est tiré d’un mémoire de maîtrise en science politique. Il se compose de trois chapitres intitulés respectivement : « Le concept de terrorisme », « Terrorisme et armes de destruction massive » et « D’Aum Shinrikyo à CSA (étude de cas) ». Il comprend également une conclusion et une postface traitant des attentats du 11 septembre.

En introduisant son ouvrage, l’auteur affirme que l’intérêt que porte la classe dirigeante et les scientifiques à l’utilisation potentielle d’armes de destruction massive (ADM) par des organisations recourant au terrorisme s’est accru à la fin des années 1990, spécialement après l’attaque au gaz sarin, le 20 mars 1995, dans le métro de Tokyo par la secte « Aum Shinrikyo ». Cet incident restera-t-il isolé ? Quelles tendances faut-il voir dans ce type de menace et quelles seront les réponses de l’État ? Telles sont les questions auxquelles tente de répondre François Légaré dans son analyse.

Conscient qu’il n’existe pas de définition consensuelle du terrorisme, l’auteur passe en revue celles de l’ONU et de plusieurs agences gouvernementales, notamment du Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS) et du Federal Bureau of Investigation (FBI) avant de constater qu’elles ne reflètent que leurs mandats et ne disposent pas de la précision du langage juridique. S’arrêtant sur celles des scientifiques, il remarque qu’elles excluent la dimension politique jugée trop versatile et il constate qu’elles sont en désaccord sur la nature même de l’objet. Scrutant 109 définitions de spécialistes dont il répertorie les similitudes, F. Légaré retient finalement celle d’Alex P. Schmid et Albert J. Jongman pour lesquels le terrorisme « est une méthode répétée d’action violente inspirant l’anxiété, la peur […] employée par des groupes ou des individus (semi-clandestins) ou des acteurs étatiques […]. La cible initiale de l’acte de violence ne représente que la cible secondaire et non principale […]. Le processus de menace entre les différents protagonistes est utilisé dans le but de manipuler la cible principale, ce qui transforme celle-ci en une cible de terreur, une cible de demandes ou une cible d’attention selon que l’intimidation, le chantage ou la propagande représentent l’objectif visé. » En se basant sur les motifs (politiques, criminels et pathologiques), l’orientation politique et les acteurs, l’auteur propose de distinguer trois formes de terrorisme : politique (insurrectionnel, idéologique, séparatiste, religieux et de causes particulières), para-étatique, et étatique.

Dans cette première partie de son ouvrage, l’auteur présente également un bref rappel historique des périodes ayant marqué l’évolution du phénomène depuis l’origine du terme jusqu’au terrorisme dit contemporain en passant par l’action des anarchistes ou encore celle des mouvements de libération coloniale. Dans le cas du terrorisme moderne, il situe l’apogée des luttes idéologiques et nationalistes ayant recours à l’action terroriste dans la période 1968-1979. Il précise à cet effet que la majorité des groupes insurrectionnels séparatistes ou insurrectionnels idéologiques (ou les deux à la fois) réalisent leurs forfaits (enlèvement, pose de bombe, prise d’otages, détournement d’avion) en provoquant une couverture médiatique à même de faire connaître leurs causes. Durant la décennie 1970, précise l’auteur, le terrorisme sera marqué par des actions (prise d’otages et détournement) nécessitant de longues négociations avec les autorités, de manière à ce que leurs revendications soient connues de tous. Les années 1980 sont empreintes, indique-t-il, d’actions immédiates (attentats à la bombe et assassinats) ne laissant aucune place à la réaction des forces de l’ordre. Cette décennie a également vu se développer un terrorisme commandité par les États (Iran, Libye, Syrie, Irak et Soudan).

Dans la deuxième partie, F. Légaré présente des compilations statistiques puisées de sources officielles, principalement du département d’État américain (jugées fiables), pour déterminer les tendances contemporaines du terrorisme. Il constate à la fois une augmentation par bonds spectaculaires et irréguliers du nombre des victimes d’actes terroristes et, depuis la fin des années 1980, une diminution du nombre d’attentats par année. Il observe que les attentats de ces dernières années sont plus violents et entraînent plus de victimes. Comme explication au recours à une violence sans cesse grandissante, qui marque les années 1990, l’auteur retient le degré de fanatisme, particulièrement religieux. Il appuie son assertion par des chiffres de 1995, montrant que sur les 56 groupes terroristes répertoriés, 26 étaient à prédominance religieuse.

C’est la propension au recours à des actions de plus en plus violentes et l’existence d’un précédent, celui de la secte « Aum Shinrikyo », qui ont conduit des spécialistes parmi la communauté scientifique et les agences gouvernementales à tourner leur attention vers l’emploi éventuel d’armes de destruction massive par les groupes terroristes. Pour cerner ce qu’est une arme de destruction massive, l’auteur retient la définition d’Ehud Sprinzak et de Richard A. Falkenrath, selon lesquels il s’agit d’une arme « qui non seulement engendre de centaines de milliers de morts, mais qui a aussi des conséquences psychologiques de deux ordres : d’une part, une panique immédiate de la population avoisinant le lieu de l’attaque, et d’autre part des répercussions psychosociales, voire des conséquences économiques, culturelles profondes tant sur le plan national qu’international ».

F. Légaré passe en revue, dans le détail, les spécificités des trois différents types d’armes de destruction massive, à savoir le nucléaire, le biologique et le chimique. Il affirme qu’il y a deux écoles de pensées qui divergent sur l’imminence ou pas d’actions terroristes utilisant cette catégorie d’armes. Cependant, face à la difficulté d’évaluer objectivement la menace (faute de données), l’auteur, dans la troisième partie, expose les cas de quatre organisations terroristes (« Aum Shinrikyo », « DahmY’Israel Nokeam », « RISE », « The Covenant, the Sword and the Arm of the Lord ») qui ont utilisé (ou tenté d’utiliser) des armes de destruction massive. Ainsi, après avoir dressé un portrait de chaque organisation (chef de file, structure, idéologie, mode de recrutement, capacité technique et matérielle), l’auteur soutient que ce type de groupe s’apparente plus à une secte qu’à une organisation terroriste ayant des objectifs politiques. D’ailleurs, il souligne l’incompatibilité d’un programme politique avec la notion même de destruction massive.

L’expérience de la secte « Aum Shinrikyo » a suffisamment retenu l’attention de F. Légaré pour qu’il puisse en tirer des enseignements. Il remarque en effet que les objectifs de ladite secte n’ont pas été atteints malgré les moyens (matériels et humains) très importants et un savoir-faire scientifique très appréciable. Le projet nucléaire est resté lettre morte, ce qui laisse croire à l’absence d’un marché illicite de cette technologie. Sur un autre plan, le groupe a été incapable de produire des souches bactériologiques à même de causer des dégâts et s’est contenté de mettre au point du sarin de faible qualité. Quant aux moyens pour épandre les agents chimiques, ils sont restés rudimentaires. Par conséquent, l’auteur réfute la thèse selon laquelle la construction d’une ADM serait aisée et conclut qu’il est particulièrement difficile d’accéder à ce type d’arme et de l’utiliser dans une opération terroriste. La motivation pour y recourir, les difficultés techniques d’appropriation du savoir-faire, la logistique et l’organisation entourant ce genre d’entreprise sont autant de facteurs qui l’amènent à soutenir que très peu de groupes disposant de ce potentiel envisageraient cette avenue.

Enfin, l’auteur souligne que l’exécution d’un attentat de masse suppose des organisations existant en marge de la société et disposant de capacités hors du commun. Cette réalité permet dès lors d’élaborer une stratégie de lutte contre ce type d’organisations qui consiste, primo, à repérer les groupes à risque et, secundo, à rendre difficilement accessibles les matériaux susceptibles d’être utilisés.

Abordant dans la postface les attentats du 11 septembre 2001, F. Légaré les qualifie d’action de destruction massive, étant donné les pertes humaines et matérielles et les répercussions psychologiques aussi bien aux États-Unis que dans les autres pays occidentaux. Cet attentat, affirme l’auteur, a démontré qu’il n’est pas nécessaire de recourir à l’arme de destruction massive pour occasionner la terreur et la destruction de masse. Cet état de chose, indique-t-il, doit amener les pays menacés à définir des priorités et à élaborer des plans précis de lutte contre le terrorisme, en s’attaquant à la source du fléau. Cela suppose qu’ils ne s’en tiennent pas seulement à l’approche sécuritaire, mais qu’ils privilégient aussi les solutions politiques. C’est à l’approche politique qu’incombe la mission de trouver des solutions aux problèmes endémiques qui touchent, entre autres, le Moyen-Orient.

L’ouvrage peut être qualifié de didactique. L’auteur réussit à vulgariser certains concepts liés au terrorisme en présentant plusieurs définitions et en donnant des explications techniques relatives aux caractéristiques des ADM. En outre, F. Légaré attire l’attention sur la gestion d’un phénomène qui privilégie souvent l’option sécuritaire au détriment de solutions politiques. Enfin, l’ouvrage tombe à point, au moment où la conjoncture internationale est marquée par la crise irakienne, dont l’enjeu déclaré est le contrôle des ADM susceptibles d’être utilisées par le régime de Saddam Hussein ou par un groupe terroriste qui lui serait inféodé.