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Le postdoctorat devient de plus en plus courant dans les sciences humaines et sociales (VanEvery, 2010) et il est même perçu comme un « passage obligé » par plusieurs politologues qui aspirent à une carrière de chercheur ou de professeur. Ce constat doit néanmoins être nuancé car, entre 2000 et 2010, une part significative (29,6 %) des embauches dans les départements de science politique francophones au Québec et au Canada a visé des doctorants ou des nouveaux diplômés qui n’avaient pas effectué de postdoctorat (Cornut et al., 2012 : 95). Cela dit, le fort attrait exercé par le postdoctorat sur les doctorants et les nouveaux diplômés est indéniable. Partant de cette prémisse, comment fait-on pour réussir un postdoctorat et obtenir du financement postdoctoral ? Plusieurs universités canadiennes exigent en effet que les chercheurs postdoctoraux fassent la démonstration qu’ils possèdent des ressources financières suffisantes pour compléter leur stage. Dans cet article, je m’attache à répondre à cette question principalement à partir de mon expérience personnelle. Je tire des enseignements de mes succès et de mes échecs afin de formuler des conseils à l’intention des doctorants et des nouveaux docteurs en science politique qui souhaitent réaliser un stage postdoctoral réussi et, donc, financé.

Cet article est structuré en trois parties. Je présente d’abord brièvement mon parcours postdoctoral pour permettre au lecteur d’apprécier la pertinence de mes conseils. J’explique ensuite la nature et les finalités du stage postdoctoral et je discute des types de stages à privilégier. La troisième partie traite de douze pièges à éviter pour s’assurer d’obtenir du financement postdoctoral, soit ceux relatifs au candidat, au projet de recherche et à la demande de financement. Je conclus sur une note positive en proposant des objectifs ambitieux mais atteignables aux chercheurs postdoctoraux, tout en reconnaissant qu’il y a une part importante de chance dans l’obtention d’un financement postdoctoral.

Quelques mots sur mon parcours postdoctoral

J’ai mené des recherches postdoctorales pendant environ trois ans, soit une période allant du dépôt initial de ma thèse (mars 2012) à mon entrée en fonction comme professeur de science politique à l’Université Laval (juin 2015). Or, je n’ai reçu du financement sous forme de bourse postdoctorale que pendant environ les deux tiers de cette période. En 2010 et en 2011, alors que j’étais encore doctorant, j’ai soumis des demandes de bourse postdoctorale au Conseil de recherches en sciences humaines du Canada (CRSH) et au Fonds de recherche du Québec – Société et culture (FRQSC). Malgré que le CRSH m’ait décerné une bourse de doctorat prestigieuse (elle s’appelle maintenant Joseph-Armand-Bombardier), mes deux demandes de bourse postdoctorale auprès de cet organisme ont été infructueuses. J’ai heureusement eu davantage de succès avec le FRQSC, ce qui m’a permis de mener des recherches postdoctorales à la Johnson-Shoyama Graduate School of Public Policy, University of Saskatchewan (2012-2014), et conjointement, à partir de 2013, à la Direction de la recherche du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale. Durant la période où j’étais physiquement en Saskatchewan, mon superviseur de recherche, Daniel Béland, a par ailleurs complété ma bourse postdoctorale du FRQSC par une bourse provenant de sa Chaire de recherche du Canada en politiques publiques.

Je n’avais pas décroché de poste de professeur en 2014, lorsque mon financement postdoctoral du FRQSC s’est tari. Peu de temps avant ce moment fatidique, j’avais approché Martin Goyette, titulaire de la Chaire de recherche du Canada sur l’évaluation des actions à l’égard des jeunes et des populations vulnérables (CRÉVAJ), afin d’effectuer un second postdoctorat à l’École nationale d’administration publique (ÉNAP). Bien que très apprécié, le financement de 5000 $ que m’a offert la CRÉVAJ n’était cependant pas suffisant pour que je puisse obtenir le statut officiel de chercheur postdoctoral. J’ai donc dû compléter mon postdoctorat à titre de chercheur associé et me trouver d’autres sources de financement, dont un contrat pour l’enseignement d’une charge de cours. En collaboration avec mon superviseur et l’ÉNAP, j’ai également préparé et soumis une demande de bourse postdoctorale Banting, un programme d’élite géré par trois organismes subventionnaires fédéraux (IRSC [Institut de recherche en santé du Canada], CRSNG [Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada] et CRSH) qui « offre du financement aux meilleurs candidats postdoctoraux, au niveau national et international, afin qu’ils contribuent à l’essor économique, social et scientifique du Canada[2] ». Cette demande a heureusement été recommandée et financée. Toutefois, je n’ai pu utiliser ce financement que lors des deux derniers mois de mon stage postdoctoral à l’ÉNAP, juste avant d’entrer en fonction comme professeur adjoint à l’Université Laval.

La nature du stage postdoctoral

Contrairement à ce que certains pourraient croire, le postdoctorat n’est pas une formation qui mène à un diplôme comme le doctorat ou la maîtrise : il s’agit plutôt d’un stage d’insertion professionnelle axé sur la recherche et l’enseignement universitaires. C’est une étape ponctuelle et temporaire, d’une durée variant généralement de un à trois ans (Kelsky, 2014a), qui sert à faire le pont entre la fin du doctorat et une carrière de professeur ou, encore, une carrière non universitaire. Dans une perspective fonctionnelle, le postdoctorat est un moyen de gérer la « file d’attente » découlant du fait qu’il y a beaucoup plus de docteurs qui aspirent à devenir professeurs que de postes de professeurs disponibles. Par son caractère variable et flexible, le postdoctorat permet de garder dans le circuit les chercheurs les plus productifs en attendant qu’ils obtiennent un poste de professeur (Bonnal et Giret, 2009).

Le postdoctorat joue plusieurs autres fonctions pour les nouveaux détenteurs de doctorat. Dans un contexte où la profession universitaire est caractérisée par un processus d’apprentissage et de maturation qui s’étire parfois jusqu’à plusieurs années après l’obtention du doctorat (Höhle et Teichler, 2013 : 23), le stage permet premièrement aux chercheurs postdoctoraux de développer leur propre identité scientifique. Au doctorat, les superviseurs de recherche jouent généralement un rôle assez important dans l’orientation de la recherche et la rédaction de la thèse. Au postdoctorat, les jeunes chercheurs doivent démontrer qu’ils ont toutes les connaissances et les compétences spécialisées nécessaires à la conduite de recherches autonomes et originales (Melin et Janson, 2006). Il s’agit de se défaire progressivement de l’étiquette d’« étudiant » au profit de celle de « collègue » ou de « pair ».

La deuxième fonction du postdoctorat est de permettre aux jeunes politologues de se bâtir un solide dossier de publications issues non seulement de la thèse mais également de leurs recherches postdoctorales. Les publications représentent, en réalité, l’actualisation du potentiel scientifique discuté précédemment. Par ailleurs, les publications scientifiques et les indicateurs bibliométriques qui y sont associés (le facteur d’impact des revues, les citations obtenues, etc.) servent d’étalon pour évaluer la performance des candidats à des postes de professeurs (Bonnal et Giret, 2009 ; Cornut et Larivière, 2012 ; Cornut et al., 2012 ; James, 2014) et, plus généralement, leur performance en tant que chercheurs (Imbeau et Ouimet, 2012 ; Marland, 2017). Troisièmement, le postdoctorat permet aux nouveaux docteurs d’élargir leur réseau professionnel, soit de tisser des liens avec des professeurs, des chercheurs et des étudiants dans un nouvel environnement de recherche (Kelsky, 2014a). Ce capital social se traduit par des effets positifs à court, moyen et long termes sur l’échange d’information avec d’autres chercheurs, les collaborations de recherche et les publications (Melin, 2004 ; Horta, 2009). Enfin, le postdoctorat permet aux nouveaux docteurs d’acquérir de l’expérience d’enseignement, notamment en enseignant un premier cours à titre de chargé de cours. Toutefois, si l’acquisition d’une expérience à ce titre peut faire partie des motivations légitimes pour réaliser un postdoctorat, cela ne devrait jamais être la seule ni même la principale raison. Les chercheurs postdoctoraux devraient en effet privilégier le développement de leur identité et de leur autonomie scientifiques, la publication de résultats de recherche et l’élargissement de leur réseau scientifique. D’ailleurs, le stage postdoctoral est probablement l’étape où les universitaires ont le plus de temps et de liberté pour se consacrer à leurs recherches. Les contraintes des doctorants (les cours qu’ils doivent suivre et les examens qui s’ensuivent, leur travail d’auxiliaire, l’apprentissage des ficelles du métier, etc.) et celles des professeurs (enseignement et encadrement d’étudiants, tâches administratives, etc.) sont généralement plus importantes que celles des chercheurs postdoctoraux.

Il existe trois principaux types de postdoctorat : 1) le postdoctorat rémunéré de type « autonome », où les chercheurs postdoctoraux reçoivent un financement sur la base du mérite d’un organisme subventionnaire (CRSH, FRQSC, fondation, etc.) ; 2) le postdoctorat rémunéré de type « emploi », financé par un contrat de recherche ; 3) le postdoctorat partiellement ou non financé. Le premier type est évidemment celui à privilégier car il est le seul qui permette de maximiser à la fois la sécurité financière des chercheurs postdoctoraux et le temps dont ceux-ci disposent pour mener leurs propres recherches et, donc, développer leur autonomie scientifique (Kelsky, 2014a). Le second type comporte néanmoins un certain intérêt, puisque, en plus d’être obtenu au mérite, il permet au chercheur de s’intégrer à un nouveau réseau de recherche et de contribuer à des publications ou à des demandes de subventions. En revanche, les chercheurs postdoctoraux qui en bénéficient ont un statut d’employé, ce qui signifie que les occasions de développer leur propre identité scientifique et de publier à titre d’auteur principal sont parfois plus limitées. Le troisième et dernier type de postdoctorat, partiellement ou non financé, est à bien des égards un pis-aller qui n’est envisageable qu’à court terme. En effet, les chercheurs postdoctoraux doivent alors occuper un emploi à temps partiel ou effectuer des contrats à gauche et à droite pour arriver à joindre les deux bouts, ce qui leur laisse évidemment moins de temps et d’énergie pour mener leurs propres recherches. De plus, il n’y a aucune garantie que ces contrats soient dans leur domaine de recherche et qu’ils se traduiront par des publications.

Les pièges à éviter

Je vais maintenant aborder douze pièges à éviter pour réussir un stage postdoctoral. Par « réussir », j’entends un postdoctorat qui permet aux jeunes chercheurs de développer leur identité et leur autonomie scientifiques, leur dossier de publications et leur réseau professionnel et qui, ultimement, pourrait les aider à décrocher un poste de professeur. Puisque l’obtention d’un financement conséquent est une condition quasi nécessaire, voire nécessaire, au succès du stage postdoctoral, mes conseils ciblent d’abord – mais pas exclusivement – cet aspect.

J’ai ainsi identifié douze pièges qui se déclinent en trois types : 1) deux pièges relatifs au candidat ; 2) cinq pièges relatifs au projet de recherche ; 3) cinq pièges relatifs à la demande de financement. Bien que le cadrage en termes de « pièges » oriente la discussion autour de ce qu’il ne faut pas faire, il va sans dire que mes conseils doivent être appréhendés dans une perspective élargie qui ouvre la porte sur ce qu’il convient de faire. Je reviendrai d’ailleurs en conclusion sur les objectifs que les chercheurs postdoctoraux pourraient/devraient se donner s’ils veulent réussir.

Les pièges relatifs au candidat

Piège no 1 : croire que le postdoctorat ne diffère pas significativement du doctorat. Le premier piège, de nature cognitive, consiste à croire que le postdoctorat est de même nature que le doctorat ou, encore, que la différence n’est que marginale. Or, il y a deux différences fondamentales entre ces deux types de formation. Premièrement, le travail de recherche des doctorants – qui sont des étudiants – est réalisé sous l’étroite supervision de directeurs de recherche et s’inscrit bien souvent dans la même lignée que les travaux de ces derniers. En revanche, les stagiaires postdoctoraux sont (ou doivent aspirer à devenir) des « pairs » ou des « collègues » qui réalisent des recherches originales de manière autonome, et ce, bien qu’ils travaillent officiellement sous la supervision d’autres chercheurs. Cela doit se refléter non seulement dans l’état d’esprit des nouveaux docteurs en science politique, mais également dans le contenu et la forme de leur projet de recherche. Le projet de recherche postdoctoral doit être plus abouti – les projets « mal ficelés » qui ne présentent qu’une simple orientation générale de recherche ont peu de chances d’être financés – et découler d’un processus plus autonome que le projet doctoral. La deuxième différence fondamentale entre le doctorat et le postdoctorat est que la compétition augmente de manière substantielle d’une étape à l’autre. Hypothétiquement, une personne se situant au premier quartile au doctorat (c.-à-d., parmi les 25 % les plus performants) pourrait se retrouver, une fois rendue au postdoctorat, au deuxième ou même au troisième quartile (c.-à-d., parmi les 50 à 75 % les plus performants). Deux facteurs sont en cause. D’une part, on note un processus d’attrition par lequel plusieurs doctorants – environ la moitié – ne terminent pas leurs études. D’autre part, on note que ceux qui ont complété leur doctorat sont en moyenne plus motivés, plus confiants dans leurs capacités, plus performants et plus susceptibles de poursuivre une carrière en recherche (y compris un postdoctorat) que ceux qui ont abandonné leur doctorat (pour des données québécoises, voir Larivière, 2012 ; Litalien et Guay, 2015, Litalien et al., 2015).

Piège no 2 : n’avoir aucune publication évaluée par les pairs à son actif. Le second piège est d’avoir un dossier de publication « vierge » au moment de soumettre sa demande de financement postdoctoral. Les publications scientifiques représentent un sérieux atout pour obtenir une bourse de maîtrise ou de doctorat, mais elles ne sont pas nécessaires ; ce sont plutôt les résultats dans les cours, les lettres de référence et l’implication à titre d’auxiliaire de recherche et d’enseignement qui font la différence entre les candidats financés et non financés. Les chercheurs postdoctoraux doivent quant à eux démontrer leur capacité à mener à bien des recherches de qualité, ce qui se traduit notamment par des publications scientifiques. Les dossiers qui font état de communications dans des colloques mais d’aucune publication scientifique (article, livre ou chapitre de livre) sont évalués moins favorablement sur le critère des « réalisations scientifiques » que ceux qui en contiennent. Les personnes chargées d’évaluer les demandes de financement postdoctoral peuvent interpréter un dossier de publication vierge de deux manières : soit le potentiel du candidat ne s’est pas encore matérialisé (interprétation charitable), soit l’absence de publication est un indicateur de motivation et d’aptitudes scientifiques moindres (interprétation impitoyable). L’absence de publication constitue donc un risque, évitable à mon avis, qui pourrait compromettre l’obtention d’un financement postdoctoral. Je recommande donc aux candidats d’avoir au moins une publication scientifique acceptée, sous presse ou publiée, idéalement à titre d’auteur principal, au moment de soumettre leur demande de financement postdoctoral.

Les pièges relatifs au projet

Les pièges relatifs au projet de recherche en lui-même peuvent compromettre non seulement l’obtention de financement postdoctoral, mais également la réalisation d’un stage fructueux.

Piège no 3 : faire passer la publication de la thèse avant la réalisation de nouvelles recherches. La valorisation de la thèse sous forme de livre ou d’articles est évidemment une excellente idée. En revanche, consacrer principalement ou exclusivement son postdoctorat à la publication de la thèse est une très mauvaise idée. Les stages postdoctoraux de ce type ne sont pas admissibles aux bourses provenant du CRSH et, quoi qu’il en soit, ils seraient certainement mal notés par les évaluateurs. En effet, le stage postdoctoral devrait plutôt être l’occasion pour les nouveaux docteurs de mener des recherches originales de manière autonome et de développer leur propre identité scientifique. Enfin, réaliser de nouvelles recherches dès le début du stage postdoctoral permet d’avoir un projet bien avancé à présenter lors d’une éventuelle entrevue d’embauche pour un poste de professeur. À l’inverse, les candidats qui se sont concentrés sur la publication de leur thèse devront vraisemblablement se rabattre sur une présentation qui y soit liée, ce qui n’aide pas à se défaire de l’étiquette d’« étudiant ».

Piège no 4 : soumettre un projet trop général ou mal ficelé. Au doctorat, il est courant d’admettre des étudiants sur la base d’un projet plus ou moins abouti. Le projet qui est soumis par ceux qui désirent être admis au programme sert plus à déterminer si le département a la capacité d’encadrer un doctorant sur ce thème de recherche qu’à évaluer les mérites scientifiques du projet. Au postdoctorat, il ne suffit pas de proposer une direction générale de recherche. Le projet doit être complet, précis et cohérent – la problématique, la revue de littérature, les objectifs, la méthode et la contribution attendue doivent être bien intégrés – et faire la démonstration de sa pertinence scientifique. L’effort en vaut la peine : les chances d’obtenir du financement postdoctoral seront meilleures, la valeur scientifique du projet sera plus grande et celui-ci pourra éventuellement servir de canevas à une présentation d’embauche ou, après l’embauche, à une demande de subvention de recherche.

Piège no 5 : soumettre un projet trop rapproché ou trop éloigné de la thèse. Le projet postdoctoral « idéal » fait preuve d’un équilibre délicat entre originalité et continuité avec la thèse. Russell James (2014 : 28-29) soutient à ce sujet qu’il vaut mieux devenir le « roi de la colline », c’est-à-dire le spécialiste d’un sujet important mais étroit, plutôt que de s’éparpiller dans des projets disparates. Cela dit, le projet de recherche postdoctoral ne peut se limiter à une simple adaptation de la thèse ou à quelques changements à la marge : il doit être novateur et apporter une contribution originale à la discipline. Ainsi, il peut être opportun de varier un des éléments parmi les quatre suivants : objet de recherche (à l’intérieur du même thème général de recherche), cas, théorie, méthode.

Piège no 6 : rester dans sa « zone de confort » lorsque vient le temps de choisir le milieu de stage. Un autre piège pour les nouveaux docteurs consiste à choisir un milieu de stage qui se situe près – du point de vue de la géographie ou du réseau professionnel – de l’endroit où ils ont complété leur doctorat. Bien que je reconnaisse qu’il y a d’excellentes raisons personnelles pour agir ainsi (notamment le fait d’avoir des personnes à charge), c’est une très mauvaise idée sur le plan professionnel. Il est important d’être mobile et prêt à s’installer à l’étranger (Dominik Fleitmann, dans Ratcliffe, 2015). L’une des fonctions du postdoctorat consiste en effet à élargir son réseau professionnel et cela n’est habituellement possible qu’en s’éloignant suffisamment de son alma mater. Réaliser un stage postdoctoral dans une autre province ou dans un autre pays peut en outre contribuer à augmenter les chances d’être recruté par un département québécois. À ce sujet, dans leur étude, Jérémie Cornut, Carolle Simard, Maya Jegen et Linda Cardinal (2012) ont constaté que pour plus de la moitié des nouvelles embauches de professeurs en science politique, le doctorat avait été obtenu hors pays. Cela dit, ces résultats ne permettent pas de déterminer si réaliser un doctorat dans une université étrangère facilite l’obtention d’un poste.

Piège no 7 : privilégier le prestige de l’institution d’accueil au détriment de tout le reste. Ce piège est à bien des égards la contrepartie du piège précédent. En effet, certains politologues basent exclusivement leur choix de milieu de stage sur le prestige de l’institution, ce qui les amène dans une université étrangère de renom telle que Columbia, Harvard ou Cambridge. Toutes choses égales par ailleurs, il faut reconnaître d’emblée qu’un milieu de stage postdoctoral prestigieux est un atout. Le prestige est un indicateur, certes indirect et imparfait, de qualité (Dill et Soo, 2005), pouvant contribuer à une évaluation plus positive des candidats et, donc, à accroître leurs possibilités d’être convoqués en entrevue ou embauchés. Le prestige institutionnel devient toutefois un problème lorsqu’il amène à négliger les deux dimensions d’un stage postdoctoral réussi, soit avoir développé son réseau scientifique et avoir produit des publications de qualité en quantité suffisante. D’une part, le choix du milieu de stage devrait d’abord être motivé du fait qu’il permette aux chercheurs postdoctoraux de s’intégrer à un environnement scientifique dynamique. À ce titre, les réalisations du directeur de recherche (Quelle est sa productivité récente ?), sa disponibilité en matière d’encadrement (Encadre-t-il déjà une vingtaine d’étudiants et de chercheurs ? Est-il en déplacement six mois par année ?), sa volonté de collaborer à des projets de recherche communs, sa capacité à rédiger une lettre de recommandation favorable et l’arrimage entre ses recherches et celles du stagiaire postdoctoral devraient primer sur le prestige. Bref, les chercheurs postdoctoraux doivent à tout prix éviter de se retrouver isolés pendant leur stage, dans une université étrangère prestigieuse ou ailleurs. D’autre part, une professeure américaine qui a réalisé un postdoctorat à Oxford soutient qu’il faut éviter de « s’asseoir » sur le prestige de l’institution sans publier suffisamment (dans Kelsky, 2014b), car plus le prestige d’une institution est élevé et plus les chercheurs postdoctoraux seront pénalisés de ne pas avoir publié. Finalement, choisir une université prestigieuse implique habituellement de s’établir dans une ville comme Londres ou New York où le coût de la vie (logement, alimentation, transport, etc.) est très élevé. Or, dans la mesure où le financement postdoctoral s’avère insuffisant pour couvrir ces dépenses, les chercheurs pourraient être forcés d’accepter des charges de cours ou des contrats d’auxiliaire d’enseignement qui retardent la réalisation de leurs propres recherches.

Les pièges relatifs à la demande

Piège no 8 : rédiger la demande à la dernière minute et en solitaire. Plusieurs candidats sous-estiment malheureusement le temps requis pour préparer une demande de bourse postdoctorale impeccable en termes scientifiques et linguistiques. Je recommande par conséquent aux candidats de s’y prendre environ six mois à l’avance. D’abord, la rédaction ne se limite pas à coucher sur le papier des idées préexistantes ; il s’agit au contraire d’un processus long, laborieux et itératif qui est partie intégrante de toute recherche (Silvia, 2007). Ensuite, réserver suffisamment de temps pour la préparation de sa demande de financement permet, en milieu et en fin de parcours, de solliciter les commentaires de professeurs, de conseillers à la recherche et de chercheurs financés. Ceux-ci pourront identifier des erreurs et offrir des conseils judicieux de révision, et ce, même s’ils ne travaillent pas exactement dans le même domaine (voir le piège no 10, ci-dessous). S’y prendre d’avance pour rédiger sa demande permet en outre de pallier les problèmes techniques (problème informatique, panne d’électricité, serveur en panne, etc.) de dernière minute qui pourraient compromettre la transmission de la demande avant l’heure de tombée.

Piège no 9 : mal choisir les répondants, les froisser ou leur compliquer la vie. Les répondants sont censés être des personnes qui connaissent bien les chercheurs postdoctoraux et leurs travaux et qui sont prêtes à appuyer leur candidature en écrivant un rapport très positif. Bien que cela semble simple et évident, tous les répondants ne sont pas égaux. D’une part, plusieurs répondants, par générosité ou par sens du devoir, accepteront de donner leur appui même s’ils connaissent peu les candidats. Or, une lettre d’appui trop générale ou qui manque d’éléments de preuves pour étayer le jugement présenté aura moins de poids qu’une lettre provenant d’une personne qui connaît bien le candidat. D’autre part, certains répondants ont tendance à rédiger de mauvaises lettres ou à ne pas les transmettre à temps. Il faut donc s’assurer, en vérifiant auprès de collègues, voire en demandant poliment de consulter une lettre d’appui antérieure, que les personnes choisies rédigeront une lettre exemplaire. Une fois les bons répondants identifiés, il faut les contacter de manière professionnelle, courtoise et en temps opportun. Quand le candidat connaît personnellement les répondants, il peut être tenté de se limiter à une simple demande informelle, orale ou écrite. C’est une erreur. D’abord, les répondants sont moins susceptibles d’oublier les détails d’une demande écrite officielle, par courriel notamment, qui spécifie tous les détails et les éléments d’information importants (date limite, lien électronique vers le formulaire, curriculum vitae, copie du projet de recherche, etc.). Ensuite, les candidats doivent obtenir la meilleure lettre possible de leurs répondants. Il leur faut donc mettre toutes les chances de leur côté en faisant les choses selon les règles de l’art, c’est-à-dire en formulant une demande polie qui place les répondants dans les meilleures dispositions possibles. Il peut en outre être utile d’effectuer un ou deux rappels courtois auprès des répondants, en temps opportun (p. ex. : à un mois et à une semaine de l’échéance).

Piège no 10 : utiliser un style difficilement accessible aux non-initiés. Une demande de bourse « gagnante » est rédigée dans un style clair et accessible ; le recours aux termes spécialisés doit être limité au strict minimum et ceux-ci doivent être définis simplement lors de la première occurrence. Non seulement un style hermétique et le recours au jargon d’un domaine de recherche n’impressionneront pas les évaluateurs, mais ils les contrarieront à coup sûr. Les comités d’évaluation des organismes subventionnaires tels que le CRSH et le FRQSC sont multidisciplinaires et leurs membres ont des connaissances et des affinités épistémologiques, théoriques et méthodologiques très variées. Les probabilités que les évaluateurs soient des spécialistes du domaine de recherche des candidats sont par conséquent très faibles.

Piège no 11 : ne pas contrôler le message. Le succès d’un parti politique lors d’une élection dépend notamment de sa capacité à demeurer centré sur le message (on message) à promouvoir et à faire en sorte que celui-ci domine l’espace public (Forest et al., 2017). De la même manière, le succès des candidats aux bourses postdoctorales dépend notamment de leur capacité à contrôler le message qu’ils veulent véhiculer auprès de leurs répondants et des évaluateurs. Les « faits » ne parlent pas d’eux-mêmes, ce qui signifie qu’il faut développer un récit qui mette ces faits en perspective et qui leur donne une cohérence, un sens. Cela est particulièrement important lorsque les risques d’interprétation erronée sont élevés parce que le candidat est déjà « étiqueté » – lorsqu’il a deux domaines d’expertise (p. ex. : les idées politiques et la politique comparée) ou qu’il a publié des travaux sur des thèmes à première vue sans rapport les uns avec les autres (p. ex. : un article méthodologique sur l’analyse longitudinale et un chapitre théorique sur la participation citoyenne au niveau municipal). Il faut en outre veiller à contrôler le message sur les réalisations du dossier. Les répondants et les évaluateurs ne connaissent pas nécessairement le prestige des revues dans lesquelles le candidat a publié, ni les distinctions et les prix reçus. Il importe donc d’être le plus explicite possible (p. ex : cet article est publié dans la revue « X », classée parmi les dix meilleures selon le « classement Y » et a été cité « Z » fois en seulement deux ans). Enfin, pour aider à contrôler le message auprès des répondants, il est recommandé aux candidats de fournir une liste d’éléments factuels et appréciatifs favorables au dossier.

Piège no 12 : omettre des pièces justificatives ou des éléments d’information importants. Le douzième et dernier piège peut également défavoriser les candidats aux bourses postdoctorales. Il faut inclure dans une demande de financement toutes les informations pertinentes à l’évaluation de la demande et, si possible, démontrer leur véracité. Les évaluateurs doivent en effet avoir en main toute l’information nécessaire à l’évaluation des candidats. Dans le cas d’un article scientifique soumis, en révision ou accepté, il est nécessaire d’inclure une note de l’éditeur de la revue à cet effet. Si le projet de recherche postdoctoral est fondé sur un terrain (organisation, ou autre) ou encore des données difficiles d’accès, il convient de joindre une lettre démontrant que l’accès est assuré ou, du moins, que des démarches ont été entreprises en ce sens. De la même manière, plusieurs stages postdoctoraux réalisés en tout ou en partie à l’étranger nécessitent des compétences linguistiques particulières dont il vaut mieux étayer la maîtrise (cours de langue suivis, attestation, etc.). Dans tous les cas, les répondants peuvent souvent (le cas échéant, doivent) cautionner les affirmations des candidats. Un directeur de recherche pourrait par exemple attester de l’excellente maîtrise de la langue arabe d’un chercheur postdoctoral.

En guise de conclusion…

J’ai discuté dans cet article des « pièges » que les nouveaux docteurs en science politique qui souhaitent réussir un stage postdoctoral doivent éviter. Je reformule maintenant ces pièges et mises en garde en termes plus positifs et propose des objectifs ambitieux (mais atteignables) aux chercheurs postdoctoraux.

  • Adopter un état d’esprit professionnel et agir en conséquence. Il faut ainsi travailler à être un « pair », un « collègue », plutôt qu’un étudiant.

  • Élargir son réseau professionnel. Les chercheurs postdoctoraux devraient avoir collaboré avec au moins un chercheur bien établi dans leur domaine et s’être bien fait connaître d’un autre chercheur, de manière à pouvoir compter sur deux solides lettres de recommandation provenant de l’extérieur de leur alma mater. Ils devraient par ailleurs rester en contact avec ces personnes une fois leur stage complété. Outre les moyens traditionnels comme le téléphone, le courriel et les rencontres lors de conférences scientifiques, les plateformes électroniques comme Google Scholar, Academia et ResearchGate sont des outils qui permettent aux chercheurs postdoctoraux de se tenir informés des nouveaux projets de recherche et des nouvelles publications de chercheurs établis (et réciproquement).

  • Démarrer un projet de recherche autonome et original dès le début du stage postdoctoral. Le nouveau projet devrait idéalement être entamé dès le premier jour du stage postdoctoral, bien que cela ne soit pas toujours possible en raison de diverses contraintes (préparation de la soutenance de thèse, démarches administratives à réaliser auprès de l’institution d’accueil, emménagement dans une nouvelle ville, obligation d’enseignement, etc.). Il est important par ailleurs d’être particulièrement prudent à l’égard des invitations à collaborer avec des chercheurs établis sur des projets secondaires et en évaluer les coûts (temps, etc.) et les bénéfices (publications, expérience, etc.). Quoi qu’il en soit, le projet postdoctoral principal devrait commencer au plus tard un mois après l’arrivée sur le lieu du stage.

  • Publier beaucoup et bien. Au terme d’un stage postdoctoral de deux ans, les chercheurs devraient avoir quatre publications à leur actif à titre de seul auteur ou d’auteur principal, dont au moins une dans une publication de « premier ordre » (revue internationale à haut facteur d’impact, livre publié chez un éditeur prestigieux, etc.). En outre, il devrait y avoir un équilibre entre les publications qui découlent des recherches doctorales et postdoctorales.

  • Préparer une demande de subvention à titre de chercheur principal qui soit susceptible d’être financée par les grands organismes subventionnaires. Il faut toujours garder à l’esprit que l’objectif de la plupart des chercheurs postdoctoraux est d’obtenir un poste de professeur. Pour ce faire, ils doivent absolument démontrer leur capacité à mener des recherches originales de manière autonome. Au-delà de la réalisation de recherches novatrices durant le postdoctorat, les chercheurs devraient réfléchir à un programme de recherche s’échelonnant sur trois à cinq ans après la fin du stage postdoctoral. Par conséquent, en fin de stage, je recommande de préparer, voire de soumettre, une demande de subvention à titre de chercheur principal afin de démontrer son ambition à poursuivre ses recherches. À ce titre, les chercheurs postdoctoraux peuvent solliciter leur établissement d’accueil pour obtenir un financement, même modeste, permettant de démarrer cette nouvelle programmation et, surtout, pour convaincre du sérieux de leurs intentions les responsables du recrutement des nouveaux professeurs ou de l’évaluation des demandes de subvention.

En définitive, l’obtention d’un financement postdoctoral est une affaire d’ambition, de réflexion, de stratégie, de professionnalisme et, surtout, de préparation adéquate. Il faut cependant reconnaître que plusieurs facteurs se situant hors du contrôle des candidats influencent l’attribution des bourses postdoctorales (composition du comité d’évaluation, budget disponible, priorités de financement, etc.). De plus, seule une minorité des demandes de bourse postdoctorale est financée chaque année, ce qui signifie que plusieurs bons candidats n’obtiennent pas de financement. Pour ces chercheurs, la persévérance et la débrouillardise sont des qualités essentielles, mais le jeu en vaut la chandelle.