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Les commissions de vérité et de réconciliation (CVR) sont des dispositifs post-conflits instaurés dans les pays qui transitent vers un processus de démocratisation à la suite d’une période plus ou moins longue de violations des droits humains et de crimes de masse. Elles ont été introduites pour la première fois en Amérique latine au début des années 1980. Inscrites désormais dans le registre de la justice transitionnelle, les CVR ont d’abord été instituées sur le principe de l’enquête pour faire oeuvre de vérité sur les faits, dans l’optique de stabiliser les organisations politiques engagées vers la voie de la démocratie, mais aussi pour pacifier et réconcilier les parties dans la mesure où la pénalisation des conflits s’avère limitée, voire impossible, en raison du nombre de personnes touchées.

La CVR sud-africaine, la plus popularisée et médiatisée de toutes, est la première à avoir jumelé au principe de l’enquête celui de la réparation des victimes. Elle a ainsi mis au coeur de son mandat les droits, la réparation et la réhabilitation des victimes. Depuis, les CVR sont étroitement associées au paradigme de la justice réparatrice.

La CVR du Canada est, comme nous le verrons, atypique à plusieurs égards. Elle est la première à avoir été envisagée pour répondre aux séquelles du colonialisme dont les Premières Nations, les Métis et les Inuits ont été victimes. Elle est aussi l’une des rares à ne pas s’être inscrite dans un processus de justice transitionnelle. Elle a cherché à construire une réponse politique aux blessures infligées à 150 000 enfants placés dans les écoles résidentielles durant plus de cent ans et aux 80 000 survivants de cette triste et longue page de l’histoire. Documenter les injustices et le traumatisme intergénérationnel vécus par les victimes directes et indirectes des écoles résidentielles et amorcer le processus de guérison des séquelles du génocide culturel et celui de la réconciliation ont constitué le coeur de sa mission (CVR 2015a).

Dans cet article, nous souhaitons interroger la portée réparatrice et réconciliatrice de la CVR canadienne dans son ensemble, sans spécifiquement isoler la situation qui a prévalu au Québec. Dans un premier temps, nous présentons les fondements et les principes des CVR afin de mieux dégager les spécificités de la CVR du Canada. Dans un deuxième temps, les principes de la justice réparatrice et de la réconciliation seront précisés. Les conditions qui favorisent des effets constructifs pour les acteurs qui participent à des processus associés au modèle de la justice réparatrice seront précisées. L’analyse de la portée réparatrice et réconciliatrice de la CVR du Canada est précédée par une mise en contexte de cette commission, car son analyse, comme nous le verrons, est cruciale pour comprendre ce qui a ou n’a pas été porteur au regard de la justice réparatrice.

Fondements et principes des commissions de vérité et de réconciliation

Les commissions de vérité et de réconciliation se sont imposées comme modèle de justice non judiciaire dans les États qui ont connu un régime répressif, une dictature et des épisodes plus ou moins longs de violation de droits humains, de crimes et de violences de masse. Cette forme de justice, qualifiée de « justice transitionnelle », s’insère habituellement dans un processus de démocratisation (Youssef 2011).

Les premières commissions ont d’abord été instituées en vue d’enquêter et d’établir la vérité sur les faits passés. Une commission de ce type est d’abord créée en Ouganda en 1974 (ibid.). Mais c’est surtout dans le contexte de démocratisation des pays sud-américains que les CVR se modélisent. Trois commissions sont introduites sur le principe de l’enquête : la Bolivie (1982 à 1984), l’Argentine (1983) et l’Uruguay (1985). La commission chilienne de 1989 est la première à ajouter un volet de réconciliation à celui de l’enquête, deux registres qui seront par la suite indissociables (Lefranc 2002).

La CVR sud-africaine, calquée sur le modèle chilien, va servir de référent et de tremplin aux commissions subséquentes qui, désormais, associeront systématiquement un volet de réconciliation à celui de l’enquête sur les faits passés. La CVR sud-africaine constitue une commission type pour plusieurs raisons. Elle est d’abord celle qui va durer le plus longtemps : sept ans (1995 à 2002). Elle est ensuite celle qui, jusqu’à l’institution de la CVR canadienne, va couvrir une très longue période de l’histoire (1960 à 1994, soit trente-quatre ans). Elle est aussi celle qui connaît une large audience, puisqu’elle est ouverte au public et qu’elle est retransmise en direct à la télévision ; deux commissionnaires, Alex Boraine, vice-président, et Paul Van Zyl, secrétaire général, en collaboration avec Priscilla Hayner, spécialiste de l’étude des CVR, fondent en 2000 l’International Center of Transitional Justice (ICTJ) avec l’appui de Human Rights Watch et de diverses fondations américaines libérales. Le but est de diffuser les normes et pratiques de la « justice transitionnelle » et de soutenir la mise en place de commissions de vérité et de réconciliation à travers le monde (Lefranc 2008). La CVR sud-africaine a donc défini un modèle de gestion des relations passées et futures d’États répressifs et totalitaires. Jusqu’en 2004, Brahm (2004) dénombrait vingt-sept CVR à travers le monde, dont dix en Afrique, dix en Amérique latine, quatre en Asie, deux en Europe (Allemagne et Yougoslavie) et une aux Caraïbes (Haiti). Depuis, d’autres commissions ont vu le jour, notamment en Afrique (sept autres commissions sont recensées par Oduro en 2012), en Asie (Corée), en Europe (Roumanie) et en Amérique Centrale (Honduras).

Certains observateurs laissent entendre qu’il n’existe pas un mais bien plusieurs modèles de CVR et que c’est là une des forces du processus, lequel repose précisément sur sa flexibilité et son adaptabilité aux conditions historiques dans lesquelles il prend forme (Leman-Langlois 2008). Toutefois, à partir des travaux de Leman-Langlois (2008), de Lefranc (2002) et de Hayner (2001), des caractéristiques communes aux CVR sont décelables : 1) elles se concentrent sur le passé ; 2) elles enquêtent sur une série d’événements et non sur un événement isolé, couvrant ainsi une période de temps relativement longue ; 3) elles sont temporaires ; 4) elles sont instituées par un État et revêtent ainsi un caractère politique, tant par leur institutionnalisation à travers une structure étatique que par leurs objectifs (par exemple la réconciliation de la nation ou la dénonciation d’atrocités) ; 5) elles visent des actes posés par un gouvernement ou par ses institutions ; 6) elles portent sur des actes de violations de droits humains qui ont été niés, ignorés ou minimisés ; 7) elles touchent un grand nombre de victimes ; 8) elles concernent un grand nombre de responsables et 9) elles sont envisagées comme une alternative à l’approche pénale (approche mise temporairement ou définitivement de côté dans de nombreuses CVR).

À ces caractéristiques communes s’ajoutent des modélisations selon la fonction que remplit une CVR mais aussi selon les acteurs qu’elle cible. Une CVR peut assumer une fonction d’enquête (cas des premières CVR instituées) et une fonction mixte d’enquête et de réconciliation (modèle dominant depuis la fin des années 1980). Cette dualité de fonctions vise à construire un processus de démocratisation en cherchant à agir à la fois sur le passé et, parallèlement, sur le futur (pacification des relations), ce qui confère aux CVR des lieux d’affrontements où « la vérité du passé recoupe les politiques de l’avenir » (Ross 2003 : 19). Quant aux acteurs visés par une CVR, on trouve un premier modèle orienté vers les victimes et un second, vers les oppresseurs.

Pour compléter cette mise en contexte, il est utile de rappeler que les CVR se fondent sur un certain nombre de présupposés. Lefranc (2007) en dénombre trois : a) celui qui consacre la vérité historique comme le vecteur de pacification du rapport d’une société à son passé et de la stabilisation de son organisation politique susceptible de prévenir tout retour de la violence ; b) celui qui établit que le processus (ou principe) de reconnaissance des victimes, la restauration de leur dignité, est un pas vers la guérison des traumatismes et la réhabilitation des victimes ; c) celui enfin qui construit l’exercice ordinaire de la justice pénale comme étant nuisible à la pacification du rapport au passé conflictuel, et donc à la stabilisation du régime démocratique. Une circonstance plus « pragmatique » permet de comprendre la popularité des CVR dans le contexte des violences de masse ou de crimes contre l’humanité. En effet, les crimes de masse, de par leur ampleur, impliquent un grand nombre d’infracteurs mais aussi de victimes. Or, la justice pénale ordinaire peut difficilement les intégrer dans un système conçu pour criminaliser et sanctionner des conduites impliquant un nombre restreint de protagonistes ; les limites du droit pénal sont souvent invoquées pour comprendre l’émergence et la popularité des CVR (Lefranc 2008).

Agissant au départ comme une justice palliative, la CVR s’est imposée comme modèle de justice s’autolégitimant par la place centrale donnée aux victimes afin que celles-ci puissent, au-delà de la quête de vérité objective des faits historiques, restituer leur vérité subjective à travers le dispositif du témoignage. Cette cohabitation entre vérité scientifique et vérité subjective (ibid.) est d’ailleurs une critique formulée à l’endroit des CVR – qui ne peuvent, dans ces circonstances, restituer un récit homogène de l’histoire mais plutôt produire des narrations divergentes susceptibles de s’affronter (Snyder et Vinjamuri 2003). Cette centration sur la victime, jumelée au principe de la réconciliation, a contribué à instituer les CVR comme l’incarnation de la justice réparatrice (Llewellyn et Howse 1999 ; Brahm 2007 ; Leman-Langlois 2008 ; Lefranc 2008 ; Nadeau 2008). L’association des CVR au paradigme de la justice réparatrice est surtout liée à l’usage systématique que le président de la CVR sud-africaine, Desmond Tutu, a fait de ce concept lors des travaux de cette commission (Lefranc 2007).

Justice réparatrice et réconciliation

La justice réparatrice

La justice réparatrice privilégie toute forme d’action, individuelle et collective, visant la réparation des conséquences vécues à l’occasion d’une infraction ou d’un conflit (Jaccoud 2008). Le cadre de cet article ne permet pas d’aborder la complexité de ce modèle de justice qui, pour notre part, constitue un modèle davantage fragmenté qu’unifié (Jaccoud 2007). Nous nous contenterons d’en décrire les paramètres les plus usuels à défaut d’être consensuels. La justice réparatrice substitue la punition des infracteurs par la réparation des conséquences (même si cette substitution n’est souvent que partielle, la justice réparatrice s’étant plutôt insérée en complémentarité avec la justice punitive dans les politiques pénales des sociétés occidentales). Elle favorise une approche participative de la justice, en faisant place aux perspectives de toutes les personnes concernées par le crime. Selon le type d’événement et selon les liens entre les protagonistes, la justice réparatrice peut viser la réparation des conséquences, la résolution des conflits mais aussi la réconciliation entre les parties (Jaccoud 2004). L’un des promoteurs de la justice réparatrice, Howard Zehr (1990), soutient que le caractère transgressif de l’acte est secondaire et qu’il convient de considérer le crime comme une conduite qui affecte les relations entre les personnes et la communauté. On insère souvent la justice réparatrice dans une perspective de transformation des situations et des personnes, la qualifiant aussi de justice transformative (Folger, Baruch Bush et Della Noce 2010). Les experts qui se sont spécialisés dans l’étude des CVR et qui associent ces dernières au paradigme réparateur font d’ailleurs référence au fait que la justice réparatrice « transforme la colère, le ressentiment et la vengeance pour construire ou reconstruire la communauté par le biais de la réconciliation » (Brahm 2007). La réconciliation constitue l’une des avenues possibles de la justice réparatrice, mais non la seule, puisque certains protagonistes ne peuvent l’envisager, soit parce qu’ils ne se connaissaient pas avant le crime, soit parce qu’ils ne souhaitent tout simplement pas se réconcilier, préférant négocier des mesures de réparation. La réconciliation est au coeur des CVR. Il importe de mieux cerner les conditions qui favorisent l’accomplissement ou l’amorce d’une réparation et d’une réconciliation.

Les conditions de concrétisation de la réparation et de la réconciliation

Dans les processus conventionnels de médiation, les études empiriques tendent à montrer que les effets réparateurs sont bien tangibles pour les victimes. Les sources de réparation pour les victimes sont, entre autres, liées au fait de pouvoir exprimer leur ressenti, de communiquer à l’agresseur les conséquences vécues, d’être reconnues et entendues dans leur statut de victimes, de pouvoir poser des questions à l’agresseur, d’avoir accès à ce qui s’est réellement passé, d’obtenir des informations sur les procédures, de prendre une place dans le processus de dialogue, d’obtenir des réparations symboliques (excuses) et matérielles (Umbreit, Coates et Kalanj 1994 ; Stubbs 2007 ; Dhami 2012 ; Strang et al. 2013). Dans les cas de lourdes victimisations, la plupart des victimes estiment que leur participation à des processus réparateurs a contribué à fermer la boucle ou tout au moins à entamer le processus de guérison, ce que les anglo-saxons désignent par le terme difficilement traduisible de emotional closure. Des travaux plus récents (Shapland, Robinson et Sorsby 2011) soulignent à quel point le processus est aussi, si ne n’est plus, important que ses finalités. L’espace de dialogue semble, en soi, aussi porteur de réparation que la concrétisation de modes de réparation négociés. Quant à la réconciliation, rares sont les initiatives de médiation expressément tournées vers un objectif de réconciliation. On comprend aisément que, dans des processus volontaires qui visent notamment à redonner du pouvoir aux protagonistes (en particulier les victimes), la réconciliation, l’excuse ou le pardon sont des finalités qui doivent demeurer personnelles et non pas configurées par une institution. Le cas des CVR est donc particulier à cet égard puisque ces commissions se donnent précisément pour objectif la réconciliation entre les protagonistes. Cela dit, pour qu’une réconciliation puisse se concrétiser, il faut notamment que les violences et les séquelles soient reconnues par les acteurs concernés (victimes et agresseurs), que les remords, les regrets, les excuses ou le pardon soient exprimés avec sincérité, avec, le plus souvent, la conviction que de tels gestes ne se reproduiront pas. Kinsberg (in Fischer 2001) identifie cinq fondements à la réconciliation : la reconnaissance (1) ; l’acceptation (2) ; l’excuse (3) ; la réparation (4) et le pardon (5). Akhavan (1998) soutient que l’établissement de la vérité sur des faits reste insuffisante à la réconciliation nationale si l’enregistrement des faits n’est ni reconnu ni internalisé par les protagonistes. Dans un contexte de justice transitionnelle, la justice réparatrice requiert la mise en place de processus fondés sur la participation, l’empowerment, la réintégration, mais aussi la transformation des relations sociales (Clamp 2014 ; Parmentier 2003).

La CVR canadienne

Contexte de la mise en place de la CVR

Deux actes fondateurs sont à l’origine de la CVR du Canada : 1) en 1990, Phil Fontaine, alors chef de l’Assemblée des Premières Nations, déclare publiquement, au cours d’une série d’entretiens accordés aux médias, avoir été victime d’abus physiques et sexuels lorsqu’il était pensionnaire (Stanton 2011 ; http://www.cbc.ca/player/Digital+Archives/ CBC+Programs/Television/The+Journal/ID/1780909681/) ; quatre ans plus tard, l’Assemblée des Premières Nations publie treize témoignages de victimes des écoles résidentielles (Assembly of First Nations 1994) ; 2) parallèlement, une commission royale d’enquête sur les peuples autochtones est instituée le 26 août 1991 à la suite de la crise sans précédent qui s’est déroulée à Oka durant l’été 1990. Dans son rapport final, un chapitre entier (chapitre 10) est consacré aux séquelles des pensionnats indiens (Canada 1996) La Commission royale recommande d’entamer un processus de réconciliation et de guérison. Elle suggère qu’en vertu de la Loi sur les enquêtes le gouvernement du Canada établisse une commission pour « éclaircir et commencer à redresser les graves torts subis par de nombreux enfants, familles et collectivités autochtones à cause des pensionnats ». Elle recommande, entre autres choses, que

les gouvernements et les Églises responsables prennent les correctifs jugés nécessaires par la commission d’enquête afin d’atténuer les difficultés créées par l’expérience du pensionnat, y compris, selon les cas, les excuses des personnes, le dédommagement des collectivités en vue de leur permettre de concevoir et d’administrer des programmes qui contribueront à enclencher le processus de guérison et à assainir la vie communautaire

ainsi que « le financement des traitements que voudront suivre les personnes touchées ainsi que leur famille ». Le germe de la CVR canadienne est semé.

Cette recommandation amène le gouvernement canadien à adopter le 7 janvier 1998 la déclaration de réconciliation, une déclaration qui sera prononcée par Jane Stewart, ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien à l’occasion du lancement de Rassembler nos forces : le plan d’action du Canada pour les questions autochtones (AADNC 1998). Dans cette déclaration, le gouvernement pose essentiellement trois gestes : la reconnaissance de sa responsabilité, l’expression de regrets à tous les peuples autochtones du Canada et une proposition de cadre de relations fondé sur la réparation et la réconciliation. Dans sa déclaration, la ministre Stewart annonce la création d’un fonds de guérison de 350 millions de dollars (Fondation autochtone de guérison) pour administrer ce plan d’action[1].

Entre-temps, des poursuites sont intentées par des associations autochtones, notamment l’Assemblée des Premières Nations, pour allégations de violences physiques, sexuelles, psychologiques, morales et culturelles.. En 2002, un recours collectif de près de 15 000 anciens pensionnaires autochtones est déposé (recours Baxter), réclamant près de 12 milliards de dollars de réparation en dommages (Bonner et James 2011). En 2005, près de 18 000 procès sont intentés contre le gouvernement fédéral et les Églises (CVR 2015a : 133). Le 5 mai 2005, Phil Fontaine réunit une équipe pour négocier un règlement avec le Canada (Fondation de guérison autochtone 2008). La Convention de règlement relative aux pensionnats indiens est conclue le 8 mai 2006 et met fin au recours collectif (James 2012 ; Regan 2010). Elle prévoit une indemnisation de 1,9 milliard de dollars en paiement, distinguant les expériences communes et les expériences individuelles. Dans le cadre des expériences communes, sous réserve d’une vérification, chaque ancien élève admissible qui en fera la demande recevra 10 000 $ pour la première année ou pour une partie d’une année de fréquentation, de même que 3000 $ de plus pour chaque année de fréquentation au-delà de la première année. Dans celui des expériences individuelles, une indemnisation entre 5000 et 275 000 dollars est proposée pour les sévices physiques et sexuels graves. En contrepartie de ces compensations, les survivants des pensionnats indiens renoncent à entamer des poursuites contre le gouvernement ou l’Église (Convention de règlement relative aux pensionnats indiens 2006). L’entente prévoit la mise en place d’une CVR (annexe N de la Convention) fondée sur le principe de la vérité, de la guérison et de la réconciliation et axée sur les victimes (p. 1). La CVR est officiellement instituée le 1er juin 2008 et son mandat est fixé à cinq ans. Son travail est toutefois retardé par la démission de trois commissaires, dont le président, qui motivera sa décision en invoquant qu’une ingérence politique menaçait l’indépendance de la Commission (CVR 2012). En 2009, trois commissaires sont nommés en remplacement des démissionnaires, dont le juge Murray Sinclair, nommé président de la CVR. Les travaux de la Commission se poursuivent et prennent fin en 2015 avec, notamment, la publication des conclusions de la Commission dans le cadre d’une cérémonie de clôture qui se déroule à Ottawa du 31 mai au 3 juin.

Les spécificités de la CVR canadienne

L’annexe N de la Convention de règlement définit les objectifs de la CVR canadienne (Convention de règlement relative aux pensionnats indiens 2006). L’analyse de ces objectifs et celle des pouvoirs dévolus à la CVR canadienne permet de mettre en évidence ses caractéristiques. La CVR se consacre à la quête de vérité par l’invitation qui lui est faite de documenter les expériences, les séquelles et les conséquences liées aux pensionnats et, ce faisant, de « créer un dossier historique le plus complet possible » (ibid. : 1). Elle définit l’orientation de la CVR en précisant que le processus est axé sur les victimes (ibid.). À la dimension vérité est greffée celle de la réconciliation, laquelle est présentée comme étant un « processus individuel et collectif de longue haleine » qui nécessite « l’engagement de tous les intéressés – anciens pensionnaires des Premières Nations, inuits et métis (sic) et leurs familles, collectivités, organismes religieux, anciens employés des écoles, gouvernement et la population canadienne. La réconciliation peut se produire entre n’importe lequel des groupes ci-dessus » (ibid.). Sans préciser outre mesure ni le sens ni les modalités de la réconciliation, la Convention de règlement inscrit la sensibilisation et l’éducation du public canadien sur le système des pensionnats, et ses répercussions, comme l’un des mandats auxquels les commissaires doivent s’attarder. Aussi peut-on comprendre que la CVR canadienne est un modèle mixte (vérité et réconciliation), orienté vers les victimes et non vers les responsables. Les indices de cette orientation sont formulés dans le mandat des commissaires qui ne détiennent aucun pouvoir d’enquête et d’assignation des témoins, ne peuvent ni consigner les informations nominatives dans les témoignages, ni transmettre des renseignements personnels ou signalétiques en vue d’une autre procédure (Convention de règlement relative aux pensionnats 2006). Autrement dit, alors que la Commission royale sur les peuples autochtones recommandait la mise en place d’une véritable commission d’enquête, la CVR s’est vue dépossédée de tels pouvoirs. La renonciation conditionnelle et préalable à laquelle les survivants sont engagés (dans la Convention de règlement) en contrepartie de la mise en place de la CVR souligne que cette commission est un modèle de justice alternative et non complémentaire aux poursuites pénales. À l’instar des autres CVR dans le monde, la CVR concerne un grand nombre de victimes. Ce sont aux 150 000 enfants placés dans 125 écoles résidentielles et aux 80 000 survivants que la CVR destine son action (CVR 2012). À ces caractéristiques s’ajoutent un certain nombre de particularités. La CVR canadienne est l’une des rares à ne pas s’inscrire dans un processus de justice transitionnelle (Leman-Langlois 2008 ; Androff 2012), même si certains observateurs considèrent que le Canada, même démocratique et pacifié, a le devoir de transiter vers une décolonisation de ses relations (incluant ses institutions) avec les peuples autochtones (Nagy 2013 ; Bonner et James 2011 ; Alfred 2009). Elle couvre la période historique la plus importante de toutes les CVR établies à travers le monde puisqu’elle s’est attardée à révéler la vérité sur des événements qui se sont déroulés sur près d’un siècle. Elle est aussi la première à avoir investigué les séquelles du colonialisme (Androff 2012) et à avoir été instaurée pour confronter la violation de droits humains s’insérant dans un registre de génocide culturel. Elle est aussi unique en ce qu’elle est la première à s’être penchée sur des actes de violences commis sur des enfants et à provenir d’un litige civil et non d’une reconnaissance (même partielle) de faits historiques (Niezen et Gadoua 2013).

La portée réparatrice et réconciliatrice de la CVR canadienne

La portée réparatrice et réconciliatrice de la Commission de vérité et réconciliation du Canada ne peut être appréciée sans un examen attentif des mécanismes et des activités que cette commission a mobilisés. Dans son rapport final (CVR 2015a), les commissaires précisent qu’ils ont organisé sept événements nationaux, des activités communautaires, des cérémonies de commémoration, des cercles de partage et des audiences (publiques et privées). Un formulaire mis en ligne sur le site de la Commission laissait la possibilité aux survivants d’enregistrer leur témoignage. La CVR aurait reçu 6750 témoignages de survivants. Des entretiens individuels ont été conduits avec d’anciens employés (ou leurs enfants) des écoles résidentielles. Quatre-vingt-seize témoignages individuels de ce type ont été enregistrés. La Commission estime que 155 000 personnes ont assisté aux événements nationaux, auxquels se sont joints 9000 survivants des pensionnats, dûment enregistrés. La Commission invitait les non-autochtones à poser des gestes de réconciliation durant les diverses activités. Selon elle, cent quatre-vingts gestes de ce type ont été posés à ces occasions. Les commissaires, en sillonnant le pays d’est en ouest, ont tenu 238 jours d’audiences dans 77 communautés à travers tout le pays (CVR 2015a : 37).

Trois limites importantes entravent l’appréciation réelle de la portée réparatrice et réconciliatrice de la CVR canadienne. La première, provisoire certes, tient au simple fait que nous manquons cruellement de recul, les travaux de la Commission venant tout juste de s’achever. Les deuxième et troisième limites sont épistémologiques. Quelques comptes rendus de recherche ont été publiés à partir de l’observation d’activités de la Commission et d’entretiens réalisés avec des participants autochtones qui ont témoigné devant la Commission (voir notamment Gadoua 2010 ; Nagy 2013 ; Niezen et Gadoua 2013 ; Niezen 2013 ; Reynaud 2014) ainsi que d’extraits de témoignages consignés dans les rapports de la CVR (2012, 2015a, 2015b). Ces travaux ont examiné des questions différentes et ont porté sur des événements circonscrits et nécessairement partiels. Il s’avère impossible dans ces circonstances de reconstruire, a postériori, un objet qui se centre sur le thème de notre réflexion (la portée réparatrice et réconciliatrice de la CVR) à partir d’un matériel empirique constitué à d’autres fins (deuxième limite). La troisième limite concerne notre capacité à isoler la portée réparatrice et réconciliatrice de la CVR alors que le processus (minimalement de réparation) précède largement la mise en place des travaux de la Commission. En effet, si tant est qu’il faille concevoir l’expression des expériences traumatiques comme un processus embryonnaire de guérison et de réparation, les narrations traumatiques avaient déjà trouvé leur espace d’expression dans les travaux de la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones (1991-1996) ; des gestes symboliques et concrets de reconnaissance de responsabilité et de réparation avaient été posés : excuses formelles des congrégations religieuses (dès 1986)[2] à partir de la fin des années 1980, Déclaration de réconciliation (1998), Convention de règlement (2006), excuses solennelles du premier ministre Harper (11 juin 2008). Ces limites nous invitent à recadrer notre propos comme une réflexion qui introduit moins la question de la portée que celle des potentialités réparatrices et réconciliatrices de la CVR canadienne.

Les potentialités réparatrices et réconciliatrices de la CVR canadienne rencontrent un certain nombre d’écueils. La CVR a représenté une avenue qui, à l’instar des autres CVR, n’est pas un idéal de justice mais une justice plutôt palliative. Le fait que la CVR canadienne a été instituée dans un État pacifié et démocratique, contrairement aux autres CVR, n’empêche pas que l’on puisse considérer cette commission, au même titre que les autres, comme une justice qui cherche à se substituer aux dispositifs défaillants de l’État. Rappelons que les autochtones ont mobilisé le système de droit de l’État canadien pour tenter d’incriminer les auteurs des abus physiques et sexuels ou d’obtenir des réparations financières. Le nombre de condamnations pénales est demeuré dérisoire. La Commission est parvenue à identifier à peine quarante condamnations d’anciens membres du personnel sur un total de 38 000 plaintes d’abus physiques et sexuels (CVR 2015a : 110 et 173). Quant aux recours collectifs, ils ont été, comme nous l’avons évoqué, annulés par la Convention de règlement. Ainsi, la CVR, même si elle était envisagée par la Commission royale sur les peuples autochtones comme une voie constructive de réparation, de guérison et de réconciliation, se trouve minée par les barrières systémiques auxquelles se sont butés les plaignants autochtones. Car elle fait figure de voie de contournement ou de dernier recours pour les injustices que le système de droit canadien perpétue. L’autre point sensible et questionnable de la Commission est la centration sur l’approche orientée vers les victimes ainsi que la délimitation des pouvoirs qui lui sont dévolus. Le processus de réconciliation reste difficilement atteignable si un dialogue direct (ou indirect) ne s’instaure pas entre les responsables du génocide culturel et les victimes. Les commissaires reconnaissent que la réconciliation ne pouvait pas en soi être un but à atteindre dans le cadre de leurs travaux et que ces derniers ont plutôt constitué un « catalyseur » à la prise de conscience du sens à donner à la réconciliation (CVR 2015a : 9).

Il est vrai que le laps de temps qui s’est écoulé entre la perpétration des actes subis dans les pensionnats et la mise en place de la Commission rend la création de ce dialogue moins réalisable. De nombreuses victimes et de nombreux responsables étaient décédés au moment de la création de la Commission. En dépit de cette réalité temporelle, les échanges directs entre les anciens membres du personnel de la CVR et les survivants autochtones ont été peu fréquents, ce qui, aux yeux de la Commission, rend compte du fait que « l’heure de la réconciliation n’était pas encore venue » (CVR 2015a : 18). La Commission a donc recueilli les témoignages respectifs d’acteurs polarisés dans une équation qui était loin d’être équilibrée. Rappelons que la Commission a recueilli 6750 témoignages de victimes et 96 d’anciens membres du personnel des écoles résidentielles. L’espace concret de réconciliation par le biais du dialogue est demeuré pratiquement absent ou à tout le moins médiatisé par la collecte de narratifs qui n’ont pu se confronter pour mieux se reconstruire sur les bases d’une éventuelle libération. Cette médiatisation a très certainement atténué les potentialités concrètes de guérison et de réconciliation car elle crée une relation asymétrique peu compatible avec une démarche de réconciliation, voire, pour reprendre les termes de Niezen et Gadoua (2013), contradictoire.

Ces considérations nous amènent à nous questionner sur la responsabilisation des acteurs concernés dans ce génocide culturel. Selon Bonner et James (2011), le gouvernement canadien a porté seul la responsabilité légale et donc morale des gestes en offrant des compensations. Les congrégations religieuses n’ont pas pris part à cette responsabilité. Bonner et James (2011) ajoutent que la Commission a négligé l’identification du rôle joué par d’autres responsables, notamment les bureaucrates du ministère des Affaires indiennes, le ministère de la Santé, les professionnels de la santé ou encore la GRC. En plus de cette vérité partiale sur les responsabilisations, la reconnaissance de sa responsabilité par le gouvernement canadien doit être relativisée à cause de son manque de collaboration avec les commissaires de la CVR dans la remise des documents d’archives et l’accès aux banques de données : la Commission a dû entamer une procédure judiciaire pour contraindre le gouvernement canadien à remettre les documents archivés (CVR 2015a : 31). Cette attitude conforte le scepticisme de certains autochtones sur la légitimité d’une CVR provenant de la source même qui a perpétré l’injustice originelle (Androff 2012). Ajoutons que le rapport asymétrique entre responsables et victimes est renforcé par la transmission intergénérationnelle inégale du trauma et des responsabilités qui lui incombent. Le traumatisme des victimes des écoles résidentielles s’est transmis aux générations suivantes, fabriquant de nouvelles victimes, alors que la transmission intergénérationnelle de la responsabilité de ce trauma semble plus évanescente. La décision prise par le gouvernement Harper de fermer le Fonds de guérison au cours des travaux de la CVR (en 2009) renforce l’interrogation sur le réel engagement du gouvernement à assumer sa pleine responsabilité dans la reconstruction de relations entre les autochtones et le gouvernement et dans son soutien au processus de guérison. Au moment de sa fermeture, le Fonds de guérison autochtone soutenait 310 projets de guérison communautaire au Canada, touchant 1500 communautés et plus de 60 000 participants (Nagy 2013).

Le sens que l’on doit attribuer au concept de réconciliation ainsi que les moyens d’y parvenir ne font pas consensus parmi les experts, tant autochtones que non autochtones. Si la plupart d’entre eux, y compris les commissaires de la CVR, s’entendent sur le principe que la CVR ne constitue pas en soi l’aboutissement de la réconciliation mais bien une première étape, diverses perspectives s’affrontent sur le sens et la portée de la réconciliation. L’une des perspectives, que la CVR a privilégiée, est celle qui consiste à entrevoir la réconciliation comme une reconnaissance de peuple à peuple, de coexistence pacifique qui nécessite le respect mutuel, d’une relation fondée sur le dialogue et l’équité (CVR 2015a). Cette perspective est critiquée avec véhémence parce qu’elle réduit la réconciliation à un principe de compréhension interpersonnelle, de pardon et de guérison (James 2012). La prédominance d’un narratif sur le trauma que la CVR a encouragée, construit un sujet victimaire individualisé (Chrisjohn et Young 2006). Or, certains experts estiment que le narratif victimaire doit s’inscrire dans une stratégie de décolonisation qui resitue les récits dans le cadre de la violence structurelle (Regan 2010). Les commissaires de la CVR ont beau avoir insisté sur l’importance d’adopter une vision non restrictive de la réconciliation en affirmant que la réconciliation ne devait pas uniquement se restreindre au contexte des écoles résidentielles mais inclure les relations qui concernent les politiques, les législations et les pratiques assimilationnistes et génocidaires tournées vers l’assimilation (CVR 2015a), le recadrage de la réconciliation dans un processus de décolonisation s’avère incontournable aux yeux de certains (voir, entre autres, Nagy 2013). À cet égard, c’est à une inversion du mécanisme de réconciliation que nous convie Nagy. La réconciliation ne devrait pas être envisagée comme le moyen de tendre vers une décolonisation des rapports entre l’État et les premiers peuples ; c’est au contraire la décolonisation de la structure sociétaire canadienne qui permettra d’aboutir à la réconciliation. Selon Alfred (2009), la CVR canadienne a endossé un discours pacificateur de la réconciliation qui ne fait que perpétuer le colonialisme et dont il faut s’éloigner, car, sinon, le risque encouru est de se réconcilier avec celui-ci (Alfred 2009 : 181). Alfred pose la restitution des territoires autochtones comme une condition préalable à la réconciliation. Estimant qu’il est futile de transformer la société coloniale à partir d’institutions colonisatrices, il appelle à la transformation radicale des institutions qui ont généré le racisme et l’exploitation coloniale (ibid. : 184). Pour Regan (2010), le discours pacificateur de la réconciliation conforte la vérité des colonisateurs dans un sentiment « de bien-être à se sentir mal » (ibid. : 46-47), l’expression de tels sentiments restant insuffisante si le processus de guérison n’intègre pas la redistribution des territoires. Le processus de réconciliation reflète, selon Green (2012), une conceptualisation eurocentrée de la thérapie et de la justice. La guérison autochtone n’est pas une thérapeutique du soin entre patient et thérapeute mais nécessite une reconnexion au territoire et aux traditions.

Si l’on devait rejeter les critiques formulées par les auteurs à l’égard du concept de réconciliation et considérer que les activités de la CVR canadienne ont, en elles-mêmes, favorisé, même partiellement, l’amorce d’un processus de réconciliation et de guérison, sur un plan strictement comptable, ces activités ont touché relativement peu de personnes en proportion du nombre estimé de survivants (80 000), mais aussi en proportion du nombre de personnes autochtones et non autochtones dans la population en général. Les données fournies par la CVR (CVR 2015a : 29-30) indiquent que 9000 survivants ont pris part aux événements et que 6750 témoignages de survivants ont été enregistrés, ce qui, proportionnellement, ne représente qu’une infime partie de l’ensemble des survivants du génocide culturel (respectivement 11,2 % et 8,5 % de l’ensemble des survivants). Les manifestations de réconciliation ont été estimées à 180 (CVR 2015a : 37). Cette analyse comptable ne doit certes pas occulter l’effet multiplicateur des travaux de la Commission. Ces travaux ont été couverts par les médias (la couverture médiatique restant toutefois minime en début de parcours) et ont donné lieu à la constitution d’une banque permanente de données considérable dont l’effet potentiel est réel si celle-ci agit sur la stabilisation d’une mémoire collective et sur la conscientisation des non-autochtones aux blessures historiques et actuelles que le colonialisme a générées parmi les premiers peuples. Le devoir d’information est certes crucial mais il n’est pas une garantie de transformation des relations entre peuples autochtones et gouvernement, d’autant plus que le contentieux entourant la préservation des données au Centre national pour la vérité et la réconciliation à l’Université du Manitoba n’est pas réglé[3].

conclusion

La vérité, la guérison et la réconciliation forment les trois principes fédérateurs des travaux de la Commission de vérité et réconciliation du Canada. À l’instar des commissions de ce type qui ont été établies dans divers pays du globe, la CVR canadienne s’inscrit résolument dans un paradigme de justice réparatrice. S’inscrire dans un tel paradigme ne signifie pas, bien entendu, que la CVR soit parvenue à l’actualiser. Nous avons évoqué qu’il était plus judicieux de discuter des potentialités réparatrices de cette commission plutôt que d’en analyser la portée, notamment en raison du manque de recul envers une commission qui vient d’achever sa mission, mais aussi en raison de l’impossibilité d’en isoler les effets. La Commission s’inscrit dans une historicité où les démarches de guérison, de réparation et de réconciliation sont amorcées en amont de sa mise en oeuvre. La révélation des faits historiques sur les séquelles de l’assimilation forcée des enfants et sur les séquelles de la colonisation est l’une des lignes de force des travaux de la Commission. En dépit du contentieux qui subsiste sur la préservation des documents narratifs des survivants, la vérité sur les séquelles de la colonisation et sur les sévices vécus par les autochtones dans le système des pensionnats ainsi que la connaissance des conséquences du traumatisme intergénérationnel sont une étape incontournable du processus réparateur. Les commissaires ont cependant souligné à quel point cette étape n’était pas une finalité et le fait qu’elle devait s’inscrire dans un processus continu de reconstruction des relations entre autochtones et non-autochtones. À ce constat s’ajoutent les obstacles aux potentialités réparatrices et réconciliatrices de la CVR que les commissaires reconnaissent dans leur rapport final (CVR 2015a). Le laps de temps qui s’est écoulé entre les faits historiques et l’institution de la CVR a réduit considérablement la possibilité de réunir les victimes et les responsables – dont un grand nombre sont décédés. Le choix d’orienter les travaux vers les victimes ainsi que celui de privilégier le recueil de témoignages ont limité les possibilités de créer des espaces de dialogue entre victimes et responsables. Or, la réparation et la réconciliation sont positivement conditionnées par la possibilité concrète qu’ont les protagonistes de pouvoir échanger directement sur l’événement traumatique. En plus du déséquilibre entre le poids des témoignages des victimes et celui des responsables, l’attitude des parties responsables (notamment le gouvernement et les forces policières) laisse planer un sérieux doute sur le réel et sincère engagement de ces parties à assumer leur responsabilité pleine et entière et à soutenir le processus de guérison. Comme nous l’avons évoqué, la fermeture du Fonds de guérison autochtone et les entraves que le gouvernement a érigées dans la remise des documents d’archives à la Commission ont altéré le processus de réconciliation. À l’instar des conclusions émises par la Commission royale d’enquête sur les peuples autochtones et des observations que certains experts ont proposées sur les CVR à travers le monde, les commissaires de la CVR canadienne estiment que les conditions d’une véritable réparation et réconciliation passent par des réformes globales et systémiques. D’ailleurs, même si le mandat initial de la CVR était confiné à l’histoire des séquelles associées aux pensionnats indiens, les commissaires n’ont pas manqué de souligner l’importance d’élargir ce mandat et d’ancrer ces principes dans un processus de transformations sociales, politiques et économiques.