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Introduction

Dans son mémoire de maîtrise publié en 1979, Pierre Bourbonnais apportait une pierre nouvelle à l’édifice du droit commercial, en rédigeant un travail consacré à l’action en concurrence déloyale en droit canadien et en droit québécois. Jusque-là, les écrits étaient rares et partiels sur le sujet[1]. Aujourd’hui encore, les ouvrages de droit consacrés à la responsabilité civile ne comportent pas de paragraphe réservé à cette action pourtant fondée sur l’article 1457 du Code civil du Québec[2]. D’où vient cette absence? Peut-être d’une difficulté du droit civil québécois à appréhender cette action dérivée originellement de la common law canadienne, mais dont les racines civilistes françaises ne peuvent être niées dans les contrées francophones en Amérique du Nord? De plus, la présence du droit fédéral à travers la Loi sur les marques de commerce (ci-après « L.m.c. »)[3] ajoute un peu plus à la difficulté théorique pour le droit civil de s’approprier cette action singulière. Jusqu’en 2014, l’alinéa 7 e) L.m.c. offrait un recours général en concurrence déloyale. Cet alinéa faisait dire à Pierre Bourbonnais : « L’article 7 (e) de la Loi sur les marques de commerce ne constitue-t-il pas finalement la formulation, en matière de relation commerciale, de notre droit de la responsabilité civile consacré par l’article 1053 [du Code civil du Bas Canada ou] C.c.B.C.[4]? »[5] L’auteur rappelle alors qu’il sera utile pour le droit civil québécois de renouer « avec un droit qui s’est merveilleusement développé en France[6] ». Depuis 2014, l’alinéa 7 e) a été abrogé pour des raisons constitutionnelles[7]. En effet, le législateur a finalement pris acte de la position de la Cour suprême du Canada. Celle-ci avait considéré plusieurs années auparavant que cet article empiétait manifestement sur la compétence des provinces en matière de propriété et des droits civils[8]. Il reste aujourd’hui certaines fautes de concurrence déloyale spécialement prévues par la L.m.c. Cette disposition est redondante par rapport à la conception classique de la concurrence déloyale en droit civil. On constate alors un glissement du droit fédéral vers les préceptes civilistes, bien loin du concept unique d’action pour commercialisation trompeuse ou tromperie commerciale (passing-off) de la common law.

En droit de la concurrence, les initiés savent que les recours de nature civile sont difficiles à installer dans le paysage juridique fédéral. Citons à ce titre la difficulté du droit fédéral de la concurrence à instaurer des dispositions civiles pendant tout le xxe siècle, condamné à rester une discipline dérivée du droit criminel[9]. L’article 36 de la Loi sur la concurrence[10] (ci-après « L.c. »), prévoyant un recours en réparation spécifique pour les victimes d’infractions à cette loi, a finalement été reconnu compatible avec la Loi constitutionnelle de 1867[11]. Plus tard, durant les années 2000, le législateur ouvrira la voie à un recours privé strictement injonctif devant le Tribunal de la concurrence[12]. Cependant, la jurisprudence exprime une tendance, depuis la fin des années 80, à qualifier toute action touchant à la concurrence d’« action en concurrence déloyale ». C’est là toutefois une erreur sémantique qu’il convient de corriger par une réhabilitation de l’identité purement civiliste du recours en concurrence déloyale tel qu’il ressort de l’article 1457 C.c.Q.

Ces éléments théoriques nous amènent ainsi à nous interroger sur la nature de l’action en concurrence déloyale au Québec pour comprendre quel comportement commercial elle sanctionne et comment les praticiens peuvent s’y retrouver et utiliser efficacement ces différentes formes d’action en concurrence déloyale. La relative dispersion des fondements de l’action en concurrence déloyale affaiblit, à notre avis, sa compréhension et sa portée pratique. Elle constitue pourtant une protection judiciaire non négligeable en vue d’assainir les pratiques commerciales.

Notre étude propose, dans la suite de notre ouvrage sur la concurrence déloyale publiée en 2015[13], de clarifier les fondements de l’action en concurrence déloyale pour délimiter le contour de l’action provinciale et celui des actions fédérales, ces dernières comprenant l’action des articles 7 et 53.2 L.m.c. et de l’article 36 L.c. Ces éléments n’ont pas été abordés en l’état dans notre ouvrage de 2015 mais simplement soulevés. Rappelons que notre publication se voulait d’abord une étude synthétique sur l’action en concurrence déloyale au Québec. Aussi le lecteur pourra-t-il trouver dans la présente étude des éléments du chapitre premier de notre ouvrage, dont l’objet est de poser les éléments notionnels élémentaires à la compréhension des développements de notre article.

L’objectif de notre étude est double ici. Nous voulons d’abord renforcer la compréhension théorique du droit de la concurrence en distinguant la concurrence interdite issue de la L.c. de la concurrence déloyale. Ensuite, nous tenterons de tirer les enseignements pratiques de ces distinctions et de rétablir une terminologie précise que pourront employer les tribunaux du Québec. Pour répondre à ces deux objectifs, nous ferons, en premier lieu, une analyse historique de l’article 7 L.m.c. qui, à notre connaissance, n’a jamais été entreprise au Québec et au Canada, afin de déterminer l’origine de chacun des recours indemnitaires étudiés (partie I). En second lieu, nous proposerons des critères précis et originaux de distinction des différents recours indemnitaires en matière de concurrence (partie II). Notre article consistera donc en une recherche complémentaire sur des aspects entraperçus dans notre ouvrage. Il s’inscrira aussi dans la lignée de nos études doctorales qui portaient notamment sur l’effectivité du recours en réparation des victimes de pratiques anticoncurrentielles. Cependant, notre thèse ne traitait pas de ces problématiques et se concentrait plutôt sur les questions liées à l’indemnisation des personnes ayant subi des préjudices concurrentiels dans une approche comparative entre la France et le Canada. Nous avons donc souhaité, dans les lignes qui suivent, continuer l’exploration des recours indemnitaires en droit de la concurrence dans le contexte du droit civil québécois.

Nous présenterons d’abord les différentes formes d’actions indemnitaires en droit de la concurrence (partie I), puis les critères de distinction de ces différentes actions indemnitaires, afin de comprendre en pratique laquelle doit s’appliquer selon la faute reprochée au commerçant (partie II).

I. Les différentes actions indemnitaires en matière de concurrence

Les droits québécois et canadien proposent trois actions indemnitaires permettant de lutter contre un acte contraire à la concurrence. En droit québécois, il existe une action que nous qualifions de « complète » en concurrence déloyale, soit celle qui est issue de l’article 1457 C.c.Q. (A). L’autre action en concurrence déloyale provient du droit canadien, et nous la qualifions de « partielle ». Elle est prévue par l’article 7 L.m.c. (B). Vient enfin l’action dite « spéciale » de l’article 36 L.c. qui, dans un sens strict, n’est pas une action en concurrence déloyale, ainsi que nous le décrirons dans la deuxième partie de notre étude (C). Comme nous la qualifions de spéciale, nous souhaitons mettre l’accent sur le fait que c’est une action différente des deux autres recours présentés.

A. L’action « complète » en concurrence déloyale : l’article 1457 du Code civil du Québec

En droit québécois, comme en droit français, l’action en concurrence déloyale est historiquement née d’une application jurisprudentielle de la responsabilité civile délictuelle[14]. Au Québec, les décisions rendues par les tribunaux en matière de concurrence déloyale l’ont donc été d’abord sous l’empire de l’article 1053 C.c.B.C. puis de l’article 1457 C.c.Q. Il est nécessaire, pour engager une action en concurrence déloyale, d’avoir recours à la notion de faute. On trouve bien sûr la trilogie civiliste de la faute, du préjudice et du lien de causalité. À première vue, rien de particulier ne distingue l’action en concurrence déloyale d’une action classique en responsabilité civile extracontractuelle. Pourtant, la doctrine française a élaboré au milieu du siècle dernier une théorie de l’action en concurrence déloyale qui s’applique également au Québec[15]. En effet, la doctrine québécoise se range sans réserve derrière la théorie française pour faire application de l’action en concurrence déloyale dans un contexte civiliste et francophone[16]. Le doyen Paul Roubier, juriste français, est le père de l’action en concurrence déloyale dans sa conception moderne. Dans un article publié en 1948[17], il livre une analyse théorique synthétique et pertinente pour analyser la jurisprudence rendue en France dans ce domaine. Il propose ainsi de retenir trois types de fautes de concurrence déloyale : la confusion ou commercialisation trompeuse, le dénigrement et la désorganisation de l’entreprise rivale ou du marché en général. Aujourd’hui encore, cette typologie est appliquée au Québec.

La confusion entre les produits est aussi appelée « délit de commercialisation trompeuse ». Elle consiste, pour l’entreprise qui commet cette faute, à faire passer ses produits ou ses services pour ceux d’un autre. Le consommateur croit alors se procurer un bien ou un service d’une entreprise concurrente. Cela devient problématique si le bien ou le service en question se révèle moins efficace que celui du compétiteur copié. Il en résultera une déception du public qui pourrait nuire au concurrent copié[18].

Le dénigrement a pour objet de « discréditer une maison rivale aux yeux du public en attaquant sa réputation ou en dépréciant les produits qu’elle fabrique ou vend. Ces actes s’apparentent à ceux donnant ouverture à l’action en diffamation[19] ».

Enfin, la manoeuvre de désorganisation d’une entreprise rivale est « une conduite qui s’attaque aux oeuvres vives d’une maison rivale, aux secrets de sa fabrication et de ses affaires, à la fidélité et à la loyauté de son personnel, à l’organisation de sa publicité, à la transmission régulière de ses commandes[20] ».

Plus récemment, un quatrième type de faute a fait son entrée en droit québécois, soit la concurrence parasitaire. La Cour d’appel, dans sa décision Groupe Pages jaunes Cie c. 4143868 Canada inc. de 2011[21], a reconnu la validité de cette faute en droit québécois. Elle rejoint ainsi le droit français qui avait de longue date admis cette faute particulière de concurrence déloyale. Arnaud Lecourt propose la définition suivante du parasitisme économique :

Il consiste à exploiter la notoriété des signes distincts ou de la publicité ou des investissements créés par un opérateur économique relevant d’une autre branche d’activité. L’agent économique ne cherche pas à créer une confusion et, s’il existe tout de même un risque de confusion, il ne s’accompagne pas d’un détournement de clientèle parce que les opérateurs agissent sur des marchés différents[22].

Dans cette définition, on perçoit bien que le parasitisme est un parent de la confusion. Notre propos n’est pas de discuter du bien-fondé de cette introduction qui fait par ailleurs débat[23]. Nous nous contenterons de relever l’évolution du droit québécois relativement à cette question.

L’action en concurrence déloyale est une action personnelle en réparation offerte aux entreprises victimes d’actes contraires aux honnêtes usages du commerce. En effet, la « déloyauté » est une notion renvoyant à une idée de moralité. De plus, le fondement universel de l’action en responsabilité civile extracontractuelle assure une longévité et une malléabilité de l’action pour tout type de comportement déloyal. Ainsi, l’action en concurrence déloyale, dans son acception traditionnelle issue de la responsabilité civile, est une action complète en concurrence déloyale. À l’inverse, les recours proposés par le droit fédéral ne sont que partiels ou spéciaux.

B. L’action « partielle » en concurrence déloyale : l’article 7 de la Loi sur les marques de commerce

Jusqu’en 2014, le recours de l’article 7 L.m.c. pouvait lui aussi prétendre au qualificatif d’« action complète ». À cette époque, il se présentait ainsi :

Nul ne peut :

  1. faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

  2. appeler l’attention du public sur ses marchandises, ses services ou son entreprise de manière à causer ou à vraisemblablement causer de la confusion au Canada, lorsqu’il a commencé à y appeler ainsi l’attention, entre ses marchandises, ses services ou son entreprise et ceux d’un autre;

  3. faire passer d’autres marchandises ou services pour ceux qui sont commandés ou demandés;

  4. utiliser, en liaison avec des marchandises ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

    1. soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

    2. soit leur origine géographique,

    3. soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution;

  5. faire un autre acte ou adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada.

Depuis 2014, l’alinéa e) a été abrogé. Dans l’affaire MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd.[24], la Cour suprême du Canada avait exprimé, en 1977, son sentiment sur l’alinéa e). Il lui semblait trop général pour être constitutionnel. En effet, bien qu’elle soit propre au domaine de la concurrence déloyale, sa portée empiétait manifestement sur la compétence des provinces en matière de propriété et de droit civil. L’article 53.2 L.m.c. ouvre un recours en réparation pour les manquements aux dispositions de la loi. Il permet, entre autres, une réparation du préjudice. La compétence fédérale en matière de trafic et de commerce, soit l’article 91.2 de la Loi constitutionnelle de 1867[25], ne pouvait suffisamment légitimer ce droit à réparation. Contrairement à l’article 36 L.c., que nous étudierons ci-après, l’alinéa 7 e) ne fait pas partie d’un système d’application de la loi fédérale. Pour cette raison, le résumé législatif[26] précise que, près de 40 ans après la décision MacDonald et al. c. Vapor Canada Ltd., le Parlement prend finalement acte de cette décision « pour le motif [que l’alinéa 7 e)] n’avait rien à voir avec les échanges ou les marques de commerce, ou encore avec d’autres formes de propriété intellectuelle relevant de la compétence législative fédérale[27] ».

Une analyse littérale de l’alinéa 7 e) ne permet pas de considérer qu’il intègre un régime de sanction propre à la propriété intellectuelle. Il parle de « faire tout acte ou d’adopter une autre méthode d’affaires contraire aux honnêtes usages industriels ou commerciaux ayant cours au Canada ». Cela englobait bien plus que les actes liés à la propriété intellectuelle, tels qu’ils sont définis aux alinéas a) à d), lesquels reprennent globalement la typologie des fautes civiles du droit civil canadien de la concurrence déloyale. L’article 7 permettait alors de placer les provinces de common law sur un pied d’égalité avec le Québec. En effet, sans cet article, elles seraient limitées au délit civil (tort) de commercialisation trompeuse, c’est-à-dire au seul délit de common law consacré à la concurrence déloyale. Le recours au droit statutaire offrait aux provinces de common law la possibilité de bénéficier d’un large éventail de solutions civiles en matière de concurrence déloyale. Pour ces raisons, il s’agit désormais une action partielle en concurrence déloyale.

C. L’action « spéciale » de l’article 36 de la Loi sur la concurrence : l’illusion d’une action en concurrence déloyale

L’histoire de l’article 36 L.c. commence véritablement en 1989 quand la Cour suprême reconnaît au recours indemnitaire de la L.c. sa place dans le droit fédéral de la concurrence, en vertu de la compétence du Parlement d’Ottawa en matière de trafic et de commerce. L’article 36 énonce :

36 (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

  1. soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

  2. soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,

    peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

L’article 36 consacre un droit à réparation propre aux victimes de pratiques anticoncurrentielles définies par la partie criminelle de la loi ou aux victimes d’une violation d’une ordonnance rendue dans le cadre de la loi par un tribunal. Ce droit à réparation, originellement numéroté 31.1, semblait ainsi empiéter sur la compétence des provinces en matière de propriété et de droit civil. Cependant, considérant que cette disposition venait in fine renforcer les autres dispositions répressives de la loi, la Cour suprême du Canada a jugé qu’il s’agissait d’un recours privé spécialement prévu pour les violations des dispositions criminelles antimonopolistiques, ne créant pas de recours général[28]. Dès lors, la disposition n’empiétait pas sur la compétence des provinces en matière de recours indemnitaire en droit civil.

Le premier constat est que ce recours se révèle spécial en droit de la concurrence fédéral. Il vise des infractions précises ayant causé un préjudice. En cela, ce n’est pas une action en concurrence déloyale. Finalement, la faute résulte de la définition légale apportée par le législateur aux infractions criminelles prévues dans la L.c. et non aux fautes civiles classiques de concurrence déloyale, comme nous l’avons vu au sujet de l’article 1457 C.c.Q., définition reprise en partie dans l’article 7 L.m.c. A priori, l’expression « action en concurrence déloyale » ne peut être retenue à propos de cette action indemnitaire en droit de la concurrence. Celle-ci est plutôt un recours statutaire et se rapproche davantage de l’article 7 L.m.c., en raison de son origine fédérale, que de l’article 1457 C.c.Q. Néanmoins, il est de coutume judiciaire d’invoquer dans la même procédure l’article 36 L.c. et l’article 1457 L.c., notamment pour bénéficier des facilités probatoires de l’article 36 (2) L.c.[29] :

(2) Dans toute action intentée contre une personne en vertu du paragraphe (1), les procès-verbaux relatifs aux procédures engagées devant tout tribunal qui a déclaré cette personne coupable d’une infraction visée à la partie VI ou l’a déclarée coupable du défaut d’obtempérer à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, ou qui l’a punie pour ce défaut, constituent, sauf preuve contraire, la preuve que la personne contre laquelle l’action est intentée a eu un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI ou n’a pas obtempéré à une ordonnance rendue en vertu de la présente loi par le Tribunal ou par un autre tribunal, selon le cas, et toute preuve fournie lors de ces procédures quant à l’effet de ces actes ou omissions sur la personne qui intente l’action constitue une preuve de cet effet dans l’action.

Ces facilités probatoires sont propres à l’action indemnitaire des victimes de pratiques anticoncurrentielles. Il n’y a pas d’équivalent au Québec ni dans la L.m.c. Cela conforte un peu plus la particularité et la spécialisation de cette action en droit de la concurrence. Que ce soit l’article 7 L.m.c. ou l’article 36 L.c., ils apparaissent plus comme des recours statutaires offerts aux provinces de common law, limitées par les torts reconnus par les tribunaux, que comme des recours indemnitaires dédiés à certaines situations de désordre concurrentiel afin d’y remédier le plus efficacement possible à l’échelle du Canada. Si tel était le cas, la L.c. ne se montrerait pas autant réticente à l’endroit des dommages-intérêts punitifs, pourtant reconnus dans la L.m.c. La vérité apparaît d’autant plus à la lumière du droit civil québécois caractérisé par l’universalité du recours de l’article 1457 C.c.Q. Au Québec, ces dispositions apparaissent plus comme des redondances que comme des recours salvateurs pour les entreprises, faisant ainsi la démonstration de leur utilité en common law, plus qu’en droit civil québécois.

Faut-il néanmoins mettre sur un pied d’égalité l’article 7 L.m.c. et l’article 36 L.c.? La réponse est négative. Comme nous l’avons noté, l’article 36 L.c. offre un droit à la réparation intégrale du préjudice. En revanche, l’article 7 L.m.c., combiné à l’article 53.2 de cette loi, offre un éventail de sanctions privées beaucoup plus imaginatif. Notons simplement qu’il est possible, en vertu de la L.m.c., d’obtenir des dommages-intérêts punitifs, ce que par ailleurs ne permet pas l’article 36 L.c. Dans ce cas, pourquoi existe-t-il un traitement différencié quant aux remèdes entre ces deux actions? On touche ici à la limite d’un traitement unique des actions indemnitaires en droit de la concurrence. Ces actions ne s’inscrivent pas toutes dans le même contexte. La particularité de l’article 36 L.c., qui marque encore un peu plus sa singularité dans le paysage du droit de la concurrence, est qu’il s’inscrit dans une loi répressive poursuivant un objectif d’intérêt général à travers la préservation du marché. Cela expliquerait que des sanctions criminelles et des sanctions administratives pécuniaires sont imposées aux entreprises qui violent les dispositions de la L.c. Or, c’est bien parce que cette dernière offre des actions publiques répressives qu’il serait inutile d’ajouter une forme de peine privée offerte aux victimes de pratiques anticoncurrentielles[30]. La jurisprudence considère que les dommages-intérêts punitifs n’ont d’utilité que lorsqu’il n’existe aucune forme de répression étatique[31]. Dans ce cas, l’action en responsabilité civile joue un rôle normatif indispensable. La Cour suprême avait bien identifié en 1989 le rôle accessoire de l’article 36 aux côtés du système répressif plus large de la L.c. Or, c’est précisément cette absence de système répressif au sein de la L.m.c. qui n’a pas permis à la Cour suprême, en 1979, de valider la constitutionnalité de l’aliéna 7 e) L.m.c., jugé alors trop large et empiétant sur la compétence des provinces en matière de droit civil. Telle est la première distinction entre l’article 36 L.c. et les recours en concurrence déloyale de l’article 7 L.m.c. et de l’article 1457 C.c.Q., mais d’autres critères de distinction existent.

II. Les critères de distinction des actions indemnitaires en matière de concurrence

Nous croyons important de déterminer des critères pour distinguer les actions indemnitaires en matière de concurrence, car une certaine confusion règne en jurisprudence à leur égard (A). Afin de définir l’identité de l’action en concurrence déloyale en droit civil québécois, nous utiliserons certains critères pour aboutir à une différenciation des recours indemnitaires en droit de la concurrence (B).

A. Le constat d’une jurisprudence confuse

La jurisprudence québécoise montre un certain malentendu sur la notion de concurrence déloyale. Une étude de la jurisprudence rendue depuis l’apparition du recours privé en droit de la concurrence démontre un emploi abusif de l’expression « concurrence déloyale[32] ». En droit civil, nous avons vu que cette tournure reflète une réalité précise. Dès lors, son emploi de cette expression dans les limites du contentieux privé en droit des pratiques anticoncurrentielles, c’est-à-dire à la suite d’une violation criminelle de la L.c., amène une difficulté à distinguer précisément les deux types d’action en droit de la concurrence.

La décision Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc. de 1990 est la première décision de la Cour suprême à analyser les rapports entretenus par l’article 1457 C.c.Q. et l’article 36 L.c. Aux fins de son analyse, la Cour suprême cite un des rares ouvrages consacrés à la responsabilité civile québécoise dans lequel des développements sont présents sur l’action en concurrence déloyale. Ainsi, dans leur ouvrage sur la responsabilité civile délictuelle paru en 1971, André Nadeau et Richard Nadeau indiquent que les actions en concurrence déloyale « sont instruites en vertu, non seulement de loi fédérale, mais aussi des principes généraux de la responsabilité civile[33] ». Ce passage, cité in extenso dans la décision de la Cour suprême, pose un premier problème. Il fait dire à cette dernière que, l’action de l’article 36 étant une disposition fédérale, elle doit répondre aux mêmes principes que l’action en responsabilité civile classique pour concurrence déloyale. Une telle interprétation semble ignorer que les auteurs Nadeau font en réalité référence à la L.m.c.[34]. Comme nous l’avons noté plus haut, la spécialisation du recours de l’article 36, du fait de son caractère accessoire par rapport aux autres recours publics de la L.c., démontre qu’il ne peut être associé à une action en concurrence déloyale dans son sens habituel en droit civil. Or, l’analyse de la Cour suprême étant en droit civil, cette particularité n’aurait pas dû être ignorée. À notre avis, cette position marque, en toute déférence, une erreur conceptuelle de la notion de concurrence déloyale en droit canadien et québécois, erreur qui a, par la suite, marqué de son empreinte les juges québécois. Il faut aussi relever que dans cette décision la Cour suprême énonce que la faute civile et la faute statutaire sont équivalentes, indiquant qu’« il y a une correspondance directe entre le comportement interdit par la Loi et la notion de faute civile causant préjudice ». Elle fait savoir dans la suite de son propos qu’un jugement niant une faute statutaire sera « déterminant » pour considérer l’existence de la faute civile[35]. Ce raisonnement entre au coeur du dialogue entre la notion de concurrence déloyale en droit civil et le recours indemnitaire de la L.c. Il nie ce que les auteurs en matière de concurrence déloyale enseignent, à savoir que la faute civile ne correspond pas nécessairement à la violation d’une disposition législative[36], à plus forte raison en droit de la concurrence, où la nature criminelle de certaines infractions pose un standard de preuve élevé et rigoureux, qui ne permet pas toujours de démontrer l’infraction criminelle. Cela était d’autant plus vrai avant la réforme de 2009 qui a introduit des infractions per se et dans laquelle il n’est plus nécessaire de démontrer l’effet négatif du comportement reproché sur la concurrence au-delà de tout doute raisonnable. De plus, le nombre important de reconnaissances de culpabilité par les défendeurs dans ce domaine ne permet pas toujours d’avoir un jugement confirmant la violation de la loi. Il ne faut par ailleurs pas s’y tromper : les facilités probatoires accordées aux victimes de pratiques anticoncurrentielles dans le cas d’actions civiles subséquentes ne doivent pas être interprétées comme liant lesdites victimes à une nécessaire décision de culpabilité rendue préalablement par une juridiction administrative ou criminelle pour pouvoir ester en justice. Une faute civile peut exister malgré une absence de condamnation préalable dans une action criminelle. En droit de la concurrence, et au regard de l’analyse de la Cour suprême dans Rocois Construction Inc. c. Quebec Ready Mix Inc., c’est bien plus la jonction entre la notion de faute et celle de jugement préalable sur la faute qui suscite des interrogations que la jonction entre la faute civile et la faute statutaire.

Une rare décision de 2005, de la Cour supérieure du Québec, est venue reconnaître « que les gestes des défendeurs soient érigés en système n’ajouterait rien à la preuve de conduite fautive utile pour donner ouverture à la responsabilité civile envers les demandeurs eux-mêmes[37] ». Cependant, la jurisprudence majoritaire rejoint dans cette décision la Cour suprême en considérant l’action indemnitaire de l’article 36 comme une forme d’action en concurrence déloyale[38]. Le constat est que les juges québécois semblent mal à l’aise avec le concept de concurrence déloyale. Il est utilisé indifféremment du moment que l’affaire se fonde sur l’article 1457 C.c.Q. et qu’une infraction à la Loi sur la concurrence se présente. Certains estiment alors commode de parler de concurrence déloyale : selon nous, il s’agit d’un abus de langage dans un système juridique civiliste où l’action en concurrence déloyale révèle une réalité juridique précise. Il y a en effet une véritable incompatibilité à parler de « concurrence déloyale » au sujet de l’article 36 L.c. Il existe notamment plusieurs critères de distinction de ces actions. Nous verrons plus loin qu’il n’y a pourtant aucun lien entre une action en concurrence déloyale au sens strict et un recours indemnitaire issu de l’article 36 L.c.

B. Les critères de distinction des recours indemnitaires en droit de la concurrence

Nous proposons ici trois critères de distinction de ces recours : le premier est relatif à la moralité de l’acte concurrentiel (1); le deuxième a trait à la compétence constitutionnelle des provinces en droit civil (2); et le troisième fait référence à la notion d’abus de droit (3).

1. Le critère de la moralité de l’acte concurrentiel

Selon une vision traditionnelle de l’action en concurrence déloyale, la déloyauté fait appel à la moralité dans la vie des affaires. Citons, à ce titre, l’approche canadienne qui prévalait avant l’entrée en vigueur de l’alinéa 7 e) L.m.c. Cette approche s’explique par la vision de la concurrence déloyale retenue dans l’article 10 bis de la Convention internationale pour la protection de la propriété industrielle de 1883 (ci-après « Convention de Paris[39] ») : « Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale. »

Puis l’alinéa 3 emploie l’adverbe « notamment » pour énoncer trois fautes de concurrence déloyale avec la confusion, le dénigrement ainsi que les indications et les allégations qui pourraient induire le public en erreur. La loi canadienne de 1932 sur la concurrence déloyale[40], à l’origine de l’introduction de l’article 11, devenu l’article 7[41], n’a fait que reprendre cette logique en énonçant d’abord des fautes caractérisées de concurrence déloyale qui reprennent la Convention de Paris, suivie d’une disposition générale, l’alinéa c), devenu e), article qui lui-même réitère l’ouverture à toute faute de concurrence déloyale qualifiable comme telle par l’entremise de la référence aux usages honnêtes de l’industrie et du commerce conformément à l’article 10 bis de la Convention de Paris.

Certains auteurs français reconnaissent qu’« il y a sans doute dans l’action en concurrence déloyale un aspect moral. Mais ce n’est pas tout[42] ». Certes, cela n’est pas tout, mais au Canada et dans le contexte du droit civil québécois, cela est beaucoup car, contrairement au droit français, le Canada autorise un recours en réparation spécial en droit de la concurrence, ce que le droit français ne connaît que depuis 2016 avec l’adoption d’un texte spécial pour la réparation des préjudices subis à la suite d’une entente anticoncurrentielle ou d’un abus de position dominante[43]. La moralité de l’action en concurrence déloyale permet ainsi de poser un critère de distinction entre les différents recours privés en droit de la concurrence. Roubier lui-même parlait des usages d’un « milieu honnête[44] ». Cette conception de l’action en concurrence déloyale est qualifiée en Europe de conception « disciplinaire » par référence à cette tendance moralisante du droit de la concurrence déloyale[45]. Nous y voyons l’héritage de la Convention de Paris du 20 mars 1883. L’alinéa 2 de son article 10 bis indiquait « tout acte contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ». L’Allemagne a suivi cette voie dans la transposition de la Convention de Paris et mentionne « des actes contraires aux bonnes moeurs[46] ». On comprend ainsi que les origines internationales de la concurrence déloyale ne sont pas étrangères à la notion de morale qui irrigue la conception disciplinaire de certains recours en concurrence déloyale en Europe[47]. Mais en droit civil, la faute civile, contenant de la faute de concurrence déloyale, n’est-elle pas elle-même morale? Auquel cas, il y a identité d’objectifs entre la Convention de Paris et l’action extracontractuelle en concurrence déloyale en droit civil.

La professeure Geneviève Viney est revenue, dans un ouvrage conséquent sur le droit civil, sur les origines du Code Napoléon. Elle constate, en s’appuyant sur les travaux préparatoires du Code civil des Français et les discours de ses rédacteurs, que la morale imprègne l’article 1382 du Code[48]. L’action en responsabilité civile dans les systèmes civilistes est le fondement de l’action en concurrence déloyale. Ainsi, la philosophie de cette action est identique à celle de la responsabilité civile. Si la morale justifie l’action en responsabilité civile, alors elle justifie aussi l’action en concurrence déloyale. Dire que, comme le suggèrent des auteurs[49], ce qui justifie l’action en concurrence déloyale c’est la protection du marché, revient à nier à l’action en responsabilité civile son moralisme lorsqu’elle prend la forme d’une action en concurrence déloyale. On peut objecter qu’au Canada la présence d’un recours statutaire à l’article 36 L.c. remplit déjà cette mission de protection du marché. Soutenir le contraire revient à admettre qu’il n’existe aucune différence entre l’action privée fédérale en cas de pratiques anticoncurrentielles criminelles et l’action en concurrence déloyale. Or, cette vision ignore l’article 1.1 de cette loi qui fait de celle-ci une loi d’intérêt public en faveur du marché. Voilà, croyons-nous, les limites de la comparaison avec le droit français. Une spécificité québécoise se dessine en droit civil : le droit québécois est aux prises avec une action fédérale en réparation en droit de la concurrence[50]. Le droit fédéral de la concurrence est un droit de la « non-concurrence »[51], en ce sens qu’il interdit de se faire concurrence d’une manière définie par la Loi. En revanche, l’action en concurrence déloyale relève du « droit de concurrence »[52], en tant que limite mise à la libre concurrence. Dans ce dernier cas, la concurrence est licite dès lors qu’elle respecte les usages du commerce[53].

Si le préjudice s’infère de la faute, comme le jugent les tribunaux français[54], et que la faute est l’incarnation de la morale, alors cela démontre que l’action en concurrence déloyale se révèle avant tout une action disciplinaire. Cette analyse est transposable au Québec, bien que le courant jurisprudentiel favorable à une telle présomption de préjudice ne soit que minoritaire. Toutefois, comme le notent les auteurs Jean-Louis Baudouin et Patrice Deslauriers, en matière de concurrence, le seul fait de causer un préjudice à ses concurrents n’oblige pas à une réparation[55]. Nous pouvons en conclure que la notion de faute civile, par sa fonction morale, permet de distinguer la concurrence loyale de la concurrence déloyale. De plus, même si l’intention de nuire n’est pas exigée au Québec[56], elle demeure un élément qui continue à irriguer la jurisprudence[57].

Bien que le droit et la morale soient des notions bien distinctes en théorie[58], l’action en concurrence déloyale est un domaine où le droit et la morale s’unissent pour permettre à la faute civile d’exister en vue de départir les concurrents méritants de ceux qui cherchent à contourner la concurrence au mérite.

La professeure Muriel Chagny parle de « dépendance substantielle insurmontable du droit de la concurrence » à l’égard du droit commun des obligations[59] et de « suppléance » du droit commun des obligations à défaut de droit de la concurrence[60]. On ne peut nier la parenté de l’action en concurrence déloyale avec l’article 1457 C.c.Q. Il s’agit, selon nous, et pour reprendre l’expression de la professeure Muriel Chagny, d’« applications normées de la responsabilité civile délictuelle pour faute[61] ». En effet, « la faute conserve en la matière une place éminente ». Or si cette faute est la pierre angulaire de la responsabilité civile, c’est que les codificateurs l’ont voulue morale[62]. L’action en concurrence déloyale, en tant qu’émanation de cette action extracontractuelle en responsabilité civile, est donc une action morale à vocation disciplinaire.

Au Québec, en l’absence d’une loi spéciale comme dans le modèle allemand, le seul fondement juridique est celui de l’article 1457 C.c.Q., ce qui renvoie à l’exigence d’une faute civile. Pour autant, l’usage de l’article 1457 C.c.Q. dans une action indemnitaire en droit de la concurrence ne signifie pas forcément que cette action doive recevoir le qualificatif de « concurrence déloyale ». De plus, cette faute civile n’est pas nécessairement attachée à la violation d’une disposition statutaire, pas plus qu’elle ne doit correspondre exactement à une infraction définie par la loi[63]. Dès lors, comment les juges québécois doivent-ils percevoir les articles 7 e) L.m.c. et 36 L.c.? L’utilisation de ces deux autres recours de nature statutaire dans un litige indemnitaire en droit de la concurrence nécessite de raffiner les critères de distinction en passant par la définition d’un critère constitutionnel.

2. Le critère constitutionnel issu de la compétence exclusive des provinces en droit civil

Les articles 36 L.c. et 7 L.m.c. semblent être inutiles au Québec puisque, contrairement à ce qui se produit en common law, l’action en responsabilité civile est universelle et ne se limite pas à une série de préjudices (wrongs)[64].

Pour l’article 36 L.c., la distinction entre cet article et l’article 1457 est évidente : dénué d’une portée morale, il répond simplement à une exigence de l’ordre public économique, tel que cela a été voulu dans la L.c.[65]. La Cour suprême a livré en 1989 une analyse édifiante en ce sens[66]. Ce n’est pas la morale qui fonde l’action de l’article 36, mais une violation d’une disposition criminelle de la L.c., laquelle respecte l’exigence d’efficience économique dictée par son article 1.1. En cela, il fait partie d’un système de répression global, ce qui rachète son empiètement manifeste en droit civil, plus de 10 ans après l’affirmation suivante que la Cour suprême du Canada ait affirmé : « Une législation ayant pour objet un droit d’action statutaire à cet égard n’est pas de compétence fédérale[67]. »

Cependant, la question se révèle plus épineuse pour l’article 7 L.m.c. En effet, l’abrogation de l’alinéa e) doit-elle changer l’analyse de cette action dans son dialogue avec l’article 1457 C.c.Q.?

Sous l’empire de l’alinéa 7 e), soit avant 2014, la Cour suprême avait été clairvoyante : l’alinéa e) était un empiètement manifeste du Parlement fédéral sur la compétence des provinces en droit civil.

En common law, l’alinéa e) apportait l’avantage d’ouvrir un recours général en concurrence déloyale. Cependant, la justification de la Cour suprême en 1976 se fondait sur des motifs constitutionnels et non sur l’opportunité d’une telle action en common law. Pour le Québec, cet alinéa était une redondance par rapport à l’article 1457 C.c.Q. Comme nous l’avons vu, le seul avantage, d’ailleurs peu utilisé en pratique, résidait dans la possibilité de demander des sanctions atypiques en droit civil comme des dommages-intérêts punitifs. La question demeurait de savoir pourquoi une telle disposition existait en droit fédéral. Toujours dans sa décision de 1977, la Cour suprême avait réfuté que la L.m.c., notamment l’article 7 ou son alinéa e), puisse être la conséquence de la Convention de Paris de 1883 en matière de propriété industrielle de 1883. Elle affirmait alors d’une manière péremptoire :

Il n’y a rien dans la Loi sur les marques de commerce de 1953 qui indique qu’elle a été adoptée pour mettre en vigueur la convention [de Paris de 1883] ci-dessus mentionnée, sauf que dans l’article d’interprétation il y a renvoi à la Convention et définition de « pays d’origine » et de « pays de l’Union », celle-ci se rattachant à la règlementation des marques de commerce[68].

L’argumentation de la Cour suprême se base sur l’absence de renvoi exprès dans la loi à la volonté du législateur de transposer une convention internationale. Son raisonnement se fonde sur le constat que, dans toutes les affaires que le plus haut tribunal du pays la Cour suprême du Canada et le Conseil privé ont eu à examiner et qui transposaient une convention internationale, « on renvoyait expressément à la convention[69] ». La Cour suprême édicte ainsi un critère formel permettant de valider l’origine internationale d’une loi fédérale. Toutefois, celui-ci est uniquement le fruit du raisonnement de la Cour suprême. Si cela est exact en pratique, il n’en demeure pas moins que toutes les lois conformes à des conventions internationales dont le Canada est signataire et qui préexistaient à cette convention n’ont pas fait l’objet d’une modification pour le dire. De plus, si nous raisonnons par analogie, lorsque le Canada intervient dans son domaine de compétence ou que les provinces légifèrent elles aussi dans leurs domaines de compétence, nulle proclamation formelle n’en est faite en préambule ou dans un article de la loi. Cela relève de l’exercice d’interprétation du juge, le cas échéant, quand cette origine internationale nécessite une analyse. Tel est le cas pour la L.m.c. Le critère de la Cour suprême ignore que la première loi sur les marques de commerce de la Confédération date de 1868. Or, la première version de la Convention de Paris remonte à 1883, soit 15 ans après la première loi fédérale sur les marques de commerce. La L.m.c. est restée en l’état jusqu’en 1932, preuve, s’il en est besoin, qu’elle n’était pas le fruit de cette convention internationale et qu’elle la respectait sans qu’il soit nécessaire d’en faire mention dans la loi. En revanche, en 1932, le législateur canadien prend acte de cette convention et met à jour son droit de la propriété industrielle. En effet, la première loi canadienne sur les marques de commerce de 1868 ignorait le recours en concurrence déloyale[70]. Par conséquent, le Canada, en tant que signataire de la Convention de Paris, a dû modifier son droit. Voici quelques extraits des débats parlementaires tenus par la Chambre des communes le 2 mai 1932, année d’entrée en vigueur de la première loi sur la concurrence déloyale :

La première loi des marques de commerce et dessins de fabrique du Canada a été adoptée par le Parlement de ce pays en 1869[71], la deuxième année après la confédération, et elle est restée depuis dans nos Statuts sans grands changements. L’acte de l’Amérique britannique du Nord [sic] de 1867 autorise le Canada à légiférer pour réglementer l’industrie et le commerce, et en vertu de l’article 132 de cette loi, le Canada peut également légiférer pour donner effet aux traités conclus par l’Empire britannique dont le Canada fait partie. L’article 10b de la convention ratifiée par notre pays stipule que les parties contractantes sont tenues d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection efficace contre la concurrence déloyale.
Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale[72].

Impossible de nier le rattachement direct des dispositions de l’article 7 à cette obligation internationale. Comme l’avait fait la Cour suprême en 1977[73], une autre question est alors à soulever, celle de savoir si la compétence du Canada pour signer des accords internationaux l’autorise à transposer ses obligations internationales dans une loi fédérale, même si cette transposition implique de légiférer dans le champ de compétence d’une province.

Déjà, à l’époque, les sénateurs pressentaient les risques d’inconstitutionnalité au regard de la compétence du Parlement en droit civil. Le 10 mai 1932, les députés du Sénat réfutaient toute contestation possible :

On a contesté le caractère constitutionnel de la loi. Le litige n’a pas été porté devant les tribunaux, mais à différentes époques, il a été soulevé, et les autorités ont des doutes très sérieux, et elles se demandent s’il n’existe pas un empiétement des droits civils qui outrepasse le pouvoir de ce Parlement. Et nous croyons que cet aspect constitutionnel sera élucidé si ce projet de loi est adopté, car il ne renferme aucun élément qui puisse obscurcir son statut constitutionnel […] Le Bill 5 tend à mettre en vigueur les modifications adoptées à La Haye […] Les honorables sénateurs savent qu’un traité conclu entre le Canada et un autre pays ou groupe de pays peut être rendu exécutoire par un acte législatif du Parlement du Canada. L’intervention même du traité confère juridiction à la Chambre fédérale et écarte toute objection possible de la part des provinces. Nous croyons que ce principe même rend inattaquable le caractère constitutionnel du Bill soumis à notre délibération. En outre, toute intervention dans les droits civils à l’égard des marques de commerce, sauf en tant que nécessaire pour l’industrie et le commerce extérieur en général, est éliminée de la mesure.

Sénat, 17e légis., 3e sess., vol.1, 10 mai 1932, p. 423, sénateur Meighen

Deux constats ressortent des débats parlementaires : d’abord, le Parlement fédéral a souhaité modifier la L.m.c. en y joignant l’article 11, devenu l’article 7, pour rendre exécutoire la Convention de 1883 dans sa version modifiée à La Haye en 1925; ensuite, le Canada aurait, par le fait même de l’origine internationale de la modification législative, la compétence exclusive pour le faire, même si le sujet de ce changement relève de la compétence des provinces. Le Conseil privé donnera tort aux sénateurs dans la fameuse décision relative aux Conventions du travail[74]. Malgré la critique de cette décision en 1977 par la Cour suprême, tentant de minorer sa portée, le partage des compétences persiste toujours au moment de la mise en oeuvre d’une convention internationale au Canada[75].

Dès lors, il incombe aux provinces de donner effet à l’article 10bis de la Convention de Paris traitant de la concurrence déloyale pour ce qui est des dispositions qui ouvrent un droit d’action en matière de concurrence déloyale. Cela démontre qu’au Québec le droit statutaire, et l’abrogation de l’aliéna 7 e) en 2014, n’a pas de conséquence, si ce n’est processuelle en ce que l’article 53.2 permet la demande de mesures réparatrices spéciales, comme des dommages-intérêts punitifs. Il faut en conclure également que le gouvernement a supprimé à bon droit l’aliéna e).

Cette brève relecture historique de la constitutionnalité de l’article 7 L.m.c., et plus précisément de son aliéna e), nous a permis de démontrer que cet article apparaît en 1932, sous la numérotation de l’article 11, en tant que conséquence historique de la Convention de Paris. Il est à ce titre la preuve que la loi de 1932 est la mise en oeuvre d’une convention internationale, contrairement à ce qui a pu être affirmé en 1977 par la Cour suprême. Toutefois, cette transposition d’une convention internationale n’autorise pas pour autant le Parlement fédéral à empiéter sur la compétence des provinces. Par conséquent, le rapport entre l’article 7 L.m.c. et l’article 1457 C.c.Q. n’est que processuel, en ce que l’article 7 permet d’invoquer les mesures réparatrices extraordinaires de l’article 53.2. Quant au droit substantiel, l’article 7 permet d’obtenir en justice exactement le même résultat que l’article 1457 C.c.Q., et ce, en se basant sur la théorie civiliste de la concurrence déloyale.

3. Le critère de l’usage excessif de la liberté du commerce : élément de distinction entre la concurrence déloyale et le recours privé de l’article 36 de la Loi fédérale sur la concurrence

Nous venons de voir que l’article 7 L.m.c. et l’article 1457 C.c.Q. n’ont finalement aucune différence sur le plan substantiel en matière de concurrence déloyale. La seule spécificité est processuelle et se trouve dans les remèdes. Contrairement à sa propre analyse faite en 1977, la Cour suprême a reconnu, en 1989, la validité constitutionnelle de l’article 36 L.c.[76]. La question demeure donc de savoir ce qui distingue le recours privé en droit de la concurrence tel qu’il est décrit à l’article 36 L.c. et à l’article 1457 C.c.Q. De notre côté, nous répondrons à la même question que pour l’article 7 L.m.c. : l’article 36 a-t-il une utilité au Québec? Pour ce faire, nous étudierons en détail les notions de « droit de concurrence » et de « droit de non-concurrence », déjà mentionnées plus haut.

L’abus qui résulte de l’exercice excessif et déraisonnable d’un droit pourrait être jugé contraire à la bonne foi, comme l’indique l’article 7 C.c.Q. Cet article de droit nouveau depuis 1994 est souvent utilisé dans des recours en responsabilité civile en matière de concurrence[77]. La doctrine considère – au même titre que la jurisprudence – que la concurrence déloyale est le fruit d’un usage excessif de la liberté du commerce[78], plus précisément le droit de se livrer librement concurrence et de commercer sans restriction[79]. Par conséquent, dès lors qu’il y a un acte de concurrence déloyale, le concurrent auteur de cet acte commet en apparence un abus de droit. Il perdrait alors son droit à la libre concurrence, tout comme le propriétaire d’un fonds possède un droit absolu de propriété, mais sans toutefois pouvoir l’exercer abusivement[80]. Le com-merçant qui agit dans les limites de son droit à la liberté du commerce le fait dans le contexte d’une concurrence autorisée. Nous parlons alors d’un « droit de concurrence » qui se caractérise par l’usage de la liberté du commerce. L’établissement de cette terminologie permet de répondre à la question de l’utilité du recours privé de l’article 36 L.c. au Québec. Malheureusement, elle est également source de confusion en jurisprudence sur la notion d’abus de droit.

L’article 36 L.c. est un recours en réparation en cas de violation de la loi fédérale. Il fait donc suite à une concurrence interdite par la loi, pour reprendre la terminologie de Paul Roubier[81]. Celle-ci se distingue de la concurrence déloyale. La déloyauté est utilisée pour qualifier l’abus dans l’usage de la liberté du commerce. La concurrence se révèle déloyale quand elle est la conséquence d’un acte de concurrence abusif. Pour cette raison, au Québec, les demandeurs invoquent souvent l’article 1457 C.c.Q., accompagné de l’article 7 C.c.Q., car la faute de concurrence déloyale semble identifiable à travers l’abus de droit. Nous allons voir que cette interprétation est erronée.

S’agissant de l’article 36 L.c., il s’intègre dans le « droit de non-concurrence ». Ce dernier est, à vrai dire, une expression étrange employée en général pour parler des interdictions que le droit connaît qui ont pour effet de limiter la liberté d’entreprise, telles que les clauses de non-concurrence ou plus globalement les ententes de non-concurrence, mais on peut aussi y inclure le droit des pratiques anticoncurrentielles en tant que droit prescrivant des interdictions de livrer une concurrence de telle ou telle manière[82]. Considérant qu’il ne peut pas y avoir de concurrence sans droit, au moins à la libre entreprise en tant que liberté fondamentale[83], l’expression connaît des limites si on la confronte à la notion d’abus de droit en droit civil, laquelle a une portée juridique différente. En effet, si la concurrence est interdite, il n’y a pas de droit de concurrence et encore moins de droit de non-concurrence. On devrait préférer l’expression de Roubier, c’est-à-dire une « concurrence interdite » à celle de droit de non-concurrence. Le mot « droit » est entendu ici dans son acception large, celle de la permission, soit « ce qui est conforme à une règle[84] ». L’usage d’un droit est présumé licite. Il passe dans la sphère de l’illicite notamment quand il répond à un abus de droit au sens de l’article 7 C.c.Q. Dès lors, la concurrence menée sans droit, ou concurrence interdite, ne permet pas de se qualifier au titre de concurrence déloyale. Elle n’est pas déloyale, mais purement et simplement interdite. Néanmoins, si le mot « droit » est employé en tant que renvoi à une discipline juridique, alors l’usage s’avère acceptable. Il est question ici d’un terme renvoyant à un corps de règles relatives à l’interdiction de livrer concurrence d’une certaine manière[85].

L’impact de cette distinction se trouve in fine dans l’identification de la faute civile. La faute civile de concurrence déloyale réside dans un abus de droit, celui du droit fondamental de se livrer librement concurrence. C’est alors un abus dans l’exercice d’une liberté fondamentale et non un abus de droit au sens de l’article 7 C.c.Q., comme ce peut être le cas pour le droit de propriété. Par ailleurs, la norme de prudence et de diligence du commerçant placé dans les mêmes conditions (conformément à l’article 1457 C.c.Q.) s’apprécie par rapport à l’usage de la liberté du commerce, sans considération pour la bonne foi[86]. En effet, Jean-Louis Baudouin rappelle que l’usage excessif d’une liberté n’est pas un abus de droit, mais une faute extracontractuelle engageant la responsabilité de son auteur[87].

Pour le recours spécial de l’article 36 L.c., la faute civile réside dans une violation de la loi, comme le précise d’ailleurs l’alinéa 36 (1) a) L.c., mais elle doit également s’appuyer sur une analyse du comportement en fonction de la norme de prudence et de diligence de l’article1457 C.c.Q. si ce dernier est invoqué dans la demande de la victime aux côtés de l’article 36. En effet, la faute criminelle ne sera pas automatiquement une faute civile, comme l’a déjà rappelé la Cour suprême[88].

Il est alors possible de conclure que les affaires où ont été invoqués pêle-mêle les articles 36 L.c. ainsi que les articles 7 et 1457 C.c.Q. ne reflètent pas la cohérence du droit en la matière, car l’usage excessif de la liberté du commerce conduisant à un acte de concurrence déloyale n’est pas un abus de droit, mais une faute au sens de l’article 1457 C.c.Q. On peut, à titre de conclusion, relever que l’action en concurrence déloyale au Québec se fonde sur l’article 1457 C.c.Q. non pas par un emprunt au droit français, mais en raison du fait qu’en droit civil l’usage excessif d’une liberté est une faute extracontractuelle. Tel est le seul fondement de l’action en concurrence déloyale au Québec, comme dans toute contrée civiliste. Ainsi, l’article 36 L.c. ne prévoit pas une action en concurrence déloyale, mais une action en concurrence interdite. Il ne peut être qualifié de « concurrence déloyale », cette expression étant réservée, en droit civil québécois, aux actions qui ont pour objet de sanctionner un usage excessif de la liberté de concurrence. Dans le cas de l’article 36 L.c., la faute ne peut pas résider dans l’usage excessif d’une liberté de concurrence car la concurrence, tout du moins dans certaines de ses formes, est simplement interdite. Comme une personne ne peut user d’une liberté de concurrence qui n’existe pas, l’auteur d’une violation de la L.c. commet un acte de concurrence interdite et non un acte de concurrence déloyale.

Conclusion

Le statut de l’action en concurrence déloyale est incertain et confus en raison de son interaction avec les autres recours indemnitaires fédéraux et de la facilité de langage qui amène les juges à employer l’expression « concurrence déloyale » dans un contexte qui n’est pas toujours approprié à la réalité civiliste du système juridique en droit privé au Québec. Cela explique en partie, selon nous, la place minime accordée par la doctrine civiliste à cette notion pourtant indissociable du droit civil, comme en témoigne le droit français.

Une fois posés les critères de distinction de l’action en concurrence déloyale par rapport aux autres recours indemnitaires fédéraux en matière de concurrence, il est possible d’envisager un dialogue en droit québécois entre ces recours et l’action en concurrence déloyale issue de l’article 1457 C.c.Q. On peut alors tirer deux enseignements de l’analyse qui précède :

  1. le recours en concurrence déloyale québécois est suffisamment complet pour éviter de recourir à son cousin fédéral, l’article 7 L.m.c., si ce n’est à des fins purement processuelles pour bénéficier de l’arsenal de l’article 53.2 L.m.c.;

  2. le recours en concurrence déloyale n’est pas un recours en concurrence interdite, ce qui exclut une action en responsabilité civile pour fait de concurrence déloyale et une violation de la partie criminelle de la L.c.

Le seul domaine où l’action en concurrence déloyale pourrait flirter avec la L.c. est celui des pratiques restrictives de concurrence, domaine civil de la L.c., mais ici cette dernière donne compétence exclusive au Tribunal de la concurrence[89] et ne permet pas de demander une indemnisation[90]. Il restera alors aux victimes d’une pratique restrictive de concurrence à recourir à l’action en concurrence déloyale traditionnelle sous cette terminologie précise et à identifier une faute de concurrence déloyale dans la pratique restrictive alléguée.

Enfin, il faut souligner que l’action en concurrence déloyale est une action disciplinaire au Québec. À ce sujet, il existe une différence par rapport au droit français. La France n’est pas assujettie à des recours indemnitaires d’« origine fédérale » qui lui viendrait de l’Union européenne. Le recours en concurrence déloyale québécois recèle donc ici une spécificité qui le distingue du droit français. En effet, il cohabite avec l’article 36 L.c., disposition assurant un objectif social à cette loi, conformément à son article 1.1. C’est la seule action indemnitaire ayant vocation à protéger le marché. L’action en concurrence déloyale québécoise est morale avec une vocation disciplinaire, ce qui place la faute au centre de cette action, cette faute se caractérisant par un usage excessif de la liberté du commerce.

Par ailleurs, l’analyse historique et constitutionnelle issue de la Convention de Paris de 1883 a démontré que la législature québécoise était la seule compétente en matière de concurrence déloyale. L’étude des débats parlementaires nous a permis de mettre en lumière que l’article 7 L.m.c. était la transposition de cette convention en droit canadien, mais que les provinces conservent leur compétence sur le sujet de la concurrence déloyale. Pour cette raison, au Québec, les litiges de concurrence déloyale ne seront que peu impactés par la disparition de l’alinéa 7 e) L.m.c.

À l’issue de cette étude, notre souhait est que l’identité de l’action en concurrence déloyale soit désormais affirmée au Québec et qu’elle puisse garantir des actions en réparation coordonnées avec les recours indemnitaires fédéraux au profit d’une meilleure discipline des comportements commerciaux entre entreprises rivales, sans usage abusif de l’expression « concurrence déloyale ».