Article body

Les questionnements sur les problèmes éthiques et méthodologiques dans les disciplines de sciences sociales en terrains sensibles ont fait l’objet de publications depuis ces vingt dernières années, tant dans le monde francophone (Ayimpam & Bouju, 2015; Bouillon, Fresia, & Tallio, 2005; Boumaza & Campana, 2007) que dans le monde anglophone (Buckley-Zistel, 2007; Clark & Cavatorta, 2018; Kovats-Bernat, 2002; Lee, 1995; Renzetti & Lee, 1993). Ce sont plus particulièrement les ethnologues et les anthropologues qui se sont penchés sur les nouvelles pratiques de recherche de terrain dans leur discipline respective (Berger, 2004; Ghasarian, 2002; Olivier de Sardan, 2008) afin d’analyser les enjeux de « faire du terrain », à travers lesquels plusieurs situations s’observent : les modes d’interaction ou de distanciation entre le chercheur et ses informateurs, l’accès aux informateurs et aux sources, la vulnérabilité du chercheur et de ses informateurs dans des contextes violents et des situations socioéconomiques précaires, la diffusion accrue et rapide des flux d’information et les effets de la mondialisation et de la glocalisation qu’expérimentent les individus, le degré d’engagement du chercheur à mesure que les terrains sensibles se multiplient et que l’espace-temps de l’enquête peut être « situé ou multilocalisé, in situ ou à distance » (Ayimpam & Bouju, 2015, p. 12).

Ce numéro propose un regard croisé au carrefour de plusieurs disciplines de sciences humaines et sociales telles que la sociologie (de Bourdeloie, de Djelloul, de Massoui et Séguin, de Perrin-Joly), l’histoire (de Yameogo), la science politique (de Marzo et de Meier), la sociodémographie (de Ngo Mayack). Il se concentre sur les réalités de pratiques de terrain spécifiques à trois régions – le Maghreb, le Moyen-Orient et l’Afrique subsaharienne – qui sont traversées par des éléments de permanence (le poids des normes, les hiérarchies sociales et religieuses) en phase de négociation (Casciarri, 2005; Gomez-Perez, 2018; Gomez-Perez & Brossier, 2016; Gomez-Perez & LeBlanc, 2012; Ortbals & Rincker, 2009), des contextes difficiles, voire dangereux, des contextes de tensions et de transitions politiques, dans des espaces privés et publics où peuvent régner la banalisation de la violence, voire sa justification, le sentiment permanent d’insécurité, voire de vengeance, et la précarité sociale. Tout cela a des effets durables sur les itinéraires de vie d’individus ou de groupes sociaux. Ces éléments caractérisent les terrains « sensibles » dans la mesure où ils sont « porteurs d’une souffrance sociale, d’injustice, de domination, de violence » (Bouillon et al., 2005, p. 14) et « relèvent d’enjeux sociopolitiques cruciaux en particulier vis-à-vis des institutions sociales normatives » (p. 15).

Tout en s’inscrivant dans le sillage de récentes et rares publications qui touchent à ces trois zones géographiques (Clark & Cavatorta, 2018; Pottier, Hammond, & Cramer, 2011), il est question de mettre en commun, dans ce dossier, différentes expériences de chercheurs aux profils divers, de discuter des obstacles rencontrés sur le terrain et des stratégies utilisées pour réussir à explorer des enjeux socialement, culturellement ou politiquement sensibles. Trois profils de chercheurs émergent dans ce dossier : celui d’étranger ou d’outsider (Meier, Bourdeloie, Perrin-Joly et Marzo), celui d’indigène ou d’insider, c’est-à-dire celui qui travaille sur un sujet de recherche dans son pays d’origine ou dans la communauté à laquelle il appartient (Massoui), et celui se trouvant dans une position intermédiaire, le partial insider (Abu-Lughod, 1988; Bouziane, 2018), qui appartient à la société analysée tout en s’en distinguant (Djelloul, Yameogo et Ngo Mayack).

Cette mise en commun a permis de souligner deux principaux éléments. D’une part, le « degré d’appartenance à une société est une question relative » (Ouattara, 2004, p. 11) dès lors que la différenciation entre chercheur outsider et chercheur insider demeure artificielle et doit être dépassée. D’autres paramètres sont ainsi à prendre en compte, soit l’âge, le statut social, le sexe, le niveau d’instruction, le statut matrimonial, l’appartenance ethnique (Dwyer & Buckle, 2009; Ergun & Erdemir, 2010). Les rapports sociaux de sexe « ne peuvent pas se passer d’une analyse plus globale, comprenant les rapports de domination culturelle, socioéconomique et géopolitique » (Jarry et al., 2006, p. 178). D’autre part, « faire du terrain ne va pas de soi » (Dozon, 2005, p. 11), encore moins sur des terrains « sensibles » où s’opèrent des négociations de l’habitus des chercheurs (Boumaza & Campana, 2007) qui sont confrontés à des défis communs.

Le premier défi concerne l’accès au terrain et la façon de gagner la confiance des informateurs. Un préterrain ou une enquête pilote a été mené par certains chercheurs (de Marzo, de Bourdeloie et de Ngo Mayack) pour commencer à toucher la complexité d’un terrain, prendre confiance en soi lors de la conduite des premiers entretiens, créer un réseau de contacts et mesurer la faisabilité de la recherche. Outre cela, l’ensemble des auteurs de ce dossier insistent sur plusieurs éléments : se présenter clairement, prendre ou réintégrer les habitudes de vie du groupe ou du cercle familial et être soucieux des gestes posés, des manières de se tenir, de s’habiller, de parler, voire même de se taire (de Meier, de Massoui et Séguin, de Ngo Mayack, de Bourdeloie et de Djelloul; voir aussi Altorki, 1988), faire comprendre sa démarche de recherche, ses objectifs et sa finalité. Dans le cas de terrains « sensibles », cette étape est d’autant plus fondamentale qu’elle détermine, en grande partie, la suite du processus d’enquête, d’autant que les informateurs ont tendance à accoler des identités diverses et erronées aux chercheurs – nous y reviendrons – qui les placent, dès le début, dans une situation délicate momentanément (de Yameogo et de Djelloul), durablement (de Ngo Mayack) ou dans une situation inextricable (de Bourdeloie). Le deuxième défi, corollaire au premier, consiste à conquérir, voire reconquérir, à apprivoiser le terrain afin de pouvoir, à un moment donné du processus d’enquête, traiter de situations diverses : de questions taboues (de Massoui et Séguin et de Ngo Mayack), délicates (de Yameogo, de Djelloul et de Bourdeloie), de sujets qui soit bousculent le rapport au passé dans le cadre de la fin du régime autoritaire de Ben Ali et de l’émergence de la transition démocratique en Tunisie (de Marzo), soit questionnent les dynamiques de pouvoir dans un contexte semi-autoritaire où la liberté de la presse est bridée, la surveillance est de règle, et les rumeurs font office de sources d’information (de Perrin-Joly), soit peuvent remettre en question les logiques d’appartenance à un territoire (de Meier). Le troisième défi consiste à bien gérer l’altérité qui renoue avec « la question des frontières, des ponts relationnels et des identités du chercheur et de ses interlocuteurs » (Campigotto, Dobbels, & Mescoli, 2017, p. 9).

L’accès au terrain « sensible » demande du temps et est exigeant dès lors que « le travail sur soi est constant » (Boumaza & Campana, 2007, p. 9). Le manque de temps est ressenti à l’inverse comme un élément qui empêche le chercheur de comprendre certaines réalités visibles du terrain ou à la marge (de Meier). Il reste que le chercheur doit faire sans cesse preuve de réflexivité, voire d’autoréflexivité, « pour mieux comprendre l’impact du soi sur la collecte de données » (Compaoré, 2017, p. 108). Il s’agit de déconstruire son univers de références (Campigotto et al., 2017) jusqu’à dissimuler ses convictions face à plusieurs situations : des vécus qui relatent des violences conjugales (de Massoui et Séguin pour le Maroc), des normes sociales contraignantes (de Ngo Mayack pour le Cameroun, de Yameogo pour le Burkina Faso, de Djelloul pour l’Algérie et de Bourdeloie pour l’Arabie Saoudite), ou des processus politiques conflictuels ou transitoires (manifestations contre la mise en place d’un Sénat au Burkina Faso, régime semi-autoritaire en Éthiopie, contexte autoritaire et tensions entre Kurdes et Arabes au Kurdistan irakien, transition démocratique en Tunisie, entre libéralisation et fermeture en Arabie Saoudite) (de Yameogo, de Perrin-Joly, de Meier, de Marzo et de Bourdeloie).

Il s’agit de penser et de repenser à ses techniques et à ses stratégies d’approche, en prenant du recul, en faisant preuve de flexibilité, de patience, en faisant des ajustements dans le canevas et la grille d’entretien, au fur et à mesure des écueils rencontrés sur le terrain, des rapports évolutifs avec les informateurs, en trouvant de nouvelles pistes de recherche (de Marzo, de Ngo Mayack, de Massoui et Séguin, de Bourdeloie, de Djelloul et de Yameogo), en utilisant l’incertitude comme un élément structurant du travail de recherche et en changeant drastiquement les profils des informateurs ou de l’objet de la recherche (de Perrin-Joly et de Ngo Mayack). Tout ceci révèle d’« innombrables petites et parfois grandes décisions, prises dans l’urgence, souvent intuitives et parfois approximatives » (Ayimpam & Bouju, 2015, p. 19).

La technique de boule de neige est souvent utilisée pour entrer sur le terrain; les premiers informateurs acceptent en général d’ouvrir leurs carnets d’adresses, participant par là même au déroulement des enquêtes. Toutefois, certains auteurs dans ce dossier soulignent que cette mise à disposition de contacts en chaîne ou en réseau n’est pas systématiquement un gage de réussite et ne facilite pas nécessairement le chercheur dans son processus d’enquête : les personnes suggérées peuvent se révéler méfiantes pour un entretien ou peu fiables en raison d’une trop grande subjectivité de leur témoignage (de Marzo); ces contacts peuvent aussi éloigner le chercheur de son questionnement (cas de Yameogo) ou peuvent l’enfermer, à son insu ou non, dans une logique d’« enclicage » (Olivier de Sardan, 1995) en devenant tributaire de réseaux spécifiques (cas de Marzo et de Perrin-Joly) ou en étant réduit à rencontrer qu’un seul profil d’enquêtés, compte tenu d’une faible maîtrise de la langue de ceux-ci (cas de Bourdeloie).

Outre la technique de boule de neige, le recours à un ou plusieurs fixeurs et interprètes est fondamental, notamment pour les chercheurs outsiders ne connaissant pas ou peu la langue des populations interrogées (cas de Marzo et de Meier), et ce, sur des terrains surinvestis, tendus, mouvants; la qualité du fixeur et de son réseau est un atout indéniable pour modérer les effets de domination dans le cadre des entretiens. Par ailleurs, le choix de l’interprète est délicat, car plusieurs paramètres sont à prendre en compte : celui-ci doit être familier à l’enquête de terrain, savoir jouer le rôle de facilitateur sans toutefois créer une complicité avec l’informateur qui conduirait à exclure progressivement le chercheur de la discussion, traduire fidèlement les questions et les réponses sans les interpréter.

Le recours à des intermédiaires demeure aussi crucial pour instaurer un climat de confiance, approcher des personnes aux vécus douloureux (cas de Massoui/Séguin) ou pour s’affranchir du premier cercle d’informateurs issu du milieu familial du chercheur (cas de Djelloul) ou encore pour être présenté adéquatement afin d’obtenir l’acceptation d’un informateur en vue d’une rencontre et mieux appréhender les logiques d’appartenance politique et la complexité des paysages politiques (cas de Marzo et de Meier).

Le croisement des techniques d’approche (entretiens semi-directifs, entretiens de groupes, observations participatives, biographies) s’est aussi révélé primordial pour plusieurs chercheurs. Une présence régulière et longue sur le terrain est nécessaire : Yameogo a été présent régulièrement sur les marchés pour intégrer le monde de femmes entrepreneures et a accepté de participer à leurs activités professionnelles; Massoui a pour sa part assuré une présence prolongée dans les centres d’écoutes, a suivi les tâches quotidiennes des assistances sociales et a assisté à une vie associative en lien avec la défense des droits des femmes; Djelloul et Perrin-Joly ont quant à elles accompagné les informateurs dans leurs mobilités et leurs activités de sociabilité. De même, la triangulation des sources pour Marzo et la diversification des témoignages recherchée par Meier sont vues comme des incontournables pour appréhender des terrains minés par des jeux de pouvoir, de faction et de légitimation. Les chercheurs y étaient en quête de « différences significatives », de « discours contrastés » (Olivier de Sardan, 1995, p. 35) afin de valider l’information recueillie dans des espaces politiques émiettés et de préserver une distance pour atteindre différentes factions, obtenir leur confiance, même si cela s’est avéré difficile (Ergun & Erdemir, 2010). En revanche, dans le cas où il n’y a pas de possibilité de recouper des sources en raison de leur inexistence ou de leur contenu biaisé, Perrin-Joly montre bien comment elle a dû s’appuyer sur « des faisceaux d’indices » (Cefaï & Amiraux, 2002, p. 2), un nouvel objet de recherche, les rumeurs, pour analyser le monde entrepreneurial en Éthiopie.

L’art de la relance apparaît aussi primordial. Cela a notamment permis de créer une connivence avec certaines femmes, malgré la présence de leurs époux, afin de traiter de sujets délicats (de Yameogo; voir aussi Niang, Dupéré, & Fletcher, 2017), de creuser des histoires individuelles de femmes (de Massoui et Séguin et de Djelloul), d’avoir des échanges verbaux presque continus avec l’informateur à la faveur de relances rapides grâce à un interprète bien informé des objectifs de la recherche (de Meier).

Avoir recours à des subterfuges est aussi choisi comme stratégie d’enquête. Cela passe par un art du langage pour avancer dans le processus d’enquête lorsque les informateurs sont interrogés notamment à leur domicile; il s’agit d’opter, au début de la rencontre, pour des sujets neutres (de Yameogo et de Meier) ou non directement liés à l’objet de la recherche (de Marzo) et de respecter les rituels langagiers (de Yameogo et de Meier). Mais, plus largement, pour parvenir à briser la méfiance et à apaiser les crispations, une reformulation de questions, une utilisation de termes à connotation moins négative, un accompagnement des enquêtées dans leurs choix de vie – sans leur mettre des mots dans la bouche – et dans leurs mobilités hors de l’espace domestique ont été mobilisés (de Ngo Mayack, de Djelloul et de Massoui et Séguin).

Avoir recours à des dissimulations d’informations est une autre stratégie. Ngo Mayack a choisi de taire son statut de doctorante en Belgique pour essayer de diminuer la méfiance et la distanciation de la part de ses informateurs. Djelloul et Bourdeloie ont décidé de dissimuler ou de ne pas clamer leur positionnement féministe qui « peut faire partie des préjugés que l’on a amenés avec soi sur le terrain » (Jarry et al., 2006, p. 179; voir aussi Clair, 2016). Repérer les non-dits et savoir laisser la place aux silences lors d’entretiens amènent les chercheurs à prendre conscience de la complexité des expériences vécues par les enquêtés, à partager des moments difficiles entre un chercheur et un enquêté, à mieux percevoir les questions taboues, les normes sociales intégrées (de Yameogo et de Massoui et Séguin).

Toutes ces pratiques ne conduisent pas pour autant à éviter des moments d’incompréhension, de tension, de rupture avec certains informateurs (de Bourdeloie; pour une situation similaire vécue par une partial insider, voir Fawzi El-Solh, 1988) qui permettent de réaliser que « faire du terrain peut s’avérer gros de malentendus » (Dozon, 2005, p. 11). Le parcours du chercheur sur des terrains « sensibles » est en effet parsemé d’embûches, d’essais-erreurs, de tâtonnements et d’ajustements, éléments constitutifs d’une profonde autoréflexivité pour relancer l’enquête, reformuler parfois ses objectifs et pour interagir autrement avec les informateurs. Ngo Mayack et Bourdeloie sont à cet égard les auteures dans ce dossier qui développent le plus leur frustration et leur embarras lorsque les ratés se font persistants, aspect d’autant plus important à souligner que peu d’auteurs veulent traiter de ces ratés qui sont pourtant inévitables (Stavo-Debauge, Roca I Escoda, & Hummel, 2017). Ainsi, ces deux chercheures soulignent les effets insidieux et déstabilisants de l’expérience empirique, considérant à la fois le poids des représentations sociales, mais aussi le regard et les prises de position des informatrices. Elles ont été conduites à s’interroger profondément sur le bien-fondé de leur démarche méthodologique, jusqu’à justifier régulièrement leur positionnement et parfois perdre entièrement le contrôle de l’entretien.

Le poids des référents culturels a contribué aussi à vivre des ratés; ces deux chercheures abordent justement les effets négatifs à la fois d’une double perception racialisée à leur encontre, mais aussi des inconvénients causés par un ethnocentrisme culturel et intellectuel dont témoigne spécifiquement Bourdeloie. Celle-ci a d’une part fait l’expérience d’être réduite à sa peau blanche, à son identité d’Occidentale (voir aussi Dalmasso, 2018; Le Renard, 2010) et d’être placée dans un rapport de domination internationale à travers laquelle l’Autre est ignoré, incompris et stigmatisé (Jarry et al., 2006). Elle ne parvient pas d’autre part à s’immerger dans la société étudiée, se trouvant en décalage avec celle-ci, ce qui affecte grandement l’interaction avec certaines de ses enquêtées. Quant à Ngo Mayack, tant son objet de recherche sur la pilule contraceptive d’urgence (PCU), assimilée à une pilule abortive dans un pays tel que le Cameroun où l’interruption volontaire de grossesse est interdite, que son identité d’étudiante faisant un doctorat en Belgique l’ont amenée à être considérée par ses informateurs soit comme un mixte de chercheure allogène-indigène ou comme une personne potentiellement formatée par l’Occident.

Ces éléments nous conduisent à aborder la dimension humaine qui est clairement au centre du dispositif d’enquête dans les terrains « sensibles ». Le chercheur interroge, négocie et renégocie constamment les interactions avec ses informateurs qui évoluent vers des dynamiques interpersonnelles (Dwyer, & Buckle, 2009). Dans ce cadre, l’art de l’écoute attentive, voire empathique, est fondamental, sans perdre de vue que le chercheur « n’est pas le seul qui contrôle le pouvoir lors du processus d’entretien », les « participants [ayant aussi] un certain contrôle sur la recherche » (Niang et al., 2017, p. 39; Merriam et al., 2001); ces relations de pouvoir évoluent d’ailleurs dans le temps (Mullings, 1999). Bertin Yameogo a ainsi dû choisir d’inverser son protocole d’enquête et d’y placer l’époux au centre, ce qui a eu deux avantages majeurs : celui de délier les langues tant des hommes que des femmes et celui de dévoiler indirectement les relations de genre en recueillant en parallèle les témoignages qui rapportaient les charges de chacun dans le quotidien.

Cette dimension humaine pose aussi la question centrale du positionnement du chercheur dans des terrains « sensibles ». Celui-ci s’interroge constamment sur son implication sur son terrain, sur la juste et bonne distance à construire, sur la posture d’observation (Ouattara, 2004). Pour certains, l’équilibre entre l’adhésion et la distanciation par rapport à son objet de recherche semble être un impératif dans des contextes dichotomiques, et ce, pour éviter les risques d’interprétations biaisées et pour déconstruire les logiques de pouvoir (de Marzo et de Meier).

D’autres optent pour un engagement actif et personnel auprès des informateurs, au point d’avoir une forte empathie pour soi (chercheur) et ces derniers dans le cas où les deux partis se retrouvent à « gérer en permanence la certitude de l’incertitude » (Boumaza & Campana, 2007, p. 11). C’est le cas de Perrin-Joly qui a fait un double choix : d’une part, prendre contact avec les entrepreneurs sans en avertir les autorités, prenant conscience que son statut de chercheure étrangère ne suscitait pas de méfiance auprès des informateurs, dès lors que ceux-ci étaient confrontés à la même atmosphère d’incertitude causée par un système de surveillance généralisé; d’autre part, cibler des informateurs en marge du réseau diplomatique officiel pour s’affranchir de son laboratoire de recherche dépendant de l’ambassade de France qui était soucieuse de garder de bons rapports avec l’État éthiopien et contraignait par là même la liberté de recherche.

Dans d’autres cas de figure, il s’agit de dépasser la recherche d’objectivité là où des « émotions ne peuvent, ni de doivent être ignorées » (Boumaza & Campana, 2007, p. 16) et de « renoncer à un protocole d’enquête trop canonique » (Bouillon, Fresia, & Tallio, 2005, p. 14). En interrogeant des femmes victimes de violence conjugale et en se rendant dans des centres d’écoute à Rabat, Massoui a clairement assumé un triple positionnement : proximité, engagement et solidarité (voir aussi Lamarche, 2015). Massoui et Séguin prennent le contre-pied d’écrits dans lesquels est questionnée l’objectivité d’un chercheur qui, dès lors qu’il est insider, est considéré comme trop proche de son terrain, le conduisant à avoir une interprétation biaisée, ayant plaqué son propre vécu sur celui des personnes interrogées (Kanuha, 2000). Ces auteurs sont conscients de ce biais et s’en préservent tout en démontrant leur propension à analyser l’évolution psychologique des femmes interrogées, considérant ces témoignages comme des expériences d’agency (voir aussi Villani, Poglia Mileti, Mellini, Sulstarova, & Singy, 2014). Ceci a été possible en concevant la relation d’enquête comme « une communion durable » (Ayimpam & Bouju, 2015, p. 16), c’est-à-dire en ayant une écoute attentive et empathique auprès de femmes qui ont des vécus douloureux, jusqu’à donner des avis sur leurs situations (sur le bien-fondé de leur démarche, par exemple) tout en faisant un travail sur le soi (chercheur); ceci passe non seulement par une prise en compte des émotions de ce dernier, du partage d’une expérience vécue de violence et d’engagement féministe dans le passé pour faciliter les contacts, mais aussi par une distanciation par rapport à ses propres référents culturels. Djelloul a aussi opté pour ce positionnement d’engagement, en accompagnant les femmes hors de leur espace domestique pour vivre et percevoir avec elles des expériences d’hostilité ou d’agression et partager avec ces dernières des souvenirs douloureux qui informent de la conflictualité dans les relations de genre.

Il s’agit, à travers ces exemples, de démontrer son intérêt pour « l’expérience de ses participants à la recherche » et son engagement « à représenter avec exactitude et de façon adéquate leur expérience » (Dwyer & Buckle, 2009, p. 59), d’être conscient de trois principales règles d’interaction. Premièrement, la souffrance subie par ces femmes conduit à « une position inégalitaire face à l’enquêtrice » et nécessite un « engagement moral vis-à-vis des enquêtées » et « ce rapport inégalitaire peut être dépassé moralement à condition qu’il y ait un partage, un échange entre enquêtrice et enquêtée » (Villani et al., 2014, p. 3). Deuxièmement, interroger les vécus est une manière de « reconnaître une valence scientifique aux enquêtées, devenues sujets producteurs non seulement de sens […] mais aussi de savoir » (Villani et al., 2014, p. 14) afin de comprendre toutes les dimensions de l’agency. Troisièmement, il s’agit de « sortir du dualisme domination/résistance » pour « comprendre comment les femmes se construisent en tant que sujets femmes aussi bien corporellement, moralement, qu’émotionnellement » et, « à long terme, comprendre les pensées et les motivations de femmes est le moyen d’explorer comment elles peuvent améliorer et défaire leur situation » (Jarry et al., 2006, p. 191). C’est en définitive une manière de valoriser les expériences de ces femmes à leurs propres yeux, de les laisser faire leur choix sans plaquer des cadres théoriques qui ne tiendraient pas compte des ressources intellectuelles et sociales dont elles disposent et de renforcer l’intercompréhension entre femmes (chercheure-enquêtées).

Pour la plupart des autres auteurs dans ce dossier, il s’agit de se situer dans un entre-deux, une distanciation critique, délicate à préserver. Le chercheur, « n’échapp[a]nt pas aux attentes implicites et aux sollicitations du milieu » (Ouattara, 2004, p. 5), se voit négocier une multipositionnalité. C’est ainsi que, « pour mener à bien son travail, il doit [feindre de] répondre à différentes demandes, jongler avec diverses projections, gérer des “dédoublements”, mais aussi reconnaître l’existence de limites parfois infranchissables » (Massicard, 2002, p. 117). Dans certains cas, le chercheur, pris pour un agent de l’État, est confronté à des attentes administratives, voire monétaires, de la part de certains informateurs qui vont au-delà des limites de son positionnement. Le chercheur doit, dans ces conditions, réexpliquer son statut, les contours et la finalité de sa recherche, au risque de voir certains informateurs se retirer du processus d’enquête (cas de Yameogo et de Ngo Mayack). Le chercheur se trouve en réalité dans une situation inconfortable, en quête d’une attitude à la fois compréhensive et d’évitement (cas de Ngo Mayack), se sent impuissant (cas de Bourdeloie), car il ne peut « effectuer un contre-don conforme aux attentes des enquêtés » (Bouillon, 2005, p. 76). Dès lors, un problème de conscience peut se poser qui revient à remettre en question la nature de l’interaction du chercheur avec ses informateurs.

Dans des situations politiques ou sociales dichotomiques, le chercheur peut aussi être « érigé en porte-parole du groupe qu’il étudie, ou rejeté en tant que dénonciateur des pratiques et discours du groupe » (Boumaza & Campana, 2007, p. 14). Sans souhaiter devenir le porte-parole d’un camp par rapport à un autre, Meier a voulu donner la parole à des citoyens kurdes, ce qui lui a permis de souligner un profond fractionnement dans la communauté kurde entre le vécu de ces derniers et les aspirations idéologiques des autorités en place. Ngo Mayack, ne voulant pas non plus devenir une porte-parole des requêtes des enquêtés, a formulé ses recommandations en fonction de la mise en perspective des données collectées sur le terrain. Pour Marzo, il ne s’agissait pas d’écrire une page d’histoire conformément aux aspirations citoyennes et nationalistes que peuvent mettre de l’avant des informateurs pour expliquer la transition démocratique en Tunisie. Il s’agissait plutôt d’écrire une page nuancée de l’histoire politique contemporaine de ce pays en confrontant les témoignages des acteurs locaux par rapport à ceux des acteurs internationaux pour évaluer l’implication d’une partie de la communauté internationale dans ce processus politique.

Le chercheur partial insider est considéré comme une personne qui a perdu les liens avec sa culture d’origine. Yameogo s’est vu doublement considéré comme un étranger en résidant au Canada et en appartenant à la gent masculine; une informatrice pensait qu’il ne parlait pas le mooré et une autre le sensibilisait au fait de l’importance des non-dits sur les relations de genre dans le cadre d’entretiens de groupe. Quant à Djelloul, consciente de son décalage avec sa société d’origine, elle a fait le choix de réintégrer les us et coutumes de sa famille avant de mener des enquêtes hors de son cercle familial, en prenant le soin d’être accompagnée de sa mère pour les premières prises de contact. Le fait d’être identifiée comme la fille de… lui a ouvert des portes et lui a permis d’être finalement une observatrice complice des aspirations intimes de femmes dans la périphérie d’Alger. Cette proximité se révèle complexe : la différence de parcours et de comportement de la chercheure par rapport aux enquêtées dans des situations très concrètes d’interaction entre femmes et hommes dans la rue est « perçu non pas [comme] une distance, mais plutôt comme un écart […], une forme de proximité […] maintenue malgré la conscience d’une différence » (Mazouz, 2008, pp. 89-90).

Ces contributions montrent bien qu’il n’y a pas nécessairement « une complicité de sexe » (Monjaret & Pugeault, 2014, p. 54), que le fait d’être une enquêtrice interrogeant des femmes n’est pas nécessairement un atout, « le tout variant selon la classe de sexe qui construit [le chercheur] et selon les enjeux qui sont en cause » (Échard, Quiminal, & Sélim, 1991, p. 82; voir aussi Altorki & Fawzi El-Solh, 1988; Schwedler, 2006) dans le groupe d’informateurs ciblé. Tout comme être un enquêteur interrogeant des femmes peut conduire à des résultats insoupçonnés et riches d’enseignements originaux (de Yameogo).

En ce qui concerne les risques d’instrumentalisation de son travail, le chercheur est sans cesse dans la quête et la reconquête de son autonomie au fur et à mesure des entretiens, en « ne se [contentant] pas de la case dans laquelle [ses] interlocuteurs [le] mettent » (Ouattara, 2004, p. 9). Le chercheur, en choisissant de garder une distance critique, sait que l’interaction avec ses informateurs peut être fluctuante (de Ngo Mayack), ceux-ci peuvent être déçus, rester méfiants au point de ne plus vouloir participer à l’enquête (de Yameogo), ou peuvent transformer l’entretien en un échange acrimonieux qui le délégitime (de Bourdeloie).

Il appert qu’une neutralité totale est « un leurre »

(Ouattara, 2004, p.5) et que le degré de difficulté éprouvé par le chercheur ne peut être détaché de sa trajectoire sociale, de ses expériences de la vie, du style de recherche pratiqué autour de lui, de son identité psychologique et morale aux yeux des autres, des types d’interaction qui lui sont en conséquence permis ou rendus impossibles (Bizeul, 2007, p. 73).

Ce degré de positionnement va également de pair avec la capacité du chercheur à gérer le paradoxe entre une attitude d’engagement (Agier, 1997) et une de neutralité qui demeure un objet de débats (Olivier de Sardan, 2008). Les terrains sensibles comme ceux en Afrique et au Moyen-Orient poussent en définitive les chercheurs dans leurs derniers retranchements, suscitent de « l’inconfort », de « l’inquiétude à la fois épistémologique, éthique, politique, existentielle même » (Fassin, 2005, p. 100), les obligeant à tester et à éprouver leurs capacités d’inventivité et de flexibilité devant des réalités ardues, complexes et mouvantes.

Ce numéro compte huit textes, dont trois cas d’étude sur l’Afrique subsaharienne (Cameroun, Burkina Faso et Éthiopie), trois sur l’Afrique du Nord (Tunisie, Algérie et Maroc) et deux sur le Moyen-Orient (Arabie Saoudite et Kurdistan irakien). Voici le contenu des contributions.

Daniel Meier propose une analyse autoréflexive sur les enjeux, les méthodes et les défis méthodologiques et éthiques qui se sont posés sur un terrain difficile, dans un contexte autoritaire, situé au nord de l’Irak, dans des territoires disputés entre Kurdes et Arabes. L’auteur parle de son accès à ce terrain méconnu en tant que chercheur occidental qui ne parle pas le kurde et qui a eu peu de contacts au préalable dans le cadre d’une courte mission. Il explique son entrée sur le terrain où l’écoute, l’observation et la posture de prudence ont été centrales. Puis il explique comment il a considéré important de diversifier ses informateurs pour ne pas seulement collecter des discours militants; il tenait aussi à donner la parole à des résidents ordinaires pour aller au-delà des évidences, comprendre les enjeux géopolitiques, économiques et surtout identitaires qui se jouent sur ces territoires. À mesure des témoignages recueillis, le chercheur se questionne sur les règles d’éthique à respecter dans le cadre d’une recherche qualitative et sur son choix en faveur d’une posture distanciée.

Pietro Marzo, ayant pour objectif de mesurer l’impact des influences externes dans le processus de démocratisation en Tunisie, expose ses difficultés sur le terrain. Constatant un manque de sources, car les auteurs ont davantage mis l’accent sur les facteurs internes du processus, Marzo explique que son premier défi a été de bien identifier les informateurs. La Tunisie étant devenue un terrain surinvesti par les chercheurs, l’auteur explique en quoi avoir accès à des informateurs, prendre contact avec eux et obtenir des entretiens constituait un deuxième défi et demandait de mobiliser des fixeurs de qualité. En tant que chercheur étranger occidental dans un pays où les informateurs préfèrent mettre l’accent sur les facteurs internes du processus de démocratisation, l’auteur explique ses stratégies pour mener des entretiens qui permettent de proposer une lecture nuancée de l’histoire politique contemporaine du pays. Ainsi, le recours à la technique de boule de neige et à la triangulation des données sert à diversifier les informateurs, permet au chercheur de collecter des données croisées et originales et l’éloigne de témoignages biaisés, car considérés comme trop subjectifs.

Constance Perrin-Joly mène une recherche ethnographique sur les entrepreneurs en Éthiopie où l’État est semi-autoritaire et où les mouvements sociaux de 2015-2017 ont instauré une atmosphère d’incertitude. Elle présente les spécificités de son terrain dans lequel les sources écrites ne sont pas fiables compte tenu du contrôle de l’accès à l’information. L’auteure rapporte que les chercheurs et les entrepreneurs bénéficient de peu de marge de manoeuvre dans leur travail et leur vie quotidienne en raison de la généralisation de la surveillance, ce qui génère méfiance et incertitude. Dans ce contexte, l’auteure explique comment l’incertitude est devenue un élément structurant de sa recherche, comment son statut de chercheure étrangère a constitué un atout pour interroger des entrepreneurs non éthiopiens, mais aussi comment il l’a conduite à une situation intenable lorsque son rattachement à un laboratoire français dépendant de l’ambassade de France la contraignait dans sa liberté de recherche. Elle explicite dès lors comment elle a changé de méthodologie en s’impliquant autrement sur son terrain, en diversifiant ses positionnements et en s’intéressant aux rumeurs pour mieux comprendre le fonctionnement du milieu entrepreneurial.

Josiane Ngo Mayack s’intéresse à l’utilisation de la pilule contraceptive d’urgence (PCU) au Cameroun et propose une réflexion sur plusieurs difficultés rencontrées sur le terrain et sur sa manière de les pallier. La chercheure explique comment elle a été confrontée au poids des représentations sociales de cette pilule, considérée comme abortive, dans un pays où l’interruption volontaire de grossesse est interdite et où l’Église catholique pèse de tout son poids. Elle analyse les différents rôles que lui ont assignés ses informateurs et leurs attentes, ce qui a complexifié l’interaction avec ceux-ci et a contribué à faire évoluer les objectifs de sa recherche, sa méthodologie, à remettre en question son propre positionnement et à connaître des difficultés dans l’accès aux données de terrain. L’auteure explique qu’elle a choisi d’intégrer notamment le recours à la PCU, sans plus mettre l’accent sur le droit d’accès à la contraception et sans se laisser enfermer dans un débat sur la légitimité de l’avortement. Elle a choisi aussi d’intégrer la mise à jour des connaissances des différents acteurs sur la question (services de santé, patients), de clarifier sans cesse la finalité de sa recherche auprès des informateurs, d’osciller entre une attitude compréhensive et d’évitement, d’expérimenter les jeux de distanciation et de proximité imposés par les informateurs.

Salima Massoui et Michaël Séguin abordent le cas de femmes violentées issues du milieu populaire dans une société arabo-amazighe à majorité musulmane qui ont été rencontrées dans des centres d’écoute et d’aide juridique à Rabat et dans sa banlieue. Les auteurs examinent les défis méthodologique et éthique sous-tendus par cette recherche alors que la violence conjugale est considérée comme une norme sociale et que décider d’aller dans ces centres expose ces femmes à des représailles de leur époux ou de leur famille. Ils optent pour un positionnement féministe intersectionnel qui leur permet de comprendre en quoi la violence conjugale ne résulte pas seulement du poids du patriarcat, mais aussi de rapports intergénérationnels et/ou de classes. Ils expliquent la stratégie d’accès au terrain de la première auteure (l’importance de pouvoir compter sur un intermédiaire), la mise en évidence de son identité de chercheure, le fait d’insister sur la proximité, l’engagement et la solidarité sans projeter ses propres expériences sur celles des enquêtées et sans vouloir mettre des mots dans la bouche des enquêtées; tous ces éléments ont contribué à instaurer un climat de confiance mutuelle afin d’interroger l’intime en profondeur.

Ghaliya Djelloul partage ses réflexions méthodologiques en traitant des mobilités spatiales de femmes issues de divers milieux sociaux à la périphérie d’Alger. L’auteure mène un travail de réflexivité sur son rapport à son terrain d’enquête qu’elle considère comme proche, mais qu’elle doit reconquérir compte tenu du regard de sa famille posé sur elle. Ainsi, elle détaille le processus de « réindigénéisation » et d’engagement dans les relations familiales pour regagner la confiance de ses proches. Une multitude de stratégies est exposée pour inspirer la confiance des enquêtées et passer du statut d’« invitée » au statut de « familière » afin d’entrer dans les lieux d’intimité de ces dernières. Après être parvenue à accéder au terrain en dehors de l’espace domestique de sa propre famille, l’auteure fait état de sa méthodologie pour mesurer les pratiques de mobilité de ces femmes en dehors de leur espace domestique et la mobilisation de leurs réseaux. Elle explique son choix d’accompagner ces femmes dans différents lieux, de les écouter pour mesurer les freins à leur liberté de mouvement et leur intégration des normes sociales dans le cadre des rapports de genre.

Hélène Bourdeloie mène pour sa part une recherche sur les usages du téléphone portable par les femmes saoudiennes à Riyad et se concentre sur les enjeux liés au positionnement d’une femme chercheure, blanche et occidentale dans une société où les normes religieuses, sociales et de genre sont fortement ancrées en termes de rapport à l’espace et aux mobilités. L’auteure expose comment son statut d’outsider qui appréhende un terrain qu’elle voit comme inconnu, ségrégationniste en ce qui a trait au genre et éloigné de ses référents culturels offre des avantages et des inconvénients qui affectent les conditions d’accès au terrain, la collecte de données et la production d’un savoir. L’auteure souligne ses erreurs dans ses démarches de prise de contact et de formulation de questions, ce qui l’amène aussi à une autoréflexivité sur la nature des interactions avec ses enquêtées, les enjeux éthiques de sa recherche, les précautions à prendre sur le terrain pour ne plus mettre en danger ses enquêtées et les logiques de domination dans le cadre de certains entretiens qui ont fragilisé et délégitimé la chercheure.

Bertin Yameogo fait quant à lui part des défis auxquels il a dû faire face pour mener des enquêtes auprès de femmes entrepreneures à Ouagadougou, alors que le travail féminin et la contribution des femmes aux dépenses domestiques sont peu pris en compte même si les difficultés économiques conduisent les hommes à ne plus pouvoir subvenir seuls aux dépenses. Cela est en grande partie dû au fait encore établi, dans les mentalités, que l’époux demeure en position d’autorité. Ainsi sont exposées les différentes stratégies d’approche pour recueillir les voix de ces femmes alors que l’auteur est un jeune chercheur, un partialinsider sensible au sort de ces femmes compte tenu de la trajectoire entrepreneuriale de sa mère. L’auteur explique sa quête du juste milieu – entre distanciation et observation participante –, où s’entremêlent différentes méthodes qualitatives et s’opèrent plusieurs ajustements méthodologiques pour toucher de près les conditions de travail de ces femmes et gagner leur confiance pour mener des entretiens à leur domicile. Toutefois, en raison de la présence des époux, l’auteur montre comment il a dû repenser entièrement sa stratégie de recherche pour délier les langues et décrypter l’évolution des relations de genre.