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Une conférence restreinte de l’ONU sur le rôle inclusif de l’ESS

L’Organisation des Nations Unies pour le développement industriel (Unido) a organisé, le 1er et 2 juin à Budapest, avec l’appui du gouvernement hongrois, une conférence internationale restreinte sur « le rôle de l’économie sociale et solidaire dans la lutte contre l’exclusion ». Ce colloque a réuni environ une trentaine de participants, principalement hongrois, autour des quarante-trois orateurs invités, venant d’une vingtaine de pays de l’Union européenne ou de pays voisins.

Cette conférence partait du constat de la montée de l’exclusion sociale dans de  nombreux pays du fait des inégalités croissantes, du chômage des jeunes, de la dégradation de l’environnement, vus comme des externalités négatives de la mondialisation, du progrès technique et des conséquences de la crise économique et financière. Les deux premières sessions ont été consacrées à une définition et discussion du concept d’économie sociale et solidaire (« des organisations qui se distinguent des entreprises lucratives par leur but explicite économique, social et/ou environnemental et par leurs relations de solidarité coopératives et associatives ») ; du concept d’entreprise sociale (« une entreprise qui existe pour avoir un impact social positif tout en étant financièrement soutenable »). L’exclusion sociale a aussi été définie, non seulement en rapport avec la pauvreté relative, mais surtout avec l’inclusion sur le marché du travail et la participation à la vie sociale, politique et culturelle. Ces sessions ont aussi rappelé les objectifs de la stratégie de l’Union européenne Europe 2020 pour une croissance « intelligente, soutenable et inclusive » avec l’objectif de sortir de la pauvreté 20 millions d’Européens et de porter le taux d’emploi de la population adulte à 75 %. Les dix-sept buts de l’agenda 2030 de l’ONU ont également été fréquemment rappelés par les orateurs.

Cas pratiques et bilans nationaux

La session suivante a présenté un panel de huit jeunes entreprises sociales hongroises, européennes ou encore géorgienne, arménienne, et même une très intéressante expérience péruvienne. Ces exemples de bonnes pratiques donnaient à de jeunes entrepreneurs l’occasion de parler de leur projet et de leurs réalisations, mais la plupart des entreprises étaient de création très récente, fortement soutenue financièrement par leur gouvernement ou par l’Unido. Il était donc difficile de savoir lesquelles étaient réellement durables.

La quatrième session consacrée au financement des entreprises sociales a surtout traité de l’investissement à impact social. Elle a mis en avant l’idée que, dans les années à venir, un grand transfert de richesse allait avoir lieu au profit de la génération Y, ces jeunes nés entre 1980 et 2000 en occident (ou plutôt au profit d’une fraction d’entre elle). Or, la génération Y serait plus soucieuse de l’impact social et environnemental, de ses placements, que les générations qui l’ont précédée. Le nouveau rôle des banques serait alors de mettre en contact les entrepreneurs sociaux et les investisseurs soucieux d’impact.

La cinquième session, plus classique, a exposé les différentes formes de services aux entreprises sociales offerts par le gouvernement hongrois et les organisations internationales : pépinières d’entreprises, innovative labs, lobbying et mise en réseau des entreprises sociales. Quant à la sixième session, elle présentait « l’encadrement politique nécessaire pour une économie sociale et solidaire dynamique et prospère » et faisait la part belle aux expériences de l’Europe de l’Ouest en la matière, ce qui a permis d’évoquer la loi ESS de 2014, tandis que l’Allemagne exposait son mode de partenariat et le Royaume-Uni ses statistiques de croissance des entreprises sociales. Enfin, la dernière session, un peu écourtée car beaucoup de retard avait été pris, a traité des organisations de solidarité internationales.

L’ESS, une priorité des Nations Unies ?

Quel bilan tirer de cette conférence internationale ? A l’actif, prioritairement, la diffusion du concept d’économie sociale et solidaire à des pays où il est peu familier (Hongrie, Roumanie, Bulgarie, Arménie, Géorgie, etc.), par des organisations internationales qui, jusqu’à très récemment, étaient réticentes. L’économie sociale et solidaire y est présentée comme un remède au chômage des jeunes, très élevé dans ces pays. L’existence d’une task force dédiée à l’ESS, groupe de travail traduisant l’investissement des Nations Unies, a été une révélation pour un certain nombre de participants, de même que celle du réseau européen NESsT, destiné à soutenir les entrepreneurs sociaux en Europe de l’Est et ailleurs. La rencontre et les liens qui ont pu se nouer entre de jeunes entrepreneurs dynamiques et innovants, parlant aussi vite l’anglais que leur langue maternelle vraisemblablement, est aussi un des éléments très positifs de ce colloque.

Au passif, il faut inscrire le trop grand nombre d’orateurs, parmi lesquels de nombreux officiels hongrois parfois redondants, des modérateurs qui ne tenaient guère la montre et ajoutaient souvent une communication imprévue, mais aussi des présentations souvent plus publicitaires qu’analytiques. Cependant, il devrait sortir de cette rencontre une publication intéressante, après que les organisateurs auront opéré un tri et une remise en forme nécessaire. Enfin, les concepts proposés ayant des acceptions différentes selon les pays, seule une démarche méthodologique commune peut donner lieu à des comparaisons européennes solides des entreprises sociales et de l’ensemble de l’économie sociale et solidaire.

Edith Archambault

Le réseau interuniversitaire de l’ESS s’intéresse au champ de la formation

Les XVIIes rencontres du RIUESS, Réseau interuniversitaire de l’économie sociale et solidaire, se sont déroulées à Marrakech du 22 au 24 mai. Organisées par l’université de Haute-Alsace et l’université Cadi Ayyad de Marrakech, elles avaient pour thème « Engagement, citoyenneté et développement : comment former à l’économie sociale et solidaire ? ».

Chaque année, ces rencontres réunissant chercheurs et praticiens de l’ESS permettent de présenter l’état de la recherche sur un sujet, de débattre et de discuter, de croiser les idées et les réseaux. C’était cependant la première fois en dix-sept éditions que la question de la formation à l’ESS était le thème central des rencontres, preuve que l’actualité du sujet devient prégnante. Cette problématique se traduit par le développement des formations universitaires à l’ESS, dont le nombre s’accroît chaque année, en France comme au Maroc, et la nécessité de réfléchir à un champ encore trop peu investi, malgré diverses initiatives impliquant nombre d’acteurs et de chercheurs.

Quelles pratiques de formation à l’ESS ?

Les 180 intervenants (chercheurs, étudiants et acteurs de l’ESS), pour une grande part venus d’Afrique du Nord et de l’Ouest, ont présenté leurs travaux, échangé et débattu avec les participants venus de France, ce qui a mis en évidence l’intérêt de poursuivre les recherches et les expérimentations sur les pratiques de formation à l’ESS.

Dans les sujets abordés, notons des interventions sur l’histoire de l’éducation à l’ESS (« Jalons pour une histoire de l’éducation à l’ESS : d’une solidarité pour l’éducation à l’éducation pour la solidarité ») ; la co-construction du savoir (« Au-delà des frontières. La co-construction de la connaissance en ESS, avec un éclairage canadien ») ; ou encore sur les défis posés (« Enjeux et défis de la formation à l’économie sociale et solidaire : conflits et transactions sociales entre modèles pédagogiques ») ; les apports de l’alternance (« Les formations en économie sociale et solidaire et les apports de l’alternance »)…

Enfin, des rencontres doctorales ont permis à un certain nombre de doctorants de présenter leur problématique de recherche, et de se soumettre à la critique constructive de leurs pairs et de quelques chercheurs confirmés. Nul doute que les actes de ces rencontres permettront une diffusion de ces apports et contribueront à la réflexion.

Une rencontre avec les réseaux africains de l’ESS

Autre fil conducteur de ces XVIIes rencontres, elles offraient l’occasion de mieux découvrir l’ESS en Afrique francophone grâce à de nombreuses conférences et présentations qui prenaient place dans un forum co-organisé avec le Remess, Réseau marocain de l’ESS, le Raess, Réseau africain de l’ESS et le Ripess, Réseau intercontinental de promotion de l’ESS. Ce forum a permis un dépassement de la configuration habituelle des rencontres, généralement centrées sur la présentation de communications de chercheurs pour la plupart français.

Un certain nombre de communications ont permis des éclairages sur des projets peu étudiés, et parfois peu connus, situés à Madagascar (« Mon parcours et mes engagements pour l’ESS à Madagascar ») ; au Cameroun (« Former pour une citoyenneté inclusive des jeunes défavorisés : le projet Fare au Cameroun ») ; en Côte d’Ivoire (« Une réinterprétation des rapports économiques et sociaux des accoucheuses traditionnelles et femmes enceintes en Côte d’Ivoire ») ; au Burkina Faso (« La diffusion de l’économie sociale et solidaire au Burkina Faso : le rôle des associations et des universitaires ») ; au Sénégal (« Implication et innovations des jeunes et des femmes face aux défis du sous-emploi agricole : plateforme digitale de promotion et de vente en ligne de produits agricoles au Sénégal »)…

La rencontre a conforté la conviction, partagée entre acteurs et chercheurs, que l’ESS ne pouvait se réduire à sa dimension gestionnaire et devait nécessairement se fonder sur une dimension politique et citoyenne, sur les deux rives de la Méditerranée. Les débats ont montré le danger de se limiter à un travail sur les outils, et de ne se centrer que sur la gestion, au risque d’oublier que l’ESS n’a de sens que si elle est considérée comme une application dans le champ économique d’une volonté démocratique.

Les XVIIIes rencontres du RIUESS auront lieu du 16 au 18 mai 2018 à Rennes. Elles seront organisées par les deux universités de Rennes 1 et Rennes 2 et auront pour thème « Les fondements de l’ESS. Associationisme, autogestion et émancipation ».

Michel Abhervé

Un panorama du financement des entreprises de l’ESS

Pour la première fois, un rapport dresse un panorama complet des financements accessibles aux entreprises de l’ESS ainsi que de leurs financeurs. Demandé par ESS France, la Chambre française de l’ESS, ce rapport, consultable en ligne, part d’un constat : d’un côté, les représentants des grands réseaux nationaux et territoriaux de l’ESS trouvent qu’il est difficile de trouver des financements pour de nouveaux projets, notamment lorsqu’il s’agit de projets portés par des TPE/PME. De l’autre, les acteurs de la communauté bancaire en lien avec l’ESS se plaignent de la difficulté de trouver de bons projets. Le rapport, après avoir identifié les lacunes dans l’offre de financement et dressé un premier bilan de l’action de la BPI (la Banque publique d’investissement ayant reçu une mission particulière de financement de l’ESS), formule de très nombreuses propositions pour aider à résoudre cette tension.

De nouveaux financeurs spécialisés et généralistes

Première caractéristique du financement des entreprises de l’ESS : c’est un financement mixte qui bénéficie de l’épargne individuelle des particuliers, de l’épargne collective des salariés, des ressources des institutions financières généralistes et spécialisées, ainsi que des ressources publiques provenant des collectivités territoriales, de l’Etat et de l’Union européenne.

Du côté des financeurs spécialisés, de nouveaux acteurs (investisseurs solidaires, sociétés de gestion de l’épargne salariale, investisseurs à impact…) ont récemment pris place aux côtés d’acteurs plus anciens, publics (la Caisse des dépôts) ou privés (le Crédit coopératif, la société d’investissement Esfin-Ides…) pour financer les entreprises de l’ESS. Parallèlement, du côté des financeurs généralistes que sont les banques de l’ESS (ou les banques de réseaux avec lesquelles plusieurs financeurs spécialisés ont noué des relations de travail), une nouvelle génération d’acteurs et de fonds publics a été mise en place avant la loi de juillet 2014 sur l’ESS ou en accompagnement de celle-ci : le Piaess (Programme d’investissement d’avenir dédié à l’ESS), la BPI, le Fonds d’innovation sociale, le fonds Impact coopératif… Sans même évoquer l’explosion du financement participatif, l’écosystème du financement de l’ESS s’est beaucoup densifié et l’une des recommandations du rapport est de travailler à une meilleure articulation entre les acteurs spécialisés et généralistes, dans l’intérêt même des entreprises à financer.

Un accès inégal au crédit

Autre caractéristique de ce financement depuis quelques années : l’accès au crédit est nettement plus facile pour toutes les entreprises de l’ESS grâce à l’abondance du crédit et aux taux bas. Il subsiste toutefois de grandes disparités dans l’accès au financement. Aux deux extrêmes, la grande entreprise ne rencontre aucune difficulté à se financer, sauf situation financière dégradée, tandis que l’association en création qui n’a pas de fonds propres, n’offre pas de garanties sur ses actifs, n’a pas d’historique d’exploitation et est financée par des subventions n’aura pas un accès facile au financement bancaire.

Pour de nombreuses associations, la tarification publique, à l’image de la tarification à l’activité pratiquée dans le secteur sanitaire, ne permet pas toujours de couvrir les coûts et surtout d’investir. Et trop de subventions publiques restent octroyées tard dans l’année et sont versées tardivement, ce qui occasionne de sérieuses difficultés de trésorerie. Le manque de visibilité sur les concours publics freine aussi l’accès au crédit bancaire pour financer le fonds de roulement. Dans certains secteurs tels que la santé publique, le tourisme social, les entreprises d’insertion, alors qu’il existe des besoins d’investissement significatifs (immobilier, outils de production, équipement et informatique), l’accès au crédit bancaire d’investissement reste difficile pour les entreprises qui ont peu de fonds propres, ou ne justifient pas de leur capacité de remboursement grâce aux excédents dégagés sur l’exploitation, ou n’offrent pas des garanties suffisantes.

Quant au financement de l’innovation sociale, très risqué, à terme plus long que le financement de l’innovation technologique et de rendement moindre, il reste également difficile pour les PME de l’ESS, en particulier faute de dispositif finançant l’ingénierie de projet. Enfin, d’une manière générale, il est à noter que le niveau des fonds propres des entreprises reste souvent insuffisant, principalement à deux étapes de leur vie, le démarrage et le changement d’échelle.

Le rôle décevant de la BPI

Alors qu’elle est généralement saluée dans d’autres domaines, ESS France n’a trouvé aucun acteur satisfait de l’action de la BPI à l’occasion de la préparation de ce rapport. Clairement, le financement de l’ESS n’est pas prioritaire pour cette banque publique et elle ne s’en occupe pas correctement. Son offre spécifique est inadaptée et reste confidentielle. Ainsi, 99 % des entreprises de l’ESS continuent à se financer en dehors d’elle : la BPI touche au mieux un millier d’entreprises par an sur les 170 000 concernées. Les garanties publiques sur les investissements des financeurs de l’ESS ont également été dégradées par la BPI, alors qu’il s’agit de l’instrument de politique publique le plus efficace du fait de son effet de levier. Après cette phase d’observation et de déception, il faudrait repositionner son rôle à l’égard de l’ESS. Le rapport propose deux scenarii à cet égard : le retour du financement de l’ESS à la Caisse des dépôts ou le recentrage de la BPI sur l’apport en fonds propres aux conditions d’un investisseur patient et l’octroi de garanties aux investisseurs.

Mobiliser davantage de financeurs

Le rapport pointe la nécessité de combler les lacunes identifiées dans l’offre de financement et propose d’assurer sur les territoires, en liaison avec les collectivités, la montée en puissance d’incubateurs et d’accélérateurs dédiés à l’ESS. Pour mieux financer l’ESS, il faut continuer à mobiliser en priorité l’épargne individuelle et collective des citoyens et recentrer les interventions publiques sur les failles de marché (investissements à risque élevé et rentabilité modérée) et les instruments à fort effet de levier (garanties…).

Pour abonder les financements disponibles pour l’investissement patient à long terme, il est possible de mobiliser davantage de financeurs qui restent en retrait de l’ESS, soit parce qu’ils la connaissent mal (les compagnies d’assurance et les fonds de retraite), soit parce qu’ils n’ont pas le droit d’y investir (les fondations par exemple n’ont aujourd’hui pas le droit de souscrire à la plupart des titres émis dans l’ESS). Il convient également de pérenniser les financements publics là où ils existent et de garantir davantage de visibilité pour leurs bénéficiaires.

Pour contribuer à la résolution des nombreux défis sociaux et environnementaux (pauvreté et exclusion, chômage, transition énergétique et environnementale, solidarité…), l’ESS a besoin d’être mieux financée par le secteur public et par de nouvelles sources de financement. La centaine de propositions d’ESS France fournit, d’une certaine manière, le mode d’emploi pour y parvenir.

Frédéric Tiberghien
Président de Finansol et président de la Commission financement d’ESS France, auteur du rapport consultable sur Ess-france.org.

Du nouveau pour L’Economie sociale partenaire de L’Ecole de la République (L’Esper)

Du 13 au 20 mars, la nouvelle édition de la « Semaine de l’ESS à l’école » s'est déroulé un peu partout en France pour élargir le champ de la sensibilisation des élèves à une économie citoyenne, démocratique et solidaire. Porté pendant quatorze ans par l’Office central de la coopération à l’école (OCCE) et Coop FR (organisation représentative du mouvement coopératif français), cette année l’événement a fortement mobilisé l’association L’Esper (L’Economie sociale partenaire de L’Ecole de la République). L’Esper rassemble quarante-six organisations de l’économie sociale et solidaire (associations, mutuelles, coopératives, syndicats) agissant dans le champ de l’école et de la communauté éducative. Localement, des comités de pilotage composés de correspondants de L’Esper, de membres de l’OCCE, des Cress, ont mis en commun leurs réseaux, ressources et idées pour construire des actions.

Bilan positif de la Semaine de l’ESS à l’école

Cet événement national d’une semaine, inauguré dans un lycée de Meurthe et Moselle par Najat Vallaud-Belkacem alors qu’elle était ministre de l’Education nationale, a pris des formes diverses selon les établissements. L’édition a concerné soixante d’entre eux, soit 2 825 élèves de 113 classes, majoritairement des lycées mais aussi des collèges, des écoles élémentaires, des BTS et des maternelles. Cet état des lieux provisoire et partiel s’étoffera en septembre, au moment du bilan définitif incluant les projets pilotés par l’OCCE. Les initiatives étaient très variées. Les maternelles ont proposé des jeux de découverte de l’ESS, des visites de structures. Certaines classes de lycée ont organisé un marché paysan avec le soutien d’une société coopérative et participative (lycée Jacques Prévert à Saint-Christol-lès-Alès [30]) ; ou encore visité une société coopérative d’intérêt collectif (lycée Henri Meck de Molsheim [67]), ou bien encore, ont pris part à un ciné débat grâce à un partenariat entre la communauté d’agglomération du Muretain (31) et la Macif. En Bourgogne, le lycée Hilaire de Chardonnet a organisé un forum des métiers de l’ESS pour aider l’orientation des jeunes. Les enseignants aussi étaient au centre des attentions de L’Esper durant cette semaine : à Limoges, Poitiers, Grenoble, Nantes et Paris, des stages pour enseignants étaient organisés par la MGEN et L’Esper. Quant à l’académie du Limousin, elle signait le 8 juin une convention régionale pour l’éducation à l’ESS.

Par ailleurs, le 20 mars, une journée nationale intitulée « Mon ESS à l’école » a réuni les partenaires de L’Esper autour de tables-rondes, de témoignages, d’une conférence de Jean-François Draperi, rédacteur en chef de la Recma, sur le thème « ESS, mouvement d’éducation aux valeurs de la République ». Cette journée a été l’occasion d’établir une convention de partenariat entre L’Esper et le CnCres, en présence de Marie-Martine Lips, présidente du Conseil national des Cres, et d’Odile Kirchner, alors déléguée interministérielle à l’ESS. Celle-ci a souligné deux enjeux majeurs des années à venir : établir une meilleure communication sur la semaine de l’ESS à l’école ; généraliser la diffusion des accords-cadres reliant les ministères concernés par l’ESS avec les rectorats dans chaque académie. Elle a souligné aussi l’intérêt de produire un document spécifique de l’Onisep sur les métiers de l’ESS dans la perspective des 714 000 départs à la retraite prévus à l’horizon 2025.

Une action au long cours

Par ailleurs, dans la perspective des échéances électorales, L’Esper a publié un appel collectif pour une économie et une éducation sociales et solidaires, dans lequel elle réaffirme que l’ESS constitue une réponse aux besoins des générations actuelles et futures. Cette dynamique traduit la montée en charge de L’Esper. Créée en 2010 pour prendre la suite du Comité de coordination des oeuvres mutualistes et coopératives de l’Éducation nationale (CCOMCEN), ses interventions s’appuient sur le Manifeste pour l’éducation de 2012, les accords signés en 2013-2014 avec les ministres de l’Education nationale, de l’Enseignement supérieur et de la recherche, et le ministre délégué à l’Economie sociale et solidaire. Ainsi, L’Esper a déjà à son actif la création d’un portail de ressources pédagogiques pour les enseignants et leurs élèves (Ressourcess.fr) ; une charte d’accueil de stage pour les élèves de troisième ; une offre de stage pour les enseignants ; l’animation d’un groupe de travail sur la « formation des éducateurs à l’ESS » qui a élaboré une contribution sur la place de l’ESS dans les programmes de sciences économiques et sociales en lycée. A la demande du Conseil national éducation économie (CNEE), ce groupe travaille actuellement sur une offre de formation à partir de fiches historiques et d’études de cas.

Enfin, l’ESS en action s’exprime dans le programme « mon ESS à l’école » qui accompagne les élèves dans la création d’entreprise de l’ESS, notamment coopératives, dans les collèges, les lycées, les Maisons familiales rurales et l’enseignement agricole. En quelques mois déjà, trente de ces entreprises ont été créées par une centaine d’élèves encadrés par quatre-vingts enseignants de vingt-quatre établissements de huit régions différentes. Grâce à l’appui d’un salarié de L’Esper, de ses correspondants régionaux, ainsi que des Cress, sans oublier le parrainage d’entreprise de l’ESS, des Amap, recycleries, web documentaires et journaux, murs végétalisés, maison des lycéens, coopératives agricoles ont vu le jour. Ces actions s’inscrivent dans des enseignements divers – éco-gestion, sciences économiques et sociales, lettres, histoire-géographie, sciences – et, dans le cas des collèges, dans le cadre d’enseignements pratiques interdisciplinaires. Dans les lycées, ces projets s’inscrivent dans des parcours « découvertes et citoyens », ou encore hors temps scolaire, et permettent de promouvoir l’ESS, de découvrir la diversité de son monde professionnel, de valoriser l’esprit d’initiative et d’engagement, tout en renforçant la dynamique des établissements.

Danièle Demoustier
Plus d’informations sur Monessalecole.fr et Lesper.fr.

Des journées d’étude sur l’histoire de la coopération

Alors que l’économie sociale et solidaire est l’objet d’une attention croissante des pouvoirs publics et d’une partie de l’opinion publique, une équipe de chercheurs du Centre Georges Chevrier de l’université de Bourgogne (Dijon) propose trois journées d’études intitulées « Histoire de la coopération : expériences et pratiques ». Ces journées prolongent un travail antérieur consacré aux formes historiques de l’alimentation ouvrière et participent d’un chantier plus vaste consacré à l’histoire des ouvriers et des mondes du travail mené au sein du centre Georges Chevrier de l’université de Bourgogne. Elles viennent ponctuer plusieurs années de séminaires exploratoires consacrés à l’histoire de la coopération, animés par Alexia Blin, Stéphane Gacon, François Jarrige et Xavier Vigna, et qui ont réuni des chercheurs d’horizons variés intéressés à l’étude du mouvement coopératif et de ses pratiques.

La dimension sociale de la coopération

Les coopératives se présentent souvent comme des formes économiques et sociales alternatives. Sans cesse instrumentalisées et de formes très variables, elles regroupent aujourd’hui des organisations extrêmement diverses dont la structuration est souvent d’une grande complexité. Au-delà de l’étude des entreprises et des organisations fédératives, le projet de ces journées d’étude est d’éclairer les pratiques ordinaires des sociétaires et des coopérateurs, c’est-à-dire sur la dimension sociale de la coopération. Les coopératives naissent et meurent. Aborder la trivialité de la vie quotidienne en coopérative implique de s’interroger sur les logiques de fonctionnement d’un groupe qui se fixe un horizon d’attente élevé, de sonder les logiques démocratiques et hiérarchiques, la nature des échanges et les mécanismes de la décision. Une coopérative est une communauté humaine qui repose sur le principe de confiance et fonctionne comme toutes les autres avec ses facteurs de cohésion et de dissolution internes. Elle est confrontée à des forces extérieures attisant les tensions internes : les logiques économiques – les règles de l’économie de marché avec la concurrence, le rôle du capitalisme financier, les grandes crises cycliques, la nécessité d’une efficacité et donc d’une gestion fine, etc. –, politiques et sociales – le poids du libéralisme ou de l’étatisme, selon les États et les périodes, qui contraignent les associations – , le poids de l’idéologie dominante. Il s’agit donc de s’intéresser au travail quotidien des coopérateurs, à la manière dont ils affrontent les aléas de la vie communautaire, à la manière dont l’idéal est confronté à la réalité, amendé, édulcoré, pour que la coopérative tienne, ou pas. Au-delà de la thèse d’une inéluctable « dégénérescence » des coopératives, condamnées par la pression du marché ou de l’État à perdre leur dimension alternative, l’approche par les pratiques et le fonctionnement quotidien permettrait d’observer finement la manière dont les coopérateurs ont pu gérer ces différentes contraintes, faire des arbitrages et des compromis, et conserver certaines spécificités.

Une perspective comparatiste transnationale

L’ambition est, de ce point de vue, de comparer les expériences coopératives dans le temps et l’espace, et de traquer la circulation des modèles à l’échelle globale afin d’élaborer des typologies et des périodisations fines de l’évolution de ces formes d’organisations. Compte tenu du sujet, c’est-à-dire de la nature internationale de la coopération, de la circulation des hommes et des expériences, il semble indispensable d’inscrire la réflexion dans une perspective comparée et transnationale. Ce qui se passe au Royaume-Uni, en Belgique, en Suisse, au Québec, en Italie est déjà assez bien étudié. Mais les expériences coopératives hors de l’Europe et de l’Amérique du Nord sont nombreuses et il serait intéressant de réfléchir à la coopération en situation coloniale, postcoloniale et dans le contexte des économies émergentes, à leur rôle et aux diverses instrumentalisations dont elles font l’objet.

Le retour en grâce récent et la promotion contemporaine du modèle coopératif reste incertain, tiraillé entre plusieurs enjeux et plusieurs modèles que son inscription dans l’histoire devrait permettre d’éclairer. Il est tentant de lier l’association de production ou de consommation à la crise, mais ce lien reste à étayer et à approfondir. Dans un certain nombre de cas, dans les années 1900 comme aujourd’hui, la coopération a été encouragée par les pouvoirs publics dans une logique de paix sociale ou de désengagement de l’État, ce qui plaide en faveur d’une explication multifactorielle des rythmes et des modes de coopération.

La première journée d’études, qui se tiendra à Dijon, à l’université de Bourgogne, le 19 octobre 2017, s’intitulera « Travailler en coopérative ». Elle s’intéressera à l’expérience concrète de la vie coopérative, aux modalités particulières du travail en coopératives et de la gestion de ce type d’entreprises. L’organisation de ces structures de production et de service et l’organisation du travail en leur sein, les rapports sociaux au travail et l’autonomie des acteurs-actrices peuvent-ils être foncièrement différents dans les coopératives ? Jusqu’à quel point les expériences coopératives s’accompagnent-elles d’une forme de professionnalisation de la gestion d’entreprise ? Comment s’agencent les relations hiérarchiques dans ces organisations ? Comment est-il décrit/pensé, et quelles différences observe-t-on entre les discours proclamés et les pratiques observées ?

Après Dijon, Paris et Saint-Claude

La seconde journée se tiendra à l’EHESS le 8 février 2018 à Paris et portera sur « l’échec et la pérennisation des expériences coopératives ». Elle tentera d’interroger les réussites mais aussi les échecs des expériences coopératives et leur rôle dans l’histoire et la mise en récit de ces expériences économiques et sociales. Les échecs sont généralement attribués au délitement des enthousiasmes militants et à la concurrence des entreprises capitalistes décrites comme plus efficaces et compétitives. Jusqu’à quel point ces explications sont-elles suffisantes ? Qu’en est-il du manque d’expérience (et de connaissances) économiques ou gestionnaires des coopérateurs souvent présentés comme une cause majeure de l’échec ? N’est-ce pas une manière d’escamoter d’autres raisons, soit un manque de cohésion interne, soit un environnement hostile, la coalition des capitalistes contre l’entreprise par exemple ? Comment les acteurs tentent-ils de conjurer l’échec ?

La dernière journée aura lieu les 24 et 25 mai 2018 à La Maison du peuple à Saint-Claude (Jura) sur le thème « Coopératives et modernisation ». Elle vise à penser l’expérience coopérative à partir des singularités de son environnement organisationnel, matériel et technique. Les expériences coopératives participent-elles des dynamiques de modernisation, inaugurent-elles des modernités alternatives à celles du capitalisme libéral ? S’agit-il d’organisations productives et commerciales adoptant les mêmes méthodes, outils de gestion et de production, que les entreprises classiques ? La coopérative est-elle un moyen de moderniser ou un outil pour résister à des dynamiques de déqualification associées aux trajectoires successives de mécanisation et d’automatisation du travail ouvrier et paysan ?

Alexia Blin, Stéphane Gacon, François Jarrige, Xavier Vigna
Pour connaître le programme définitif ou vous informer : cgc-cooperation@u-bourgogne.fr.