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L’auteure, Nicole Aubert, s’est inspirée d’une recherche menée auprès de plusieurs grandes entreprises dans divers secteurs d’activité: industrie lourde, banque, automobile, industrie pharmaceutique, informatique, grande distribution, assurance, multimédia, audiovisuel. Elle présente l’avènement de paramètres qui sont apparus et qui contrôlent notre vie: l’avènement de la dictature du temps et du règne de l’urgence, de l’instantanéité, de l’immédiateté. Le livre se divise en onze chapitres et quatre sections. Le but de l’auteure est de tenter de comprendre comment notre époque est en train de vivre une mutation radicale dans son rapport au temps.

Dans la première partie du livre, l’auteure montre comment s’est effectuée la mutation du rapport au temps. Aubert illustre comment l’homme fait face à l’urgence et l’instantanéité, les deux nouvelles mesures du temps. Ces notions, étroitement liées entre elles, ont été générées par l’avènement de la mondialisation économique et financière au milieu des années 1980. Il a été lui-même rendu possible par la révolution survenue dans le domaine des télécommunications, apparue à peu près au même moment. Ce qui unit les trois premiers concepts d’urgence, d’instantanéité et d’immédiateté, c’est celui de la vitesse, elle-même au coeur du système capitaliste: plus le capital tourne vite, plus les profits sont élevés.

Dans la deuxième partie du livre, l’auteure aborde le vécu de l’urgence pris entre la jouissance et l’épuisement. Elle avait déjà montré comment l’urgence pouvait être le fruit d’un processus réel, celui de la mutation économique, et être induite par les effets de la logique des marchés financiers, par celle des flux tendus et, d’une certaine manière, par un contexte de restructuration globale de l’activité économique, ponctué de fusions-acquisitions et autres absorptions d’entreprises. Dans cette partie, les «cultures d’urgence» se caractérisent par une survalorisation de l’action conçue comme un antidote à l’incertitude. Ces cultures se caractérisent aussi par un phénomène de compression, sur le terrain du temps, des hommes et des compétences, qui se traduit par la nécessité de faire toujours plus avec toujours moins. Elles impliquent également un envahissement du quantitatif. Pour l’auteure, l’urgence peut aussi devenir une construction mentale. Finalement, elle montre que l’intensité de l’instant frappe davantage les femmes devant confronter l’existence de leur vie professionnelle et synchroniser à la fois leur désir de maternité.

L’urgence est alors perçue comme une perversité du temps et amène la corrosion du caractère de l’être humain. Le mot «caractère» réfère ici aux relations que nous avons les uns avec les autres de même qu’avec l’évolution à long terme de notre expérience émotionnelle. La corrosion comporte l’idée de ronger, d’entamer progressivement quelque chose par une action autre que mécanique. C’est donc une certaine altération du comportement qui s’observe en premier lieu et qui se manifeste par une grande irritabilité, une forte nervosité et une capacité à se mettre en colère de façon fréquente, injustifiée et imprévisible. Ces observations, concernant la perte des capacités relationnelles, se corrèlent parfaitement avec la perte du lien social.

Les affections psychosomatiques qui atteignent ceux et celles qui travaillent dans l’urgence et la pression permanentes sont relativement nombreuses. Un psychiatre mentionne pêle-mêle les migraines, le mal de dos, les insomnies, tous des maux assez banals que l’on rencontre dans toutes les problématiques de stress.

Aubert établit une typologie managériale assez simple, distinguant ce qu’elle appelle les réalisateurs, les innovateurs, les sécurisants et les empathiques. Les mieux armés seraient les réalisateurs, en raison de leur capacité à trier, hiérarchiser et établir très rapidement des priorités. De plus, pour Aubert, la maîtrise de soi implique une certaine maîtrise du temps. Certains peuvent souffrir alors d’une pathologie marquée par le ralentissement du temps et par le sentiment d’un arrêt du temps. On parle donc ici de dépression et d’une société maniaco-dépressive. Le syndrome d’épuisement s’y retrouve.

Dans la troisième partie du livre, Aubert aborde le retour du refoulé, l’urgence, les crises et les catastrophes. Les grandes crises et les catastrophes industrielles, malgré les dégâts et les souffrances qu’elles occasionnent, sont des indicateurs, parfois utiles, de l’effondrement brutal et ponctuel du culte de la vitesse et de l’urgence. Notre conception occidentale du temps, quantitatif et linéaire, a jeté les bases du régime d’urgence généralisé qui sévit au sein des organisations des sociétés développées. En général, on distingue le temps objectif, qui se fonde sur un système de mesure externe et le temps subjectif, lequel ne prend un sens que par le biais de l’interprétation des individus. Dans une vison cyclique du temps, l’urgence n’existe pas ou, tout au moins, pas comme nous venons de l’envisager. En revanche, dans une vision linéaire, la seconde chance n’existe pas. Il fixe un cadre dans lequel l’erreur n’est pas admise. Le temps linéaire instaure donc une pression à l’excellence, à la réussite et à l’irréprochabilité. L’urgence alors devient un levier du «management». La crise est définie comme un événement brutal et surprenant. Dans son analyse du phénomène des catastrophes technologiques, la réification du temps fait qu’il devient alors une donnée fondamentale. Puisque la technologie promeut l’hyperréactivité et que celle-ci implique une disponibilité permanente de l’individu, les employés doivent donc répondre en temps réel aux sollicitations de l’environnement. Les crises ont tendance ainsi à avoir des effets à long terme sur ces individus.

Dans la quatrième partie de son livre, l’auteure traite de l’homme sans avenir. Dans quelle référence temporelle dominante la génération qui a grandi avec les technologies de l’instantané vit-elle? Selon certains témoignages présentés, cinq points importants ressortent. D’abord, le temps est globalement perçu comme une denrée rare et précieuse, soumise aux lois de la valeur d’échange. À ce titre, le seul temps valorisé est celui de l’activité quelle qu’elle soit. Puis, vient la notion de rythme, fort importante. Le travail apparaît comme la valeur absolue et, enfin, le rapport au présent apparaît comme le thème central. L’homme présent est-il sans projet? Il devient l’homme «instant», un individu dominé par le besoin de satisfaction immédiate, intolérant à la frustration, exigeant tout et tout de suite, dans un contexte où la satisfaction d’un tel besoin est rendue impossible, non seulement par l’hyper choix permanent mais aussi par la quasi-instantanéité avec laquelle le moindre désir peut être satisfait.

L’intensité de soi dans le rapport à la vie devient-il alors l’un des éléments constitutifs de l’identité de l’individu hypermoderne? C’est dans la tension nécessaire entre ces deux logiques d’action, dans ce dialogue obligé entre, d’un côté une contrainte d’urgence et d’immédiateté qui hache et pulvérise le temps dans un contexte de sacralisation du présent et, de l’autre, une tentative de reconquête de soi dans une continuité s’inscrivant dans un ordre de référence porteur de sens, que l’individu hypermoderne peut essayer de définir un nouveau rapport au temps et tenter d’unifier une identité fragmentée.

Prenez donc le temps! Un livre à dévorer absolument!