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Les inégalités sociales devant la santé sont une des conséquences de la façon dont les êtres humains ont choisi de vivre ensemble. Que ces choix aient été ou non conscients et volontaires ne change rien au résultat : ces inégalités ne pourront être sensiblement corrigées sans actions audacieuses, délibérées et concertées.

Postface, Sir Michael Marmot, Président de la Commission des déterminants sociaux de la santé de l’OMS

Rédigé par une cinquantaine d’experts du Québec, de la France, de la Belgique et de la Suisse et publié sous l’égide de l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (INPES) en France, Réduire les inégalités sociales en santé se veut d’abord et avant tout un guide pratique, fournissant aux professionnels et aux intervenants de terrain une synthèse des connaissances sur les inégalités sociales en santé et des pistes d’action et d’interventions concrètes pour les réduire.

L’ouvrage a donc une visée pratique et pédagogique qui est nettement orientée vers l’action. Chacune des cinq sections débute par un glossaire des concepts-clés et une introduction qui résume l’essentiel des problèmes entourant les inégalités sociales en santé, les politiques publiques, les systèmes de soins et de prévention, l’évaluation et l’action en partenariat.

L’État de la question

La réduction des inégalités en santé constitue aujourd’hui le principal défi des systèmes de santé dans la plupart des pays du monde. Après un investissement massif dans le système médico-hospitalier, la recherche a pu démontrer avec moult preuves à l’appui que d’importantes disparités de santé, non seulement persistaient, mais s’amplifiaient. Depuis, Agir pour réduire les inégalités sociales en santé, emblématique charte d’Ottawa, est devenu la devise des acteurs de la promotion de la santé. Cette section expose les balises conceptuelles et méthodologiques qui expliquent le processus par lequel les inégalités sociales se transforment en inégalités en santé. Précarité, pauvreté, exclusion constituent l’essence des inégalités, mais la recherche a démontré que la santé suit le gradient social tout au long de la hiérarchie sociale. La bonne et la mauvaise santé sont directement reliées à la position sociale qu’occupe un individu ou un groupe. Toute politique publique se doit de prendre en compte les données de ce constat et de viser comme objectif non seulement l’amélioration de la santé de la population, mais également la réduction des inégalités sociales en santé. Depuis une vingtaine d’années, le Royaume-Uni, les Pays-Bas et la Suède ont mis en oeuvre des politiques structurées de lutte contre les inégalités sociales en santé, et ce, dans un plan d’action globale et d’évaluation. Même si ces plans ont rencontré divers obstacles et connu diverses applications, il ne s’en dégage pas moins la possibilité d’une action à entreprendre.

Les politiques publiques

Les politiques publiques façonnent et structurent les conditions de vie des citoyens et sont donc le premier levier pour agir sur les déterminants de santé. Si elles ne sont pas basées sur des fondements de justice sociale et d’équité, elles peuvent contribuer à l’aggravation des inégalités sociales en santé. Une politique de promotion de la santé doit s’attaquer en priorité aux conditions de vie et à la création d’environnements favorables à la santé au sein même des milieux où les gens vivent, grandissent, travaillent. Elle doit également toucher des domaines autres que celui de la santé, ce qui exige une articulation solide entre le local et le national et entre différents secteurs. D’où l’aphorisme « la santé dans toutes les politiques ».

Il existe des exemples probants pour que la réduction des inégalités soit intégrée à toute initiative. En Belgique, la Fondation du roi Baudoin, un organisme indépendant, a renversé le mythe de l’inexistence des inégalités et a introduit dans le discours politique et les plans régionaux de santé publique la priorité de leur réduction. Dans le département français de Seine-St-Denis, grandement frappé par un taux élevé de cancers professionnels, un programme de recherche-action porté par les chercheurs, les professionnels de la santé et de la prévention, les collectivités locales et les agences gouvernementales a permis d’améliorer le dépistage de la maladie, de même que la prise en charge et l’indemnisation de nombreux patients parmi les plus défavorisés. Pratique innovante, l’évaluation d’impact sur la santé (EIS) permet de sensibiliser les décideurs des effets inattendus de leurs décisions sur la santé et les inégalités. Les pays pionniers de cette pratique sont le Royaume-Uni, la Suisse, la Nouvelle-Zélande et le Québec. Par exemple, l’article de la Loi sur la santé publique (2001) du Québec donne au ministre de la Santé et Services sociaux le pouvoir de mesurer en amont, et au moyen de l’EIS, les effets de nouvelles législations sur la santé. Cela a permis de modifier certaines lois avant même leur mise en oeuvre. La ville de Genève du réseau Villes-Santé de l’OMS a intégré une nouvelle priorité de lutte contre les inégalités de santé dans ses politiques urbanistiques, sanitaires et sociales. Les Ateliers Santé Ville en France, articulés avec la politique municipale, ont pour mission de réduire les inégalités sociales en santé. À ce jour, 240 villes ont leurs ateliers misant sur une action intersectorielle de réduction des inégalités à l’échelon local. L’Initiative montréalaise de soutien au développement social local vise à mobiliser les acteurs locaux pour développer des stratégies intégrées d’action sur les déterminants sociaux de santé. Ces tables de concertations de quartier ont pu faire reculer certaines décisions, telle l’implantation d’un casino dans un quartier populaire.

Les systèmes de soins et prévention

Cette section documente la persistance d’inégalités, socioéconomiquement marquées, d’accès et de recours aux soins malgré la politique française de Couverture maladie universelle (CMU). La question financière n’est pas la seule dimension des inégalités. Des raisons structurelles liées à la dominance des soins curatifs et des référentiels de pratiques ou de programmes qui méconnaissent les inégalités de santé y contribuent également.

Le médecin généraliste pourrait donc jouer un rôle important dans la réduction des inégalités, à condition toutefois qu’il prenne le temps requis lors des consultations, qu’il interagisse avec le patient et qu’il travaille en réseau avec l’infirmière ou le travailleur social. Dans ces conditions, certaines interventions ont pu diminuer l’hospitalisation, même le nombre de décès, de patients insuffisants cardiaques, principalement parmi les personnes ayant un faible niveau d’éducation. Au Royaume-Uni, le paiement des médecins à la performance liée à 150 indicateurs a permis de réduire les écarts de soins entre plus nantis et plus démunis. La réduction des inégalités pourrait être envisagée comme priorité de la médecine générale. Les services de protection maternelle et infantile de Paris ont restructuré leur fonctionnement pour assurer aux femmes enceintes en situation de précarité un suivi égalitaire et la même qualité de prise en charge. Cela demande une vigilance constante que le travail en réseau de professionnels assurerait. L’hôpital public en France est de plus en plus le lieu de recours pour les personnes les plus vulnérables, mais le système de financement pénalise les établissements qui prennent en charge ce type de patients. La prise en charge de la santé mentale à Lille est reconnue par l’OMS comme une bonne pratique par la mise en place de plus petites structures, plus proches des communautés, mieux intégrées à l’ensemble des services indispensables aux soins (hôpital de jour, centre médico-psychologique, centre d’hébergement et de réinsertion sociale). Cette approche n’aurait pu être possible sans le partenariat avec les élus locaux, la mise en réseau de tous les professionnels et la coconception de l’intervention dont le centre névralgique est le conseil local de la santé mentale. Un autre domaine marqué par les inégalités sociales est celui du dépistage du cancer du sein. Un dispositif de visiteurs de santé publique a été créé permettant d’outiller les intervenants pour mieux approcher les femmes des classes les plus défavorisées, plus suspicieuses devant le dépistage.

L’évaluation

« Démontrez-nous que votre programme a contribué à réduire les inégalités de santé! » La complexité du problème des inégalités et leur réduction appelle à de nouvelles approches évaluatives. On observe que de nombreuses interventions en promotion de la santé sont davantage focalisées sur les déterminants individuels que socioéconomiques et creuseraient ainsi les inégalités. Pour porter des fruits, l’évaluation doit démarrer en même temps que le programme, qui doit viser la réduction des inégalités. Afin d’en accroître le pouvoir d’action, il est important d’y associer la population ciblée. Finalement, les résultats de l’évaluation doivent être utilisables, mais aussi utilisés.

Les méthodes mixtes combinant collecte et analyses qualitatives et quantitatives constituent une approche féconde et plus performante. En France, l’évaluation d’impact des centres d’examen de santé et leurs consultations médico-sociales gratuites destinées prioritairement aux personnes en situation de précarité montre que l’approche est fructueuse. Au-delà des méthodes expérimentales, l’approche réaliste permet de prendre en compte la complexité de la production des inégalités sociales en santé et l’interdépendance de différents facteurs. Au lieu de tester la stabilité d’une relation causale, il s’agit plutôt d’évaluer si l’intervention fonctionne, et pour qui. En ce sens, l’évaluation réaliste est mieux adaptée à l’étude des interactions des systèmes complexes. Une grille d’analyse des actions pour lutter contre les inégalités développée par des chercheurs canadiens et français permet d’apprécier la planification de l’action, la mise en oeuvre, l’évaluation, la pérennisation et la capacité d’agir (empowerment).

Les partenariats

Les partenariats font consensus en tant que stratégie de réduction des inégalités. Mettre en place des partenariats efficaces, rassembler les acteurs autour d’objectifs communs, coordonner l’action pour en maximiser l’impact suppose des balises théoriques et des compétences particulières. Selon la théorie de l’acteur-réseau, les partenariats sont des espaces négociés de controverses et d’innovations. Le coordonnateur de partenariat intersectoriel joue un rôle indispensable de médiateur pour mobiliser autour de l’objectif commun, par-delà les intérêts particuliers. Ce travail requiert des habiletés cognitives et stratégiques. Conçu par une équipe de chercheurs québécois, l’outil diagnostique de l’action en partenariat permet d’apprécier la pertinence et l’efficacité des partenariats. L’outil a été validé auprès de vingt-huit partenariats et mesure cinq conditions à réunir pour un partenariat efficace : la participation (couvrir l’ensemble des perspectives); l’intéressement précoce pour les choix stratégiques; l’engagement des acteurs névralgiques; l’égalisation des rapports de pouvoir; et la coconstruction de l’action.

Dans les quartiers de Marseille, dans le cadre des Ateliers Santé Ville, les centres d’hébergement et de réinsertion sociale ont intégré une démarche participative de leurs résidents. L’évaluation a montré que l’initiative fondée sur le partenariat a rendu les résidents plus autonomes dans leurs démarches d’accès aux soins et aux droits. Dans le département Bouches-du-Rhône, des plans locaux de santé publique, intégrant une approche de promotion de la santé et de lutte contre les inégalités, ont été mis en place au niveau de quartiers défavorisés. Ils ont permis de faire ressortir les besoins locaux et de les amener au niveau régional afin de leur octroyer les ressources nécessaires et mieux y répondre. Six facteurs de réussite ont été identifiés : la constitution d’un comité de pilotage territorial; l’établissement d’un diagnostic en consultation avec toutes les parties selon les principes de démocratie sanitaire; la mise en place d’équipes territoriales pluridisplinaires; l’organisation de services prévoyant différentes passerelles entre les services sociaux et de santé; la définition d’indicateurs d’évaluation et du processus et des plans d’action; et la communication des priorités locales. Dans le contexte d’implantation des nouvelles agences régionales de santé en France, cette approche par territoire et par population plutôt que par pathologies et par risque, permettant d’agir à la base sur les déterminants des inégalités, devrait être considérée.

En postface, Michael Marmot, président de la Commission sur les déterminants sociaux de la santé de l’OMS, réitère les trois principales recommandations issues de cette commission :

  1. améliorer les conditions d’existence quotidienne (de naissance, de travail);

  2. s’attaquer aux inégalités de répartition du pouvoir, de l’argent, des ressources;

  3. prendre la mesure et évaluer l’effet des actions.

Il rappelle avec justesse que les solutions « savamment construites » n’apportent pas toujours les résultats escomptés pour résoudre des problèmes pratiques et complexes. La réponse passe par la mobilisation d’une multitude d’équipes de recherche, employant des méthodes diverses et travaillant en collaboration.

En dressant l’inventaire d’actions possibles, Réduire les inégalités sociales en santé fournit des pistes éclairantes pour identifier les pratiques et les stratégies prometteuses ainsi que les directions de recherche.

L’ouvrage est intégralement accessible en ligne sur le site Internet de l’INPES www.inpes.sante.fr