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Le vieillissement en français dans un contexte minoritaire au Canada se conjugue selon un ensemble de paramètres dont les rouages commencent à peine à être mis en lumière grâce notamment à des travaux de recherche soutenus financièrement en grande partie par le CNFS, l’ACFAS et le réseau Santé en français. Ces rouages, très peu connus jusqu’à présent sinon au travers des recherches effectuées en particulier au cours des deux dernières décennies et portants sur la santé des communautés de langues officielles en situation minoritaire, comme nous le révèlent ici Savard et coll., se déclinent selon plusieurs paramètres. Ce numéro spécial en identifie plusieurs qui, on l’espère, alimenteront la réflexion autour des mécanismes indispensables à mettre en place pour favoriser une meilleure prise en charge de la particularité des personnes francophones vivant en contexte minoritaire. Il en va de notre responsabilité comme société ayant consenti au respect de la Déclaration universelle des droits de la personne de favoriser l’inclusion et la non-discrimination des personnes vieillissantes francophones qui, par la force des circonstances, se retrouvent en contexte minoritaire.

Les trois articles scientifiques qui composent ce numéro nous permettent de constater

  1. un vieillissement francophone cantonné majoritairement au milieu rural ;

  2. une inadéquation entre les besoins particuliers, la répartition des populations francophones sur le territoire et la disponibilité ainsi que la qualité des soins et des services sociaux ;

  3. la compensation par le réseau primaire, les proches-aidants, au prix d’énormes difficultés sur le plan tant personnel, qu’économique et social.

Tout d’abord, le constat selon lequel les francophones en contexte minoritaire se retrouvent majoritairement en milieu rural appelle, selon Simard à une meilleure gestion territoriale. Une gestion qui devrait être conçue en prenant en compte la forte dispersion de la population, l’éloignement de ces localités par rapport aux villes et la petite taille des populations de ces localités. Notons avec Rigal et Sais (2022) que le vieillissement en milieu rural, du fait de son inscription dans une logique d’activité agricole, présente des caractéristiques uniques marquées entre autres par la solitude et la détresse psychologique. La dimension linguistique ajoute certainement une couche de difficulté au vécu de personnes francophones vieillissant en contexte minoritaire. Il s’agit ici à notre avis d’un double contexte minoritaire.

À côté de cette perspective macro sociale, se donne à voir au niveau individuel, le difficile accès aux soins et services culturellement sensibles et le risque de moindre qualité de ces services. Ce risque de moindre qualité des soins et des services de santé peut à juste titre être interprété comme une forme de discrimination à l’égard des populations francophones en contexte minoritaire qu’il convient d’éliminer. Selon Bouchard et coll., le niveau de performance du système de santé est défaillant quant à l’offre de service en milieu rural. De ce fait, nous disent ces auteurs, les aînés francophones seraient globalement plus défavorisés, même s’il faut reconnaître qu’il existe un certain nombre de pratiques novatrices qui favorisent l’accès et la continuité des services en français dans certains milieux.

Si demeurer à domicile est le premier choix des personnes aînées (Aubry, Couturier et Dumont, 2014; Simard et al., 2015), force est de constater que sans l’apport des réseaux primaire et secondaire pour pallier les limites de l’offre de services publics (Forgues et Couturier, 2014), la réalisation de la politique publique du soutien à domicile ne peut qu’être un voeu pieux. Savoie et coll., mettent en lumière l’indispensable contribution des femmes proches aidantes à cette politique publique dans une indifférence sociale déconcertante. Alors qu’elles doivent sacrifier leur temps, leur carrière professionnelle, voire leur santé pour répondre aux besoins de leur proche en fonction du niveau de dépendance de ce dernier.

Ces constats nous amènent à soutenir que le Canada ne peut se considérer comme une société en santé, lorsqu’on considère le niveau de santé de sa population francophone vieillissante à l’aune du niveau de bien-être de celle-ci au regard de la définition de la santé proposée par l’OMS (1946) et reprise par la charte d’Ottawa (1986). Selon cette définition, la santé est « un état de complet bien-être[1] physique, mental [bien-être individuel] et social, et ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ». Le bien-être social est ici conçu incontestablement comme une dimension intrinsèque, inséparable de la santé. Or, on sait que le bien-être social renvoie au « réseau complexe de législations, de politiques, de programmes, d’institutions, de professions, de ressources et de services […] assurant à chaque individu les ressources nécessaires pour le développement de son plein potentiel, dans le respect des droits d’autrui » (Turner, 1986 : 3) (traduction libre). En vertu de la Loi canadienne sur la santé (1985), l’administration et la prestation des soins et des services de santé sont sous la responsabilité des provinces et des territoires. De ce fait, la mise en place des mécanismes de création des conditions de la santé de la population d’un territoire relève de la responsabilité des autorités provinciales et territoriales. Cette mise en place ne peut se faire sans une connaissance des réalités particulières des populations de ce territoire. Ce numéro vient apporter quelques éclairages sur la réalité du vieillissement francophone qui devraient alimenter la réflexion des responsables politiques en ce qui a trait au respect des exigences de la Loi sur la santé et des engagements pris en matière de santé de la population.