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Depuis plus d’une centaine d’années, les rôles que jouent la nature et l’aventure dans le développement humain sont étudiés dans différents champs disciplinaires (Gargano, 2018). Dans la dernière décennie, la recrudescence des publications soutenant leur apport sur la santé globale (Ambrose-Oji, 2013 ; Hartig et coll., 2014), conjuguée à l’expansion des approches non pharmacologiques dans les traitements psychologiques et physiques (Ambrose-Oji, 2013) met en exergue la pertinence de s’y intéresser en matière de soins de santé. Dans cette perspective, le rôle et la formation des médecins deviennent centraux, particulièrement dans la diffusion des connaissances auprès des populations. Or, en raison de la marginalité associée à ces pratiques et de leur absence dans le cursus des savoirs traditionnels, le transfert des connaissances portant sur la nature et l’aventure auprès des professionnels est faible. Dans le but de répondre à cette réalité, l’entreprise Dehors a mis sur pied une formation en la matière, exclusive aux médecins du Québec[1].Cet article a donc pour but d’exposer les constats émis par les participants lors de cette formation, faisant foi d’un premier pas vers une meilleure compréhension des possibilités et des défis actuels associés à l’utilisation de la nature et de l’aventure dans la pratique médicale québécoise. Il sera d’abord question des définitions sur lesquelles la formation a pris appui, puis d’un bref historique des pratiques centrées sur la nature et l’aventure dans l’univers médical. Ensuite, les effets répertoriés et un modèle les catégorisant seront présentés. Finalement, les possibilités et les enjeux mis en lumière par les participants seront exposés.

Recension des écrits

Définitions de la nature et de l’aventure

Nature

Plusieurs définitions précisent la notion de nature. En raison de sa vision inclusive, la définition de Kaplan et Kaplan (1989) est ici privilégiée :

La nature ne se limite pas aux endroits vastes et inhabités […]. Elle englobe les parcs et les espaces verts […], les endroits où les plantes grandissent, plantés par les humains ou se développant naturellement. La nature renvoie aux espaces verts et désigne toute forme de végétation, ou tout autre élément de l’environnement. Bien que la nature et l’environnement naturel soient difficiles à définir, ils sont associés à des lieux que nous avons expérimentés [Traduction libre]

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Aventure

Dans un contexte de nature, l’aventure s’actualise généralement par l’entremise des activités (ex. canot, escalade, randonnée pédestre) (Gargano, 2018). Faisant référence aux expériences nouvelles comportant un niveau de risque, la façon dont l’aventure est vécue varie d’une personne à l’autre, influencée par les états psychologiques et émotifs de chacun (Quinn, 1999).

Historique

Les premiers évènements répertoriés établissant un pont entre les pratiques centrées sur la nature et l’aventure et leurs effets dans les milieux hospitaliers remontent au début des années 1900. D’abord, en 1901, les membres du personnel du « Manhattan State Hospital » ont isolé les patients atteints de tuberculose dans des tentes situées en marge de l’établissement (Wright et Haviland, 1903). Rapidement, le personnel médical a remarqué des changements positifs sur la santé psychologique (ex. diminution des comportements destructifs et agressifs) et physique des patients (ex. reprise de poids, diminution des symptômes de la tuberculose). En 1906, à la suite d’un tremblement de terre, l’institut psychiatrique « Agnew Aslym » a procédé de façon similaire auprès de patients présentant une variété de problématiques médicales. Des bénéfices furent constatés sur la diminution de l’agressivité et l’amélioration du bien-être général (Hoisholt, 1906).

Cette exposition à l’environnement extérieur a alors été nommée le « tent therapy movement ». Ce mouvement a favorisé le développement de nouvelles pratiques d’intervention au sein des institutions psychiatriques de l’époque, tout en contribuant au développement des communautés de traitement centrées sur le bien-être (Davis-Berman et Berman, 1994 ; Kaplan et Kaplan, 1989). Parallèlement, à la même époque, des camps de vacances réservés aux jeunes vivant des problématiques d’ordre social ont été mis sur pied (Davis-Berman et Berman, 1994 ; Kaplan et Kaplan, 1989).

En raison des années marquées par la Première Guerre mondiale, l’attention portée aux aspects guérisseurs de la nature sur la santé a diminué au profit d’interventions exercées en milieu institutionnel (Berman et coll., 2008). Ce n’est qu’une dizaine d’années après la fin de la guerre que l’intérêt pour la nature et l’aventure réapparut. Alors éloignées du monde médical, les pratiques centrées sur la nature et l’aventure ont été ancrées au sein des mouvements reliés au travail social et à l’éducation (Gargano, 2018). C’est ce qui explique qu’à l’heure actuelle elles sont davantage étudiées selon ces perspectives, bien qu’il y ait plus d’une centaine d’années, leurs bénéfices faisaient l’objet d’attention du corps professionnel médical.

Effets reliés aux expériences de nature et d’aventure

Reconnus pour leurs bénéfices sur la santé globale (Rogerson et coll., 2021), les effets des pratiques centrées sur la nature et l’aventure sont articulés autour de trois principaux axes soit : la santé physiologique, psychologique et sociale.

D’abord, les effets physiologiques reliés aux pratiques centrées sur la nature et l’aventure sont multiples. Parmi ceux-ci se retrouvent la variabilité du rythme cardiaque et l’activation parasympathique cardiaque lors du sommeil, qui favorisent les fonctions cognitives et la restauration de l’attention (Rogerson et coll., 2019 ; Rogerson et coll., 2021). Une diminution de la fréquence cardiaque, du taux de cortisol salivaire et de la tension artérielle a également été constatée lors des immersions en milieu naturel (Song et coll., 2016). De plus, l’exposition à la nature a démontré une diminution de la durée d’hospitalisation (Park et coll., 2018), un rétablissement plus rapide et la réduction d’administration d’opiacés à la suite d’une chirurgie (Ulrich, 1984).

En ce qui concerne la santé psychologique, les effets répertoriés font entre autres référence à la diminution des symptômes anxieux et dépressifs (Sheffield et Lumber, 2019) ainsi qu’à l’augmentation du bien-être général et des capacités de concentration (Rogerson et coll., 2019). L’augmentation de la confiance en soi et de la perception positive de soi, la reconnaissance des forces personnelles et une meilleure gestion des émotions (Gargano, 2018) comptent également parmi les retombées recensées.

Finalement, lorsque les pratiques centrées sur la nature et l’aventure sont vécues en groupe, des bénéfices sont rapportés aux plans interpersonnel et social. Le sentiment d’appartenance à une communauté positive (Rogerson et coll., 2019 ; Sturm et coll., 2012 ; Wöran et Arnberger, 2012), la cohésion et les habiletés sociales font partie des effets (Gargano, 2018).

La catégorisation des effets reliés aux pratiques centrées sur la nature et l’aventure

Afin de regrouper les activités et les modalités favorisant les effets lors des pratiques centrées sur la nature et l’aventure, Gargano (2022) propose un modèle qui se décline en quatre catégories (Figure 1). La première catégorie, l’exposition passive, regroupe les effets favorisés par la présence d’images de paysages naturels, de plantes, de fenêtres avec vue sur la nature et de lumière naturelle dans les milieux de vie. La seconde, l’exposition quasi-passive, comprend les bénéfices associés à l’horticulture. Les deux dernières catégories intègrent la dimension d’aventure. Plus précisément, la troisième catégorie intitulée l’immersion regroupe la pratique d’activité physique en milieu naturel et les bénéfices reliés à la proximité des espaces verts aux milieux de vie. Quant à la dernière catégorie, l’immersion globale, elle fait référence aux expéditions dans lesquelles les participants s’engagent dans une expérience de groupe comprenant des nuitées en milieu naturel et des activités d’aventure.

Figure 1

Le spectre des pratiques centrées sur la nature et l’aventure

Le spectre des pratiques centrées sur la nature et l’aventure
Gargano, 2022

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Contexte de la formation

En 2019, l’entreprise québécoise Dehors a vu le jour, offrant exclusivement des formations spécialisées et adaptées aux besoins de professionnels désirant se familiariser avec les pratiques éducatives et psychosociales centrées sur l’utilisation de la nature et de l’aventure (www.dehors.co). Disposant d’accréditations reliées aux formations continues de différentes associations et ordres professionnels, c’est dans cette trajectoire de services qu’a eu lieu une formation auprès de cinq médecins omnipraticiens. Pratiquant dans la région du Saguenay–Lac-Saint-Jean, leur profil de pratique était varié et s’échelonnait entre une et vingt années d’expérience : urgence, hospitalisation, soins palliatifs, bureau de première ligne, réadaptation en dépendance et gestion départementale.

En raison de la pandémie reliée à la COVID-19, c’est dans le respect des mesures sanitaires que cette formation a été offerte en format virtuel, en février 2021. Dix heures de formation théorique ont été réalisées en alternance avec des laboratoires individuels extérieurs.

Les constats émergents de la formation : l’intégration de la nature et de l’aventure dans la pratique médicale actuelle

Les constats qui émergent de cette formation se classent en deux sections : l’intégration de la nature dans les milieux de soins pour les soignants et les patients, et l’intégration de la nature dans le quotidien des patients. Soulignons qu’en raison du cadre de leur pratique professionnelle, les participants ont rapidement constaté la complexité à intégrer la dimension « aventure » à la médecine actuelle, d’où sa faible présence dans les propos rapportés.

L’intégration de la nature dans les milieux de soins pour les soignants et les patients

Tout d’abord, les médecins prenant part à la formation ont identifié plusieurs ajouts pouvant améliorer leur environnement de travail et celui des patients. Il a d’abord été question de l’aménagement intérieur de leur bureau en fonction des fenêtres dans le but de maximiser la lumière naturelle. Les bénéfices potentiels associés à l’intégration de plantes et d’images représentant la nature dans leur environnement de travail ont aussi été soulevés. Dans les salles d’attente, les participants ont affirmé que la mise à disposition de revues portant sur les thématiques de nature et d’aventure permettrait de s’approcher des bénéfices reliés aux expositions à la nature.

L’accès aux aires de repos extérieures ainsi qu’aux espaces verts à proximité des milieux de soins a été ajouté à ces moyens. Par ailleurs, les médecins ont abordé une autre façon d’intégrer la nature à l’environnement hospitalier : la qualité des services alimentaires. Pour eux, il serait important d’avoir accès à un service de fruits et de légumes frais pour les patients et le personnel.

Il fut aussi question de la disposition de l’ameublement dans les unités de soins. Généralement, l’aménagement d’une chambre en centre hospitalier comporte deux lits séparés par un rideau : un lit est situé le long de la fenêtre et l’autre, près de la porte. De la sorte, un seul des bénéficiaires a accès à une fenêtre. En disposant les lits autrement, les deux patients pourraient bénéficier d’une vue extérieure.

Pour les médecins prenant part à la formation, de telles actions pourraient favoriser la qualité du milieu de travail des soignants, le processus de rétablissement des patients ainsi que leur expérience générale en soins hospitaliers.

Les obstacles associés à l’intégration de la nature dans la pratique médicale

Lorsqu’il est question d’intégrer de tels changements dans le milieu hospitalier, le degré de liberté des médecins devient un enjeu central. De leur perspective, les différents paliers organisationnels auxquels ils soumettent leurs initiatives deviennent un frein, et ce, bien que les solutions proposées soient simples et peu coûteuses. La forte majorité des participants a énuméré une série de mesures intentées dans le passé qui n’ont pas été retenues. Par exemple, l’installation de plantes ou de photographies de paysages fait fréquemment l’objet de refus pour cause d’hygiène. Il en est de même pour les unités de soins, dans lesquelles les fenêtres sont fermées et les balcons demeurent inaccessibles en raison du contrôle de la qualité de l’air et pour des raisons de sécurité. Bien que les participants de la formation soient conscients des bénéfices associés à de tels changements, ils investissent peu de temps à ces demandes, principalement en raison de leur charge de travail élevée et de la difficulté à obtenir les approbations administratives nécessaires pour ces types de changement.

L’intégration de la nature et de l’aventure dans le quotidien des patients

En ce qui concerne l’intégration de la nature dans le quotidien des patients, les participants ont entrevu différents moyens d’y parvenir, notamment lors des rencontres individuelles de suivi en clinique. Par exemple, en remplissant le questionnaire général portant sur les saines habitudes de vie, certains médecins ont proposé d’intégrer des questions liées à l’exposition à la nature. En plus de s’intéresser à l’alimentation et à l’activité physique des patients, une question comme « Allez-vous dehors ? » pourrait être ajoutée. De plus, afin de favoriser des activités en contexte de nature et d’aventure, les médecins ont suggéré de les prescrire officiellement à leurs patients (ex. marcher en forêt, pratiquer l’horticulture, fréquenter les parcs à proximité du domicile), se rapprochant de la « prescription de nature » proposée par Kondo et coll. (2020). De plus, lorsque la prescription est écrite, cela favorise l’adhésion des bénéficiaires à de nouvelles habitudes (Swinburn et coll., 1998). Par ailleurs, les médecins affirment qu’il demeure essentiel d’adapter ces recommandations aux capacités et aux intérêts de leur clientèle.

D’autre part, selon les participants, l’accessibilité est un élément central à considérer dans l’adoption de ces pratiques. En se basant sur le modèle proposé par Gargano (2022), ils affirment que les premières catégories sont les plus faciles à intégrer et à promouvoir dans leurs interventions auprès des patients, notamment en raison de leur accessibilité et de leur gratuité. En outre, quoiqu’ils ont reconnu les bénéfices et la portée de la dernière catégorie du modèle, ils évoquent la complexité à l’incorporer à la pratique professionnelle actuelle, particulièrement auprès de certaines populations (ex. personnes à mobilité réduite). Le tableau 1 illustre les constats généraux des médecins à l’égard de ces catégories.

Tableau 1

Le spectre des pratiques centrées sur la nature et l’aventure : les possibilités d’intégration dans la pratique médicale selon les participants

Le spectre des pratiques centrées sur la nature et l’aventure : les possibilités d’intégration dans la pratique médicale selon les participants

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Conclusion

Cet article a porté sur les constats émergents d’une formation exclusive aux médecins, centrée sur les possibilités et les défis actuels associés à l’utilisation de la nature et de l’aventure dans la pratique médicale québécoise. Elle fut l’occasion d’engager un processus de réflexion et de discussion sur l’importance de ces pratiques pour une meilleure santé globale. À cet égard, les médecins ayant pris part à la formation mettent en exergue la complexité reliée à la mise en oeuvre de telles initiatives au sein des organisations, tout en reconnaissant les bénéfices de la nature et de l’aventure auprès des populations.

Il y a plus de cent ans, les professionnels de la santé constataient déjà ces bénéfices. En dépit de cette reconnaissance, il reste du travail à effectuer afin de faire valoir les effets de ces pratiques et de mettre en lumière les assises théoriques les soutenant. Cette formation constitue un premier pas en ce sens. L’adéquation de la nature et de l’aventure avec la médecine pourrait permettre une approche davantage holistique des soins de santé et par le fait même, favoriser le développement et le maintien de la santé globale des populations.