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La préoccupation centrale de cet ouvrage tourne autour de la question suivante : la formation continue a-t-elle un genre? Pour y répondre, on a abordé plusieurs dimensions liées à la formation continue comme l’accès à la formation, les caractéristiques de l’offre et de la participation, l’impact ou les effets de la formation, ces diverses dimensions étant analysées sous l’angle de l’appartenance de genre mais aussi, et en même temps, à la lumière d’une foule d’autres variables susceptibles d’interagir avec la formation continue : la classe sociale, les métiers, les régions, les emplois, les champs de savoirs, les domaines de compétences, etc. Ce faisant, il faut le souligner, on a choisi de répondre à une question en apparence simple, en adoptant une stratégie complexe d’analyse multivariée, soit une stratégie permettant de contrôler les autres facteurs ayant un lien significatif avec la formation continue et d’isoler l’ « effet genre ». Une stratégie qui n’a pas eu besoin de faire appel à un appareillage statistique sophistiqué. La démarche générale a consisté à fournir des données et à proposer des analyses et des interprétations sur différents aspects de la formation continue. Les données ont été puisées dans des études à caractère sociologique et anthropologique, de type quantitatif et qualitatif, dans des analyses de contenu, des réflexions théoriques et des recherches évaluatives de programmes de formation continue. Une démarche probante qui a permis de dégager des tendances et de distinguer des convergences et des dissemblances entre les divers contextes étudiés. Répondre à la question initiale constituait un défi de taille, et chaque chapitre a su apporter sa contribution à une démonstration qui a pris toute son évidence dans une synthèse brillamment formulée dans la conclusion de l’ouvrage.

Une des richesses de cette publication est d’avoir adopté une stratégie d’analyse comparative en puisant le matériel de base dans divers pays : la perspective internationale annoncée dans le titre de l’ouvrage est bien rendue dans les textes, qui exposent la situation du genre en formation continue tant dans des pays développés (Canada, Québec, France, Suisse) que dans des pays en développement (Burkina Faso, Mexique). Évidemment, il faut bien constater la sous-représentation des textes sur les pays moins industrialisés (trois chapitres sur dix), mais en même temps on doit souligner l’effort accompli pour élargir la perspective tout en ne sous-estimant pas les difficultés éprouvées pour trouver des études aussi spécifiques tant dans les pays développés que dans ceux en voie de développement. Cela est d’ailleurs souligné en introduction (p. 15) : il existe très peu de travaux publiés qui ont touché à la dimension du genre en formation continue en milieu francophone avant le milieu des années 90, et les premières recherches datent du début des années 2000. Cet ouvrage vient donc combler en bonne partie le vide constaté.

Si l’on se penche sur les divers résultats rapportés dans cette publication, plusieurs aspects méritent d’être soulignés.

Les orientations de la formation continue varient selon le contexte du pays visé. Dans les pays industrialisés, la formation continue se présente principalement comme une stratégie pour amener la main-d’oeuvre à s’adapter à la nouvelle économie basée sur le développement technologique et à la mondialisation des marchés. Dans les pays en développement, où de larges fractions de la population adulte demeurent analphabètes et vivent sous le seuil de la pauvreté, les programmes de formation continue sont conçus surtout comme des moyens pour contrer la situation de sous-scolarisation et pour lutter contre la pauvreté.

Au-delà de cette constatation générale, l’ouvrage permet de voir le traitement réservé aux hommes et aux femmes de ces pays de contexte différent.

Concernant l’accès à la formation continue, les études présentées ont montré qu’il existe peu de variation selon le genre dans les pays industrialisés, mais que des distinctions persistent entre les deux sexes, quant au type de participation à la formation continue : alors que les hommes s’engagent plus dans des formations à caractère professionnel et qu’ils en tirent plus de profit en fait de promotions, d’augmentations de salaire, etc., les femmes, pour leur part, participent davantage à des activités de formation autonome, à des formations permettant d’atteindre des objectifs plus personnels, ce qui conduit à conclure que non seulement le type de participation à la formation se différencie selon le genre, mais que c’est aussi le cas pour ses effets et ses conséquences. Dans les pays en développement, l’accès à la formation continue est différenciée selon le sexe. L’accès des femmes demeure plus limité, et ce, malgré les efforts louables de certains États pour assurer la promotion des femmes; et même lorsqu’elles y accèdent, elles ne disposent pas des mêmes ressources (organisationnelles, temporelles, etc.) que les hommes et n’en tirent pas un aussi grand bénéfice qu’eux.

L’ouvrage fait état aussi de conclusions intéressantes concernant les obstacles à la formation continue. Ceux-ci peuvent provenir autant de la demande que de l’offre et varient selon que l’on est homme ou femme. Ainsi, du côté de la demande, le femmes se voient plus souvent empêchées d’accéder à la formation en raison de facteurs comme les tâches domestiques, les obligations familiales, l’âge ou le manque de temps et d’argent. Ces obstacles limitent l’accès des femmes à la formation, quel que soit le contexte, mais ils sont plus agissants dans le cas des femmes chefs de famille monoparentale. D’autres barrières comme les interdits culturels et la division traditionnelle du travail réduisent aussi considérablement les possibilités de formation pour les femmes des pays en développement. Ces barrières apparaissent également dans les classes moins favorisées et chez les immigrantes des pays industrialisés : « les femmes, dit-on en conclusion de l’ouvrage, sont coupées de la formation par une culture qui les enferme et par une communauté qui sent comme une menace la poursuite des études par les femmes » (p. 237).

Les obstacles peuvent par ailleurs provenir du côté de l’offre, de la façon dont les formations sont organisées : les limites en fait d’accessibilité, les critères d’admission trop rigides, les horaires défavorables, le manque de reconnaissance de acquis, la non-disponibilité géographique des programmes, la difficulté de certains programmes gouvernementaux à tenir compte du contexte particulier ou de la situation de vie des personnes, etc. Voilà un ensemble de facteurs dont on a montré l’effet réducteur sur la participation des femmes à la formation continue.

L’ouvrage répond-il de manière appropriée à la question de départ? L’analyse et l’interprétation des données recueillies permettent, selon Claudie Solar, de répondre par l’affirmative : « le genre produit un effet significatif sur les différentes dimensions reliées à la formation continue » (p. 266). Il s’agit là, souligne-t-on au terme de l’étude, d’une variable importante pour comprendre la participation des adultes à la formation continue ainsi que pour bâtir des politiques et des actions de formation pertinentes relativement à leurs besoins. Cette conclusion n’invalide toutefois pas l’effet d’autres variables lourdes sur la formation continue. Ainsi, l’analyse multivariée conduite dans cet ouvrage a permis de préciser l’existence d’une relation stable entre le niveau socioéconomique et la scolarité, d’une part, et la possibilité de participer aux activités de formation continue, d’autre part : plus on est pauvre et peu scolarisé, ou scolarisée, moins on participe aux activités de formation continue et plus il y a d’obstacles à éliminer pour donner accès à de telles activités. Et cela vaut autant à l’échelle de l’individu qu’à celle de la communauté et du pays.

Voilà donc un ouvrage riche, instructif, autant par la diversité des dimensions étudiées que par la perspective comparative adoptée. Cette publication se lit bien, et on doit louer l’effort d’harmonisation d’un ensemble de textes de provenance multiple, d’un travail collectif qui constitue, à notre avis, une contribution significative à la sociologie de la formation continue. On pourrait discuter de la pertinence d’avoir séparé l’ouvrage en deux parties, les distinctions apportées n’étant pas toujours convaincantes, et revenir sur la sous-représentation des études sur les pays en développement. Cependant, ce sont là des détails qui ne peuvent faire oublier la qualité et l’originalité de cette publication et sa contribution à l’avancement des connaissances.