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Dans leur introduction, Michèle Charpentier et Anne Quéniart soulignent que la majorité de la population âgée actuelle est de sexe féminin, fait rarement pris en compte. Elles visent, par cet ouvrage collectif, à joindre une analyse féministe, centrée sur les inégalités de genre dans des sociétés patriarcales, à une approche qui privilégie l’analyse de différents types d’exclusion et d’inclusion sociales. Associer le genre à d’autres facteurs personnels et sociaux permet non seulement de combler les lacunes discriminatoires à l’égard des femmes âgées, mais également, à leur avis, de souligner la diversité et la singularité tant de leurs identités que de leurs expériences et de leurs parcours de vie.

Cinq chapitres qui traitent du rapport au corps (soi, santé, intimité) constituent la première partie. À la lecture de ceux-ci, fort disparates, les liens avec la problématique d’ensemble présentée en introduction ne sont pas toujours évidents. Les deux premiers chapitres, d’auteures du Québec, ont en commun d’analyser le rapport des femmes à certains médicaments dont l’usage renvoie à la construction sociale du genre féminin. Soit au moment de la ménopause, qui signale la fin de la période de fertilité des femmes, ou lors du grand âge, alors que la fragilité physique renvoie à la dépendance. Dans le chapitre sur l’hormonothérapie substitutive, Dufort et Martin-Pellerin relatent et analysent le développement historique d’actions de contestation féministes à l’égard du bien-fondé de cette thérapie, tandis que l’étude de cas portant sur 14 femmes de plus de 50 ans qui consomment des benzodiazépines, par Pérodeau, Gourd et Grenon, est centrée sur la dynamique entre des consommatrices individuelles de cette classe de médicaments et des médecins prescripteurs. Les deux chapitres qui suivent relèvent de l’esthétique. Dans l’un, Vannienwenhove explore au Québec les stratégies sexuées d’occultation (ou non) de la couleur de la chevelure de personnes vieillissantes, le blanc s’avérant un indicateur puissant de l’âge. Un sujet de réflexion en apparence superficiel qui renvoie en fait à de nombreuses normes sexuées qu’impose la construction sociale des sujets âgés. Dans l’autre chapitre, Navarro et Swain traitent de l’esthétique de soi sur un mode plutôt polémique. Leurs propos se déploient à partir d’une perspective foucaldienne et analysent des textes normatifs à l’égard des femmes. Dans le dernier chapitre de cette partie, Chamberland et Petit mettent en relief des enjeux au Québec concernant les lesbiennes vieillissantes, enjeux qui sont davantage centrés sur les rapports aux autres. Parmi les multiples interrogations qu’elles soulèvent, il y a, notamment, celles qui concernent des aspects contradictoires de certaines stratégies de lesbiennes vieillissantes qui balancent entre la différenciation (par le repli identitaire) et la non-différenciation (par leur invisibilité sociale acceptée ou recherchée).

La seconde partie de l’ouvrage porte sur le rapport aux autres, à la société et aux institutions. Ses sept chapitres traitent tant de l’engagement et de solidarités que de résistances aux pratiques institutionnelles. Il y est également question de travail salarié et d’égalité économique. Cette section aurait aussi gagné à débuter par une présentation mettant en relief les liens entre ces problématiques spécifiques, notamment celle de la construction sociale qui est très présente, aux problématiques qui sont exposées dans l’introduction, ce qui aurait ainsi permis d’intégrer davantage les différents chapitres aux problématiques annoncées.

Pennec fait une analyse secondaire de plusieurs résultats d’enquêtes réalisées en France qui lui permet de mettre en rapport les types et les modalités d’engagement de femmes avec leurs parcours de vie (bien qu’elle compare des sujets dont l’âge diffère et non pas les mêmes sujets à des âges différents). Elle réussit ainsi à rendre visibles la pluralité et la complexité de leurs engagements. Quéniart et Charpentier traitent aussi de l’engagement, c’est-à-dire d’une « participation tournée vers la communauté » (p. 170). Leur enquête qualitative auprès d’une vingtaine de Québécoises de plus de 65 ans avait pour objet de mettre au jour les origines de leur engagement et le sens qu’elles attribuent à leurs pratiques. À l’encontre du stéréotype de femmes âgées passives et affligées de problèmes, ces femmes engagées ont réussi des percées, conçu des modèles d’action et de vie inédits. Plusieurs des constats sur la pluralité des engagements de ces femmes rejoignent ceux de Pennec pour la France. Quant au rôle actuel de grand-mère proposé et vécu par des Françaises, Attias-Donfut explique le « véritable séisme » (p. 194) d’ordre démographique qui a donné lieu à une double transformation: celle de la famille et du travail; il est davantage le fait des femmes que des hommes. Ses données sont fondées sur deux enquêtes, qu’elle a réalisées en 1992, qui portaient sur trois générations. Les résultats obtenus ont permis de voir les différences d’une génération à l’autre parmi les femmes les plus âgées. Simultanément à l’allongement de la durée de la retraite, s’est élargi le rôle de grand-mère, notamment à cause du nombre croissant de familles multigénérationnelles (grands-parents, parents, enfants, petits-enfants). L’élargissement prend aussi la forme de rapports de réciprocité entre aidantes et « aidées » âgées qui peuvent passer d’un rôle à l’autre.

Les deux chapitres qui terminent l’ouvrage sont davantage en continuité avec les trois qui portent sur l’engagement et la solidarité qu’avec ceux qui ont trait à la réalité économique personnelle des femmes vieillissantes. Ainsi, dans le chapitre sur les résistances et les fragilités de femmes âgées à l’égard des pratiques institutionnelles de la santé et des services sociaux, Grenier met en relief, par des entrevues qualitatives avec une douzaine de femmes âgées anglophones du Québec, les différentes formes de résistances qu’expriment ces femmes envers un diagnostic fondé surtout sur les incapacités physiques et son utilisation bureaucratique au regard de l’accès au soins. Ces constats l’amènent à plaider en faveur de changements organisationnels et professionnels pour faire place à leurs expériences sociales et affectives relativement à leur fragilité telle qu’elle est vécue concrètement. Le chapitre de Soulières et Charpentier, qui s’intéressent au pouvoir des résidentes de centres d’hébergement, clôt le livre. Les résultats d’un volet d’une recherche sur des personnes âgées en hébergement révèlent, à partir d’entrevues avec 13 d’entre elles, que la possibilité de développer leur autonomie (empowerment) est limitée à la fois par leur parcours de vie antérieur, souvent pénalisant pour les femmes, ainsi que par les rapports de pouvoir institutionnels et familiaux établis, sans oublier l’état physique, psychique et mental de ces résidentes. Soulières et Charpentier proposent, à l’instar de Grenier, des interventions qui, davantage que les mesures déjà en place, seraient plus efficaces parce qu’elles seraient plus près du vécu des résidentes âgées.

Deux autres chapitres, portant sur certains aspects économiques de la vie au travail et à la retraite sont intercalés dans la seconde partie. Dans l’un, Charles s’emploie à démontrer comment la retraite, qui consacre l’incompatibilité du travail et de la vieillesse, constitue une construction sociale « âgiste » et n’a rien d’une norme « naturelle ». Sa preuve procède par comparaison entre des taux d’activité de femmes et d’hommes âgés, à divers moments de l’histoire, et dans différentes sociétés industrielles avancées. Parmi les facteurs qui ont permis cette rupture majeure au cours du XXe siècle, elle souligne, en particulier, les règlements de retraite, les politiques de pension ainsi que l’aspiration au repos d’une grande partie de la main-d’oeuvre vieillissante. Quant à Rose, c’est à partir de diverses données statistiques qu’elle documente la pauvreté d’une proportion importante de femmes âgées et la persistance d’un écart de revenu – même s’il a tendance à diminuer – entre les femmes et les hommes. À son avis, seul un renforcement des régimes publics de retraite, assorti de mesures touchant l’emploi, permettrait de contrer la recrudescence de la pauvreté parmi les personnes âgées, femmes et hommes confondus.

Ces douze chapitres qui portent sur des sujets très diversifiés et pertinents concernant les femmes vieillissantes contribuent à combler des lacunes au sujet de la réalité des femmes vieillissantes dans certains pays industriels avancés. À la suite de leur lecture, on souhaiterait voir l’ouvrage se terminer par une conclusion de Charpentier et Quéniart qui reprendrait le fil de leur introduction. Faire le point sur les écrits publiés sur la question des femmes, de leur vieillissement en société, que les auteures ont colligés et analysés, permettrait de stimuler la réflexion et de contribuer, dans certains cas, à la poursuite de nouvelles recherches. Une conclusion mettant en relief les paramètres de comparaison utilisés au fil des chapitres, permettrait aussi de mieux définir les multiples dimensions de la construction sociale de la notion de femme vieillissante. Cette absence de conclusion nous laisse un peu sur notre faim, alors qu’il y a amplement matière dans l’ensemble des chapitres de cet ouvrage pour pousser notre réflexion plus loin. Dommage.