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Introduction

Le web donne une plus grande flexibilité pour communiquer des messages sous différents types de formats, ce qui inclut notamment les documents statiques et dynamiques, les vidéos, les pistes sonores ainsi que les dessins animés. Il devient possible de concevoir des messages à communiquer en fonction des attentes, de l’environnement et de la capacité de compréhension des publics cibles (Cassagnes et al., 2010). Une revue de littérature montre que les organisations publiques, privées ou communautaires se servent des plateformes numériques pour mieux communiquer avec leur public, en leur offrant différents formats de communication (texte, vidéo ou son) et différents supports (sous-titrage, taille du texte ou narration; Magro, 2012).

À la suite de l’adoption de la politique sur L’accès aux documents et aux services offerts au public pour les personnes handicapées (ministère de la Santé et des Services sociaux [MSSS], 2006), plusieurs organisations publiques et communautaires ont la forte volonté, malgré leurs ressources limitées, d’utiliser les médias numériques, comme les vidéos, les enregistrements audios ou les animations, pour mieux communiquer avec des individus présentant des limitations. Spécifiquement pour les personnes présentant une déficience intellectuelle (DI), une grande proportion dans cette population a de très faibles compétences en littératie, ce qui affecte leur autonomie et altère leurs possibilités de participer pleinement à la société de l’information (Ruel et al., 2016). Toutefois, malgré ces mesures, ces personnes ont tout de même de la difficulté à atteindre cet objectif (Boucher et al., 2018). Certains facteurs et enjeux ont d’ailleurs été soulevés dans la littérature.

Enjeux de l’accès à l’information pour les personnes présentant une DI

L’accès à l’information et à sa compréhension est une condition nécessaire pour qu’une personne puisse s’autodéterminer et, plus spécifiquement, pour qu’elle puisse exercer ses droits, faire des choix et avoir du contrôle sur sa vie afin d’être un citoyen à part entière (Department of Health, 2010). Les compétences en littératie s’avèrent indispensables dans ce processus. La littératie désigne « la capacité d’une personne, d’un milieu et d’une communauté à comprendre et à communiquer de l’information par le langage sur différents supports pour participer activement à la société dans différents contextes » (Lacelle et al., 2016, paragr. 4). Or, la revue de littérature de Martini-Willemin (2013) démontre qu’une grande proportion des personnes présentant une DI ont des compétences limitées en littératie. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cet état de fait. Par exemple, les personnes présentant une DI ont généralement besoin de plus de soutien scolaire, sans compter que des préjugés demeurent face à leurs capacités d’apprentissage. Il en résulte que l’enseignement des compétences en littératie n’est pas toujours priorisé par les milieux scolaires (Ruel et al., 2016). Or, la plupart des personnes présentant une DI sont en mesure d’apprendre et de développer certaines compétences en littératie, mais elles éprouvent souvent de la difficulté à comprendre le sens du message transmis (Oldreive et Waight, 2014). Comme l’ensemble de la population, ces personnes doivent accéder à de l’information compréhensible. Cependant, elles ont besoin de plus de temps et de soutien pour intégrer les nouvelles données, pour les mettre en pratique et pour communiquer (Chinn et Homeyard, 2017; Nind et Seale, 2009). Ces enjeux sont également perceptibles dans les différentes technologies de l’information et de la communication (TIC). En effet, avec l’avènement et le développement rapide des TIC, un fossé entre les personnes présentant une DI et l’ensemble des citoyens connectés s’est approfondi au cours des dernières années (Dagenais, Poirier et Quidot, 2012; Lussier-Desrochers et al., 2017). Ceci peut notamment s’expliquer par le fait que l’accessibilité aux médias numériques nécessite, d’une part, des compétences en littératie puisque l’information y est encore majoritairement présentée en langage écrit (Bros, 2015). Cette situation représente d’ailleurs un obstacle pour les personnes présentant une DI (Waight et Oldreive, 2016). D’autre part, il est également important d’avoir accès à des outils numériques et d’avoir acquis des compétences dans ce domaine (Velleman et van der Geest, 2014).

Or, les personnes présentant une DI ont généralement moins accès aux TIC et au web (Jenaro et al., 2018; Seale, 2014), sans compter qu’elles rencontrent plus de difficultés sensorimotrices, cognitives ou techniques. Lors de l’utilisation des TIC, plusieurs d’entre elles sont confrontées à plus d’un de ces obstacles, ce qui met à risque leur accessibilité aux différentes TIC (Lussier-Desrochers et al., 2017). Ces obstacles ont d’ailleurs de l’influence sur la participation sociale de ces personnes puisque malgré la variabilité de leurs profils, ces individus pourraient retirer plusieurs bénéfices de l’utilisation des TIC dans leur quotidien (Caton et Chapman, 2016; Lussier-Desrochers et al., 2017; Näslund et Gardelli, 2013; Normand, Rodier, Lussier-Desrochers et Giguère, 2016). Toutefois, pour ce faire, elles doivent notamment pouvoir accéder à l’information dont elles ont besoin pour prendre des décisions et gagner en autonomie. Enfin, même si la compréhension de l’information repose souvent sur la personne à qui elle est destinée, les concepteurs ont également un rôle à jouer pour favoriser l’accès à cette information.

Enjeux de l’accès à l’information sous l’angle des concepteurs

Les concepteurs ont la responsabilité d’élaborer un matériel d’information facile à lire et à comprendre, pour leur public cible, peu importe le support sur lequel l’information est présentée (Ruel et al., 2019). Ruel et al. (2019) précisent d’ailleurs que pour rendre l’information compréhensible, les solutions proposées doivent nécessiter davantage d’implication qu’une simplification du texte. Face aux difficultés rencontrées par les personnes présentant une DI pour accéder à l’information publique des lois, politiques, ainsi que des guides de directives et de bonnes pratiques ont été mis en vigueur afin de favoriser une offre d’information facile à comprendre (Diacquenod et Santi, 2018; Newman, 2019). Toutefois, certains désaccords et contradictions subsistent quant aux recommandations nommées pour créer de l’information numérique plus accessible (Jaeger et Xie, 2009 ; Lussier-Desrochers et al., 2017; Mukta, 2019).

Ayant procédé à une évaluation de l’application des standards québécois sur l’accessibilité du web pour différentes organisations, la Confédération des organismes de personnes handicapées du Québec (COPHAN, 2016) considère que le respect unique des normes est insuffisant pour assurer l’accès à l’information sur le web. Selon COPHAN (2016), les usagers, incluant des personnes présentant des limitations cognitives, devraient évaluer l’utilisabilité du matériel afin de s’assurer de son accessibilité. De plus, pour faciliter la mise en pratique de guides, de normes ou de standards en accessibilité numérique (p. ex., Web Content Accessibility Guidelines 2.1 [WCAG 2.1] ou le Standard sur l’accessibilité des sites Web [SGQRI 008 2.0]), il importe que les organisations soient sensibilisées à la réalité des personnes présentant une DI, qu’elles disposent de compétences techniques ainsi que des ressources humaines et financières nécessaires pour ce faire (Brown et Hollier, 2015; Ruel, Allaire, Moreau, Kassi, Brumagne et al., 2018; Secrétariat du Conseil du trésor, 2018; World Wide Web Consortium [W3C], 2018).

Le contexte numérique force ainsi les concepteurs à développer de nouvelles expertises. Les organisations doivent maîtriser de nouveaux médias, incluant leurs formes d’expression, d’échange et d’usage de l’information. En effet, malgré le potentiel d’innovations qu’offre le monde numérique, les créateurs de contenu ont encore des difficultés à appréhender cet environnement qui se renouvelle constamment (Barlatier, 2016; Sirois, 2016). Les organisations doivent également débourser des sommes pour acquérir des TIC et former leurs employés à la création de produits, de services et de contenus numériques accessibles et compréhensibles aux personnes présentant une DI (Nylén et Holmström, 2015). En effet, même si les organisations visent l’accessibilité numérique et font des efforts pour l’atteindre, elles sont souvent freinées par la faible profitabilité de ces outils et services (Balin et Gossart, 2015 ; Mukta, 2019). Or, la prise en compte de l’accessibilité dès la phase de conception d’un produit engendre de moindres coûts que la transformation d’un produit existant pour qu’il devienne accessible (Loiacono et Djamasbi, 2013). Selon Balin et Gossart (2015), l’accessibilité des TIC n’est pas une priorité pour les fournisseurs ou les concepteurs de sites web. Cela s’explique par une méconnaissance des difficultés rencontrées par les personnes présentant une DI et par une certaine stigmatisation associée au handicap qui ne favorise pas d’emblée l’empathie (Brown et Hollier, 2015). Par conséquent, des efforts sont nécessaires pour sensibiliser les créateurs de contenu et les développeurs web à la question de l’accessibilité de l’information (Watanabe et al., 2010). Enfin, le développement d’une information accessible pour tous peut s’appuyer sur l’une des lignes directrices de la conception universelle d’apprentissage qui est d’offrir l’information en utilisant plusieurs moyens de représentation (Rogers-Shaw et al., 2018), ce que permet la création de vidéos intégrant, entre autres, des représentations visuelles et auditives.

Devant ces enjeux, un groupe de chercheurs et des partenaires de différentes organisations publiques et communautaires oeuvrant auprès de personnes en situation de handicap (dont des personnes présentant une DI), se sont associés et ont formé une équipe de recherche. Les objectifs du projet étaient de :

  1. Documenter le processus de création de vidéos accessibles et compréhensibles pour des personnes avec un niveau de littératie réduit.

  2. Identifier les facilitateurs et les obstacles auxquels les milieux peuvent être confrontés lors de la conception de ces outils.

Méthode

Pour ce faire, une étude qualitative a été réalisée en suivant la méthode de recherche-action participative proposée par Creswell (2014). Au total, 15 personnes ont participé à la recherche, soit : des organisations publiques (n = 5) et communautaires (n = 4), des chercheurs et co-chercheurs intéressés par l’accès à l’information (n = 4), ainsi que deux étudiantes aux cycles supérieurs en anthropologie et en psychoéducation (n = 2). Ces individus constituent l’équipe de recherche du projet.

Déroulement

Afin d’identifier les facilitateurs et les obstacles, des outils permettant de sensibiliser les organisations et les services à l’importance d’augmenter l’accès à l’information pour les personnes ayant des compétences réduites en littératie ont été créés. L’équipe de recherche a choisi de concevoir des vidéos pour créer un exemple d’une information multiformat – multisupport en suivant une démarche similaire à celle que les concepteurs d’information doivent entreprendre lorsqu’ils veulent concevoir une information plus accessible.

L’équipe de recherche s’est réunie entre l’automne 2018 et l’hiver 2020 pour un total de six rencontres formelles, dont deux en présentiel (2 x 5 heures) et quatre en mode virtuel (4 x 2 heures). Entre 8 et 11 participants étaient présents lors de chacune d’entre elles. Ces rencontres ont permis les croisements des savoirs entre les participants en reconnaissant les expertises de chacun de manière égale, qu’elles soient expérientielles, cliniques, théoriques ou universitaires (Desgagnés et al., 2016; Labbé et al., 2013).

Spécifiquement pour le développement des vidéos, la stratégie méthodologique de la Science du design a été employée (Johannesson et Perjons, 2014; Lee et al., 2015). Selon les auteurs, le processus de création se développe en cinq étapes : 1) l’identification du problème; 2) la définition des objectifs de la solution; 3) la conception et le développement de la solution (l’artefact); 4) sa démonstration; et 5) son évaluation. Toutefois, pour réaliser ces étapes, une approche itérative et adaptative a été préconisée pour la conception et le développement du produit. Le design itératif a l’avantage de permettre des changements lors d’un travail de collaboration entre des membres d’une équipe jusqu’à ce que le produit développé corresponde aux attentes du groupe et puisse être utilisé (Balaji et Murugaiyan, 2012; Wysocki, 2011).

Outils de collectes de données

Pour documenter le processus de création des vidéos ainsi que les facilitateurs et les obstacles rencontrés lors de cette démarche, le journal de bord a été privilégié (Savoie-Zajc, 2000). Celui-ci comprend les comptes-rendus des rencontres, dont les notes descriptives et informatives sur son déroulement, son contenu et les orientations prises ainsi que les fiches de suivi de la Science du design. Lors de chaque rencontre, les chercheurs prenaient des notes pour documenter l’avancement de la conception suivant cette approche. Les participants ont tous reçu les comptes-rendus qui étaient révisés en groupe au début de la rencontre subséquente. L’information documentée dans le journal de bord a servi à présenter les étapes du processus de création des vidéos.

Enfin, un groupe de discussion focalisé (GDF) a été tenu à la fin du projet de recherche avec les participants. Il visait à recueillir leur perspective sur leur expérience quant au processus de création des vidéos et sur les défis rencontrés (Godin-Tremblay et Lussier-Desrochers, 2018). La rencontre a été enregistrée.

Analyse

Le verbatim du GDF a été retranscrit a fait l’objet d’une analyse thématique de contenu en utilisant des catégories émergentes (Paillé et Micchielli, 2012). Cette analyse qualitative a d’abord été réalisée séparément par les deux étudiantes, puis une rencontre conjointe a eu lieu avec un chercheur coresponsable du projet afin d’en apprécier l’accord interjuge. Les données d’analyse retenues sont en lien avec les facilitateurs et les obstacles rencontrés lors de la conception des vidéos.

Résultats

Les résultats sont exposés en présentant d’abord la démarche de conception des vidéos au regard de l’approche méthodologique de la Science du design. Les deux sections suivantes abordent les facilitateurs et les obstacles rencontrés lors de la conception des vidéos tels qu’identifiés par les participants.

Démarche de conception des vidéos

L’analyse du journal de bord permet de présenter la démarche ayant mené à la création de vidéos. La Figure 1 illustre le processus de conception réalisé dans lequel des adaptations des étapes de la Science du design ont été réalisées. En effets, trois étapes supplémentaires ont été ajoutées à celle de Johannesson et Perjons (2014). Comme le démontre la Figure 1, les étapes 4 et 5 ont été effectuées à deux reprises dans une perspective itérative. Enfin, une étape de publication a également été ajoutée pour assurer un transfert de connaissance.

Figure 1

Démarche de conception des vidéos selon la Science du design

Démarche de conception des vidéos selon la Science du design

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Les paragraphes suivants présentent les résultats associés à chaque étape.

D’abord, à l’étape 1, « Identification du problème », les participants ont identifié le peu d’accès à l’information et à sa compréhension pour les personnes à faibles compétences en littératie. Ils ont aussi nommé la nécessité de sensibiliser les concepteurs de matériel d’information aux défis que peuvent rencontrer ces personnes, dont les personnes présentant une DI, pour accéder à cette information et à sa compréhension. Les participants ont alors choisi de concevoir un matériel de sensibilisation.

À l’étape 2 « Définition des objectifs de la solution », les participants ont décidé de sensibiliser les concepteurs d’information par l’entremise de vidéos, celles-ci étant une des solutions au problème identifié. Le choix de créer des vidéos s’explique par le fait qu’il s’agit d’un support dynamique permettant, avec la narration, d’éviter la surutilisation de l’écrit. Les participants ont également choisi de développer une animation vidéo, plutôt qu’une prise de vue réelle, puisque cela facilitait la transposition de séquences vers d’autres formats ou supports. De ce fait, si désirées, des séquences pourraient être utilisées pour illustrer un document statique, comme un feuillet d’information par exemple. Pour faciliter la transposition et favoriser le maintien de la qualité de l’image, les participants ont convenu de privilégier le noir et blanc avec l’ajout d’au maximum une couleur par séquence.

De plus, la disponibilité de deux stagiaires[1] d’été, boursiers internationaux en TIC, a également motivé la décision de concevoir un outil vidéo. Dans ce cadre, ces stagiaires boursiers ont agi à titre de concepteurs des vidéos. À cette 2e étape, les participants ont déterminé que les vidéos seraient développées sous la forme de deux capsules, l’une représentant des problèmes d’accès à l’information et à sa compréhension et l’autre montrant des pistes de solutions afin d’offrir des propositions concrètes pour répondre à des problématiques spécifiques. Une mise en situation fictive a été élaborée par les participants en s’inspirant de défis rencontrés par les usagers qu’ils connaissent.

À l’étape 3 « Conception et développement de la solution », les séquences des vidéos ont été développées sous la forme d’un script puis d’un scénarimage (storyboard) et validées par les participants à la recherche. Les concepteurs ont développé les vidéos en s’appuyant sur des listes de vérification (Ruel et al., 2020), les normes et standards en accessibilité numérique (WCAG 2.1 et SGQRI 008 2.0) et la littérature grise sur les recommandations de conception de vidéos documentée par les concepteurs. Il s’agissait de reproduire une démarche similaire à celle suivie par toute personne souhaitant développer des capsules vidéos accessibles à tous, incluant les personnes présentant une DI. Les vidéos (1re version) ont été créées entre les mois de juin et août 2019, à partir d’un logiciel de présentation par diapositives successives. Il s’agissait toutefois d’une TIC limitée qui s’est parfois avérée rigide pour faire des modifications au cours du processus itératif. De plus, puisque les stagiaires ayant conçu les premières versions des vidéos étaient des étudiants étrangers ne maîtrisant pas la langue française, le travail et la narration ont été réalisés en anglais qui était une langue seconde pour les concepteurs. Pour récolter les commentaires des membres de l’équipe de recherche durant cette étape, deux rencontres virtuelles informelles ont été organisées avec les participants disponibles durant l’été. Au terme de chacune de ces rencontres, les stagiaires ont intégré les modifications demandées par les participants. Les stagiaires ont terminé leur stage à la fin de cette étape.

Lors de la cinquième rencontre formelle, en présentiel, les deux capsules vidéos ont été montrées aux participants. Il s’agissait de l’étape 4, « Démonstration et évaluation (1re version) ». Les participants ont exprimé leurs commentaires sur le travail réalisé et pris des orientations en groupe pour améliorer les vidéos, selon ce qu’il était possible de faire techniquement et monétairement, à partir des produits déjà conçus. Pour l’étape 5 « Conception et développement de la solution (version finale) », un assistant francophone ayant une expertise en création audiovisuelle a complété les vidéos. Il a procédé aux modifications demandées par l’équipe de recherche, incluant l’enregistrement de la narration en français.

La version finale des vidéos a été présentée et validée par les membres de l’équipe de recherche à l’étape 6 « Démonstration et évaluation (version finale) ». Ils ont ensuite accepté leur publication sur le site web Infoaccessible, ce qui correspond à l’étape 7 « Publication de la solution ».

Globalement la présentation de la démarche de conception vient illustrer que les étapes de la Science du design ont été respectées dans le cadre de l’élaboration des vidéos. Cependant quels sont les écueils rencontrés par l’équipe de recherche tout au long de ce processus ? Les prochaines sections présentent les résultats de l’analyse du GDF qui a permis de relever les facilitateurs et les obstacles rencontrés par l’équipe lors de la conception des vidéos.

Facilitateurs à la création des vidéos

Les participants au GDF, réalisé à la dernière rencontre de la recherche, ont identifié trois principaux éléments ayant facilité le déroulement de la conception des vidéos de sensibilisation. Il s’agit : 1) de l’équipe de travail interdisciplinaire; 2) du recours à une démarche itérative et participative pour créer les vidéos; ainsi que 3) l’approche collaborative ayant permis d’enrichir les vidéos.

D’abord, les participants ont affirmé que la présence de membres variés issus de différents horizons, dont plusieurs oeuvrent auprès de personnes présentant une DI, était un avantage pour le projet. En effet, ils ont mentionné qu’il s’agissait d’« un groupe intéressant[2] » avec de la « synergie entre les gens » où il régnait un « grand respect des autres ». Les participants considéraient également que les membres du groupe de recherche avaient une « bonne volonté de donner du sien » et que les « conditions étaient là pour bien travailler ».

Ensuite, les participants ont souligné le processus de création des vidéos qui a été réalisé suivant une démarche participative et itérative. En effet, il a été possible de faire des allers-retours pour identifier et pour commenter le contenu à présenter, celui à modifier, ainsi que pour procéder aux choix menant à l’amélioration des vidéos. Il est intéressant de noter que les participants minimisaient parfois leurs contributions en affirmant avoir seulement fait « de petites suggestions » ou en les qualifiant de « petits grains de sel à rajouter ». Toutefois, les membres de l’équipe responsable de transmettre les commentaires aux concepteurs des vidéos avaient une vision différente en mentionnant qu’il y a « peut-être un sentiment de ne pas avoir beaucoup contribué, mais moi je sais en tout cas, dans ce qu’il a fallu modifier à la suite des [rencontres d’évaluation des vidéos] […] comment ça a contribué ».

Les participants au GDF reconnaissent que la démarche d’élaboration du matériel vidéo a été grandement enrichie par les rétroactions des membres de l’équipe. Les discussions étaient l’occasion d’échanger et de partager les idées vers le but commun : « C’est là que j’ai compris qu’il y avait plein de gens qui avaient des idées […] bien claires pis ça avait plein de sens, pis ça résonnait aussi au niveau théorique. ». Les apports, même ceux qui semblent secondaires ont été faits pour rendre le matériel plus accessible et compréhensible, dans une « logique de bien répondre aux critères ». Par conséquent, les « commentaires [et les] souhaits des partenaires [représentants des organisations publiques et communautaires] […] [sont] toujours pertinents ». Dans l’ensemble, les participants ont affirmé que leurs commentaires étaient accueillis « positivement » et avec « beaucoup d’ouverture ». Ils sont aussi motivés à poursuivre au-delà de la fin du projet pour la diffusion du matériel développé.

Obstacles rencontrés dans la conception des vidéos

Lors du GDF, les participants ont identifié différents obstacles auxquels le groupe a été confronté lors de la conception des vidéos. Cela inclut : 1) les contraintes sur le plan des compétences, des ressources humaines et financières; 2) celles liées au temps; et 3) les éléments nuisant à l’accès à l’information numérique, tout comme les caractéristiques des vidéos.

Selon les participants, les difficultés rencontrées comprennent, dans un premier temps, les contraintes liées aux compétences insuffisantes pour concevoir les vidéos. Bien que le groupe de recherche fût interdisciplinaire, aucun participant n’avait de l’expérience spécifique sur le plan de la conception de matériel sur support numérique ou, plus particulièrement, dans la conception de vidéos. En effet, plusieurs possédaient quelques compétences et des connaissances générales sur le plan numérique, mais aucun d’entre eux n’avait développé une vidéo auparavant. Comme le mentionne un participant, « […] il y a un niveau de compétences qu’on a besoin de développer pis on sort de nos souliers là. […]. Comment on développe une vidéo, qu’est-ce qu’on doit prendre en compte ? ».

En raison de ce manque d’expériences préalables et de connaissances des programmes de développement vidéo, il a été nécessaire de recourir à des expertises externes au groupe, soit des stagiaires boursiers. Cependant, la narration en langue anglaise a surpris les participants lors de la rencontre de groupe. Ceci a été perçu comme un irritant pour certains. En effet, « on a été pris un p’tit peu par surprise avec le très fort accent de la narratrice, moi je n’avais aucune idée d’où ça venait ça ».

Dans le cadre du GDF, des participants ont exprimé leurs « réserves sur l’emploi [de stagiaires] non francophones » comme concepteurs ce qui impliquait que « les vidéos devaient ensuite être traduites ». Des ressources supplémentaires ont été déployées pour finaliser les vidéos sur les plans techniques, soit pour le sous-titrage et la narration. Idéalement, « si on avait eu un projet… un soutien financier beaucoup plus élaboré, on serait allé encore davantage dans la qualité […]. Avec les moyens qu’on a, je pense qu’on a fait une belle job ».

Or, les participants s’interrogent sur les possibilités d’entreprendre une démarche similaire au sein d’un organisme communautaire offrant des services pour des personnes présentant des limitations cognitives, par exemple, puisque ces organisations « n’ont pas d’argent ». Cette réalité résonnait pour plusieurs participants oeuvrant eux-mêmes au sein de milieux communautaires. Aussi, le développement de matériel vidéo est difficilement réalisable si les organisations ne détiennent pas d’expertise en ce sens. Elles doivent donc « faire des choix en fonction de la clientèle et des capacités de l’organisme » tout en sachant qu’elles ne réussissent pas à répondre aux exigences d’accessibilité selon les politiques en vigueur et selon leurs réelles intentions.

Des contraintes liées au temps de création et à la disponibilité des participants se sont également manifestées lors du développement des vidéos. La majeure partie du processus d’élaboration des vidéos a eu lieu au cours de l’été 2019, un moment peu propice aux rencontres puisque la majorité des participants étaient indisponibles. Cette contrainte a été relevée lors du GDF en rappelant que, lors de la cinquième rencontre formelle, à l’automne 2019, certaines problématiques ont été identifiées. Les participants ont alors formulé plusieurs commentaires pertinents pour l’amélioration des vidéos, mais les stagiaires n’étaient plus disponibles pour réaliser des changements de fond limitant ainsi les possibilités de les rendre meilleures aux yeux des participants. D’autres modifications auraient engendré une augmentation des coûts, ou auraient pris davantage de temps : « on a dû faire des choix, on n’a pas pu rendre un produit parfait ». L’avancement du projet était donc tributaire des disponibilités des concepteurs, des limites techniques et du budget disponible. Les participants au GDF perçoivent que l’élaboration de vidéos requiert du temps, à la fois pour leur développement de manière itérative, que pour les suivis à effectuer pour assurer le respect des choix et des orientations du groupe. Enfin, l’utilisation d’un logiciel de présentation par diapositives successives pour développer les vidéos s’est avérée rigide pour faire toutes les modifications souhaitées.

Les participants au GDF rapportent qu’il était parfois complexe de donner des commentaires pour améliorer les vidéos qui visaient à sensibiliser les concepteurs à la problématique d’accès à l’information et à sa compréhension. En effet, les vidéos étaient aussi commentées au regard d’une volonté de les rendre accessibles aux personnes présentant de faibles compétences en littératie ou une DI. Ainsi, les participants devaient se rappeler tout au long du processus de conception que le public cible premier était les concepteurs d’information, mais que les vidéos se voulaient aussi accessibles pour tous. Un participant mentionnait lors du GDF : « je me rappelle d’un commentaire […] à un moment donné qui [était] […] : à qui est destiné le matériel ? Parce que là ça influençait comment on prodiguait nos vidéos et tout ça et notre matériel ». Cette confusion est demeurée présente tout au long du processus. De plus, malgré les efforts fournis, les participants ont souligné que les vidéos finales ne semblaient pas réellement accessibles aux personnes présentant une DI.

La démarche paraît également incomplète aux yeux des participants. Ils auraient aimé que les vidéos soient visionnées et commentées par les utilisateurs potentiels, ce qui n’a pas été fait par manque de temps, de ressources humaines et financières. Un participant a exprimé lors du GDF : « t’sais quand on parlait de recherche-action, moi l’action c’était on va sur le terrain, on vérifie pis on revient. Je m’attendais à ça. C’est un petit peu le bémol que je mettrais ». C’est une déception exprimée par des participants, jugeant que la démarche n’a pas permis de respecter les recommandations promues par le groupe, dont celle de toujours valider auprès du public cible.

Discussion

Le processus d’élaboration des vidéos a grandement bénéficié des apports de l’ensemble des participants à la recherche. Composé de professionnels ayant différentes expertises, le groupe de recherche était interdisciplinaire et les participants ont collaboré dans une perspective de croisement de savoirs et de coconstruction, plutôt que de simplement mettre en avant leurs connaissances. Pour assurer la qualité d’une telle démarche, il importe que les membres du groupe partagent une vision commune des objectifs du projet et en reconnaissent la pertinence, sans compter qu’ils doivent avoir de nombreuses occasions d’interagir pour échanger des idées et des opinions (Fay et al., 2006; St-Cyr Bouchard et Saint-Charles, 2018). Dans le cadre du processus d’élaboration des vidéos, ces conditions étaient réunies. En effet, les participants de la recherche possédaient une variété de savoirs, de compétences et d’habiletés qu’ils ont partagé au sein du groupe ce qui a stimulé de nouvelles associations cognitives pour contribuer à la prise de décision et à l’innovation (Fay et al., 2006; St-Cyr Bouchard et Saint-Charles, 2018). S’inscrivant dans les méthodes agiles, l’approche itérative préconisée pour développer la vidéo a permis de développer des livrables dont les caractéristiques ne sont pas claires au départ et qui évoluent au cours du temps (Rehman et al., 2010). Dans cette perspective, la recherche participative utilisant l’approche de la Science du design, qui met à contribution tous les participants, s’est avérée judicieuse. Elle a permis d’intégrer les commentaires, les suggestions et les décisions stratégiques des membres du groupe pour enrichir les vidéos (Johannesson et Perjons, 2014), et ce, même si les contraintes technologiques et financières n’ont pas permis d’inclure toutes les suggestions. Enfin, l’interdisciplinarité du groupe de recherche est également bénéfique à l’étape de l’implantation de l’outil numérique puisque celui-ci peut être diffusé au sein d’un réseau plus vaste et diversifié (Fay et al., 2006).

L’équipe de recherche a choisi de développer des vidéos pour sensibiliser les concepteurs et pour informer autrement que par l’écrit. De même, les vidéos visaient à rejoindre tous les publics, dans une perspective d’accès à l’information pour tous. Or, les résultats du GDF démontrent que cet objectif n’est pas une panacée puisque le groupe de recherche a rencontré plusieurs défis au cours du processus. Bien que les participants à la recherche aient une variété d’expériences professionnelles, il aurait été utile d’inclure des participants ayant des compétences en développement vidéo, ce qui aurait permis de faire de meilleurs choix au moment de la conception. En effet, les TIC et les logiciels de montage sont désormais plus intuitifs et faciles à utiliser, mais les participants à la recherche ont souligné que, malgré leurs connaissances, ils ne se sentaient pas habiles pour concevoir des vidéos. Selon Kahane (2015), les outils numériques permettent des systèmes d’innovation et de design plus agiles, ouverts et participatifs, à condition d’avoir des compétences dans ce domaine (Barlatier, 2016), ce que le groupe de recherche n’avait pas. Puisqu’il a été nécessaire d’embaucher des ressources externes pour compléter les vidéos en raison de contraintes de temps et de compétences, un membre de l’équipe de recherche devait agir comme rapporteur pour transmettre les décisions et les demandes du groupe, ce qui a complexifié le processus.

Il y a lieu de penser que les organismes à but non lucratif ou communautaires font face à des obstacles similaires à ceux auxquels le groupe de recherche a été confronté au cours de la démarche. Généralement, ces organisations ne disposent pas de ressources humaines et financières suffisantes ni du temps nécessaire pour développer des vidéos (Sirois, 2016). Il leur est également difficile de réunir une équipe interdisciplinaire disposant des compétences spécifiques ou d’embaucher des professionnels externes (Hadaya et al., 2019). Par conséquent, les organisations sont généralement mal outillées pour tirer profit des TIC, ce qui occasionne des coûts et des délais supplémentaires (Hadaya et al., 2019). Ainsi, cela met en évidence les besoins de formation pour acquérir les compétences nécessaires sur l’accessibilité de l’information et sa compréhension dans un contexte numérique (Boucher et al., 2018).

La réalisation de cette démarche a aussi démontré la nécessité d’identifier précisément le public cible et le message à véhiculer. Comme le mentionne Sirois (2016), la production de contenu numérique implique également un processus de diffusion et de distribution, ce qui nécessite de déterminer à qui s’adresse l’information créée. Bien qu’il eût été statué que les vidéos de sensibilisation étaient destinées aux concepteurs d’information pour qu’eux-mêmes puissent mieux informer les personnes présentant une DI, les vidéos ont été conçues en visant l’accès à l’information pour tous. Or, comme le mentionnent Waight et Oldreive (2016), l’utilisation du format vidéo ne garantit pas automatiquement l’accès à l’information et à sa compréhension. Ainsi, des démarches supplémentaires de simplification du message devraient être réalisées pour assurer l’accessibilité à des publics présentant des compétences limitées en littératie, incluant des personnes présentant une DI.

Dans une même optique, bien qu’il s’avère important de suivre les pratiques recommandées, celles-ci sont nombreuses et elles ne sont pas toujours respectées (COPHAN, 2016). Dans le cadre de l’élaboration des vidéos, il aurait été nécessaire de tester le produit auprès de représentants du public cible aux différentes étapes de conception, et ce, afin de valider leur adéquation (COPHAN, 2016; Rodgers et Namaganda, 2005; Ruel, Allaire, Moreau et Ndengeyingoma, 2018). De cette manière, les représentants du public cible auraient pu transmettre leurs commentaires et suggestions d’ajustement à l’équipe de recherche afin que les vidéos répondent mieux aux objectifs de sensibilisation.

Enfin, il est nécessaire de poursuivre la sensibilisation auprès des développeurs de contenu web en leur expliquant les difficultés rencontrées par les personnes présentant de faibles compétences en littératie ou une DI pour accéder à de l’information compréhensible (Brown et Hollier, 2015). Dans cette perspective, il est pertinent de les orienter vers du matériel de référence (Ruel et al., 2020) et des pratiques recommandées, comme la validation auprès de représentants du public cible. L’application de ces mesures contribuerait assurément à augmenter l’accès à l’information et à la compréhension pour tous, particulièrement dans le contexte d’une information destinée aux personnes présentant une DI.

Conclusion

Malgré les connaissances, les ressources et les efforts déployés pour réaliser les vidéos, les participants ont identifié que la bonne volonté n’est pas suffisante pour produire de l’information accessible et compréhensible. Par l’intermédiaire d’un GDF, les facilitateurs et les contraintes liées à cette démarche ont été répertoriés et discutés avec les participants de la recherche. Il en résulte que les vidéos de sensibilisation produites restent à parfaire ou à améliorer afin qu’ils puissent satisfaire aux attentes des participants au regard de sa qualité, de son accès ainsi que la compréhension de ses informations.

Afin de rendre les communications accessibles et compréhensibles à tous, les organisations doivent se doter des ressources humaines et technologiques capables de concevoir ou d’adapter le message et l’outil de communication aux besoins du public cible, comme les personnes présentant de faibles compétences en littératie ou une DI. Elles doivent aussi développer des plateformes numériques capables de soutenir plusieurs formats et supports, tels que le sous-titrage, la narration du texte, le langage des signes, entre autres. Il s’avère notamment judicieux de travailler de façon itérative pour ajuster le message selon les besoins réels et la compréhension du public cible en validant les outils de communications auprès de ceux-ci.

En sommes, malgré la bonne volonté de plusieurs organisations publiques et communautaires de rendre leurs communications accessibles, les participants constatent qu’ils auraient davantage besoin de ressources ou de compétences pour répondre à la visée de la politique sur L’accès aux documents et aux services offerts au public pour les personnes handicapées (MSSS, 2006). Pour faire face à ces défis, l’équipe de recherche recommande, d’une part, d’améliorer la formation pour soutenir la création d’information numérique accessible. Il pourrait notamment s’agir d’élaborer une formation professionnelle, un module de cours universitaire ou un Massive Open Online Course (MOOC). D’autre part, il serait nécessaire de poursuivre les recherches pour approfondir les connaissances sur la création d’information numérique accessible. Dans cette perspective, il est suggéré de mettre en oeuvre un programme de recherche pour développer des connaissances, des exemples et des applications concrètes en lien avec l’accès inclusif à l’information.