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Sur les scènes canadienne et québécoise des relations professionnelles, certains conflits de travail — réels ou appréhendés — ne parviennent pas à être solutionnés dans le cadre des règles usuelles régissant la tenue des rapports collectifs du travail. Ces différends peuvent donner lieu à ce qu’il est convenu d’appeler l’adoption d’une loi spéciale de retour au travail. La plupart du temps, ces lois visent des salariés regroupés en syndicat ou qui cherchent à le devenir et qui fournissent des services au public, tels l’éducation, les services de santé et le transport en commun. C’est ainsi, en guise d’illustration, qu’au cours de l’année 2001, plusieurs assemblées législatives[1] étaient intervenues ou avaient menacé de le faire pour forcer la reprise normale des activités dans certains secteurs : la Nouvelle-Écosse, à l’égard des infirmières et des autres travailleurs de la santé de plusieurs hôpitaux qui menaçaient de débrayer dans la région d’Halifax[2] ; l’Ontario, envers les employés de bureau, aides-enseignants et employés d’entretien de deux conseils scolaires[3] ; Terre-Neuve, vis-à-vis des fonctionnaires provinciaux et des employés généraux des établissements hospitaliers et des maisons de convalescence[4] ; le Nouveau-Brunswick, pour ce qui concerne les employés de soutien des hôpitaux de toute la province[5] et la Colombie-Britannique, envers le personnel infirmier et paramédical des centres hospitaliers d’une part[6], et celui du transport en commun desservant une partie du territoire de la province, d’autre part[7].

Ici même au Québec, l’adoption, en février 2001, d’une loi[8] interdisant à une catégorie de professionnels de la santé, les pharmaciens propriétaires, de ralentir leurs activités et de devenir, de manière concertée, des non-participants au sens de la Loi sur l’assurance maladie (L.R.Q., c. A-29) s’inscrit pleinement dans la foulée des lois spéciales visant à assurer le maintien de services aux citoyens. On notera au passage que cette loi spéciale vise des personnes ne pouvant, pour la plupart, être assimilées à des salariés au sens du Code du travail[9].

Le rappel de ces faits récents illustre le caractère d’actualité du thème des lois spéciales de retour au travail. Le tableau 2 à la fin du texte énumère, à partir de diverses sources documentaires, la totalité des lois d’exception adoptées par l’Assemblée nationale du Québec au cours de la période comprise entre 1964 et 2001 inclusivement, c’est-à-dire sur un horizon temporel de 37 ans. Ce tableau comporte aussi des rubriques sur le contenu sommaire de chacune des lois, la durée approximative du conflit ouvert auquel elles prétendent mettre un terme, le caractère légal ou illégal de l’arrêt de travail[10] et, dans certains cas, quelques observations sur le contenu de certaines de leurs dispositions. C’est également sous le titre « Remarques » que nous avons introduit la mention des décisions prises par le Comité de la liberté syndicale du conseil d’administration du Bureau international du travail[11], lorsqu’une plainte avait été formulée, auprès de cet organe international de surveillance en matière de liberté syndicale, à l’encontre de la loi spéciale concernée ou de l’un de ses articles.

Le but de ce texte consiste d’abord à présenter les principales observations du tableau chronologique, puis à soumettre quelques réflexions sur le recours à ce moyen exceptionnel pour résoudre des différends en relations du travail.

Il s’impose néanmoins, avant de traiter ces aspects, de disposer de deux questions préalables : la portée de l’expression « loi spéciale de retour au travail » et le choix de la période d’observation dans le contexte québécois. S’agissant d’abord du champ d’application des lois répertoriées, nous nous sommes limités à celles ayant mis fin à des moyens de pression ou à un conflit de travail — imminent ou en cours — déclenché par une association regroupant ou non des salariés au sens du Code du travail et ordonnant, sous peine de sanctions, le retour au travail des personnes visées ou, à défaut, le maintien usuel de la prestation de travail. La plupart du temps, ces lois fixent le mode de résolution du différend et plus rarement, les conditions de travail applicables lors de la reprise normale des activités[12], à plus forte raison lorsque le débrayage est illégal.

Deux conséquences immédiates découlent de ce choix. D’une part, les lois ayant pour effet de modifier les règles du jeu du système général des relations professionnelles en vigueur dans les services publics et les secteurs public et parapublic ne sont pas prises en compte[13], parce qu’on peut les considérer comme partie intégrante du processus d’ajustement de la régulation des rapports entre l’État et les parties négociantes[14]. Par opposition, les lois d’exception[15] dont il est ici question et qui sont édictées en vue de mettre fin à un conflit entraînant des effets intolérables aux yeux du gouvernement, constituent autant de mesures dérogatoires au regard d’un régime de négociation collective et elles comportent toujours une dimension punitive en forçant le retour au travail, sous peine de sanctions dont le degré de sévérité est variable.

D’autre part, des règles particulières qui font partie intégrante des systèmes de relations du travail, permettant à l’État de retirer temporairement le droit de grève[16], n’ont pas été non plus retenues dans le relevé produit au tableau, précisément parce que cette éventualité était déjà prévue dans les coordonnées du régime général de relations du travail.

Quant au choix de la période retenue, en l’occurrence entre 1964 et 2001, il s’explique tout simplement par le fait que le Code du travail et la Loi de la fonction publique ont été respectivement adoptés en 1964 et 1965 et qu’ils ont notamment eu pour effet de reconnaître le droit de grève, dans un cas à l’égard des travailleurs des services publics et du secteur parapublic, dans l’autre, envers les fonctionnaires provinciaux[17]. Ce sont précisément dans ces secteurs que l’exercice du droit de grève peut davantage conduire le gouvernement à intervenir de manière législative pour en réprimer l’usage, tant à cause de la nature des services fournis que des pressions politiques souvent exercées par la population[18].

Principales observations

L’importance du recours aux lois spéciales

Le premier élément qui frappe l’observateur en parcourant le contenu du tableau est le nombre de lois spéciales : 34 en 37 ans, c’est-à-dire près d’une par année. De ce point de vue et malgré la diversité des régimes de relations du travail applicables dans l’ensemble du Canada au regard du secteur public entendu dans son sens large, la question se pose de savoir si le Québec se démarque de ses voisins canadiens ? À première vue, la réponse à cette interrogation paraît positive, quand on considère les données disponibles compilées à Développement des ressources humaines Canada pour la période comprise entre 1964 et 2001. Au cours de cet intervalle, le Québec a adopté le tiers des lois d’exception des assemblées législatives des provinces, ce que confirment les auteurs Ponak et Thompson[19] en invoquant sa tradition plus interventionniste dans le domaine des relations professionnelles.

Une analyse plus minutieuse, fondée sur la comparaison des systèmes de négociation collective, notamment sur le particularisme des règles applicables au regard de la reconnaissance du droit de grève et de la notion de services essentiels[20], révélerait probablement un portrait moins tranché. Ainsi, même si le régime ontarien ne reconnaît pas le droit de grève aux salariés des hôpitaux et des maisons de convalescence[21], il n’en demeure pas moins que l’Assemblée législative de l’Ontario a adopté, tous secteurs confondus, 24 lois spéciales, comparativement à 30 pour le Québec, selon la liste établie par le ministère fédéral des ressources humaines[22]. Les autres provinces les plus actives en ce domaine ont été respectivement la Colombie-Britannique (15) et la Saskatchewan (10).

Quand au palier fédéral, il est vrai que seulement quatre lois d’exception ont été adoptées pour mettre fin à des arrêts de travail dans la fonction publique proprement dite[23], mais il faut aussi ajouter que le Parlement fédéral est intervenu à 23 autres reprises — toujours entre 1964 et 2001 — dans des conflits survenus dans des secteurs d’activité relevant de sa compétence, par exemple dans l’industrie ferroviaire interprovinciale, les opérations portuaires, l’industrie de la manutention du grain, le service postal[24], etc. Pourtant, la partie du Code canadien du travail (L.R.C. 1985, c. L-2) qui traite des relations du travail ne couvre, en dehors des employés assujettis à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique (L.R.C. 1985, c. P-35), qu’environ 6 % de la main-d’oeuvre canadienne[25].

Ces quelques données illustrent, tant par le nombre d’occasions où les diverses législatures sont intervenues pour mettre fin à des conflits de travail que par la nature des activités dont on a voulu assurer la reprise normale, à tout le moins au palier provincial, que le Québec ne se démarque pas tellement de ses vis-à-vis canadiens. Un coup d’oeil rapide sur les domaines visés montre en effet, quelle que soit l’autorité législative compétente, que ce sont souvent les mêmes activités économiques qui donnent lieu à l’adoption de telles lois, en particulier l’éducation, la santé et les services sociaux ainsi que le transport en commun. Cette observation ne rend toutefois pas compte de la variété des traits distinctifs régissant, dans l’ensemble canadien, l’activité de la négociation collective et son encadrement légal, notamment au regard du maintien des services essentiels[26] et du palier — local, régional ou national — où elle se déroule. Sous ce dernier aspect, on conviendra aisément, en guise d’illustration, qu’une grève à durée indéterminée et de portée provinciale, même dans des domaines comme ceux de l’industrie forestière ou de la transformation du lait[27], peuvent augmenter la propension du législateur à recourir au moyen exorbitant de la loi spéciale pour mettre fin à un conflit de travail.

Le domaine d’activité visé

Un second élément qui peut susciter une interrogation a précisément trait aux domaines d’activité visés par les lois d’exception. Les renseignements présentés au tableau 1 permettent de proposer la synthèse suivante, sur la base de l’énumération des interventions législatives faites au Québec.

Les domaines concernés touchent, le plus souvent, des dimensions importantes de notre vie collective et dans lesquels l’État intervient, pour plusieurs d’entre eux, non seulement comme le gardien — ou du moins l’interprète — du bien commun, mais également à titre d’employeur ou en tant qu’important bailleur de fonds des services fournis. Du reste, il s’agit presque toujours de sphères d’activités fortement réglementées, précisément en raison de leur finalité.

Tableau 1

Domaines d’activité visés par les lois d’exception

Domaines d’activité visés par les lois d’exception

Notes :

1. La numérotation en usage correspond à celle utilisée dans le tableau 2 à la fin du texte.

2. Selon la définition donnée par le Code du travail (art. 111.2, paragr. 1°), les secteurs public et parapublic se composent du gouvernement, de ses ministères et organismes dont le personnel est nommé suivant la Loi sur la fonction publique, L.R.Q., c. F-3.1.1 (nommément des fonctionnaires), des collèges, des commissions scolaires (enseignement public des niveaux primaire et secondaire) et des établissements (santé et services sociaux) visés dans la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic (L.R.Q., c. R-8.2). Tout comme la fonction publique comme telle, ces institutions d’enseignement et ces établissements de soins de santé et de services sociaux sont largement financés par l’État ; ils disposent néanmoins d’une autonomie plus grande sur le plan administratif.

3. Sont regroupées dans la catégorie résiduelle, les lois destinées à mettre fin à deux conflits à la Ville de Montréal (cols bleus, policiers et pompiers) et à celui survenu dans le transport routier de marchandises.

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Cette observation de sens commun ne doit toutefois pas occulter ou masquer certaines situations où le critère d’intervention législative paraît plutôt être les inconvénients majeurs pouvant résulter du conflit, tels que la mise au chômage de l’ensemble ou d’une partie substantielle de la population active d’une région donnée, la nécessité de mettre fin à des actes de violence, celle de protéger des investissements publics, ou bien encore l’impact économique découlant du moyen de pression exercé. Ce serait le cas, par exemple, des lois spéciales adoptées au regard de l’industrie de la construction et celle plus récente, visant à mettre fin au conflit survenu dans le port de Montréal.

L’impact des mesures relatives au maintien des services essentiels

Une troisième question qu’on est tenté de se poser, à la lumière des données chronologiques sur les lois spéciales, concerne l’impact des dispositions introduites en 1982 au Code du travail, relativement au maintien des services essentiels en cas de conflit de travail et à la création du Conseil des services essentiels. S’il est vrai que 20 lois spéciales (près de 60 % du nombre total recensé) ont été adoptées jusqu’en 1982 inclusivement, alors qu’on en dénombre 14 (40 %) dans l’intervalle compris entre 1983 et 2001, il faut se garder de tirer une conclusion hâtive quant à l’influence de ces seules mesures sur la fréquence des interventions législatives ponctuelles, destinées à mettre fin à des grèves en particulier. D’autres facteurs, tels la baisse du nombre d’arrêts de travail dans le secteur public depuis 1983[28] et la sévérité des sanctions imposées dans certaines lois, en cas de manquement aux règles entourant l’exercice du droit de grève ou de désobéissance à l’ordre de retour au travail, peuvent aussi expliquer, en partie du moins, le recours moins fréquent à l’outil législatif. On songe en particulier au caractère permanent des mesures contenues dans la Loi assurant le maintien des services essentiels dans le secteur de la santé et des services sociaux (L.R.Q., c. M-1.1), répertoriée sous le numéro 26 dans le tableau 2.

Également, dans la mesure où 25 des 34 lois spéciales à l’étude concernent un conflit entre des parties assujetties à l’application des dispositions du Code du travail relatives aux services essentiels, on peut s’interroger sur l’impact de l’ajout, en 1985[29], de pouvoirs d’ordonnance au Conseil des services essentiels. Depuis cette date, ce dernier peut intervenir en situation d’illégalité et rendre des ordonnances qui, en principe du moins, pourraient avoir pour effet de réduire le rythme des interventions législatives particulières pour mettre un terme au conflit[30]. Or, il n’en est rien, puisque la répartition des lois spéciales, avant comme après 1985[31], montre que sur les 18 lois antérieures à cette date, cinq concernaient un conflit de travail illégal, alors que ce rapport était de trois sur sept pour la période subséquente. De ce point de vue, le caractère légal ou illégal du conflit ayant donné lieu au recours à une loi d’exception joue peut-être un rôle plus déterminant sur son contenu par contraste avec la décision elle-même des autorités politiques d’en faire usage. Cette hypothèse mériterait une vérification attentive sur l’ensemble de la période considérée, surtout sous l’angle de la sévérité des sanctions.

Il convient aussi de se demander si les domaines d’activité visés par l’usage de ce moyen extraordinaire de solution du différend coïncident avec ceux assujettis, depuis 1982, au mécanisme de détermination des services essentiels. Signalons à ce propos, et ce, malgré l’ampleur et la durée des conflits pouvant évidemment influencer sur la décision gouvernementale d’intervenir de manière législative, que, de prime abord, la corrélation n’est pas parfaite entre la nature de ces champs d’activité et le recours à une loi spéciale. Cette conclusion s’impose d’autant plus que la notion de services essentiels reçoit, en contexte québécois, une acception plutôt étroite, axée sur les services nécessaires à la protection de la vie, de la santé et de la sécurité du public en cas de grève[32]. Si le législateur s’en était tenu, à compter de 1983[33], à ce seul guide de référence, c’est-à-dire à des manquements à la notion étroite de services essentiels pour appuyer sa décision d’intervenir en vue de mettre fin à un conflit de travail, il n’aurait probablement pas adopté de telles lois dans le transport scolaire (no 24)[34], l’industrie de la construction (nos 25 et 30), l’enseignement (no 27), voire même le transport en commun sur certains territoires[35]. Cette interrogation montre que la décision de légiférer pour mettre fin à des conflits obéit, dans une certaine mesure, à diverses considérations politiques, par exemple au seuil de tolérance plus ou moins élevé de la population directement affectée par l’exercice du droit de grève, en plus évidemment de la prise en compte de la protection de la santé et de la sécurité publique.

Les motifs de l’intervention législative

Une autre constatation s’impose quant aux motifs pouvant emporter la conviction des autorités gouvernementales de recourir à l’adoption d’une loi spéciale de retour au travail. Ainsi, la durée du conflit est loin de toujours constituer le motif décisif d’intervention. L’histoire même de la négociation entre les parties, ses antécédents, l’évaluation de la situation conflictuelle ou son caractère plus ou moins explosif sur le plan social ainsi que la dimension névralgique des activités affectées par le conflit — et, au premier chef sous l’angle de la protection de la santé ou de la sécurité publique —, tous ces facteurs rendent compte, à des degrés divers, de la décision politique de procéder par la voie législative afin de dénouer des impasses. Pour bien illustrer cette observation, il faudrait prendre « une radiographie » détaillée des événements ayant conduit à l’adoption de chacune de ces lois, mais là n’est pas notre propos. Qu’il suffise de mentionner, en guise d’illustration, que pour un même service public, on a répertorié des conflits de durée variable avant de faire usage de la loi, par exemple de 2 à 22 jours dans le transport en commun sur le territoire de la Communauté urbaine de Montréal (voir les lois nos 2 et 11, adoptées bien avant la création du Conseil des services essentiels) ou encore de 10 à 22 jours dans la fourniture de services d’électricité (voir les lois nos 9 et 15, adoptées encore ici avant la mise sur pied du Conseil).

Les recours intentés auprès des organismes internationaux de protection de la liberté syndicale

Dans le tableau 2, à la fin du texte, nous avons ajouté l’information relative aux décisions rendues par le Comité de la liberté syndicale. Cet organe tripartite du conseil d’administration de l’Organisation internationale du travail (OIT) est chargé d’examiner les plaintes émanant, dans la très grande majorité des cas, d’organisations de travailleurs et portant sur des accrocs présumés aux principes régissant la liberté syndicale et la négociation collective[36]. Dans les faits, des plaintes ont été formées au Comité à la suite de l’adoption, entre 1972 et 1988, de six lois spéciales de retour au travail (lois nos 8, 13, 21, 25, 26 et 28). Dans la moitié des cas, le gouvernement du Québec ne fait pas l’objet d’une recommandation ou d’une invitation à revoir sa politique législative, tandis que trois autres dossiers contiennent un rappel (loi no 25) ou une telle invitation (lois nos 21 et 26).

La question se pose de savoir si le gouvernement du Québec a alors donné suite aux observations de cette instance de surveillance. De ce point de vue, le résultat semble mitigé, ce qui va dans le sens d’observations formulées récemment à propos de la situation canadienne dans son ensemble[37]. Plus souvent qu’autrement, le Canada aurait, semble-t-il, négligé de donner suite aux recommandations formulées par les instances de l’OIT, dont celles du Comité de la liberté syndicale. Partant de ce constat, n’est-on pas en droit de se questionner sur les retombées concrètes de telles procédures chez nous ?

Quelques commentaires sur l’usage des lois spéciales de retour au travail

Le recours aux lois spéciales et la négociation collective

Quelles que soient la valeur et la légitimité sociale des interventions faites pour mettre fin à un conflit de travail, force est d’admettre que l’usage de ce mode inhabituel de résolution d’un différend rompt avec les règles générales du système des relations du travail alors applicables. Il s’agit là, à n’en point douter, d’un échec — parfois trop rapidement constaté comme on l’a vu — du régime de la libre négociation collective et aux yeux de plusieurs travailleurs, d’un coup de force en faveur de la partie patronale ou du gouvernement, surtout lorsque le conflit concerne les secteurs public et parapublic. Par ailleurs, il est rare de relever, dans de telles lois, l’introduction de sanctions de nature administrative qui pénaliseraient aussi l’employeur, dans les cas où il s’agit d’une personne morale carrément distincte de l’Administration publique[38].

Il faut aussi convenir que l’éventualité du recours à une loi spéciale peut faire partie de la stratégie de négociation, les parties pouvant toujours espérer s’en remettre au contenu d’une telle loi dérogatoire qui épouserait leur position ou incorporerait des gains supplémentaires aux résultats déjà acquis dans le cadre usuel de la négociation. Cette possibilité paraît maintenant beaucoup plus aléatoire puisque les mécanismes en place pour régler le conflit — quand la loi y pourvoit — laissent place à une grande marge d’incertitude, par exemple une formule d’arbitrage à partir des propositions finales.

L’impact de l’usage répété des lois spéciales

On a déjà souligné, de manière fort pertinente[39], que l’usage répété de ce moyen extraordinaire de forcer le retour au travail risquait de faire perdre l’autorité de la loi, aux yeux des justiciables directement visés par l’ordre de retour au travail ainsi que de la population en général. De là, sans doute, la nécessité de bien doser les sanctions en cas de désobéissance et le fait observé, en certaines circonstances, que la loi elle-même pouvait être défiée. En certains cas, le sentiment du caractère illégitime ou disproportionné de ces interventions est d’ailleurs observable lorsque l’arrêt de travail — illégal « ab initio » ou devenu tel après l’adoption de la loi d’exception — se poursuit au-delà de la date imposée de la reprise des activités. Cinq des lois répertoriées dans le second tableau[40], dont deux des plus récentes (infirmières et camionneurs) qui ont donné lieu, de surcroît, au plus grand nombre de jours de défi, tendent à attester cette réalité et à montrer le caractère réel de la difficulté.

La tolérance de la société à l’égard de la grève

La revue systématique des lois spéciales de retour au travail permet de réaliser que l’usage de ce mode inhabituel de solution d’un différend place l’État, il faut le noter, dans une situation complexe et délicate. D’une part, le Québec a adhéré à la Convention no 87 de l’OIT sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, ratifiée par le Canada en mars 1972 et il est lié par les engagements contenus dans le document promotionnel intitulé Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail[41], adopté en 1998. D’autre part, on peut se demander si les citoyens acceptent véritablement le droit de négociation collective et son corollaire, la reconnaissance du droit de grève, fut-il encadré par les obligations rattachées à la fourniture des services essentiels en pareille éventualité. Il vaudrait sans doute la peine d’avoir des indications claires à cet égard car on a parfois l’impression que le public tolère de moins en moins les inconvénients résultant des arrêts de travail dans certains services[42], couverts ou non par la notion de services essentiels selon les mécanismes prévus au Code du travail. S’il se révélait que le degré d’acceptation des principes de la libre négociation collective et du droit de grève s’amenuisait de manière significative au sein de notre société, ne serait-il pas nécessaire d’élargir en conséquence la portée des mesures visant à assurer le maintien des services essentiels, afin de mieux refléter cette évolution des mentalités et du même coup réduire les pressions en faveur de leur emploi, pour peu que s’inverse la tendance notée précédemment d’adopter des lois spéciales dans des secteurs pourtant assujettis à de telles dispositions ? Ou mieux encore, ne vaudrait-il pas la peine d’entreprendre des efforts afin de sensibiliser le public aux avantages d’un système de relations du travail misant d’abord et avant tout sur la valeur d’un contrat librement consenti ?

Le recours à des méthodes plus douces de résolution des différends

L’une des manières d’y parvenir consiste probablement à affiner les modes de résolution des différends, lorsque des conflits de travail entraînent une interruption totale dans des services publics, une situation à laquelle les citoyens sont particulièrement sensibles.

Sans en faire une règle d’or, il peut être opportun, en guise d’illustration, de mettre en place un conseil de médiation avant de considérer le recours à la loi d’exception. Formé d’un représentant choisi par chacune des parties et présidé par un tiers indépendant auquel elles auraient adhéré, une telle institution pourrait connaître du succès, une fois épuisés les mécanismes usuels de résolution des mésententes de cette nature.

Les chances de réussite de cette formule reposent, pour bonne part, sur la légitimité des membres du conseil auprès des acteurs et, il va de soi, de l’engagement qu’ils prennent, en se prêtant à pareil exercice, à mettre en oeuvre tous les efforts jugés nécessaires pour parvenir à un règlement dans un court délai pendant lequel les parties acceptent de suspendre leurs moyens de pression. Par ailleurs, il importe aussi de réaliser qu’un tel mode d’intervention doit demeurer extraordinaire, à défaut de quoi les parties risquent d’intégrer à leur stratégie la création de ce tiers, vidant ainsi de son sens l’intervention usuelle de conciliation. Ici comme en bien d’autres matières, tout est affaire de discernement et de dosage.

Tableau 2

Lois spéciales de retour au travail au Québec de 1964 à 20011

Lois spéciales de retour au travail au Québec de 1964 à 20011

Tableau 2 (continuation)

Lois spéciales de retour au travail au Québec de 1964 à 20011

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Lois spéciales de retour au travail au Québec de 1964 à 20011

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