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Depuis quelques années, les études et les recherches sur la confiance se sont multipliées en sciences sociales et en sciences de la gestion (pour de bons comptes-rendus voir Lewicki, McAllister et Bies 1998 ; McKnight, Harrison et Chervany 1996 ; Thuderoz, Mangematin et Harrisson 1999 ; Newell et Swan 2000). La confiance est souvent mentionnée comme une dimension relationnelle essentielle à la coopération dans un contexte de construction de nouvelles formes d’organisation du travail (Harrisson et Laplante 1994), d’équipes semi-autonomes (Jones et George 1998), d’implantation de technologies de l’information et des communications (Batt 2000), des équipes « haute performance » (Kochan et Osterman 1994 ; Osterman 1994). La confiance vient réduire l’incertitude des informations manquantes et permet la coordination de l’action (Karpik 1996). Elle a été l’objet d’études dans les relations entre des représentants d’entreprise et des agents externes, notamment des fournisseurs (Neuville 1997 ; Billette 1999), des relations intra-entreprises (Bellemare et Briand 1999), des relations entre employés et gestionnaires (Clark et Payne 1997 ; Hariri 1999). À l’exception de l’étude novatrice de Currall et Judge (1993), de Harrisson et Laplante (1994) et celle de Bourque (1999b), peu de recherches portent sur les relations de confiance entre les employeurs et les syndicats, alors qu’on affirme souvent que les relations se transforment, notamment dans le cadre d’une entente de partenariat sur l’organisation du travail (Lévesque et al. 1997 ; Bourque 1999a ; Lapointe 2001 ; Harrisson, Laplante et St-Cyr 2001). Les modèles interprétatifs de la coopération entre employeurs et syndicats ne soulignent pas suffisamment le rôle de la confiance. Ils renvoient le plus souvent aux explications à caractère économique, aux variables culturelles ou aux institutions (Bourque 1999b ; Provis 2000). Il faut introduire des variables intermédiaires qui permettent l’adaptation aux changements dans l’environnement socio-économique.

La confiance fait partie des « nouvelles compétences » nécessaires aux modes de régulation et de coordination des réseaux et autres alliances qui émergent dans l’organisation moderne telle que l’entreprise-réseau dans laquelle la flexibilité externe s’appuie sur l’adaptabilité interne (Castells 1997). Cette configuration organisationnelle repose sur un système d’informations où les échanges fréquents contribuent à mobiliser les agents et les amènent à participer. Si la dynamique interpersonnelle entre les agents se présente comme un attribut relationnel de l’organisation moderne, la confiance en est le lubrifiant nécessaire, car sa présence réduit l’incertitude et fait l’économie d’une bureaucratie constituée pour contrôler et surveiller les comportements attendus des agents.

Cet article traite des dimensions empiriques de la confiance dans les relations entre les gestionnaires et les représentants syndicaux d’établissements de production de biens et de services au Québec. Chaque agent possède une identité qui lui est propre, tout en étant engagé dans une relation d’interdépendance institutionnalisée par le biais de la négociation de la convention collective. Si les deux parties traitent de la confiance comme un élément essentiel à la coordination de la relation, est-ce qu’ils en ont la même représentation ? Dans l’affirmative, est-ce que les représentations des conditions de sa création et de son maintien sont les mêmes ? S’il y a dissonance dans les représentations des acteurs, comment dès lors peuvent se constituer des relations de confiance entre des acteurs rivaux dont la relation de pouvoir est asymétrique et dont les rôles sont tenus de manière à rencontrer les exigences, les besoins et les intérêts de commettants ? En quoi la confiance est-elle révélatrice d’un nouveau lien social entre ces deux acteurs ? Ces questions ont guidé notre recherche et ont contribué à la formulation de la problématique exposée dans la première section. Celle-ci repose sur une conception de la confiance en plusieurs dimensions et plusieurs niveaux définis par les personnes, la situation et la réputation fondées sur des événements passés. Ensuite, nous examinerons la représentation de la confiance parmi les agents représentants l’employeur comparée à celle des représentants syndicaux. La méthodologie et les résultats seront présentés plus loin, mais auparavant examinons brièvement comment la confiance peut être incorporée aux relations entre représentants syndicaux et gestionnaires.

La confiance et les formes de la confiance

Les travaux sur la confiance font référence à plusieurs repères théoriques qui en révèlent la complexité. Les relations entre patron et syndicat dépendent avant tout d’un contrat collectif garanti par les institutions. Dans ce cas, la confiance est encastrée dans le système social afin que les agents puissent reconduirent la chaîne d’actions. On peut affirmer que la confiance ne relève pas d’un comportement altruiste mais qu’elle remplit une fonction dans chaque système d’interaction (Zucker 1986). La théorie néo-institutionnaliste permet d’avancer un peu plus loin dans notre compréhension de la confiance. En effet, les institutions sont formées de règles formelles qui exigent une compréhension tacite et informelle de la part des agents (DiMaggio et Powell 1991). Dans ce cas, il y a place pour la confiance interpersonnelle permettant aux agents de s’accorder sur l’interprétation des règles. De plus, lorsqu’il n’y a pas d’arrangements institutionnels pour une action, il y a une possibilité de changement. Cela nous conduit à traiter la confiance comme étant un attribut nécessaire aux agents qui interviennent dans les processus d’innovation. C’est pourquoi les gestionnaires et les représentants syndicaux affirment qu’ils doivent se faire confiance s’ils désirent transformer l’état de leur relation et l’étendre sur des aspects qui ne bénéficient pas de la garantie institutionnelle. Dans ce cas, la confiance est un attribut relationnel et une ressource morale propre à une communauté d’individus regroupés selon une forte cohésion sociale, typique d’une société fermée (Leana et Van Buren 1999). Elle serait le sous-produit d’une action collective réussie, contribuant à définir le capital social d’une organisation, d’une collectivité et même d’une société[1]. C’est là un idéal bien sûr. Avant d’y arriver, il existe des niveaux et des stades intermédiaires du développement de la confiance qui conviennent aux relations entre les gestionnaires et les représentants syndicaux.

Plusieurs travaux ont porté sur les traits de personnalité afin de vérifier les dispositions à faire confiance telles que l’ouverture, la franchise, la bonne foi (Butler 1991 ; Cummings et Bromiley 1996). Mais, au-delà des personnalités, les rôles sociaux sont distribués en fonction des situations et des activités que supportent généralement les institutions. D’autres travaux ont ainsi montré l’importance des institutions qui encadrent et garantissent la confiance dans la société (Zucker 1986 ; Giddens 1990). Les échanges entre employés et employeurs sont alors assurés par les routines et les traditions qui protègent les uns contre les abus des autres, mais aussi par les lois et, là où il y a une présence syndicale, par la convention collective. Par ailleurs, la confiance est aussi marquée par l’histoire des relations entre des agents contenus dans certains événements, par exemple, une grève ou une marque de reconnaissance spécifique de l’employeur auprès de ses employés, propres à établir la réputation des agents. Personnalité, institution et interactions sont donc les trois dimensions complémentaires de la confiance. En effet, la confiance est construite entre des personnes qui se rencontrent dans un cadre spécifique et dont la réputation tient à leur histoire commune. C’est un premier élément de notre problématique selon laquelle des individus tenant un rôle social particulier se rencontrent dans le cadre d’activités spécifiques afin de collaborer et de s’entendre sur de nouvelles activités à promouvoir afin que la relation se poursuive. La réputation et les événements historiques qui ont structuré ces rencontres participent aussi à la constitution d’une relation de confiance. Ce cadre convient aux relations qui se constituent entre représentants syndicaux et gestionnaires qui désirent poursuivre la coopération sur des terrains nouveaux comme l’innovation en matière d’organisation du travail. En plus de ces dimensions complémentaires, il existe des niveaux de mise en confiance instaurés selon le type de relation et son intensité.

Nous ne faisons pas confiance à un inconnu à qui on prête de la monnaie et dont on espère un remboursement de la même façon que nous faisons confiance à un membre de notre famille qui nous supporte en maintes circonstances, ou à un collègue de travail avec qui nous avons déjà collaboré à un projet commun. Les situations sont aussi différentes que les personnes présentes. La confiance est un concept impliquant un état relationnel continu plus ou moins stable qui va varier en fonction des personnes présentes dans la relation, de la situation, de la réputation, de l’enjeu et de la garantie institutionnelle. Bien qu’elle se présente sous maintes formes, la confiance implique toujours des attentes positives quant aux actions anticipées de l’autre dans une situation qui implique un risque, c’est-à-dire une perte qui ne peut être que difficilement récupérée en cas de rupture de la relation.

Il faut donc envisager plusieurs types de confiance. Lewicky et Bunker (1996) en ont identifié trois qui reprennent plusieurs modes de confiance identifiés dans les écrits scientifiques. Examinons les brièvement et voyons en quoi ils peuvent être importants pour la conception d’une relation fondée sur la confiance entre les gestionnaires et les représentants syndicaux. En premier lieu, la confiance repose sur le calcul conçu comme étant la mesure des coups portés dignes de confiance dans la réciprocité des échanges. Dans ce cas, un agent fait ce qu’il a promis sinon l’autre peut rompre la relation pour promesse non tenue. La confiance calculée se construit lentement entre des personnes qui ne se connaissent pas, aussi elle se défait rapidement. Les agents n’ont que quelques événements pour évaluer la confiance. C’est le cas lorsque je dois décider de faire confiance à un inconnu qui m’emprunte de la monnaie. Au début, il s’agit d’un petit montant et dès l’instant que l’inconnu cesse de me rembourser, la relation se brise. En deuxième lieu, la confiance repose sur l’information qu’un agent possède sur d’autres agents, permettant de porter un jugement sur ce qu’il fera. Lorsque les informations sont nombreuses et fiables, la probabilité que l’autre se comporte selon ce qui est attendu est grande. Il est plus facile de porter un jugement sur l’autre, tout comme il est plus facile de réparer la relation si des comportements imprévus viennent entacher la confiance. C’est le cas de la confiance que j’ai envers mon collègue de travail. En troisième lieu, la confiance est identitaire lorsqu’elle repose sur des valeurs partagées, une empathie pour les désirs et les intentions de l’autre. Ce type de confiance démontre une maturité de la relation mais elle n’est pas donnée à toutes les situations. C’est le cas de la confiance que les membres de ma famille ont à mon égard. C’est aussi la marque de la confiance des groupes de travail à forte cohésion sociale et des syndicats dont les membres sont très solidaires. L’un d’entre eux peut les représenter et s’exprimer au nom de tous les commettants (Harrisson 1999).

Au travail, la coopération entre des agents rivaux se conçoit dans une relation d’échanges entre l’effort consenti par les employés et les salaires, les conditions de travail et la sécurité d’emploi offertes par l’employeur et garanties par un contrat collectif. La confiance peut également reposer sur le calcul où chacun teste la parole de l’autre. C’est ce que nous avons démontré dans une recherche antérieure lorsque les agents s’engagent sur des terrains relationnels inédits comme les innovations en matière d’organisation du travail ou le partenariat patronal-syndical (Harrisson et Laplante 1994). Les échanges s’effectuent selon les jeux du donnant-donnant (Miller 1992 ; Smith 2000). Si la confiance calculée est une clé pour obtenir la coopération, la situation précaire de l’emploi, les fusions d’entreprises, les licenciements massifs concourent à produire un contexte potentiel pour l’opportunisme, le conflit et la méfiance. Néanmoins, les relations se consolident lorsque les agents apprennent à se connaître à travers l’échange d’informations et des rencontres fréquentes. La confiance repose alors sur l’information. C’est un des objectifs des rencontres entre différents agents à travers la mise en place de comités paritaires. Le troisième stade, la confiance identitaire, semble plus difficile à atteindre tant les valeurs et les besoins des syndicats et ceux des employeurs sont éloignés. Un patron peut-il représenter les intérêts de ses employés et laisser un représentant syndical parler en son nom ? C’est possible de façon circonstancielle, mais certainement pas dans toutes les situations. Cela nous conduit à faire nôtre l’hypothèse de Lewicki, McAllister et Bies (1998) et à envisager la confiance comme pouvant se présenter en même temps que la méfiance dans une relation regroupant les mêmes personnes mais dans des situations et des enjeux différents. Ainsi, un représentant syndical peut avoir confiance à son vis-à-vis patronal lorsqu’il est question de favoriser la formation des employés au moment de l’introduction d’une nouvelle méthode de travail, mais être méfiant sur les promesses d’augmentation des emplois. Ces conceptions diversifiées de la confiance seront démontrées par une étude sur les représentations sociales de la confiance.

Les représentations de la confiance

Par représentation sociale, nous entendons la façon dont les agents construisent la réalité et théorisent leur expérience. La représentation sociale est donc « une vision fonctionnelle du monde, qui permet à l’individu ou au groupe de donner un sens à ses conduites, et de comprendre la réalité, à travers son propre système de références, donc de s’y adapter, de s’y définir une place » (Abric 1994 : 13). Les représentations sociales sont des connaissances pratiques découlant de situations concrètes de l’action (Jodelet 1984). Des normes et des règles sociétales et culturelles dominantes fournissent un cadre aux représentations d’un agent. Celles-ci se regroupent autour de traits identitaires des groupes sociaux, elles orientent les pratiques à travers un système d’anticipations qui précèdent l’action. Les représentations sociales de la confiance permettent de mieux comprendre la conception que les agents se font de la coopération, en particulier des conditions de son émergence, de son maintien ou de sa destruction. Deux situations sont alors possibles : soit les agents poursuivent une relation ancrée dans les habitudes, les routines et les institutions, soit les agents empruntent les voies inédites de l’innovation organisationnelle qui repose sur une dynamique interpersonnelle sans la garantie institutionnelle. Dans ce dernier cas, un nouveau lien social émerge, la confiance doit alors dépasser le stade du calcul et s’engager dans la voie de l’échange d’informations, d’idées et de ressources.

Les ententes sur l’organisation du travail entre les gestionnaires et les représentants syndicaux illustrent un type d’arrangement particulier appelé partenariat (Kochan et Osterman 1994 ; Bourque 1999a). Le partenariat implique un partage des ressources entre deux agents afin de résoudre des problèmes qu’aucun des deux ne peut résoudre individuellement. Cet arrangement implique donc des agents socio-économiques en situation d’interdépendance qui travaillent ensemble pour atteindre un but commun nécessitant l’échange de ressources et d’idées. Il y a coopération entre les membres qui participent à cet arrangement lorsque ces derniers s’engagent dans un processus interactif fondé sur des règles, des normes et des structures communes afin de prendre des décisions conjointes (Easton 1992). Le partenariat est une forme de coopération qui conduit à négliger temporairement la logique des intérêts au profit de principes d’orientation de l’action tels que la réciprocité, l’équité, la loyauté et la mobilisation qui sont convertis en obligation morale (Sako 1992). Cependant, les partenaires ainsi réunis poursuivent une mission commune tout en poursuivant des objectifs pour eux-mêmes. Les agents développent une stratégie simultanée de compétition et de coopération. C’est le paradoxe du partenariat entre patrons et syndicats. La confiance se fraye ainsi un chemin dans la mise en place du partenariat sans filet de sécurité, sans protection institutionnelle. Confiance et méfiance sont alors appréhendées comme dispositifs de gestion des incertitudes et de la complexité. En effet, la méfiance simplifie le monde social, un agent méfiant va rationnellement prendre une action protectrice basée sur des attentes négatives. Il faut porter attention à l’ambiguïté comme valeur explicative de la confiance et de la méfiance. Dans les relations de travail, ce concept est porteur d’une grande charge explicative de la confiance dans le cadre de nouvelles relations sur l’organisation du travail et de la méfiance qui caractérise les relations en d’autres moments ou vis-à-vis d’autres agents de la même organisation. L’ambiguïté se caractérise par un désir simultané de proximité et de distance. C’est le propre de la situation actuelle selon laquelle les relations interpersonnelles rapprochent les agents dans un contexte d’incertitudes, caractérisé par une surcharge d’informations, de conflits de rôles et de changement constants (Mancini 1993 ; Clark et Payne 1997). Nous faisons nôtre cette assertion selon laquelle la confiance inconditionnelle apparaît être une stratégie dangereuse pour la gestion des relations sociales. Au contraire, la tension dynamique entre la confiance et la méfiance stabilise les relations et elle est plus productive. Ainsi la relation de confiance est conditionnelle, elle est précédée d’un calcul, d’un échange d’informations, mais sans identité commune forte, elle demeure fragile.

Méthodologie

L’analyse des données s’appuie sur une étude effectuée auprès d’un échantillon de représentants syndicaux et de gestionnaires d’établissements de production de biens et services[2]. Un questionnaire a été envoyé dans mille établissements québécois de plus de 50 employés, 251 questionnaires ont été complétés et retournés par les représentants syndicaux et 223, par les gestionnaires. De ce nombre, une cinquantaine de répondants de chaque partie (53 représentants syndicaux et 50 gestionnaires) ont répondu à quatre questions ouvertes à la fin du questionnaire : (1) Selon vous, que faut-il pour que la confiance existe ? (2)  Faites-vous confiance au gestionnaire/représentant syndical ? (3) Depuis trois ans, diriez-vous qu’il existe un climat de confiance ? (4) S’il y a eu modification de la relation de confiance, qu’est-ce qui l’explique ? Bien que nous ayons souhaité former des dyades pour chaque établissement, les réponses ne sont pas appariées. De plus, nous n’avons pas d’information sur l’origine des répondants, leur âge, leur ancienneté, leur poste, le type d’entreprise, l’appartenance syndicale. Qu’il y ait eu des répondants à nos questions signifie que le phénomène suscite un intérêt pour eux et qu’il renvoie à leur réalité.

Nous proposons une analyse de contenu par laquelle les catégories créées par les répondants sont constitutives de l’instauration de la confiance (Bardin 1983 ; Strauss et Corbin 1990). La catégorisation permet de classifier et de regrouper les unités de réponses autour d’un thème, une unité de signification se dégage alors des réponses obtenues. Nous mettons à jour un sens et une compréhension plus profonde aux questions ouvertes. La codification de premier niveau est développée à partir de définitions opérationnelles spécifiques attribuées par les répondants. Deux grandes catégories sont créées : la constitution de la confiance et la présence et l’évolution de la confiance. Dans le premier cas, nous distinguons quatre sous-catégories : les attributs de la confiance ; les communications ; les intentions ; l’action.

Une codification de second niveau sert à dégager des modèles explicatifs, tout en réduisant la grande quantité d’informations en de plus petites unités analytiques. Par exemple, dans la première catégorie, la constitution de la confiance, nous séparons les qualités reliées à la personne, à la relation et à l’action. La catégorie de la communication examine les aspects reliés à l’entretien, le contenu des échanges, la façon d’échanger, le partage de l’information, et ainsi de suite[3]. À la fin, nous proposons une chaîne hiérarchisée sous forme de propositions de relations entre les dimensions de la confiance (voir la figure 1).

Notre démonstration consiste à contextualiser les points de vue possibles en faisant converger les résultats qui portent sur un même objet. Les questions interpellent les répondants qui ont pris le temps de répondre. Ils forment un échantillon volontaire, les entretiens s’étant déroulés sans contraintes, les sujets s’exprimant spontanément. À une même question, les réponses peuvent être multiples. Ce sont les mots ou les extraits qui sont mis en contexte. Nous avons regroupé les expressions comme honnêteté, dialogue ou respect de la convention collective qui renvoient à des catégories explicatives de la confiance. Cette codification transforme des données brutes en une formulation signifiante, donatrice de sens qui réfère à des concepts des sciences sociales et à différentes conceptualisations de la confiance en sociologie des organisations. Notre démarche est compréhensive. Elle consiste à situer les représentations dans leur contexte pour en trouver le sens. Ici, c’est le niveau psychologique qui se rapporte à l’individu (ce n’est pas notre choix, nous n’avons pas orienter les questions), le niveau du groupe porteur du concept de confiance (le syndicat ou l’employeur), et la situation définie par rapport à une groupe formé d’agents en relations (les rencontres employeur-syndicat).

Notre échantillonnage est théorique, il est bien ancré empiriquement et il est exhaustif (Strauss et Corbin 1990). Le phénomène observé est variable car plusieurs aspects d’un même phénomène sont rapportés et les catégories qui sont décrites plus loin se répètent, atteignant ainsi le stade de la saturation. Nous avons tenu compte de toutes les réponses. Ainsi, dans les représentations, un même concept est interprété différemment selon les agents. Qu’est-ce qui, dans l’ensemble des données recueillies en provenance des représentants syndicaux ou des gestionnaires, permet d’exprimer sa vision du monde de la confiance, son implication personnelle et celle de son groupe ?

Il ne s’agit pas de prédire ou de contrôler une situation, mais de générer des connaissances à partir des représentations, c’est-à-dire de montrer les réalités diverses vécues sur les lieux observées et rapportées par le sujet. Notre travail consiste à l’interpréter. Dans le cours de l’analyse, nous demeurons loyal au phénomène observé.

La réalité analytique est basée sur la vision que le monde social est un monde d’interprétation. Ce qui nous intéresse, et que nous proposons au lecteur, c’est la définition de la situation donnée par le sujet, la nature du phénomène, son caractère original, les conséquences.

Les résultats

Dans cette section, nous allons décrire, avant de les interpréter, les liens de confiance créés entre les agents. Nous faisons l’hypothèse que ce lien de confiance représente une nouvelle forme de structuration des rapports sociaux entre les gestionnaires locaux et les représentants syndicaux.

La constitution de la confiance

Dans les prochains paragraphes, nous examinons les représentations des éléments constitutifs de la confiance. Ces attributs étant surtout personnels, il s’agit des mêmes pour les deux agents, c’est pourquoi nous les avons regroupés ensemble.

Les attributs de la confiance

La confiance se manifeste dans une relation typique auprès d’un partenaire qui présente certains traits caractéristiques. Parmi les attributs de la confiance, les catégories créées par les agents sont associées à la personne. Ce qui est recherché chez l’interlocuteur, ce sont des traits personnels comme la compétence, l’expérience et la connaissance appropriée de l’autre. Il s’agit donc d’une caractérisation de la confiance ancrée dans un contexte où les interlocuteurs se représentent eux-mêmes en fonction d’un rôle spécifique dans une relation d’un type particulier entre patrons et syndicats. En décrivant ce qui est recherché chez l’autre, un agent dicte ce qui devrait le caractériser.

Tableau

Les qualités personnelles

Les qualités personnelles

** RS : représentants syndicaux

** G : gestionnaires

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De cette première catégorie, somme toute relativement similaire d’un agent à l’autre, se dégage néanmoins une différence significative. Les gestionnaires recherchent l’affirmation d’une nouvelle compétence de la part des représentants syndicaux à travers la capacité de mobilisation des salariés derrière les objectifs de compétitivité fixés par l’employeur. Ils désirent une identification à l’entreprise qui soit plus affirmée. Les gestionnaires exigent des représentants syndicaux qu’ils effectuent un travail de qualité, qu’ils soient équitables envers les membres et qu’ils soient cohérents dans la chaîne décisionnelle. D’autres vont exiger que le responsable syndical pense d’abord au bien de l’entreprise. Si le respect, l’honnêteté, la transparence, la franchise et la crédibilité comptent parmi les qualités recherchées, elles s’additionnent à d’autres traits qui se rapportent davantage à la situation particulière de la relation de confiance entre ces agents typifiés. L’engagement responsable et le leadership du représentant syndical comptent parmi ces nouvelles compétences dont les gestionnaires attendent la démonstration avant de s’engager. Le représentant de l’employeur exige un rôle nouveau de l’autre qui réplique avec le respect de son identité, de sa différence.

La deuxième catégorie de valeurs recherchées comprend les qualités associées à la relation entre les agents. Elles se regroupent en deux sous-catégories qui montrent que la relation est mieux construite lorsqu’il y a respect mutuel et une symétrie des forces dans la relation.

Tableau

La relation entre les agents

La relation entre les agents

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Encore une fois, la relation symétrique fait valoir l’égalitarisme où le pouvoir n’est guère exercé d’une façon coercitive. Les représentants syndicaux se font les porte-parole de ces valeurs alors que les gestionnaires les mentionnent peu. La confiance n’est guère présente si la relation est trop marquée par la domination.

La troisième catégorie, l’action, amplifie davantage cette spécificité car les qualités reliées à l’action étalent les résultats souhaités de la confiance qui se regroupent en trois sous-catégories.

Tableau

L'action

L'action

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Ces aspects de la relation évoquent la confiance comme la marque d’une alliance solide, dans une perspective renouvelée des relations entre le syndicat et l’employeur. Ces relations inédites entre les agents sont conditionnelles. Les représentants syndicaux exigent un accès à de nouvelles ressources de pouvoir, alors que pour les gestionnaires, la compréhension de la nouvelle donne économique, de leur point de vue, constitue l’argument clé de la réussite de la relation de confiance. C’est une différence significative entre les représentants syndicaux et les gestionnaires. Nous y reviendrons plus loin.

Les communications

Il a été démontré que la confiance résulte des échanges fréquents et constructifs entre des agents en situation d’interdépendance, attribut complété par la qualité et le contenu des échanges. La communication est donc un élément appréciable de la relation de confiance. Quels sont les propos qui sont abordés pour que la confiance puisse être envisagée comme un résultat ?

Tableau

Le contenu des échanges

Le contenu des échanges

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Tableau

La qualité de l'échange

La qualité de l'échange

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Tableau

La fréquence des échanges

La fréquence des échanges

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La communication agit comme un vecteur permettant d’instaurer la réciprocité de la confiance entre les agents présents dans une relation de face-à-face. Les agents s’entendent sur l’importance de la fréquence élevée des communications. L’employeur partage son souci constant du rendement dans un contexte économique plus compétitif, alors que les représentants syndicaux désirent en connaître davantage sur la situation de l’entreprise. Le temps joue un rôle décisif pour discuter, réagir aux problèmes et les résoudre. De même, un code de conduite par lequel les apparences de la confrontation sont évitées est considéré comme un critère d’importance pour les deux parties. Dans ce cas, il s’agit de symboliser le nouveau lien social par de nouvelles procédures d’interactions. La réciprocité des échanges en dépend. Cette condition est essentielle à la relation de confiance, cependant, elle n’est pas toujours présente, comme le mentionne un représentant syndical :

Ceux ou celles qui sont avares d’informations ou de commentaires, c’est qu’ils cachent leur jeu et donc ne sont pas prêts à résoudre les problèmes à la base. Si on ne me fait pas confiance, je n’ai pas à donner la mienne (un représentant syndical).

Les intentions

Que recherchent les agents en établissant des relations fondées sur la confiance ? Pour les représentants syndicaux, les intentions expriment la conception de nouveaux liens de coopération entre des agents rivaux aux travers de nouveaux liens d’appartenance à une communauté représentée par l’entreprise. À l’origine de ces intentions, il y a d’abord un contexte qui favorise l’émergence de ces nouveaux liens sociaux.

Tableau

Les intentions

Les intentions

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Dans une relation de confiance, un objectif commun est construit. Celui-ci doit rencontrer les intérêts des parties impliquées. Pour les gestionnaires, cet objectif commun est étroitement associé au bien de l’entreprise. Ainsi, comme le rapporte l’un d’entre eux, si les conditions de travail peuvent être améliorées, ce n’est que dans les limites tracées par les décideurs de l’entreprise : « c’est la nécessité qui fait loi ». Pour les représentants syndicaux, le bien commun est associé au caractère symétrique de la relation entre les partenaires. Il est étonnant de constater à quel point les agents s’entendent sur l’importance à accorder au bien commun que traduisent surtout les gestionnaires comme étant le bien de l’entreprise. Ce sont là des intentions, bien sûr. Cependant, est-ce qu’elles sont traduites par une action correspondante ?

L’action

Les rencontres entre les agents sont appelées, elles sont rarement fortuites. Les agents se dotent de structures particulières de rencontres qui favorisent les occasions propices à l’émergence, à la reconstitution ou à la confirmation de la confiance. Ces structures desservent la prise de décision, objectif ultime de la coopération instituée par la confiance. Les représentants syndicaux n’accordent la confiance à leurs vis-à-vis patronaux que dans la mesure où ils acquièrent une voix dans la prise de décision et que celle-ci conduit à des actions définies.

Tableau

La structure de l'action

La structure de l'action

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Le respect des ententes et de la convention collective compte parmi les aspects structurants de la relation de confiance. En regard de la prise de décision, les gestionnaires n’expriment aucune demande particulière car ils ont déjà une forte emprise, alors que c’est une évocation forte de la part des représentants syndicaux. Pour les gestionnaires qui se font les porte-parole d’une mission d’entreprise innovante, l’habileté des leaders syndicaux à mobiliser les membres autour des objectifs communs sur lesquels patrons et syndicats se sont entendus représente l’action la plus désirée. C’est la raison d’être de la relation de confiance. La représentativité des représentants syndicaux et leur légitimité auprès des membres sont donc des attributs recherchés de la part des gestionnaires. Comme le dit l’un d’entre eux : « Il est extrêmement difficile de faire confiance aux représentants syndicaux quand ils n’exercent pas un leadership auprès de leur membres » (un gestionnaire).

Au-delà des paroles, la preuve de la confiance est démontrée par des gestes. La confiance est fondée sur la réalisation de l’engagement que seule l’expérience vient validée.

Il faut informer les travailleurs de la situation économique de la compagnie et aussi établir des objectifs à court, moyen et long terme en comptant sur leur collaboration. L’implication et la réalisation des objectifs ne font que solidifier et augmenter le niveau de confiance. De plus, il faut installer un niveau de communication franc et direct tout en les informant et leur demandant leurs opinions. Il faut cesser de penser que l’on veut la peau de l’autre (un gestionnaire).

Dans cette première section sur les représentations de la confiance, deux dimensions ressortent. D’abord, la confiance repose sur un échange d’informations par lequel les agents recherchent un nouveau lien égalitaire, par l’accès à des ressources nouvelles de prise de décision de la part des syndicats, et par l’utilisation d’un intermédiaire permettant de mobiliser les membres de la part des employeurs. Ensuite, les agents sur qui reposent la confiance possèdent des qualités propres à l’établissement d’un code de conduite alors qu’ils sont porteurs de nouvelles valeurs : le partage, la compréhension de l’autre, l’ouverture et la franchise. Un agent a confiance a un autre qui comprend bien sa demande, mais est-ce possible ? Entre syndicat et employeur, la confiance évolue-t-elle vers une extension ou une contraction ?

La présence et l’évolution de la confiance

Dans cette section nous allons maintenant aborder la question de l’existence ou non d’une relation de confiance. Nous avons classifié les représentations en trois types de conditions qui permettent la confiance ou non : les conditions structurelles qui se rapportent aux éléments de base pour la conception d’une confiance calculée auxquelles s’ajoutent les conditions relationnelles qui se rapportent à la confiance qui repose sur les informations, puis les conditions situationnelles qui se réfèrent à des événements spéciaux qui agissent tels des éléments déclencheurs des conditions favorables ou défavorables à l’existence d’une relation de confiance. Voyons d’abord ce qui caractérise une évolution positive de la relation de confiance.

Tableau

Évolution positive de la relation de confiance

Évolution positive de la relation de confiance

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La relation de confiance est nuancée, c’est-à-dire qu’elle n’existe qu’auprès de certaines personnes et que dans certaines circonstances. Dans ces circonstances, elle n’est pas ancrée dans les conduites des agents et dans leurs habitudes, elle toujours en construction. Ainsi, comme le mentionne un gestionnaire :

Les parties ont trouvé des terrains d’entente mais, pour certains sujets, il n’est pas possible de discuter. Les relations sont saines, on communique mais il faut être vigilant et à l’écoute. C’est fragile et ça se travaille à tous les jours.

Une autre situation montre que la confiance entre les gestionnaires et les employés peut se passer de la médiation syndicale, elle s’adresse alors directement aux premiers concernés. La confiance existe, mais pas entre tous les agents : « la confiance évolue, il y a un climat de respect et d’ouverture avec les employés, mais pas avec le syndicat » (un gestionnaire).

La situation contraire existe aussi. Il s’agit alors d’élargir le type de relations qui prédomine au sein d’un type particulier d’agents mais qui ne se transmet pas auprès des autres que l’on veut mobiliser : « oui, la confiance est là, mais la relation est centrée sur le président du comité d’usine et n’est pas étendue à l’ensemble de l’organisation ».

D’autres circonstances montrent l’importance de la stabilité relationnelle pour construire la relation de confiance, le changement d’un agent fait évoluer positivement la confiance, mais trop de changements la fait régresser.

La confiance évolue depuis que l’on a une nouvelle directrice. Depuis la grève, il y a une attitude de coopération, mais il y a quand même un peu de méfiance. Il y a une instabilité des représentants syndicaux qui la remettent en question à chaque fois que ça change (un représentant syndical).

La confiance existe lorsqu’elle repose sur le calcul, entre autres par le maintien d’un seuil acceptable d’emplois. Elle repose ensuite sur l’échange d’informations entre certaines personnes mais pas entre toutes. On ne mentionne guère la confiance lorsqu’il est question de la bâtir sur une identité commune. Dans la section suivante, nous verrons la contraction de la confiance.

Tableau

Évolution négative de la relation de confiance

Évolution négative de la relation de confiance

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Il arrive, bien que rarement, que le gestionnaire jette le blâme d’une rupture avec le vis-à-vis syndical sur son propre groupe d’appartenance et identifie ainsi des comportements ou des situations dont la responsabilité première incombe aux dirigeants de l’entreprise. Un gestionnaire mentionnait qu’il y a eu une remise en question de la confiance à la suite de plusieurs gestes posés par l’employeur. Un autre, récemment en poste dans l’organisation, nous dira : « j’arrive dans un endroit où les droits des employés ont été bafoués ». Enfin, dans une autre circonstance, certains gestionnaires font valoir le caractère irréconciliable entre les intentions manifestées par les salariés et le contexte économique :

Dans un contexte de rationalisation des dépenses, le régime politique n’a pas de valeurs humaines. Il faut tenir compte des intérêts divergents. Sur certains sujets, l’absence de coopération n’est pas reliée à la confiance mais aux mandats différents.

Ici, la confiance n’est pas qu’un trait simpliste associé à des circonstances particulières ou à une question de bonne volonté. Faire confiance à son vis-à-vis relève avant tout de la structure relationnelle des agents engagés. À cet égard, ce qui prédomine dans la relation, ce sont les intérêts divergents qui font obstacles à une relation de confiance entière.

Au plan structurel, la confiance est fragile, au plan relationnel également. Pour la gagner, les agents doivent se connaître et poser des gestes concrets. Les agents font confiance à des personnes en particulier et quand ces dernières quittent la relation, la confiance s’en trouve menacée. De la même façon, un nouvel agent peut contribuer à améliorer la situation et la confiance qui s’en suit. La présence ou l’absence de certains types d’agents est révélatrice de l’innovation de la relation ou, à l’inverse, du maintien d’un type de relations que l’on voudrait révolu. La confiance est variable selon les circonstances et les personnes en présence. La confiance est vulnérable car les intérêts des agents en présence sont incompatibles, comme le dit l’un d’entre eux : « le syndicat a des préoccupations humaines et les gestionnaires ont plutôt des préoccupations monétaires ». Les représentants syndicaux montrent davantage de signes d’affaiblissement de la confiance.

Il est particulièrement difficile de construire une relation de confiance lorsqu’il y a des changements dans un contexte de grandes incertitudes qui se traduisent par des licenciements et des concessions salariales[4]. Les priorités du syndicat demeurent toujours le maintien des emplois et la qualité de vie au travail. Or, dans un contexte de réorganisation intense, ce sont là des aspects du travail et du lien d’emploi difficiles à maintenir. Pour établir une relation de confiance, le syndicat a besoin de se sentir impliqué dans le processus de décision. Essentiellement, l’employeur doit montrer qu’il respecte sa parole et que ses actes sont conséquents à ses engagements. La confiance est également l’apanage d’agents qui se rencontrent souvent et qui se connaissent depuis longtemps. Le changement fréquent de gestionnaires et la structure décisionnelle de la multinationale (éloignement du centre de décision) entravent l’élan de la constitution de la confiance.

Discussion

La confiance entre employeur et syndicat se situe toujours à l’intérieur d’un ordre de relation institutionnalisée et contractuelle qui fixe les droits et les obligations de chaque agent. Par ailleurs, la présence de la confiance ajoute une dimension qualitative à la relation comme le mentionnait Smith (2000). Elle évite les coûts de surveillance et de contrôle et favorise l’engagement et l’action. En ce sens, la confiance évoque un type de coopération qui s’instaure entre des agents qui poursuivent des objectifs communs et des objectifs pour soi. À la question : « y a-t-il une relation de confiance entre les représentants syndicaux et les gestionnaires ? », notre étude montre que la relation de confiance est positive si elle repose sur le calcul, elle connaît une amélioration lorsqu’elle repose sur un échange constant et structuré d’informations, mais elle est rarement fondée sur une identité commune.

Figure 1

Arbre d’index des représentations de la confiance

Arbre d’index des représentations de la confiance

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La confiance entre les parties patronale et syndicale se regroupe en trois dimensions : les composantes structurelles, les composantes relationnelles et les composantes situationnelles. Les composantes structurelles échappent parfois à la volonté des agents présents dans la relation de confiance. Ce sont des dimensions complexes qui relèvent de la structure de l’entreprise, du secteur industriel et aussi de la conjoncture économique. Ainsi, d’un côté, le maintien d’un seuil d’emploi stable et les conditions de travail décentes, de l’autre, la productivité, le rendement et la croissance, sont souvent en jeu ; leur extension ou contraction insuffle à la relation une avancée de la confiance calculée ou un recul. Les composantes relationnelles reposent sur la volonté et l’engagement des agents en présence, tels que les communications franches et honnêtes, les preuves de bonne foi, le respect de l’autre, de ses valeurs et de son identité. Au calcul s’ajoute donc la confiance qui repose sur les informations. Les composantes situationnelles relèvent d’événements particuliers ou d’agents typifiés qui représentent un univers particulier. La confiance est plus ou moins grande selon la stabilité des agents présents, l’ajout d’un enjeu supplémentaire au détriment d’une partie ou encore du retrait d’une entente. Elle complète la première dimension, parfois même elle en atténue les conséquences et permet la poursuite de la relation de confiance malgré les difficultés structurelles comme la perte d’emplois par exemple.

Sur un autre plan, on a vu que la confiance ne tient pas qu’à des choix rationnels des agents. Les dimensions relatives aux relations interpersonnelles s’ajoutent. Parmi les qualités mentionnées par les agents tant patronaux que syndicaux, l’ouverture, la fiabilité, la compétence et la crédibilité comptent parmi les plus importantes. Ce sont là des attributs personnels tenus par des acteurs dans un contexte où les décideurs de l’entreprise et les membres du syndicat tiennent à cette ouverture et choisissent parmi les porte-parole possibles ceux qui sont capables de tenir ce rôle (Friedman 1994).

Cependant, dans les relations patronale-syndicale, les connaissances que l’on a de l’autre sont toujours temporaires et transitoires. Aussi, le lien communautaire fort propre à la confiance identitaire et à la production d’un capital social n’est guère présent comme dans l’hypothèse de Leana et Van Buren (1999). La confiance se présente en même temps que la méfiance, ce que Lewicki, McAllister et Bies (1998) ont intelligemment présenté comme étant le propre des relations entre les agents d’une organisation en changement. La création d’entente partenariale s’effectue dans un contexte d’ambiguïté où les patrons et leur porte-parole tentent de mobiliser les employés derrière les objectifs fixés par eux, mais où la sécurité d’emploi est constamment menacée. Lorsque c’est possible, et tout en souhaitant le renouvellement de la coopération, les représentants syndicaux veulent bien faire confiance à certains agents patronaux, mais le contexte du maintien de l’emploi, des conditions de travail améliorées, de la prise de décision rapprochée du lieu de l’action ne sont pas toujours sous la maîtrise des agents présents. Par ailleurs, s’il y a beaucoup d’informations échangées, les agents peuvent continuer la relation de confiance, même si les difficultés conjoncturelles viennent perturber l’échange. Comme le mentionne un syndicaliste à propos du gestionnaire :

B.M. est aimable et souriant. Il montre de la compréhension à l’égard des problèmes vécus par les employés. Il encourage, il félicite les bons coups et il préconise la formation pour les employés, mais on est méfiant, ajoutera-t-il, car on sent un piège, on se sent surveillé. Ils ont fait des mises à pied qui ont semé le doute et la panique. Ce n’est qu’avec le syndicat qu’on obtient le respect.

L’asymétrie de l’influence et du pouvoir entre les agents présents rejoint rapidement ceux qui désirent étendre la relation de confiance au stade identitaire. C’est le représentant syndical qui en demande plus au plan de l’égalité des pouvoirs et de la symétrie de la relation. Les gestionnaires sont en demande pour une relation plus stable, mais ils ne veulent guère céder sur ce qu’ils possèdent déjà. Les agents ne renoncent pas à leurs engagements vis-à-vis leurs commettants au profit des nouveaux engagements. Cependant, les agents montrent qu’ils désirent s’engager dans de nouvelles relations. Cela ne signifie pas que les enjeux sont dilués dans des relations harmonieuses. Il y a ajout d’un nouveau lien à celui déjà présent dans les relations de travail. Il s’agit d’une alliance circonstancielle qui n’est pas l’apanage d’une communauté produisant un capital social abondant. La dissonance entre les représentants des parties porte sur des objets forts différents qui reflètent l’identité et le rôle de chacun : emploi et travail pour l’un, productivité et rendement pour l’autre. La confiance devient assurée quand la prise de décision est partagée et réalisée dans une structure paritaire qui stabilise la relation et engendre la confiance fondée sur l’information.

Conclusion

Le lien de confiance développé par les représentants syndicaux et les gestionnaires est la manifestation des nouveaux rapports de coopération en devenir et, de façon particulière, d’un code de conduite qui régule le lien social. L’ambiguïté et l’hésitation à donner sa confiance basée sur une identité commune portent sur le prix à payer pour soutenir ce nouveau lien. Les représentants syndicaux, en faisant alliance avec les gestionnaires, gagneraient une légitimité nouvelle en se situant sur le terrain de l’entreprise et en alignant leur action sur celles des gestionnaires. Par ailleurs, l’ambiguïté qui se manifeste entre les dimensions de la confiance montre que les agents s’engagent dans une stratégie simultanée de coopération et de compétition. Ce type de relation entre représentants syndicaux et gestionnaires est approprié. L’identité propre des syndicats est maintenue et les agents ne cherchent guère à fusionner cette identité à celle de l’entreprise. Il en résulte une forme de partenariat qui peut prendre ses distances à l’égard du néocorporatisme qui guette les rapprochements entre employeurs et syndicats et pour lequel on conclut trop souvent que c’est là une forme de partenariat propre au Québec, comme l’ont fait récemment en ces pages Rose et Chaison (2001).

Les recherches futures sur la confiance et la coopération devraient s’engager sur ces voies de l’ambiguïté et de l’ambivalence de la relation, non pas comme une forme d’incompréhension de l’enjeu, mais du désir simultané de transformer une relation tout en gardant son identité propre. Il faut penser cette ambiguïté comme le sous-produit d’un échange, voire d’une négociation dans laquelle chaque partie reconnaît la nécessité de construire un nouveau lien sans s’aliéner son intérêt, ses valeurs et ses besoins et ceux des commettants. La confiance s’inscrit dans une relation dynamique, elle se développe jusqu’à atteindre un seuil de maturité ou au contraire elle peut se rétracter jusqu’à la rupture de la relation. La confiance est difficile à saisir en tant que concept opératoire, multidimensionnelle et hétérogène. Il renvoie à plusieurs réalités psychologique, sociologique et organisationnelle. Les études subséquentes sur le lien de confiance devraient être réalisées selon un devis longitudinal afin de vérifier l’hypothèse de l’ambiguïté du lien, de même que celle de la contraction et de l’extension de la confiance en fonction des enjeux, des situations et des agents impliqués.