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L'ouvrage s'intéresse à la précarité d'emploi dans le contexte du marché du travail canadien. Il est divisé en quatre parties regroupant dix-sept chapitres qui permettent une couverture approfondie et détaillée du sujet.

La première partie propose un portrait statistique de la précarité d'emploi au Canada. Dans le premier chapitre, l'auteur propose un cadre théorique, méthodologique et d'intervention qui permet de comprendre la définition commune de la précarité d'emploi adoptée par tous les auteurs de l'ouvrage (autour de quatre dimensions : sécurité du lien d'emploi, contrôle sur le travail, niveau de protection réglementaire et revenu) et de saisir les quatre angles d'analyse qui ont été choisis pour appréhender la problématique. Ce chapitre offre également un portrait statistique détaillé des différentes formes d'emploi associées à l'une ou l'autre des dimensions de la précarité. Le chapitre deux contribue à la conceptualisation de la notion de précarité d'emploi en proposant une nouvelle approche méthodologique axée sur la prise en compte de la relation entre les formes d'emploi et plusieurs dimensions de la précarité. Les auteurs accordent une attention particulière au rôle joué par le sexe, l'appartenance à une minorité visible et les secteurs professionnels dans cette relation. Le troisième chapitre analyse sous quelles conditions le travail autonome peut être précaire. Les auteurs constatent notamment que les femmes se retrouvent en plus grand nombre dans cette situation. De même, ils questionnent la notion de choix qui prévaut dans la plupart des approches qui s'intéressent à cette forme d'emploi spécifique. Ils observent que si les femmes sont plus nombreuses à choisir le temps partiel pour faciliter la conciliation travail-famille, elles sont également plus nombreuses à disposer de revenus de retraite insuffisants pour garantir leur indépendance financière. Dans le quatrième chapitre, les auteurs cherchent à comprendre comment et à quelles conditions certaines formes d'emploi et dimensions de la précarité d'emploi peuvent exacerber l'insécurité des travailleurs qui souffrent d'incapacités. Ils s'attachent également à l'analyse des politiques fédérales et provinciales qui peuvent faciliter ou non l'accès à l'emploi de ces personnes et améliorer leurs conditions de travail, notamment celles des femmes. Globalement, selon les auteurs, le succès de ces politiques est plutôt mitigé. Finalement, le cinquième chapitre brosse un portrait de la précarité d'emploi dans le contexte particulier de la privatisation croissante de l'industrie des soins de santé. Les auteurs s'attardent plus particulièrement au personnel auxiliaire féminin qui compose une part importante de la main-d'œuvre de cette industrie. Ils observent que ce personnel est grandement affecté par la privatisation des soins de santé et que leur santé ainsi que la qualité des soins apportés en souffrent.

La deuxième partie de l'ouvrage porte sur la précarité d'emploi et la santé. Le chapitre six propose une analyse des liens entre la relation d'emploi, l'organisation du travail et la santé des travailleurs. Les auteurs proposent un nouveau concept, « employment strain », pour analyser avec plus d'acuité les impacts de l'insécurité de la relation d'emploi sur la santé des travailleurs. L'analyse des résultats amène les auteurs à souligner les limites du modèle de Karasek dans l'étude de la précarité d'emploi. Le chapitre sept fait état de trois études de cas menées auprès de travailleurs de services publics de l'Ontario. L'auteur met en évidence la croissance de la précarité d'emploi dans ces milieux de travail et ses conséquences négatives sur les services offerts et sur les travailleurs eux-mêmes. Les résultats montrent, entre autres, la diminution de leur pouvoir collectif. Par ailleurs, ils révèlent aussi les stratégies de défense individuelles et collectives mises en place et leur impact sur les politiques de l'État (ex., le ralentissement de l'érosion de l'emploi typique). Le huitième chapitre traite des changements dans les politiques liées aux services d'aide aux employés, plus particulièrement de la privatisation de ces services. L'auteure met notamment en évidence que les budgets restreints alloués pour les services de counseling limitent l'accès à certaines catégories de travailleurs (ex., les temporaires ou à contrat, les femmes plus âgées, les immigrants) qui en auraient pourtant besoin.

La troisième partie de l'ouvrage est consacrée à l'étude des lois, règlements et politiques canadiennes face à l'étendue de la précarité d'emploi. Dans le neuvième chapitre, les auteurs se penchent sur l'inadéquation des règlements en matière de protection des travailleurs en situation de précarité d'emploi. Ils constatent notamment les difficultés de ces derniers à se faire entendre sur la place publique et leur exclusion fréquente des lois et règlements du travail. Ils notent à ce propos que ces lois et règlements ayant été construits sur la base de la prévalence de l'emploi typique (standard), ils sont relativement inappropriés pour répondre aux besoins des travailleurs qui s'éloignent de cette norme. Le dixième chapitre se penche sur l'évolution des changements qui ont eu cours au Québec en matière de législation du travail et examine plus particulièrement les impacts de la réforme de la Loi sur les normes du travail (2002) visant une plus grande protection des travailleurs exerçant des emplois atypiques. Plusieurs éléments de disparités entre les travailleurs typiques et atypiques sont analysés. L'auteure discute des résultats de la réforme sur l'ampleur de ces disparités. Le onzième chapitre s'intéresse à la législation québécoise en matière de santé et de sécurité au travail. L'auteure en explore les avantages et les limites. Elle fait notamment ressortir les difficultés d'accès aux programmes d'indemnisation pour plusieurs travailleurs en situation de précarité d'emploi. L'auteure observe par ailleurs le peu d'outils disponibles actuellement pour analyser l'efficacité de ces règlements d'un point de vue légal. La réflexion sur la législation en matière de santé et de sécurité au travail se poursuit au douzième chapitre mais en contexte ontarien et chez les travailleurs agricoles. L'auteur fait un examen critique des arguments qui sous-tendent l'exclusion de ces travailleurs de la réglementation en matière de santé et sécurité au travail (2005). Il fait notamment état des risques pour la santé auxquels ces travailleurs sont exposés et du cercle vicieux dans lequel ils se trouvent pour assurer leur protection. Une réflexion sur les modèles européens en matière de législation du travail est proposée au chapitre treize. D'entrée de jeu, l'auteur fait remarquer que la création d'emplois précaires et à faibles revenus n'est pas essentielle au maintien de taux d'emplois satisfaisants. D'autres modèles existent et montrent qu'il est possible d'atteindre des taux d'emploi élevés tout en offrant des salaires et des conditions de travail décents. Le modèle danois, fondé sur des valeurs de solidarité et d'égalité, est particulièrement éloquent à ce propos. L'auteur souligne que le Canada aurait tout avantage à s'en inspirer.

La quatrième et dernière partie de l'ouvrage propose une réflexion sur les avenues possibles d'amélioration des conditions de travail et sur les combats que les travailleurs ont menés en ce sens. Le chapitre quatorze examine dans quelle mesure la syndicalisation a effectivement contribué à limiter la précarité d'emploi des travailleurs. Les auteurs dressent un portrait détaillé de la syndicalisation au Canada et comparent ensuite les travailleurs syndiqués et non syndiqués sur des indicateurs de précarité. L'analyse des pratiques et des politiques syndicales montre que si ces dernières ont permis de limiter la précarité d'emploi de certains travailleurs, elles ont été peu efficaces pour d'autres, notamment en raison des iniquités raciales et sexuelles qui sont encore bien présentes. Dans le quinzième chapitre, l'auteure rappelle que les travailleurs de couleur sont beaucoup moins nombreux que les travailleurs blancs à bénéficier d'une protection syndicale, suggérant que si les pratiques racistes persistent sur le marché du travail, elles peuvent aussi être présentes à l'intérieur des organisations syndicales. Elle qualifie ce phénomène de racisme systémique. L'auteure suggère des stratégies alternatives de résistance, fondées sur la recherche d'équité. La réflexion proposée dans le chapitre seize s'intéresse à l'histoire de travailleurs d'un grand hôtel de la région de Toronto qui, pour résister à la grande précarité d'emploi de leur secteur, se sont organisés entre eux, puis ont formé un syndicat. L'auteur relate les moments clés de cette histoire de syndicalisation et en fait ressortir l'originalité, les espoirs, les luttes et les gains, mais en montre également les limites. L'auteur met en évidence la vulnérabilité des travailleurs de ce secteur d'activités (ex., la crise du SRAS), l'inefficacité des politiques du travail pour les soutenir et la nécessité pour les syndicats de faire preuve d'innovation pour aider les travailleurs à défendre leurs droits. Finalement, le chapitre dix-sept propose une nouvelle conceptualisation du syndicalisme communautaire (community unionism), particulièrement pertinente pour répondre aux besoins d'une portion importante de la main-d'œuvre. Le syndicalisme communautaire se situe à l'intersection de deux axes principaux, selon le lieu où s'enracine l'action (milieu de travail ou communauté) et le processus (hiérarchique ou participatif) et suppose une participation très active des travailleurs à plusieurs niveaux. Les auteurs présentent également une étude de cas pour démonter la pertinence de la conceptualisation proposée.

Cet ouvrage propose une compréhension originale et intégrée de la précarité d'emploi en traitant à la fois ses dimensions statistiques, sociales, juridiques, politiques et économiques. L'ouvrage est rigoureux et remarquablement bien structuré. Le fil conducteur apparaît clairement du début à la fin, ce qui constitue un défi pour une publication réunissant autant d'auteurs et abordant autant de perspectives d'analyse. La documentation scientifique est abondante et diversifiée et chaque chapitre apporte une contribution spécifique au développement des connaissances dans le domaine. On ne peut que souligner la pertinence, la qualité et la richesse des informations que contient cet ouvrage. Il intéressera autant les chercheurs et les étudiants que les décideurs, les responsables de programmes publics ou d'organisations syndicales.