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Le professionnel en ressources humaines (PRH), acteur du système de relations industrielles (Boivin, 2004), participe à la formulation et à la mise en oeuvre de politiques et de pratiques qui conditionnent les milieux de travail et les relations sociales qui s’y établissent. Considérant son rôle probant dans l’entreprise et dans le système de relations industrielles, on peut s’étonner du caractère normatif de la littérature sur la profession RH. Peu d’auteurs ont étudié la profession de façon empirique, et ceux qui ont emprunté cette voie ont généralement utilisé le questionnaire ou l’entrevue (Conner et Ulrich, 1996; Ulrich et al., 1995; Wright, Dyer et Takla, 1999). Les conclusions qu’ils rapportent se fondent alors sur les appréciations subjectives des répondants, souvent des PRH qui risquent d’avoir une évaluation trop optimiste de leur fonction. Par ailleurs, les coupes transversales inhérentes à ces études n’offrent aucune perspective historique, mais seulement un regard sur l’état de la situation à un moment précis, sans le recul nécessaire pour appréhender l’évolution de la profession selon un cadre intégrateur. Notons aussi que ces études, menées pour la plupart au cours de la dernière décennie, ne témoignent que de la situation relativement récente de la profession en regard de son évolution historique (Kaufman, 2008).

Une seule étude sort de ce cadre, celle de Haines et Arcand (1997), qui avait comme mission de circonscrire l’évolution de la gestion des RH avec une méthode qualitative qui consistait à analyser des annonces de recrutement. Dans le prolongement de cette étude, celle-ci vise à tracer l’évolution de la profession RH, et ce, sur une plus longue période. Pour ce faire, nous avons eu recours aux annonces de recrutement concernant les emplois en gestion des RH parues en 1975, 1985, 1995 et 2005. Ainsi, avec l’ajout de l’année de référence 2005 par rapport à l’étude de Haines et Arcand (1997), l’analyse porte désormais sur une période de trois décennies et la taille de l’échantillon passe de 696 à 898 annonces, ce qui améliore la portée des conclusions de la présente étude. Notons aussi que cet ajout permet de traiter l’année de référence comme variable continue, ce qui favorise le recours à des modèles de régression qui intègrent le type de poste, le niveau du poste et le secteur d’activité comme variables de contrôle. Le raffinement de l’analyse de contenu de ces annonces a ensuite permis de circonscrire les variables d’intérêt avec plus de précision. Notons enfin que la présente étude s’inscrit dans la perspective théorique de la professionnalisation et soumet à la validation empirique des hypothèses précises.

La reconnaissance d’une profession

L’organisation du travail sous forme de professions vise deux objectifs fondamentaux : favoriser le contrôle d’un groupe de praticiens sur un ensemble d’activités et assurer leur autonomie dans l’exercice de leurs activités (Dussault, 1978). Si ces objectifs semblent louables et que l’importance sociale accordée aujourd’hui aux professions paraît acquise, il demeure que « chaque profession a dû travailler avec acharnement à sa reconnaissance sociale » (Legault, 2003 : 13). Ceci est également le propos de Wilensky (1964) qui a posé les assises d’une compréhension processuelle du phénomène de la professionnalisation. Inspiré notamment des travaux de Hughes (1958) et de Caplow (1954), qualifiés de structuralistes (Lemire, 1995) ou classés sous l’égide de l’école fonctionnaliste (Dubar et Tripier, 2005), Wilensky (1964) est parvenu, par le biais de l’étude de l’évolution historique de 18 occupations, à dépeindre une séquence typique d’évènements menant à la reconnaissance d’une profession. Ces évènements, au nombre de cinq, permettent de comprendre les professions comme des formes historiques à la fois d’organisations sociales et de coalitions d’acteurs visant notamment la reconnaissance de leur expertise (Dubar et Tripier, 2005).

Le premier évènement, celui qui marque le début d’un cheminement vers la reconnaissance d’une profession, tient au fait que l’activité soit exercée à temps plein. Ceci survient notamment lorsque les services du praticien deviennent nécessaires par rapport à toute autre occupation; lorsqu’il devient essentiel de recourir à ses services. Pour illustrer son propos, Wilensky (1964) cite l’exemple des soignantes, dont la force de travail et l’expertise est devenue essentielle à la suite de la construction des hôpitaux.

L’industrialisation, la montée du syndicalisme, l’émergence de grandes entreprises, tout comme la complexification de la gestion des RH par certains développements institutionnels liés notamment au droit du travail, ont favorisé l’enracinement de la profession RH. À cet égard, Kaufman (2008) a recensé les faits marquants et les idées qui ont conduit à la naissance d’une gestion formelle des RH aux États-Unis. Selon cet auteur, la prise en charge de cette fonction par des gestionnaires spécialisés ou par des professionnels remonte à la période allant de 1912 à 1920. Ayant connu des circonstances similaires, on pourrait retracer la naissance d’une gestion des RH exercée à temps plein à la même période pour le Canada et le Québec.

Le second évènement dans le processus de professionnalisation tient dans la formulation d’un ensemble de règles d’exercice et de techniques relatives à la profession. S’exercent alors des pressions sur les institutions d’enseignement et les universités afin qu’elles proposent des programmes d’enseignement visant le développement d’un corpus de compétences propre à la profession en devenir. Wilensky (1964) constate d’ailleurs que, pour la plupart des occupations s’étant professionnalisées, l’établissement de programmes de formation précède la création d’associations professionnelles. Les universités permettent non seulement la diffusion des règles d’exercice et du savoir entourant la profession, mais aussi de faire le pont entre les connaissances et la pratique afin d’établir une justification à la compétence exclusive des professionnels.

Kaufman (2008) a fait l’historique des programmes universitaires en gestion du personnel et en relations industrielles. Il a retracé au début du 20e siècle aux États-Unis des cours en gestion de l’emploi, en relations du travail, en recrutement et sélection du personnel, en droit du travail et en gestion du personnel. Au Québec, la consolidation du savoir lié à la profession fut accélérée par la création, en 1943, du département de relations industrielles à l’Université Laval. Cependant, tant aux États-Unis qu’au Canada, l’expansion fulgurante des écoles de gestion a largement contribué à la diffusion des enseignements en gestion des RH.

Le troisième évènement est lié à la structuration de regroupements de praticiens qui militent afin de créer une association professionnelle. Ces pionniers s’engagent dans ce que Wilensky (1964) qualifie de « quête spirituelle » relative à la profession. Les praticiens s’interrogent alors sur la nature des tâches propres à leur champ d’action, sur la manière d’améliorer la qualité des nouvelles recrues et autres questions fondamentales touchant à leur profession. En plus de ce questionnement identitaire, il faut bien reconnaître que l’association professionnelle sert à promouvoir la profession, à la faire reconnaitre tant dans l’entreprise que dans la société.

Kaufman (2008) témoigne dans le même sens en soulignant la formation de la National Association of Employment Managers, une association professionnelle formée en 1919 qui donna naissance à la Industrial Relations Association of America en 1920. Au Québec, l’Association des diplômés en relations industrielles de l’Université Laval et de l’Université de Montréal fut formée en 1961. On assista ensuite, en 1973, à la reconnaissance de l’Ordre professionnel des conseillers en relations industrielles du Québec. Plus tard, en 1997, cet Ordre et l’Association des professionnels en ressources humaines du Québec unissaient leurs forces pour « promouvoir toutes les branches de la gestion des ressources humaines » (ORHRI, 2009).

Le quatrième évènement marquant l’évolution vers la reconnaissance professionnelle est ponctué d’une agitation politique alors que les associations et leurs militants cherchent à protéger leur « territoire professionnel » par l’obtention d’une reconnaissance juridique. Leurs pressions aboutissent souvent à la protection du titre professionnel dans les cas où les champs de compétence ne sont pas clairement exclusifs, ou à la double protection, c’est-à-dire celle du titre professionnel ainsi que celle du contenu des activités professionnelles pour les professions dites à exercice exclusif.

Au Canada, le Conseil canadien des associations en ressources humaines a milité pour la reconnaissance du titre de conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) qui établit la référence en matière d’exercice efficace de la gestion des ressources humaines et des relations industrielles, de même qu’il met en valeur le rôle stratégique de la gestion du capital humain en entreprise (www.ccarh.ca). Au Québec, le Code des professions offre une reconnaissance des titres de conseiller en ressources humaines agréé (CRHA) et de conseiller en relations industrielles agréé (CRIA). Dans ces cas, bien que le titre soit réservé, nous ne sommes pas en présence d’une profession à exercice exclusif. Par conséquent, compte tenu de ce cadre institutionnel, une fonction RH peut être exercée au sein d’une entreprise par une personne ne venant pas de la profession et n’ayant pas suivi une formation spécialisée dans le domaine.

Le cinquième évènement tient dans l’établissement d’un code de déontologie. Un tel code permet non seulement de mettre en perspective l’idéal de service préconisé par la profession, mais aussi d’éliminer l’incompétence et d’établir des règles afin de réduire la compétition interne (Wilensky, 1964). Ceci se traduit souvent par la mise en place d’un code de conduite ou même d’un code de déontologie comme celui adopté par l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec en vertu du Code des professions du Québec.

Cette esquisse réaffirme que la profession RH s’est façonnée au fil des années et « professionnalisée » au même titre que les autres fonctions de l’entreprise (Thévenet et al., 2007). Elle témoigne de l’importance de la reconnaissance professionnelle comme enjeu fondamental dans l’évolution de toute profession et permet de situer le discours sur les rôles et les compétences dans un cadre institutionnel et historique.

Le rôle stratégique des PRH

Appliquée à la profession RH, la séquence d’évènements que nous venons de décrire fut surtout marquée par la valorisation du rôle stratégique au détriment, peut-être, de celui de défenseur des intérêts des employés (Legge, 2005). La perspective stratégique a pris naissance aux États-Unis à la fin des années 1960 ou au début des années 1970 (Kaufman, 2008). On assista plus tard à son renforcement notamment avec les publications de Lee Dyer (1983 et 1988, voir aussi Bamberger et Meshoulam, 2000; Baron et Kreps, 1999; Guérin et Wils, 1992). La perspective stratégique est fondée sur la reconnaissance du capital humain comme source de valeur ajoutée, et elle a rapidement intégré le discours sur les rôles des PRH.

Dans son ouvrage, Spencer (1995) soulignait ainsi l’importance pour les PRH de s’investir dans des rôles stratégiques à forte valeur ajoutée. Les travaux de Dave Ulrich (Conner et Ulrich, 1996; Ulrich, 1997 et 1998) ont ensuite contribué à définir deux rôles stratégiques. Premièrement, celui de partenaire stratégique consiste à soutenir la stratégie globale de l’entreprise. Le professionnel qui s’approprie ce rôle favorise la mise en oeuvre de la stratégie par diverses pratiques de dotation, de rémunération et autres. Deuxièmement, le rôle d’agent de changement qui consiste à créer des consensus, à chercher des appuis (Guérin et Wils, 1997) et à remplacer la résistance par l’enthousiasme face au changement (Ulrich, 1998). L’agent de changement sollicite la participation des acteurs-clés au processus de changement et agit sur les pratiques de communication et de reconnaissance (Ulrich, 1998). Dans son rôle de chef d’orchestre, le PRH a ainsi comme responsabilité de faciliter et de soutenir le changement (Audet, 1990).

Malgré cette distinction entre les rôles de partenaire stratégique et d’agent de changement, l’étude de Conner et Ulrich (1996) nous fournit une justification empirique à leur fusion. Nous traiterons donc ici d’un seul rôle stratégique qui comprend tant les caractéristiques du partenaire d’affaires que de l’agent de changement.

Hypothèses relatives au rôle stratégique

Notre approche méthodologique nous a permis de suivre l’évolution d’un certain nombre d’indicateurs de l’adoption du rôle stratégique. En effet, les annonces de recrutement comprennent des informations sur le titre du poste à combler, les responsabilités de gestion générale et les responsabilités de gestion des RH.

Le titre du poste exprime soit la gestion du personnel ou la gestion des RH. Dans le contexte de l’évolution qui a mené à la reconnaissance de la profession, l’utilisation d’une expression ou d’une autre marque un important changement de paradigme; la transition d’une gestion administrative ou opérationnelle à une gestion stratégique (Kaufman, 2008; Kochan, 2007). Puisqu’il ne s’agit pas d’une simple modification de dénomination, mais bien de l’expression de l’appropriation du rôle stratégique, nous projetons une augmentation de l’expression « ressources humaines » de même qu’un recul de l’expression « personnel » dans les titres de poste au cours de la période de référence. Puisque les deux expressions ne sont pas mutuellement exclusives, cela nous conduit à la formulation de deux hypothèses par rapport à cette évolution.

  • HYPOTHÈSE 1 : Il y a une association positive entre l’année de référence et l’utilisation de l’expression « ressources humaines » dans les titres de postes des annonces de recrutement.

  • HYPOTHÈSE 2 : Il y a une association négative entre l’année de référence et l’utilisation de l’expression « personnel » dans les titres de postes des annonces de recrutement.

Les annonces de recrutement comprennent aussi des informations sur les responsabilités de gestion générale que devra assumer le titulaire du poste. Ce contenu n’est pas sans intérêt puisque les auteurs associent justement plusieurs responsabilités de gestion générale au rôle stratégique. D’une part, plusieurs mentionnent, dans leur description du rôle stratégique, la participation du PRH à la gestion générale de l’entreprise (p. ex., Guérin et Wils, 1997; Ulrich, 1998). D’autre part, l’échelle de mesure utilisée par Conner et Ulrich comprend plusieurs énoncés concernant le rôle stratégique qui sont justement des responsabilités de gestion générale plutôt que des responsabilités propres à la spécialisation. On y retrouve notamment « participe activement à la planification des affaires » et « aide l’organisation à s’adapter au changement » [notre traduction] (1996 : 45). Nous anticipons alors que l’émergence du rôle stratégique au cours de la période de référence s’exprimera aussi par une augmentation du nombre de responsabilités de gestion générale dans les annonces de recrutement.

  • HYPOTHÈSE 3 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la présence de responsabilités générales de gestion dans les annonces de recrutement.

La nature des responsabilités de gestion des RH nous sert aussi de point de repère. À cet égard, l’étude de Huselid, Jackson et Schuler (1997) établissait une nette distinction entre les pratiques de gestion de RH de nature stratégique et celles de nature opérationnelle ou technique. De leurs analyses, on peut comprendre que l’organisation du travail en équipe, la participation des employés, la planification des RH et la planification de la relève sont des responsabilités de nature stratégique. D’autres activités, comme le recrutement, la sélection, la formation et la gestion de la rémunération et des avantages sociaux sont considérés des responsabilités de nature opérationnelle ou technique. Mentionnons aussi que Guérin et Wils (1997) associent la mobilisation des employés, la communication et le redesign des emplois au modèle renouvelé de gestion des RH dans lequel s’inscrit le rôle stratégique du PRH. Partant donc du principe que certaines responsabilités de gestion des RH sont de nature stratégique et d’autres de nature opérationnelle ou technique, nous proposons les deux hypothèses suivantes.

  • HYPOTHÈSE 4 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la présence de responsabilités de gestion des RH de nature stratégique dans les annonces de recrutement.

  • HYPOTHÈSE 5 : Il y a une association négative entre l’année de référence et la présence de responsabilités de gestion des RH de nature opérationnelle ou technique dans les annonces de recrutement.

Les compétences des PRH

La perspective de la professionnalisation témoigne aussi de la recherche d’un consensus sur un corpus de compétences propre à la profession. Tandis que les associations professionnelles produisent parfois des guides relatifs aux compétences (p. ex., Schoonover, 1998), plusieurs textes proposent des modèles de compétences à l’intention des PRH. Le modèle de Ulrich et al. (1995) comprend les trois compétences que sont la gestion du changement, la connaissance de l’entreprise et l’expertise RH. Le modèle de Blancero, Boroski et Dyer (1996) souligne la connaissance de l’entreprise, l’expertise fonctionnelle et la gestion du changement. Wooten et Elden (2001) identifient cinq compétences; soit les aspects techniques de la gestion des RH, l’administration des affaires, la gestion du changement, la maîtrise de soi et la gestion stratégique. Guérin et Wils (1997), pour leur part, mentionnent les connaissances fonctionnelles, la connaissance de l’organisation et les habiletés comme la capacité à écouter ou à bâtir des réseaux.

Quelques points de convergence se dégagent de cette diversité apparente de modèles de compétences. Premièrement, pris ensemble, ces modèles témoignent d’une multiplication des exigences. Deuxièmement, tandis que l’on associe les compétences au rôle stratégique (Caldwell, 2008), il n’est pas surprenant de retrouver dans ces modèles la « connaissance de l’entreprise » comme compétence fondamentale. Troisièmement, hormis les représentations particulières, plusieurs des compétences se recoupent d’un modèle à l’autre. La « connaissance de l’entreprise », par exemple, apparaît sous une appellation ou une autre dans tous les modèles de compétences que nous avons recensés. On souhaite, semble-t-il, un professionnel qui « comprend les préoccupations de toutes les autres fonctions de gestion, comme le marketing, les finances, la production ainsi que la recherche et le développement » (St-Onge et al., 2009 : 15). Quatrièmement, pour chaque compétence mentionnée, on retrouve communément une longue énumération d’éléments de savoir, de savoir-faire et de savoir-être. Il en résulte des modèles comme celui de Blancero, Boroski et Dyer (1996) qui comprend une énumération de 96 compétences.

Hypothèses relatives aux compétences

Les annonces de recrutement contiennent plusieurs éléments relatifs aux compétences. La mention de la scolarité requise représente un premier contenu d’intérêt. À l’intérieur de cette rubrique, le niveau de scolarité exprime une exigence quantitative. À cet égard, avec la multiplication des exigences associées à la profession, on peut s’attendre à une augmentation du niveau de scolarité demandé. En regard de la profession RH et considérant la période de référence à l’étude, nous anticipons que cela va se refléter dans la progression de la demande pour une scolarité de deuxième cycle universitaire.

  • HYPOTHÈSE 6 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la demande pour un diplôme de deuxième cycle universitaire dans les annonces de recrutement.

Ensuite, toujours dans la rubrique scolarité, la spécialisation universitaire traduit une exigence de nature qualitative. À cet égard, avec tous les efforts consentis pour établir un consensus sur un corpus de compétences propres à la profession RH (Kaufman, 2008; Langbert, 2005), nous attendons une augmentation de la demande pour les diplômes en lien étroit avec la profession. La contrepartie attendue est la baisse de la demande pour les diplômes sans rapport direct avec la profession.

  • HYPOTHÈSE 7 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la demande pour un diplôme propre à la profession RH dans les annonces de recrutement.

  • HYPOTHÈSE 8 : Il y a une association négative entre l’année de référence et la demande pour un diplôme autre que RH dans les annonces de recrutement.

Les exigences liées aux compétences se trouvent aussi dans les mentions concernant l’expérience de travail. Dans certains cas, il s’agit de l’expérience de travail dans la profession. Dans d’autres cas, le recruteur demande une expérience de travail dans le secteur d’activité de son entreprise. L’exigence d’une expérience de travail en gestion des RH exprimerait le besoin pour des compétences confirmées dans l’exercice de la profession tandis que l’exigence d’une expérience de travail dans le secteur d’activité pourrait être considérée comme la recherche d’une compétence qui découle du rôle stratégique, soit la « connaissance de l’entreprise ». Tandis que la multiplication des exigences s’inscrit dans l’évolution historique de la profession, nous proposons donc les deux hypothèses suivantes.

  • HYPOTHÈSE 9 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la demande pour une expérience de travail en gestion des RH dans les annonces de recrutement.

  • HYPOTHÈSE 10 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la demande pour une expérience de travail dans le secteur d’activité de l’organisation qui recrute dans les annonces de recrutement.

Les annonces de recrutement font souvent mention de connaissances et d’habiletés, et ce, en fonction de besoins bien précis. Tandis que l’expertise fonctionnelle se trouve validée tant par le diplôme que par l’expérience de travail, les annonces de recrutement font surtout mention des connaissances et des habiletés qui sortent du cadre des compétences acquises en milieu scolaire ou dans un emploi antérieur. Considérant que les énoncés relatifs aux connaissances et aux habiletés que l’on retrouve dans les annonces de recrutement expriment un dépassement de l’expertise fonctionnelle, l’appropriation du rôle stratégique devrait accentuer le recours aux compétences que requiert ce rôle (Blancero, Boroski et Dyer, 1996; Brockbank et Ulrich, 2003; Guérin et Wils, 1997). Nous proposons donc les deux hypothèses qui suivent.

  • HYPOTHÈSE 11 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la demande pour des connaissances dans les annonces de recrutement.

  • HYPOTHÈSE 12 : Il y a une association positive entre l’année de référence et la demande pour des habiletés dans les annonces de recrutement.

Méthode

La méthode retenue consiste en une analyse de contenu d’annonces de recrutement pour des postes en gestion des RH dans un important quotidien de langue française. Cette méthode qualitative permet de rendre compte des besoins des organisations au sujet des fonctions et des qualifications requises par chaque poste. Puisque de telles annonces sont coûteuses, les organisations qui recrutent à partir de ce média ont tendance à décrire soigneusement leurs attentes; d’autant plus que l’embauche d’un professionnel comporte des enjeux financiers non négligeables.

Cette approche permet de recueillir des renseignements qui sont fournis pour répondre aux besoins de l’organisation qui recrute et non à ceux du chercheur. L’utilisation de telles données secondaires serait donc de nature à réduire les distorsions inhérentes à des méthodes comme l’entrevue ou le questionnaire. Elle rend aussi possible un examen longitudinal tout en minimisant les pertes d’informations. Cette méthode évacue également les décalages inhérents aux questions rétrospectives. Enfin, bien que l’analyse documentaire puisse aussi rendre compte de l’évolution d’une profession (Kaufman, 2008), l’analyse d’annonces de recrutement permet de dégager un tracé à partir d’une source d’information constante dans le temps.

Pour les fins de la présente étude et pour des considérations de faisabilité, nous avons retenu les annonces de recrutement publiées dans le quotidien La Presse du samedi dans la section « carrières et professions ». Pour chaque année de référence, toutes les annonces de recrutement pour des postes en gestion des RH furent analysées. Avec le retrait des dédoublements, cela représente 222 annonces en 1975 (24,70 %), 290 en 1985 (32,30 %), 185 en 1995 (20,60 %) et 201 en 2005 (22,40 %). L’analyse a donc été conduite avec un échantillon de 898 annonces publiées au cours d’une période qui s’inscrit dans l’ère de la gestion moderne des RH (Kaufman, 2008).

Le journal La Presse est un quotidien grand format, publié du lundi au samedi et distribué en kiosque presque partout au Québec ainsi que dans les grandes villes du Canada. Une étude de la notoriété des sites de recrutement au Québec et au Canada auprès du public a classé le journal La Presse deuxième derrière « Monster » (Racine, 2000). En ce qui concerne les employeurs qui recrutent, on y retrouve des organisations publiques de même que des entreprises d’envergure nationale et internationale. Il faut cependant savoir que les annonces de recrutement qui paraissent dans ce média représentent davantage les organisations du Québec et surtout de la grande région métropolitaine de Montréal que d’autres territoires. Pour les chercheurs d’emploi, la section « carrières et professions », parmi les plus consultées du journal, représente une source d’information non négligeable.

Pour l’année 1975, les annonces de recrutement étaient disponibles dans les microfiches. Les annonces de recrutement de 1985, 1995 et 2005 pouvaient être extraites de bases de données. De l’ensemble des annonces, 413 (45,99 %) concernent des postes de généraliste et 485 (54,01 %) des postes de spécialiste (p. ex., dotation, rémunération, relations du travail). La base comprend 378 (42,09 %) postes de direction et 520 (57,91 %) postes de conseiller. Soulignons enfin que 373 (41,54 %) proviennent du secteur public et 524 (58,35 %) du secteur privé (1 annonce non spécifiée).

Analyse de contenu

Une première lecture des annonces de recrutement a permis d’établir une liste d’énoncés. Nous avons ensuite déterminé les unités de classification. Le codage a enfin permis de regrouper les unités à l’intérieur de catégories. Les numéros correspondants au codage furent inscrits dans une grille d’analyse qui comportait des catégories relatives à l’annonce, à l’organisation, au poste, aux fonctions générales de gestion, aux fonctions de gestion des RH et aux exigences en termes de formation générale, d’expérience de travail et de compétences requises.

Afin d’assurer une constance dans le codage, une seule personne était responsable de l’analyse de contenu. Cette personne a d’abord préparé une première version de la grille. Elle a ensuite procédé à l’analyse de quelques annonces de recrutement avec cette grille. Un autre membre de l’équipe de recherche s’est prêté au même exercice avec la même grille. En fonction de la comparaison de leurs analyses respectives des mêmes annonces, les deux chercheurs ont modifié la grille pour l’adapter aux exigences de la démarche. Ils ont ensuite repris l’exercice avec la grille modifiée. Par la suite, la personne attitrée à l’analyse de contenu a procédé à l’analyse de contenu en consultant à l’occasion le chercheur principal pour des cas particuliers. Considérant que le contenu analysé dans le cadre de cette étude n’est pas sujet à interprétation de type phénoménologique ou autre, cette démarche semble adéquate.

L’analyse de contenu a permis un codage et une quantification des variables à l’étude. La variable indépendante, l’année de référence, fut codée sur une échelle allant de 1 (1975) à 4 (2005). Pour d’autres variables, nous avons assigné la valeur 1 lorsque l’annonce contenait une information pertinente et la valeur 0 en l’absence de mention conforme. D’autres variables résultent de la fréquence de la mention de certains contenus dans l’annonce. Avec donc ces balises comme points de départ, nous exposerons plus loin les aspects particuliers du traitement de chaque variable dépendante.

Ce plan de codage rendait possible l’utilisation de la régression multiple avec comme variables de contrôle le type de poste, le niveau du poste et le secteur d’activité. Le type de poste était codé 0 pour le spécialiste et 1 pour le généraliste. Le niveau du poste était codé 0 pour les postes de conseiller et 1 pour les postes de direction. Enfin, le secteur d’activité était codé 0 pour le secteur public et 1 pour le secteur privé.

Résultats

Les statistiques descriptives et les corrélations entre l’ensemble des variables à l’étude sont présentées au tableau 1.

Tableau 1

Statistiques descriptives et corrélations entre les variables

Statistiques descriptives et corrélations entre les variables

N = 898

Les coefficients de corrélation avec une valeur absolue de ,07 ou plus désignent des associations significatives au seuil de ,05.

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Résultats relatifs au rôle stratégique

Les deux premières hypothèses portent sur l’utilisation de l’expression « ressources humaines » ou « personnel » dans le titre de poste. La première hypothèse prévoit une association positive entre l’année de référence et l’utilisation de l’expression « ressources humaines ». En regard de cette évolution, l’analyse de régression confirme l’augmentation de l’appellation « ressources humaines ». En effet, tel que le démontre le tableau 2, avec comme variables de contrôle le type de poste, le niveau du poste et le secteur d’activité, le modèle de régression logistique binaire est significatif et la relation entre l’année de référence et la variable appellation « ressources humaines » est positive.

La seconde hypothèse, complémentaire à la première, prévoit une association négative entre l’année de référence et l’utilisation de l’expression « personnel » dans les titres de poste. Confirmant cette tendance, l’analyse de régression indique une baisse significative de l’appellation « personnel ». En effet, comme l’indique le tableau 2, le modèle de régression logistique est significatif et la relation entre l’année de référence et la variable « personnel » est négative. Cela signifie qu’au cours de la période de référence, la probabilité de retrouver l’expression « personnel » dans les titres de poste des annonces est en baisse.

Tableau 2

Analyses de régression logistique binaire relatives aux appellations « ressources humaines » et « personnel » dans les titres de poste

Analyses de régression logistique binaire relatives aux appellations « ressources humaines » et « personnel » dans les titres de poste

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La troisième hypothèse prévoit une association positive entre l’année de référence et la présence de responsabilités de gestion générale. Nous avons répertorié, dans l’ensemble des annonces de recrutement, 30 responsabilités de gestion générale (p. ex., suivi du budget, planification, qualité totale). Les analyses de régression linéaire confirment l’augmentation du nombre de responsabilités de gestion générale dans les annonces au cours de la période de référence (tableau 3). La relation positive entre l’année de référence et les responsabilités de gestion générale se présente ainsi en appui à la troisième hypothèse.

Les quatrième et cinquième hypothèses prévoient des associations entre l’année de référence et la présence de responsabilités de gestion des RH. Nous avons répertorié 50 responsabilités de gestion des RH et procédé à l’élimination de celles qui comptaient dix mentions ou moins. Ensuite, pour déterminer quelles sont les responsabilités de nature stratégique et celles de nature opérationnelle ou technique, nous avons opté pour une approche qui associait l’analyse théorique à l’analyse empirique. Nous avons d’abord soumis les 31 responsabilités restantes à une analyse factorielle exploratoire à composantes principales avec une rotation Varimax. Les résultats nous ont permis d’observer des regroupements de responsabilités. Puis, en nous basant sur la littérature ainsi que sur l’observation des regroupements, nous avons été en mesure d’identifier six responsabilités de nature stratégique, soit la communication, le développement, le développement des compétences, le développement organisationnel, la planification des RH et la recherche. La somme de ces responsabilités représente la variable « responsabilités de gestion des RH de nature stratégique ». Ensuite, nous avons créé la variable responsabilités de gestion des RH de nature opérationnelle ou technique en regroupant les 25 responsabilités de gestion des RH non retenues dans le regroupement précédent. Cette dernière variable comprend les responsabilités concernant les descriptions de poste, la paie, la gestion des absences, les relations du travail et d’autres encore qui sont plus opérationnelles ou techniques que stratégiques.

Les analyses confirment l’augmentation du nombre de responsabilités de nature stratégique au cours de la période de référence (tableau 3). L’association observée appuie donc la quatrième hypothèse selon laquelle il y a une association positive entre l’année de référence et la présence de responsabilités de gestion des RH de nature stratégique dans les annonces (voir RH stratégique). Nous ne pouvons cependant pas retenir la cinquième hypothèse selon laquelle il y a une association négative entre l’année de référence et la présence de responsabilités de nature opérationnelle ou technique dans les annonces (voir RH technique). Tel que le rapporte le tableau 3, la relation entre ces variables n’est pas significative.

Tableau 3

Analyses de régression linéaire relatives aux responsabilités de gestion générale et aux responsabilités de gestion des RH de nature stratégique et technique

Analyses de régression linéaire relatives aux responsabilités de gestion générale et aux responsabilités de gestion des RH de nature stratégique et technique

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Résultats relatifs aux compétences

La première hypothèse relative aux compétences porte sur le niveau de scolarité demandé. Pour l’ensemble des annonces de recrutement, seulement 37 (4,12 %) d’entre elles exigent un diplôme de deuxième cycle universitaire. Toutefois, 56 (6,24 %) annonces mentionnent un diplôme de deuxième cycle comme atout, c’est-à-dire comme un avantage dans l’analyse de la candidature. Considérant que les deux formulations véhiculent des attentes quant au niveau de scolarité, nous les avons regroupées pour former la variable qui représente la demande pour un diplôme de deuxième cycle universitaire. Donc, la valeur 0 désigne l’absence de demande pour un tel diplôme tandis que la valeur 1 indique la présence dans l’annonce d’une demande pour un diplôme de deuxième cycle universitaire, soit comme exigence obligatoire ou comme atout. L’analyse de régression logistique avec cette variable dépendante confirme la sixième hypothèse. En effet, le tableau 4 présente une association positive entre l’année de référence et la demande pour un diplôme de deuxième cycle universitaire.

Tableau 4

Analyse de régression logistique binaire relative au diplôme de deuxième cycle universitaire

Analyse de régression logistique binaire relative au diplôme de deuxième cycle universitaire

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Pour l’hypothèse relative à la demande pour un diplôme propre à la profession, nous avons regroupé les diplômes en administration (avec profil gestion des RH), en RH, en relations industrielles et en santé et sécurité du travail pour former la variable dépendante. Les diplômes en psychologie, droit, comptabilité, finances, administration profil générale, sciences humaines, éducation, génie industriel, commerce, gestion, hygiène industrielle, infirmerie et communication forment la variable « diplôme autre ». Notons que la même annonce pouvait comprendre à la fois une demande pour un diplôme propre à la profession RH et une demande pour un diplôme autre, ce qui justifie la formulation de deux hypothèses.

La première régression logistique présentée au tableau 5 ne soutient pas la relation exprimée dans la septième hypothèse. En effet, la relation entre l’année de référence et la demande pour un diplôme propre à la profession RH ne s’avère pas significative. Par contre, on y trouve une relation négative et significative entre l’année de référence et la demande pour un diplôme autre. Ce résultat confirme la huitième hypothèse et donc une baisse de la demande pour un diplôme autre que RH dans les annonces de recrutement.

Tableau 5

Analyses de régression logistique binaire relatives aux diplômes RH et autres

Analyses de régression logistique binaire relatives aux diplômes RH et autres

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Le tableau 6 présente les résultats relatifs à l’expérience de travail. La neuvième hypothèse anticipait une association positive entre l’année de référence et la demande pour une expérience de travail en gestion des RH. Cette hypothèse est retenue, mais seulement à un seuil de signification moins contraignant (p < ,10). En ce qui concerne la dixième hypothèse, elle trouve un appui dans l’association positive entre l’année de référence et la demande pour une expérience de travail dans le secteur d’activité de l’organisation.

Tableau 6

Analyses de régression logistique binaire relatives à l’expérience de travail

Analyses de régression logistique binaire relatives à l’expérience de travail

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Quant à l’hypothèse portant sur les connaissances, l’analyse de contenu a permis d’identifier 36 connaissances qui représentent autant d’exigences de compétences. L’analyse de régression linéaire confirme l’association exprimée par cette onzième hypothèse. En effet, tel que l’illustre le tableau 7, il existe une association positive entre l’année de référence et la demande de connaissances. Cela signifie que la demande de connaissances, exprimée par une mesure de fréquence assignée à chaque annonce, augmente au cours de la période de référence.

Tableau 7

Analyses de régression linéaire relatives aux connaissances et aux habiletés

Analyses de régression linéaire relatives aux connaissances et aux habiletés

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Enfin, l’analyse de contenu a permis d’identifier 138 habiletés différentes. L’analyse de régression linéaire présentée au tableau 7 montre une association positive entre l’année de référence et la demande d’habiletés, ce qui confirme la douzième hypothèse.

Analyses supplémentaires

Pour valider la progression de la demande pour certaines habiletés, nous n’avons retenu que les habiletés mentionnées au moins dix fois dans les annonces de recrutement. C’est donc avec un ensemble plus restreint composé de 54 habiletés que furent réalisées autant d’analyses de régression logistique. Avec l’année de référence comme variable indépendante et le secteur d’activité, le niveau et le type de poste comme variables de contrôle, cette procédure nous a permis d’identifier 23 habiletés qui ont connu une progression significative au cours de la période de référence. En ordre d’importance décroissante selon la valeur du coefficient Wald, ces habiletés sont : l’esprit d’équipe; la communication; le leadership; l’autonomie; la capacité pour les relations interpersonnelles; l’approche clientèle; la capacité à résoudre des problèmes; le sens de l’organisation; la capacité d’analyse; la capacité de synthèse; la créativité; l’orientation résultats; la rigueur; l’écoute; la capacité à mobiliser; le partenariat; l’efficacité; la concertation; l’intégrité; la négociation; la capacité à conseiller; la maturité et l’influence.

Discussion

La présente étude semble confirmer que la profession RH a suivi un parcours marqué par l’appropriation d’un rôle stratégique et la délimitation d’un champ de compétences. Elle offre une perspective longitudinale qui s’ajoute aux observations ponctuelles de l’évolution de cette profession (Conner et Ulrich, 1996; Guérin et Wils, 1997; Wright, Dyer et Takla, 1999). Quant au rôle, l’étude confirme certaines observations dans la mesure où sa dimension stratégique s’exprime dans le titre du poste, dans la multiplication des responsabilités générales de gestion et de celles de nature stratégique en gestion des RH.

L’absence de relation significative entre l’année de référence et la présence de responsabilités de gestion des RH de nature opérationnelle ou technique pourrait signifier que l’essor de la profession soit surtout marqué par un cumul des rôles et non par l’essor du rôle stratégique au détriment du rôle opérationnel comme l’entend Legge (2005). Ces résultats vont, par ailleurs, dans le même sens que ceux d’Ulrich (1997), qui, plutôt que d’offrir une analyse segmentée des divers rôles que peuvent jouer les PRH, cherche plutôt à les intégrer les uns aux autres afin de mettre au premier plan tant la multiplicité que la complexité qu’elle impose. Le rôle stratégique ne remplacerait donc pas le rôle opérationnel ou technique, mais s’y ajouterait. Il serait donc loisible de conclure que la période de référence de 1975 à 2005 est marquée par une augmentation générale des exigences liées à la profession.

Quant à l’évolution des compétences, nos analyses soutiennent six hypothèses sur sept. Ainsi, la période de référence fut marquée par l’augmentation de la demande pour un diplôme de deuxième cycle universitaire; un diplôme qui permet un approfondissement des principaux aspects de la gestion des RH. L’augmentation de la demande pour ce diplôme pourrait donc représenter la réponse des organisations et de la profession à une multiplication des exigences associées au travail en gestion des RH. Par ailleurs, cette formation universitaire a souvent comme caractéristique la prise en compte du contexte à l’intérieur d’un cadre de référence de gestion stratégique (Langbert, 2005). Le diplôme de deuxième cycle pourrait donc être garant de l’acquisition de compétences associées au rôle stratégique, soit la connaissance de l’entreprise et la capacité à gérer le changement (Blancero, Boroski et Dyer, 1996; Guérin et Wils, 1997; Wooten et Elden, 2001).

Il est aussi intéressant de constater un certain resserrement des exigences eu égard aux diplômes. Bien que notre étude n’observe pas d’augmentation de la demande pour un diplôme propre à la profession, elle fait le constat d’une baisse de la demande pour un diplôme autre, incluant ceux en psychologie, droit, comptabilité, finances, administration (profil général), sciences humaines, éducation, génie industriel, commerce, gestion, hygiène industrielle, infirmerie et communication. Cela se comprend à la lumière de la perspective de la professionnalisation qui annonçait la formulation d’un ensemble de règles d’exercice et de techniques propres à la profession (Wilensky, 1964). Avec le temps, il est devenu clair que la formation générale menant à l’exercice de la profession devait comprendre les spécialisations en administration (avec profil RH), en RH et en relations industrielles.

Les résultats confirment aussi l’augmentation de la demande pour une expérience de travail dans le secteur d’activité de l’organisation qui recrute. Cette exigence semble en lien avec les modèles de compétences qui misent sur la « connaissance de l’entreprise » (Blancero, Boroski et Dyer, 1996; Guérin et Wils, 1997; Ulrich et al., 1995; Wooten et Elden, 2001). En lien avec le renforcement du rôle stratégique, l’expérience dans le secteur d’activité de l’organisation pourrait représenter une condition qui assure une meilleure connaissance de l’entreprise. Cette exigence pourrait aussi être l’expression du besoin de tenir compte du contexte de l’entreprise dans toute décision concernant le capital humain. La profession RH se définit ainsi en rapport avec la contribution au bon fonctionnement de l’organisation; un apport dont l’efficacité repose sur une bonne compréhension du secteur d’activité de l’entreprise (ou de l’industrie), une dimension stratégique confirmée (Porter, 1980). Ainsi, bien que la profession se définisse en fonction de compétences qui puissent être utilisées de façon transversale dans les organisations, il semble que la logique managériale impose une condition supplémentaire, soit celle de tenir compte de la réalité de l’entreprise et de la dynamique propre à son secteur d’activité. La capacité de poser un diagnostic pourrait ainsi représenter une compétence transversale, mais elle ne pourrait se substituer aux savoirs acquis par l’immersion dans un milieu.

L’évolution des compétences est aussi marquée par l’augmentation de la demande pour des connaissances et des habiletés. Les résultats indiquent que les organisations qui recrutent insistent de plus en plus sur la maîtrise de l’informatique ou de l’anglais écrit ou parlé. Elles sont aussi de plus en plus à la recherche de certaines habiletés comme l’esprit d’équipe, la communication et le leadership. À cet égard, compte tenu de la grande diversité des habiletés retrouvées dans les annonces, nous ne pouvons pas affirmer que nos analyses ont permis d’identifier un corpus de compétences propre à la profession comme l’entend Wilensky (1964), mais bien des exigences qui confirment la nature dynamique et relationnelle du travail en gestion des RH. Nous remarquons donc une faible convergence entre les structures nettes des modèles de compétences proposés par Ulrich et autres (Brockbank et Ulrich, 2003; Ulrich et al., 2008; Ulrich et al., 1995) et nos résultats relatifs à la demande pour des connaissances et des habiletés. Il est donc permis, à la lumière de nos résultats et de ceux de Caldwell (2008), de douter de l’efficacité réelle de ces modèles de compétences.

Sur le plan pratique, nos résultats pourraient intéresser les personnes qui se préparent à l’exercice de la profession, de même que les institutions d’enseignement et les associations professionnelles qui font la promotion de la profession et qui assurent la protection du public. D’abord, les résultats tendent à démontrer que, pour la personne aux études et qui se prépare à l’exercice de la profession, s’approprier le rôle stratégique et développer les habiletés en forte demande devraient être une priorité. Ceci demeure pour le moins paradoxal si l’on considère que la plupart des programmes d’études du premier cycle insistent d’abord sur la maîtrise des aspects techniques. Mais peut-être faut-il maîtriser la technique avant de se proposer comme partenaire d’affaires ou agent de changement.

Ensuite, les institutions d’enseignement pourraient adapter leurs programmes d’étude à l’évolution de la profession. En premier lieu, considérant l’augmentation des exigences, il nous parait légitime de poser la question de la durée des études. La maîtrise des aspects stratégiques en plus des aspects opérationnels ou techniques élargit le corpus de compétences associées à la profession. Par ailleurs, comme en témoignent nos résultats, les milieux de travail semblent accorder de plus en plus d’importance à la maîtrise d’habiletés, c’est-à-dire d’un savoir-faire qui s’acquiert par la participation à une pédagogie participative. Tout cela requiert du temps et il sera peut-être nécessaire d’envisager un prolongement des programmes d’études. En ce qui concerne la prise en charge des responsabilités générales de gestion, les départements universitaires qui se spécialisent dans l’enseignement de la gestion des RH devront s’assurer d’offrir un contenu pédagogique pertinent qui développe aussi la connaissance de l’organisation. Quant à la demande pour une expérience dans le secteur d’activité de l’organisation qui recrute, nos résultats confirment la pertinence du stage en milieu de travail qui permet au futur professionnel d’en apprendre davantage sur un secteur d’activité. Il faudrait toutefois s’assurer que l’évaluation de ce stage ne porte pas seulement sur la maîtrise des aspects techniques, mais aussi sur sa compréhension de l’organisation et de l’industrie. Enfin, les institutions d’enseignement pourraient s’adapter à la forte progression de la demande pour des habiletés de travail en équipe, de communication, de leadership, etc. Il faut cependant reconnaître que la maîtrise de ce savoir-faire s’avère un projet à long terme et donc, en prenant acte des recommandations de Mintzberg (2005), les institutions d’enseignement pourraient favoriser l’autonomie de l’apprenant en lui conférant la capacité et le désir d’apprendre de ses expériences tout au long de son cheminement professionnel.

Les associations qui regroupent les PRH pourraient aussi dégager quelques pistes d’action des résultats de la présente étude. En ce qui concerne l’offre de formation professionnelle, un questionnement s’impose quant au développement des habiletés des membres. Prenons le cas de l’Ordre des conseillers en ressources humaines et en relations industrielles agréés du Québec dont l’offre de formation porte surtout sur les aspects techniques de la gestion des RH, alors que le développement d’un savoir-faire pourrait mieux correspondre aux besoins des organisations. Une autre stratégie consisterait à attirer vers la profession des personnes qui ont, à priori, un certain potentiel de leadership ou d’efficacité. En faisant la promotion de la profession, l’ordre professionnel pourrait attirer des individus qui possèdent déjà certaines habiletés en forte demande. Ensuite, tandis que les associations professionnelles accordent une grande importance au professionnalisme, à l’éthique et à l’intégrité, les résultats de la présente étude indiquent que les organisations misent davantage sur la mobilisation d’un savoir-faire aligné sur leur impératif de performance. Le constat de cet écart pourrait favoriser des échanges entre les employeurs et les associations professionnelles afin de concilier leurs objectifs respectifs. Mentionnons enfin l’augmentation de la demande pour une expérience de travail dans le secteur d’activité de l’organisation, voilà un phénomène qui pourrait inciter les associations professionnelles à former des regroupements de membres selon leur secteur d’activité.

Limites et conclusion

Bien que la présente étude remédie à certaines des limites de l’étude de Haines et Arcand (1997), il en demeure quelques-unes. Notons premièrement que le recours à des annonces de recrutement pose des contraintes évidentes quant au choix des variables. Deuxièmement, l’annonce de recrutement ne peut contenir toute l’information pertinente sur les responsabilités ou les compétences requises. En effet, un recruteur peut juger une compétence pertinente, sans en faire mention dans l’annonce de recrutement. Mais, comme dans l’étude de Haines et Arcand (1997), « nous postulons cependant que l’indication écrite d’une fonction ou d’une qualification dans l’annonce de presse démontre l’importance ou l’aspect principal de l’exigence pour l’organisation hôte » (p. 590-591). Troisièmement, bien que nous ayons analysé les contenus de 898 annonces, nous ne pouvons affirmer que cet échantillon est représentatif de toutes celles publiées au Québec. Mentionnons aussi que les annonces de recrutement n’évacuent pas entièrement le caractère normatif des contenus analysés. En effet, dans la mesure où l’un des objectifs de l’exercice de recrutement est de « vendre » le poste vacant, l’annonce révèlerait, à certains égards, davantage le discours normatif que la réalité d’une fonction. Enfin, bien que la présente étude ait comme mission de confronter la profession à elle-même, il serait intéressant, dans une recherche future, d’apporter une dimension comparative à cette analyse. Cela permettrait d’identifier les points de convergence et de divergence entre la profession RH et d’autres qui auraient suivi un parcours similaire.

Malgré ces limites, la présente étude confirme plusieurs hypothèses relatives au rôle stratégique et aux compétences des PRH. Ce faisant, elle inscrit l’évolution de la profession RH à l’intérieur d’un long parcours de professionnalisation (Wilensky, 1964). L’étude permet notamment de mieux saisir certaines facettes de la trajectoire d’un acteur du système de relations industrielles qui a une grande influence sur le vécu du travail. Nous anticipons donc que cette étude puisse offrir un point de départ au dialogue sur l’avenir de la profession, et ce, dans un contexte de questionnement sur sa légitimité sociale (Kochan, 2007).