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Introduction

S’il est un sujet qui fait régulièrement les manchettes, c’est celui de la rareté de la main-d’oeuvre dans certains secteurs d’activité et différentes régions au Québec. Cette situation s’explique par le contexte démographique qui combine les phénomènes du vieillissement de la population, de la baisse du taux de natalité (ISQ, 2017) et de la migration interrégionale (ISQ, 2019). Devant ces enjeux d’envergure, les employeurs de la province envisagent divers scénarios, dont le recours à la main-d’oeuvre immigrante. Les données récentes laissent cependant entrevoir un fossé entre le discours économique et la réalité du marché du travail.

À ce chapitre, au Québec comme ailleurs dans le monde, certains groupes demeurent sous-représentés en emploi. Les immigrants font partie de ces groupes qui voient leur participation au marché du travail entravée par différentes barrières. Ces derniers présentaient en 2017 un taux de chômage (8,7%) nettement plus élevé que les natifs (4,5%) (Statistique Canada, 2018). Les personnes issues de l’immigration récente (PIR), c’est-à-dire celles établies au Canada depuis cinq ans et moins, accèdent encore plus difficilement à un emploi, leur taux de chômage s’élevant à 15,8%. Si la nécessité de faire appel aux personnes immigrantes pour relever les défis économiques actuels est fréquemment mentionnée dans l’actualité, certains employeurs soulignent les enjeux relatifs à leur intégration en emploi et à leur rétention, ces dernières présentant un taux de roulement plus élevé que celles nées au pays (Halvorsen et al., 2015; Hofhuis et al., 2014).

Le présent article a pour point de mire les pratiques organisationnelles de gestion de la diversité culturelle. Il s’intéresse notamment aux efforts déployés par les employeurs en ce sens, tout comme aux perceptions qu’ils entretiennent à l’égard des personnes immigrantes récentes (PIR) issues de tout type de migration. Ces perceptions façonnent l’approche de gestion de la diversité adoptée dans les organisations et, par voie de conséquence, les mesures instaurées qui contribuent à l’intégration et à la rétention en emploi des personnes établies au Canada depuis 5 ans et moins. Il convient donc d’abord poser les jalons de ces approches de la gestion de la diversité afin de s’attarder ensuite à son rôle en matière de rétention organisationnelle.

La gestion de la diversité : une réalité aux multiples visages

La gestion de la diversité, c’est-à-dire d’une main-d’oeuvre hétérogène dont les caractéristiques s’avèrent différentes, sans toutefois nier les similitudes (Thomas, 2004), s’appréhende de diverses manières selon l’approche préconisée. Trois d’entre elles retiennent plus fréquemment l’attention (Thomas et Ely, 1996).

La perspective de la justice sociale et de la lutte contre les discriminations vise l’égalité de traitement et des chances en emploi (Haas et Shimada, 2014; Barel et Frémaux, 2013), sans égards aux caractéristiques personnelles (Syed et Kramar, 2009). Considérée comme l’ancrage dominant pour comprendre la diversité (Thomas et Ely, 1996), elle se focalise sur les moyens déployés pour freiner l’exclusion des employés appartenant à certains groupes sous-représentés ou vulnérables sur le marché du travail. Épousant la logique juridique, il s’agit dès lors de se doter d’un cadre légal ou de politiques publiques appelant les organisations à réviser leurs pratiques de gestion des ressources humaines (Haas et Shimada, 2014) de manière à endiguer toute forme de discrimination envers des groupes ciblés (Syed et Kramar, 2009).

Cette conception réactive de la gestion de la diversité prend appui sur les obligations légales des employeurs et des syndicats, ceux-ci étant responsables des solutions à implanter. Si la loi évoque l’interdiction de discrimination, elle occulte la manière de l’enrayer, voire de la prévenir (Beaudry et Gagnon, 2019; Smith, 2014). Sans repères précis sur les pratiques à initier, les employeurs se tournent alors vers une réponse rationnelle pour se conformer au cadre légal, cadre d’une complexité avérée, tout en préservant leur droit de gérance (Edelman et Talesh, 2011). Les pratiques prennent donc la forme de mesures au cas par cas, adoptées lorsque la discrimination est portée à l’attention de l’employeur (Beaudry et Gagnon, 2019).

Dans un deuxième discours qui s’éloigne des contraintes légales pour s’orienter vers une perspective dite positive, la gestion de la diversité s’appréhende à l’aune des bénéfices escomptés (Marbot et Nivet, 2013; Cornet et El Abboubi, 2012). Les différences inhérentes aux personnes sont considérées comme des ressources pour l’organisation et donc valorisées (Thomas et Ely, 1996). Dans cette optique, la diversité contribue corollairement à la productivité des organisations, au développement de nouveaux marchés, ainsi qu’à l’amélioration du climat de travail et de la réputation organisationnelle (Cornet et El Abboubi, 2012). Les pratiques de gestion visent alors le soutien au développement du capital humain (Syed et Kramar, 2014). La diversité est mise à contribution au profit de l’organisation, les différences étant minorées (Haas et Shimada, 2014).

Une telle approche s’est développée en raison d’une raréfaction de la main-d’oeuvre en Amérique du Nord. Elle instaure une philosophie managériale qui suppose que la diversité contribue à créer un environnement productif si les talents sont pleinement exploités (Kandola et Fullerton, 1994). Elle comporte le risque de négation des sources de discrimination organisationnelles, alors même que l’accent est porté sur la contribution de chacun plutôt que sur les difficultés vécues en organisation (Beaudry et Gagnon, 2019). Cette valorisation des différences tend à l’exacerbation des stéréotypes accolés à certains groupes (Haas et Shimada, 2014; Cornet et El Abboubi, 2012).

Dans une dernière perspective, inclusive cette fois, la gestion de la diversité est abordée sous l’angle de la proactivité. La reconnaissance des différences et des difficultés qui en découlent est ainsi à l’ordre du jour. Il s’agit de poser un diagnostic organisationnel afin de dégager les sources d’exclusion et de les transformer, en amont, en facteurs d’inclusion (Barel et Frémaux, 2013). Les difficultés d’intégration des employés ne sont pas uniquement évaluées en fonction de leurs caractéristiques personnelles, mais plutôt à la lumière du contexte dans lequel ils évoluent (Barel et Frémeaux, 2013). Se refusant à une approche psychologisante, la gestion de la diversité repose sur une culture organisationnelle de prévention et d’intégration (Barel et Frémeaux, 2013; Olsen et Martins, 2012), afin de recruter, d’embaucher, de retenir et de perfectionner des employés issus de groupes sociaux variés (Cox et Blake, 1991; Garner-Moyer, 2006; Potvin, 2007). Par-delà une visée correctrice, les mesures déployées aspirent à l’intégration de l’ensemble des individus (Ivancevich et Gilbert, 2000), sans toutefois écarter les pratiques individualisées, lorsque nécessaires (Beaudry et Gagnon, 2019). La gestion proactive de la diversité trouve tout son sens lorsqu’elle adopte une posture socialement responsable (Syed et Kramar, 2014). La rationalité sous-tendant cette approche est alors non seulement celle de l’amélioration des résultats pour l’organisation, mais également celle de l’inclusion sociale. Il s’agit donc de s’interroger sur l’intégration pleine et entière des personnes en emploi, intégration qui concoure à leur engagement organisationnel (Riordan et al., 2011), en s’intéressant plus largement à leur insertion dans la communauté. Si l’égalité des chances est promue, la valeur des différences est également reconnue (Thomas et Ely, 1996).

Trois niveaux d’analyse imbriqués sont considérés en matière de gestion de la diversité : le niveau macro-national (la législation et les politiques publiques), méso-organisationnel (les politiques et les pratiques organisationnelles) et micro-individuel (les identités et l’expérience subjective en milieu de travail) (Syed et Ozbilgin, 2009). S’il est généralement admis que le cadre légal influence les pratiques de gestion, les liens entre l’expérience des individus et ces pratiques demeurent à ce jour peu explorés (Syed et Kramar, 2009). Bien que l’analyse micro-individuelle tend à s’orienter vers les perceptions des individus issus de la diversité (Syed et Kramar, 2009), celles des acteurs responsables de la gestion de cette diversité semblent également importer. Elles jouent un rôle fondamental, car elles constituent un facteur majeur au regard de la détermination des attitudes et des comportements des membres de l’organisation (Mahama et Cheng, 2013) quant à la gestion de la diversité. Les propriétés sociétales des acteurs, celles des employeurs notamment, interviennent dans la mise en oeuvre des pratiques (Beaudry et Gagnon, 2019).

La gestion de la diversité : vecteur de la rétention organisationnelle

Lorsqu’il est question de s’intéresser aux pratiques de gestion de la diversité dans les organisations, il ne suffit pas de porter attention aux prescriptions du cadre légal à respecter et aux gains organisationnels engendrés. Il importe, en outre, d’appréhender les pratiques sous l’angle de leur capacité à favoriser l’inclusion (Syed et Kramar, 2009), ainsi qu’à la manière dont les perceptions des acteurs agissent sur cette capacité à gérer de façon responsable la diversité (Beaudry et Gagnon, 2019). C’est dans cette optique que le présent article s’attarde aux pratiques de gestion de la diversité contribuant à la rétention organisationnelle des PIR, en sollicitant les niveaux d’analyse méso-organisationnel et micro-individuel.

La rétention des employés issus de groupes sociaux variés est favorisée lorsque la gestion de la diversité s’exerce dans le cadre d’une culture organisationnelle de prévention et d’intégration. Les facteurs organisationnels d’exclusion se trouvent dès lors questionnés et transformés, en vue de contribuer à l’inclusion de tous les membres de l’organisation (Barel et Frémeaux, 2013). L’intérêt n’est pas porté aux caractéristiques qui distinguent les individus, mais à certaines pratiques organisationnelles, contrant ou prévenant la discrimination et qui, potentiellement, concourent à la capacité de rétention organisationnelle des personnes immigrantes (Hosoda, 2016). Les études sur ces pratiques concernent essentiellement la formation et le soutien aux nouveaux arrivants (Moriarty et al., 2012; Poulter et Sayers, 2015).

La rétention du personnel immigrant devient possible lorsqu’un respect et une tolérance à l’égard de la culture d’origine se manifestent (Tropp et Bianchi, 2006). Cependant, les différences culturelles sont parfois à la source de certaines tensions qui donnent lieu à des gestes discriminatoires, suscitant le départ des personnes qui en sont victimes (Hosoda, 2016). La sensibilisation des parties prenantes aux différences culturelles, notamment dans le cadre d’une politique formelle de gestion de la diversité et en promouvant une culture favorable à la gestion de la diversité, demeure pertinente.

Parmi les pratiques de rétention les plus évoquées, se trouve la reconnaissance des diplômes ou de l’expérience acquise à l’étranger, notamment parce que le roulement des personnes issues de l’immigration s’explique par les difficultés à progresser dans l’organisation dans une plus grande proportion que les natifs (Hofhuis et al., 2014). À ces freins au cheminement de carrière s’ajoutent des déceptions au regard des avantages sociaux, du statut d’emploi et du contenu du travail (Hofhuis et al., 2014; Moriarty et al., 2012; Poulter et Sayers, 2015). Les pratiques de gestion des carrières des minorités et l’amélioration de leurs conditions de travail, notamment lorsqu’ils sont très qualifiés, contribuent à favoriser une culture organisationnelle d’intégration (Barel et Frémeaux, 2013; Olsen et Martins, 2012).

La rétention organisationnelle suppose une insertion sociale réussie dans le milieu d’accueil, donc à l’extérieur des frontières de l’entreprise. Cette insertion sociale constitue l’un des facteurs de rétention à considérer. L’aide à la recherche d’emploi du conjoint ou de la conjointe, le soutien à l’établissement dans la région d’accueil ou l’aide à l’apprentissage du français favorisent cette insertion (Beaudry et al., 2018). En revanche, les employeurs ne sont pas toujours outillés des moyens nécessaires à l’insertion des personnes immigrantes et de leur famille dans la communauté. À ce chapitre, l’intervention des acteurs voués au développement régional s’avère essentielle (Deschênes et al., 2015).

La réduction du taux de roulement des PIR repose également sur des mesures générales et avantageuses pour tous. Les activités de dotation sont particulièrement significatives. Par l’entremise de processus d’accueil et d’intégration, elles contribuent à l’engagement du personnel envers l’organisation (Riordan et al., 2001).

Un parcours méthodologique mixte

Cet article vise à répondre à la question de recherche suivante : Alors que le lien entre les perceptions des acteurs et leurs pratiques de gestion demeurent peu exploré, les perceptions des employeurs à l’égard des PIR sont-elles liées au déploiement de pratiques de gestion de la diversité culturelle? Plus précisément, des sous-questions de recherche ont guidé cette étude :

  • Quelles sont les perceptions des employeurs à l’égard des PIR?

  • Les expériences des employeurs à l’égard des PIR sont-elles liées aux perceptions entretenues à leur égard ?

  • Quelles sont les pratiques de gestion de la diversité déployées en vue de retenir les PIR en organisation ?

Ces questions sont d’un intérêt certain dans la mesure où les PIR sont sous-représentées sur le marché du travail (Statistique Canada, 2018) et qu’elles présentent un taux de roulement organisationnel plus élevé que la population née au pays (Halvorsen et al., 2015; Hofhuis et al., 2014). Dès lors, les pratiques de gestion de la diversité s’orientent vers leur rétention dans l’organisation.

La démarche méthodologique de cette recherche s’appuie sur une approche mixte empruntant autant au quantitatif qu’au qualitatif (Garner, 2015; Krohwinkel, 2015). L’étude s’est opérée en deux volets distincts, quantitatif et qualitatif, mais inter-reliés. Le devis exploratoire mixte se justifie par la rareté des études sur la rétention organisationnelle des PIR, ce qui rend préméditée la formulation d’hypothèses solides reposant sur un modèle théorique.

L’administration d’un questionnaire dans un premier volet quantitatif

Dans une première phase, de nature quantitative, un questionnaire auto-administré a été acheminé par courriel, entre novembre 2016 et mai 2017, à 13 636 représentants d’employeurs québécois. Ont été ciblés des propriétaires d’entreprise, des dirigeants, des gestionnaires, des directeurs ou des professionnels en gestion des ressources humaines. L’échantillon a été constitué par choix raisonné, à partir du Répertoire des établissements d’Emploi-Québec qui était un partenaire de la recherche, de façon à en assurer la représentativité en fonction du portrait de la population (Thietart, 2007). Ce sont 2 376 personnes qui y ont répondu, le taux de réponse s’établissant à 17,4%. Parmi les répondants, 566 employeurs (23,8%) ont indiqué avoir embauché des PIR au cours des cinq dernières années, constituant l’échantillon de la présente étude. Le portrait des organisations sondées est présenté au Tableau 1.

Tableau 1

Portrait des organisations sondées par questionnaire

Portrait des organisations sondées par questionnaire

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L’instrument de mesure

Les items du questionnaire de recherche ont été subdivisés en trois catégories, soit : 1-la perception des employeurs à l’égard des PIR : 2-la satisfaction quant à leur expérience d’embauche des PIR; et 3-les pratiques de gestion de la diversité déployées pour la rétention des PIR.

Une échelle de mesure à six items (Tableau 2) développée dans le cadre de cette étude a permis d’évaluer les perceptions des employeurs à l’égard des PIR. Elle a été conçue en prenant appui sur les écrits antérieurs examinant les perceptions des employeurs à l’égard des personnes immigrantes (Nakagawa et Schreiber, 2014; Cornet et El Abboubi, 2012). Les items ont été mesurés sur une échelle de Likert en cinq points allant de : « 1- Pas du tout en accord » à « 5- Tout à fait en accord ». L’alpha de Cronbach se situe à 0,89, soit un niveau très acceptable.

Tableau 2

Contributions factorielles standardisées de l’indice de la perception des employeurs à l’égard des PIR

Contributions factorielles standardisées de l’indice de la perception des employeurs à l’égard des PIR

Note. N = 566. ρVC = rhô de validité convergente; α = alpha de Cronbach; λ = contributions factorielles.

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La satisfaction à l’égard de l’expérience d’embauche de PIR a été évaluée à partir d’une seule question, à savoir : « De façon générale, êtes-vous satisfait de votre expérience d’embauche de PIR? ». Elle était mesurée sur une échelle de Likert en cinq points, allant de : « 1- Pas du tout satisfait » à « 5- Tout à fait satisfait ». Il est à noter que la littérature (Fisher et al., 2016; Wanous et al., 1997) fait état de la pertinence de recourir à une question unique pour évaluer les attitudes, comme la satisfaction.

Les pratiques de gestion ont été appréciées à partir de douze items, rédigés par les chercheuses (voir Tableau 4 plus loin). Ceux-ci ont été générés sur la base de la littérature traitant des pratiques de gestion de la diversité dédiées aux personnes immigrantes et contribuant à leur rétention organisationnelle (Poulter et Sayers, 2015; Hofhuis et al., 2014; Moriarty et al., 2012; Nguyen, 2008). Les répondants indiquaient leur niveau d’accord avec l’énoncé sur une échelle de Likert en cinq points allant de « 1- Pas du tout en accord » à « 5- Tout à fait en accord ».

Analyses préliminaires et qualités psychométriques de la mesure

Une analyse préliminaire des données a été réalisée par souci de vérifier la présence de valeurs extrêmes et aberrantes, ainsi que la distribution des données qui s’est avérée normale. Les données ont été traitées à partir du logiciel SPSS (version 25).

Suivant les recommandations de Roussel et al. (2002), les propriétés psychométriques de l’échelle de mesure de la perception des employeurs à l’égard des PIR ont, ensuite, été vérifiées. Une analyse factorielle confirmatoire a été menée sous Mplus (version 7.4). Le modèle de mesure présente un bon ajustement aux données (χ2/ddl = 3,714; CFI = 0,986; TLI= 0,969; RMSEA = 0,069). Par ailleurs, comme l’indique le Tableau 2, toutes les contributions factorielles standardisées (λ) dépassent le seuil de 0,50 (Fornell et Larcker, 1981), témoignant d’une bonne validité convergente de l’indice. En vue de conférer davantage de robustesse aux résultats, le rhô de validité convergente (ρVC) a également été calculé. La variance moyenne partagée entre l’indice global et ses six indicateurs est supérieure à 50 % (ρVC = 0,058), respectant ainsi le seuil recommandé par Fornell et Larcker (1981). En plus de la validité convergente, les analyses attestent de la validité discriminante de l’échelle, la racine carrée du ρVC étant supérieure aux coefficients de corrélation de l’indice avec les autres variables à l’étude (Fornell et Larcker, 1981, voir également Tableau 3 plus loin).

La tenue de groupes de discussion comme outil de collecte qualitatif

Le groupe de discussion comme mode de collecte qualitatif a été retenu afin d’observer comment les employeurs agissent et réagissent en situation sociale et aux propos des autres, plutôt que de faire émerger les opinions de manière isolée (Leclerc et al., 2011). En plus de transcender l’addition de points de vue et de l’expérience individuelle des participants, les échanges de groupe créent un effet d’entrainement et favorisent l’expression, certaines personnes formulant des idées qu’elles n’auraient pas osé partager en entretien individuel (Leclerc et al., 2011). Les groupes étaient composés de 8 à 12 personnes. Ce sont neuf groupes de discussion qui se sont tenus auprès d’un total de 87 employeurs québécois, dont 42 qui comptaient des PIR à leur embauche au moment de la collecte des données effectuée en mai et juin 2017. La sélection des employeurs s’est opérée de manière à représenter l’ensemble des organisations sondées par le biais du questionnaire, selon les critères suivants : le secteur d’activité, la localisation géographique, le statut de l’organisation et le nombre d’employés dans l’organisation. En prenant appui sur la catégorisation de Statistique Canada, ce sont donc des organisations de tailles variées de tous les secteurs d’activités qui ont été représentés dans les groupes de discussion. Le type d’échantillonnage repose sur l’effet boule de neige (Miles et Huberman, 2003) alors que les partenaires de la recherche (organismes voués au développement socio-économique des régions à l’étude) ont permis d’identifier les participants qui répondaient aux critères de sélection et dont les témoignages étaient susceptibles d’être riches en information.

Une semaine avant la tenue des groupes de discussion, l’ensemble des participants a reçu la maquette d’entretien par courriel (Van der Maren, 2010), comprenant les finalités de la recherche, de même que les thèmes qui seraient abordés. Cette opération méthodologique en amont de la tenue des groupes de discussion a permis aux participants d’amorcer une réflexion et d’organiser leur pensée afin de se préparer aux échanges à venir. Cette étape préalable s’avère bénéfique puisque c’est la compréhension profonde de l’expérience vécue par les participants qui est recherchée et non pas un effet de surprise. La maquette favorise également le maintien d’un cadre de discussion dans l’éventualité où les échanges tendent à devenir épars. Les séances, se déroulant dans un espace temporel d’environ trois heures, ont été amorcées par la présentation des résultats du questionnaire aux participants, lesquels étaient invités à y réagir à la lumière de leurs expériences à titre d’employeurs. Ont suivi des discussions de groupes autour de questions préalablement déterminées dans une grille d’entretien. Elles portaient sur les thèmes suivants : les perceptions des employeurs à l’égard des PIR, leurs expériences d’embauche et les pratiques de gestion de la diversité déployées. Les séances se sont terminées par la remise d’une fiche contextuelle que les participants devaient compléter afin de dresser le profil des organisations qu’ils représentaient.

Les discussions ont été enregistrées, puis retranscrites. Faisant l’objet d’une analyse qualitative de type inductive, guidée par les questions de recherche, une arborescence formée de trois niveaux a été développée. Le premier a fait l’objet d’une analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2012), ce qui a permis de diviser le corpus de données en fonction des trois thèmes à l’étude. Les deuxième et troisième niveaux découlent des codes émergents et ont été puisés dans le discours des participants, faisant ainsi place à ce qui se dégageait du terrain. Ce processus de codification a donné lieu à 72 catégories, soit trois thèmes généraux et six sous-thèmes. Le logiciel QDA Miner version 4.1 a permis l’analyse des données.

Résultats

Des perceptions évolutives à l’égard des PIR et en relation avec l’expérience passée

Afin de vérifier les liens entre la perception à l’égard des PIR et l’expérience d’embauche, des analyses de corrélations bivariées ont été effectuées (Tableau 3). Elles témoignent d’une relation positive et significative entre la perception à l’égard des PIR et l’expérience d’embauche de celles-ci (r = 0,532, p < 0,01).

Tableau 3

Statistiques descriptives et corrélations

Statistiques descriptives et corrélations

Note. N = 566. M = moyenne; É.T. = Écart type. La valeur en gras dans la diagonale représente la racine carrée du ρVC.

** La corrélation est significative au niveau 0,01 (bilatéral).

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Les données collectées dans le cadre des groupes de discussion permettent de saisir plus en profondeur la nature de ce lien entre les expériences des employeurs et leurs perceptions à l’égard des PIR. Alors que la majorité des répondants (82%) au questionnaire s’estime satisfaite ou très satisfaite quant à l’expérience d’embauche de PIR, ceux rencontrés en entretiens de groupe mentionnent que les succès passés ont influencé la manière de les percevoir et d’estimer leur possible contribution à l’organisation. Il s’agit d’un discours partagé par les employeurs qui embauchent les personnes immigrantes en grand nombre et qui ont, au cours des années, remarqué leur apport.

On a actuellement vingt-sept nationalités différentes dans notre entreprise. On apprend beaucoup de toutes ces personnes. Elles apportent de la valeur chez nous, avec leurs cultures différentes. Il faut savoir s’ajuster, c’est certain. Mais, c’est que du positif!

Employeur 29

Ces perceptions sont appelées à évoluer dans le temps, en fonction des expériences vécues, qu’elles soient positives ou négatives. Les perceptions ne sont donc pas immuables. Certains employeurs indiquent que si, au départ, ils étaient réticents à l’embauche de PIR, leurs perceptions ont changé en raison d’expériences concluantes.

On a embauché récemment un immigrant. Mais avant cette embauche, c’était perçu… comment je dirais… un peu négativement. On n’était pas certain de notre choix. Et puis, ça s’est passé numéro un ! Ça s’est tellement bien passé que ça a changé l’image qu’on avait d’eux dans l’entreprise.

Employeur 7

L’inverse est également vrai. Alors que des participants aux groupes de discussion estimaient par le passé que les PIR représentaient un atout majeur en contexte de rareté de la main-d’oeuvre, les difficultés rencontrées dans le cadre des embauches ont modifié leurs perceptions. Bien qu’ils ne soient pas nombreux à le faire, il importe de relever que certains indiquent que les résultats ne rendent pas justice aux efforts investis. Une expérience négative module parfois leurs perceptions et engendre la décision de ne pas renouveler l’expérience.

Au départ, je me disais que ça pouvait nous être bénéfique d’embaucher des immigrants. Mais, on s’est rendu compte qu’on se casse la tête pour engager quelqu’un qu’on va bien former, mais on n’a pas de gage qu’il va rester avec nous. C’est moins pire chez les Québécois, parce que l’investissement est moins lourd. Disons que maintenant, on a moins le goût de faire les efforts.

Employeur 68

En somme, les perceptions des employeurs à l’égard des PIR évoluent selon les expériences vécues qui teintent leur volonté à mettre en oeuvre les moyens pour les retenir dans l’organisation.

Les pratiques de rétention destinées aux PIR et la perception des employeurs à leur l’égard

Le lien entre la présence de pratiques de rétention destinées aux PIR et les perceptions des employeurs à leur égard a également été estimé à l’aide d’analyses de corrélations bivariées. Les résultats (Tableau 4) témoignent de relations positives et significatives entre les perceptions et les pratiques de rétention, présentant des coefficients de corrélations de l’ordre de 0,185 à 0,390 (p < 0,01). Les relations les plus fortes sont celles qui s’établissent entre les perceptions et les pratiques suivantes : « la promotion d’une culture favorable à la diversité » (r = 0,390; p < 0,01), « le soutien dans le processus d’immigration ou d’obtention de la résidence permanente » (r = 0,291; p < 0,01), « la reconnaissance des diplômes d’études obtenus à l’étranger » (r = 0,274; p < 0,01) et « l’aide à l’établissement dans la région » (r = 0,270; p < 0,01). Les employeurs recourent le plus souvent au processus d’accueil et d’intégration et à la promotion d’une culture favorable à la diversité.

Tableau 4

Statistiques descriptives des pratiques spécifiquement dédiées aux PIR et corrélations avec la perception

Statistiques descriptives des pratiques spécifiquement dédiées aux PIR et corrélations avec la perception

Note. N = 566. M = moyenne; É.T. = écart type.

** La corrélation est significative au niveau 0,01 (bilatéral).

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Les participants aux groupes de discussion rendent intelligibles les liens entre les perceptions et les pratiques, notamment les liens les plus forts au regard des analyses de corrélations bivariées, en expliquant pourquoi ils font usage de certaines d’entre elles. Ils évoquent avec force la perception que les PIR constituent un atout devant les problèmes engendrés par le contexte de rareté de la main-d’oeuvre. Les avantages encourus par leur embauche reposent sur cette préoccupation à pourvoir les postes vacants et à conserver le personnel nécessaire au fonctionnement de leur organisation. Cette nécessité d’élargir le bassin de main-d’oeuvre les motive à mettre en place différentes pratiques de gestion de la diversité, destinées aux PIR. C’est donc en se basant sur la perception que les PIR font office de solution à un problème majeur que le déploiement des pratiques s’opère. Dans ce cas, un apport positif en situation de rareté de la main-d’oeuvre donne donc lieu à la mise en oeuvre de pratiques de rétention, notamment la reconnaissance des diplômes.

Chez nous, on s’implique vraiment dans la reconnaissance des diplômes étrangers et dans la mise à jour des connaissances lorsque c’est nécessaire. On s’investit auprès de ces personnes qui viennent surtout de l’Afrique. Mais, je reviens à la base. On le fait par nécessité, parce qu’on n’a pas la main-d’oeuvre disponible.

Employeur 76

Les employeurs peuvent percevoir d’autres bénéfices à l’embauche des personnes immigrantes, comme l’amélioration de l’image de l’entreprise. La diversification de la main-d’oeuvre contribue notamment à mettre en exergue les qualités d’ouverture sur le monde et de tolérance des employeurs. En groupes de discussion, ils soulignent l’importance de l’image qu’ils projettent, entre autres parce qu’elle permet de mettre en lumière une marque employeur distinctive. Qui plus est, selon les participants, l’embauche de travailleurs issus de l’immigration pave la voie au marché international. Les perceptions positives des employeurs, associées à des possibilités de croissance, concourent au déploiement de pratiques de gestion de la diversité, tel que le soutien dans le processus d’immigration ou le développement d’une culture favorable à la diversité. Ce point de vue était partagé par plusieurs employeurs lors des groupes de discussion.

L’image de l’organisation, c’est important. Le fait qu’on ait des immigrants chez nous, ça nous aide à embaucher à l’international pour des expertises plus pointues. Et puis, sans eux, on ne pourra pas percer de nouveaux marchés, se développer, croître. Alors, on les aide vraiment pour le processus d’immigration. On va faire toutes les démarches avec eux.

Employeur 38

Dans la même veine, un autre employeur indique : « C’est très bon, je pense, pour l’image de l’entreprise et ça nous permet de mieux desservir notre clientèle qui est diversifiée. Donc, on a travaillé au développement d’une culture favorable à ça et on en parle beaucoup aux employés. » (Employeur 88)

La mise en place de mesures favorisant la rétention organisationnelle est donc en lien avec les perceptions positives des employeurs à l’égard des PIR. Nonobstant ce qui précède, les participants aux groupes de discussion insistent parallèlement sur l’importance capitale de l’intégration réussie des personnes issues de l’immigration dans leur communauté d’accueil. La rétention organisationnelle n’est possible, selon eux, que dans la mesure où l’insertion professionnelle se conjugue à l’insertion sociale. Dans cet esprit, lorsque les perceptions des employeurs le justifient, leurs actions dépassent les frontières de l’entreprise pour embrasser un rôle plus large. Les pratiques de gestion prennent alors la forme d’un accompagnant de l’employé et sa famille dans leurs démarches d’établissement dans la région. Les participants insistent grandement sur l’importance de ce type de soutien.

Ils [les PIR] peuvent apporter des nouvelles idées, des nouvelles façons de faire. Mais, si on veut que ça marche, il faut soutenir. Nous, on a mis beaucoup de temps pour aider un de nos employés immigrants à trouver un emploi pour sa conjointe. C’était majeur. Il fallait que sa conjointe s’intègre aussi, sinon est-ce qu’ils allaient rester ? On a aussi trouvé un logement. Dans l’accueil et l’intégration, on a fait des efforts différents. On lui a fait connaître la région.

Employeur 32

Si les perceptions positives des employeurs semblent justifier la mise en place de différentes pratiques, l’inverse l’est tout autant. Lorsque les obstacles à surmonter se présentent comme plus importants que les bénéfices estimés, ceux-ci se montrent réticents à gérer la diversité. Dans ces cas de figure, ils évoquent fréquemment que la lourdeur administrative et la complexité de la gestion de la diversité constituent un frein majeur à l’adaptation des pratiques.

J’aimerais pouvoir embaucher un travailleur immigrant et faire de la même façon que lorsque j’embauche un travailleur Québécois. […] C’est compliqué… Ça prend du temps. […] C’est beaucoup d’efforts par rapport aux chances que ça fonctionne.

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Dans un même ordre d’idées, un employeur explique qu’il n’introduit pas de pratiques, notamment de cours de langue, parce que le jeu n’en vaut pas la chandelle :

La barrière linguistique, ça fait que les personnes [immigrantes] ne progressent pas dans l’entreprise à la même vitesse que les autres. On ne peut pas tirer le plein potentiel à cause de ça. Ça demanderait trop d’énergie de leur offrir des cours de français.

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Le lien entre les perceptions des employeurs et les pratiques de gestion de la diversité ne se traduit pas de façon homogène chez les personnes rencontrées. Force est d’admettre que si des bénéfices tangibles à l’égard de l’embauche de PIR sont perçus, la motivation à se doter de pratiques de rétention paraît plus importante. C’est ce que laisse entrevoir les résultats qualitatifs. Une estimation des coûts et des bénéfices peut donc conditionner les efforts des employeurs en matière de gestion de la diversité.

Discussion autour des résultats

La littérature sur la gestion de la diversité met clairement en évidence les implications du cadre légal sur les pratiques de gestion adoptées en organisation (Beaudry et Gagnon, 2019; Smith, 2014). En revanche, l’interconnexion entre les niveaux méso-organisationnel et micro-individuel demeure plus méconnue en matière de gestion de la diversité. Les résultats quantitatifs de cette recherche mettent en lumière la relation entre les expériences vécues par les employeurs et les perceptions entretenues à l’endroit des PIR. De même, des liens sont établis entre ces perceptions et les pratiques de gestion de la diversité déployées en organisation. Ces données sont révélatrices, alors que c’est généralement le vécu des groupes discriminés qui est appréhendé (Syed et Kramar, 2009). Or, les données collectées par l’entremise du questionnaire mettent en exergue l’importance de s’attarder aussi aux expériences et aux perceptions des responsables de la gestion de la diversité, soit les employeurs. La conception qu’ils ont des PIR est liée aux pratiques de gestion en place.

L’analyse des résultats qualitatifs révèle, pour sa part, que ces mesures ne sont pas uniquement instaurées pour souscrire à des prescriptions légales, mais également parce qu’elles correspondent aux perceptions des membres de l’organisation (Beaudry et Gagnon, 2019), qui évoluent dans le temps selon les expériences. Les propriétés sociétales des employeurs gagnent alors à être considérées. Les résultats sont riches d’enseignement en ce qu’ils supposent d’élargir le niveau d’analyse micro-individuel aux acteurs concernés et non seulement aux personnes issues de la diversité. Les efforts de sensibilisation et d’information auprès des gestionnaires et des professionnels en ressources humaines demeurent d’actualité, car les perceptions, et donc les attitudes, modulent les comportements en matière de gestion de la diversité (Mahama et Cheng, 2013).

La relation entre les perceptions et certaines pratiques s’avère plus forte. C’est le cas de « la promotion d’une culture favorable à la diversité » (r = 0,390; p < 0,01), « du soutien dans le processus d’immigration ou d’obtention de la résidence permanente » (r = 0,291; p < 0,01), de « la reconnaissance des diplômes d’études obtenus à l’étranger » (r = 0,274; p < 0,01) et de « l’aide à l’établissement dans la région » (r = 0,270; p < 0,01). Ces pratiques spécifiques font état du désir des employeurs de contribuer à l’intégration organisationnelle, tout comme à l’insertion sociale des PIR. Les discussions tenues lors des entretiens de groupe révèlent, à ce chapitre, que les perceptions positives à l’égard des immigrants motivent les employeurs à déployer des pratiques de gestion, mais également à poser des actions qui dépassent les frontières de l’entreprise (Beaudry et al., 2018). Conscients que la rétention des PIR dépend également de la rétention dans le milieu de vie, les participants rencontrés expliquent la nécessité de les accompagner dans leurs démarches d’établissement dans la région et dans le processus d’immigration.

Les efforts fournis par les employeurs témoignent-ils d’une gestion proactive de la diversité ? Les résultats révèlent que les pratiques sont liées aux perceptions des employeurs à l’égard des PIR et, conséquemment, aux avantages ou aux difficultés qu’ils associent à leur embauche. La vision de la gestion de la diversité adoptée semble embrasser une vision instrumentale visant à résoudre les problèmes organisationnels, dans un contexte où la main-d’oeuvre se raréfie et où la contribution de chacun devient nécessaire à l’atteinte des objectifs organisationnels (Kandola et Fullerton, 1994). Les participants aux groupes de discussion mettent en place des pratiques s’ils estiment que le calcul coût-bénéfice leur est favorable. Même le soutien à l’insertion sociale procède de cette logique instrumentale, celle des avantages escomptés pour l’entreprise. En ce sens, peu d’entre eux semblent opérer un véritable diagnostic en amont afin d’identifier les facteurs d’exclusions et les transformer en facteurs d’inclusion (Barel et Frémaux, 2009). Les pratiques de gestion de la diversité semblent plutôt ciblées (Gaas et Shamida, 2014) et appliquées lorsque les employeurs butent contre des problèmes. Ces mesures visent essentiellement le développement du capital humain en vue d’améliorer la performance organisationnelle (Syed et Kramar, 2009) dans un contexte où la main-d’oeuvre se fait rare. Ce lien entre les perceptions et l’instauration de pratiques laisse donc pressentir une gestion réactive de la diversité, au gré des bénéfices attendus. En entrevoyant ainsi la gestion de la diversité, des risques se posent quant à la perpétuation de certains stéréotypes associés aux traits culturels (Haas et Shimada, 2014), voire le cantonnement des PIR dans des postes ciblés en raison de leurs caractéristiques personnelles, perçues comme avantageuses (Cornet et El Aboubi, 2012).

La gestion de la diversité demeure limitée si le recours aux personnes immigrantes ne s’inscrit pas dans une véritable démarche d’intégration pleine et entière, reconnaissant l’importance de leur contribution économique et sociale (Syed et Kramar 2009; Syed et Ozbligin, 2009). La responsabilité des employeurs n’est pas la seule en cause. La collaboration entre les acteurs de tous les niveaux parait nécessaire pour dépasser une vision purement instrumentale et étriquée de la diversité culturelle en entreprise. Cette action concertée implique que la gestion de la diversité s’inscrive dans un contexte large, qui dépasse les frontières de l’entreprise (Glastra et al., 2000). Or, une vision axée sur les avantages occulte trop souvent le contexte organisationnel et social. Les mesures développées visent alors l’accompagnement de l’individu, afin qu’ultimement il contribue positivement à l’organisation, en évacuant les difficultés vécues dans le milieu de travail.

En revanche, les pratiques les plus souvent mises de l’avant selon les employeurs sondés par questionnaire sont celles du processus d’accueil et d’intégration (M = 4,00) et de la promotion d’une culture favorable à la diversité (M = 3,74). Dépassant la visée corrective, ce type de mesure pave la voie à une gestion de la diversité proactive, en ce qu’elle s’exerce en amont, de manière à favoriser l’inclusion. Une nuance s’impose donc. Si l’instauration des pratiques peut être conditionnée par les perceptions essentiellement instrumentales des employeurs à l’égard des PIR, les résultats montrent tout de même des efforts de nature proactive par la mise en oeuvre de pratiques élargies et inclusives (Beaudry et Gagnon, 2019; Barel et Frémeaux, 2013). De surcroît, certains participants aux groupes de discussion indiquent la nécessité de revisiter la culture organisationnelle, les avantages perçus de la main-d’oeuvre immigrante pouvant également être à la source d’une réflexion élargie pour des pratiques inclusives. En ce sens, si la gestion de la diversité n’a pas pour vocation première la justice sociale, qui relève plutôt du champ de la politique, elle peut tout de même contribuer à une évolution de la culture organisationnelle, plus respectueuse des différences et permettant de limiter les gestes discriminatoires (Kirton et Greene, 2010).

Limites et conclusion

Les études à venir gagneraient à mettre en lumière l’implication de différents acteurs en matière de gestion de la diversité culturelle, que ce soit les personnes immigrantes elles-mêmes, les employeurs, les collègues de travail, les délégués syndicaux, les organismes gouvernementaux ou voués au développement socioéconomique et les membres de la communauté. Une analyse multiniveau parait essentielle afin de parvenir à une compréhension plus approfondie de la gestion de la diversité, parce que les acteurs n’agissent pas nécessairement en vase clos, mais s’influencent les uns les autres. Si le point de vue des employeurs en la matière parait important à appréhender, il ne rend pas compte du contexte plus large dans lequel s’inscrit cette gestion de la diversité parfois supportée par d’autres acteurs. C’est là l’une des limites de l’étude. D’autres sont à considérer, notamment à l’égard de l’interprétation des résultats quantitatifs. L’échantillonnage par choix raisonné permet une représentativité de l’échantillon au regard de la population à l’étude, mais il peut de façon concomitante donner lieu à un biais de sélection, limitant la généralisation des résultats. Le recours à un questionnaire auto-administré quant à l’évaluation de la perception et de la satisfaction des répondants engendre possiblement un biais de désirabilité sociale.

Le devis transversal et la nature exploratoire de cette recherche donnent lieu à des résultats issus d’analyses statistiques qui ont une visée descriptive et non explicative, ceux-ci ne pouvant soutenir la présence de relations causales entre les variables. La recherche présente donc encore de vastes perspectives futures en ce qui a trait à l’identification, ainsi qu’à la compréhension des antécédents et des processus intervenant dans la perception des employeurs à l’égard des PIR, dans leur satisfaction face à leur expérience d’embauche de PIR et dans la mise en place de pratiques de gestion des ressources humaines spécifiquement dédiées à ces travailleurs.

Malgré les limites soulignées, la présente étude a le mérite d’enrichir l’analyse multiniveau de la gestion de la diversité, en s’intéressant aux pratiques déployées, tout comme à l’expérience subjective et aux perceptions des employeurs, angle peu exploré à ce jour dans les écrits sur ce thème. Qui plus est, elle met en exergue l’importance d’inscrire les pratiques de gestion de la diversité dans un cadre d’action socialement responsable. Si de plus en plus d’organisations posent des gestes en matière de développement durable, notamment sur le plan de la préservation des ressources et de la réduction du gaspillage, des efforts en ce sens gagnent également à être entrepris sur le plan de la gestion des ressources humaines. Les gens issus de groupes variés peuvent également être gérés de manière responsable et durable, ce qui concoure non seulement au succès des organisations, mais à leur inclusion et à leur contribution dans la communauté (Syed et Kramar, 2009). Une telle vision de la diversité appelle à une évolution importante des perceptions des employeurs à l’égard de cette diversité et de leurs rôles. Les efforts de sensibilisation, d’information et de formation demeurent donc d’actualité pour dépasser cette vision purement instrumentale de l’immigration afin de s’orienter vers une gestion proactive, durable et socialement responsable de la diversité.