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Introduction

Au Québec, comme dans le reste du Canada et aux États-Unis, le monopole de l’association majoritaire constitue le modèle dominant de représentation syndicale depuis plus de 75 ans (Verge, 1971; Trudeau et Veilleux, 1995). L’évolution du syndicalisme et du droit du travail depuis le début du vingtième siècle a, toutefois, laissé une certaine place au pluralisme syndical[1] en sol québécois. À l’échelle provinciale, le système de l’accréditation permet la coexistence du pluralisme[2] avec le modèle monopolistique prévu au Code du travail[3], mais il en va autrement lorsque, à l’échelle d’un même milieu de travail, plus d’une association participe à la détermination ou à la gestion des conditions de travail d’un groupe de salariés. Une telle situation, certes moins commune, commande néanmoins un aménagement juridique approprié.

Le 9 avril 2019, l’Assemblée nationale du Québec adoptait la Loi modifiant la Loi sur l’équité salariale afin principalement d’améliorer l’évaluation du maintien de l’équité salariale[4]. Certains des changements introduits par cette dernière font aujourd’hui l’objet de pourvois[5] visant notamment à faire invalider, sur la base de la Charte canadienne des droits et libertés[6], un mécanisme de règlement de plaintes lorsque plusieurs associations accréditées y prennent part, et soulevant du même souffle la question plus générale de la participation des salariés. L’étude de cette dernière en contexte de pluralisme syndical offre une occasion de réfléchir à l’enjeu de la démocratie au travail, laquelle constitue une trame importante de l’évolution du droit du travail et ne peut être réduite à une conception simpliste de la décision majoritaire compte tenu de la complexité des organisations et de la diversité des situations de travail d’où émanent les intérêts représentés.

Délaissant les enjeux proprement constitutionnels, le présent texte offre une mise en examen de l’aménagement du pluralisme syndical dans le droit du travail au Québec[7]. Pour ce faire, certaines dispositions de la Loi sur l’équité salariale (LES)[8] portant sur la participation des salariés seront présentées, puis comparées entre elles et avec des dispositions sur la représentation syndicale contenues dans la Loi sur les relations du travail, la formation professionnelle et la gestion de la main-d’oeuvre dans l’industrie de la construction[9]. Suivra l’analyse des modèles de participation des salariés étudiés qui permettra de discuter sommairement des choix effectués par le législateur québécois en la matière.

La représentation syndicale dans le traitement des plaintes relatives au maintien de l’équité salariale

Depuis l’adoption du Projet de loi 10, les plaintes relatives au maintien de l’équité salariale font l’objet d’un mécanisme spécifique de règlement. Ce mécanisme prévoit le regroupement de plaintes par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (CNESST) et la conciliation entre les parties concernées, tout en aménageant un mode de représentation original pour les entreprises où l’interaction de la LES et du Code du travail fait en sorte que plus d’une association accréditée représente les salariés appartenant à une même catégorie d’emplois[10].

Dans son Rapport de 2019 sur la mise en oeuvre de la LES, le ministre du Travail expose la raison d’être de ces changements :

Dans le cas d’une plainte portant sur un exercice d’équité salariale ou une évaluation du maintien de l’équité salariale, la CNESST proposait aux parties impliquées dans un litige de s’entendre au cours d’une conciliation, et ce, même en cours d’enquête. Cette méthode de résolution de conflits, comme prévue dans la Loi, n’était pas adaptée pour une entreprise au sein de laquelle plusieurs associations accréditées représentaient des personnes salariées d’une même catégorie d’emplois visées par un seul programme d’équité salariale. Cette situation pouvait créer plusieurs conciliations simultanées (une par association accréditée) sur des plaintes portant sur le même objet. Des ententes différentes pouvaient être conclues, notamment si les associations accréditées ne s’entendaient pas entre elles pour entériner des ententes similaires et si l’employeur acceptait des règlements différents. Cette situation pouvait mener à la création de nouveaux écarts salariaux. À l’opposé, si l’employeur refusait de donner son accord sur des ententes différentes selon les associations accréditées, la conciliation ne permettait pas de régler l’ensemble du litige.

Québec, 2019 : 22

Désormais, lorsque des plaintes déposées par plus d’une association accréditée et visant une même catégorie d’emplois au sein d’une entreprise « ont le même fondement juridique, reposent sur les mêmes faits ou soulèvent les mêmes points de droit, ou encore si les circonstances s’y prêtent », la CNESST peut regrouper ces plaintes à des fins de conciliation ou de détermination des mesures à prendre[11]. De cette façon, le législateur assure plus de cohérence au régime en permettant à la CNESST d’éviter un traitement fractionné de plaintes visant une même catégorie d’emplois et ayant un même fondement.

Dans le cadre d’un exercice de conciliation faisant suite à un regroupement de plaintes dans une telle situation, un accord pour le règlement de celles-ci peut être conclu entre l’employeur et au moins une association accréditée représentant la catégorie d’emplois concernée. Cet accord doit, ensuite, être entériné, dans les 30 jours, « par une ou des associations accréditées représentant, pour chaque catégorie d’emplois visée, une majorité de salariés »[12]. Il règle alors « toute plainte visée par celui-ci et lie chaque association accréditée ainsi que, le cas échéant, chaque salarié ayant déposé une telle plainte »[13]. Ce faisant, le législateur assure à la procédure une certaine efficacité, limitant les contretemps et autres obstacles pouvant découler de la dissidence d’une ou plusieurs associations minoritaires lors du processus de conciliation.

Le mécanisme décisionnel introduit est donc de type majoritaire et ne reconnaît pas de droit de retrait à une association dissidente face à un règlement conclu en conciliation et visant une catégorie d’emplois qu’elle représente de façon minoritaire. Il est utile de mentionner au passage qu’un tel droit de retrait est, toutefois, reconnu pour les salariées dont la plainte individuelle aurait été regroupée avec celles déposées par des associations accréditées[14].

Deux autres cas d’aménagement du pluralisme syndical : les comités d’équité salariale et la négociation collective dans la construction

Afin de mieux saisir la portée et les limites du règlement de plaintes regroupées d’équité salariale déposées par plusieurs associations accréditées, il est utile d’examiner les modalités prévues par le législateur québécois dans deux autres cas que sont le travail des comités d’équité salariale et les rapports intersyndicaux dans le cadre de la négociation des conventions collectives sectorielles de l’industrie de la construction.

La représentation syndicale au sein des comités d’équité salariale

Dans plusieurs milieux de travail, la réalisation de l’équité salariale relève d’un comité conjoint et la LES prévoit la formation de tels comités selon différentes modalités, en fonction du nombre de salariés dans l’entreprise[15]. Lorsqu’il est formé, le comité d’équité salariale doit être composé au deux tiers de représentants des salariés[16]. Dans les cas où plus d’une association accréditée représente les salariés visés par un programme d’équité salariale, chacune désigne un membre[17], à moins que l’employeur n’accorde à une ou des associations plus fortement représentatives le droit de nommer un représentant supplémentaire ou plus[18], ou à moins qu’une de ces associations regroupe, à elle seule, une majorité de salariés visés par le programme, auquel cas cette association désigne « une majorité de membres représentant les salariés »[19]. Dans le cas particulier de l’entreprise du secteur parapublic, la LES prévoit la composition de la représentation des salariés[20].

Les décisions prises au sein d’un comité d’équité salariale le sont de façon paritaire, les représentants de l’employeur et des salariés détenant chacun un vote[21]. Les positions des représentants des salariés sont, quant à elles, adoptées à la majorité des membres du comité[22].

La représentation syndicale en négociation collective dans la construction québécoise

La Loi R-20 établit un régime particulier de rapports collectifs du travail dont un trait distinctif est la reconnaissance d’un pluralisme syndical se traduisant par la désignation statutaire de cinq associations représentatives[23] en lieu et place du système d’accréditation prévu au Code du travail.

Le chapitre V de la Loi R-20 fixe les modalités de participation des associations représentatives à la négociation et à la conclusion des conventions collectives. De 1995 à 2011, la loi prévoyait que : « [p]our être considérée comme convention collective applicable dans un secteur, une entente relative à des conditions de travail […] doit être conclue par une ou plusieurs associations représentatives à un degré de plus de 50 % […] »[24]. L’accord de l’ensemble des associations représentatives n’était donc pas nécessaire pour la conclusion d’une convention collective, bien que la loi leur reconnaisse, par ailleurs, le droit d’assister aux pourparlers et de soumettre des demandes[25]. C’est ainsi une coalition majoritaire[26] qui signa les conventions collectives sectorielles lors de cinq des six rondes de négociations survenues entre 1995 et 2010 (Delagrave et Pilon, 2009 : 139)[27].

En 2011, le gouvernement du Québec s’est engagé dans un projet de révision de la Loi R-20, qui a mené à l’adoption de la Loi éliminant le placement syndical et visant l’amélioration du fonctionnement de l’industrie de la construction[28]. Parmi les nombreux changements introduits à cette occasion, de nouvelles règles visant la négociation collective ont permis d’accroître la participation de toutes les associations représentatives. Ces nouvelles exigences, prévues aux articles 33 à 36, 38 et 39 du projet de loi, ont ainsi fait en sorte que : « [t]oute association représentative a le droit de participer à la négociation pour la conclusion d’une convention collective applicable aux salariés qu’elle représente. »[29]. Ce droit, qui va au-delà de celui d’assister et de soumettre des demandes, déjà contenu dans la Loi R-20[30], se traduit par l’obligation d’un protocole intersyndical conclu par les associations représentatives ou, à défaut, imposé par un arbitre[31]. Le Projet de loi 33 prévoit également que : « [p]our être considérée comme convention collective applicable dans un secteur, une entente relative à des conditions de travail […] doit être conclue par au moins trois associations représentatives à un degré de plus de 50%... »[32]. La majorité requise pour conclure une convention collective ne se limite donc désormais plus aux salariés représentés, mais s’étend aux associations représentatives, qui doivent approuver l’entente de principe au nombre minimal de trois (sur cinq).

Analyse et discussion

Dans les trois cas exposés, le législateur a prévu des règles spécifiques pour la participation à un processus décisionnel lorsque les salariés concernés sont représentés par deux associations ou plus. Il est remarquable que dans chacun de ces cas, des solutions différentes aient été mises en oeuvre afin de composer avec une situation de pluralisme syndical.

Après avoir relevé les similitudes et les différences entre les trois cas à l’étude, nous discuterons brièvement de la portée et des limites des choix du législateur.

Similitudes et différences entre les cas à l’étude

Dans les cas qui nous occupent, la loi reconnaît explicitement la possible coexistence de plus d’une association habilitée à représenter simultanément des salariés au sein du groupe concerné, et c’est donc la mise en oeuvre de ce pluralisme, son aménagement dans le cadre de mécanismes décisionnels, qui est en question. Les trois cas présentent, à cet égard, des similitudes et des différences.

Tant dans le règlement des plaintes déposées en vertu de la LES qu’au sein des comités d’équité salariale et dans le processus de négociation collective dans la construction, toutes les associations syndicales concernées ont accès au forum. Ainsi, en plus de prévoir que l’ensemble des associations ayant soumis une ou des plaintes regroupées par la CNESST peuvent participer à une éventuelle conciliation, la LES permet à toutes les associations accréditées représentant des salariés visés par un programme de nommer un ou des représentants au comité d’équité salariale. La Loi R-20 prévoit, quant à elle, que les cinq associations représentatives ont le droit de participer aux négociations, c’est-à-dire d’assister aux séances, de déposer des demandes et de prendre part aux pourparlers avec les représentants patronaux.

Les cas diffèrent toutefois en ce qui a trait à la prise de décision à laquelle ces forums peuvent donner lieu. Quatre cas de figure émergent de l’analyse des dispositions contenues dans les deux lois.

D’abord, la LES permet qu’une entente liant toutes les associations et tous les salariés ayant déposé des plaintes regroupées par la CNESST soit conclue avec l’employeur par une seule association accréditée, pour peu qu’elle soit ensuite entérinée par une ou des associations représentant plus de 50% des salariés dans la catégorie d’emplois. C’est donc un critère de majorité simple des salariés représentés qui prévaut dans ce cas, tout comme dans celui des décisions prises en comité d’équité salariale lorsqu’une association accréditée représente la majorité des salariés visés par le programme d’équité salariale.

Dans les situations où plus d’une association accréditée représente des salariés visés par un programme d’équité salariale, le poids décisionnel des représentants des salariés au sein du comité d’équité salariale est réparti suivant la formule « une association = un vote », et c’est donc un critère de majorité simple des associations qui préside à la prise de décision, à moins que l’employeur n’accepte d’accorder le droit de désigner plus d’un membre à une association non majoritaire, mais dont la représentativité le justifie. Dans cette dernière situation (troisième cas de figure), la représentativité des différentes associations concernées est pondérée par l’attribution d’une ou plusieurs voix supplémentaires, donc d’un poids décisionnel supérieur, à celle ou celles qui représentent une plus grande proportion des salariés concernés. On passe alors à une formule « un représentant = un vote ».

Enfin, depuis 2011, un critère de double majorité (des salariés représentés et des associations) a été imposé aux rapports intersyndicaux en négociation collective dans la construction puisque la Loi R-20 prévoit que la ratification d’une convention collective doit recevoir l’appui d’au moins trois associations représentatives à un degré de plus de 50%.

Discussion

Les quatre modes décisionnels mis en évidence à la sous-section précédente — majorité simple des salariés, majorité simple des associations, majorité pondérée des associations et double majorité des salariés et des associations — correspondent à différents niveaux de participation et de complexité.

La simplicité du critère fait de la majorité simple le mode de décision le plus facile à mettre en oeuvre dans les milieux de travail, mais elle est également la plus limitée en ce qui a trait à la participation des salariés. À cet égard, les critères de majorité des salariés et de majorité des associations présentent des avantages et des inconvénients différents. Dans le premier cas, on s’assure qu’un plus grand nombre d’individus participent à la décision, car bien que leur représentation soit fragmentée entre deux associations ou plus, une décision ne pourra être prise que si elle reçoit l’appui des représentants d’une majorité de salariés. Ce type de majorité ne permet toutefois pas de prendre en considération la diversité des situations de travail et des intérêts en présence, laquelle contribue généralement à expliquer la coexistence de plus d’une association accréditée dans une entreprise (LES)[33] ou un secteur (Loi R-20). Dans le second cas, cette diversité s’incarnant dans la fragmentation de la représentation syndicale est prise en considération, même au détriment de la représentativité. En effet, en accordant aux associations le même poids décisionnel (une association = un vote), il est possible que survienne une situation où une décision majoritaire ne reflète les intérêts que d’une minorité de salariés visés par le programme d’équité salariale.

En pondérant la représentation, c’est-à-dire en accordant à des associations plus fortement représentatives la possibilité de nommer plus d’un représentant, et en appliquant la formule « un représentant = un vote », il est possible d’éviter les écueils des modes de décision à la majorité simple bien qu’imparfaitement, puisque le pourcentage de représentativité ne se reflète pas toujours fidèlement dans le poids décisionnel accordé aux diverses associations.

Une plus parfaite pondération se retrouve dans le critère de la double majorité en vertu duquel une décision ne peut être prise que si elle obtient l’appui d’une majorité d’associations représentant, ensemble, une majorité de salariés. Ce faisant, on s’assure de donner voix au chapitre à la majorité des individus concernés, tout en reconnaissant la diversité des situations et des intérêts ayant donné lieu à une fragmentation de la représentation syndicale. Un tel mode de prise de décision est, par contre, plus exigeant que les précédents pour la simple et bonne raison qu’il ouvre la porte à plus d’hétérogénéité au sein de la représentation des salariés et, donc, à des conflits potentiels, ainsi qu’à un allongement des délais de prise de décision.

L’existence de ces quatre modes de prise de décision fait apparaître le dilemme majeur auquel est confronté le législateur lorsqu’il doit aménager la représentation des salariés en situation de pluralisme syndical : doit-il donner préséance à l’efficacité dans l’atteinte des finalités de la loi ou à une participation plus riche et nuancée des salariés aux décisions relatives à la détermination ou à la gestion de leurs conditions de travail ?

L’enjeu de l’efficacité des mécanismes décisionnels se rattache évidemment aux finalités de la loi qui les prévoit. Ainsi, comme on le sait, la LES vise à « corriger les écarts salariaux dus à la discrimination systémique fondée sur le sexe à l’égard des personnes qui occupent des emplois dans des catégories d’emplois à prédominance féminine »[34]. Dans le cas particulier du règlement des plaintes relatives au maintien de l’équité salariale, des documents ministériels (Québec, 2019) et les travaux parlementaires qui ont mené à l’adoption du Projet de loi 10 révèlent l’importance accordée à deux critères que sont la célérité et la cohérence des ajustements salariaux déterminés :

S’il y a un désaccord entre des associations accréditées, il ne faut pas que ça se fasse au détriment de l’exer[ci]ce des droits des salariés femmes qui sont victimes de discrimination systémique et que ça puisse éventuellement mener à des décisions contradictoires ou qui ne sont pas cohérentes les unes avec les autres. Il faut vraiment éviter ça.[35]

On n’enfonce jamais un accord dans la gorge de quelqu’un, hein? On veut y aller de la façon la plus démocratique possible, mais il faut que ça soit diligent, parce qu’on a beaucoup de plaintes qui sont formulées individuellement, puis des plaintes de syndicat. Il faut s’assurer que ça soit efficace, là, le processus d’accord et la procédure d’entérinement.[36]

Dans le cas de la Loi R-20, le législateur a mis en place un régime de rapports collectifs devant permettre la conclusion diligente et pacifique des conventions collectives pour les salariés et employeurs de la construction. Ces critères d’efficacité ont marqué l’évolution de la loi, depuis son adoption en 1968 (Delagrave et Pilon, 2009) et ont été soulignés par la Cour suprême :

L’industrie de la construction a joué et joue encore un rôle majeur dans l’économie et le développement de la province. Les relations du travail dans cette industrie étaient constamment tendues pendant plusieurs années. La démocratie syndicale restait en péril. Il était devenu difficile d’établir un régime viable de négociation collective. La résolution de ces difficultés passait tant par l’établissement du caractère représentatif des syndicats que par la protection de la démocratie syndicale. L’Assemblée nationale du Québec a cherché, de cette façon, à atteindre un objectif de paix et d’efficacité économique dans l’industrie.[37]

S’il ne nous appartient pas de nous prononcer, en définitive, sur l’importance et l’urgence de l’atteinte des objectifs respectifs des deux lois, il convient néanmoins de formuler trois remarques à cet égard.

D’abord, bien que la LES vise à mettre en oeuvre un droit fondamental, la Cour d’appel du Québec rappelait, en 2012, que : « [l]a question de l’équité salariale [est] étroitement et indissociablement reliée à celle de l’organisation du travail et des relations et conditions de travail […] », et que : « si le législateur a voulu l’équité salariale et l’établissement d’un régime proactif à cet égard, il l’a voulu dans le respect des structures syndicales existantes, ce qui favoriserait la négociation, l’acceptation et la mise en place des programmes d’équité salariale et des ajustements salariaux qui en découlent, le cas échéant » [38]. Il ne semble donc pas approprié, du moins pour cette seule raison, de traiter différemment les mécanismes décisionnels que prévoit cette loi et d’autres mécanismes similaires prévus dans le droit du travail. Ensuite, bien que la volonté du législateur d’accélérer le processus de règlement des plaintes soit aujourd’hui manifeste, les changements introduits par le Projet de loi 10, ont été adoptés en 2019, alors que le règlement des plaintes relatives au maintien de l’équité salariale de 2010 dans l’entreprise du secteur parapublic était toujours en cours[39]. Enfin, les modifications apportées à la Loi R-20 en 2011 révèlent une préoccupation réelle du législateur pour la conclusion diligente et ordonnée des conventions collectives. En effet, tel qu’indiqué plus tôt, la loi prévoit maintenant la nomination d’un arbitre, à moins que les associations ne parviennent à conclure un protocole intersyndical au plus tard six mois avant la date à laquelle les parties peuvent amorcer les négociations pour le renouvellement des conventions collectives[40].

Compte tenu de ce qui précède, les différences observées entre les mécanismes décisionnels prévus dans la LES et la Loi R-20 et applicables à des situations de pluralisme syndical ne sont pas sans susciter une certaine perplexité, d’autant plus profonde dans le cas du traitement des plaintes d’équité salariale que l’aménagement de la participation des salariés qui y est associé s’avère non seulement moins exigeant que la conclusion d’une convention collective dans la construction, mais correspond à des dispositions de la Loi R-20 qui ont été modifiées en 2011 parce que le législateur les jugeait insuffisantes.

Conclusion

Le pluralisme syndical est certes peu fréquent dans les rapports collectifs à l’échelle des milieux de travail au Québec, mais il n’en demeure pas moins une réalité qui s’est exprimée de longue date et qui nécessite, aujourd’hui comme hier, un aménagement normatif approprié. La présente étude révèle que pour chacun des trois cas à l’étude, des solutions différentes ont été retenues par le législateur qui semblent répondre à un dilemme entre efficacité et participation des salariés. Ainsi, la LES favorise davantage l’efficacité en mettant en oeuvre des mécanismes décisionnels reposant, selon les situations, sur des critères de majorité simple des salariés et de majorité simple ou pondérée des associations. En revanche, la Loi R-20 favorise davantage la participation, tant dans ses dimensions quantitative (représentativité) que qualitative (diversité des intérêts), en imposant un critère de double majorité du côté syndical pour la conclusion des conventions collectives de l’industrie de la construction.

S’il est vrai que le critère de majorité simple est au coeur du régime d’accréditation en vigueur au Québec depuis 1944 (Verge, 1971 : 313), il n’en demeure pas moins qu’en ne tenant pas compte de la diversité des intérêts lorsque la représentation syndicale est fragmentée, le législateur crée une inégalité d’accès à la prise de décision dans la réalisation et le maintien de l’équité salariale. Envisagée sous l’angle de la démocratie au travail, une telle situation pose problème, tout comme celle où des associations ne regroupant conjointement qu’une minorité de salariés pourraient décider sans l’accord de la majorité des salariés regroupés au sein d’un plus petit nombre d’associations accréditées de plus grande taille. La double majorité prévue depuis 2011 dans la Loi R-20, si elle ne constitue pas une panacée, permet néanmoins d’atténuer les effets pervers des formes de majorité simple. Dans ce cas précis, le législateur a, par ailleurs, cherché à mitiger les effets délétères d’un mode de participation plus exigeant sur l’efficacité du processus de négociation collective en introduisant des dispositifs favorisant un accord intersyndical diligent ou en y substituant, à défaut, la décision d’un tiers impartial. Il s’agit là d’une avenue potentiellement intéressante pour la résolution du dilemme mis en lumière.